<h3>Abstract</h3> <p>The article examines the interviews&nbsp;conducted by Jean Thibaudeau&nbsp;with Alain Robbe-Grillet on France Culture in 1975 from different angles: a radiophonic analysis shows that the sound editing constitutes a kind of zero degree of radio aesthetics, the analysis of the dialogue reveals that the interview is rather homophonic (Bakhtin) and based on a substantial consensus between the two writers, while the staging highlights the spontaneity and the authenticity of a dialogue which Alain Robbe-Grillet benefits from to deliver an interpretation of his own career as an author, filmmaker and painter. In this interpretation he always attributes himself the role of Young Turk or the position of the vanguard not yet recognized (Bourdieu), an attitude that permits him to describe his rise to legitimacy according to the vanguard meta-narrative (Lyotard), while everything suggests that his true position is actually very different, an attitude that makes him adopt the interview role of a literary &ldquo;huckster&rdquo; (John Rodden).</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p>radio interviews, France Culture, avant-garde, Alain Robbe-Grillet, Jean Thibaudeau, discourse analysis, radio sound, literary interviews</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>Les entretiens entre Thibaudeau et Robbe-Grillet diffus&eacute;s sur France Culture d&eacute;but 1975 ont lieu &agrave; un moment important des parcours respectifs des deux &eacute;crivains. Pour Jean Thibaudeau, ils se situent apr&egrave;s son d&eacute;part du groupe Tel Quel et la publication de son roman&nbsp;<em>Ouverture, Roman noir ou Voil&agrave; les morts, &agrave; notre tour d&rsquo;en sortir</em>&nbsp;aux &eacute;ditions du Seuil en 1974&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. Quant &agrave; Alain Robbe-Grillet, l&rsquo;entretien intervient au moment o&ugrave; il a termin&eacute; le tournage de son dernier film,&nbsp;<em>Glissements progressifs du plaisir&nbsp;</em>(1974), pour lequel il avait &eacute;crit un cin&eacute;-roman du m&ecirc;me titre&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Dans le domaine strictement litt&eacute;raire, il se trouve &agrave; une &eacute;poque de changement, car&nbsp;<em>Projet pour une r&eacute;volution &agrave; New York</em>, son dernier roman, date d&eacute;j&agrave; de 1970. Deux ans apr&egrave;s l&rsquo;entretien, en 1977, il &eacute;crira un texte devenu c&eacute;l&egrave;bre apr&egrave;s avoir &eacute;t&eacute; publi&eacute; dans&nbsp;<em>Le Miroir qui revient</em>&nbsp;et qui prend d&eacute;j&agrave; ses distances avec la po&eacute;tique du Nouveau Roman. Pour les deux interlocuteurs, l&rsquo;entretien intervient donc &agrave; un moment charni&egrave;re de leur carri&egrave;re et qui pr&eacute;sente pour Alain Robbe-Grillet la possibilit&eacute; d&rsquo;une r&eacute;trospective. Et l&rsquo;auteur profite de l&rsquo;occasion pour pr&eacute;senter sa version de sa carri&egrave;re d&rsquo;&eacute;crivain et de cin&eacute;aste.</p> <p>Mais en plus de sa fonction de commentaire sur ses &oelig;uvres, qui peut &eacute;galement se manifester sous d&rsquo;autres formes et dans d&rsquo;autres m&eacute;dias, l&rsquo;entretien entre Thibaudeau et Robbe-Grillet a une dimension sp&eacute;cifique concernant la forme de l&rsquo;entretien radiophonique et dont une analyse de l&rsquo;entretien doit tenir compte. Cependant, une telle analyse pourrait &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e, du moins &agrave; premi&egrave;re vue, comme une entreprise secondaire, pr&eacute;sentant peu d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t dans le cadre d&rsquo;&eacute;tudes litt&eacute;raires. En fait, la question de l&rsquo;appartenance &agrave; la Litt&eacute;rature des entretiens d&rsquo;&eacute;crivains publi&eacute;s dans des journaux, un genre qui dispose pourtant d&rsquo;une longue tradition bien &eacute;tablie, est d&eacute;j&agrave; assez controvers&eacute;e&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>. La question se pose &eacute;videmment encore plus &agrave; propos de l&rsquo;entretien radiophonique, qui non seulement est marginal par rapport &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre litt&eacute;raire et &agrave; son inscription dans le champ litt&eacute;raire, mais joue aussi un r&ocirc;le plut&ocirc;t n&eacute;gligeable dans l&rsquo;acquisition du capital symbolique sp&eacute;cifique des &eacute;crivains&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. Si, toutefois, l&rsquo;affirmation selon laquelle &laquo;&nbsp;sans livre, il n&rsquo;y a pas d&rsquo;entretien&nbsp;&raquo; est une &eacute;vidence, c&rsquo;est bien aussi en partie sa m&eacute;diatisation qui &laquo;&nbsp;fait&nbsp;&raquo; le livre, et l&rsquo;entretien en est un des principaux &eacute;l&eacute;ments. Les &eacute;missions litt&eacute;raires &agrave; la radio et &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision en sont la meilleure illustration.