<h3>Abstract</h3> <p>&quot;Born in fiction&quot;</p> <p>Extracts from Chlo&eacute; Delaume&#39;s interview with Thierry Guichard[1] conducted on 5 November 2014 during the &quot;S&#39;&eacute;crire par-del&agrave; le papier&quot; study day.</p> <p>(Universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry-Montpellier III, site Saint-Charles)</p> <p>Transcribed by Annie Pibarot and Florence Th&eacute;rond</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p>Chlo&eacute; Delaume, Thierry Guichard</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: center;">&laquo;&nbsp;Na&icirc;tre dans la fiction&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: center;">Extraits de l&rsquo;entretien de Chlo&eacute; Delaume avec Thierry Guichard<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a> r&eacute;alis&eacute; le 5 novembre 2014 lors de la journ&eacute;e d&rsquo;&eacute;tude &laquo;&nbsp;S&rsquo;&eacute;crire par-del&agrave; le papier&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: center;">(Universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry-Montpellier &nbsp;III, site Saint-Charles)</p> <p style="text-align: center;">Transcrits par Annie Pibarot et Florence Th&eacute;rond</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Nous allons dans un premier temps reprendre la question de l&rsquo;autofiction. Pourquoi l&rsquo;autofiction&nbsp;? Je voudrais, pour expliquer le rapport entre la biographie et l&rsquo;&eacute;criture tel que je le per&ccedil;ois, qu&rsquo;on revienne sur la biographie ou plut&ocirc;t sur l&rsquo;ant&eacute;biographie, celle de Nathalie Abdallah ou Nathalie Dalain. Et je voudrais revenir l&agrave;-dessus parce qu&rsquo;on a beaucoup insist&eacute; sur le mois de juin&nbsp;1983, o&ugrave; a lieu ce fait, qui serait comme un fait divers pour les autres et qui est un drame pour toi. Il me semble qu&rsquo;avant cela, il y a quand m&ecirc;me des indices qui indiquent l&rsquo;impossibilit&eacute; de faire autre chose que de l&rsquo;autofiction. Ces indices sont ceux-ci, que je vais &eacute;num&eacute;rer de mani&egrave;re un peu brutale pour aller vite&nbsp;: tu nais &agrave; Versailles mais tu n&rsquo;es pas Versaillaise, tu nais &agrave; Versailles parce que ta m&egrave;re vient accoucher en France, alors qu&rsquo;elle vivait &agrave; Beyrouth, donc d&eacute;j&agrave; une ville natale qui ne correspond &agrave; rien. Deux ans plus tard, tu conna&icirc;tras la guerre civile dans un pays qui se d&eacute;chire, qui perd son identit&eacute;. Tu retournes en France au moment o&ugrave; l&rsquo;immeuble dans lequel vous habitez perd sa fa&ccedil;ade apr&egrave;s un bombardement. On peut imaginer ce que c&rsquo;est que de vivre dans une maison menac&eacute;e, o&ugrave; tout&nbsp;&agrave; coup un mur entier tombe &agrave; cause d&rsquo;une bombe. Cela doit &ecirc;tre un peu d&eacute;stabilisant. La famille arrive en France et l&agrave; il y a d&eacute;j&agrave; un gros mensonge qui va &ecirc;tre fait, c&rsquo;est-&agrave;-dire que la m&egrave;re, qui est enseignante, a honte de l&rsquo;origine libanaise du p&egrave;re et fait passer le p&egrave;re pour un Ni&ccedil;ois.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Un Marseillais.</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Un Marseillais, enfin quelqu&rsquo;un du Sud de la France, et m&ecirc;me son pr&eacute;nom va changer. Il va devenir Sylvain.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Sylvain &agrave; la place de Selim dans la naturalisation.</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Tout &agrave; coup le p&egrave;re change de nom, change d&rsquo;origine, donc il y a d&eacute;j&agrave; un mensonge qui se fait avant le drame.