<p>Article</p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">La relation entre le discours normatif et les normes langagières est au cœur des travaux de Jacques Derrida. Le discours normatif trouve son fondement à partir du registre logothéorique. </span></span></span></span></span></span><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">L’histoire occidentale traditionnelle s’est toujours présentée comme logocentriste. Celle-ci gravite autour de la notion de logos, qui renvoie à deux concepts : Raison et Langage. Mais cette focalisation a toujours discrédité la dimension langagière du logos. Notons que la philosophie traditionnelle a toujours effacé la dimension matérielle et sensible du signe pour ne retenir que le pôle de la raison, pensé comme sens pur, idéal. C’est pourquoi de l’avis de Derrida, cette philosophie est fondamentalement logothéorique et idéaliste. Ceci implique une certaine définition de l’être et la valorisation d’un certain type de vie : l’idéale de contemplation et l’acquisition d’un savoir total, tableau du vrai. D’après Derrida, cet oubli à propos du langage et constitutive de la philosophie traditionnelle proviendrait des analyses et de l’expérience de la voix, mieux de l’énoncé oral exprimant l’idée. </span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">L’expression orale est un signifiant léger, si proche du sujet parlant dont il ne peut se défaire. « La voix est l’être auprès de soi dans la forme de l’universalité, comme conscience. La voix est la conscience ».</span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"> La culture occidentale valorise la voix : elle est présence immédiate. L’écriture dans ce sens n’en serait qu’un substitut. Rappelons que dans la métaphysique, « le logos pensé comme centre de l’être avait imposé ‘’le concept prééminent d’une présence’’ qui peut être celle de Dieu, celle des Idées de Platon ou celle de l’essence thomiste » (Mattei, 2006, p. 67). C’est donc « sur ces pivots que tournent les rayons du sens » (<i>Idem</i>). C’est à travers ces rayons que se fondent un discours normatif.</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">C’est le centre qui constitue et commande le discours normatif. </span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Tous les discours qui ne s’inscrivent pas dans le registre du logos sont considérés comme hors norme. Cette logique tire son soubassement de l’histoire universelle. Cet universel n’appartient pas par essence à une culture particulière. Mais il reste que cet universel a été découvert et mis en pratique par la culture occidentale (<i>Ibid,</i> p.70). On peut citer des évènements dont la portée furent universelle : la philosophie née en Grèce, l’humanisme en terre italienne, les Lumières en France. Ces données historiques ont montré « la suprématie méthodologique, scientifique, éthique et politique de la culture occidentale sur les autres cultures » (<i>Idem</i>). C’est à partir de là que la pensée humaine a fondé son édifice intellectuel et construit ses architectures spirituelles en Occident » (<i>Idem</i>). Cette même pensée a dirigé son regard à travers les autres, vers elle-même pour mieux assurer son identité <i>(Idem</i>). En effet, « la raison cherche son autre, sachant bien qu’en lui elle ne possèdera rien d’autre qu’elle-même, elle quête seulement sa propre infinité » (Hegel, 1934, p. 204). L’Occident imposera aux autres peuples un discours qualifié de normatif. La raison occidentale ramène le multiple de la réalité à l’identique dans la mesure où elle soumet toutes les autres cultures à l’esprit critique (Mattei, 2006, p. 71). Tous les autres discours qui ne s’y conforment pas sont nommés discours anti-normatifs. C’est contre cette vision du monde que va s’inscrire une métaphysique du décentrement ou de la décentration ». En effet, le « renversement du platonisme » (Deleuze, 1969, p. 292) va céder la place à la déconstruction du Logos et du Centre. Toutefois, « la critique récente du logocentrisme à chercher à abolir ce centre d’émanation du sens » (Mattei, 2006, p.67), au « profit de la reconnaissance des autres formes de cultures » (<i>Idem</i>) et des autres discours considérés comme hors norme. C’est « précisément cette suprématie que les critiques du logocentrisme et de l’ethnocentrisme récusent en rejetant l’ensemble de la culture occidentale » (<i>Ibid</i>, pp. 67-68). C’est toute la tradition occidentale comme centre qui « est mise en procès et jugée coupable » (Good, 2005, p.293)<sup>.