<p>L&rsquo;arabe dialectal marocain ou la Darija &eacute;tait g&eacute;n&eacute;ralement consid&eacute;r&eacute; comme une langue exclusivement orale utilis&eacute;e pour communiquer oralement dans des contextes informels. Cependant, depuis les ann&eacute;es 2000 et surtout avec l&rsquo;av&egrave;nement du web interactif 2.0, l&rsquo;&eacute;criture en Darija est devenue courante et largement pratiqu&eacute;e sur les espaces num&eacute;riques. Ce passage &agrave; l&rsquo;&eacute;criture est consid&eacute;r&eacute; comme &eacute;tant informel (Caubet, 2017, p.116) dans le sens o&ugrave; premi&egrave;rement, il a lieu dans des contextes informels et, deuxi&egrave;mement, il est pratiqu&eacute; en dehors du contr&ocirc;le ou intervention de l&rsquo;&Eacute;tat.</p> <p>En effet, en l&rsquo;absence d&rsquo;une standardisation officielle, des habitudes conscientes ou inconscientes d&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;arabe dialectal marocain se sont d&eacute;velopp&eacute;es sur ces plateformes num&eacute;riques (r&eacute;seaux sociaux, WhatsApp, forums, revues &eacute;lectroniques, et.), produisant deux tendances d&rsquo;&eacute;criture. L&rsquo;une, utilisant la graphie arabe, cherche une ad&eacute;quation aux nomes de l&rsquo;arabe standard et veut ainsi s&rsquo;en rapprocher. L&rsquo;autre, purement phon&eacute;tique, &eacute;chappe &agrave; toutes normes, adopte deux types de graphie latine et arabe ainsi que des chiffres &agrave; force d&rsquo;un usage r&eacute;p&eacute;t&eacute;.</p> <p>Ces deux tendances d&rsquo;&eacute;criture se d&eacute;veloppent d&rsquo;une mani&egrave;re individuelle et spontan&eacute;e et aboutissent &agrave; une &laquo;&nbsp;conventionnalisation&nbsp;&raquo; par la force de l&rsquo;&eacute;change et de l&rsquo;usage r&eacute;p&eacute;t&eacute;. En ce sens, Dominique Caubet (2017, p.3) parle d&rsquo;un apprentissage collectif, non-institutionnel qui rel&egrave;ve du Do It Yourself et le d&eacute;crit comme une action spontan&eacute;e et collective d&rsquo;acquisition de la lecture et de l&rsquo;&eacute;criture d&rsquo;une langue non-codifi&eacute;e (ibid.). Cependant, s&rsquo;il semble y avoir une &laquo;&nbsp;conventionnalisation&nbsp;&raquo; dans certaines pratiques, l&rsquo;analyse des habitudes orthographiques r&eacute;elles adopt&eacute;es par les auteurs montre qu&rsquo;ils ne partagent pas toujours les m&ecirc;mes normes orthographiques et les divergences sont assez saillantes.</p> <p>&Agrave; cet &eacute;gard, plusieurs questions s&rsquo;imposent&nbsp;: existe-t-il des normes qui structurent les comportements orthographiques des usagers de l&rsquo;arabe dialectal marocain sur les environnements num&eacute;riques&nbsp;? Assiste-t-on &agrave; une fabrication des normes linguistiques sur ces plateformes num&eacute;riques&nbsp;? Ou s&rsquo;agit-il d&rsquo;une entreprise individuelle libre et atypique&nbsp;?</p> <h2>Objectif et m&eacute;thode</h2> <p>Notre objectif dans cette &eacute;tude est d&rsquo;analyser les pratiques et les habitudes orthographiques r&eacute;elles observ&eacute;es dans la graphie latine et la graphie arabe de l&rsquo;arabe dialectal marocain sur les environnements num&eacute;riques, en mettant en exergue les normes adopt&eacute;es dites non institutionnelles instaur&eacute;es par l&rsquo;usage r&eacute;p&eacute;t&eacute;.</p> <p>Le cadre th&eacute;orique que nous avons adopt&eacute; s&rsquo;apparente &agrave; la relation entre norme et usage. En effet, nous faisons r&eacute;f&eacute;rence dans cette contribution aux deux acceptions du mot &laquo;&nbsp;norme&nbsp;&raquo; telles qu&rsquo;&eacute;voqu&eacute;es par Gilles Siouffi et Agn&egrave;s Steuckardt (2007, p.X) :&nbsp;&laquo; La plus ancienne (...) est celle de&nbsp;&laquo; r&egrave;gle, loid&#39;apr&egrave;s laquelle on doit se diriger&nbsp;&raquo; (Littr&eacute;, 1877, article&nbsp;&laquo; Norme &raquo; ; la seconde (...) (issue de la sociologie), norme signifie&nbsp;&laquo; &eacute;tat habituel, r&eacute;gulier, conforme &agrave; la majorit&eacute; des cas&nbsp;&raquo; (Robert historique, 1992, article&nbsp;&laquo; Norme &raquo;).</p> <p>En pratique, ces deux acceptions de norme marquent leur pr&eacute;sence dans l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;arabe dialectal marocain sur les espaces num&eacute;riques : (1) norme objective, observable, [&hellip;] qui renvoie &agrave; l&rsquo;id&eacute;e de fr&eacute;quence ou tendance (ibid.), c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; l&rsquo;usage r&eacute;p&eacute;t&eacute;. Et, (2) norme subjective, syst&egrave;me de valeurs historiquement situ&eacute;&nbsp;&hellip; , (Gadet, 2003, p.19) dans la mesure o&ugrave;, l&#39;arabe dialectal marocain &agrave; l&#39;&eacute;crit emprunte &agrave; l&rsquo;arabe standard et/ou au fran&ccedil;ais des normes d&eacute;j&agrave; historiquement &eacute;tablies. Reste &agrave; savoir si les deux normes s&#39;appuient l&#39;une sur l&#39;autre (Gilles Siouffi et Agn&egrave;s Steuckardt, 2007, p.X), pour former cette orthographe qui semble en construction pour l&#39;arabe dialectal marocain &eacute;crit, ou si les divergences sont si importantes que cette entreprise semble bien lointaine.