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Il y a une fiction d&egrave;s le d&eacute;but. Il n&rsquo;y a pas de rapport. L&rsquo;identit&eacute; ne peut pas&hellip; un nom &ccedil;a ne veut rien dire. Un nom, ce n&rsquo;est pas l&agrave; que &ccedil;a se passe.</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Le pays non plus. Apr&egrave;s le drame de&nbsp;83, tu te retrouves dans la famille de ton oncle et ta tante, qui veulent faire croire que tu es une fille de ce couple.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Ils veulent &ecirc;tre appel&eacute;s papa et maman pour des raisons de conventions sociales. Oui bien-s&ucirc;r. C&rsquo;est vrai. Tu as raison.</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Et moi, ce qu&rsquo;il me semble, c&rsquo;est que sur ce terreau-l&agrave;, qui est tr&egrave;s friable, tout&nbsp;&agrave;&nbsp;coup, les mots n&rsquo;ont plus de sens. Je remarque que dans tous tes livres, il y a &eacute;norm&eacute;ment de questionnements du lexique. On y trouve plusieurs fois&nbsp;<em>L</em>e&nbsp;<em>Petit&nbsp;Robert</em>, des d&eacute;finitions de mots, des p&eacute;riodes sur un mot pour trouver les d&eacute;finitions qu&rsquo;il peut avoir. Donc tout&nbsp;&agrave;&nbsp;coup, j&rsquo;avais l&rsquo;impression que, pour toi, la litt&eacute;rature &eacute;tait le lieu o&ugrave; enfin quelque chose pouvait &ecirc;tre stable et c&rsquo;&eacute;tait le lexique.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Oui, le&nbsp;<em>Petit&nbsp;Robert</em>&nbsp;&eacute;tait le seul &agrave; &ecirc;tre gardien de la v&eacute;rit&eacute;. Il y avait vraiment quelque chose. C&rsquo;&eacute;tait sacr&eacute;, il allait y avoir une mise &agrave; jour annuelle. C&rsquo;est un r&eacute;f&eacute;rent qui est premier et intouchable.</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Et pour finir sur la question de l&rsquo;autofiction&nbsp;: tout &agrave; l&rsquo;heure tu &eacute;voquais Christine Angot, Camille Laurens et d&rsquo;autres. Moi, il me semble que tu n&rsquo;es pas du tout dans l&rsquo;autofiction en r&eacute;alit&eacute;, dans la mesure o&ugrave; il me semble que Christine Angot &ndash;&nbsp;et on l&rsquo;a vu avec&nbsp;<em>Quitter la ville</em>&nbsp;par exemple&nbsp;&ndash; a fait d&rsquo;elle-m&ecirc;me un personnage de roman. Tu as cit&eacute;&nbsp;<em>Vu&nbsp;du&nbsp;ciel</em>, o&ugrave; Christine Angot n&rsquo;appara&icirc;t que comme &eacute;tant la personne que prot&egrave;ge un ange-gardien qui est le narrateur du livre, mais, tr&egrave;s vite, Christine Angot devient le personnage de ses romans. Donc, dans son cas, c&rsquo;est quelqu&rsquo;un de r&eacute;el qui devient le personnage de ses romans. Alors qu&rsquo;il me semble que, chez toi, Chlo&eacute; Delaume va na&icirc;tre dans la fiction, va na&icirc;tre dans l&rsquo;&eacute;criture, dans le lexique et donc ce n&rsquo;est pas du tout un personnage r&eacute;el qui devient fiction, mais c&rsquo;est un personnage de fiction qui devient tout&nbsp;&agrave;&nbsp;coup personnage r&eacute;el.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>En fait je provoque les &eacute;v&eacute;nements, c&rsquo;est-&agrave;-dire, qu&rsquo;il y a les premiers livres qui vont parler du drame de l&rsquo;enfance&hellip; mais, de toutes fa&ccedil;ons, tout le monde, sous une forme ou une autre, revient toujours sur son enfance quand il veut &eacute;crire. Mais l&agrave; c&rsquo;est du subi, ce sont des choses subies qui vont &ecirc;tre redistribu&eacute;es en fictions. Mais les trois quarts des autres livres apr&egrave;s, ce sont des exp&eacute;riences o&ugrave; je me force. Je me force &agrave; aller chercher dans le r&eacute;el une exp&eacute;rience que je vais restituer, o&ugrave; je suis le cobaye. Donc, c&rsquo;est vrai que l&agrave;-dessus, c&rsquo;est un peu diff&eacute;rent.