</sup> Tel est l’enjeu de l’acentrique. </span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Le discours acentrique sort de la norme édictée par le centre. Derrida parle de discours hors norme pour montrer justement le décentrement littéraire avec la métropole. On peut comprendre à partir de là le vocable de « littérature mineure » (Deleuze, Guattari, 1975, p.29). Elle se veut comme une « déterritorialisation de la langue » (<i>Ibid,</i> p.33). C’est contre cette vision du monde qui impose et définit un discours normatif qu’on peut comprendre la déconstruction. La lecture de Jacques Derrida peut-elle nous éclairer cette situation ? Le discours hors norme peut-il être reconnu face à la culture universaliste de la raison occidentale ? C’est à ces questions que veut répondre notre projet en présentant les enjeux de la pensée de Derrida sur l’inter culturalité. A partir de l’approche du structuralisme génétique, il est question d’analyser et de donner une réponse signification sur le sujet du discours hors norme</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-left:48px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">I- </span></span></span></b><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Jacques Derrida et la variabilité des discours</span></span></span></b></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px; margin-left:48px"> </p>
<p class="MsoBodyTextIndent" style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:14pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">La philosophie</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"> traditionnelle a toujours lié le discours à son origine, à sa forme, à sa source logocentriste. Cette philosophie est une question d’organisation et un discours sur le cadre. C’est ce système de cadrage comme normatif que Jacques Derrida</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"> cherche à fissurer et à fragiliser. Soucieux et désireux de déplacer le cadre, Jacques Derrida veut montrer la variabilité du discours. Celui-ci n’est qu’une construction</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"> arbitraire et non un résultat structuré qui dépend de son auteur. C’est contre cette permanence solide et absolue d’un discours, que Jacques Derrida affirme qu’« on peut tenir <i>De la Grammatologie</i>, comme un long essai articulé en deux parties (…) au milieu duquel on pourra brocher l’écriture</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"> et la différence »</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"> (Derrida, 1978, p.53),</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"> et il ajoute dans <i>Les Positions</i>:« inversement, on peut insérer <i>De la Grammatologie</i> au milieu de <i>L’Ecriture et la Différence</i>, de telle sorte que [si les] deux ‘volumes’ s’inscrivent au milieu, l’un de l’autre, cela tient (…) d’une étrange géométrie » (Derrida, 1971, pp. 12-13). L’œuvre derridienne se présente ainsi comme une architecture complexe. C’est une œuvre qui se soustrait d’un ordre normatif. </span></span></span></span></span></p>
<p class="MsoBodyTextIndent" style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:14pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Si avec Jacques Derrida</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">, écrire c’est déplacer les textes, il y a lieu de dire que les textes de l’auteur <i>De la Grammatologie</i> n’ont ni début, ni fin. S’appuyant sur une dialectique originaire sans fin, les textes de Jacques Derrida sont greffés sur d’autres textes. Ce philosophe questionne systématiquement les bords, les marges, les titres de textes et réinscrit ces marques dans les textes. Ce qu’il vise, c’est essentiellement le fait</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"> que la forme écrite isole chaque texte du contexte de son origine ou de sa genèse. Rompant avec tout signifié et tout référé, le texte derridien est une chaîne de significations qui ne veut rien dire et ne désigne rien (Hottois, 