<h3>Abstract</h3> <p>Within the hybrid universe of Chlo&eacute; Delaume, the questioning of the forms and limits of genres, the centrality of performance, the modification of structural and linguistic aspects lead to a personal assimilation of the literary and critical tradition involving the reader&rsquo;s participation and finding a representation in the image of the crossroads.</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p>Chlo&eacute; Delaume, experimentation, French literature (21st century), hybridisation, reception</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: right;">&laquo;&nbsp;Autofiction, fiction / autobiographie&nbsp;: comme un trouble dans le genre&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <p>Chlo&eacute; Delaume a cr&eacute;&eacute; son nom et son identit&eacute; en hybridant la protagoniste de&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;cume des jours&nbsp;</em>de Boris Vian et une variation sur le titre de la tentative anti-grammaticale d&rsquo;Antonin Artaud contre Lewis Carroll&nbsp;; elle se d&eacute;finit comme un personnage de fiction, proclame pratiquer l&rsquo;autofiction et la litt&eacute;rature exp&eacute;rimentale, &eacute;crit et s&rsquo;&eacute;crit pour modifier le monde et le Je. Tout, dans son univers, se place sous le signe d&rsquo;un travail artisanal, de la centralit&eacute; de la forme, d&rsquo;un geste singulier et performatif. Sa production engage, dans son ensemble, un v&eacute;ritable corps &agrave; corps contre les fictions collectives &ndash;&nbsp;&laquo;&nbsp;familiales, culturelles, religieuses, institutionnelles, sociales, &eacute;conomiques, politiques, m&eacute;diatiques&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash; et incite &agrave; plier le r&eacute;el, &agrave;&nbsp;explorer&nbsp;des chemins qu&rsquo;elle &laquo;&nbsp;souhaite de traverse&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>&nbsp;&raquo; &agrave; la recherche de l&rsquo;in&eacute;dit. Les espaces que l&rsquo;auteure franchit ont des fronti&egrave;res mouvantes qu&rsquo;elle ne cherche nullement &agrave; fixer, mais plut&ocirc;t &agrave; &eacute;branler dans sa lutte contre l&rsquo;immobilisation&nbsp;; d&rsquo;un point de vue litt&eacute;raire, cela correspond &agrave; une recherche perp&eacute;tuelle de ce que l&rsquo;on pourrait appeler une forme de m&eacute;tissage ou de b&acirc;tardise&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>.</p> <p>Il suffit de consid&eacute;rer le rapport entre texte et image&nbsp;: les illustrations de Fran&ccedil;ois Alary qui ouvrent et ferment&nbsp;<em>&Eacute;den matin midi et soir</em>, l&rsquo;alternance entre les dessins d&rsquo;Alary et les textes de Delaume dans&nbsp;<em>Perceptions</em>&nbsp;dont la conception porte le nom d&rsquo;Oph&eacute;lie Kl&egrave;re, la cr&eacute;ation graphique de&nbsp;<em>Chanson de geste &amp; Opinions</em>&nbsp;&ndash;&nbsp;ouvrage consacr&eacute; &agrave; Pascal Pinaud Peintre&nbsp;&ndash;, la compl&eacute;mentarit&eacute; entre texte et captures d&rsquo;&eacute;cran dans&nbsp;<em>Corpus Simsi</em>&nbsp;o&ugrave;, si l&rsquo;on renverse le tome, on se trouve face &agrave; un album photo. Ce livre est la phase terminale d&rsquo;un projet explorant les pistes du virtuel et du jeu vid&eacute;o en tant que &laquo;&nbsp;g&eacute;n&eacute;rateur de fiction&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;; les autres exp&eacute;rimentations impliquant l&rsquo;univers ludique voient une partie de Cluedo jouant avec la typographie et l&rsquo;intertextualit&eacute;,&nbsp;<em>Certainement pas</em>, et un livre-jeu interactif qui est aussi une forme de fan-fiction,&nbsp;<em>La nuit je suis Buffy Summers</em>. Pour ce qui est de la musique, Chlo&eacute; Delaume consacre un texte au groupe Indochine,&nbsp;<em>La derni&egrave;re fille avant la guerre</em>, et renvoie le lecteur &agrave; des bandes-son &agrave; la fin de&nbsp;<em>J&rsquo;habite dans la t&eacute;l&eacute;vision&nbsp;</em>et de&nbsp;<em>Dans ma maison sous terre</em>. Sans oublier les r&eacute;f&eacute;rences au monde cin&eacute;matographique et t&eacute;l&eacute;vis&eacute; qui &eacute;maillent ses ouvrages. L&rsquo;auteure affirme se construire &laquo;&nbsp;&agrave; travers des chantiers dont les supports et surfaces varient, textes, livres, performances, pi&egrave;ces sonores&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>&nbsp;&raquo;, elle vise &agrave; des &laquo;&nbsp;objets hybrides, qui interrogent la notion de forme et d&rsquo;exp&eacute;rience esth&eacute;tique frontalement&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p>Cette recherche transartistique et transm&eacute;diatique s&rsquo;accompagne d&rsquo;un travail acharn&eacute; sur l&rsquo;objet livre et surtout sur le texte lui-m&ecirc;me dont la forme est toujours au centre des r&eacute;flexions et des exp&eacute;rimentations de l&rsquo;&eacute;crivaine. Cette contribution voudrait prouver que l&rsquo;hybridation propos&eacute;e sur le papier &agrave; travers les mots n&rsquo;est en rien moins subversive surtout quand elle d&eacute;marre de traditions &eacute;tablies que l&rsquo;auteure croise entre elles. Si &laquo;&nbsp;le monde contemporain nous formate et d&eacute;vore &agrave; renfort de vieilles fables et de petites histoires&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>&nbsp;&raquo;, Delaume va se servir des techniques et des structures narratives pour modifier la configuration du r&eacute;cit et l&rsquo;utiliser comme une strat&eacute;gie de r&eacute;solution sans cesse renouvel&eacute;e.</p> <h2>1. Les genres&nbsp;: limites et forme<br /> &nbsp;</h2> <p>Chlo&eacute; Delaume s&rsquo;interroge sur les formes litt&eacute;raires qu&rsquo;elle utilise dans un essai autofictionnel sur l&rsquo;autofiction &ndash;&nbsp;<em>La r&egrave;gle du je</em>, d&eacute;veloppement de sa contribution &agrave; la journ&eacute;e d&rsquo;&eacute;tudes&nbsp;<em>Autofiction(s)</em>&nbsp;&ndash; et dans des textes brefs consacr&eacute;s au roman, notamment &laquo;&nbsp;Exercice &amp; d&eacute;finitions&nbsp;&raquo; &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de la table ronde&nbsp;<em>Les limites du roman</em>, o&ugrave; elle m&egrave;ne une enqu&ecirc;te sur &laquo;&nbsp;la mani&egrave;re dont le roman renouvelle ses formes au point qu&rsquo;on puisse parfois s&rsquo;interroger sur sa d&eacute;finition&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>.&nbsp;&raquo; &Agrave; travers l&rsquo;insertion de d&eacute;finitions tir&eacute;es du&nbsp;<em>Petit Robert&nbsp;</em>&ndash;&nbsp;<em>roman</em>,&nbsp;<em>limite</em>,&nbsp;<em>exp&eacute;rimental</em>&nbsp;&ndash;, l&rsquo;auteure d&eacute;clare et pr&eacute;cise sa propre position&nbsp;: &laquo;&nbsp;je m&rsquo;&eacute;cris dans des livres qui r&eacute;cusent la narration traditionnelle en psychologisant &agrave; bloc. Dans l&rsquo;&eacute;pisode d&rsquo;aujourd&rsquo;hui, je poursuis le Petit Robert&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>.&nbsp;&raquo; Elle propose en effet une sorte de dialogue avec le dictionnaire o&ugrave; elle reprend les axiomes des d&eacute;finitions cit&eacute;es, les modifie et les juxtapose &agrave; l&rsquo;axe de r&eacute;flexion de la table ronde et &agrave; ses propres consid&eacute;rations qu&rsquo;elle pr&ecirc;te aux h&eacute;misph&egrave;res du cerveau&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Le Petit Robert dit : Roman, moderne et courant : &OElig;uvre d&rsquo;imagination en prose, assez longue, qui pr&eacute;sente et fait vivre dans un milieu des personnages donn&eacute;s comme r&eacute;els, fait conna&icirc;tre leur psychologie, leur destin, leurs aventures ;&nbsp;<em>le roman&nbsp;</em>genre litt&eacute;raire romanesque, voir aussi&nbsp;<em>r&eacute;cit</em>. Le Petit Robert ajoute : nouveau roman sans majuscules : tendance du roman fran&ccedil;ais des ann&eacute;es 1960-1970, se r&eacute;clamant d&rsquo;une description objective, r&eacute;cusant l&rsquo;analyse psychologique et la narration traditionnelle.</p> <p>[&hellip;]</p> <p>L&rsquo;h&eacute;misph&egrave;re droit rappelle : limites du roman.&nbsp;<em>S&rsquo;interroger sur sa d&eacute;finition</em>. L&rsquo;h&eacute;misph&egrave;re gauche cr&eacute;celle : Roman, contemporain et courant :&nbsp;<em>renouvelle ses formes au point qu&rsquo;on puisse parfois&nbsp;</em>&OElig;uvre litt&eacute;raire d&rsquo;une certaine longueur, qui pr&eacute;sente et fait vivre dans un milieu ou non des personnages donn&eacute;s comme r&eacute;els ou pas. L&rsquo;h&eacute;misph&egrave;re gauche ajoute :&nbsp;<em>le roman</em>, genre litt&eacute;raire rhizomatique, voir aussi&nbsp;<em>multiplicit&eacute; des supports&nbsp;</em><a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>.