</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Oui, c&rsquo;est par exemple&nbsp;<em>J&rsquo;habite dans la t&eacute;l&eacute;vision</em>.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Oui &hellip; Mais m&ecirc;me dans&nbsp;<em>Dans&nbsp;ma&nbsp;maison&nbsp;sous&nbsp;terre&nbsp;</em>le dispositif du cimeti&egrave;re est forc&eacute;. Mais ce ne doit pas &ecirc;tre le seul&hellip;</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Dans&nbsp;<em>Dans&nbsp;ma maison&nbsp;sous&nbsp;terre</em>&nbsp;toutefois, ce qui d&eacute;clenche l&rsquo;&eacute;criture du livre, si on prend ce d&eacute;clenchement pour r&eacute;el, c&rsquo;est la naissance de Chlo&eacute; Delaume, due &agrave; la mort des parents de Nathalie Dalain et notamment du p&egrave;re. Et on n&rsquo;a pas encore parl&eacute; de l&rsquo;oncle qui vit en prison en France depuis &hellip;</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Cela fait 30 ans.</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Si je laisse tomber Nathalie Abdallah et Nathalie Dalain, si je consid&egrave;re la naissance de Chlo&eacute; Delaume avec le XXI&egrave;me si&egrave;cle qui arrive, cette naissance tout&nbsp;&agrave;&nbsp;coup est mise en p&eacute;ril par l&rsquo;annonce, via une cousine, que la grand-m&egrave;re aurait dit que le p&egrave;re n&rsquo;&eacute;tait pas le p&egrave;re.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>C&rsquo;est pour cela que je veux la tuer dans&nbsp;<em>Dans ma maison sous terre</em>. On est en 2009, je suis toute contente&nbsp;: c&rsquo;est bon, j&rsquo;ai mon identit&eacute;, je commence &agrave; avoir m&ecirc;me une petite biblio un peu s&eacute;rieuse et puis effectivement surgit ma cousine que je n&rsquo;ai pas vue depuis des calendes et qui m&rsquo;explique qu&rsquo;en fait ma grand-m&egrave;re a avou&eacute;. Il faut absolument qu&rsquo;on me pr&eacute;vienne, que mon p&egrave;re n&rsquo;&eacute;tait pas mon p&egrave;re. J&rsquo;ai construit mon identit&eacute; sur une id&eacute;e de vengeance. Qui ne le ferait pas&nbsp;? Quand j&rsquo;ai eu le prix D&eacute;cembre, j&rsquo;ai hurl&eacute; dans les toilettes &laquo;&nbsp;j&rsquo;ai niqu&eacute; papa&nbsp;&raquo;. Tout le monde &eacute;tait mort de rire&nbsp;; moi j&rsquo;&eacute;tais tr&egrave;s s&eacute;rieuse et l&rsquo;identit&eacute; Chlo&eacute; Delaume, elle est l&agrave;. C&rsquo;est aussi que je ne me sois pas pris un coup de la cervelle du p&egrave;re pour rien dans la figure&nbsp;; et au bout du compte on m&rsquo;explique que ce n&rsquo;&eacute;tait pas mon p&egrave;re&hellip; En plus de la terreur que j&rsquo;avais d&eacute;j&agrave; gamine dans la vraie vie &ndash;&nbsp;le d&eacute;c&egrave;s parental, mon oncle terroriste libanais en prison&nbsp;&ndash; la terreur de passer pour une mythomane&hellip; Certains ont commenc&eacute; sur les forums internet, voire dans Wikipedia, &agrave; r&eacute;clamer des r&eacute;f&eacute;rences pour la mort des parents. Il aurait fallu que je pr&eacute;sente l&rsquo;acte de d&eacute;c&egrave;s pour avoir la paix. On a d&eacute;j&agrave; une image du p&egrave;re aussi compliqu&eacute;e que celle-l&agrave;&nbsp;: il &eacute;tait vraiment schizophr&egrave;ne. Il faut passer 24&nbsp;ans pour &ecirc;tre s&ucirc;re d&rsquo;y &eacute;chapper quand c&rsquo;est d&rsquo;ordre de transmission. Moi, jusqu&rsquo;&agrave; mes 24&nbsp;ans, j&rsquo;&eacute;tais