<h3>Abstract</h3> <p>While &ldquo;Chlo&eacute; Delaume&rdquo; was originally Nathalie Dalain&rsquo;s pseudonym, she has become, with the passage of time, an autonomous, independent, separate being. While these two undeniably share certain elements of their identities, saying they are identical is both na&iuml;ve and inaccurate. Primarily through the use examples from the author&rsquo;s work, supported by the newspaper articles relating her parents&rsquo; murder-suicide, this article traces the evolution and the function of the name and identity of Chlo&eacute; Delaume, and explicitly demonstrates how she is different from Dalain.</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p>Chlo&eacute; Delaume, autofiction, Nathalie Dalain, identity, performativity</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: right;"><strong><q>&nbsp;Je ne dis pas tout mais je peins tout.&nbsp;</q></strong></p> <p style="text-align: right;">Pablo Picasso</p> <p style="text-align: right;"><strong><q>&nbsp;[P]arce qu&rsquo;&eacute;crire, c&rsquo;est toujours cacher quelque chose de fa&ccedil;on qu&rsquo;ensuite, on le d&eacute;couvre.&nbsp;</q></strong></p> <p style="text-align: right;">Italo Calvino,&nbsp;<em>Si par une nuit d&rsquo;hiver un voyageur</em></p> <p style="text-align: right;"><strong><q>&nbsp;Qui d&eacute;tient le langage poss&egrave;de d&eacute;j&agrave; le pouvoir.&nbsp;</q></strong></p> <p style="text-align: right;">Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Les Sorci&egrave;res de la R&eacute;publique</em></p> <p>Quand elle &eacute;crit : &laquo;&nbsp;Je m&rsquo;appelle Chlo&eacute; Delaume. Je suis un personnage de fiction&nbsp;&raquo;, devrait-on la croire&nbsp;? Si celle qui le dit est en effet un personnage de fiction, quel est son rapport &agrave; l&rsquo;identit&eacute; de Nathalie Dalain qui figure sur ses papiers d&rsquo;identit&eacute; (&laquo;&nbsp;figurait&nbsp;&raquo; serait peut-&ecirc;tre plus exact, mais nous y reviendrons dans la conclusion)&nbsp;? Depuis 2000, on lit ces deux phrases-phares comme une rengaine r&eacute;currente et r&eacute;guli&egrave;re dans les textes principaux de l&rsquo;&eacute;crivaine qui s&rsquo;appelle et se fait appeler Chlo&eacute; Delaume. Toujours depuis cette m&ecirc;me ann&eacute;e de l&rsquo;arriv&eacute;e de Delaume sur la grande sc&egrave;ne litt&eacute;raire avec la publication des&nbsp;<em>Mouflettes d&rsquo;Atropos</em>, les journalistes, les lecteurs et les chercheurs semblent prendre plus ou moins pour acquis que, tout en se disant personnage de fiction, Chlo&eacute; Delaume n&rsquo;a fait que prendre le relais de l&rsquo;adulte qu&rsquo;est devenue Nathalie Dalain, la petite fille qui, le 30 juin 1983, &agrave; Bourg-la-Reine, a vu son p&egrave;re assassiner sa m&egrave;re avant de se suicider. L&rsquo;&eacute;crivaine le dit souvent, elle n&rsquo;&eacute;crit pas pour gu&eacute;rir de cet &eacute;pisode, mais pour se construire en d&eacute;pit de lui et contre lui, contre toutes les fictions collectives qui &eacute;chappent &agrave; son contr&ocirc;le.</p> <p>Depuis l&rsquo;av&egrave;nement de l&rsquo;autofiction, que l&rsquo;on admire ou trouve nombrilistes ceux et celles qui la pratiquent, les lecteurs et critiques de ces textes se livrent &agrave; c&oelig;ur joie au jeu du d&eacute;cryptage entre v&eacute;cu et fiction, souvent ricanant et pointant du doigt les &laquo;&nbsp;oublis&nbsp;&raquo;, les &laquo;&nbsp;mensonges&nbsp;&raquo; ou les &laquo;&nbsp;&eacute;carts&nbsp;&raquo;. Selon le point de vue du lecteur, il sera certainement possible de lire le pr&eacute;sent article, dont les recherches sont compl&eacute;t&eacute;es par des r&eacute;f&eacute;rences et des citations de documents externes au travail de Delaume publi&eacute;s ici pour la premi&egrave;re fois, comme participant &agrave; cette activit&eacute; de d&eacute;pistage comme s&rsquo;il s&rsquo;agissait d&rsquo;un roman &agrave; cl&eacute;, mais ce serait se m&eacute;prendre sur le but de son auteure. Celle-ci tient en effet &agrave; souligner des &laquo;&nbsp;&eacute;carts&nbsp;&raquo; entre vie et litt&eacute;rature, mais dans l&rsquo;unique but de d&eacute;montrer que, tout en ayant acc&egrave;s au pass&eacute; et aux souvenirs de Nathalie Dalain, Chlo&eacute; Delaume est irr&eacute;ductiblement autre, c&rsquo;est-&agrave;-dire quelqu&rsquo;un qui se construit d&eacute;lib&eacute;r&eacute;ment dans son &oelig;uvre, en partie du moins par le changement d&rsquo;identit&eacute; mais aussi en transcrivant &agrave; la fois la vie et la fiction dans ses textes. Nous organiserons notre r&eacute;flexion autour de l&rsquo;&eacute;volution de l&rsquo;identit&eacute; Chlo&eacute; Delaume, de la relation entre Delaume et Nathalie Dalain, et des diff&eacute;rentes versions du meurtre-suicide parental chez Delaume et dans des journaux, pour conclure par la possibilit&eacute; d&rsquo;une construction illocutoire dans la cr&eacute;ation de Chlo&eacute; Delaume.</p> <p>Aux environs du 19 novembre 2003&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, Delaume a cr&eacute;&eacute; et lanc&eacute; son site web, chloedelaume.net. Celui-ci se composait d&rsquo;une pi&egrave;ce sonore, d&rsquo;images de n&eacute;nuphars vert fluo, et de rubriques &laquo;&nbsp;actualit&eacute;s&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;corpus simsi&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;adaptations et cie &raquo;, &laquo;&nbsp;musique &eacute;lectronique&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;presse&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;liens&nbsp;&raquo;. Bien que tout soit de nature autobiographique puisqu&rsquo;il s&rsquo;agit du travail de l&rsquo;&eacute;crivaine, la rubrique &laquo;&nbsp;bio&nbsp;&raquo; n&rsquo;appara&icirc;t que vers le 25 f&eacute;vrier 2007. &Agrave; partir de cette date, un examen des incipit des diff&eacute;rentes rubriques &laquo;&nbsp;bio&nbsp;&raquo; du site permet de comprendre l&rsquo;&eacute;volution de Chlo&eacute; Delaume, surtout en ce qui concerne le descripteur &laquo;&nbsp;personnage de fiction&nbsp;&raquo; au fil des ann&eacute;es. Delaume a r&eacute;organis&eacute; le site web plusieurs fois, et mis &agrave; jour son autobiographie, comme on le voit dans le tableau ci-dessous, qui comporte une entr&eacute;e pour chaque modification importante.</p> <table style="width:800px;" width="576"> <tbody> <tr> <td width="89"> <p><strong>Date&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a></strong></p> </td> <td> <p><strong>Rubrique</strong></p> </td> <td width="412"> <p><strong>Description</strong></p> </td> </tr> <tr> <td width="89"> <p>07/05/07</p> </td> <td> <p>bio&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a></p> </td> <td width="412"> <p>Je m&rsquo;appelle Chlo&eacute; Delaume. Je suis un personnage de fiction. J&rsquo;ai pour principal habitacle un corps f&eacute;minin dat&eacute; du 10 mars 1973. Conception franco-libanaise, le n&eacute;ant pour signe particulier. Les locaux &eacute;taient insalubres lorsque j&rsquo;en ai pris possession.</p> </td> </tr> <tr> <td width="89"> <p>07/01/12</p> </td> <td> <p>Bio</p> </td> <td width="412"> <p>Le corps de Chlo&eacute; Delaume est n&eacute; le 10 mars 1973 dans le d&eacute;partement des Yvelines. Il ne se destinait &agrave; rien, aussi s&rsquo;est-il inscrit en Lettres Modernes &agrave; l&rsquo;or&eacute;e de ses dix-huit ans. L&rsquo;Universit&eacute; de Nanterre Paris X comportant la sp&eacute;cificit&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre en face de la gare et de l&rsquo;ANPE, il n&rsquo;acheva pas son m&eacute;moire de Ma&icirc;trise sur La Pataphysique chez Boris Vian et s&rsquo;engouffra de lui-m&ecirc;me dans le premier train menant nulle part.</p> <p>[&hellip;]</p> <p>Personnage de fiction qui s&rsquo;&eacute;crira lui-m&ecirc;me, le pacte &eacute;tait formel et je m&rsquo;y suis tenu.