&nbsp;<em>Apostrophes</em>&nbsp;en est un exemple embl&eacute;matique&nbsp;: la c&eacute;l&egrave;bre &eacute;mission de Bernard Pivot a largement contribu&eacute; &agrave; consacrer, voire &agrave; &laquo;&nbsp;cr&eacute;er&nbsp;&raquo; des &oelig;uvres et aussi des auteurs&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. Ainsi, une &eacute;tude d&eacute;di&eacute;e aux entretiens d&rsquo;&eacute;crivains s&rsquo;inscrit logiquement dans une recherche plus globale qui essaie de tenir compte des conditions &eacute;conomiques, sociales et m&eacute;diatiques de la production et de la r&eacute;ception litt&eacute;raires&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>. Elle appartient &agrave; une approche plus vaste dont la base m&eacute;thodologique fondamentale r&eacute;side dans la th&egrave;se selon laquelle une &oelig;uvre, un auteur et &agrave; plus forte raison encore un courant litt&eacute;raire ne sont pas seulement constitu&eacute;s par les livres et les pratiques d&rsquo;&eacute;critures mais &eacute;galement par tout un ensemble de discours ou de m&eacute;tadiscours qui se greffent sur ces derniers et dont les entretiens accord&eacute;s &agrave; la presse ou &agrave; la radio font partie&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>. Dans un champ social comme celui de la litt&eacute;rature, o&ugrave; les enjeux sont hautement d&eacute;termin&eacute;s par des strat&eacute;gies symboliques, les m&eacute;tadiscours ne r&eacute;fl&eacute;chissent pas seulement sur les &oelig;uvres, mais les &laquo;&nbsp;cr&eacute;ent&nbsp;&raquo; &eacute;galement ainsi que les mouvements ou groupes litt&eacute;raires&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>.</p> <p>Cette approche, d&eacute;j&agrave; tout &agrave; fait pertinente en soi, devient encore plus convaincante, quand elle s&rsquo;applique au Nouveau Roman, car tr&egrave;s t&ocirc;t les livres de Sarraute, Robbe-Grillet, Butor ou Simon ont &eacute;t&eacute; accompagn&eacute;s par de nombreux entretiens, prises de positions po&eacute;tologiques et th&eacute;oriques qui ont constitu&eacute; un v&eacute;ritable m&eacute;tadiscours sur le Nouveau Roman&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>. Parmi tous les auteurs de ce mouvement litt&eacute;raire, Alain Robbe-Grillet est probablement celui qui a men&eacute; avec le plus grand acharnement ce combat symbolique contre le roman traditionnel et qui a su se servir si habilement des journaux, de la radio et m&ecirc;me de l&rsquo;universit&eacute; pour propager ses id&eacute;es sur le roman, la litt&eacute;rature et le cin&eacute;ma que cette pratique lui a valu le titre de chef de file du Nouveau Roman&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>. Si l&rsquo;on veut donc expliquer le ph&eacute;nom&egrave;ne &laquo;&nbsp;Alain Robbe-Grillet&nbsp;&raquo;, un cas assez particulier dans l&rsquo;histoire litt&eacute;raire, il n&rsquo;est pas suffisant de se pencher uniquement sur les &oelig;uvres et les &eacute;crits th&eacute;oriques du nouveau romancier&nbsp;: il faut &eacute;galement examiner les conditions m&eacute;diatiques et mat&eacute;rielles de leur production et r&eacute;ception et tenir compte de leur mode de diffusion et de leur propagation, dans laquelle les entretiens jouent un r&ocirc;le consid&eacute;rable. Dans ce domaine de recherche, l&rsquo;interview radiophonique pr&eacute;sente quelques avantages. Contrairement aux m&eacute;dias &eacute;crits comme par exemple le journal, la revue ou le livre, la radio, en tant que m&eacute;dia acoustique est capable d&rsquo;enregistrer et de transmettre l&rsquo;interview dans toute sa r&eacute;alit&eacute; pleine, avec le timbre, la sonorit&eacute; et le volume des voix qui font partie de la conversation normale. &Agrave; la diff&eacute;rence des m&eacute;dias du &laquo;&nbsp;symbolique&nbsp;&raquo;, la radio est un m&eacute;dia du &laquo;&nbsp;r&eacute;el&nbsp;&raquo; qui est capable de reproduire un &eacute;v&eacute;nement en temps r&eacute;el, sans n&eacute;cessairement op&eacute;rer des coupures et sans obligatoirement pourvoir celui-ci d&rsquo;interpr&eacute;tations&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>. En principe, elle peut donc rendre &agrave; l&rsquo;enregistrement et &agrave; la diffusion de l&rsquo;entretien la r&eacute;alit&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue. De ce fait, il est indispensable de prendre en consid&eacute;ration non seulement le contenu ou &eacute;nonc&eacute; de l&rsquo;entretien, mais &eacute;galement la forme sp&eacute;cifique de sa pr&eacute;sentation m&eacute;diale.</p> <p>De l&agrave; surgissent quelques questions&nbsp;: les premi&egrave;res concernent &eacute;videmment les prises de positions de Robbe-Grillet sur la litt&eacute;rature et le cin&eacute;ma. Quels commentaires fait-il de son &oelig;uvre&nbsp;? Le deuxi&egrave;me aspect rel&egrave;ve de l&rsquo;analyse du dialogue. Quels r&ocirc;les les deux interlocuteurs s&rsquo;accordent-ils&nbsp;? Thibaudeau se limite-t-il &agrave; donner les r&eacute;pliques &agrave; son interlocuteur ou s&rsquo;exprime-t-il &eacute;galement sur ses propres convictions esth&eacute;tiques&nbsp;? S&rsquo;agit-il d&rsquo;un v&eacute;ritable dialogue avec des prises de positions diff&eacute;rentes ou bien plut&ocirc;t d&rsquo;une conception &laquo;&nbsp;chorale&nbsp;&raquo; de l&rsquo;entretien o&ugrave; &laquo;&nbsp;les voix&nbsp;&raquo; au sens bakhtinien du terme sont plut&ocirc;t homophoniques&nbsp;? Le troisi&egrave;me volet d&rsquo;interrogations concerne la dimension m&eacute;diale de l&rsquo;entretien. Sous quelle forme se pr&eacute;sente-t-il, comment l&rsquo;espace sonore est-il organis&eacute;, y a-t-il des plans acoustiques, des coupures, ou bien l&rsquo;entretien se fait-il dans la continuit&eacute;&nbsp;? Dans l&rsquo;ensemble, il s&rsquo;agit donc de d&eacute;gager &eacute;galement la po&eacute;tique sp&eacute;cifique de l&rsquo;entretien. Dans ce qui suit sera d&rsquo;abord analys&eacute; l&rsquo;aspect m&eacute;dial, ensuite la structure du dialogue, enfin l&rsquo;analyse du m&eacute;tadiscours de Robbe-Grillet et en particulier la mani&egrave;re dont il pr&eacute;sente ses prises de positions po&eacute;tologiques et son cheminement comme &eacute;crivain et cin&eacute;aste.