</p> </blockquote> <p>La d&eacute;finition adapt&eacute;e tient &eacute;videmment compte de l&rsquo;exp&eacute;rience du Nouveau Roman et se concentre sur le roman contemporain&nbsp;: le contenu est r&eacute;duit aux personnages, &ndash;&nbsp;l&rsquo;auteure, personnage de fiction, entre les deux passages, dit psychologiser &laquo;&nbsp;&agrave; bloc&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash; en &eacute;liminant destin et aventures&nbsp;; le milieu ainsi que la r&eacute;alit&eacute; des personnages sont admis, mais ils ne sont pas n&eacute;cessaires. La question de la longueur et de la forme du r&eacute;cit est reprise par Delaume dans sa conversation par mail avec Jean-Charles Massera,&nbsp;o&ugrave; elle pose tout d&rsquo;abord la question du calibrage&nbsp;: &laquo;&nbsp;tout texte doit rentrer dans une cat&eacute;gorie clairement identifi&eacute;e commercialement. Roman, po&eacute;sie, essai, recueil de nouvelles : il existe implicitement une sorte de bar&egrave;me du format&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;; elle recopie dans ce texte aussi la d&eacute;finition de&nbsp;<em>roman</em>&nbsp;tir&eacute;e du&nbsp;<em>Petit Robert</em>&nbsp;et souligne le probl&egrave;me de la pagination ainsi que du genre&nbsp;: &laquo;&nbsp;il semblerait que le format se substitue &agrave; la forme, comme le livre se substitue &agrave; la litt&eacute;rature&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>.&nbsp;&raquo; Dans le passage cit&eacute; d&rsquo;&laquo;&nbsp;Exercice &amp; d&eacute;finitions&nbsp;&raquo;, l&rsquo;auteure remplace justement les locutions &laquo;&nbsp;&oelig;uvre d&rsquo;imagination, en prose&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;assez longue&nbsp;&raquo; de la d&eacute;finition du&nbsp;<em>Petit Robert</em>&nbsp;par &laquo;&nbsp;&oelig;uvre litt&eacute;raire&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;d&rsquo;une certaine longueur&nbsp;&raquo;, en s&rsquo;&eacute;cartant d&rsquo;une mani&egrave;re nette du roman industriel&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Je travaille de fa&ccedil;on artisanale, c&rsquo;est-&agrave;-dire non industrielle. Roman industriel : &oelig;uvre de fiction d&eacute;nu&eacute;e de pr&eacute;occupation esth&eacute;tique, r&eacute;gie par des proc&eacute;d&eacute;s commerciaux. Introduction du capital dans la litt&eacute;rature + rentabilit&eacute; de l&rsquo;air du temps = Production de romans tr&egrave;s limites. Fin de digression&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>.</p> </blockquote> <p>Elle s&rsquo;interroge sur les fronti&egrave;res entre &laquo;&nbsp;deux territoires contigus. La fiction et le r&eacute;el. Le r&eacute;el et le virtuel. Le roman et. Une autre forme de narration, une autre forme si loin si proche, une autre forme en g&eacute;n&eacute;ral. La po&eacute;sie, l&rsquo;installation, pourquoi pas le jeu vid&eacute;o&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>.&nbsp;&raquo; Se poser la question des limites porte &agrave; reconna&icirc;tre la nature hybride du genre d&egrave;s l&rsquo;amont&nbsp;et fait surgir le mot&nbsp;<em>geste</em>&nbsp;qui permet de d&eacute;passer les fronti&egrave;res &ndash;&nbsp;&laquo;&nbsp;Le roman&nbsp;; en &eacute;quarrir l&rsquo;espace de temps, d&eacute;passer par le geste le champ d&rsquo;action r&eacute;serv&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash; ; se pencher sur des exemples (Maurice Roche, Pierre Guyotat, Jean-Jacques Schuhl, Danielewski, Patrick Bouvet) ne peut que troubler la d&eacute;termination taxinomique et am&egrave;ne &agrave; la formule &laquo;&nbsp;kal&eacute;idoscope narratif&nbsp;&raquo;, un lieu d&rsquo;infinies combinaisons rapidement changeantes, ainsi qu&rsquo;&agrave;&nbsp;<em>aporie</em>, mot &eacute;voquant le paradoxe, la singularit&eacute;, le conflit et aussi une situation sans issue. Parmi toutes les possibilit&eacute;s envisag&eacute;es, est-il possible d&rsquo;en suivre une seulement en respectant les lignes de d&eacute;marcation&nbsp;?</p> <blockquote> <p>Faire du roman un kal&eacute;idoscope narratif. Ne pas s&rsquo;acharner &agrave; tisser retisser les canevas traditionnels, aux cerceaux pas de P&eacute;n&eacute;lope, folklore et vieilles dentelles beaucoup trop admirables, &eacute;vidence aux contrefa&ccedil;ons. Enfin c&rsquo;est ce que je me dis. Dans l&rsquo;&eacute;pisode d&rsquo;aujourd&rsquo;hui, je cherche. Je cherche encore, comme d&rsquo;habitude. Je ne suis jamais certaine du contenu du pr&eacute;cipit&eacute;. Je cultive beaucoup l&rsquo;aporie et en plus je n&rsquo;ai pas la main verte, aussi on me reproche de ne pas souvent trouver. Comme si le jeu ne suffisait pas, comme s&rsquo;il fallait pouvoir dire : ici est la fronti&egrave;re, elle est tangible, touchez&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>.</p> </blockquote> <p>L&rsquo;auteure passe &eacute;videmment par l&rsquo;autofiction &ndash;&nbsp;recopiant une fois de plus la d&eacute;finition de Serge Doubrovsky&nbsp;&ndash; et s&rsquo;arr&ecirc;te sur le pass&eacute; du roman&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Le roman, fils de la fiction et de la langue. Raconter une histoire, l&rsquo;important c&rsquo;est comment, et peut &ecirc;tre pourquoi, mais surtout pas tout court. Le roman, initialement en vers, qui toujours s&rsquo;est su faire hybride. Il a toujours eu faim, il est du sang de l&rsquo;homme. Aussi il en suit les limites comme les &eacute;volutions&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>.</p> </blockquote> <p>Elle retrace enfin sa propre histoire litt&eacute;raire et sa relation au genre&nbsp;; elle conclut que le roman est plus vaste que sa d&eacute;finition commune, que sa s&eacute;paration des autres genres n&rsquo;est aucunement nette, qu&rsquo;il change de supports comme les autres arts et que &laquo;&nbsp;ses seules limites resteront la technique&nbsp;&raquo;. En m&ecirc;me temps, elle propose la ni&egrave;me variation de sa devise&nbsp;qui devient, dans la conclusion, &laquo;&nbsp;Je m&rsquo;appelle Chlo&eacute; Delaume. Je suis un personnage d&rsquo;affliction&nbsp;&raquo;, elle se r&eacute;fugie dans le roman en tant que genre intrins&egrave;quement borderline, frontalier. C&rsquo;est justement la limite qui devient l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment essentiel&nbsp;: comme le dit Matteo Majorano,&nbsp;la prose de l&rsquo;extr&ecirc;me contemporain se constitue en acte cr&eacute;atif gr&acirc;ce &agrave; une contamination permanente, &laquo;&nbsp;dans ce parcours, la limite devient un &eacute;l&eacute;ment producteur d&rsquo;une nouvelle signification et d&rsquo;un recul des contraintes narratives&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>&nbsp;&raquo;, le processus de changement est &eacute;labor&eacute; sur une logique transitive. Dans les mots et &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du syst&egrave;me de Chlo&eacute; Delaume&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Je m&rsquo;appelle Chlo&eacute; Delaume. Je suis un personnage de fiction. J&rsquo;ai choisi de m&rsquo;&eacute;crire pour ma&icirc;triser un peu le flux des &eacute;v&egrave;nements. Mais dans cet &eacute;pisode, &ccedil;a ne m&rsquo;aide pas tellement. Limites du roman. Convenir &agrave; peine, &ecirc;tre tout juste acceptable. Affirmer qu&rsquo;aujourd&rsquo;hui le roman est plus vaste que sa d&eacute;finition inscrite dans le dictionnaire, c&rsquo;est un peu court, jeune p&eacute;ronnelle. Ajouter que toujours le roman s&rsquo;est goinfr&eacute; de ses cousins germains, &ccedil;a peut &ecirc;tre suffisant, mais il faut d&eacute;montrer et l&agrave; je manque de temps. Conclure que comme d&rsquo;autres arts, la litt&eacute;rature quitte de plus en plus la page pour s&rsquo;incarner ailleurs trois petits tours durant, et que ses seules limites resteront la technique, c&rsquo;est correct, mais passable. Et dire que le corps que j&rsquo;habite a fait Lettres Modernes, si c&rsquo;est pas malheureux.</p> <p>Je m&rsquo;appelle Chlo&eacute; Delaume. Je suis un personnage d&rsquo;affliction. Parce qu&rsquo;il est borderline et cela intrins&egrave;quement j&rsquo;ai choisi le roman comme refuge prolong&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>.</p> </blockquote> <p>Si cet &eacute;crit se pr&eacute;sente comme un exercice, une confrontation avec les d&eacute;finitions, l&rsquo;autre texte &eacute;voqu&eacute;, par contre, est un dialogue par mail avec un autre &eacute;crivain et critique d&rsquo;art. Dans ce cas, Chlo&eacute; Delaume dit souscrire &agrave; l&rsquo;accusation que Jean-Charles Massera lance contre les typologies obsol&egrave;tes, mais elle avoue &ecirc;tre encore attach&eacute;e &agrave; la notion de roman, son but est celui &laquo;&nbsp;d&rsquo;en explorer les limites, de les repousser, de les tordre&nbsp;&raquo;&nbsp;; si elle s&rsquo;est adonn&eacute;e &agrave; l&rsquo;autofiction,</p> <blockquote> <p>c&rsquo;est aussi pour des raisons formelles&nbsp;: ce genre permet de d&eacute;tourner la d&eacute;finition de base du roman, l&rsquo;&laquo;&nbsp;imagination&nbsp;&raquo;, le &laquo;&nbsp;milieu&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;les personnages donn&eacute;s&nbsp;&raquo;, tout est &agrave; repenser, mais de l&rsquo;int&eacute;rieur, de l&rsquo;int&eacute;rieur de ce cadre. M&ecirc;me si, effectivement, tout le XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle s&rsquo;est appliqu&eacute; &agrave; l&rsquo;atomiser, je pense que le roman contemporain ne se r&eacute;duit pas &agrave; des ORACU [Ouvrages-Reli&eacute;s-Au-Contenu-Unitaire], que ce n&rsquo;est pas intrins&egrave;quement une forme agonique au service du march&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>.