terrifi&eacute;e &agrave; l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;en h&eacute;riter vraiment. En fait, je suis bipolaire, c&rsquo;est d&eacute;j&agrave; beaucoup &hellip; et se dire d&rsquo;un seul coup &laquo;&nbsp;le p&egrave;re c&rsquo;est pas le p&egrave;re&nbsp;&raquo;&nbsp;: quand est-ce que &ccedil;a s&rsquo;arr&ecirc;te&nbsp;? Et tout &ccedil;a pour &ccedil;a&nbsp;: en fait ma grand-m&egrave;re avait baratin&eacute; juste pour le plaisir que je vienne la voir. C&rsquo;est pour cela aussi que je pr&eacute;f&egrave;re provoquer plut&ocirc;t que de mener l&rsquo;enqu&ecirc;te&hellip;</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Enfin on comprend quand m&ecirc;me la n&eacute;cessit&eacute; de na&icirc;tre dans la fiction, dans le r&eacute;cit en tout cas, et que ce r&eacute;cit-l&agrave; repose sur le lexique. Le lexique est important. Or il me semble qu&rsquo;il y a une ambigu&iuml;t&eacute; qui va &ecirc;tre apparente dans les trois premiers livres et surtout dans l&rsquo;&eacute;criture, c&rsquo;est que si le lexique est important, d&egrave;s qu&rsquo;on &eacute;crit, il faut autre chose que le lexique, il faut de la syntaxe, il faut un rythme. Et chez toi assez rapidement c&rsquo;est l&rsquo;alexandrin qui surgit ou l&rsquo;octosyllabe. Or si ce que tu m&rsquo;as dit il y a quelques ann&eacute;es est juste, l&rsquo;octosyllabe et l&rsquo;accent grave &eacute;taient une mani&egrave;re que ta m&egrave;re avait de te faire travailler pour avoir la paix.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Enfant, je ne savais pas dessiner, j&rsquo;&eacute;tais tr&egrave;s bavarde, j&rsquo;&eacute;tais p&eacute;nible. Je pense qu&rsquo;elle voulait corriger les copies, tranquille.</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Et donc finalement, dans cette auto-gestation, cette mani&egrave;re de na&icirc;tre &agrave; soi-m&ecirc;me par l&rsquo;&eacute;criture, il y a quand m&ecirc;me une trace g&eacute;n&eacute;tique, qui est l&agrave;, qui n&rsquo;est pas forc&eacute;ment celle de la biographie mais qui est la langue. Alors je voudrais savoir par rapport aux trois premiers livres, qui me semblent vraiment travaill&eacute;s au forceps, quel travail tu as fait pour accoucher d&rsquo;une langue qui soit la tienne et pas celle h&eacute;rit&eacute;e de la m&egrave;re.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Je ne sais pas&hellip;</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Est-ce que par exemple il y a eu des contraintes que tu te donnais&nbsp;?</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Ah, &ccedil;a oui&nbsp;!</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Je pense &agrave; Georges Perec par exemple. Quand il &eacute;crit la disparition sans la lettre E, c&rsquo;est aussi par rapport &agrave; son histoire personnelle.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>C&rsquo;est s&ucirc;r, les contraintes, au d&eacute;but, c&rsquo;&eacute;tait plus pour me forcer &agrave; un exercice toute seule&hellip; c&rsquo;&eacute;tait des trucs fous quelquefois, c&rsquo;&eacute;tait aussi parce que je me sentais seule&nbsp;: prendre une &eacute;dition d&rsquo;un po&egrave;me de Rimbaud dont le titre va faire &eacute;cho avec le paragraphe &ndash;&nbsp;des choses que personne ne voit&nbsp;&ndash; prendre tous les mots qui sont avec ast&eacute;risque dans un texte, les mots qui sont les moins connus. &laquo;&nbsp;Barcarole&nbsp;&raquo; entre autres&hellip; Sinon apr&egrave;s ce sont des contraintes qui vont &ecirc;tre par exemple des listings de mots. Quelquefois, je me fais aussi des playlists que j&rsquo;&eacute;coute, qui sont li&eacute;es &agrave; ce que je veux provoquer &eacute;motionnellement par rapport au chapitre en cours et donc quelquefois il y a des parasitages que je me force &agrave; faire. Mais ce n&rsquo;est pas obligatoire. C&rsquo;est comme si les ateliers formels pouvaient permettre aussi un d&eacute;tachement total de l&rsquo;&eacute;motivit&eacute; de la langue, pour &eacute;viter de laisser couler quelque chose qui serait trop biologique. C&rsquo;est aussi l&rsquo;h&eacute;ritage des formalistes. Moi, ce qui m&rsquo;a vraiment int&eacute;ress&eacute;e, un peu moins avec l&rsquo;&acirc;ge, ce sont les id&eacute;es de contraintes et d&rsquo;atelier. Je sais que ce qui m&rsquo;avait le plus agac&eacute;e en &laquo;&nbsp;d&eacute;but de carri&egrave;re&nbsp;&raquo;, c&rsquo;&eacute;tait l&rsquo;expression &laquo;&nbsp;&eacute;criture automatique&nbsp;&raquo;. Je hais les surr&eacute;alistes, je suis compl&egrave;tement chez les pataphysiciens (ou alors on passe chez les Viennois ou chez Dada, mais l&agrave; on est dans du politique). Je n&rsquo;ai pas du tout un rapport au r&ecirc;ve. Je n&rsquo;ai pas un inconscient de n&eacute;vros&eacute;e, puisque je suis psychotique. Ces choses-l&agrave; ne me parlent pas et l&rsquo;&eacute;criture automatique, &eacute;tant donn&eacute;e la difficult&eacute; que c&rsquo;est pour retravailler les phrases, c&rsquo;est vraiment tout le contraire de ce que je recherche. Comment fait-on pour mettre de la raison dans l&rsquo;&eacute;vocation. C&rsquo;est peut-&ecirc;tre un peu difficile &agrave; expliquer. Je parle d&rsquo;une sorte de geste technique qui va emp&ecirc;cher le lyrisme d&eacute;goulinant. Cela avait des c&ocirc;t&eacute;s dramatiques quand j&rsquo;&eacute;tais plus jeune, le c&ocirc;t&eacute; &laquo;&nbsp;les organes fumants sur la table&nbsp;&raquo;&nbsp;!</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Oui ce sont les rives du fleuve qui permettent &agrave; l&rsquo;eau de couler.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Oui, je m&rsquo;interdis le champ lexical de l&rsquo;intestin d&eacute;goulinant. Par contre, je vais me forcer &agrave; mettre de la pierre. C&rsquo;est par mesure de pr&eacute;caution.</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>En tout cas l&rsquo;&eacute;criture va petit &agrave; petit aller vers plus de fluidit&eacute; me semble-t-il, notamment avec&nbsp;<em>Dans</em>&nbsp;<em>ma&nbsp;maison&nbsp;sous&nbsp;terre</em>, qui me semble &ecirc;tre le plus fluide avec le dernier en date. On a parl&eacute; de la collection chez Joca Seria&nbsp;; mais tu avais commenc&eacute; avant, chez L&eacute;o Scheer, &agrave; faire de l&rsquo;&eacute;dition avec toujours un leitmotiv qui &eacute;tait de faire entendre des voix nouvelles, des jeunes&nbsp;etc. Cet engagement-l&agrave; que tu as plac&eacute; dans l&rsquo;&eacute;dition, il me semble qu&rsquo;il appara&icirc;t tr&egrave;s vite dans la litt&eacute;rature.&nbsp;<em>Les&nbsp;Mouflettes&nbsp;d&rsquo;Atropos</em>&nbsp;c&rsquo;est quand m&ecirc;me aussi quelque chose sur le corps f&eacute;minin qui est tr&egrave;s important. Tu as cit&eacute; Dada, je voudrais en passer par Dada pour dire que peut-&ecirc;tre Dada fait la r&eacute;volution dans la langue et essaie de faire table rase, mais est-ce que finalement Chlo&eacute; Delaume n&rsquo;est pas la page blanche que la fin de Nathalie Dalain a permise, est-ce que ce n&rsquo;est pas la table rase qui t&rsquo;a permise&nbsp;?