</p> <h2>1. Le &laquo;&nbsp;degr&eacute; z&eacute;ro&nbsp;&raquo; de la mise en son&nbsp;: une esth&eacute;tique radiophonique de la transparence<br /> &nbsp;</h2> <p>L&rsquo;analyse m&eacute;diale des entretiens &agrave; la radio comprend diff&eacute;rents aspects. La &laquo;&nbsp;mise en sc&egrave;ne&nbsp;&raquo; se rapporte &agrave; tout de ce qui se passe devant le microphone ou bien ce qui est enregistr&eacute; par celui-ci&nbsp;: contenu (message), interlocuteurs, son des voix, forme de leur interaction et espace sonore. La &laquo;&nbsp;mise en son&nbsp;&raquo; concerne tout ce qui rel&egrave;ve de l&rsquo;appareil technique, &agrave; savoir les plans acoustiques configur&eacute;s par la distance du micro, les effets monophoniques ou st&eacute;r&eacute;ophoniques et le bruitage&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>. La &laquo;&nbsp;mise en cha&icirc;ne&nbsp;&raquo; se rapporte aux diff&eacute;rentes formes de montage acoustique&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>, tandis que la &laquo;&nbsp;mise en ondes&nbsp;&raquo;, au sens propre du terme, concerne la forme sp&eacute;cifique de diffusion, comme par exemple le format de l&rsquo;&eacute;mission, la station de radio, la fr&eacute;quence de l&rsquo;&eacute;metteur, les dates et les rythmes des &eacute;missions, etc.</p> <p>La mise en ondes de l&rsquo;entretien entre Jean Thibaudeau et Alain Robbe-Grillet se r&eacute;alise sous la forme de l&rsquo;entretien-feuilleton, un des formats courants sur les cha&icirc;nes culturelles fran&ccedil;aises d&rsquo;apr&egrave;s-guerre&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>&nbsp;: l&rsquo;ensemble est divis&eacute; en dix parties, radiodiffus&eacute;es tous les jours sauf le week-end pendant deux semaines, du 3 jusqu&rsquo;au 15 f&eacute;vrier 1975. Chaque &eacute;mission dure quinze minutes, la diffusion a lieu toujours &agrave; la m&ecirc;me heure, entre 11h45 et 12h pr&eacute;cis&eacute;ment&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>. Le d&eacute;coupage des &eacute;missions se fait en fonction des sujets &eacute;voqu&eacute;s&nbsp;: dans le premier volet de la s&eacute;rie (&Eacute;1), il est question des d&eacute;buts de Robbe-Grillet, de la r&eacute;ception de ses &oelig;uvres et des critiques souvent d&eacute;favorables, la deuxi&egrave;me &eacute;mission (&Eacute;2) tourne autour du film&nbsp;<em>L&rsquo;Ann&eacute;e derni&egrave;re &agrave; Marienbad</em>, la troisi&egrave;me (&Eacute;3) est consacr&eacute;e au r&ocirc;le des &eacute;crits th&eacute;oriques de Robbe-Grillet, la quatri&egrave;me (&Eacute;4) &agrave; l&rsquo;avant-garde et &agrave; la position de l&rsquo;&eacute;crivain dans la soci&eacute;t&eacute;, les &eacute;missions suivantes (&Eacute;5- &Eacute;6, &Eacute;7) traitent des romans de Robbe-Grillet et de leur po&eacute;tique, tandis que les suivantes (&Eacute;8, &Eacute;9, &Eacute; 10) se consacrent &agrave; ses films en mettant l&rsquo;accent sur&nbsp;<em>Le Jeu avec le feu</em>&nbsp;et&nbsp;<em>Glissements progressifs du plaisir</em>. Cependant, du fait de la diffusion sous forme de feuilleton, la coh&eacute;rence th&eacute;matique de l&rsquo;entretien n&rsquo;appara&icirc;t probablement pas tr&egrave;s clairement pour l&rsquo;auditeur. Du fait de la forme de mise en ondes et du d&eacute;coupage, le dialogue entre les deux &eacute;crivains appara&icirc;t sous une forme discontinue, la coh&eacute;rence th&eacute;matique dispara&icirc;t au profit d&rsquo;une impression de spontan&eacute;it&eacute; s&rsquo;apparentant &agrave; une conversation normale qui ne suivrait pas non plus un &laquo;&nbsp;script&nbsp;&raquo; pr&eacute;&eacute;tabli. De plus, &agrave; moins d&rsquo;enregistrer les diff&eacute;rentes &eacute;missions ou bien de se trouver tous les jours &agrave; la m&ecirc;me heure devant son poste de radio, cette forme de diffusion favorise probablement un type de r&eacute;ception que Walter Benjamin a consid&eacute;r&eacute; comme caract&eacute;ristique des mass-m&eacute;dias modernes, &agrave; savoir la &laquo;&nbsp;r&eacute;ception par la distraction&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p>Si la radiodiffusion de l&rsquo;entretien ne se fait pas de mani&egrave;re continue, la mise en cha&icirc;ne, par contre, fait tout pour en souligner la continuit&eacute;, car le montage fait rarement montre de coupures perceptibles. De sorte que l&rsquo;entretien ressemble &agrave; un dialogue ininterrompu, sans que l&rsquo;on puisse apercevoir de v&eacute;ritables marques distinctives entre les diff&eacute;rents moments de son enregistrement. Ce manque d&rsquo;indices vaut &eacute;galement pour l&rsquo;espace&nbsp;: la distance du microphone reste toujours la m&ecirc;me, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse de Thibaudeau ou de Robbe-Grillet. Il n&rsquo;y donc aucune diff&eacute;rence entre les diff&eacute;rents plans acoustiques. Cette absence notoire de toute focalisation radiophonique, qui correspond, dans la terminologie narratologique, &agrave; une focalisation z&eacute;ro, correspond &agrave; un &eacute;l&eacute;ment caract&eacute;ristique du dialogue, car il souligne le fait que, pendant leurs &eacute;changes, les deux &eacute;crivains adoptent en principe une attitude plut&ocirc;t consensuelle.