2002, p.458). En ce sens, l’écriture</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"> est « a – référentielle » (<i>Idem</i>). Par écrit, ce qui est dit devient indépendant de l’esprit de l’auteur. C’est dire que l’écriture, en tant que « archi », échappe au « régime du vouloir dire » (<i>Idem</i>). L’écriture se réfère uniquement à elle-même, « sans jamais pouvoir se saisir fermement et bloquer le mouvement métaphorique » (<i>Ibid</i>, p. 459). En ce sens, l’écriture est « auto–référentielle » (<i>Idem</i>). Le signifiant devient dès lors la chaîne qui ne cesse de se déployer. Tel est l’enjeu de la déconstruction. Le travail subversif de la déconstruction</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"> a pour objectif de déblayer les hiérarchies des concepts fondamentaux, notamment renverser la norme établie par la logique logocentriste. C’est donc contre le pouvoir que s’établir un discours hors-norme. Précisons avec Foucault que « la norme se définit non pas du tout comme une loi naturelle, mais par le rôle d’exigence et de coercition qu’elle est capable d’exercer par rapport aux domaines auxquels elle s’applique » (Foucault, 1999, p.46). On peut dire à ce sujet que à la suite de Foucault que la norme est porteuse d’une prétention de pouvoir. Il s’agit de déconstruire tous les discours normatifs. Cette déconstruction vise ainsi la pensée occidentale. Cette dernière est placée sous le signe de la raison et de la norme. Toutes les cultures doivent se conformer à cette logique. D’ailleurs « Descartes est dénoncé mais aussi Hegel, car la dialectique retrouve toujours l’un et le même au terme du détour par l’autre » (Hottois, 2002, p. 423). Les philosophes de la différence comme Foucault, Derrida, Deleuze défont les identifications, les hiérarchies, le lexique métaphysique associé à la norme. Soulignons que les hommes doivent se conformer et s’aligner sur lesdites normes. Objectivés, le permis et l’interdit tendent à se confondre avec le possible et l’impossible ( <i>Ibid</i>, p. 430). Il en découle que le savoir est la manière dont le pouvoir s’impose aux individus. Le savoir-pouvoir exige que tout soit dit, explicité, analysé et objectivé. C’est dans le discours que le pouvoir et le savoir s’articulent. Tous les discours qui ne s’inscrivent pas dans ce registre sont considérés comme hors norme. C’est la raison pour laquelle « la norme, ce n’est pas simplement, ce n’est même pas un principe d’intelligibilité ; c’est un élément à partir duquel un certain exercice du pouvoir se trouve fondé et légitimé » (Foucault, 1975, p. 46). Pour rappel, la philosophie classique a toujours soumis le discours à la loi de la référence. Tout discours qui ne s’inscrit pas dans cette dynamique est considère comme hors norme. Foucault suppose que dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée sélectionnée, organisée et distribuée par un certain nombre de procédures. ( Foucault, 1971). Il faut donc déconstruire ce discours normatif pour laisser surgir d’autres types de discours considères jusque-là comme hors-norme.</span></span></span></span></span></p>
<p class="MsoBodyTextIndent" style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:14pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">La déconstruction se présente donc comme une critique du discours normatif. La contestation du discours normatif imposé par le logocentrisme issu du centre rabat les hiérarchies, l’ordre. Pour Barthes, il s’agit de dépasser ici la « littérature à une sorte de langue basique » éloignée du langage littéraire. Et pour l’auteur du <i>Degré zéro de l’écriture suivi de Nouveaux essais critiques</i>, ce dépassement fait appel à une écriture blanche. C’est une écriture infidèle plate et atonale. C’est donc une écriture neutre. Elle s’ouvre à une pensée libre et multiple. La déconstruction qui en découle suppose une maxime : « plus d’une langue » (Derrida, 1996, p. 2). Il faut plus d’une langue, car une n’est jamais assez. La devise de la déconstruction serait alors un impératif pluriel. Un seul discours ne peut en réalité que réducteur. Il faut sortir d’une logique monolingue. Celle-ci nous enfermerait dans le diktat d’une langue particulière. Or, la parole dit « toujours autre chose que ce qu’elle dit » (Derrida, 1988, p.56). C’est la raison pour laquelle on peut dire avec Derrida : « je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne » (Derrida, 1996, p.13). Ce principe remet en question le discours conventionnel et normatif. </span></span></span></span></span></p>