</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Si, et je me disais m&ecirc;me l&rsquo;autre jour, je ne sais plus pourquoi, qu&rsquo;en fait ma m&egrave;re, comme beaucoup d&rsquo;autres femmes dans ces cas-l&agrave;, r&ecirc;vait d&rsquo;&ecirc;tre auteur. Cela fait longtemps que j&rsquo;ai d&eacute;pass&eacute; son &acirc;ge, mais je me dis aussi que finalement maintenant j&rsquo;assume un peu aussi de me retrouver la survivante qui endosse. C&rsquo;est la situation classique des gens &agrave; qui il arrive des choses difficiles. Se dire, quelques ann&eacute;es apr&egrave;s, quelques d&eacute;cennies apr&egrave;s&nbsp;: s&rsquo;il n&rsquo;y avait pas eu cette catastrophe, je ne serais pas celle que je suis maintenant.</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>La question n&rsquo;&eacute;tait pas sur un plan biographique, mais plut&ocirc;t sur un plan &eacute;thique et politique. Le fait est que tu montres qu&rsquo;on peut cr&eacute;er sa vie, qu&rsquo;on peut cr&eacute;er son nom, son personnage. On peut cr&eacute;er sa vie et on la cr&eacute;e notamment dans diff&eacute;rentes directions possibles&nbsp;: la musique, le th&eacute;&acirc;tre, la litt&eacute;rature, la performance, le film&hellip; Tout ce qu&rsquo;on peut faire, tu le montres et quand tu veux tendre la main &agrave; de jeunes &eacute;critures, tu leur dis &laquo;&nbsp;allez-y&nbsp;&raquo;. Je me demande si tu ne dis pas cela aussi &agrave; un moment donn&eacute; dans chacun de tes livres.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>C&rsquo;est le but du jeu. Je n&rsquo;ai jamais vraiment &eacute;crit des histoires. Le but du jeu c&rsquo;est quand m&ecirc;me vraiment de contaminer, d&rsquo;expliquer aux gens que moi j&rsquo;ai pris l&rsquo;&eacute;criture, la litt&eacute;rature pour le faire, mais que la r&eacute;appropriation de leur vie, cela ne passe pas du tout obligatoirement par une pratique artistique. Je pense au&nbsp;<em>Parti&nbsp;du&nbsp;cercle</em>&nbsp;et aux&nbsp;<em>Sorci&egrave;res&nbsp;de&nbsp;la&nbsp;R&eacute;publique</em>, &agrave; tous les dispositifs que je d&eacute;veloppe depuis 2011, avec de nombreux ateliers ou des s&eacute;ances participatives. Lors des ateliers d&rsquo;&eacute;criture, qui sont un passage oblig&eacute; dans les r&eacute;sidences, on monte un projet de performance &agrave; la fin de la semaine. Par exemple, dans les ateliers d&rsquo;&eacute;criture, je travaille sur l&rsquo;auto-proph&eacute;tie en demandant aux participants de faire un transfert de telle ou telle &eacute;ch&eacute;ance pour essayer d&rsquo;&ecirc;tre au plus vrai. Je leur demande, comme on essaie d&rsquo;&ecirc;tre au plus juste de la langue, d&rsquo;&ecirc;tre au plus vrai d&rsquo;eux, mais pas &agrave; la mani&egrave;re de Lacan. Non, il s&rsquo;agit juste au bout d&rsquo;un moment d&rsquo;assumer, de savoir o&ugrave; est la volont&eacute;. Il n&rsquo;y a pas besoin d&rsquo;aller dans des collectifs politiques officiels pour, &agrave; un moment donn&eacute;, un peu se secouer. C&rsquo;est comme pour les performances, j&rsquo;adore kidnapper les gens, qu&rsquo;ils se sentent mal, mais en partant de choses tr&egrave;s simples que je peux tourner de fa&ccedil;on po&eacute;tique. La question &laquo;&nbsp;qu&rsquo;est-ce que veut votre c&oelig;ur&nbsp;? Vous en &ecirc;tes o&ugrave; dans votre coh&eacute;rence de vie&nbsp;?&nbsp;&raquo;.</p> <p>[&hellip;]</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Si je r&eacute;sume un peu ce que tu dis, il y a la volont&eacute; de dessiller le regard des gens sur eux-m&ecirc;mes. Le mouvement Dada c&rsquo;&eacute;tait la soci&eacute;t&eacute; dans son ensemble, l&agrave; c&rsquo;est chacun&hellip;</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Moi j&rsquo;&eacute;coute Foucault, ce sont les subjectivit&eacute;s qui sont les armes de demain&nbsp;!