</p> <p>Quant &agrave; la d&eacute;marche emprunt&eacute;e, elle est descriptive dans le sens o&ugrave; elle nous conduit &agrave; d&eacute;crire les habitudes et les comportements adopt&eacute;s dans l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;arabe marocain&nbsp;; elle est aussi comparative dans la mesure o&ugrave; elle &eacute;voque des ph&eacute;nom&egrave;nes d&rsquo;&eacute;criture semblables ou divergents par comparaison avec une autre vari&eacute;t&eacute; de l&rsquo;arabe, &agrave; savoir l&rsquo;arabe standard.</p> <p>Les exemples choisis pour cette contribution sont issus de plusieurs supports num&eacute;riques, &agrave; savoir, un recueil des articles r&eacute;dig&eacute;s en arabe dialectal marocain dans deux journaux &eacute;lectroniques connus pour leur utilisation de la darija, &laquo;&nbsp;goud.ma&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;kifache.com&nbsp;&raquo;, une collection des publications en arabe marocain sur les r&eacute;seaux sociaux num&eacute;riques, notamment Facebook, ainsi que plusieurs interactions num&eacute;riques d&rsquo;un groupe d&rsquo;&eacute;tudiants marocains sur <em>WhatsApp</em>. En ce qui concerne la transcription de notre corpus, nous avons opt&eacute; pour un type de transcription largement utilis&eacute; dans les &eacute;tudes de dialectologie marocaine.</p> <h2>Bref rappel du paysage linguistique marocain</h2> <p>Le paysage linguistique marocain est marqu&eacute; par la coexistence de plusieurs langues et vari&eacute;t&eacute;s linguistiques : outre les deux langues officielles, l&#39;arabe et l&#39;amazigh, il y a l&#39;arabe marocain ou darija, qui existe en plusieurs vari&eacute;t&eacute;s, l&#39;amazigh, qui existe &eacute;galement en plusieurs vari&eacute;t&eacute;s, et le fran&ccedil;ais et l&#39;espagnol, qui sont deux langues h&eacute;rit&eacute;es de la p&eacute;riode coloniale.</p> <p>Ces diff&eacute;rentes langues ont chacune leur histoire, leur syst&egrave;me, leur statut et leur fonction. En ce qui concerne l&rsquo;arabe dialectal marocain (Darija), objet de notre contribution, il est consid&eacute;r&eacute; comme une langue orale non standard, sans statut officiel. Malgr&eacute; cela, il tire sa force d&rsquo;une une mouvance sociale qui la porte, le poids de sa masse parlante, la vastitude de son r&eacute;pertoire et la vitalit&eacute; de la culture qu&rsquo;elle v&eacute;hicule&nbsp; (Boukous, 2021, p.121). En ce sens, les chiffres parlent d&rsquo;eux-m&ecirc;mes&nbsp;: selon les statistiques du Haut-Commissariat au Plan, il est la premi&egrave;re langue maternelle de 72% de la population du Maroc et est parl&eacute; par 90% de la population, car il joue &eacute;galement le r&ocirc;le de langue v&eacute;hiculaire entre arabophones et berb&eacute;rophones.</p> <h2>Le passage &agrave; l&rsquo;&eacute;crit de l&rsquo;arabe dialectal marocain et standardisation</h2> <p>L&rsquo;&eacute;criture en arabe marocain dialectal n&rsquo;est pas un fait nouveau, en r&eacute;alit&eacute;, son utilisation &agrave; l&rsquo;&eacute;crit remonte &agrave; des &eacute;crits anciens de la litt&eacute;rature et de l&rsquo;art populaires associ&eacute;s &agrave; l&rsquo;oralit&eacute; tels que les po&egrave;mes de Malhoun et de Zajal et le th&eacute;&acirc;tre populaire. Ensuite, comme l&rsquo;ont soulign&eacute; plusieurs chercheurs marocains et &eacute;trangers, depuis les ann&eacute;es 2000, on assiste &agrave; une augmentation int&eacute;ressante de l&rsquo;usage &eacute;crit de l&rsquo;arabe dialectal marocain dans diff&eacute;rents domaines, la presse &eacute;crite notamment le magazine Nichan et le journal Al Massae (Aguad&eacute; 2006, 2012, Miller 2012), la publicit&eacute; (Miller 2012, 2015, 2017), le Code de la route (Messaoudi 2002), l&rsquo;internet (Atifi 2003, Berjaoui 2001, Caubet 2016, Moscoso 2009, Berjaoui 2002), les SMS (Ben&iacute;tez-Fern&aacute;ndez 2003, Caubet 2004) et enfin les r&eacute;seaux sociaux (Caubet 2012, 2013) qui ont donn&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;arabe dialectal marocain un &eacute;lan tr&egrave;s important.