<p class="MsoBodyTextIndent" style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:14pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">II- </span></span></b><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Jacques Derrida et l’ethnologie : vers la reconnaissance des discours anti-normatifs</span></span></b></span></span></span></p>
<p class="MsoBodyTextIndent" style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:14pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Cette discipline </span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">offre un point d’ancrage décisif, pour l’établissement des liens avec le reste du monde (Nkolo Foe, 2008, p. 149). Et à partir de là, « le constructivisme social, parti de […] l’ethnologie, a conquis des territoires de plus en plus étendus » (Couturier, 2021, 176). Soyons plus claire. Derrida accorde une grande importance à la question de l’ethnologie dans son rapport à l’autre. Pour lui, la spécificité de l’ethnologie est qu’elle s’adresse à une région spécifique. C’est à partir de là que les discours hors normes ont été reconsidérés. Pour s’en convaincre, revenons sur le texte <i>Tristes Tropiques</i> avec le chapitre « la leçon d’écritures ». Cet épisode permet à Lévi-Strauss de montrer que les Indiens Nambikwara sont un « peuple sans écriture » ( Goldschmit, 2003, p.55). Les Nambikwara « utilisent plusieurs dialectes, plusieurs systèmes selon les situations » (Derrida, 1967, 158). Ils sont proscrits de l’emploi du nom propre. Pour Derrida, l’effacement du nom propre par ce peuple n'est pas le fait d’un « peuple sans écriture » comme le pense Lévi-Strauss. L’effacement du nom est la résultante de la structure universelle de l’écriture ou du <i>graphein</i>. Notons qu’« il y a écriture dès que le nom propre est raturé dans un système. Il y a ‘’sujet’’ dès que cette oblitération du propre se produit, c’est-à-dire dès l’apparaître du propre et dès le premier matin du langage » (<i>Ibid</i>, p.159). L’expression de « société sans écriture » ne répondrait à aucune réalité ni aucun concept. Cette expression relève de l’onirisme ethnocentrique de l’écriture. Cet ethnocentrisme de Lévi-Strauss est défini par le refus d’accorder « ‘’ la dignité d’écritures aux signes non alphabétiques’’ » (Goldschmit, 2003, p. 56). On a donc affaire à un « fantasme ethnocentrique » (<i>Ibid,</i> p. 57)§. En effet, la « leçon d’écriture » dans <i>Tristes Tropiques</i> </span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">nous enseigne que le chef Nambikwara apprend l’écriture sans en comprendre la fonction ou plutôt il comprend sa fonction d’asservissement avant de comprendre sa fonction lié à la signification et à la communication. (Derrida, 1967, 178). Pour Lévi-Strauss il est évident que les Nambikwara ne savent pas écrire. A cette ignorance, il faut ajouter le fait qu’ils ne savent pas dessiner à l’exception de quelques pointillés ou zigzags. </span></span></span></span></span></p>
<p class="MsoBodyTextIndent" style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:14pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Dans <i>La vie familiale et sociale des Indiens Nambikwara</i>, Lévi-Strauss soutien que les Nambikwara donnèrent un nom à l’acte d’écrire. Pour eux, cet acte renvoie à <i>iekariukedjtu</i> c’est-à-dire « faire des raies ». Derrida commente cette thèse de Lévi-Strauss. Pour l’auteur de <i>La voix et le phénomène</i>, les peuples à écriture réduirait aussi ce mot à une signification gestuelle assez pauvre. Il poursuit : C’est un peu comme si l’on disait que telle langue n’a aucun mot pour désigner l’écriture – et que par conséquent ceux qui la pratiquent ne savent pas écrire- sous prétexte qu’ils se servent de ce mot qui veut dire ‘’gratter, ‘’graver’’, ‘’écorcher’’, ‘’inciser’’ ‘’tracer’’, ‘’imprimer’’, etc (<i>Ibid</i>, p. 140).</span></span></span></span></span></p>