</p> <p>Il n&rsquo;y a pas non plus d&rsquo;effet st&eacute;r&eacute;ophonique qui aurait permis de situer la position pr&eacute;cise des deux interlocuteurs dans l&rsquo;espace. L&rsquo;espace radiophonique restant compl&egrave;tement abstrait, les voix de Jean Thibaudeau et de Robbe-Grillet semblent ne venir de nulle part, d&rsquo;un &laquo;&nbsp;non-lieu radiophonique&nbsp;&raquo;. En combinaison avec la focalisation z&eacute;ro, le manque de positionnement dans l&rsquo;espace cr&eacute;e une esp&egrave;ce &laquo;&nbsp;d&rsquo;indiff&eacute;renciation&nbsp;&raquo; des interlocuteurs qui emp&ecirc;che l&rsquo;auditeur d&rsquo;identifier les positions respectives des deux dialoguistes. Si la position d&rsquo;un individu dans le cadre d&rsquo;un champ social correspond &agrave; ses prises de position, l&rsquo;absence de positionnement identifiable dans l&rsquo;espace radiophonique configure un type d&rsquo;entretien qui se fait sur la base d&rsquo;un accord de fond, il cr&eacute;e un espace homog&egrave;ne et harmonieux propice &agrave; des entretiens o&ugrave; les prises de paroles et de positions se font sous forme de conversation de type &laquo;&nbsp;chorale&nbsp;&raquo;. Cet effet est &eacute;galement soulign&eacute; par une autre technique de mise en sc&egrave;ne radiophonique qui, &agrave; la diff&eacute;rence de bien d&rsquo;autres entretiens enregistr&eacute;s dans un contexte naturel, confronte l&rsquo;auditeur &agrave; un espace insonoris&eacute;. La mise en sc&egrave;ne configure un espace neutre et abstrait, sans bruits, qui n&rsquo;existe pas dans la r&eacute;alit&eacute;. Tout compte fait, les techniques radiophoniques &eacute;voqu&eacute;es servent &agrave; cr&eacute;er un effet de transparence, elles servent &agrave; effacer la dimension mat&eacute;rielle et radiophonique d&rsquo;un entretien dont elles soulignent le caract&egrave;re plut&ocirc;t consensuel.</p> <p>Cette &laquo;&nbsp;transparence radiophonique&nbsp;&raquo; rel&egrave;verait d&rsquo;une analyse de &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;&raquo; radiophonique au sens de Roland Barthes, terme qui renvoie &agrave; l&rsquo;engagement de la forme esth&eacute;tique elle-m&ecirc;me&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>. La suppression des plans acoustiques, l&rsquo;effacement des coupures dans le montage, la cr&eacute;ation d&rsquo;un espace insonoris&eacute; produisent une esp&egrave;ce de &laquo;&nbsp;degr&eacute; z&eacute;ro&nbsp;&raquo; de l&rsquo;&eacute;criture radiophonique, qui fait passer au premier plan le dialogue entre les deux &eacute;crivains. Elles servent &agrave; faire oublier le m&eacute;dia de la radio dont les conditions de communication sp&eacute;cifiques provoquent une certaine g&ecirc;ne et la critique de Robbe-Grillet&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Je ne cherche pas particuli&egrave;rement les entretiens &agrave; la radio, car le public manque. Le public, il est l&agrave;, il &eacute;coute en ce moment, mais en somme, il ne parle pas. Je ne sais pas quand il tourne son bouton, quand il en a assez, quand il est int&eacute;ress&eacute;. Alors ce que j&rsquo;aime beaucoup et ce que je fais beaucoup en France ou en particulier en Am&eacute;rique, ce sont des entretiens avec un public actif alors, un public qui parle, je r&eacute;ponds vraiment &agrave; ses questions, je le laisse parler et&hellip; et&hellip; j&rsquo;essaie de r&eacute;pondre, quelquefois bien s&ucirc;r aussi avec des fuites ou quelques pirouettes, mais en tout cas, il y un contact, et c&rsquo;est ce contact qui m&rsquo;int&eacute;resse dans le public, alors que la radio coupe ce contact (10, 25&nbsp;: 10).</p> </blockquote> <p>En dehors du fait de constituer une contradiction performative consistant &agrave; critiquer l&rsquo;entretien radiophonique dans le cadre d&rsquo;un entretien radiophonique, l&rsquo;on pourrait objecter &agrave; cette th&egrave;se qu&rsquo;elle se m&eacute;prend sur l&rsquo;interaction v&eacute;ritable, car il ne s&rsquo;agit point d&rsquo;une conf&eacute;rence que l&rsquo;auteur adresserait &agrave; un public mais d&rsquo;une interview accord&eacute;e &agrave; un interlocuteur qui est &eacute;crivain lui-m&ecirc;me et qui est tout &agrave; fait pr&eacute;sent. Cependant, aussi contradictoire et d&eacute;sappropri&eacute; qu&rsquo;il soit, le commentaire de Robbe-Grillet attire l&rsquo;attention sur l&rsquo;influence que ce parti pris &laquo;&nbsp;anti-radiophonique&nbsp;&raquo; a pu avoir sur la fa&ccedil;on dont les deux interlocuteurs con&ccedil;oivent la mise en sc&egrave;ne et la &laquo;&nbsp;po&eacute;tique&nbsp;&raquo; de leur dialogue.