</p> </td> </tr> <tr> <td width="89"> <p>30/03/14</p> </td> <td> <p>accueil</p> </td> <td width="412">Chlo&eacute; Delaume est &eacute;crivaine et personnage de fiction ; son premier roman est paru en 2000. Elle pratique la litt&eacute;rature et ses hybridations, exp&eacute;rimente des formes, investit des espaces, s&rsquo;essaie &agrave; des techniques.</td> </tr> <tr> <td width="89"> <p>12/11/14</p> </td> <td> <p>Accueil</p> </td> <td width="412"> <p>Chlo&eacute; Delaume a 41 ans, elle est principalement auteur et personnage de fiction. De fait, elle est performeuse&nbsp;: pratique le Dire, c&rsquo;est faire.</p> </td> </tr> <tr> <td width="89"> <p>21/02/15</p> </td> <td> <p>(&nbsp;;</p> </td> <td width="412"> <p>Chlo&eacute; Delaume est &eacute;crivain et performeuse.</p> <p>Ses premiers textes ont &eacute;t&eacute; publi&eacute;s dans des revues litt&eacute;raires et po&eacute;tiques &agrave; la fin des ann&eacute;es 90. Son premier roman,&nbsp;<em>Les Mouflettes d&rsquo;Atropos</em>, a &eacute;t&eacute; publi&eacute; par feues les &Eacute;ditions Farrago en 2000. Apr&egrave;s avoir obtenu le Prix D&eacute;cembre 2001 pour<em>&nbsp;Le Cri du Sablier</em>, elle a poursuivi son exploration de l&rsquo;autofiction &agrave; travers de multiples supports, techniques et outils.</p> </td> </tr> <tr> <td width="89"> <p>31/03/16</p> </td> <td> <p>(&nbsp;;</p> </td> <td width="412"> <p>Chlo&eacute; Delaume est n&eacute;e en 1973. Elle pratique l&rsquo;&eacute;criture sous de nombreuses formes&nbsp;depuis la fin des ann&eacute;es 90. Romans, autofictions exp&eacute;rimentales, livres-jeux, nouvelles, fragments po&eacute;tiques,&nbsp;pi&egrave;ces de th&eacute;&acirc;tre, essais romanc&eacute;s&nbsp;; fictions radiophoniques, dialogues, chansons ; un court-m&eacute;trage.</p> </td> </tr> </tbody> </table> <p>Ce d&eacute;fil&eacute; de descriptions de soi en pleine mutation dynamique suscite plusieurs commentaires. Tout d&rsquo;abord il faut constater que Nathalie est enti&egrave;rement absente de ces notices autobiographiques&nbsp;; elle n&rsquo;y a pas de r&ocirc;le &agrave; jouer, elle est exclue et le site est enti&egrave;rement vou&eacute; &agrave; Delaume &ndash;&nbsp;sa vie et son &oelig;uvre. Aussi, le premier portrait est rest&eacute; inchang&eacute; pendant environ cinq ans et se raconte &agrave; la premi&egrave;re personne &ndash;&nbsp;le nouveau Je se cr&eacute;e et s&rsquo;affirme de toutes ses forces. Avec le premier changement de description vient aussi le changement le plus radical sur le plan grammatical en 2012, l&rsquo;&eacute;crivaine passe de la premi&egrave;re personne du singulier &agrave; la troisi&egrave;me, mais insistant un tant soit peu sur les particularit&eacute;s de l&rsquo;identit&eacute; de Chlo&eacute; Delaume en disant que c&rsquo;est son corps qui &laquo;&nbsp;est n&eacute; le 10 mars 1973 dans le d&eacute;partement des Yvelines &raquo;. Tout comme le Je de la premi&egrave;re autobiographie, le corps dispara&icirc;tra de celles qui suivront &agrave; partir de 2014. &Agrave; partir de ce moment, ce seront la place et l&rsquo;importance accord&eacute;es &agrave; la formule &laquo;&nbsp;personnage de fiction&nbsp;&raquo; dans cette s&eacute;rie qui se montreront dignes d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t. Dans la notice de 2007, cette remarque est presque l&rsquo;&eacute;cho de l&rsquo;annonce du nom&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je m&rsquo;appelle Chlo&eacute; Delaume. Je suis un personnage de fiction &raquo; &ndash;&nbsp;la sym&eacute;trie et le positionnement en d&eacute;but de notice en disent long sur l&rsquo;importance du nom et son statut comme personnage de fiction. Malgr&eacute; d&rsquo;autres modifications et mises &agrave; jour, cette conjonction du nom et du statut reste inchang&eacute;e sur le site web pendant environ cinq ans. En 2012, les informations de l&rsquo;autobiographie sont augment&eacute;es, et la mention &laquo;&nbsp;personnage de fiction&nbsp;&raquo; se voit rel&eacute;gu&eacute;e &agrave; une position bien plus basse sur la page. Dans les deux mises &agrave; jour de 2014, la formule se trouve de nouveau plus proche du nom de l&rsquo;auteur en t&ecirc;te d&rsquo;article, mais sans la sym&eacute;trie sonore not&eacute;e dans la premi&egrave;re version. De plus, le statut d&rsquo;&eacute;crivaine ou d&rsquo;auteur intervient entre le nom et sa description de personnage de fiction, ce qui t&eacute;moigne d&rsquo;un changement subtil mais r&eacute;el de l&rsquo;importance qui lui est accord&eacute;e dans une hi&eacute;rarchie de descriptions. Finalement, dans les deux derniers exemples du tableau ci-dessous, on voit que la mention &laquo;&nbsp;personnage de fiction&nbsp;&raquo; est enti&egrave;rement absente de la page d&rsquo;accueil repr&eacute;sent&eacute;e par l&rsquo;&eacute;moticon (&nbsp;; . Par contre, la mention n&rsquo;est pas pour autant ray&eacute;e du site, revenant dans le sous-titre de la page &laquo;&nbsp;Parcours&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Vie, saisons, &eacute;pisodes&nbsp;/ Les aventures d&rsquo;un personnage de fiction pire que les autres&nbsp;: R&eacute;sum&eacute; des nombreux &eacute;pisodes pr&eacute;c&eacute;dents.&nbsp;&raquo; Loin des yeux, peut-&ecirc;tre, mais pas absent du c&oelig;ur (du site web).</p> <p>Tout comme c&rsquo;est le cas des romans de Delaume, la lecture approfondie des diff&eacute;rentes versions du site web montre que bien des &eacute;l&eacute;ments de la vie de Nathalie Dalain se trouvent mis en fiction chez l&rsquo;&eacute;crivaine. Cette strat&eacute;gie de la part de l&rsquo;auteure m&egrave;ne &agrave; une confusion des identit&eacute;s qui est d&eacute;lib&eacute;r&eacute;e mais contre laquelle il faut aussi se mettre en garde. Tout en &eacute;tant une strat&eacute;gie de lecture probl&eacute;matique, prendre pour acquis que Chlo&eacute; Delaume&nbsp;= Nathalie Dalain d&eacute;guis&eacute;e en romanci&egrave;re et faire l&rsquo;amalgame des deux se comprend. D&rsquo;une part, le lecteur trouve les d&eacute;tails du meurtre-suicide et aussi parfois le nom de Nathalie ou m&ecirc;me Anne dans les textes autofictifs de l&rsquo;auteure Delaume o&ugrave; elle-m&ecirc;me laisse se profiler plus que des ressemblances. D&rsquo;autre part, cela arrive parce que les r&eacute;f&eacute;rences &agrave; la vie de Nathalie &ndash;&nbsp;rep&ecirc;ch&eacute;es dans l&rsquo;&oelig;uvre delaumienne, mais sans v&eacute;rification externe&nbsp;&ndash; ont &eacute;t&eacute; consid&eacute;rablement reprises et r&eacute;p&eacute;t&eacute;es dans les articles savants et journalistiques, ainsi que sur des sites web populaires et universitaires, faisant donc d&rsquo;elles la biographie de Delaume apr&egrave;s coup. &Agrave; l&rsquo;encontre de la plupart des autofictionalistes qui &eacute;crivent sous pseudonyme (pour ne mentionner que Michel Houellebecq et Camille Laurens, par exemple), Delaume accorde une place privil&eacute;gi&eacute;e &agrave; son nouveau nom sans exclure celui qui l&rsquo;a pr&eacute;c&eacute;d&eacute;. Par exemple, dans&nbsp;<em>Derni&egrave;re fille avant la guerre</em>&nbsp;(2007), un petit pr&eacute;nom et deux phrases font astucieusement le pont entre Delaume et Nathalie (dont le deuxi&egrave;me pr&eacute;nom est Anne)&nbsp;: &laquo;&nbsp;Anne est morte je crois. Peut-&ecirc;tre qu&rsquo;elle avait raison, que je n&rsquo;aspirais qu&rsquo;&agrave; la tuer, elle &eacute;tait tellement encombrante&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>&nbsp;[&hellip;]&nbsp;&raquo; Selon l&rsquo;auteure il n&rsquo;y a pas de doute, Nathalie ne fait plus partie de ce monde, Chlo&eacute; Delaume s&rsquo;en est bel et bien d&eacute;barrass&eacute;.