</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Je n&rsquo;ai pas eu le temps de d&eacute;velopper un point&hellip; Cela fonctionne justement avec l&rsquo;autofiction qui arrive en France, dont on peut dire que l&rsquo;apog&eacute;e c&rsquo;est peut-&ecirc;tre Herv&eacute; Guibert. Quand l&rsquo;autofiction arrive en France et est nomm&eacute;e comme telle par les m&eacute;dias, c&rsquo;est le moment o&ugrave; justement on essaie de faire que chacun ait&hellip; son quart d&rsquo;heure de gloire, comme Warhol avait pr&eacute;dit. Et donc on est &agrave; fond dans le syst&egrave;me.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Du coup c&rsquo;est tr&egrave;s dangereux d&rsquo;expliquer que ce n&rsquo;est pas pareil. Est-ce que tu voulais dire, qu&rsquo;il y a une diff&eacute;rence entre la mise en sc&egrave;ne du moi et&hellip;</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Du je.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Et voil&agrave;. Du je ? C&rsquo;est cela le probl&egrave;me, c&rsquo;est qu&rsquo;en fait le quart d&rsquo;heure de gloire en question, il n&rsquo;y a pas de voix dedans. Pas de je. Des moi et des &ccedil;a, et &eacute;ventuellement un peu de surmoi. Il n&rsquo;y a pas de je. Ils ne disent pas&nbsp;; ils sont. Maintenant on ne fait plus, on est. Moi, je trouve cela d&eacute;cevant. Il ne s&rsquo;agit pas juste de la c&eacute;l&eacute;brit&eacute; pour la c&eacute;l&eacute;brit&eacute; &eacute;ph&eacute;m&egrave;re, mais de la question de ce qu&rsquo;est la parole. Sinon on est uniquement dans les images, la mise en sc&egrave;ne, la narration pure, la narration &eacute;v&eacute;nementielle, sans fond, sans parole &agrave; d&eacute;fendre.</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Si je peux faire un peu de psychanalyse de bas &eacute;tage&nbsp;: quand tu dis &laquo;&nbsp;il n&rsquo;y a pas de voix&nbsp;&raquo;, cela me fait penser &agrave; la biographie de Nathalie Dalain : apr&egrave;s le drame, elle est muette pendant neuf mois.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Oui. J&rsquo;ai fait neuf mois d&rsquo;aphasie, quelque chose de bien symbolique.</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Et c&rsquo;est quand tu es muette qu&rsquo;on te donne un nom, un r&ocirc;le, une t&acirc;che. Quand tu ne veux pas prendre la parole, on va te dire&nbsp;: tu es notre enfant et tu n&rsquo;es pas l&rsquo;enfant de tes parents&nbsp;etc.</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Bien-s&ucirc;r.</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Donc l&rsquo;&eacute;criture vise aussi me semble-t-il chez toi &ndash;&nbsp;tu utilises la m&eacute;taphore du virus&nbsp;&ndash; le pouvoir de se reprendre en main. Tu utilises aussi beaucoup le mot de &laquo;&nbsp;colonisation&nbsp;&raquo;, et pas seulement &agrave; propos de la t&eacute;l&eacute;vision. D&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;importance de pouvoir se d&eacute;coloniser. J&rsquo;en viens donc &agrave; la troisi&egrave;me &eacute;tape de mon entretien avec toi, sur la question de &laquo;&nbsp;s&rsquo;&eacute;crire par-del&agrave; le papier&nbsp;&raquo;. Quand tu as &eacute;voqu&eacute; la collection&nbsp;<em>Extraction</em>&nbsp;chez Joca Seria, tu as dit&nbsp;: cela ne peut pas marcher, parce que la mise en place de 300 exemplaires&hellip;</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Ce n&rsquo;&eacute;tait pas que cela. Le probl&egrave;me c&rsquo;est aussi le fait que les gens, le lectorat n&rsquo;est plus int&eacute;ress&eacute; que par du narratif. Tu le sais bien. J&rsquo;avais de tr&egrave;s bons livres, mais comment faire pour les faire conna&icirc;tre&nbsp;? Comment r&eacute;sumer les contenus&nbsp;? Comment fait-on&nbsp;?