</p> <h2>2. Une po&eacute;tique dialogique de pr&eacute;sence pleine<br /> &nbsp;</h2> <p>En fait, cette absence de public &laquo;&nbsp;naturel&nbsp;&raquo; qui g&ecirc;ne Robbe-Grillet transforme les donn&eacute;es de l&rsquo;entretien, car en plus de celui de l&rsquo;intervieweur, Jean Thibaudeau qui se voit attribuer le r&ocirc;le du public absent&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>. Et il s&rsquo;ensuit une conception de la mise en sc&egrave;ne du dialogue comme une conversation spontan&eacute;e, authentique et impromptue, dont la vivacit&eacute; et la pr&eacute;sence compensent l&rsquo;absence de public radiophonique invisible. En ce qui concerne la distribution concr&egrave;te des r&ocirc;les entre les deux interlocuteurs, c&rsquo;est &eacute;videmment, l&rsquo;interview&eacute; Alain Robbe-Grillet qui se trouve au centre de l&rsquo;entretien, tandis que Jean Thibaudeau se limite en principe &agrave; poser des questions et &agrave; donner les r&eacute;pliques &agrave; son interlocuteur. Mais en m&ecirc;me temps, Jean Thibaudeau tient bien s&ucirc;r les r&ocirc;les du &laquo;&nbsp;sc&eacute;nariste&nbsp;&raquo; et du &laquo;&nbsp;metteur en sc&egrave;ne&nbsp;&raquo; qui essaie de r&eacute;aliser le d&eacute;roulement des questions et des r&eacute;ponses comme il l&rsquo;a pr&eacute;vu, tout en suivant la liste des questions qui en constituent le sc&eacute;nario. De temps &agrave; autre, toutefois, son &laquo;&nbsp;acteur principal&nbsp;&raquo; en modifie le plan initial. Ainsi, il arrive &agrave; Jean Thibaudeau d&rsquo;avouer qu&rsquo;il avait initialement pr&eacute;vu de parler d&rsquo;autre chose mais que ce que Robbe-Grillet vient de dire l&rsquo;a fait changer d&rsquo;id&eacute;e&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>. Robbe-Grillet quant &agrave; lui, admet quelquefois qu&rsquo;il n&rsquo;est pas tout &agrave; fait s&ucirc;r d&rsquo;avoir pu dire ce qu&rsquo;il pense et se reprend ensuite pour essayer de nouveau. Gr&acirc;ce &agrave; un montage qui a laiss&eacute; ces passages tels quels, sans op&eacute;rer de coupures, l&rsquo;auditeur a l&rsquo;impression d&rsquo;assister &agrave; un &eacute;change pris sur le vif, &agrave; une parole vivante et &agrave; des voix pr&eacute;sentes qui sont impliqu&eacute;es dans un dialogue authentique. Cet effet d&rsquo;authenticit&eacute; se trouve &eacute;galement soulign&eacute; par les h&eacute;sitations et les pauses qui marquent les r&eacute;ponses de Robbe-Grillet et de temps &agrave; autre aussi les questions de Jean Thibaudeau&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>. Le fait que le montage renonce non seulement &agrave; supprimer les h&eacute;sitations, les reprises et les autocorrections &ndash;&nbsp;ce qui correspond plut&ocirc;t &agrave; une pratique courante des entretiens plus longs&nbsp;&ndash; mais qu&rsquo;il conserve aussi les pauses est tout &agrave; fait remarquable dans un contexte radiophonique, car normalement, la radio cherche &agrave; les &eacute;viter &eacute;tant donn&eacute; que &ndash;&nbsp;contrairement &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision&nbsp;&ndash; les pauses &agrave; la radio sont &laquo;&nbsp;absolues&nbsp;&raquo;, vu que ce m&eacute;dia ne conna&icirc;t que le seul canal acoustique. Dans un m&eacute;dia purement acoustique, une pause &eacute;veille toujours le soup&ccedil;on que la diffusion a &eacute;t&eacute; interrompue. Si le r&eacute;alisateur a tout de m&ecirc;me opt&eacute; pour la conservation des silences, c&rsquo;est clairement dans le dessein de conf&eacute;rer &agrave; l&rsquo;entretien une spontan&eacute;it&eacute; et une vivacit&eacute; qui soulignent l&rsquo;authenticit&eacute; et la pr&eacute;sence pleine du dialogue.</p> <p>Ceci est particuli&egrave;rement perceptible dans les moments o&ugrave; Jean Thibaudeau demande des pr&eacute;cisions &agrave; son interlocuteur, comme par exemple dans un passage sur les st&eacute;r&eacute;otypes dans les romans de Robbe-Grillet o&ugrave;, apr&egrave;s avoir prononc&eacute; un &laquo;&nbsp;oui&nbsp;&raquo; qui marque plut&ocirc;t des r&eacute;serves ou m&ecirc;me un manque d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t, et non content de la r&eacute;ponse obtenue, l&rsquo;intervieweur invite Robbe-Grillet &agrave; approfondir sa pens&eacute;e&nbsp;: &laquo;&nbsp;Oui&nbsp;! J&rsquo;aimerais &hellip; j&rsquo;aimerais que vous alliez un peu plus loin&nbsp;&raquo; (6, 2&nbsp;: 20), invitation &agrave; laquelle Robbe-Grillet donne volontiers suite. L&rsquo;exemple cit&eacute; montre que les deux &eacute;crivains partagent une conception de l&rsquo;entretien qui rel&egrave;ve d&rsquo;une esp&egrave;ce de &laquo;&nbsp;ma&iuml;eutique&nbsp;&raquo; voulant faire accoucher l&rsquo;interlocuteur d&rsquo;une pens&eacute;e que, jusque-l&agrave;, il n&rsquo;a pas encore &eacute;t&eacute; capable de formuler. Cependant, &agrave; la diff&eacute;rence de la ma&iuml;eutique socratique, les moments o&ugrave; Thibaudeau se permet de faire des objections aux explications propos&eacute;es par Robbe-Grillet sont plut&ocirc;t rares. &Agrave; ce moment-l&agrave;, il quitte son r&ocirc;le de simple donneur de r&eacute;pliques pour transformer, gr&acirc;ce &agrave; ce changement de statut, l&rsquo;entretien en un dialogue entre deux &eacute;crivains qui ont des convictions diff&eacute;rentes&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Jean Thibaudeau&nbsp;&ndash; Vous pensez que la r&eacute;volution est toujours faite par des marginaux&nbsp;? Vous pensez que l&rsquo;&eacute;crivain est dans une marge ?</p> <p>Alain Robbe-Grillet&nbsp;&ndash; Ah oui&nbsp;!</p> <p>&ndash; Moi, je pense que l&rsquo;&eacute;crivain a une fonction bien pr&eacute;cise dans la soci&eacute;t&eacute;. Elle peut &ecirc;tre marginale, &eacute;ventuellement.