</p> </blockquote> <p>Son propos, son programme, est d&rsquo;&laquo;&nbsp;inventer des formes au sein d&rsquo;une forme d&eacute;j&agrave; existante, d&rsquo;un genre&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;; le roman n&rsquo;est &laquo;&nbsp;qu&rsquo;une forme parmi d&rsquo;autres, d&rsquo;autres d&eacute;j&agrave; existantes ou &agrave; inventer&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;la litt&eacute;rature peut s&rsquo;emparer de n&rsquo;importe quelle forme, parce que la forme reste l&rsquo;architecture du texte&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;ce qui motive et construit une &eacute;criture [&hellip;] c&rsquo;est la langue elle-m&ecirc;me&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>.&nbsp;&raquo; Ici le mot-cl&eacute; est &eacute;videmment&nbsp;<em>forme</em>, l&rsquo;auteure oppose la langue &agrave; la narration, cette derni&egrave;re &laquo;&nbsp;n&rsquo;est depuis longtemps l&rsquo;enjeu de la litt&eacute;rature, c&rsquo;est celui du cin&eacute;ma, des s&eacute;ries&nbsp;<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>&nbsp;&raquo;. On reviendra sur cet aspect.</p> <p>L&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;invention, de modification, c&ocirc;toie celle de basculement dans les d&eacute;finitions que l&rsquo;auteure donne des genres&nbsp;; non seulement le roman, mais surtout l&rsquo;autofiction est au centre de d&eacute;bats terminologiques et ontologiques&nbsp;<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>. Si&nbsp;<em>La r&egrave;gle du je</em>&nbsp;est enti&egrave;rement consacr&eacute;e &agrave; cette question, dans&nbsp;<em>Une femme avec personne dedans</em>&nbsp;on assiste au passage de l&rsquo;autofiction &agrave; l&rsquo;autofixion, ce qui correspond &agrave; un remaniement de la c&eacute;l&egrave;bre d&eacute;finition du p&egrave;re du genre&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Serge Doubrovsky&nbsp;: &laquo;&nbsp;fiction, d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements et de faits strictement r&eacute;els. Si l&rsquo;on veut, autofiction, d&rsquo;avoir confi&eacute; le langage d&rsquo;une aventure &agrave; l&rsquo;aventure d&rsquo;un langage en libert&eacute;&nbsp;&raquo;.</p> <p>Alors.</p> <p>R&eacute;el, d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements et de faits strictement fictifs. Si l&rsquo;on veut, autofixion, d&rsquo;avoir inject&eacute; de l&rsquo;aventure &agrave; une vie tellement programm&eacute;e&nbsp;<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>.</p> </blockquote> <p>C&rsquo;est un renversement de perspective qui se manifeste &agrave; travers une permutation des mots, ce qui am&egrave;ne &agrave; un n&eacute;ologisme &ndash;&nbsp;<em>autofixion&nbsp;&ndash;</em>&shy; et, qui plus est, &agrave; une nouvelle approche : il ne s&rsquo;agit plus d&rsquo;une &oelig;uvre fictive concernant des &eacute;v&eacute;nements r&eacute;els&nbsp;; c&rsquo;est l&rsquo;ouvrage, l&rsquo;&eacute;criture elle-m&ecirc;me qui devient le r&eacute;el et les &eacute;v&eacute;nements fictifs en constituent simplement la mati&egrave;re. La vie programm&eacute;e&nbsp;<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>&nbsp;est bascul&eacute;e par l&rsquo;intervention de l&rsquo;aventure, le langage, quant &agrave; lui, dispara&icirc;t. Est-il tout simplement sous-entendu&nbsp;? Ce qui est certain est le fait que l&rsquo;insertion d&rsquo;un&nbsp;<em>x</em>&nbsp;en remplacement du groupe consonantique&nbsp;<em>ct</em>&nbsp;ne cause aucun changement pour l&rsquo;oreille, les deux mots sont homonymes. Si la prononciation ne r&eacute;v&egrave;le aucunement la transmutation, l&rsquo;acte performatif devient pour l&rsquo;&oelig;il&nbsp;: la permutation des mots trouve un &eacute;quivalent dans le fait de tourner la page du grimoire, l&rsquo;op&eacute;ration magique correspond &agrave; tracer &laquo;&nbsp;la croix centrale du mot avec m&eacute;thode&nbsp;&raquo;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Modifier le r&eacute;el s&rsquo;impose donc en mission. Je saisis le grimoire et je tourne la page, un acte n&eacute;cessaire. Je trace la croix centrale du mot avec m&eacute;thode, autofixion,&nbsp;<em>i&nbsp;</em>rouge encadrant l&rsquo;inconnu. Je trace donc, oui, j&rsquo;affirme. L&rsquo;oracle Belline, cinq cartes, la houlette du Changement, &ccedil;a constitue une preuve. Un retour au r&eacute;el, dessiner les contours et d&eacute;finir les r&egrave;gles de sa petite histoire, un d&eacute;placement s&rsquo;impose. Je ne suis s&ucirc;rement personne mais c&rsquo;est moi au-dedans, moi toute seule qui contr&ocirc;le. Encadrer l&rsquo;inconnu pour mieux le lib&eacute;rer, ce sera le but du jeu. Auteur narratrice h&eacute;ro&iuml;ne, face au miroir, de l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a>.</p> </blockquote> <p>L&rsquo;auteure insiste sur le verbe&nbsp;<em>tracer</em>&nbsp;qui se double de l&rsquo;acte de &laquo;&nbsp;dessiner les contours et d&eacute;finir les r&egrave;gles de [la] petite histoire&nbsp;&raquo;, il s&rsquo;agit d&rsquo;&laquo;&nbsp;encadrer l&rsquo;inconnu pour mieux le lib&eacute;rer&nbsp;&raquo;. Cette id&eacute;e d&rsquo;un d&eacute;placement, d&rsquo;un changement qui s&rsquo;impose n&rsquo;est pas sans rappeler que la croix est la forme du carrefour, lieu de croisement des voies, lieu rituel par excellence, conjoncture o&ugrave; on est oblig&eacute; de choisir&nbsp;; la mission &eacute;voque une fois de plus les jeux vid&eacute;os qui remanient l&rsquo;univers chevaleresque et celui des contes de f&eacute;es, ce dernier autorise &agrave; lire&nbsp;les r&egrave;gles sus-cit&eacute;es comme un avatar des parties constitutives du conte&nbsp;dont parle Vladimir Propp. On va y revenir.</p> <p>Les critiques ont soulign&eacute; que la conception que l&rsquo;auteure a de l&rsquo;autofiction correspond &agrave; &laquo;&nbsp;une tentative de marginalisation des pratiques normatives qui serait r&eacute;alis&eacute;e par la manipulation de la langue&nbsp;<a href="#_ftn29" name="_ftnref29">[29]</a>&nbsp;&raquo; en insistant sur le pouvoir performatif du langage pour critiquer la notion de genre&nbsp;<a href="#_ftn30" name="_ftnref30">[30]</a>. Le r&eacute;alisme romanesque est &eacute;branl&eacute; tout d&rsquo;abord par l&rsquo;utilisation d&rsquo;un vocabulaire d&rsquo;analyse litt&eacute;raire&nbsp;; en particulier l&rsquo;expression &laquo;&nbsp;personnage de fiction&nbsp;&raquo;, embl&eacute;matique de l&rsquo;&oelig;uvre de Chlo&eacute; Delaume, participe &laquo;&nbsp;&agrave; une entreprise de brouillage et de r&eacute;appropriation de la r&eacute;alit&eacute; par l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;<a href="#_ftn31" name="_ftnref31">[31]</a>&nbsp;&raquo;. On peut emprunter la d&eacute;finition de &laquo;&nbsp;fictions critiques&nbsp;&raquo; propos&eacute;e par Dominique Viart qui permet justement de &laquo;&nbsp;concevoir l&rsquo;espace fictionnel comme le lieu d&rsquo;un dialogue avec les autres domaines de la pens&eacute;e et de la r&eacute;flexion&nbsp;<a href="#_ftn32" name="_ftnref32">[32]</a>.&nbsp;&raquo; Cette confrontation et collaboration entre fiction et r&eacute;flexion met &agrave; son tour en question les divisions g&eacute;n&eacute;riques et am&egrave;ne &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir sur les &laquo;&nbsp;tentatives de refondation ou de reformulation de cat&eacute;gories bouscul&eacute;es par l&rsquo;&eacute;mergence de multiples formes d&rsquo;hybridit&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn33" name="_ftnref33">[33]</a>.&nbsp;&raquo; La situation esquiss&eacute;e par Viart, le choix de croiser les r&eacute;f&eacute;rences au domaine des sciences humaines avec un grand usage critique de l&rsquo;h&eacute;ritage litt&eacute;raire, convient bien &agrave; la production de Chlo&eacute; Delaume tout comme la conclusion du critique portant sur la red&eacute;finition de la fiction en tant que &laquo;&nbsp;<em>fiction critique&nbsp;</em>c&rsquo;est-&agrave;-dire interrogeante, parfois &eacute;lucidante, une fiction &ldquo;dialogale&rdquo; ou &ldquo;dialogique&rdquo;, en ce qu&rsquo;elle dialogue constamment avec elle-m&ecirc;me et avec sa propre critique mais aussi avec l&rsquo;&eacute;ventail le plus large des Sciences humaines&nbsp;<a href="#_ftn34" name="_ftnref34">[34]</a>.&nbsp;&raquo; Il suffit de penser aux r&eacute;f&eacute;rences &agrave; la sociologie et surtout &agrave; la psychologie et &agrave; la linguistique parsem&eacute;es dans les ouvrages de l&rsquo;auteure.