</p> <p>Cependant, si Nathalie&nbsp;/Anne pointe juste le bout du nez dans&nbsp;<em>Derni&egrave;re fille,&nbsp;</em>cela n&rsquo;est qu&rsquo;un petit &eacute;cho de sa pr&eacute;sence dans&nbsp;<em>La Vanit&eacute; des Somnambules&nbsp;</em><a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>&nbsp;(2003), quatri&egrave;me des r&eacute;cits de l&rsquo;auteure, o&ugrave; &agrave; tour de r&ocirc;le Nathalie et Delaume prennent chacune la parole en se disputant le titre de ma&icirc;tresse du corps physique qui ne saurait les h&eacute;berger toutes les deux en m&ecirc;me temps. Ceci dit, bien que ce soit Nathalie qui triomphe et garde possession du corps &agrave; la fin de ce r&eacute;cit, la conclusion de&nbsp;<em>Dans ma maison sous la terre</em>, texte publi&eacute; 6 ans apr&egrave;s&nbsp;<em>La</em>&nbsp;<em>Vanit&eacute;</em><a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>, informe le lectorat de la mort de Nathalie&nbsp;: &laquo;&nbsp;Nathalie, Anne, Hann&eacute;, Suzanne Dalain &agrave; l&rsquo;&eacute;tat civil. Fant&ocirc;mes envahissants et parfaitement geignards. Sont reli&eacute;s &agrave; la m&egrave;re, se nourrissent de sa terre, ne m&acirc;chent que des vers blancs. Mortes en 1999&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>.&nbsp;&raquo; La narratrice accompagne cette annonce de sa suggestion pour l&rsquo;inscription &agrave; graver sur la tombe que Nathalie partagerait avec sa m&egrave;re, et ses grands-parents maternels&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je propose que sur la st&egrave;le, avant Suzanne, apr&egrave;s Charles et Soazick, soit grav&eacute; Nathalie. Nathalie Dalain (1973&nbsp;-1999). Comme &ccedil;a les choses seront claires, et vous pourrez enfin, quand perceront les remords, un peu vous recueillir&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>.&nbsp;&raquo; L&rsquo;annonce de la date de 1999 sert implicitement mais fermement &agrave; souligner la distinction entre Chlo&eacute; Delaume et Nathalie Dalain puisque la date du d&eacute;c&egrave;s de celle-ci pr&eacute;c&egrave;de la publication de tous les r&eacute;cits de Delaume.</p> <p>Seulement un an apr&egrave;s la publication de&nbsp;<em>Dans ma maison</em>, Delaume insiste de nouveau sur la mort de Nathalie dans&nbsp;<em>La R&egrave;gle du Je&nbsp;</em>(2010), l&rsquo;essai th&eacute;orique o&ugrave; elle expose sa pratique autofictionnelle et donc un texte qui devrait &ecirc;tre class&eacute; dans une cat&eacute;gorie &agrave; part des romans autofictifs. Dans cet essai, Delaume &eacute;crit d&rsquo;abord&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mon corps est n&eacute; dans les Yvelines le 10 mars mille neuf cent soixante-treize, j&rsquo;ai attendu longtemps avant de m&rsquo;y lover. [&hellip;] J&rsquo;ai tr&egrave;s officiellement pris possession des lieux l&rsquo;&eacute;t&eacute; de ses vingt-six ans&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>.&nbsp;&raquo; Plus loin, elle revient &agrave; la relation Chlo&eacute;-Nathalie, et ajoute le fait que &laquo;&nbsp;Chlo&eacute; Delaume est un personnage de fiction cr&eacute;&eacute; par Nathalie Dalain (1973-1999). Elle a pris le relais dans le corps, et elle s&rsquo;&eacute;crit avec depuis&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>.&nbsp;&raquo; Il convient de s&rsquo;arr&ecirc;ter un instant pour bien comprendre cette derni&egrave;re phrase capitale dans la distinction Delaume/Dalain. Delaume, dans ce cas essayiste et non pas romanci&egrave;re, dit bien qu&rsquo;elle prend &laquo;&nbsp;le relais&nbsp;&raquo;, alors il serait facile de la voir comme celle qui a remplac&eacute; Dalain dans l&rsquo;accomplissement d&rsquo;une t&acirc;che qui leur est commune&nbsp;: raconter le pass&eacute; de Nathalie par le biais de l&rsquo;autofiction telle que con&ccedil;ue par Delaume. Mais, ce dont l&rsquo;&eacute;crivaine prend le relais dans cette phrase n&rsquo;est pas la vie de la fille de Soazick et Sylvain&nbsp;; ce dont elle prend le relais, c&rsquo;est le corps, dont gr&acirc;ce &agrave; la mort de Nathalie, Chlo&eacute; Delaume est maintenant bel et bien la ma&icirc;tresse. Ce corps, c&rsquo;est la charni&egrave;re entre les deux identit&eacute;s, et aussi ce qui, gr&acirc;ce aux traces physiques laiss&eacute;es par les &eacute;v&eacute;nements pass&eacute;s, permet &agrave; Chlo&eacute; Delaume d&rsquo;avoir acc&egrave;s au pass&eacute; de Nathalie sans &ecirc;tre exactement la m&ecirc;me personne.</p> <p>De surcro&icirc;t, dans plusieurs textes, l&rsquo;&eacute;crivaine propose la notion selon laquelle ce corps est un endroit, un lieu d&rsquo;h&eacute;bergement. Par exemple, toujours dans&nbsp;<em>La R&egrave;gle</em>, elle fait ainsi&nbsp;le lien&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les locaux &eacute;taient sombres et plut&ocirc;t insalubres, j&rsquo;ai pass&eacute; une saison &agrave; blanchir &agrave; la chaux les parois cervicales. Les nerfs &eacute;taient hirsutes et le c&oelig;ur en lambeaux, j&rsquo;ai mis beaucoup de temps &agrave; le raccommoder&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>.&nbsp;&raquo; Par extension de la m&eacute;taphore d&rsquo;un lieu d&rsquo;habitation, le lien peut se faire entre le corps d&rsquo;o&ugrave; Delaume a chass&eacute; Nathalie et deux habitants successifs d&rsquo;une m&ecirc;me maison. Dans ce cas, un deuxi&egrave;me habitant peut prendre connaissance de la vie du premier par des traces laiss&eacute;es dans la maison et ainsi avoir une connaissance de l&rsquo;existence qui y a &eacute;t&eacute; men&eacute;e. D&rsquo;ailleurs, dans un second texte th&eacute;orique, &laquo;&nbsp;S&rsquo;&eacute;crire, mode d&rsquo;emploi&nbsp;&raquo;, publi&eacute; dans l&rsquo;ouvrage collectif vou&eacute; au colloque Autofiction tenu &agrave; Cerisy-la-Salle en 2008, cette analogie est rendue explicite&nbsp;: &laquo;&nbsp;la vie marque le corps et le corps retransmet. &Agrave; la langue d&rsquo;effectuer le travail de conversion&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>.&nbsp;&raquo; Il se comprend donc que Chlo&eacute; Delaume, en investissant le corps de Nathalie Dalain, a pu prendre connaissance de sa vie, qu&rsquo;elle raconte en partie dans son autofiction. Toutefois, le changement de propri&eacute;taire n&rsquo;&eacute;limine pas l&rsquo;histoire qui s&rsquo;est d&eacute;roul&eacute;e dans une maison, et tout comme le deuxi&egrave;me habitant de la maison y construit sa propre vie tout en gardant le papier-peint mais en refaisant cuisine et salle de bains, Chlo&eacute; Delaume, dans ses textes, choisit des aspects de la vie ant&eacute;rieure qu&rsquo;elle int&egrave;gre dans l&rsquo;autofiction qu&rsquo;elle construit depuis 2000.</p> <p>La sc&egrave;ne pr&eacute;cise de la vie de Nathalie qui attire le plus l&rsquo;attention du public et des chercheurs &ndash;&nbsp;la sc&egrave;ne o&ugrave; m&ecirc;me le corps de celle-ci en sort marqu&eacute;&nbsp;&ndash; c&rsquo;est celle du meurtre&nbsp;-suicide parental. Les deux exemples les plus concis et explicites figurent dans deux textes s&eacute;par&eacute;s d&rsquo;une dizaine d&rsquo;ann&eacute;es,&nbsp;<em>Le Cri du sablier</em>&nbsp;et&nbsp;<em>O&ugrave; le sang nous appelle</em>. Le premier, int&eacute;gr&eacute; au&nbsp;<em>Cri&nbsp;</em>se transmet comme une r&eacute;ponse au psychiatre qui veut tout savoir sur ce qui s&rsquo;est pass&eacute; le 30 juin 1983&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Mon synopsis&nbsp;est clair. En banlieue parisienne il y avait une enfant. Elle avait deux nattes brunes, un p&egrave;re et une maman. En fin d&rsquo;apr&egrave;s-midi le p&egrave;re dans la cuisine tira &agrave; bout&nbsp;portant. La m&egrave;re tomba premi&egrave;re. Le p&egrave;re visa l&rsquo;enfant. Le p&egrave;re se ravisa, posa genoux &agrave; terre et enfouit le canon tout au fond de sa gorge. Sur sa joue gauche l&rsquo;enfant&nbsp;re&ccedil;ut fragment cervelle. Le p&egrave;re avait perdu la t&ecirc;te sut conclure la grand-m&egrave;re lorsqu&rsquo;elle apprit le drame&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>.