<p class="MsoBodyTextIndent" style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:14pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">L’octroi de l’écriture à un peuple ne renvoie guère au sens que ce dernier, donne à ce mot. Derrida s’oppose à cette conception qui voudrait que pour désigner un peuple à écriture, il faudrait que ce peuple ait un mot qui signifie exactement l’écriture au sens étroit. Il interroge et critique cette approche ethnocentriste qui ne reconnait que l’écriture normatif du centre : « L’ethnocentrisme n’est il pas toujours trahi par la précipitation avec laquelle il se satisfait de certaines traductions ou de certains équivalents domestiques ? » En effet, « dire qu’un peuple ne sait pas écrire parce qu’on peut traduire par ‘’faire des raies’’ le mot dont il se sert pour désigner l’acte d’inscrire, n’est-ce pas comme si on lui refusait la ‘’parole’’ en traduisant le mot équivalent par ‘’crier’’, ‘’chanter’’ ou ‘’souffler’’ ? » (<i>Idem</i>). D’après Lévi-Strauss, cette technique qui consiste à « faire des raies » n’a rien d’autre qu’une signification esthétique. Il remarque que les Nambikwara ne savent ni écrire, ni dessiner, à l’exception de quelques marques de pointillés et zigzags. Or pour Derrida, il ne s’agit pas seulement de dessins montrant un homme ou un singe, mais un schème décrivant, expliquant, et écrivant une généalogie et une structure sociale. Ainsi l’origine de l’écriture est liée au souci de sauvegarder l’arbre généalogique. La scène de l’écriture de Lévi-Strauss n’est donc « donc pas la scène de l’origine, seulement celle de l’imitation de l’écriture » (Derrida, 1967, 185). L’archi-écriture donc se réclame Derrida n’est pas une écriture au sens restreint du terme, opposée à la parole, mais c’est une écriture générale. En délégitimant la notion de peuple sans écriture, Derrida sort du discours normatif du centre. Pour lui, le discours des Nambikwara est considéré comme hors norme parce qu’il ne respecte pas les canons logocentriques. La déconstruction du logocentrique a permis la reconnaissance des autres peuples. C’est dans ce sillage que les subaltern et les postcolonialism studies sont nés. </span></span></span></span></span></p>
<p class="MsoBodyTextIndent" style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:14pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">III- </span></span></b><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">La reconnaissance des discours considérés comme hors normes des <i>postcolonialism </i>et <i>subaltern studies</i></span></span></b></span></span></span></p>
<p class="MsoBodyTextIndent" style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:14pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Les partisans de la <i>French theory</i> comme Jacques Derrida ont remis en question les discours normatifs et les grands récits de nature téléologique provenant du centre. C’est dans ce contexte qu’est nait le postcolonialisme. Au fondement de cette philosophie, il faut voir Hannah Arendt. Ce dernier peut être considéré comme l’ancêtre fondateur du postcolonialisme (Amselle, 2008, 27). S’inspirant </span></span></span></span></span><span style="font-size:14pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">« d’Edmund Burke et de sa critique radicale de la Révolution française, Hannah Arendt n’a cessé de défendre les droits des peuples aux dépens des droits de l’homme ». Et pour lui, il fallait s’attaquer au colonialisme. L’auteur de <i>l’impérialisme. Les origines du totalitarisme,</i> pense qu’il existe un lien étroit entre le nazisme et le colonialisme européen (<i>Idem</i>). C’est la raison pour laquelle il se livre « à une critique dévastatrice de la prétention humaniste des démocraties occidentales ». Il a analysé et montré que « la défense des droits de l’homme et du citoyen s’arrêtait à la porte des colonies européennes » (<i>Idem</i>). C’est dans cette « veine anti-et postcolonialiste » que s’inscrit Fanon (<i>Ibid</i>, p. 28). L’auteur de <i>Peau noire, masques blancs</i> déconstruit le discours normatif de l’occident. Pour lui, le salut de l’humanité ne pourra venir que de l’émancipation des damnés de la terre. C’est dans ce contexte qu’immerge l’œuvre d’Edward Saïd. Sa philosophie a influencé les <i>subaltern studies.