</p> <p>&Agrave; propos de ce passage &agrave; l&rsquo;&eacute;crit de la darija sur les environnements num&eacute;riques, Dominique Caubet parle d&rsquo;une litt&eacute;ratie num&eacute;rique qui se d&eacute;veloppe par le biais d&rsquo;un apprentissage collectif, non institutionnel (Caubet, 2017, p.391). Catherine Miller va jusqu&rsquo;&agrave; dire qu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;une standardisation et d&rsquo;une institutionnalisation par les usagers (Miller 2017&nbsp;:109) d&rsquo;une darija &eacute;crite contemporaine. &Agrave; l&rsquo;inverse, Gunvor Mejdell &eacute;voque une d&eacute;-standardisation (Gunvor, 2017, p.&nbsp;68) de la langue arabe produite par l&rsquo;av&egrave;nement de la communication num&eacute;rique et l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;arabe vernaculaire et mixte.</p> <p>Or, s&rsquo;il semble y avoir une &laquo;&nbsp;litt&eacute;ratie num&eacute;rique&nbsp;&raquo;, une &laquo;&nbsp;standardisation&nbsp;&raquo; ou encore une &laquo;&nbsp;d&eacute;-standardisation&nbsp;&raquo;, l&rsquo;observation des pratiques orthographiques r&eacute;elles des usagers sur les espaces num&eacute;riques montre qu&rsquo;il y a certes une &laquo;&nbsp;normalisation&nbsp;&raquo; de l&rsquo;usage de la darija &eacute;crite, mais la &laquo;&nbsp;normativisation&nbsp;&raquo; de cette langue semble &ecirc;tre un long chemin &agrave; parcourir. En d&#39;autres termes, si l&#39;utilisation de l&#39;&eacute;criture de cette langue est devenue un fait normal dans la communication num&eacute;rique, l&#39;&eacute;tablissement de normes orthographiques sp&eacute;cifiques &agrave; cette langue semble &ecirc;tre une entreprise d&eacute;licate, car d&#39;une part les divergences observ&eacute;es dans les pratiques d&#39;&eacute;criture sont tr&egrave;s pr&eacute;sentes, d&#39;autre part parce que la question des normes linguistiques est controvers&eacute;e dans le contexte sociolinguistique marocain, compte tenu du profil des utilisateurs, de leurs intentions et de leurs id&eacute;ologies. Ainsi, il est l&eacute;gitime de s&#39;interroger sur la pertinence de qualifier en termes de d&eacute;viances ou de transgressions les divergences observ&eacute;es dans les pratiques orthographiques des utilisateurs de l&#39;arabe dialectal marocain &agrave; l&#39;&eacute;crit. Cette divergence est tant plus complexe &agrave; &eacute;valuer, car il n&rsquo;existe pas de consensus clair sur ce qui constitue les normes orthographiques de la darija. En l&rsquo;absence d&rsquo;un r&eacute;f&eacute;rentiel standardis&eacute;, il est difficile de d&eacute;finir des crit&egrave;res stricts permettant de juger de la conformit&eacute; ou de la non-conformit&eacute; des pratiques orthographiques.</p> <h2>Normes et pratiques de l&rsquo;arabe marocain &eacute;crit sur les espaces num&eacute;riques</h2> <p>&Agrave; ses d&eacute;buts, plus pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; l&rsquo;&eacute;poque de la d&eacute;mocratisation du num&eacute;rique, l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;arabe dialectal se limitait &agrave; la graphie latine sur les claviers fran&ccedil;ais, faute d&rsquo;avoir acc&egrave;s aux claviers arabes. La graphie arabe a commenc&eacute; &agrave; arriver au Maroc en 2009 avec la g&eacute;n&eacute;ralisation des claviers arabes et l&rsquo;interface arabe de Facebook. Et &agrave; partir de 2014/2015, avec l&rsquo;arriv&eacute;e des claviers t&eacute;l&eacute;chargeables sur les smartphones, l&rsquo;utilisation des claviers arabes est devenue plus courante.</p> <p>Nous allons dans un premier temps d&eacute;crire et analyser les habitudes orthographiques constat&eacute;es dans la graphie arabe, puis dans un second temps nous aborderons la graphie latine.</p> <h3>Analyse des habitudes orthographiques dans la graphie arabe</h3> <p>En adoptant une d&eacute;marche comparative, nous tenterons de comparer l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;arabe dialectal marocain avec une autre vari&eacute;t&eacute; de l&rsquo;arabe, &agrave; savoir l&rsquo;arabe standard. L&rsquo;objectif est d&rsquo;&eacute;voquer des ph&eacute;nom&egrave;nes d&rsquo;&eacute;criture semblables ou divergents.</p> <h4>Les interdentales&nbsp;: not&eacute;es, bien que non-r&eacute;alis&eacute;es &agrave; l&rsquo;oral</h4> <p>Les interdentales, ṯ, ḏ et ḏ̣ de l&rsquo;arabe standard qui sont g&eacute;n&eacute;ralement pass&eacute;es aux dentales avoisinantes &agrave; savoir t, d, et ḍ et donc non r&eacute;alis&eacute;es en arabe dialectale marocain, on les retrouve souvent transcrites.