</p> <p>Arr&ecirc;tons-nous un instant sur l&rsquo;aspect principal de l&rsquo;&oelig;uvre litt&eacute;raire selon Chlo&eacute; Delaume, la langue, et sur les moyens que l&rsquo;&eacute;crivaine utilise pour d&eacute;faire la construction des phrases et proposer une forme nouvelle. &Agrave; propos de&nbsp;<em>Certainement pas</em>, Dawn Cornelio souligne que l&rsquo;auteure brise les limites de la narration contemporaine et traditionnelle et d&eacute;molit les id&eacute;es re&ccedil;ues sur la litt&eacute;rature et le genre romanesque &agrave; travers la multiplication de voix, polices de caract&egrave;re et r&eacute;f&eacute;rences et aussi gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;&eacute;crasement de la ponctuation et de la syntaxe&nbsp;: en comparant le roman &agrave; une structure architecturale construite de &laquo;&nbsp;la ponctuation et la syntaxe, l&rsquo;apparence des mots, les styles, et la narration, Delaume va saboter chacun de ces &eacute;l&eacute;ments pour faire imploser sa construction en fin de parcours&nbsp;<a href="#_ftn35" name="_ftnref35">[35]</a>.&nbsp;&raquo; Marie-Pascale Huglo, quant &agrave; elle, parle de fluidit&eacute; du r&eacute;cit contemporain en tant qu&rsquo;&laquo;&nbsp;<em>encha&icirc;nement continu d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes</em>&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;d&eacute;filement fluide d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments disparates ou disjoints&nbsp;<a href="#_ftn36" name="_ftnref36">[36]</a>.&nbsp;&raquo; La critique s&rsquo;interroge sur les valeurs impliqu&eacute;es et sur les rapports mis en &oelig;uvre par l&rsquo;encha&icirc;nement syntaxique, configuration de nos perceptions,&nbsp;et souligne que la fluidit&eacute; implique le glissement d&rsquo;un r&eacute;gime discursif &agrave; un autre. Chez Delaume, notamment, la fluidit&eacute; remet en jeu l&rsquo;int&eacute;riorit&eacute;. La mise en place d&rsquo;un encha&icirc;nement fluide d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments narratifs et discursifs h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes&nbsp;rend les fronti&egrave;res poreuses&nbsp;: le manque de transition brouille les limites entres espace priv&eacute; et espace public sans les effacer&nbsp;; on assiste donc &agrave; une contamination entre conscience et monde&nbsp;<a href="#_ftn37" name="_ftnref37">[37]</a>. Mais ce qui est plus int&eacute;ressant pour notre propos est l&rsquo;accent mis sur l&rsquo;impact de la technique du montage typique de l&rsquo;&egrave;re des ordinateurs sur la fabrique de la prose, c&rsquo;est-&agrave;-dire la perception &laquo;&nbsp;&eacute;cranique&nbsp;&raquo; du texte et son lien avec &laquo;&nbsp;les modes d&rsquo;appara&icirc;tre contemporains associ&eacute;s aux nouveaux m&eacute;dias qui impr&egrave;gnent l&rsquo;&eacute;criture et l&rsquo;univers romanesque&nbsp;<a href="#_ftn38" name="_ftnref38">[38]</a>.&nbsp;&raquo; Il s&rsquo;agit, selon la critique, d&rsquo;une mise &agrave; plat du texte.</p> <p>Si des &eacute;tudes d&rsquo;inspiration f&eacute;ministe soulignent que le travail d&rsquo;hybridation des genres &laquo;&nbsp;participe, au m&ecirc;me titre que l&rsquo;&eacute;clatement syntaxique, [d&rsquo;un] combat contre la Loi&nbsp;<a href="#_ftn39" name="_ftnref39">[39]</a>&nbsp;&raquo;, on s&rsquo;accorde sur l&rsquo;impossibilit&eacute; de restreindre l&rsquo;&oelig;uvre de Chlo&eacute; Delaume &agrave; un but militant&nbsp;<a href="#_ftn40" name="_ftnref40">[40]</a>. On a vu dans&nbsp;la syntaxe morcel&eacute;e, coup&eacute;e, de cette auteure &laquo;&nbsp;un autre exemple d&rsquo;une &eacute;criture qui a encore partie li&eacute;e &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rimentation langagi&egrave;re&nbsp;<a href="#_ftn41" name="_ftnref41">[41]</a>.&nbsp;&raquo; En effet, l&rsquo;analyse que Julien Piat donne de&nbsp;<em>L&rsquo;Exp&eacute;rimentation syntaxique dans l&rsquo;&eacute;criture du Nouveau Roman</em>&nbsp;synth&eacute;tise les traits fondamentaux de la structure mise en &oelig;uvre par Chlo&eacute; Delaume&nbsp;: des phrases bizarres, riches en reprises et renvois, des phrases tr&egrave;s longues contenant parenth&egrave;ses et d&eacute;tails, juxtapos&eacute;es &agrave; des phrases tr&egrave;s br&egrave;ves et saccad&eacute;es&nbsp;; &laquo;&nbsp;dans chaque cas, les mots prolif&egrave;rent, les contours phrastiques se dissolvent, le sens vacille&nbsp;; on finit par perdre de vue de quoi &ldquo;&ccedil;a parle&nbsp;<a href="#_ftn42" name="_ftnref42">[42]</a>&nbsp;&rdquo;. &raquo; On se range sous la banni&egrave;re de Piat quand il pr&eacute;f&egrave;re parler de difficult&eacute; plut&ocirc;t que d&rsquo;illisibilit&eacute; puisque le manque de la dominante r&eacute;f&eacute;rentielle, l&rsquo;&eacute;limination des traces de fabrication, la d&eacute;l&eacute;gation aux personnages du fonctionnement du texte, la motivation des &eacute;l&eacute;ments, la richesse des reprises, le principe de non contradiction n&rsquo;emp&ecirc;chent nullement une lecture effective qui r&eacute;v&egrave;le comment &laquo;&nbsp;les enjeux stylistiques et esth&eacute;tique croisent [&hellip;] des probl&eacute;matiques linguistiques et &eacute;pist&eacute;mologiques&nbsp;<a href="#_ftn43" name="_ftnref43">[43]</a>&nbsp;&raquo;. La discontinuit&eacute; permet la cr&eacute;ation de relations moins fig&eacute;es entre les segments et pr&eacute;sente une dimension iconique qui suppose &laquo;&nbsp;une vision dynamique et topographique de la syntaxe&nbsp;<a href="#_ftn44" name="_ftnref44">[44]</a>&nbsp;&raquo; oppos&eacute;e &agrave; la lin&eacute;arit&eacute;. D&eacute;j&agrave; Cornelio avait soulign&eacute; que l&rsquo;alternance entre surabondance et manque de ponctuation, l&rsquo;alignement de s&eacute;ries de mots sans articulation &laquo;&nbsp;entravent toute possibilit&eacute; d&rsquo;une lecture inattentive ou &ldquo;facile&rdquo;. Elles exigent non seulement l&rsquo;attention du lecteur mais aussi sa r&eacute;flexion&nbsp;<a href="#_ftn45" name="_ftnref45">[45]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <h2>2. La tradition et la r&eacute;ception&nbsp;: le carrefour<br /> &nbsp;</h2> <p>Chlo&eacute; Delaume, on l&rsquo;a dit, cr&eacute;e son identit&eacute; &agrave; partir de deux &oelig;uvres et toute sa production se b&acirc;tit sur des r&eacute;f&eacute;rences litt&eacute;raires, artistiques et culturelles souvent juxtapos&eacute;es sinon m&ecirc;l&eacute;es&nbsp;<a href="#_ftn46" name="_ftnref46">[46]</a>. Il ne s&rsquo;agit &eacute;videmment pas pour l&rsquo;auteure de rester dans le sillage d&rsquo;un ma&icirc;tre ou d&rsquo;un genre, mais plut&ocirc;t d&rsquo;assimiler des traditions, de les d&eacute;composer, parfois de les renverser afin de les amalgamer &agrave; ses propres composants et d&rsquo;en tirer un r&eacute;sultat inattendu. Les exemples sont innombrables, on va se borner &agrave; la reprise de th&egrave;mes m&eacute;di&eacute;vaux, g&eacute;n&eacute;riquement chevaleresques.</p> <p>Ce choix pourrait surprendre, parce qu&rsquo;il ne s&rsquo;agit certainement pas d&rsquo;un intertexte tr&egrave;s r&eacute;pandu, au contraire, il se limite &agrave; une r&eacute;f&eacute;rence assez vague &agrave; Broc&eacute;liande, Merlin et Perceval dans&nbsp;<em>Les mouflettes d&rsquo;Atropos&nbsp;</em>&ndash;&nbsp;&laquo;&nbsp;&Eacute;radication saule pleureur. On nous joue la m&eacute;tonymie. Mais voil&agrave; si la branche c&rsquo;est l&rsquo;arbre derri&egrave;re lui c&rsquo;est pas Broc&eacute;liande. Merlin est mort il y a un si&egrave;cle. C&rsquo;est Perceval qui me l&rsquo;a dit&nbsp;<a href="#_ftn47" name="_ftnref47">[47]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash;, o&ugrave; ces noms se placent &agrave; la suite d&rsquo;une liste beaucoup plus nombreuse de personnages de la mythologie grecque&nbsp;:&nbsp;Cronos, les &Eacute;rinyes, Tisiphone et les Atrides&nbsp; &ndash;&nbsp;&Eacute;lectre, Oreste, Ph&egrave;dre&nbsp;&ndash;&nbsp;; l&rsquo;atmosph&egrave;re de l&rsquo;&eacute;vocation dans son ensemble est grin&ccedil;ante et d&eacute;mystifiante.</p> <p>Dans&nbsp;<em>Le cri du sablier</em>, ce sont le Graal et Lancelot &ndash;&nbsp;&laquo;&nbsp;Toute seule &eacute;videmment le Graal fut impossible. Chienne aux quilles et Lancelot per&ccedil;ant la val&eacute;riane &agrave; coups de gin tonic&nbsp;<a href="#_ftn48" name="_ftnref48">[48]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash; qui d&eacute;clenchent des renvois entrecrois&eacute;s aux contes de f&eacute;es (<em>La Barbe bleue</em>,&nbsp;<em>Cendrillon</em>), aux contes merveilleux (<em>Casse-noisette</em>), aux romans (<em>L&rsquo;&Eacute;cume des jours</em>), aux mythes (P&eacute;lops, Atropos), aux chansons (<em>Y a qu&rsquo;un cheveu sur la t&ecirc;te &agrave; Mathieu</em>) et &agrave; l&rsquo;<em>Apocalypse</em>&nbsp;de Saint-Jean. Dans&nbsp;<em>La derni&egrave;re fille avant la guerre</em>, par contre, l&rsquo;auteure &eacute;voque des &laquo;&nbsp;promesses aventuri&egrave;res&nbsp;&raquo; qui font ressurgir les Templiers&nbsp;:</p> <blockquote> <p>J&rsquo;&eacute;tais Miss Paramount, l&rsquo;annulaire d&rsquo;une menotte promesses aventuri&egrave;res, la troisi&egrave;me des sans-joie d&eacute;vou&eacute;es &agrave; leur seigneur et ma&icirc;tre. Un jour il y eut des chevaliers. Leurs gestes comme leurs chansons se voulaient hi&eacute;ratiques. C&rsquo;est pas faux. Ils &eacute;taient braves et orphelins, ils voulaient s&rsquo;approcher du Temple, y laver leur m&eacute;tamorphose. Sur l&rsquo;autel d&eacute;pecer les li&egrave;vres d&rsquo;infortune, faire subir aux corbeaux le supplice de la roue. Nous part&icirc;mes &agrave; peine six et aucun ne revint.