</i> La philosophie subalterniste s’inspire des travaux de Gramsci, Foucault, Derrida. La finalité de cette philosophie c’est d’établir la reconnaissance des discours considérés comme hors normes. Autrement dit, la philosophie subalterniste consiste « à privilégier le recueil de l’expression des gens d’en bas-des opprimés, des dominés, des subordonnés, des hors castes, en un mot des subalternes -au détriment des idées, des opinions et des points de vue de l’élite » (<i>Ibid,</i> p.29). Il est donc question de sortir du discours normatif de l’occident colonisateur. En s’appuyant sur la déconstruction de Derrida, Spivak cherche à mettre en lumière le caractère inaudible de la voix de la femme subalterne. Le discours colonial considère comme normatif a oblitéré la pensée subalterne. Spivak prend l’exemple de la <i>sati</i>. Ne pouvant pas se comprendre dans la logique logocentriste, la sati s’est présentée comme un anti-discours face à la pensée occidentale. Spivak « montre que sa signification est devenue incompréhensible puisqu’elle a été réduite au phénomène de l’immolation de la veuve et, à ce titre assimilée à une coutume barbare ». (<i>Ibid,</i> p.144) Parceque incompris, le discours de Spivak se présente comme un discours hors norme. Il faut donc sortie de ce discours du centre. Cette sortie exige que le discours soit provincialiser. En d’autres termes « à faire ravaler sa superbe à l’Occident tout en se défendant d’œuvrer dans un sens relativiste ou indigéniste » (<i>Ibid,</i> p.30). C’est un effort de décentrement de l’Europe et de multipolarisation des discours que s’assigne la logique subalterne. L’anthologie de la pensée subalterniste telle qu’analysée par le sénégalais Mamadou Diouf en est un exemple. Pour cet auteur, il s’agit d’un manifeste « revendiquant la possibilité pour les Africains de s’exprimer indépendamment des cadres de pensée européens » (<i>Idem</i>). Cette restitution et reconnaissance du discours hors norme telle que qualifier par le discours normatif occidental fut le cheval de bataille des <i>subaltern studies</i> et <i>postcolonialism studies</i>. C’est donc une remise en question du discours normatif et de l’homogénéité de l’Europe sur les autres peuples. </span></span></span></span></span></p>
<p class="MsoBodyTextIndent" style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:14pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Conclusion</span></span></b></span></span></span></p>
<p class="MsoBodyTextIndent" style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:14pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Le discours postcolonial conteste les normes du discours colonial car ce dernier a véhiculé les valeurs européennes. Toutefois, on peut dire que le discours postcolonial peut être envisagé non tant comme un discours exclusivement destiné à la dénonciation des normes que comme l’énonciation de nouvelles normes (Labaune-Demeule, 2013, pp.173-174). Il s’agit de proposer une révision des normes, l’objectif étant de reconsidérer les discours hors normes. Il en est ainsi précise Samir Amin, l’Europe s’est arrogée le monopole de la rationalité. Elle est parvenue à s’assurer la mainmise sur l’ensemble de la planète et à nier tous les discours non européens. Illustrons avec un penseur comme Paulin Hountondji. Longtemps considéré comme discours hors norme, la pharmacopée africaine sera condamnée par le centre comme pensée non rationnelle. Elle sera discréditée et rejetée car elle n'obéit pas aux canons occidentaux L’auteur de <i>Sur la « philosophie africaine »</i> renoue avec la saisie intuitive de la spécificité des savoirs africains. Il est question ici d’un ré-enracinement dans l’espace africain de toute une série de savoirs (Amselle, 2008, p.77). La revendication des savoirs africains indépendants du centre constitue pour Hountondji la voie royale de l’Afrique. Il s’agit pour lui de faire en sorte que les Africains réhabilitent et se réapproprient des savoirs ou des discours qui ont été marginalisés, considérés comme hors norme, subalternisés par l’occident (<i>Ibid,</i> p.78). Il est question pour les Africains de dresser une épistémologie alternative face aux prétentions universalistes et hégémoniques (<i>Idem</i>)</span></span></span></span></span></p>
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