</p> </blockquote> <p>Le deuxi&egrave;me fait partie de&nbsp;<em>O&ugrave; le sang nous appelle</em>, texte sign&eacute; en tandem avec le journaliste Daniel Schneidermann, l&rsquo;actuel conjoint de Delaume. Ce texte, annonc&eacute; comme le dernier du cycle autofictif, pr&eacute;sente&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>, en partie, le face-&agrave;-face avec le p&egrave;re et sa famille, &agrave; Kobayat, au Liban, mais n&rsquo;esquive pas pour autant le face-&agrave;-face avec le crime et son contexte&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Trente ans apr&egrave;s, comment r&eacute;sumer le fait divers&nbsp;? On pourrait essayer ainsi&nbsp;: c&rsquo;est le d&eacute;but de l&rsquo;&eacute;t&eacute;, on va partir en vacances. On est tous dans la cuisine. Il semble que papa n&rsquo;est pas d&rsquo;accord avec ce d&eacute;part en vacances. On s&rsquo;en fiche. On va partir sans lui. Dans l&rsquo;escalier, la petite Nini l&rsquo;a un peu nargu&eacute;. On s&rsquo;en va lalal&egrave;re. Nini est n&eacute;e Nathalie Abdallah, r&eacute;cemment francis&eacute;e Nathalie Dalain, et ne sait pas du tout qu&rsquo;elle deviendra Chlo&eacute; Delaume. Il faut croire que papa n&rsquo;est vraiment pas content. Tout d&rsquo;un coup papa prend son fusil et le dirige vers maman. Et puis il tire. Ensuite il vise la petite Nini recroquevill&eacute;e dans un coin de la cuisine. Mais heureusement il ne tire pas. &Agrave; la place, il retourne le fusil contre lui, cale le canon sous son menton, et il tire encore. La petite Nini ne partira pas en vacances cette ann&eacute;e, lalal&egrave;re. Pour l&rsquo;instant, elle est &eacute;clabouss&eacute;e par des morceaux de cervelle, que des voisins vont venir nettoyer, apr&egrave;s l&rsquo;arriv&eacute;e de la police. Mais c&rsquo;est une enfant solide. Elle perd quelques mois l&rsquo;usage de la parole, puis elle est recueillie par son oncle et sa tante maternels qui habitent les Yvelines, dans un HLM&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>.</p> </blockquote> <p>Dans ces deux extraits, le lecteur est surtout conscient du fait que c&rsquo;est une enfant qui a assist&eacute; &agrave; cette sc&egrave;ne criminelle&nbsp;: des &laquo;&nbsp;nattes brunes&nbsp;&raquo; qu&rsquo;on voit dans le premier au &laquo;&nbsp;lalal&egrave;re&nbsp;&raquo; qu&rsquo;on entend &ndash; deux fois &ndash; dans le deuxi&egrave;me, tous les marqueurs soulignent le bas &acirc;ge du t&eacute;moin. Bien qu&rsquo;elles soient de longueur in&eacute;gale, les deux sc&egrave;nes partagent les m&ecirc;me d&eacute;tails &ndash;&nbsp;une petite famille, 3 personnes&nbsp;: p&egrave;re, m&egrave;re, et fille ; un lieu&nbsp;: leur cuisine&nbsp;; l&rsquo;ordre des coups et des morts&nbsp;: la m&egrave;re d&rsquo;abord, ensuite le p&egrave;re&nbsp;; la fille vis&eacute;e entre les deux mais pas tu&eacute;e et l&rsquo;effet imm&eacute;diat sur elle&nbsp;: les morceaux de cervelle qui lui tombent dessus. Il y a une unique suppression d&rsquo;une description &agrave; l&rsquo;autre&nbsp;: la mauvaise blague de la grand-m&egrave;re. La distinction entre les deux r&eacute;side surtout dans l&rsquo;ajout de d&eacute;tails dans la deuxi&egrave;me &ndash;&nbsp;le d&eacute;part en vacances imminent et l&rsquo;attitude n&eacute;gative du p&egrave;re, le canon du fusil enfoui &laquo;&nbsp;tout au fond de sa gorge&nbsp;&raquo; ou cal&eacute; &laquo;&nbsp;sous le menton&nbsp;&raquo;, le surnom et le changement de nom r&eacute;cent de la fille (ainsi que celui &agrave; venir), la description de celle-ci comme &laquo;&nbsp;une enfant&nbsp;&raquo; solide qui finira par vivre chez son oncle et tante. Ainsi, malgr&eacute; le glissement du temps de la narration du pass&eacute; vers le pr&eacute;sent historique, une distance dans le temps d&rsquo;une dizaine d&rsquo;ann&eacute;es, et le remaniement de quelques d&eacute;tails suppl&eacute;mentaires, les deux textes se ressemblent largement, surtout dans le ton distant et quasi neutre et l&rsquo;emploi de phrases courtes et simples qui scandent rythmiquement le d&eacute;roulement des &eacute;tapes de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement.</p> <p>Malgr&eacute; toutes ces ressemblances, il n&rsquo;est pas exclu de se poser tout de m&ecirc;me des questions concernant les diff&eacute;rences entre les deux mises en fiction des &eacute;v&eacute;nements. D&rsquo;ailleurs, dans des colloques et conf&eacute;rences o&ugrave; je pr&eacute;sentais des recherches sur le travail delaumien, il est arriv&eacute; qu&rsquo;on me demande si le crime avait vraiment eu lieu, car, dans les divergences, il y en a qui voient le signe du mensonge et l&rsquo;indice selon lequel Delaume aurait tout invent&eacute;. Comment alors g&eacute;rer ces diff&eacute;rences en regardant dans son ensemble non seulement les textes, mais le projet autofictionnel de l&rsquo;auteure&nbsp;? Un point de d&eacute;part serait d&rsquo;examiner des documents externes &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre de celle-ci. Ce sont les r&eacute;sultats de ces recherches en archives qui informeront le prochain point de notre analyse de la relation entre Nathalie Dalain et Chlo&eacute; Delaume.</p> <p>Les premiers documents &agrave; prendre en consid&eacute;ration &ndash; les plus neutres de tous &ndash; sont les documents officiels de la R&eacute;publique fran&ccedil;aise. Selon un extrait du registre civil de la ville de Versailles, d&eacute;livr&eacute; le 21 juillet 2014 &agrave; l&rsquo;auteure de cet article, Nathalie Anne Hann&eacute; Dalain &ndash;&nbsp;les pr&eacute;noms et nom d&eacute;j&agrave; vus dans les citations de&nbsp;<em>La Vanit&eacute;&nbsp;</em>et de&nbsp;<em>Derni&egrave;re fille&nbsp;</em>ci-dessus&nbsp;&ndash; y est bien n&eacute;e le 10 mars 1973 &ndash;&nbsp;date qui para&icirc;t aussi dans&nbsp;<em>La Vanit&eacute;</em>, ainsi que sur le site web. De m&ecirc;me, deux actes de d&eacute;c&egrave;s fournis le 16 juillet 2014 par la commune de Bourg-la-Reine confirment que Sylvain et Soazick (Leroux) Dalain sont d&eacute;c&eacute;d&eacute;s le 30 juin 1983 dans leur appartement au 32, rue Jean Roger Thorelle, dans la m&ecirc;me ville. Les &eacute;l&eacute;ments de base &ndash;&nbsp;noms, lieu, dates de naissance et de d&eacute;c&egrave;s &ndash; qui figurent dans les &eacute;crits de Chlo&eacute; Delaume b&eacute;n&eacute;ficient donc de cette preuve document&eacute;e de v&eacute;racit&eacute;.</p> <p>En revenant aux textes sign&eacute;s Delaume, il convient de remarquer que les r&eacute;f&eacute;rences &agrave; la sc&egrave;ne traumatique sont souvent accompagn&eacute;es d&rsquo;une autre r&eacute;p&eacute;tition&nbsp;: la formule &laquo;&nbsp;fait divers&nbsp;&raquo;, contre lequel l&rsquo;&eacute;crivaine s&rsquo;&eacute;crit et se construit, dans sa prise de position et de pouvoir litt&eacute;raire. D&egrave;s l&rsquo;ouverture du&nbsp;<em>Cri,&nbsp;</em>on lit&nbsp;: &laquo; Par-dessus la cro&ucirc;te fine de maman sur ma robe s&rsquo;&eacute;tala contigu&euml; la m&eacute;lassonne piti&eacute; le jus du parvenu la d&eacute;jection des pleutres qui jalousent en geignant le clinamen aride qui s&rsquo;abat sur tous ceux ornant&nbsp;<em>les faits divers&nbsp;</em><a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a><em>&nbsp;</em>&raquo; (c&rsquo;est moi qui souligne) ; et &laquo;&nbsp;Mais quand se p&eacute;trifie &agrave; l&rsquo;envie et aux sabres le chuintement poumonneux qui flagorne &agrave; tout vent il n&rsquo;est pas &eacute;tonnant qu&rsquo;amygdales&nbsp;<em>faits divers&nbsp;</em><a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a><em>&nbsp;</em>&raquo; (c&rsquo;est moi qui souligne). Dans les lignes d&rsquo;<em>O&ugrave; le sang nous appelle</em>&nbsp;qui pr&eacute;c&egrave;dent la narration du crime cit&eacute;e ci-dessus, un des coauteurs y revient encore&nbsp;: &laquo;&nbsp;La famille de Chlo&eacute; Delaume n&rsquo;est pas une famille, c&rsquo;est une blessure encore &agrave; vif. Un &eacute;clair rouge dans la cuisine d&rsquo;un appartement de Bourg-la-Reine, Hauts-de-Seine. Drame familial, titrent les manchettes de journaux. Le 30 juin 1983, il est probable que&nbsp;<em>Le Parisien</em>, &eacute;dition des Hauts-de-Seine, a titr&eacute; Drame familial. Trente ans apr&egrave;s, comment r&eacute;sumer&nbsp;<em>le fait divers</em><a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a><em>&nbsp;</em>?