</p> <p>Je suis Miss Paramount, la derni&egrave;re survivante / mon destin je le sais / est dans la Citadelle (au secours)&nbsp;<a href="#_ftn49" name="_ftnref49">[49]</a>.</p> </blockquote> <p>Le Moyen &Acirc;ge et le conte de f&eacute;es, la qu&ecirc;te et le fantastique se conjuguent dans&nbsp;<em>Chanson de geste &amp; Opinions</em>, texte s&rsquo;ouvrant sur la formule traditionnelle &laquo;&nbsp;Il &eacute;tait une fois&nbsp;&raquo;, qui pr&eacute;sente les personnages classiques du roi et de la reine &ndash; fragile, capricieuse et cruelle en l&rsquo;occurrence &ndash; entour&eacute;s des repr&eacute;sentants du genre et d&rsquo;intrus rentr&eacute;s par la fen&ecirc;tre de l&rsquo;association et de l&rsquo;analogie&nbsp;: &laquo;&nbsp;jeunes princes, h&eacute;ros, aventuriers, amazones et preux chevaliers, nobles vieillards, barons rougeauds&nbsp;<a href="#_ftn50" name="_ftnref50">[50]</a>.&nbsp;&raquo; Le premier chapitre, &laquo;&nbsp;Situation initiale&nbsp;&raquo;, m&ecirc;le les contes de f&eacute;es (l&rsquo;omnipr&eacute;sente Peau d&rsquo;&acirc;ne) et la science fiction (les machines &agrave; d&eacute;monter le temps et le soleil vert&nbsp;<a href="#_ftn51" name="_ftnref51">[51]</a>) et se termine sur ces mots renvoyant de fa&ccedil;on cocasse &agrave; la morphologie de Propp&nbsp;: &laquo;&nbsp;&Agrave; chaque cadeau, son &eacute;nigme et sa qu&ecirc;te. Nous entendons par qu&ecirc;te un p&eacute;rilleux p&eacute;riple morphologiquement structur&eacute; par des emmerdements&nbsp;<a href="#_ftn52" name="_ftnref52">[52]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <p>L&rsquo;&eacute;tude de Propp est utilis&eacute;e non seulement pour analyser les programmes de t&eacute;l&eacute;-r&eacute;alit&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn53" name="_ftnref53">[53]</a>&nbsp;&ndash;&nbsp;la narration, on l&rsquo;a vu, est pour Delaume l&rsquo;enjeu du cin&eacute;ma et des s&eacute;ries&nbsp;&ndash;, mais elle surgit aussi dans&nbsp;<em>La vanit&eacute; des somnambules&nbsp;</em>: ici, la tentative d&rsquo;expulsion du personnage de fiction Chlo&eacute; Delaume de la part du corps qui s&rsquo;appuie sur&nbsp;<em>Le marteau des Sorci&egrave;res</em>, alterne avec la liste des fonctions de Propp qui oppose la recherche de libert&eacute; du personnage aux r&egrave;gles r&eacute;gissant le r&eacute;cit&nbsp;<a href="#_ftn54" name="_ftnref54">[54]</a>. C&rsquo;est justement &agrave; partir du mod&egrave;le de la morphologie du conte qu&rsquo;on a &eacute;labor&eacute; diverses grammaires de la narration identifiant les &eacute;l&eacute;ments du r&eacute;cit et les lois qui en r&egrave;glent la combinaison. En faisant abstraction des diff&eacute;rences entre les th&eacute;ories, la narratologie cognitive identifie les m&eacute;canismes de production, compr&eacute;hension et reproduction du r&eacute;cit avec des syst&egrave;mes &eacute;laborant les informations &agrave; un niveau logique-symbolique. En simplifiant &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me, l&rsquo;hypoth&egrave;se est que les proc&eacute;d&eacute;s mentaux d&rsquo;&eacute;laboration du r&eacute;cit correspondent &agrave; un m&eacute;canisme de transformation des symboles en vertu d&rsquo;inf&eacute;rences suivant une strat&eacute;gie de r&eacute;solution de probl&egrave;me (<em>problem-solving strategy&nbsp;</em><a href="#_ftn55" name="_ftnref55">[55]</a>).</p> <p>L&rsquo;&oelig;uvre de Delaume n&rsquo;est nullement &eacute;trang&egrave;re aux approches cognitives, il suffit de penser aux passages consacr&eacute;s &agrave; la m&eacute;moire et au syst&egrave;me nerveux, &agrave; son attention aux processus de traitement de l&rsquo;information et en particulier des souvenirs&nbsp;<a href="#_ftn56" name="_ftnref56">[56]</a>. Dans ses textes, l&rsquo;auteure explicite certaines &eacute;tapes du progr&egrave;s de la science m&eacute;dicale dans l&rsquo;&eacute;tude cognitive de la m&eacute;moire et des &eacute;motions en assimilant, par exemple, la th&eacute;orie de MacLean sur le cerveau triunique (1949) &agrave; l&rsquo;attaque qu&rsquo;elle lance au syst&egrave;me t&eacute;l&eacute;vis&eacute;. Il importe ici de noter que Delaume alterne les visions traditionnelles et st&eacute;r&eacute;otyp&eacute;es des repr&eacute;sentations affectives avec des donn&eacute;es scientifiques, le plus souvent m&eacute;dicales&nbsp;; la conception classique des passions et ses clich&eacute;s s&rsquo;opposent ainsi &agrave; l&rsquo;approche cognitive&nbsp;<a href="#_ftn57" name="_ftnref57">[57]</a>. Or, on voudrait ici proposer l&rsquo;hypoth&egrave;se selon laquelle ce m&eacute;lange entre structures du r&eacute;cit et th&eacute;ories cognitives conduit l&rsquo;auteure &agrave; mettre en sc&egrave;ne une symbolique du carrefour qui se fait ic&ocirc;ne de son refus des syst&egrave;mes rigoureux et qui combine heureusement les donn&eacute;es textuelles et la probl&eacute;matique de la r&eacute;ception&nbsp;<a href="#_ftn58" name="_ftnref58">[58]</a>.</p> <p>On l&rsquo;a vu, les ouvrages de Delaume mettent en sc&egrave;ne une interrogation sur la forme du roman, un effondrement du texte, une d&eacute;sint&eacute;gration de la syntaxe, une d&eacute;composition de la structure du livre, bref un &eacute;coulement de la structure narrative et romanesque&nbsp;; m&ecirc;me la succession et la division en chapitres sont mises en question&nbsp;: on ne respecte pas l&rsquo;ordre num&eacute;rique dans&nbsp;<em>Chanson de geste &amp; Opinions</em>, il y a t&eacute;lescopage de chapitres dans&nbsp;<em>Certainement pas</em>, etc. L&rsquo;acquisition analogique de la part du lecteur de la s&eacute;quence narrative des propositions en tant qu&rsquo;ic&ocirc;ne des &eacute;v&eacute;nements racont&eacute;s bascule face aux compositions de Chlo&eacute; Delaume qui ont recours &agrave; n&rsquo;importe quel exp&eacute;dient pour emp&ecirc;cher une assimilation lin&eacute;aire et acritique de ses textes&nbsp;<a href="#_ftn59" name="_ftnref59">[59]</a>.</p> <p>La demande de participation de la part du lecteur devient explicite dans des ouvrages qui ins&egrave;rent dans leur structure plusieurs alternatives narratives, des v&eacute;ritables carrefours du r&eacute;cit. Dans&nbsp;<em>Une femme avec personne dedans</em>, le lecteur est invit&eacute; &agrave; r&eacute;pondre &agrave; un questionnaire pour &laquo;&nbsp;entrer dans un r&eacute;cit qui saura [lui] convenir&nbsp;<a href="#_ftn60" name="_ftnref60">[60]</a>&nbsp;&raquo;, les r&eacute;ponses &agrave; douze questions permettent en effet de choisir entre trois chapitres diff&eacute;rents proposant des conclusions alternatives. Cette id&eacute;e de collaboration active est renforc&eacute;e par l&rsquo;invitation &agrave; se munir &laquo;&nbsp;d&rsquo;un crayon &agrave; papier ou bien d&rsquo;un stylo bille&nbsp;<a href="#_ftn61" name="_ftnref61">[61]</a>&nbsp;&raquo; et de cocher le questionnaire. Comme d&rsquo;habitude, l&rsquo;auteure tisse des fils entre ses ouvrages et renvoie explicitement &agrave;&nbsp;<em>Certainement pas</em>&nbsp;contenant des formulaires et des questionnaires&nbsp;<a href="#_ftn62" name="_ftnref62">[62]</a>. L&rsquo;autre r&eacute;f&eacute;rence, bien que non formul&eacute;e, est&nbsp;<em>La nuit je suis Buffy Summer</em>, roman interactif o&ugrave; le pacte de lecture est annonc&eacute; dans le&nbsp;<em>Didacticiel&nbsp;</em>; les r&egrave;gles ne concernent pas seulement le choix de la voie &agrave; suivre, mais aussi le rapport &agrave; &eacute;tablir avec l&rsquo;objet livre&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Inscrivez, gommez ou biffez, r&eacute;&eacute;crivez. Mis &agrave; part quelques anciens ayant dans leur enfance travers&eacute; la for&ecirc;t de la mal&eacute;diction, le lecteur entretient un curieux f&eacute;tichisme avec l&rsquo;objet dit livre, attachement synecdoque, respect face au papier. &Agrave; ceux qui ne cornent jamais, prot&egrave;gent les couvertures, il est dit faites un geste, apprenez &agrave; toucher. Premier point de contact, intervention physique. Vous comprenez enfin que ce n&rsquo;est qu&rsquo;un support, un support de fiction. Qui peut &ecirc;tre mall&eacute;able et soumis au trafic, &agrave; la circulation&nbsp;<a href="#_ftn63" name="_ftnref63">[63]</a>.</p> </blockquote> <p>Le carrefour devient dans cet ouvrage &agrave; la fois un lieu physique (&agrave; la sortie de la chambre l&rsquo;h&eacute;ro&iuml;ne peut aller tout droit, &agrave; gauche ou &agrave; droite&nbsp;<a href="#_ftn64" name="_ftnref64">[64]</a>), une bifurcation du r&eacute;cit (qui ne se limite pas &agrave; proposer sa propre voie ou &agrave; raconter successivement plusieurs histoires, mais qui pousse le lecteur &agrave; assumer son propre parcours de lecture) et un croisement de genres qui remet en question non seulement la structure du livre, mais aussi la tradition litt&eacute;raire dans son ensemble.