</p> <p>Exemples&nbsp;:</p> <ul> <li>(1) ظروف معنكشة (ḏ̣urūf mʔankša &laquo; des conditions difficiles &raquo;)</li> <li>(2) لحماق هذا &nbsp;(l-ḥmāq haḍā &laquo;&nbsp;c&rsquo;est la folie&nbsp;&raquo;)</li> <li>(3) ربعين درهم وكثر&nbsp; (rbʔīn dərham w kṯ̣ar &laquo;&nbsp;quarante dirhams et plus&nbsp;&raquo;)</li> <li>(4) خاصو كثر من ثمن السلعة (xāṣū kṯ̣ar mən ṯ̣aman s-səlʔa &laquo;&nbsp;il doit augmenter le prix de la marchandise&nbsp;&raquo;</li> </ul> <p>Cependant, elles sont peu &eacute;crites dans les d&eacute;ictiques et les conjonctions.</p> <p>Exemples&nbsp;:</p> <ul> <li>(5) هاد الأحداث ( hād l-ʔaḥdāṯ &laquo;&nbsp;ces &eacute;v&eacute;nements&nbsp;&raquo;)</li> <li>(6) داك الشي &nbsp;(dāk š-šī &laquo;&nbsp;c&rsquo;est &ccedil;a&nbsp;&raquo;)</li> <li>(7) ديال هاد الوقت &nbsp;(dyāl hād l-waqt &laquo;&nbsp;de ce temps&nbsp;&raquo;)</li> <li>(8) ودوك الملايرية &nbsp;(w dūk l-mlayriyya &laquo;&nbsp;et ces milliardaires&nbsp;&raquo;)</li> </ul> <p>Ainsi, l&rsquo;existence de l&rsquo;&eacute;criture de ces interdentales peut &ecirc;tre justifi&eacute;e par la recherche de r&eacute;gularit&eacute; en s&rsquo;approchant le plus possible des normes de l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;arabe standard.</p> <h4>Assimilations et aph&eacute;r&egrave;ses&nbsp;: pr&eacute;sence de deux comportements orthographiques</h4> <p>Pour les assimilations et les aph&eacute;r&egrave;ses, on note deux comportements orthographiques dans leur notation&nbsp;:</p> <p>Certains usagers suivent les normes de l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;arabe standard en ne marquant pas les assimilations et les aph&eacute;r&egrave;ses comme le prescrit la norme de cette langue. D&rsquo;autres ont tendance &agrave; &eacute;crire phon&eacute;tiquement, en fondant parfois les formes des mots, comme dans l&rsquo;exemple (9) fin mālqa raṣu, &eacute;crit fimālqa raṣu, avec une assimilation de la derni&egrave;re consonne de la pr&eacute;position fin &agrave; la particule ma-. De m&ecirc;me, l&rsquo;indice de personne n- assimil&eacute; par la consonne initiale r du verbe, dispara&icirc;t dans la graphie (10) bġitu-na n-rәžʕu l-lūr, &eacute;crit bġitu-na rәžʕu l-lūr. Enfin dans l&rsquo;expression (11) bāš yqdər yxdəm ʔawtani, le mot ʔawdtani prononc&eacute; ʔawtani avec aph&eacute;r&egrave;se de d. on le trouve &eacute;crit comme il se prononce.</p> <ul> <li>(9)<span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt">راسو&nbsp;</span> <span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt">فمالقى</span> ( fin mālqa raṣu &laquo;&nbsp;o&ugrave; il se trouve&nbsp;&raquo;, &eacute;crit fimālqa raṣu)</li> <li>(10)رجعو للور<span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt"> </span> <span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt">بغتونا</span> ( bġitu-na n-rәžʕu l-lūr &laquo; vous voulez que&nbsp;nous retournions en arri&egrave;re, &eacute;crit bġitu-na rәžʕu l-lūr )</li> <li>(11) باش يقدر يخدم عاوتان &nbsp;(bāš yqdər yxdəm ʔawdtani &laquo;&nbsp;pour qu&rsquo;il puisse travailler encore&nbsp;&raquo;, &eacute;crit bāš yqdər yxdəm ʔawtani )&nbsp;</li> </ul> <h4>Les voyelles longues&nbsp;: un probl&egrave;me r&eacute;current dans l&rsquo;arabe marocain ayant des r&eacute;percussions sur son &eacute;criture</h4> <p>La question des voyelles longues en parlers de l&rsquo;arabe marocain est discutable. Le probl&egrave;me phonologique de savoir si telle voyelle est effectivement r&eacute;alis&eacute;e longue, ou seulement moyenne est souvent pos&eacute; par les linguistes. Ce probl&egrave;me a &eacute;videmment des r&eacute;percussions sur l&rsquo;orthographe de l&rsquo;arabe marocain dialectal. En effet, on remarque des diff&eacute;rences d&rsquo;un usager &agrave; l&rsquo;autre et parfois chez le m&ecirc;me usager.</p> <p>Par exemple, &agrave; la conjugaison suffixale, dans l&rsquo;indice de personnes &agrave; la 2&egrave;me pers. du singulier -ti, la voyelle est br&egrave;ve. Mais on peut la trouver &eacute;crite avec une longue&nbsp;: kūntī, bqitī, ymšī</p> <ul> <li>(12) كنتي (kūntī &laquo;&nbsp;tu &eacute;tais&nbsp;&raquo;)</li> <li>(13) بقيتي تما &nbsp;( bqitī təma &laquo;&nbsp;tu es rest&eacute; l&agrave;&nbsp;&raquo;)</li> <li>(14) يمشي لبلادو&nbsp; (ymšī l-blādū &laquo;&nbsp;qu&rsquo;il parte &agrave; son pays&nbsp;&raquo;)</li> </ul> <p>Il en est de m&ecirc;me des pronoms affixes de la 3e personne du masculin singulier, r&eacute;alis&eacute;s [u] en arabe dialectal&nbsp;; ils sont tr&egrave;s majoritairement &eacute;crits ū&nbsp;: sləʔtū, l-blādū.</p> <ul> <li>(15) سلعتو (sləʔtū &laquo;&nbsp;sa marchandise&nbsp;&raquo;)</li> <li>(16) يمشي لبلادو (ymšī l-blādū &laquo;&nbsp;qu&rsquo;il parte &agrave; son pays&nbsp;&raquo;)</li> </ul> <p>Des allongements sont &eacute;galement pr&eacute;sents dans des mots tels que mūškīl, mūškīla.