&nbsp;&raquo; (c&rsquo;est moi qui souligne). En fait, l&rsquo;expression &laquo;&nbsp;fait divers&nbsp;&raquo; revient r&eacute;guli&egrave;rement dans les &eacute;crits de Delaume et l&rsquo;&eacute;valuation des copies num&eacute;riques des textes donne le d&eacute;compte suivant&nbsp;:&nbsp;<em>O&ugrave; le sang nous appelle&nbsp;</em>(2013), 4 mentions&nbsp;;<em>&nbsp;Le Cri du sablier&nbsp;</em>(2001), 2 mentions ;&nbsp;<em>Le Deuil des deux syllabes&nbsp;</em>(2011), une mention ;&nbsp;<em>Une Femme avec personne dedans&nbsp;</em>(2012), une mention&nbsp;;<em>&nbsp;La Vanit&eacute; des Somnambules&nbsp;</em>(2003), une mention<em>.&nbsp;</em>N&eacute;anmoins, la formule ne figure pas dans tous les romans analys&eacute;s de cette mani&egrave;re, et se trouve absente des&nbsp;<em>Mouflettes d&rsquo;Atropos&nbsp;</em>(2000), de&nbsp;<em>Certainement pas&nbsp;</em>(2004), et de&nbsp;<em>Dans ma maison sous la terre&nbsp;</em>(2009). Alors afin de voir de pr&egrave;s contre quels faits divers, autrement dit des versions de son &laquo;&nbsp;histoire&nbsp;&raquo; qu&rsquo;elle ne contr&ocirc;le pas, Chlo&eacute; Delaume se construit, des recherches dans les archives des quotidiens,&nbsp;<em>France-Soir</em>&nbsp;et&nbsp;<em>Le Parisien</em>, se sont impos&eacute;es. Ces recherches ont montr&eacute; qu&rsquo;il existe trois versions journalistiques&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>&nbsp;du meurtre de Soazick Dalain et du suicide de Sylvain Dalain. Ces articles pr&eacute;sentent des diff&eacute;rences importantes entre eux, ainsi que, bien s&ucirc;r, des diff&eacute;rences avec les variantes incorpor&eacute;es &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre de Delaume.</p> <p>Avant donc de passer &agrave; une comparaison entre les articles de presse et les &eacute;crits de Delaume, il faut se faire une id&eacute;e du contenu et du contexte des trois articles, parus dans deux num&eacute;ros de&nbsp;<em>France soir</em>&nbsp;et un du&nbsp;<em>Parisien</em>, entre les 1<sup>er</sup>&nbsp;et 3 juillet 1983. L&rsquo;article paru dans&nbsp;<em>Le Parisien&nbsp;</em>est tr&egrave;s court, 72 mots seulement&nbsp;; mais les deux autres, bien plus longs et publi&eacute;s dans&nbsp;<em>France-Soir</em>, ne donnent pas seulement les d&eacute;tails du crime, mais esquissent aussi un portrait de la famille concern&eacute;e. Un tableau r&eacute;capitulatif permet de prendre connaissance des points saillants de chaque article&nbsp;:</p> <table style="width: 800px;" width="572"> <tbody> <tr> <td width="115">&nbsp;</td> <td width="152"><strong><em>France Soir</em>1 juillet 1983, p. 3195 mots</strong></td> <td width="152"><strong><em>France Soir</em>2 juillet 1983, p. 6444 mots</strong></td> <td width="152"><strong><em>Le Parisien</em>23 juillet 1983, p. 672 mots</strong></td> </tr> <tr> <td width="115">titre de l&rsquo;article</td> <td width="152">Drame de la rupture &agrave; Bourg-la-Reine // Le mari &eacute;vinc&eacute; tue sa femme et se suicide</td> <td width="152">Priv&eacute; de mer, le capitaine a craqu&eacute;, et tu&eacute; sa femme avant de se suicider &agrave; Bourg-la-Reine</td> <td width="152">Il tue sa femme et se suicide(Rubrique &laquo;&nbsp;En bref&nbsp;&raquo;)</td> </tr> <tr> <td width="115">heure/lieu</td> <td width="152">32 rue Roger Thorelle, &agrave; Bourg-la-Reine&nbsp;; jeudi&nbsp;; 17h</td> <td width="152">32, de la rue Jean-Roger Thorelle, &agrave; Bourg-la-Reine&nbsp;; jeudi&nbsp;; d&eacute;but de soir&eacute;e</td> <td width="152">son appartement &agrave; Bourg-la-Reine</td> </tr> <tr> <td width="115">le p&egrave;re</td> <td width="152">Sylvain&nbsp;Dalin ; 38 ans&nbsp;; d&rsquo;origine libanaise&nbsp;; officier de la marine marchande</td> <td width="152">Sylvain Dalin&nbsp;; capitaine au long cours&nbsp;; d&rsquo;origine libanaise&nbsp;; frapp&eacute; d&rsquo;une crise de folie subite&nbsp;; courtois avec les femmes</td> <td width="152">Sylvain Dalain&nbsp;; officier de la marine marchande</td> </tr> <tr> <td width="115">la m&egrave;re</td> <td width="152">Soizic&nbsp;; 36 ans enseignante</td> <td width="152">Soizic&nbsp;; 36 ans&nbsp;; institutrice&nbsp;; r&eacute;serv&eacute;e ; heureuse de vivre&nbsp;; son mari lui manquait</td> <td width="152">sa femme&nbsp;&ndash; sans nom</td> </tr> <tr> <td width="115">enfants</td> <td width="152">2 enfants&nbsp;; 3 et 10 ans&nbsp;; pas de nom&nbsp;; dans une pi&egrave;ce voisine</td> <td width="152">Nathalie, 10 ans, et Fr&eacute;d&eacute;ric, 3 ans&nbsp;; presque sous leurs yeux</td> <td width="152">2 enfants&nbsp;; 3 et 10 ans&nbsp;; pas de nom&nbsp;; confi&eacute;s aux grands-parents&nbsp;; t&eacute;moins du drame</td> </tr> <tr> <td width="115">lettre du p&egrave;re</td> <td width="152">&laquo;&nbsp;il ne pouvait pas supporter l&rsquo;id&eacute;e que sa femme voulait se s&eacute;parer de lui&nbsp;&raquo;</td> <td width="152">pas mentionn&eacute;e</td> <td width="152">explication de &laquo;&nbsp;son geste d&ucirc; &agrave; une m&eacute;sentente familiale&nbsp;&raquo;</td> </tr> <tr> <td width="115">arme/blessures</td> <td width="152">un fusil &agrave; pompe&nbsp;; elle&nbsp;: balle en pleine poitrine&nbsp;; lui&nbsp;: pas de d&eacute;tails</td> <td width="152">un fusil &agrave; pompe&nbsp;; elle balle en pleine t&ecirc;te&nbsp;; lui&nbsp;: 1<sup>&egrave;re</sup>&nbsp;balle dans la poitrine, 2<sup>e</sup>&nbsp;dans la bouche devant un voisin</td> <td width="152">aucun d&eacute;tail</td> </tr> </tbody> </table> <p>Malgr&eacute; les diff&eacute;rences dans les d&eacute;tails (pr&eacute;sence des enfants, blessures, lettre d&rsquo;explication) ces trois brefs textes ne laissent aucun doute&nbsp;: jeudi le 30 juin 1983, Sylvain Dalain a assassin&eacute; sa femme, dans l&rsquo;appartement familial, avant de se suicider. Ce sont les m&ecirc;mes d&eacute;tails qui parcourent l&rsquo;autofiction de Chlo&eacute; Delaume, qui retient aussi sa propre pr&eacute;sence au crime et la blessure de la m&egrave;re. Il est int&eacute;ressant de noter que le deuxi&egrave;me article de&nbsp;<em>France soir</em>, le seul qui donne des d&eacute;tails sur la blessure du p&egrave;re &ndash;&nbsp;une balle dans la poitrine, une deuxi&egrave;me dans la bouche&nbsp;&ndash; pr&eacute;sage le glissement de cette blessure dans les deux citations de Delaume offertes ci-dessus, o&ugrave; l&rsquo;auteure &eacute;crit dans le premier texte qu&rsquo;il a plac&eacute; le fusil au fond de la bouche mais dans le deuxi&egrave;me sous le menton. Les ressemblances figurent aussi dans la mention, chez la romanci&egrave;re, du journal&nbsp;<em>Le Parisien</em>&nbsp;(bien que l&rsquo;&eacute;dition locale Hauts-de-Seine n&rsquo;existait pas en 1983), ainsi que dans le titre de l&rsquo;article propos&eacute; dans&nbsp;<em>O&ugrave; le sang&nbsp;:</em>&nbsp;&laquo;&nbsp;Drame de rupture&nbsp;&raquo;, et non pas &laquo;&nbsp;Drame familial.&nbsp;&raquo;</p> <p>En ce qui concerne les faits proprement dits racont&eacute;s dans les articles et leur relation &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre de Chlo&eacute; Delaume, ces aspects sont certainement les moins int&eacute;ressants pour la critique, sauf dans le fait que, malgr&eacute; les variations, ils confirment l&rsquo;existence du crime en dehors des textes de l&rsquo;&eacute;crivaine. Par contre, ce sont les dissemblances voire les contradictions entre journaux et romans qui m&eacute;ritent une attention plus &eacute;labor&eacute;e.