</p> <p>On a d&eacute;j&agrave; soulign&eacute; la centralit&eacute; du symbolisme du papier dans les ouvrages de l&rsquo;auteure&nbsp;<a href="#_ftn65" name="_ftnref65">[65]</a>&nbsp;; le fait de tracer des mots rel&egrave;ve d&rsquo;un geste performatif singulier qui fait appel au travail artisanal aussi bien qu&rsquo;au rituel magique. Le fait de pousser le lecteur &agrave; tacher le papier, &agrave; y laisser sa propre trace, n&rsquo;&eacute;quivaut pas seulement &agrave; l&rsquo;inviter &agrave; franchir les limites d&rsquo;une d&eacute;f&eacute;rence qui implique une mise &agrave; distance de l&rsquo;objet livre et de la litt&eacute;rature elle-m&ecirc;me, cela r&eacute;pond aussi &agrave; la recherche d&rsquo;une connivence. Le travail d&rsquo;&eacute;miettement que Chlo&eacute; Delaume met en place envers la tradition litt&eacute;raire et la r&eacute;alit&eacute; ne se limite pas &agrave; lui offrir des interstices pour donner une nouvelle forme &agrave; sa vie et &agrave; sa production &ndash; deux aspects qui dans son syst&egrave;me correspondent &ndash;, il permet aussi d&rsquo;ouvrir un passage pour le lecteur qui peut &agrave; son tour participer &agrave; ce travail d&rsquo;interrogation, de modification et de reconstruction personnelle du r&eacute;el. M&ecirc;me cette volont&eacute; d&rsquo;&eacute;tendre l&rsquo;&eacute;preuve au lecteur &ndash;&nbsp;&laquo;&nbsp;&Eacute;crivez-vous vous-m&ecirc;me&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash; utilise, &agrave; la fin d&rsquo;<em>Une femme avec personne dedans</em>, l&rsquo;image d&rsquo;un carrefour&nbsp;:</p> <blockquote> <p>L&rsquo;Apocalypse n&rsquo;est rien face au renouvellement, la subjectivit&eacute; peut modifier le r&eacute;el, imposez les pourtours de votre identit&eacute;, celle que voudraient dissoudre les fictions collectives impos&eacute;es quotidiennes&nbsp;: c&rsquo;est l&agrave; la Fin des Temps. L&rsquo;autofixion est plus qu&rsquo;un concept litt&eacute;raire, ampleur grandeur nature c&rsquo;est une arme potentielle, je r&eacute;p&egrave;te, quelle vie vous souhaitez-vous. Tracez-la en dix lignes, parchemin consacr&eacute;, nouez un ruban violet, faites des croix tout autour. Ici l&rsquo;ultime passe-passe, imaginez-vous tous, vos chemins se d&eacute;ploient s&rsquo;entrecroisent se chevauchent, prenez jouissez-en tous, je vous l&egrave;gue la formule, quelle vie en ferez-vous&nbsp;<a href="#_ftn66" name="_ftnref66">[66]</a>&nbsp;?</p> </blockquote> <p>L&rsquo;acte de modification du r&eacute;el a besoin d&rsquo;un sortil&egrave;ge qui a recours au conte merveilleux &ndash;&eacute;voqu&eacute; par le grimoire et le miroir&nbsp;&ndash; pour &laquo;&nbsp;dresser les contours et d&eacute;finir les r&egrave;gles de [la] petite histoire&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;encadrer l&rsquo;inconnu pour mieux le lib&eacute;rer&nbsp;<a href="#_ftn67" name="_ftnref67">[67]</a>.&nbsp;&raquo; La morphologie du conte remonte &agrave; la surface &ndash;&nbsp;l&rsquo;auteure &agrave; la page pr&eacute;c&eacute;dente parle d&rsquo;adjuvant&nbsp;&ndash; et se m&ecirc;le au topos chevaleresque de la qu&ecirc;te&nbsp;sugg&eacute;r&eacute; par les termes reli&eacute;s &agrave; l&rsquo;id&eacute;e de tour &ndash;&nbsp;<em>pourtour</em>,&nbsp;<em>passe-passe</em>&nbsp;&ndash; et surtout par l&rsquo;allusion au carrefour, lieu de passage par excellence. La symbolique de la rencontre avec le destin, l&rsquo;inqui&eacute;tude associ&eacute;e &agrave; l&rsquo;inconnu, se relie au fait qu&rsquo;une crois&eacute;e de chemins indique qu&rsquo;il faut prendre une orientation. Comme le dit le&nbsp;<em>Dictionnaire des Symboles</em>,</p> <blockquote> <p>D&rsquo;apr&egrave;s l&rsquo;enseignement symbolique de toutes les traditions, un arr&ecirc;t au carrefour semble de rigueur, comme si une pause de r&eacute;flexion, de recueillement sacr&eacute;, voire de sacrifice, &eacute;tait n&eacute;cessaire avant la poursuite du chemin choisi. [&hellip;] Dans la v&eacute;ritable aventure humaine, l&rsquo;aventure int&eacute;rieure, au carrefour, on ne retrouve jamais que soi&nbsp;: on a esp&eacute;r&eacute; une r&eacute;ponse d&eacute;finitive, il n&rsquo;y a que de nouvelles routes, de nouvelles &eacute;preuves, de nouvelles marches qui s&rsquo;ouvrent. Le carrefour n&rsquo;est pas une fin, c&rsquo;est une halte, une invitation &agrave; aller au-del&agrave;&nbsp;<a href="#_ftn68" name="_ftnref68">[68]</a>.</p> </blockquote> <p>L&rsquo;originalit&eacute; de Chlo&eacute; Delaume est celle de ne pas choisir une voie face aux carrefours qu&rsquo;elle rencontre et qu&rsquo;elle cr&eacute;e, mais d&rsquo;embrasser l&rsquo;ensemble des possibilit&eacute;s en les basculant&nbsp;<a href="#_ftn69" name="_ftnref69">[69]</a>. Elle ne se limite pas &agrave; traverser le miroir, elle le brise dans son choix m&eacute;thodique de refuser tout syst&egrave;me binaire.</p> <h2><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h2> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>La r&egrave;gle du Je. Autofiction&nbsp;: un essai</em>, Paris, PUF, 2010, p.&nbsp;79. La citation du titre vient de&nbsp;<em>Une femme avec personne dedans</em>, Paris, Seuil, 2012, p.&nbsp;13.</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;<em>Id.</em>, p.&nbsp;77.</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;<em>Id</em>., p.&nbsp;7.</p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;V. Marika Piva, &laquo;&nbsp;Formes kal&eacute;idoscopiques&nbsp;: l&rsquo;hybridit&eacute; chez Chlo&eacute; Delaume&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Babel &ndash; Litt&eacute;ratures plurielles</em>, 33, 2016.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Corpus Simsi</em>, Paris, L&eacute;o Scheer, 2003, p.&nbsp;124.</p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;Bio&nbsp;&raquo; sur le&nbsp;<a href="http://www.chloedelaume.net/" target="_blank">site</a>&nbsp;de l&rsquo;auteure, jusqu&rsquo;&agrave; 2012.</p> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;Bio&nbsp;&raquo; sur le site de l&rsquo;auteure de 2012 &agrave; 2014.</p> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Une femme avec personne dedans</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.&nbsp;13.</p> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume, &laquo;&nbsp;Exercice &amp; d&eacute;finitions&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>Le roman, quelle invention&nbsp;! Assises du roman 2008</em>, Paris, Christian Bourgois, 2008&nbsp;; la pagination se r&eacute;f&egrave;re au fichier pdf t&eacute;l&eacute;chargeable sur&nbsp;le site de l&rsquo;auteure&nbsp;<a href="http://www.chloedelaume.net/?page_id=4510" target="_blank">ici</a>, p.&nbsp;1.</p> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>.</p> <p><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>.</p> <p><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume &amp; Jean-Charles Massera, &laquo;&nbsp;Pour nous en fait, &eacute;crire c&rsquo;est pas&hellip; mais plut&ocirc;t&hellip; et contrairement &agrave; ce qu&rsquo;on pourrait penser&hellip;&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>TINA</em>, 4, 2009, p. 118-133, p.&nbsp;120.</p> <p><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a>&nbsp;<em>Id</em>., p.&nbsp;121.</p> <p><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume, &laquo;&nbsp;Exercice &amp; d&eacute;finitions&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>loc. cit.</em>, p.&nbsp;1.</p> <p><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a>&nbsp;<em>Id.</em>, p.&nbsp;2.</p> <p><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>.</p> <p><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>.</p> <p><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a>&nbsp;Matteo Majorano, &laquo;&nbsp;Questions en attente&nbsp;&raquo;, dans M. Majorano (dir.),<em>&nbsp;Chercher la limite</em>, Bari, Edizioni B. A. Graphis, 2008, p.&nbsp;xiii-xvii, p.&nbsp;xiii-xiv.</p> <p><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume, &laquo;&nbsp;Exercice &amp; d&eacute;finitions&nbsp;&raquo;,<em>&nbsp;loc. cit.</em>, p.&nbsp;2.</p> <p><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume &amp; Jean-Charles Massera, &laquo;&nbsp;Pour nous en fait, &eacute;crire c&rsquo;est pas&hellip;&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>loc. cit.</em>, p.&nbsp;123.</p> <p><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a>&nbsp;<em>Id</em>., p.&nbsp;125.</p> <p><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a>&nbsp;<em>Id</em>., p.&nbsp;129.</p> <p><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a>&nbsp;<em>Id</em>., p.&nbsp;130.</p> <p><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a>&nbsp;V. Marika Piva, &laquo;&nbsp;<em>Autofiction&nbsp;</em>e&nbsp;<em>autocritique</em>. L&rsquo;<em>io&nbsp;</em>e il genere letterario nella letteratura francese contemporanea&nbsp;&raquo;, dans A. Gullotta &amp; F. Lazzarin (dir.),&nbsp;<em>Scritture dell&rsquo;io. Percorsi tra i generi autobiografici della letteratura europea contemporanea</em>, Bologna, I libri di Emil, 2010, p.&nbsp;13-29, en particulier p.&nbsp;22-29.</p> <p><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Une femme avec personne dedans</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.