</p> <p>&ndash; Elle est marginale.</p> <p>&ndash; Actuellement, elle est marginale.</p> <p>&ndash; Elle est marginale partout et elle le sera probablement toujours.</p> <p>&ndash; Je ne pense pas que Victor Hugo avait une position marginale.</p> <p>&ndash; Eh ben, bravo pour Victor Hugo [<em>rires</em>] (4, 14 : 27).</p> </blockquote> <p>Il en est de m&ecirc;me &agrave; un autre moment o&ugrave; Jean Thibaudeau fait &eacute;galement une objection aux th&egrave;ses de Robbe-Grillet pour relever une contradiction entre la th&egrave;se selon laquelle il ne saurait jamais &agrave; l&rsquo;avance ce qu&rsquo;il &eacute;crit d&rsquo;une part et son parti pris esth&eacute;tique &eacute;vident contre la profondeur et l&rsquo;int&eacute;riorit&eacute; de l&rsquo;autre (7, 8&nbsp;: 52). Parfois, Thibaudeau met aussi en doute l&rsquo;image que son interlocuteur veut donner de lui-m&ecirc;me comme auteur maudit, en objectant par exemple &agrave; Robbe-Grillet qu&rsquo;il mentionne seulement les critiques n&eacute;gatives de ses romans du d&eacute;but, tout en passant sous silence les avis positifs d&rsquo;un Roland Barthes ou d&rsquo;un Georges Bataille (3, 08&nbsp;: 46). S&rsquo;installe de cette mani&egrave;re une controverse que Robbe-Grillet arrive &agrave; clore en rappelant que les rares critiques positives qu&rsquo;il avait re&ccedil;ues au d&eacute;but de sa carri&egrave;re provenaient d&rsquo;auteurs qui &eacute;taient eux-m&ecirc;mes marginalis&eacute;s (3, 09&nbsp;: 39). Un autre &eacute;l&eacute;ment souligne &eacute;galement l&rsquo;authenticit&eacute; du dialogue&nbsp;: comme Jean Thibaudeau n&rsquo;est pas critique ou journaliste mais &eacute;crivain, lui aussi, l&rsquo;interview prend de temps &agrave; autre plut&ocirc;t l&rsquo;allure d&rsquo;un &eacute;change entre deux pairs, au point d&rsquo;entra&icirc;ner quelquefois une v&eacute;ritable inversion des r&ocirc;les. Ceci est par exemple le cas quand Robbe-Grillet demande &agrave; Thibaudeau comment il a per&ccedil;u une certaine sc&egrave;ne dans un de ses films ou bien quand les deux interlocuteurs manifestent des divergences concernant le statut de l&rsquo;&eacute;crivain dans la soci&eacute;t&eacute; (voir&nbsp;<em>supra</em>).</p> <p>En ce qui concerne le dialogue en g&eacute;n&eacute;ral, l&rsquo;on peut dire que la conversation entre les deux &eacute;crivains s&rsquo;organise sur la base d&rsquo;un consensus fondamental qui fait que la po&eacute;tique de leur entretien correspond plut&ocirc;t &agrave; une homophonie de fond au sens bakhtinien du terme&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>. Cependant, cet accord de fond qui se note dans la plupart des prises de positions des deux auteurs &eacute;tonne, car les positions respectives des deux auteurs au sein du champ litt&eacute;raire sont tr&egrave;s diff&eacute;rentes, car les diff&eacute;rences d&rsquo;&acirc;ge, d&rsquo;exp&eacute;rience, de renomm&eacute;e litt&eacute;raire et de positions politiques les opposent. En 1974, Alain Robbe-Grillet, de treize ans l&rsquo;a&icirc;n&eacute; de son coll&egrave;gue, est un romancier reconnu qui se trouve, dans le champ de la production litt&eacute;raire, dans la position de l&rsquo;avant-garde consacr&eacute;e, tandis que Jean Thibaudeau, avait fait partie de&nbsp;<em>Tel Quel</em>, un groupe litt&eacute;raire qui, nonobstant sa proximit&eacute; avec certaines positions esth&eacute;tiques du Nouveau Roman, occuperait la place de l&rsquo;avant-garde non encore consacr&eacute;e&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>. Mais malgr&eacute; cette diff&eacute;rence, nous pouvons constater une certaine complicit&eacute; entre les deux &eacute;crivains. Celle-ci est certainement due &agrave; une redevance personnelle de Thibaudeau &agrave; Robbe-Grillet car, comme il se plait &agrave; le rappeler au d&eacute;but de l&rsquo;entretien, ce sont les romans de Robbe-Grillet qui l&rsquo;ont pouss&eacute; &agrave; &eacute;crire, et qui plus est, c&rsquo;est Robbe-Grillet lui-m&ecirc;me qui lui a permis de publier son premier roman&nbsp;<em>Une c&eacute;r&eacute;monie royale</em>&nbsp;chez Minuit&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>. Mais en plus de cette dette personnelle de Thibaudeau &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de Robbe-Grillet, la sympathie qui r&egrave;gne d&rsquo;une mani&egrave;re palpable entre les deux &eacute;crivains malgr&eacute; leurs positions diff&eacute;rentes, s&rsquo;explique probablement aussi par une homologie entre leurs positions respectives, car en 1974, Thibaudeau se trouve dans une situation qui montre quelques ressemblances avec celle dans laquelle se trouvait Robbe-Grillet dix ans avant, exactement &agrave; la sortie de sa premi&egrave;re s&eacute;rie de romans et du recueil&nbsp;<em>Pour un nouveau roman</em>, qui r&eacute;unissait les articles th&eacute;oriques qu&rsquo;il avait &eacute;crits auparavant pour justifier et l&eacute;gitimer son &oelig;uvre et celle de ses contemporains (3, 08&nbsp;: 00). C&rsquo;est probablement cette homologie des positions respectives &agrave; des moments diff&eacute;rents de leur carri&egrave;re qui explique l&rsquo;accord de fond entre les deux dialoguistes et &eacute;galement le choix de Thibaudeau pour r&eacute;aliser l&rsquo;entretien. Mais la raison la plus importante pour avoir choisi ou accept&eacute; Jean Thibaudeau comme intervieweur r&eacute;side dans la critique que Robbe-Grillet a souvent faite des entretiens avec des journalistes, qui selon lui ne sont pas des sp&eacute;cialistes de son &oelig;uvre et font souvent preuve d&rsquo;un manque de connaissance, ce qui n&rsquo;arrive certainement pas avec un interlocuteur aussi bien renseign&eacute; que Thibaudeau qui de surcro&icirc;t est &eacute;crivain lui-m&ecirc;me&nbsp;<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>.