</p> <p>Par exemple, le portrait de la famille demande une analyse plus approfondie. Bien que ce soit seulement les textes de&nbsp;<em>France Soir&nbsp;</em>qui mentionnent la nationalit&eacute; libanaise de Sylvain, aucun des trois articles ne manque de fournir sa profession &ndash; capitaine ou officier de la marine marchande, ce qui fait de lui un homme &agrave; profession responsable. &Agrave; cause des exigences de cette profession, nous apprenons en lisant les articles, que Sylvain &eacute;tait souvent loin de sa famille, absent de longs mois d&rsquo;affil&eacute;e quand il &eacute;tait en mer. Avec ces r&eacute;alit&eacute;s mat&eacute;rielles, le portrait psychologique de ce p&egrave;re de famille devenu assassin &ndash;&nbsp;et qui finit par &laquo;&nbsp;se faire justice&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash; se ressemble d&rsquo;article en article. D&egrave;s les titres, les journaux nous proposent des raisons (presque des accusations contre Soazick) qui l&rsquo;auraient motiv&eacute; &ndash; le marin est &laquo;&nbsp;&eacute;vinc&eacute;&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;priv&eacute; de mer&nbsp;&raquo; par sa femme. Les textes d&eacute;veloppent ce portrait en insistant sur le fait que Soazick &eacute;tait sur le point de quitter Sylvain, parce qu&rsquo;il refusait de travailler davantage &agrave; terre, faisant ainsi passer sa &laquo;&nbsp;grande passion&nbsp;&raquo;, la mer, avant sa famille. Le long article de&nbsp;<em>France soir&nbsp;</em>propose la conclusion d&rsquo;un voisin selon laquelle &laquo;&nbsp;M. Dalin a d&ucirc; &ecirc;tre frapp&eacute; d&rsquo;une crise subite de folie&nbsp;&raquo;, mais on peut avoir des doutes sur l&rsquo;exactitude des commentaires des voisins et des conclusions des journalistes. S&rsquo;il s&rsquo;agissait d&rsquo;une crise subite de folie, pourquoi est-ce que Dalain se serait procur&eacute; un fusil deux jours plus t&ocirc;t (d&eacute;tail de l&rsquo;article &laquo;&nbsp;Priv&eacute; de mer&nbsp;&raquo;) et quand aurait-il &eacute;crit une lettre d&rsquo;explication, comme c&rsquo;est indiqu&eacute; dans les deux autres articles&nbsp;?</p> <p>Qui plus est, toujours dans le long article de&nbsp;<em>France soir</em>, on lit la description suivante de Sylvain Dalain&nbsp;: &laquo;&nbsp;D&rsquo;origine libanaise, il &eacute;tait tr&egrave;s courtois avec les femmes. &Agrave; commencer par son &eacute;pouse. &ldquo;Le dimanche, il ne manquait jamais de lui rapporter un bouquet de fleurs&hellip;&rdquo; raconte une voisine.&nbsp;&raquo; On y reconna&icirc;t la description d&rsquo;un mari heureux, &laquo;&nbsp;normal&nbsp;&raquo;, qui cherche peut-&ecirc;tre &agrave; faire pardonner son absence quasi obligatoire, en offrant &agrave; sa femme des fleurs, &laquo;&nbsp;chaque dimanche&nbsp;&raquo;. Il est vrai qu&rsquo;aucun des deux autres articles ne parlent de ces fleurs, mais elles ne sont pas pour autant absentes des &eacute;crits de Delaume, surgissant presqu&rsquo;&agrave; la fin de&nbsp;<em>Dans ma maison sous terre</em>, o&ugrave; le crime de Dalain est quasiment absent du r&eacute;cit. Dans ce texte, Delaume &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Elle est all&eacute;e chez le fleuriste avant. Quand les pompiers m&rsquo;ont demand&eacute; d&rsquo;ouvrir la porte, c&rsquo;&eacute;tait longtemps apr&egrave;s, les roses avaient s&eacute;ch&eacute;, des brass&eacute;es sur le lit&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>.&nbsp;&raquo; Avec ces deux phrases, Delaume l&rsquo;autofictionaliste s&rsquo;affirme, et continue &agrave; se cr&eacute;er contre les fictions collectives et les voisins, derri&egrave;re les d&eacute;tails d&rsquo;un fait divers. C&rsquo;est, au moins en ce qui concerne le dernier exemple du geste, la m&egrave;re de l&rsquo;auteure et narratrice, ce personnage de fiction, qui s&rsquo;est offert des fleurs.</p> <p>Finalement, ces articles offrent, tout discr&egrave;tement, un &eacute;l&eacute;ment de la vie de Nathalie Dalain qui n&rsquo;est jamais pr&eacute;sent dans les &eacute;crits de Chlo&eacute; Delaume. Il s&rsquo;agit de l&rsquo;existence du jeune fr&egrave;re de Nathalie, Fr&eacute;d&eacute;ric, qui, selon les trois articles de journal, avait seulement 3 ans au moment du crime de 1983. Les raisons derri&egrave;re une telle absence peuvent &ecirc;tre multiples&hellip; un sentiment de protection &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de cet individu ou bien une peur des poursuites judiciaires, comme celles lanc&eacute;es contre Angot ou Laurens, sont peut-&ecirc;tre les deux plus &eacute;videntes. Elles sont d&rsquo;ailleurs tout &agrave; fait raisonnables comme hypoth&egrave;ses. Nous en avons une autre par contre, et elle est la cl&eacute; du projet d&rsquo;autofiction de Chlo&eacute; Delaume&nbsp;: c&rsquo;est tout simplement v&eacute;ritablement que Chlo&eacute; Delaume n&rsquo;est pas, n&rsquo;a jamais &eacute;t&eacute;, ne sera jamais Nathalie Dalain. Nathalie avait un petit fr&egrave;re. Chlo&eacute; n&rsquo;en a pas.</p> <p>Jusqu&rsquo;ici nous avons examin&eacute; le r&ocirc;le des noms propres et celui de la mise en fiction des faits r&eacute;els, car, en tant qu&rsquo;autofictionaliste, Delaume construit son travail en grande partie sur ces deux notions. Bien qu&rsquo;il s&rsquo;agisse pour la plupart de pratiques normales sinon obligatoires pour l&rsquo;autofiction, la relation entre le nom et la mise en fiction a quelque chose de particulier chez elle &ndash;&nbsp;la cr&eacute;ation d&rsquo;un nouvel &ecirc;tre&nbsp;: Chlo&eacute; Delaume, qui est &agrave; la fois personnage de fiction, &eacute;crivaine, et femme fran&ccedil;aise. Ceci dit, Delaume n&rsquo;est pas la seule autofictionaliste &agrave; imposer l&rsquo;emploi du deuxi&egrave;me nom dans son quotidien, et nous pourrons la comparer dans ce fait &agrave; sa contemporaine belge Am&eacute;lie Nothomb. Celle-ci, semble-t-il, vit sous le pr&eacute;nom que nous lui connaissons et qu&rsquo;elle s&rsquo;est attribu&eacute;, pour remplacer Fabienne, qui figure dans les documents officiels&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>. Ce changement, ainsi que le fait que l&rsquo;&eacute;crivaine est n&eacute;e en Belgique et non pas au Japon, m&egrave;ne le critique Benjamin Hiramatsu Ireland &agrave; tirer la conclusion selon laquelle&nbsp;<em>Stupeur et tremblements&nbsp;</em>ne remplit pas les crit&egrave;res obligatoires pour une &oelig;uvre d&rsquo;autofiction. Dans son article, &laquo;&nbsp;Am&eacute;lie Nothomb&rsquo;s Distorted Truths&nbsp;: Birth, Identity, and&nbsp;<em>Stupeur et tremblements</em>&nbsp;&raquo;, en citant l&rsquo;<em>&Eacute;tat pr&eacute;sent de la noblesse belge</em>&nbsp;et&nbsp;<em>Le Bulletin de l&rsquo;Association de la Noblesse du Royaume de Belgique</em>, Ireland propose&nbsp;:</p> <blockquote> <p>[&hellip;]&nbsp;chez ses lecteurs, la falsification de ses date et lieu de naissance est une imposture qu&rsquo;elle commet, et tout en sabotant la confiance entre l&rsquo;auteur et ceux-ci, le geste fa&ccedil;onne aussi une identit&eacute; qui rend encore plus flou, d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, les limites entre l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue et la narration authentique, et, de l&rsquo;autre, la cr&eacute;ation et performance d&rsquo;un personnage-auteur imaginaire&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>.</p> </blockquote> <p>Ireland se sert de cette interpr&eacute;tation pour renforcer son opinion selon laquelle&nbsp;<em>Stupeur et tremblements</em>&nbsp;ne tombe pas dans la cat&eacute;gorie de l&rsquo;autofiction&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Sans doute, ce qui place&nbsp;<em>Stupeur et tremblements&nbsp;</em>dans la cat&eacute;gorie &laquo;&nbsp;fiction&nbsp;&raquo; (et non pas celle de &laquo;&nbsp;fiction autobiographique&nbsp;&raquo;, ni celle d&rsquo; &laquo;&nbsp;autofiction&nbsp;&raquo;, par exemple), c&rsquo;est le fait que le court roman rompt le &laquo;&nbsp;pacte de confiance&nbsp;&raquo; entre l&rsquo;&eacute;crivaine et ses lecteurs &agrave; cause du r&eacute;cit externe et falsifi&eacute;. [&hellip;] [Q]uand cette confiance est bris&eacute;e, les fronti&egrave;res deviennent flous et l&rsquo;autobiographie devient la fiction&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>.