&nbsp;138.</p> <p><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a>&nbsp;Dans ce m&ecirc;me roman elle se dit &laquo;&nbsp;fig&eacute;e parce qu&rsquo;un jour d&eacute;finie, comme si ce n&rsquo;&eacute;tait pas moi qui &eacute;crivais l&rsquo;histoire&nbsp;&raquo; (<em>Id</em>., p.&nbsp;82).</p> <p><a href="#_ftnref28" name="_ftn28">[28]</a>&nbsp;<em>Id</em>., p.&nbsp;138-139.</p> <p><a href="#_ftnref29" name="_ftn29">[29]</a>&nbsp;A. Troin-Guis, &laquo;&nbsp;Une narrativisation singuli&egrave;re du f&eacute;minisme : lecture de quelques &oelig;uvres de Chlo&eacute; Delaume&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Postures, critique litt&eacute;raire</em>, 15, 2012, p.&nbsp;83-96, p.&nbsp;86.</p> <p><a href="#_ftnref30" name="_ftn30">[30]</a>&nbsp;Notamment &agrave; travers les outils m&eacute;thodologiques que met en place Judith Butler pour critiquer la notion de genre sexuel. L&rsquo;analyse m&egrave;ne &agrave; la conclusion que Chlo&eacute; Delaume donne &laquo;&nbsp;&agrave; penser, de mani&egrave;re d&eacute;tourn&eacute;e, la condition de la femme dans la soci&eacute;t&eacute; ainsi que la notion de genre, qu&rsquo;il soit sexuel ou litt&eacute;raire&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Id.</em>, p.&nbsp;94.</p> <p><a href="#_ftnref31" name="_ftn31">[31]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>.</p> <p><a href="#_ftnref32" name="_ftn32">[32]</a>&nbsp;Dominique Viart, &laquo;&nbsp;Les &ldquo;Fictions critiques&rdquo; dans la litt&eacute;rature contemporaine&nbsp;&raquo;, dans Matteo Majorano (dir.),&nbsp;<em>Le go&ucirc;t du roman</em>, Bari, Edizioni B.A. Graphis, 2002, p.&nbsp;30-46, p.&nbsp;30-31.</p> <p><a href="#_ftnref33" name="_ftn33">[33]</a>&nbsp;<em>Id.</em>, p.&nbsp;32.</p> <p><a href="#_ftnref34" name="_ftn34">[34]</a>&nbsp;<em>Id.</em>, p.&nbsp;46.</p> <p><a href="#_ftnref35" name="_ftn35">[35]</a>&nbsp;Dawn M. Cornelio, &laquo;&nbsp;Les limites de la narration min&eacute;e dans<em>&nbsp;Certainement pas</em>&nbsp;de Chlo&eacute; Delaume&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Contemporary French and Francophone Studies</em>, 13/4, 2009, p.&nbsp;423-430, p.&nbsp;425.</p> <p><a href="#_ftnref36" name="_ftn36">[36]</a>&nbsp;Marie-Pascale Huglo, &laquo;&nbsp;L&rsquo;art d&rsquo;encha&icirc;ner&nbsp;: la fluidit&eacute; dans le r&eacute;cit contemporain&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Prot&eacute;e</em>, 34/2-3, 2006, p.&nbsp;127-137, p.&nbsp;127.</p> <p><a href="#_ftnref37" name="_ftn37">[37]</a>&nbsp;La porosit&eacute; ne repr&eacute;sente pas toujours un aspect positif, notamment en ce qui concerne les aspects corporels. B&eacute;atrice Jongy (&laquo;&nbsp;Les &eacute;corch&eacute;es&nbsp;: Chlo&eacute; Delaume et Filipa Melo&nbsp;&raquo;, dans Hugues Marchal &amp; Anne Simon (dir.),&nbsp;<em>Projections : des organes hors du corps</em>, www.epistemocritique.org, 2008, p.&nbsp;71-79) fait remarquer &laquo;&nbsp;une inqui&eacute;tante communication entre l&rsquo;int&eacute;rieur et l&rsquo;ext&eacute;rieur&nbsp;&raquo; dans&nbsp;<em>Le cri du sablier&nbsp;</em>et, en soulignant les entorses grammaticales, la pauvret&eacute; de la ponctuation et les affirmations o&ugrave; l&rsquo;auteure d&eacute;clare avoir cherch&eacute; &laquo;&nbsp;une langue aussi ab&icirc;m&eacute;e que le corps de l&rsquo;enfant&nbsp;&raquo; et une &eacute;criture tiss&eacute;e de vers blancs qui &laquo;&nbsp;correspondent aux vers des cadavres parentaux&nbsp;&raquo;, elle constate comment &laquo;&nbsp;le langage se modifie avec le corps&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;72 et 75).</p> <p><a href="#_ftnref38" name="_ftn38">[38]</a>&nbsp;Marie-Pascale Huglo, &laquo;&nbsp;L&rsquo;art d&rsquo;encha&icirc;ner&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>loc. cit.</em>, p.&nbsp;135.</p> <p><a href="#_ftnref39" name="_ftn39">[39]</a>&nbsp;Evelyne Ledoux-Beaugrand,&nbsp;<em>Imaginaires de la filiation. La m&eacute;lancolisation du lien dans la litt&eacute;rature contemporaine des femmes</em>, Th&egrave;se de l&rsquo;Universit&eacute; de Montr&eacute;al, 2010, p.&nbsp;424.</p> <p><a href="#_ftnref40" name="_ftn40">[40]</a>&nbsp;Selon Ledoux-Beaugrand, qui limite son analyse aux deux premiers romans de l&rsquo;auteure, &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;nonciation a cess&eacute; de primer sur l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; et ces modalit&eacute;s scripturaires que sont l&rsquo;hybridit&eacute; g&eacute;n&eacute;rique et l&rsquo;exp&eacute;rimentation langagi&egrave;re cessent surtout d&rsquo;&ecirc;tre investies d&rsquo;un sens guerrier et r&eacute;volutionnaire&nbsp;&raquo; (<em>Id.</em>, p.&nbsp;426)&nbsp;; pour Virginie Sauzon (&laquo;&nbsp;Le rire comme enjeu f&eacute;ministe : une lecture de l&rsquo;humour dans&nbsp;<em>Les mouflettes d&rsquo;Atropos</em>&nbsp;de Chlo&eacute; Delaume et&nbsp;<em>Baise-moi&nbsp;</em>de Virginie Despentes&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Recherches f&eacute;ministes</em>, 25/ 2, 2012, p.&nbsp;65-81) l&rsquo;auteure a fond&eacute; sa r&eacute;volte sur un rire grin&ccedil;ant et probl&eacute;matique qui correspond &agrave; une forme d&rsquo;appropriation des codes des discours patriarcaux, psychanalytiques et religieux, mais la complexit&eacute; narrative, l&rsquo;&eacute;clatement du r&eacute;cit et la polyphonie rendent r&eacute;ductive une lecture militante de ses ouvrages.</p> <p><a href="#_ftnref41" name="_ftn41">[41]</a>&nbsp;Evelyne Ledoux-Beaugrand,&nbsp;<em>Imaginaires de la filiation</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.&nbsp;426.</p> <p><a href="#_ftnref42" name="_ftn42">[42]</a>&nbsp;Julien Piat,&nbsp;<em>L&rsquo;Exp&eacute;rimentation syntaxique dans l&rsquo;&eacute;criture du Nouveau Roman (Beckett, Pinget, Simon) Contribution &agrave; une histoire de la langue litt&eacute;raire dans les ann&eacute;es 1950</em>, Paris, Champion, 2011, p.&nbsp;9 et 10.</p> <p><a href="#_ftnref43" name="_ftn43">[43]</a>&nbsp;<em>Id.</em>, p.&nbsp;13.</p> <p><a href="#_ftnref44" name="_ftn44">[44]</a>&nbsp;<em>Id.</em>, p. 14.</p> <p><a href="#_ftnref45" name="_ftn45">[45]</a>&nbsp;Dawn M. Cornelio, &laquo;&nbsp;Les limites de la narration&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>loc. cit.</em>, p. 426.</p> <p><a href="#_ftnref46" name="_ftn46">[46]</a>&nbsp;&Agrave; titre d&rsquo;exemple, Jean-Bernard Vray (&laquo;&nbsp;Chlo&eacute; Delaume : la chanson revenante&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Revue critique de fixxion contemporaine</em>, 5, 2012, p. 32-40) s&rsquo;adonne &agrave; l&rsquo;analyse de l&rsquo;utilisation de la chanson dans&nbsp;<em>Dans ma maison sous terre</em>&nbsp;en rappelant, une fois de plus, que l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;auteure est caract&eacute;ris&eacute;e par l&rsquo;intertextualit&eacute;, la pratique du montage et l&rsquo;int&eacute;gration de la po&eacute;sie. Le critique parle d&rsquo;une &laquo;&nbsp;pratique de la r&eacute;f&eacute;rence hyper-allusive&nbsp;&raquo; qui requiert &laquo;&nbsp;un lecteur actif et coop&eacute;ratif&nbsp;&raquo; (p. 34).</p> <p><a href="#_ftnref47" name="_ftn47">[47]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Les mouflettes d&rsquo;Atropos</em>, [2000], Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Folio&nbsp;&raquo;, 2003, p.&nbsp;167 et 168. Le c&eacute;l&egrave;bre magicien de la l&eacute;gende arthurienne revient dans&nbsp;<em>Chanson de geste &amp; Opinions&nbsp;</em>(Vitry-sur-Seine, Mac/Val, 2007)<em>&nbsp;</em>o&ugrave; il d&eacute;livre un indice pour trouver l&rsquo;essence de PPP&nbsp;: aller chercher le fant&ocirc;me d&rsquo;Alexandre Lenoir (chapitre 2, &laquo;&nbsp;Ensuite&nbsp;&raquo; et chapitre 4 &laquo;&nbsp;Soudain&nbsp;&raquo; ; ici appara&icirc;t aussi la Dame du lac).</p> <p><a href="#_ftnref48" name="_ftn48">[48]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Le cri du sablier</em>, [2001], Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Folio&nbsp;&raquo;, 2003, p.&nbsp;110-111. Dans&nbsp;<em>Chanson de geste &amp; Opinions</em>&nbsp;(<em>op. cit.</em>) le chevalier r&eacute;appara&icirc;t&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le malheureux faisait une crise de nerfs devant&nbsp;<em>Le Pot dor&eacute;&nbsp;</em>de Jean-Pierre Raynaud, il avait eu un mal de chien &agrave; s&rsquo;infiltrer dans une faille spatio-temporelle, c&rsquo;&eacute;tait toujours pas le Graal, il en avait ras le bol&nbsp;&raquo; (chapitre 9 &laquo;&nbsp;R&eacute;solution&nbsp;&raquo;, n.p.).</p> <p><a href="#_ftnref49" name="_ftn49">[49]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>La derni&egrave;re fille avant la guerre</em>, Paris, Na&iuml;ve, 2007, p.&nbsp;42&nbsp;; le corps mineur de la police d&rsquo;&eacute;criture identifie dans ce chapitre la voix de Chlo&eacute; Delaume alors que la narratrice principale est Anne, l&rsquo;ancien Je dont le personnage de fiction Chlo&eacute; Delaume a pris possession.</p> <p><a href="#_ftnref50" name="_ftn50">[50]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Chanson de geste &amp; Opinions</em>,&nbsp;<em>op. cit</em>., chapitre 1 &laquo;&nbsp;Situation initiale&nbsp;&raquo;, n.p.