</p> <ul> <li>(17) موشكيل (mūškīl &laquo;&nbsp;probl&egrave;me&nbsp;&raquo;)</li> <li>(18) موشكيلة حقيقية هادي (mūškīla ḥaqīqiyya hādī &laquo;&nbsp;une vraie probl&eacute;matique celle-l&agrave;&nbsp;&raquo;)</li> </ul> <p>Ces allongements se manifestent par la pr&eacute;sence d&rsquo;une voyelle longue. Ils sont utilis&eacute;s dans diverses situations, notamment pour accentuer des mots et exprimer l&rsquo;intensit&eacute;, surtout dans des contextes d&rsquo;oralit&eacute; o&ugrave; l&rsquo;accent et l&rsquo;intonation jouent un r&ocirc;le important.</p> <h4>La n&eacute;gation</h4> <p>La particule de n&eacute;gation ma pose &eacute;galement probl&egrave;me dans sa notation. Deux questions se posent&nbsp;: la premi&egrave;re concerne sa longueur et la deuxi&egrave;me son rattachement ou pas &agrave; la forme verbale. En effet, on trouve une forme longue qui n&rsquo;est pas rattach&eacute;e &agrave; la forme verbale ماقبلتيهاش/ مابغيتيش ; comme on peut trouver une forme br&egrave;ve, attach&eacute;e &agrave; la forme verbale&nbsp;: مكيفوتوش</p> <ul> <li>(19)ماقبلتيهاش &nbsp;(māqbəltīhāš &laquo; tu ne l&rsquo;as pas accept&eacute;e&nbsp;&raquo;), <span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-size:12.0pt">مابغيتيش</span> (mābġītīš &laquo;&nbsp;tu n&rsquo;as pas voulu &raquo;)</li> <li>(20) Une forme br&egrave;ve&nbsp;: <span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-size:12.0pt">مكيفوتوش</span> (makayfūtūš &laquo;&nbsp;ils ne d&eacute;passent pas&nbsp;&raquo;)</li> </ul> <p>L&rsquo;allongement ou la forme br&egrave;ve de la particule &laquo;&nbsp;ma&nbsp;&raquo; d&eacute;pend en grande partie du contexte, tout comme &agrave; l&rsquo;oral. On peut donc consid&eacute;rer qu&rsquo;il s&rsquo;agit soit d&rsquo;une variante libre, soit d&rsquo;une variante avec plus d&rsquo;emphase, marqu&eacute;e par un accent d&rsquo;accentuation ou d&rsquo;insistance dans des contextes d&rsquo;oralit&eacute;. Ainsi, la notation de la particule de n&eacute;gation &laquo;&nbsp;ma&nbsp;&raquo; sur les espaces num&eacute;riques peut varier en fonction du contexte, refl&eacute;tant ainsi les nuances et les variations propres &agrave; l&rsquo;usage oral de l&rsquo;arabe dialectal marocain.</p> <p>Les pluriels des verbes sont majoritairement &eacute;crits&nbsp; &laquo;&nbsp;و&nbsp;&raquo;&nbsp;ou parfois &laquo;&nbsp;وا&nbsp;&raquo; comme en arabe standard&nbsp;:</p> <ul> <li>(21)<span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-size:12.0pt"> </span>قادو لينا<span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-size:12.0pt"> </span>( qāddū līna &laquo;&nbsp;faites-nous&nbsp;&raquo;</li> <li>(22) نبيعو نشريو ( nbīʔū nšrīw &laquo;&nbsp;nous vendons et nous achetons&nbsp;&raquo;)</li> <li>(23) نسمعوا ليها&nbsp; (&nbsp;nsmʔū līha &laquo;&nbsp;on l&rsquo;&eacute;coute&nbsp;&raquo;)</li> </ul> <p>De mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale, deux tendances d&rsquo;&eacute;criture&nbsp;en caract&egrave;res arabes peuvent &ecirc;tre observ&eacute;es dans les comportements orthographiques des usagers de l&rsquo;arabe dialectal marocain sur les environnements num&eacute;riques :</p> <p>- La premi&egrave;re tend &agrave; &ecirc;tre la plus r&eacute;guli&egrave;re possible en respectant autant que faire se peut les normes de l&rsquo;arabe standard. On la trouve surtout sur les sites web des journaux &eacute;lectroniques.</p> <p>- La seconde est irr&eacute;guli&egrave;re, divergente purement, phon&eacute;tique, rel&acirc;ch&eacute;e, hors-normes, pratiqu&eacute;e notamment sur les r&eacute;seaux sociaux num&eacute;riques.</p> <p>Cette deuxi&egrave;me forme d&rsquo;&eacute;criture pourrait relever de ce que certains linguistes de l&rsquo;oral d&eacute;signent par le terme d&rsquo; &laquo;&nbsp;&eacute;crit de conception orale&nbsp;&raquo; (Gadet 1996, entre autres) ou ce que les chercheurs en Analyse du Discours (ADN) identifient comme un genre d&rsquo;&eacute;crit &laquo; mixte&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;hybride&nbsp;&raquo; (Chovancov&aacute; 2006, entre autres), relevant &agrave; la fois de l&rsquo;oralit&eacute; et de la scripturalit&eacute; num&eacute;rique. Cette forme d&rsquo;&eacute;criture vise &agrave; capturer l&rsquo;authenticit&eacute; et la spontan&eacute;it&eacute; de la parole en reproduisant, &agrave; l&rsquo;&eacute;crit, les structures linguistiques, les accents et les rythmes propres &agrave; l&rsquo;oralit&eacute;.</p> <h3>Analyse des habitudes orthographiques dans la graphie latine</h3> <p>Les habitudes d&rsquo;&eacute;criture en graphie latine sont apparues &agrave; partir des ann&eacute;es 2000 avec l&rsquo;apparition des t&eacute;l&eacute;phones portables pour envoyer des SMS. &Agrave; cette &eacute;poque, les claviers arabes n&rsquo;&eacute;taient pas disponibles, on cherchait donc &agrave; adapter des phon&egrave;mes marocains &agrave; la graphie latine en recourant notamment aux chiffres pour transcrire les graph&egrave;mes manquants. Par ailleurs, les normes de l&rsquo;orthographe fran&ccedil;aise sont bien pr&eacute;sentes dans ces habitudes d&rsquo;&eacute;criture.