</p> </blockquote> <p>Sans contredire le fait que de pareilles modifications du v&eacute;cu compliquent le cas de Nothomb &ndash;&nbsp;on peut se demander quel cas d&rsquo;autofiction n&rsquo;est pas compliqu&eacute;&nbsp;&ndash; nous proposons donc que les &laquo;&nbsp;mensonges&nbsp;&raquo; signal&eacute;s par Ireland ne suffisent pas &agrave; nous obliger &agrave; rayer&nbsp;<em>Stupeur et tremblements&nbsp;</em>des grandes listes d&rsquo;&oelig;uvres d&rsquo;autofiction, tout en confirmant, comme lui, qu&rsquo;il ne s&rsquo;agit nullement d&rsquo;un exemple d&rsquo;autobiographie, bien s&ucirc;r. Toutes les deux, surtout en ce qui concerne le r&ocirc;le du nom, Chlo&eacute; Delaume et Am&eacute;lie Nothomb poussent avec audace les limites de l&rsquo;autofiction, sans pour autant nuire &agrave; la participation primaire &agrave; un projet autofictionaliste. Comme le dit Natalie Edwards &agrave; propos de Jane Sauti&egrave;re&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Les lecteurs ne savent pas quand c&rsquo;est l&rsquo;autobiographie qui prime ni quand le texte devient fictif, puisque l&rsquo;autofiction de Sauti&egrave;re insinue que les faits et la fiction sont tous les deux pr&eacute;sents, avec entre eux la cr&eacute;ation de fronti&egrave;res fluides et indistincts. [&hellip;]&nbsp;Plut&ocirc;t, elle repr&eacute;sente cela comme un processus progressif, ancr&eacute; dans l&rsquo;investigation de soi &ndash; &laquo;&nbsp;j&rsquo;ai, au fil du temps, cr&eacute;&eacute; mon histoire&nbsp;&raquo;&nbsp;<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>.</p> </blockquote> <p>Dans&nbsp;<em>La R&egrave;gle du Je</em>, Delaume a &eacute;crit, &laquo;&nbsp;Par la litt&eacute;rature, l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; contient simultan&eacute;ment l&rsquo;acte auquel il se r&eacute;f&egrave;re. D&eacute;clarer institue, parce que dire c&rsquo;est faire. L&rsquo;autofiction contient des g&egrave;nes performatifs&nbsp;<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>.&nbsp;&raquo; Quelques ann&eacute;es plus tard, dans son entretien avec Barbara Havercroft dans la revue&nbsp;<em>Fixxion</em>, elle souligne l&rsquo;importance de se cr&eacute;er et du pouvoir qu&rsquo;elle s&rsquo;est accapar&eacute; pour ce faire en se disant&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Il &eacute;tait n&eacute;cessaire de me cr&eacute;er une nouvelle identit&eacute;, qui porterait mon propre Je, l&rsquo;imposerait dans le r&eacute;el. Se d&eacute;finir comme personnage de fiction c&rsquo;est dire je choisis qui je suis, je m&rsquo;invente moi-m&ecirc;me, jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;&eacute;tat-civil. Je ne suis pas n&eacute;e sujet, mais par ma mutation en Chlo&eacute; Delaume, je le suis devenue&nbsp;<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>.</p> </blockquote> <p>R&eacute;cemment, le roman de Laurent Binet,&nbsp;<em>La Septi&egrave;me Fonction du langage</em>, nous a rappel&eacute; de mani&egrave;re ludique les relations th&eacute;oriques entre langue et r&eacute;alit&eacute;, entre dire et faire ou devenir, bref, entre la langue et la performativit&eacute;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>La th&eacute;orie d&rsquo;Austin, c&rsquo;est le performatif, tu te rappelles&nbsp;? L&rsquo;illocutoire et le perlocutoire. Quand dire, c&rsquo;est faire. Comment on fait des trucs en parlant. Comment on fait faire des trucs aux gens simplement en leur parlant. Par exemple, si je disposais d&rsquo;une force perlocutoire plus cons&eacute;quente, ou si tu &eacute;tais moins con, il me suffirait de te dire &laquo;&nbsp;conf&eacute;rence de Derrida&nbsp;&raquo; pour que tu sautes dans tes pompes et qu&rsquo;on aille d&eacute;j&agrave; r&eacute;server nos places&nbsp;<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>.</p> </blockquote> <p>Peut-&ecirc;tre que, pour devenir Chlo&eacute; Delaume, il suffit de dire, ou &eacute;crire plus pr&eacute;cis&eacute;ment, &laquo;&nbsp;Je m&rsquo;appelle Chlo&eacute; Delaume&nbsp;&raquo; devant des personnes moins &laquo;&nbsp;cons&nbsp;&raquo;, pour reprendre le terme de Binet. Ceci dit, il se peut aussi que Delaume, en se cr&eacute;ant dans le r&eacute;el, soit all&eacute;e plus loin encore que la simple parole, quand son intentionnalit&eacute; illocutoire ne s&rsquo;est pas r&eacute;alis&eacute;e de mani&egrave;re perlocutoire chez les lecteurs. Face &agrave; pareil &eacute;chec, on peut trouver deux mani&egrave;res de se faire v&eacute;ritablement, d&eacute;finitivement Chlo&eacute; Delaume. La premi&egrave;re se trouve toujours du c&ocirc;t&eacute; du langage, et nous l&rsquo;avons vu avec les citations du site web&nbsp;: il s&rsquo;agit pour le moins de distancer la mention &laquo;&nbsp;personnage de fiction&nbsp;&raquo; du nom Chlo&eacute; Delaume, ou au moins mettre davantage de distance litt&eacute;raire entre la remarque et le nom qui veut s&rsquo;imposer dans le r&eacute;el. Mais cela ne garantit pas non plus que Chlo&eacute; Delaume soit autre que personnage de fiction, au mieux, ou simple pseudonyme banal, au pire. Il faut aller plus loin encore, et rayer Nathalie Dalain d&rsquo;autres &eacute;crits, qui ont de leur c&ocirc;t&eacute; la puissance de l&rsquo;&eacute;tat fran&ccedil;ais. Dans&nbsp;<em>O&ugrave; le sang</em>, Delaume &eacute;crit&nbsp;:</p> <blockquote> <p>[&hellip;] elle n&rsquo;existe plus, tu sais, Nathalie. Un avocat s&rsquo;occupe de l&rsquo;effacer de mes papiers, identit&eacute; d&eacute;finitive, je suis Chlo&eacute; Delaume. Je reprends la parole. &Ccedil;a ne sert &agrave; rien de poursuivre. Seconde partie de vie, mon corps et l&rsquo;&eacute;criture, l&rsquo;abandon de Calliope, &ecirc;tre ass&eacute;ch&eacute;e de soi pour devenir sibylle, cette fois c&rsquo;est termin&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a>.</p> </blockquote> <p>Nonobstant, comme nous l&rsquo;avons signal&eacute; &agrave; l&rsquo;ouverture de ce texte, prendre la litt&eacute;rature pour la r&eacute;alit&eacute; chez Delaume est une strat&eacute;gie probl&eacute;matique.</p> <h3><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h3> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;Le moteur de recherche des archives d&rsquo;Internet (www.archive.org) a r&eacute;pertori&eacute; le site pour la premi&egrave;re fois le 19 novembre 2003. Toutes les citations des anciennes versions du site web de Delaume figurent dans cette archive.</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;Chaque date indique une mise en archive de www.chloedelaume.net sur le site www.archive.org, qu&rsquo;il ne faut pas prendre pour la date de publication sur le site de l&rsquo;auteur.</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;Les premi&egrave;res ann&eacute;es, il n&rsquo;y a pas de rubrique &laquo;&nbsp;accueil&nbsp;&raquo; et l&rsquo;internaute visitant chloedelaume.net tombe d&rsquo;abord sur la page &laquo;&nbsp;bio&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>La derni&egrave;re fille avant la guerre</em>, Paris, Na&iuml;ve, p.&nbsp;107.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;Apr&egrave;s la premi&egrave;re r&eacute;f&eacute;rence &agrave; chaque titre, les abr&eacute;viations suivantes serviront &agrave; les identifier&nbsp;:&nbsp;<em>La derni&egrave;re fille avant la guerre</em>&nbsp;:<em>&nbsp;Derni&egrave;re fille&nbsp;; La Vanit&eacute; des Somnambules</em>&nbsp;:&nbsp;<em>La Vanit&eacute;&nbsp;;</em>&nbsp;<em>Le</em>&nbsp;<em>Cri du sablier</em>&nbsp;:&nbsp;<em>Le Cri&nbsp;;</em>&nbsp;<em>O&ugrave; le sang nous appelle</em>&nbsp;:<em>&nbsp;O&ugrave; le sang&nbsp;;</em>&nbsp;<em>La R&egrave;gle du Je</em>&nbsp;:&nbsp;<em>La R&egrave;gle&nbsp;;</em>&nbsp;&laquo;&nbsp;S&rsquo;&eacute;crire mode d&rsquo;emploi&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;S&rsquo;&eacute;crire&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;Les principaux textes publi&eacute;s entre-temps sont&nbsp;<em>Corpus Simsi&nbsp;</em>(2003),&nbsp;<em>Certainement pas&nbsp;</em>(2004),&nbsp;<em>Les juins ont tous la m&ecirc;me peau</em>&nbsp;(2005),&nbsp;<em>J&rsquo;habite dans la t&eacute;l&eacute;vision</em>&nbsp;(2006),&nbsp;<em>La nuit je suis Buffy Summers</em>&nbsp;(2007) et&nbsp;<em>La derni&egrave;re fille avant la guerre</em>&nbsp;(2007).