</p> <p><a href="#_ftnref51" name="_ftn51">[51]</a>&nbsp;R&eacute;f&eacute;rence au film d&rsquo;anticipation de Richard Fleisher,&nbsp;<em>Soylent Green</em>, 1973.</p> <p><a href="#_ftnref52" name="_ftn52">[52]</a>&nbsp;De fa&ccedil;on similaire, la premi&egrave;re halte du duc d&rsquo;Auge dans sa qu&ecirc;te est &laquo;&nbsp;aux portes du royaume, [dans] une taverne pittoresque o&ugrave; se buvait du cidre devant un spectacle de travestis&nbsp;&raquo; (chapitre 3 &laquo;&nbsp;Juste avant&nbsp;&raquo;, n.p.), ce qui n&rsquo;est pas sans rappeler une sc&egrave;ne du film d&rsquo;animation&nbsp;<em>Shrek 2&nbsp;</em>(DreamWorks, 2004), une parodie parfois f&eacute;roce des contes de f&eacute;es.</p> <p><a href="#_ftnref53" name="_ftn53">[53]</a>&nbsp;Dans &laquo;&nbsp;Je d&eacute;sire que Madame soit belle&nbsp;&raquo; (&laquo;&nbsp;Vu &agrave; la T&eacute;l&eacute;&nbsp;&raquo;, rubrique de&nbsp;<em>Le Matricule des Anges</em>, 2006), id&eacute;e qui est d&eacute;velopp&eacute;e dans&nbsp;<em>J&rsquo;habite dans la t&eacute;l&eacute;vision</em>&nbsp;(pi&egrave;ce 23/27&nbsp;<em>Du programme de la t&eacute;l&eacute;r&eacute;alit&eacute; comme narration soumise aux principes de Vladimir Propp&nbsp;: &eacute;tude du personnage du candidat gagnant</em>) &agrave; propos du programme&nbsp;<em>Star Academy</em>&nbsp;auquel l&rsquo;auteure applique les 31 fonctions de la morphologie en citant un ouvrage fictif de Clotilde M&eacute;lisse ayant pour titre&nbsp;<em>Morphologie de la&nbsp;</em>Star Academy (Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>J&rsquo;habite dans la t&eacute;l&eacute;vision</em>, [2006], Paris, J&rsquo;ai lu, 2008, p.&nbsp;132).</p> <p><a href="#_ftnref54" name="_ftn54">[54]</a>&nbsp;V. &agrave; ce propos Marika Piva,&nbsp;<em>Nimphaea in fabula.&nbsp;</em><em>Le bouquet d&rsquo;histoires de Chlo&eacute; Delaume</em>, Passignano sul Trasimeno, Aguaplano, 2012, p.&nbsp;36-38.</p> <p><a href="#_ftnref55" name="_ftn55">[55]</a>&nbsp;V., entre autres, David Herman (dir.),&nbsp;<em>Narrative Theory and the Cognitive Sciences</em>, Chicago, University of Chicago Press, 2003. Comme le r&eacute;sume bien Anatole-Pierre Fuksas (&laquo;&nbsp;Selezionismo e&nbsp;<em>Conjointure</em>&nbsp;&raquo;, dans A. Abruzzese &amp; I. Pezzini (dir.),&nbsp;<em>Dal romanzo alle reti: soggetti e territori della grande narrazione moderna</em>, Torino, Testo &amp; Immagine, 2004, p.&nbsp;152-184, p.&nbsp;152-154), il y a trois types de mod&egrave;les&nbsp;: le syst&egrave;me bas&eacute; sur des proc&eacute;d&eacute;s g&eacute;n&eacute;ratifs&nbsp;<em>top-down</em>&nbsp;o&ugrave; le r&eacute;cit, r&eacute;gi par des relations s&eacute;mantiques et par des combinaisons d&rsquo;inf&eacute;rence syntaxique, est l&rsquo;effet de m&eacute;canismes d&eacute;ductifs&nbsp;; le mod&egrave;le&nbsp;<em>bottom-up&nbsp;</em>selon lequel le r&eacute;cit s&rsquo;organise dans une s&eacute;rie causale selon des m&eacute;canismes analogiques&nbsp;; l&rsquo;approche consid&eacute;rant la narration comme un r&eacute;seau de relations causales o&ugrave; les &eacute;l&eacute;ments du discours rel&egrave;vent aussi d&rsquo;une co-d&eacute;pendance au niveau logique. On reprend la conclusion du critique sur la matrice commune de l&rsquo;identification d&rsquo;universels du discours narratif (p.&nbsp;154).</p> <p><a href="#_ftnref56" name="_ftn56">[56]</a>&nbsp;V. Marika Piva,&nbsp;<em>Nimphaea in fabula</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.&nbsp;121-126.</p> <p><a href="#_ftnref57" name="_ftn57">[57]</a>&nbsp;V. Marika Piva,&nbsp;<em>Le syst&egrave;me binaire en fluctuation&nbsp;: la mise en fiction des sentiments chez Chlo&eacute; Delaume</em>, dans Matteo Majorano (dir.),&nbsp;<em>La giostra dei sentimenti</em>, Macerata, Quodlibet, 2015, p.&nbsp;215-233.</p> <p><a href="#_ftnref58" name="_ftn58">[58]</a>&nbsp;Pour revenir &agrave; la mati&egrave;re chevaleresque, si les textes arthuriens ont &eacute;t&eacute; souvent qualifi&eacute;s d&rsquo;assemblages incoh&eacute;rents d&rsquo;&eacute;pisodes, c&rsquo;est parce qu&rsquo;on n&rsquo;a pas reconnu la&nbsp;coh&eacute;rence de ce &laquo;&nbsp;vaste syst&egrave;me de sym&eacute;tries, de r&eacute;it&eacute;rations, d&rsquo;oppositions et de renversements&nbsp;&raquo; (Anita Guerreau-Jalabert, &laquo;&nbsp;Romans de Chr&eacute;tien de Troyes et contes folkloriques. Rapprochements et observations th&eacute;oriques&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Romania</em>, 104, 1993, p.&nbsp;1-48, p.&nbsp;21). C&rsquo;est donc gr&acirc;ce &agrave; la&nbsp;<em>conjointure</em>&nbsp;que la mati&egrave;re devient roman chez Chr&eacute;tien de Troye suite &agrave; une&nbsp;<em>dispositio&nbsp;</em>bas&eacute;e sur des associations de caract&egrave;re analogique demandant un d&eacute;chiffrage. Cette n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;un d&eacute;cryptage en &eacute;cho des structures de forme et des structures de sens s&rsquo;adapte bien &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre de Chlo&eacute; Delaume o&ugrave; la conjoncture joue un r&ocirc;le central et m&eacute;riterait une analyse syst&eacute;matique.</p> <p><a href="#_ftnref59" name="_ftn59">[59]</a>&nbsp;Sur l&rsquo;<em>iconicity assumption</em>&nbsp;v., entre autres, Suzanne Fleischman,&nbsp;<em>Tense and narrativity. From Medieval Performance to Modern Fiction</em>, Austin, University of Texas Press, 1990.</p> <p><a href="#_ftnref60" name="_ftn60">[60]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Une femme avec personne dedans</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.&nbsp;113.</p> <p><a href="#_ftnref61" name="_ftn61">[61]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>.</p> <p><a href="#_ftnref62" name="_ftn62">[62]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Certainement pas</em>, Paris, Verticales, 2004, p.&nbsp;145-148, 152, 296-299.</p> <p><a href="#_ftnref63" name="_ftn63">[63]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>La nuit je suis Buffy Summers</em>, Maisons-Alfort, &egrave;Re, 2007, p. 13.</p> <p><a href="#_ftnref64" name="_ftn64">[64]</a>&nbsp;<em>Id.</em>, p. 17.</p> <p><a href="#_ftnref65" name="_ftn65">[65]</a>&nbsp;V. Marika Piva,&nbsp;<em>Nimph&aelig;a in fabula</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.&nbsp;46-52.</p> <p><a href="#_ftnref66" name="_ftn66">[66]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Une personne avec personne dedans</em>,<em>&nbsp;op. cit.</em>, p.&nbsp;139-140.</p> <p><a href="#_ftnref67" name="_ftn67">[67]</a>&nbsp;<em>Id.</em>, p.&nbsp;139.</p> <p><a href="#_ftnref68" name="_ftn68">[68]</a>&nbsp;Jean Chevalier &amp; Alain Gheerbrant,&nbsp;<em>Dictionnaire des Symboles&nbsp;</em>[1969], Paris, Robert Laffont, 1982, p.&nbsp;175.</p> <p><a href="#_ftnref69" name="_ftn69">[69]</a>&nbsp;Ce refus de la rigidit&eacute; concerne aussi et surtout le Moi&nbsp;: &laquo;&nbsp;Des Moi monolithiques, pas la moindre scission, des personnalit&eacute;s sans troubles, stables, solides, dans l&rsquo;incapacit&eacute; de percevoir les efforts inou&iuml;s fournis au quotidien par le psychotique lambda, juste pour apprivoiser et ma&icirc;triser ses flux. Elle &eacute;tait &eacute;trang&egrave;re en leur terre normative, restait fid&egrave;le au peuple des pyjamas bleus&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Une femme avec personne dedans</em>,&nbsp;<em>op. cit</em>., p.&nbsp;60. Comme le dit son partenaire Daniel Schneidermann, &laquo;&nbsp;ce qui est bouleversant, [&hellip;] c&rsquo;est cette tentative permanente de faire cohabiter la reine et la p&eacute;tasse, la petite fille et la terroriste palestinienne, la funambule et l&rsquo;&eacute;pouse attentionn&eacute;e. Et la bonne harmonie qu&rsquo;elle parvient &agrave; maintenir, entre tous ces sous-personnages&nbsp;&raquo;, Chlo&eacute; Delaume &amp; Daniel Schneidermann,&nbsp;<em>O&ugrave; le sang nous appelle</em>, Paris, Seuil, 2013, p.&nbsp;39.</p> <h3>Auteur</h3> <p><strong>Marika Piva</strong>&nbsp;est ma&icirc;tre de conf&eacute;rences HDR en litt&eacute;rature fran&ccedil;aise &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; de Padoue. Sp&eacute;cialiste de Chateaubriand (<em>Memorie di seconda mano. La citazione nei&nbsp;</em>M&eacute;moires d&rsquo;outre-tombe&nbsp;<em>di Chateaubriand</em>, 2008&nbsp;;&nbsp;<em>Chateaubriand face aux traditions</em>, 2013), elle est membre d&rsquo;un groupe de recherche sur les litt&eacute;ratures europ&eacute;ennes de l&rsquo;extr&ecirc;me contemporain. Elle est l&rsquo;auteur d&rsquo;une monographie sur Chlo&eacute; Delaume (<em>Nimphaea in fabula. Le bouquet d&rsquo;histoires de Chlo&eacute; Delaume</em>, 2013) et de sa premi&egrave;re traduction en italien (<em>Narciso e i suoi spilli</em>&nbsp;/&nbsp;<em>Il lutto delle due sillabe</em>, 2016). Elle s&rsquo;int&eacute;resse notamment &agrave; l&rsquo;hybridation des genres, aux &eacute;critures du Je et &agrave; la r&eacute;&eacute;criture des contes de f&eacute;es.</p> <h3><strong>Copyright</strong></h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>