</p> <h4>Utilisation des chiffres pour des graph&egrave;mes manquants</h4> <p>Les chiffres 9, 7, 5 et 3 sont utilis&eacute;s, par ressemblances avec les lettres arabes (ع ,خ ,ح ,ق), pour transcrire respectivement les phon&egrave;mes /q/, /ḥ/, /x/, /ʔ/ inexistants dans le syst&egrave;me phon&eacute;tique fran&ccedil;ais :</p> <ul> <li>(24) Le 9 pour le /q/ (par ressemblance &agrave; la lettre qaf ق de l&rsquo;arabe) : matwaf9ich &laquo; n&rsquo;accepte pas &raquo;, b9a &laquo; reste &raquo;, tri9ek &laquo; ta route &raquo;</li> <li>(25) Le 7 pour le /ḥ/ (par ressemblance &agrave; la lettre ḥa <span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt">ح</span> de l&rsquo;arabe) : 7yatek &laquo; ta vie &raquo;, 7a9ou &laquo; son droit &raquo;</li> <li>(26) Le 5 pour le /x/ (en raison de sa ressemblance avec la lettre kha<span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt">خ </span>&nbsp;&nbsp;et, surtout, du fait que le chiffre cinq &laquo;&nbsp;xamsa&nbsp;&raquo; commence par le m&ecirc;me phon&egrave;me/graph&egrave;me /x/). Exemple&nbsp;: 5ay &laquo; mon fr&egrave;re &raquo;</li> <li>(27) Le 3 pour le /ʔ/ (par ressemblance &agrave; la lettre ʔayn <span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt">ع</span> de l&rsquo;arabe) : y3tewak &laquo; ils te donnent &raquo;, ba3da &laquo; quand-m&ecirc;me &raquo;, rja3t &laquo; je suis retourn&eacute; &raquo;</li> </ul> <p>Il est &agrave; noter que les doublets (gh/r, ḥ/h,kh/5) sont tr&egrave;s fr&eacute;quents ce qui cr&eacute;e des confusions, mais il semble que cela n&rsquo;affecte pas la compr&eacute;hension gr&acirc;ce au travail de reconstruction du sens par le d&eacute;chiffrage et la lecture (Caubet, 2017).</p> <ul> <li>(28) Le /ġ/ est transcrit gh ou r, avec un risque de confusion avec le phon&egrave;me /r/ : ratb9a / ghatb9a &laquo; tu resteras&nbsp;&raquo;</li> <li>(29) Le /ḥ/ et le /h / : yferhek ou yfer7ek &laquo; te rend heureux &raquo;, hyatek, 7yatek &laquo; ta vie &raquo;</li> <li>(30) Le /x/ est transcrit kh, x ou 5 : khouya /xouya/ 5ouya &laquo; mon fr&egrave;re &raquo;</li> </ul> <h4>Influence des normes de l&rsquo;orthographe fran&ccedil;aise</h4> <p>Dans la graphie latine, l&rsquo;influence des normes de l&rsquo;orthographe fran&ccedil;aise est importante ; on trouve par exemple&nbsp;:</p> <p>- Les digrammes&nbsp;: groupe de deux lettres repr&eacute;sentant un seul phon&egrave;me.</p> <ul> <li>(31) gh pour le ghayn [ġ] : lmaghrib &laquo; le Maroc &raquo;, sghir &laquo; petit &raquo;, ghali &laquo; cher &raquo;</li> <li>(32) ss pour [s] : nnass &laquo; les gens &raquo;, ybouss li rassi &laquo; il m&rsquo;embrasse la t&ecirc;te &raquo;</li> <li>(33) ch pour [š] : 3ayech &laquo; il vit &raquo;, makayench &laquo; il n&rsquo;y a pas &raquo;, 3lach &laquo; pourquoi &raquo;</li> <li>(34) kh pour [x]: lkhout &laquo; les fr&egrave;res &raquo;, wakha &laquo; d&rsquo;accord &raquo;, khdma &laquo; travail &raquo;</li> <li>(35) ou pour [u] : douk &laquo; ceux &raquo;, bedlihoum &laquo; change les &raquo;, walou &laquo; rien &raquo;</li> </ul> <p>- Le e muet du fran&ccedil;ais qui apparait souvent en fin de mot&nbsp;:</p> <ul> <li>(36) kifache &laquo; comment &raquo;</li> <li>(37) nichane &laquo; direct &raquo;</li> </ul> <p>- Le ə, voyelle d&rsquo;aperture moyenne de l&rsquo;arabe marocain se trouve not&eacute; e (voyelle du fran&ccedil;ais)&nbsp;:</p> <ul> <li>(38) 3ayech &laquo; il vit &raquo;</li> <li>(39) gales &laquo; assis &raquo;</li> </ul> <p>Cette notation s&rsquo;explique par le fait qu&rsquo;en arabe dialectal marocain, les voyelles br&egrave;ves (a, u et i) sont souvent r&eacute;alis&eacute;es &agrave; l&rsquo;oral sous la forme de schwa [ə], qui est une voyelle centrale ou d&rsquo;aperture moyenne. Ainsi, lorsqu&rsquo;il s&rsquo;agit de transcrire cette r&eacute;alisation en graphie latine, les utilisateurs des espaces num&eacute;riques ont tendance &agrave; choisir la lettre &laquo;&nbsp;e&nbsp;&raquo; du Fran&ccedil;ais. Cette pr&eacute;f&eacute;rence s&rsquo;explique par le fait que la voyelle schwa [ə] ne pr&eacute;sente pas d&rsquo;opposition distincte avec d&rsquo;autres voyelles telles que &laquo;&nbsp;i&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;e&nbsp;&raquo;. Sa prononciation peut varier en fonction des particularit&eacute;s phon&eacute;tiques des r&eacute;gions. Par exemple, dans le parler jebli du nord-ouest du Maroc, la prononciation de galəs assimile le schwa &agrave; un &laquo;&nbsp;i&nbsp;&raquo; (galis).