</p> <p>Tout compte fait, l&rsquo;on peut constater que tous les proc&eacute;d&eacute;s de la mise en sc&egrave;ne contribuent &agrave; cr&eacute;er l&rsquo;impression d&rsquo;un dialogue pris sur le vif et d&rsquo;une pens&eacute;e pr&eacute;sente qui se cherche et qui cherche &agrave; produire des id&eacute;es. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une po&eacute;tique de la parole vive, vivante et d&rsquo;une pens&eacute;e qui ne conna&icirc;t pas encore sa fin au moment o&ugrave; elle commence &agrave; se faire. La plupart des techniques radiophoniques et les conceptions dialogiques de l&rsquo;entretien sont plut&ocirc;t redevables &agrave; un art de la conversation qui mise sur la capacit&eacute; des interlocuteurs de produire, dans et par leur &eacute;change, des id&eacute;es parfois nouvelles, parfois expos&eacute;es autre part mais dont la version radiophonique a l&rsquo;avantage de la pr&eacute;sence pleine d&rsquo;une parole prise sur le vif&nbsp;<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>&nbsp;compensant compl&egrave;tement cette absence de public qui g&ecirc;ne Robbe-Grillet. Que les deux dialoguistes aient parfaitement conscience de la dimension po&eacute;tique de leur entretien appara&icirc;t de mani&egrave;re explicite &agrave; la fin, quand Jean Thibaudeau pose une question sur le caract&egrave;re po&eacute;tique ou bien politique de l&rsquo;entretien&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Jean Thibaudeau&nbsp;&ndash; Alors, &agrave; la fin de ces entretiens une question&nbsp;[<em>coupe</em>]&nbsp;: Qu&rsquo;est-ce que ces entretiens ont de r&eacute;volutionnant&nbsp;?</p> <p>Alain Robbe-Grillet&nbsp;&ndash; Quelqu&rsquo;un qui fait des romans ou des films, en fin de compte n&rsquo;a rien d&rsquo;autre &agrave; dire que cette &oelig;uvre, ces &oelig;uvres qu&rsquo;il a produites et qu&rsquo;il a propos&eacute;es au public. Le syst&egrave;me des mass-m&eacute;dias, les journaux, les radios etc. ont tendance justement, dans un souci de promotion &ndash;&nbsp;d&rsquo;ailleurs louable pour faire conna&icirc;tre tel ou tel cr&eacute;ateur au public&nbsp;&ndash; a [<em>sic]</em>&nbsp;tendance &agrave; chaque instant &agrave; lui demander des explications en dehors en somme de son &oelig;uvre. Et il y a l&agrave; quelque chose de tout &agrave; fait g&ecirc;nant. Il y a d&rsquo;ailleurs des cr&eacute;ateurs &ndash;&nbsp;je pense par exemple &agrave; Samuel Beckett ou Henri Michaux&nbsp;&ndash; qui refusent absolument, c&rsquo;est-&agrave;-dire que&hellip; (10, 11&nbsp;: 55).</p> </blockquote> <p>Dans sa r&eacute;ponse, Jean Thibaudeau objecte que Robbe-Grillet a toujours voulu tenir un r&ocirc;le public et rel&egrave;ve de cette mani&egrave;re le fait que l&rsquo;attitude de Robbe-Grillet est du moins contradictoire pour ne pas dire paradoxale, car &agrave; quoi cela rime-t-il de donner une interview pour finir par critiquer la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;en donner et par remettre son int&eacute;r&ecirc;t en question ou bien de vouloir tenir un r&ocirc;le public tout en en critiquant la n&eacute;cessit&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>?</p> <p>Si ce m&eacute;tadiscours de l&rsquo;entretien sur l&rsquo;entretien r&eacute;v&egrave;le donc le fait que les deux dialoguistes sont parfaitement conscients de la dimension po&eacute;tique de leur entretien, ils constatent n&eacute;anmoins de mani&egrave;re plus ou moins explicite que leur &eacute;change manque justement d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments qui puissent la r&eacute;volutionner. Robbe-Grillet ram&egrave;ne ce d&eacute;faut aux mass-m&eacute;dias, parmi lesquels il compte seulement les m&eacute;dias audio-visuels, mais curieusement pas les livres et les conditions de communication qu&rsquo;ils imposent aux &eacute;crivains. Mais la v&eacute;ritable question ne r&eacute;side probablement pas dans ce constat mais plut&ocirc;t dans le fait que les deux &eacute;crivains se croient oblig&eacute;s de r&eacute;pondre &agrave; une attente de po&eacute;tique r&eacute;volutionnaire. D&rsquo;o&ugrave; vient cette expectative ? Il est &agrave; supposer qu&rsquo;elle provient d&rsquo;une m&eacute;tonymie discursive qui transpose les attentes relatives &agrave; leurs propres pratiques esth&eacute;tiques sur l&rsquo;entretien radiophonique, une attente qui se trouve encore renforc&eacute;e par le fait que, dans ses pi&egrave;ces radiophoniques, comme par exemple&nbsp;<em>Reportage d&rsquo;un match international de football</em>, Jean Thibaudeau a montr&eacute; que l&rsquo;on peut r&eacute;volutionner la po&eacute;tique de la radio&nbsp;<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>. Or, si nous comparons la forme sp&eacute;cifique de la r&eacute;alisation radiophonique de l&rsquo;entretien avec les principes esth&eacute;tiques du Nouveau roman ou de Tel Quel, force est de constater qu&rsquo;il existe une divergence