</p> <p><strong>TG</strong></p> <p>Je comprends ce que tu veux dire, mais c&rsquo;est li&eacute; &agrave; tout un m&eacute;canisme du commerce, de la soci&eacute;t&eacute; actuelle, qui fait qu&rsquo;on prend de tr&egrave;s gros tuyaux. Il faut que le message soit tr&egrave;s visible et on ne peut pas commencer &agrave; vouloir faire dans la subtilit&eacute;. Or ces textes-l&agrave; ont besoin de temps et de subtilit&eacute;. Donc j&rsquo;en viens &agrave; la question des pistes internet, de la sc&egrave;ne&nbsp;etc. Est-ce que finalement, puisque dans ton &eacute;criture qui est vitale il y a aussi un projet politique pour les autres, est-ce que l&rsquo;internet et les autres medias, pour exprimer ce que tu dis, pour faire valoir l&rsquo;&oelig;uvre artistique que tu as en route, ne sont pas une fa&ccedil;on d&rsquo;intensifier la possibilit&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre entendue, la possibilit&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre vue et finalement que ce message &ndash;&nbsp;je n&rsquo;aime pas trop le terme de message&nbsp;&ndash; que ce virus politique soit utilis&eacute; par une opinion plus large&nbsp;?</p> <p><strong>Chlo&eacute;</strong></p> <p>Bien s&ucirc;r, mais apr&egrave;s, ce qui est compliqu&eacute;, c&rsquo;est que dans ces formes-l&agrave;, les formes, cela ne dit pas plus clairement. J&rsquo;ai vraiment un probl&egrave;me de formation du message. Je n&rsquo;arrive jamais &agrave; le faire. J&rsquo;ai du mal &agrave; faire des phrases moches, mais il n&rsquo;y a que les phrases moches qui sont entendues et du coup, si je d&eacute;ploie autre chose, il y a un risque&hellip; Quand tout &agrave; l&rsquo;heure Ana&iuml;s a travaill&eacute; sur les performances, c&rsquo;&eacute;tait clair ; mais moi, quand je d&eacute;marche &agrave; la maison de la po&eacute;sie pour expliquer mon travail, ils ne comprennent rien &agrave; ce que je raconte et pourtant ils connaissent mon travail. C&rsquo;est tr&egrave;s difficile d&rsquo;expliquer et ce ne devrait pas l&rsquo;&ecirc;tre quand tu pratiques&hellip; Le probl&egrave;me aussi c&rsquo;est le taux de m&eacute;diatisation. Quand je fais sous forme sonore ou radio, je touche un public encore plus petit et qui souvent est d&eacute;j&agrave; convaincu. Le probl&egrave;me c&rsquo;est que les gens que j&rsquo;arrive &agrave; toucher sont d&rsquo;accord avec moi. On se raconte une histoire entre nous mais cela ne sert qu&rsquo;&agrave; pr&ecirc;cher &agrave; des convertis&hellip; C&rsquo;est pour cela que je refais des ateliers plus s&eacute;rieux avec des ados par exemple.</p> <p>[&hellip;]</p> <h3>Note<br /> &nbsp;</h3> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;Thierry Guichard est journaliste litt&eacute;raire. Il est le co-fondateur avec Philippe Savary du magazine mensuel ind&eacute;pendant d&rsquo;informations litt&eacute;raires&nbsp;<em>Le Matricule des anges</em>&nbsp;dont le premier num&eacute;ro est sorti en octobre&nbsp;1992. Il en est aujourd&rsquo;hui le directeur de publication et il anime r&eacute;guli&egrave;rement des d&eacute;bats en France et &agrave; l&rsquo;&eacute;tranger. En 2013, il a ouvert un caf&eacute;-librairie &agrave; Portiragnes (H&eacute;rault) baptis&eacute;&nbsp;<em>La Part de l&rsquo;ange</em>. En f&eacute;vrier&nbsp;2009 il a r&eacute;alis&eacute; pour le num&eacute;ro&nbsp;100 du&nbsp;<em>Matricule des anges</em>&nbsp;un dossier consacr&eacute; &agrave; Chlo&eacute; Delaume, qui fut elle-m&ecirc;me pendant quelques temps chroniqueuse pour ce magazine.</p>