</p> <p>- La g&eacute;mination est parfois marqu&eacute;e par une double consonne parfois n&rsquo;est pas marqu&eacute;e bien qu&rsquo;elle existe &agrave; l&rsquo;oral.</p> <ul> <li>(40) bzzaf / bzaf &laquo; beaucoup &raquo;</li> </ul> <p>En g&eacute;n&eacute;ral, plusieurs proc&eacute;d&eacute;s sont adopt&eacute;s, mais il n&rsquo;y a pas des r&eacute;gularit&eacute;s. Cette &eacute;criture est principalement phon&eacute;tique, rel&acirc;ch&eacute;e, pratiqu&eacute;e surtout sur des espaces informels notamment les r&eacute;seaux sociaux.</p> <p>Par ailleurs, le choix du clavier latin permet une alternance codique arabe marocain/fran&ccedil;ais tr&egrave;s fluide. Ainsi tous les &eacute;l&eacute;ments de cette alternance jouissent d&rsquo;un statut &eacute;gal et se fusionnent au point de produire une langue difficilement dissociable comme dans l&#39;extrait ci-dessous o&ugrave; il est presque impossible de distinguer les deux langues&nbsp;:</p> <ul> <li>(41) &laquo;&nbsp;La femme arabe est (&hellip;) la seule et l&rsquo;unique fautive tsbar otskot. Ben oui ach daha t3ich avec son temps, tdkhol lfacebook, ach daha tdir une photo de profil halal 3leikom wa haram 3aleyna = skyzophr&eacute;nie&nbsp;&raquo;</li> </ul> <h2>Discussion des r&eacute;sultats&nbsp;</h2> <p>Les r&eacute;gularit&eacute;s et les divergences pr&eacute;sent&eacute;es ci-dessus sont loin d&rsquo;&ecirc;tre exhaustives, mais elles offrent un aper&ccedil;u g&eacute;n&eacute;ral des habitudes orthographiques des utilisateurs de l&rsquo;arabe dialectal marocain sur les environnements num&eacute;riques. Qu&rsquo;elles soient&nbsp;inconscientes ou r&eacute;sultantes de d&eacute;cisions conscientes, il est important de souligner, &agrave; l&rsquo;instar de Catherine Miller, que &laquo;&nbsp;la mani&egrave;re d&rsquo;&eacute;crire n&rsquo;est jamais neutre&nbsp;&raquo; (2017, p.91). En effet, ces choix orthographiques sont des ph&eacute;nom&egrave;nes m&eacute;talinguistiques socialement conditionn&eacute;s qui refl&egrave;tent les attitudes des utilisateurs envers l&rsquo;utilisation &eacute;crite de l&rsquo;arabe dialectal marocain et leur relation avec l&rsquo;arabe dialectal et l&rsquo;arabe standard. Certains visent &agrave; se rapprocher de l&rsquo;arabe standard, tandis que d&rsquo;autres cherchent &agrave; marquer une rupture entre l&rsquo;arabe dialectal et le standard. Par exemple, un locuteur qui soutient une id&eacute;ologie linguistique pro-arabe privil&eacute;giera de suivre les normes de l&rsquo;arabe standard lorsqu&rsquo;il &eacute;crit en arabe dialectal marocain. Un autre locuteur, ayant re&ccedil;u un enseignement francophone ou majoritairement en fran&ccedil;ais, optera plut&ocirc;t pour le clavier fran&ccedil;ais et s&rsquo;adaptera consciemment ou inconsciemment aux normes orthographiques du Fran&ccedil;ais.</p> <p>Il est important de souligner que le rapport entre la darija et l&rsquo;arabe standard au Maroc est un sujet de d&eacute;bat complexe. Si l&rsquo;on se r&eacute;f&egrave;re &agrave; la d&eacute;finition classique de la diglossie &eacute;tablie par Ferguson en 1959, l&rsquo;arabe standard est consid&eacute;r&eacute; comme la vari&eacute;t&eacute; haute (H) de la langue, jouissant g&eacute;n&eacute;ralement d&#39;un grand prestige et &eacute;tant utilis&eacute; dans les contextes formels et &eacute;crits. En revanche, la darija, en tant que vari&eacute;t&eacute; basse (L), est principalement utilis&eacute;e dans les &eacute;changes oraux et informels du quotidien. Cette situation diglossique pose des d&eacute;fis lorsqu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;&eacute;crire la darija. En effet, lorsqu&rsquo;elle est transcrite en utilisant la graphie arabe, on observe une certaine influence des normes de l&rsquo;arabe standard. Cela se manifeste &agrave; travers des choix orthographiques qui refl&egrave;tent les prononciations de la darija tout en respectant les normes de l&rsquo;arabe standard.</p> <p>Ces comportements orthographiques d&eacute;pendent &eacute;galement du profil des utilisateurs, y compris leur niveau d&rsquo;enseignement, leur familiarit&eacute; avec les normes orthographiques et leur exposition aux diff&eacute;rentes langues. Les utilisateurs ayant un niveau scolaire plus avanc&eacute; et une exposition plus fr&eacute;quente &agrave; l&rsquo;arabe standard peuvent avoir tendance &agrave; suivre les normes orthographiques de cette vari&eacute;t&eacute; lorsqu&rsquo;ils &eacute;crivent en arabe dialectal. D&rsquo;autre part, ceux qui ont re&ccedil;u un enseignement francophone ou qui sont plus familiers avec la langue fran&ccedil;aise peuvent &ecirc;tre influenc&eacute;s par les normes orthographiques du fran&ccedil;ais lorsqu&rsquo;ils &eacute;crivent l&rsquo;arabe dialectal marocain.