</p> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Dans ma maison sous terre</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil, &laquo;&nbsp;Fiction &amp; Cie&nbsp;&raquo;, 2009, p.&nbsp;202.</p> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;<em>Id.</em>&nbsp;p.&nbsp;205.</p> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>La R&egrave;gle du Je</em>, Paris, PUF, &laquo;&nbsp;Travaux pratiques&nbsp;&raquo;, 2010, p.&nbsp;5.</p> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a>&nbsp;<em>Id</em>. p.&nbsp;3.</p> <p><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a>&nbsp;<em>Id.&nbsp;</em>p.&nbsp;5.</p> <p><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume, &laquo;&nbsp;S&rsquo;&eacute;crire mode d&rsquo;emploi&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>Autofiction(s)&nbsp;: Colloque de Cerisy</em>, Claude Burgelin, Isabelle Grell, Roger-Yves (dir.), Lyon, PUL, 2010, p.&nbsp;113.</p> <p><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Le Cri du sablier</em>, Paris, [Scheer, 2001], Gallimard &laquo;&nbsp;Folio&nbsp;&raquo;, 2003, p.&nbsp;20.</p> <p><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a>&nbsp;En effet, bien qu&rsquo;annonc&eacute; avec la publication d&rsquo;<em>Une Femme avec personne dedans</em>, le cycle autofictif s&rsquo;est prolong&eacute; avec&nbsp;<em>O&ugrave; le sang</em>&hellip; En r&eacute;alit&eacute;, c&rsquo;est ce texte-ci qui marque la fin du cycle, le roman annonc&eacute; pour la rentr&eacute;e litt&eacute;raire de 2016,&nbsp;<em>Les Sorci&egrave;res de la R&eacute;publique</em>, n&rsquo;a aucun &eacute;l&eacute;ment d&rsquo;autofiction.</p> <p><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>O&ugrave; le sang nous appelle</em>, Paris, Seuil, &laquo;&nbsp;Fiction &amp; Cie&nbsp;&raquo;, 2013, p.&nbsp;49-50.</p> <p><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a>&nbsp;<em>Le Cri du sablier</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>&nbsp;p.&nbsp;9.</p> <p><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a>&nbsp;<em>Id</em>. p. 13-14.</p> <p><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a>&nbsp;<em>O&ugrave; le sang nous appelle</em>,&nbsp;<em>op. cit.&nbsp;</em>p. 49.</p> <p><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a>&nbsp;Je tiens &agrave; remercier chaleureusement mon amie Mich&egrave;le Bo&scaron;ković pour sa contribution aux sources de cet article. C&rsquo;est en 2015, en faisant ensemble des recherches &agrave; la BnF, que nous avons d&eacute;couvert les trois articles dont il s&rsquo;agit ici. Actuellement, Mich&egrave;le Bo&scaron;ković &eacute;tudie le th&egrave;me des suites litt&eacute;raires au suicide d&rsquo;un proche, et pr&eacute;pare un volume au titre provisoire&nbsp;<em>Endeuill&eacute;s apr&egrave;s suicide. &Eacute;tudes de cas litt&eacute;raires contemporains</em>, dans lequel elle se penchera sur le cas de Delaume, entre autres.</p> <p><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a>&nbsp;<em>Dans ma maison sous terre</em>,&nbsp;<em>op. cit.&nbsp;</em>p. 171.</p> <p><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a>&nbsp;Le texte d&rsquo;Ireland offre un aper&ccedil;u des circonstances dans lesquelles Nothomb se fait appeler soit Am&eacute;lie soit Fabienne. Il semblerait que, exigences l&eacute;gales &agrave; part, elle vive depuis l&rsquo;adolescence sous le nom d&rsquo;Am&eacute;lie.</p> <p><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;The falsification of her birth date and place for her readers constitutes a deceptive gesture on her behalf, which not only undercuts reader-author trust, but also forges an identity that further blurs the boundaries between lived experience and authentic narration, on the one hand, and the creation and performance of an imaginary writer-persona on the other&nbsp;&raquo; (Benjamin Hiramatsu Ireland, &laquo;&nbsp;Am&eacute;lie Nothomb&rsquo;s Distorted Truths&nbsp;: Birth, Identity, and&nbsp;<em>Stupeur et tremblements</em>&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>New Zealand Journal of French Studies</em>, vol.&nbsp;33, n&deg;1, mai 2012, p.&nbsp;154).</p> <p><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;Arguably what makes&nbsp;<em>Stupeur et tremblements</em>&nbsp;belong to the genre of fiction (and not &ldquo;autobiographical fiction&rdquo; or autofiction, for example) is that the
novella ruptures the established &ldquo;pact of trust&rdquo; between the author and reader because of the external, falsified narrative. [&hellip;] [O]nce the trust is broken, the borders become blurred and autobiography becomes fiction&nbsp;&raquo; (<em>ibid.</em>, p.&nbsp;152).</p> <p><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;The reader does not know when the autobiography takes precedence and when the text becomes fictional, as Sautiere&rsquo;s brand of autofiction hints that both fact and fiction are present but creates fluid, indistinct boundaries between them. [&hellip;] Instead, she presents this as a gradual process that is rooted in self-invention &ndash; &ldquo;j&rsquo;ai, au fil du temps, cr&eacute;&eacute; mon histoire&rdquo; &raquo; (Natalie Edwards, &laquo;&nbsp;Jane Sauti&egrave;re&rsquo;s Autofictional Explorations&nbsp;: Nullipare&nbsp;&raquo;, Contemporary Women&rsquo;s Writing in French Seminar&nbsp;: Non-Motherhood in Contemporary Women&rsquo;s Writing in French, University of London, Senate House, 21 f&eacute;vrier 2015,&nbsp;<a href="http://http%20//sas-space.sas.ac.uk/5848/" target="_blank">in&eacute;dit</a>,&nbsp;p.&nbsp;10-11.</p> <p><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a>&nbsp;<em>La R&egrave;gle du Je, op. cit.&nbsp;</em>p.&nbsp;179.</p> <p><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a>&nbsp;Barbara Havercroft, &laquo;&nbsp;<em>Le soi est une fiction</em>. Interview avec Chlo&eacute; Delaume&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Revue critique de fixxion contemporaine</em>, n&ordm;4, 2012, p.&nbsp;126.</p> <p><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a>&nbsp;BINET, Laurent,&nbsp;<em>La Septi&egrave;me Fonction du langage</em>, Paris, Grasset, 2015,&nbsp;<em>ebook</em>, Troisi&egrave;me partie&nbsp;&ndash; Ithaca, p. 74.</p> <p><a href="#_ftnref28" name="_ftn28">[28]</a>&nbsp;<em>O&ugrave; le sang nous appelle, op. cit.,&nbsp;</em>p.&nbsp;134.</p> <h3>Auteur</h3> <p><strong>Dawn M. Cornelio</strong>&nbsp;est professeure titulaire &agrave; la University of Guelph (Canada). Ses recherches se font principalement dans deux domaines&nbsp;: l&rsquo;autofiction et la th&eacute;orie et la pratique de la traduction litt&eacute;raire. Elle a fait de nombreuses communications et publi&eacute; plusieurs articles sur Chlo&eacute; Delaume, dont le plus r&eacute;cent est &laquo;&nbsp;Fragmentation des corps et des identit&eacute;s chez Chlo&eacute; Delaume&nbsp;&raquo; (@nalayses, vol 11.1, Hiver 2016, n. p.). Ses traductions sont r&eacute;guli&egrave;rement publi&eacute;es dans&nbsp;<em>Contemporary French and Francophone Studies</em>. Actuellement, elle pr&eacute;pare une longue &eacute;tude de cas de Chlo&eacute; Delaume, publi&eacute;e en ligne sur le site&nbsp;<a href="http://xn--chlodelaumecritique-ezb.com/" target="_blank">Chlo&eacute;DelaumeCritique.com</a>, et une traduction vers l&rsquo;anglais de&nbsp;<em>Certainement pas</em>&nbsp;de Delaume &agrave; para&icirc;tre aux presses de l&rsquo;universit&eacute; du Nebraska (University of Nebraska Press).</p> <h3><strong>Copyright</strong></h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>