</p> <p>La prononciation r&eacute;gionale joue &eacute;galement un r&ocirc;le important dans les choix orthographiques. En effet, la darija est une langue vivante et dynamique, parl&eacute;e dans diff&eacute;rentes r&eacute;gions du Maroc, et chaque r&eacute;gion a ses particularit&eacute;s en termes de prononciation. Par cons&eacute;quent, les locuteurs de la darija peuvent adapter leur &eacute;criture en fonction de leur prononciation r&eacute;gionale sp&eacute;cifique. C&rsquo;est ainsi que pour un m&ecirc;me mot, diff&eacute;rentes orthographes sont utilis&eacute;es. Par exemple, le mot muhim &laquo;&nbsp;important&nbsp;&raquo; peut avoir plusieurs translitt&eacute;rations diff&eacute;rentes&nbsp;: mohim, mouhim, mohime,mouhime, moheme, mouheme, mohem, mouhem, etc.</p> <p>En somme, l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;arabe dialectal marocain est influenc&eacute;e par plusieurs facteurs, notamment le statut diglossique de la langue, l&rsquo;influence du fran&ccedil;ais, ainsi que le profil des utilisateurs qui comprend leur id&eacute;ologie linguistique, leur niveau d&rsquo;enseignement, leur familiarit&eacute; avec les normes orthographiques de diff&eacute;rentes langues et leur prononciation r&eacute;gionale.</p> <h2>Conclusion</h2> <p>En conclusion, l&rsquo;arabe dialectal marocain, langue qui ne poss&egrave;de pas de normes orthographiques officielles, est en train d&rsquo;en fabriquer d&rsquo;une mani&egrave;re informelle sur les espaces num&eacute;riques. Ce processus se d&eacute;roule de mani&egrave;re collaborative et spontan&eacute;e. Les utilisateurs &eacute;changent et interagissent entre eux, ce qui favorise l&rsquo;&eacute;mergence de conventions orthographiques partag&eacute;es. Par exemple, certains mots ou expressions peuvent &ecirc;tre transcrits de diff&eacute;rentes mani&egrave;res, mais au fil du temps et gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;usage r&eacute;p&eacute;t&eacute;, une forme pr&eacute;dominante peut &eacute;merger et &ecirc;tre adopt&eacute;e.</p> <p>Cependant, en l&rsquo;absence d&rsquo;une normalisation officielle, les divergences et les variations sont fr&eacute;quentes dans l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;arabe dialectal marocain. Ces divergences sont le r&eacute;sultat de multiples facteurs, notamment les pr&eacute;f&eacute;rences et les id&eacute;ologies linguistiques des utilisateurs, leur niveau d&rsquo;enseignement, leur familiarit&eacute; avec les normes orthographiques de diff&eacute;rentes langues, ainsi que leur prononciation r&eacute;gionale. Les contextes d&rsquo;&eacute;criture, tels que les presses &eacute;lectroniques, les forums, les r&eacute;seaux sociaux et les plateformes de messagerie instantan&eacute;e, jouent &eacute;galement un r&ocirc;le dans ces variations orthographiques. Les aspects linguistiques sp&eacute;cifiques &agrave; la structure interne de l&rsquo;arabe marocain, comme les voyelles longues, les interdentales, le schwa et les assimilations, contribuent &eacute;galement &agrave; ces divergences. Face &agrave; cette diversit&eacute;, il y a eu des initiatives extra-institutionnelles pour normaliser l&rsquo;arabe dialectal marocain et harmoniser son syst&egrave;me de notation, mais elles restent limit&eacute;es dans leur port&eacute;e et leur adoption.</p> <p>Finalement, il convient de souligner que le fait de rester &laquo;&nbsp;hors-normes&nbsp;&raquo; favorise la cr&eacute;ativit&eacute; et la libert&eacute; d&rsquo;expression. En effet, il n&rsquo;y a pas de r&egrave;gles orthographiques strictes, et la notion de faute est pratiquement inexistante. Chaque utilisateur a ainsi la possibilit&eacute; d&rsquo;improviser sa propre orthographe, ce qui permet une plus grande libert&eacute; d&rsquo;expression.</p> <h2>Bibliographie</h2> <p>Aguade, J. (2006). &laquo;Writing dialect in Morocco &raquo;,&nbsp;EDNA 10,&nbsp;253-274.</p> <p>Aguad&eacute;, J. (2012). &laquo; Monarquia, dialecto e insolencia en Marruecos : el caso Nichane&raquo;,&nbsp;441-464 in De los manuscritos medievales a internet: la presencia del arabe vernaculo en las fuentes escritas, edited by Mohamed Meouak, Pablo Sanchez &amp; Angeles Vicente. Zaragoza: Universidad de Zaragoza.</p> <p>Atifi, H. (2003). &laquo; La variation culturelle dans les communications en ligne : analyse ethnographique des forums de discussions marocains &raquo;,&nbsp;Langage et Soci&eacute;t&eacute; 104,&nbsp;57-82.</p> <p>Ben&iacute;tez Fern&aacute;ndez, M. 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