consid&eacute;rable entre les deux po&eacute;tiques. Tandis que les diff&eacute;rentes esth&eacute;tiques du Nouveau Roman et en particulier celle de Robbe-Grillet font tout pour mettre en relief l&rsquo;&eacute;criture dans sa mat&eacute;rialit&eacute; et pour y puiser de nouvelles formes esth&eacute;tiques, les principes de la r&eacute;alisation de l&rsquo;entretien contribuent &agrave; cr&eacute;er une transparence et un certain &laquo;&nbsp;effet de r&eacute;el&nbsp;&raquo;. Cependant, la po&eacute;tique de l&rsquo;entretien n&rsquo;est pas tout &agrave; fait homog&egrave;ne, car &agrave; la diff&eacute;rence de la mise en son, la mise en sc&egrave;ne du dialogue s&rsquo;approche un peu plus de l&rsquo;esth&eacute;tique du Nouveau Roman et de&nbsp;<em>Tel Quel</em>&nbsp;en ceci qu&rsquo;elle enregistre en temps r&eacute;el un dialogue propice &agrave; faire surgir une id&eacute;e de la pratique robbe-grilletienne&nbsp;<a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a>. Cette impression de pr&eacute;sence est toutefois, en dernier lieu, le produit d&rsquo;une absence voulue, &agrave; savoir celle du signifiant radiophonique.</p> <h2>3. Comment on &eacute;crit l&rsquo;histoire litt&eacute;raire ou le portrait de l&rsquo;auteur c&eacute;l&egrave;bre en Jeune Turc permanent<br /> &nbsp;</h2> <p>Si les &eacute;crits th&eacute;oriques de Robbe-Grillet constituent principalement des prises de position esth&eacute;tiques et id&eacute;ologiques, l&rsquo;on peut constater que l&rsquo;entretien avec Thibaudeau, qui contient certes &eacute;galement des &eacute;l&eacute;ments po&eacute;tologiques, est surtout compl&eacute;mentaire de ses conf&eacute;rences, discussions et livres th&eacute;oriques. Tandis que dans&nbsp;<em>Pour un nouveau roman</em>&nbsp;et lors de ses conf&eacute;rences et colloques, l&rsquo;auteur a surtout d&eacute;velopp&eacute; la th&eacute;orie de son &oelig;uvre, dans l&rsquo;entretien avec Thibaudeau, il &eacute;crit sa version de l&rsquo;histoire litt&eacute;raire du Nouveau Roman et de sa propre carri&egrave;re.</p> <p>Son parcours, Robbe-Grillet le pr&eacute;sente sous la forme d&rsquo;une constellation et d&rsquo;un r&eacute;cit qui, malgr&eacute; les diff&eacute;rences entre les &eacute;poques, les genres et les m&eacute;dias, respectent toujours la m&ecirc;me structure et dont on peut relever les &eacute;l&eacute;ments constitutifs suivants&nbsp;: dans la litt&eacute;rature et le cin&eacute;ma, il s&rsquo;assigne toujours la m&ecirc;me position, &agrave; savoir celle d&rsquo;un &eacute;ternel d&eacute;butant. D&eacute;j&agrave;, dans sa jeunesse, il n&rsquo;a pas beaucoup lu et il connaissait mal les auteurs du canon litt&eacute;raire (3, 03&nbsp;: 35). Sa position externe au champ litt&eacute;raire se confirme plus tard, vu qu&rsquo;il gagnait sa vie comme ing&eacute;nieur agronome avant de commencer &agrave; &eacute;crire. Mais selon lui, cette position constitue un grand avantage, car &laquo;&nbsp;la r&eacute;volution vient toujours des marges&nbsp;&raquo; (4, 14&nbsp;: 27). C&rsquo;est &agrave; cette position qu&rsquo;il attribue &eacute;galement le vif rejet que ses premiers romans ont rencontr&eacute; aupr&egrave;s d&rsquo;une critique lui objectant que &laquo;&nbsp;c&rsquo;est pas comme &ccedil;a qu&rsquo;on fait&nbsp;&raquo;. Ses pr&eacute;occupations th&eacute;oriques sont expliqu&eacute;es par le rejet de la critique et par l&rsquo;obligation de mener une lutte acharn&eacute;e pour imposer sa propre vision de la litt&eacute;rature et pour se faire reconna&icirc;tre comme auteur (1, 08&nbsp;: 30). La raison particuli&egrave;re de l&rsquo;hostilit&eacute; de la critique r&eacute;side, selon lui, dans une particularit&eacute; esth&eacute;tique de ses premiers romans, qui tournaient tous autour d&rsquo;un vide, d&rsquo;une attente cr&eacute;&eacute;e chez le lecteur mais jamais satisfaite&nbsp;: ainsi,&nbsp;<em>Les Gommes&nbsp;</em>est pr&eacute;sent&eacute; comme un roman policier sans crime,&nbsp;<em>Le Voyeur&nbsp;</em>est le r&eacute;cit d&rsquo;un vicieux sans vice et&nbsp;<em>La Jalousie</em>&nbsp;la mise en jeu d&rsquo;un triangle &eacute;rotique sans sc&egrave;ne d&rsquo;amour (5, 06&nbsp;: 12). Les trois premiers romans apparaissent donc comme des r&eacute;alisations &agrave; la fois esth&eacute;tiques et strat&eacute;giques destin&eacute;es &agrave; attirer des lecteurs traditionnels par leurs th&egrave;mes, personnages et histoires pour ensuite d&eacute;cevoir leurs attentes afin de diriger leur attention vers autre chose. Ainsi, Robbe-Grillet interpr&egrave;te la po&eacute;tique de ses premiers romans dans les m&ecirc;mes termes que ses pr&eacute;occupations th&eacute;oriques&nbsp;: c&rsquo;est une autre forme d&rsquo;une p&eacute;dagogie destin&eacute;e &agrave; &eacute;duquer le lecteur.</p> <p>Malgr&eacute; la diff&eacute;rence ind&eacute;niable entre les premiers romans et ceux &agrave; partir de&nbsp;<em>Dans le labyrinth</em>e, cette &eacute;ducation po&eacute;tologique continue apr&egrave;s, car les sch&eacute;mas, st&eacute;r&eacute;otypes et clich&eacute;s dont l&rsquo;&eacute;crivain fait usage dans la deuxi&egrave;me s&eacute;rie de ses romans sont puis&eacute;s dans une culture populaire, et sont donc &eacute;galement faits pour attirer les lecteurs. C&rsquo;est Jean Thibaudeau qui rel&egrave;ve la base commune de ces deux esth&eacute;tiques, &agrave; savoir un rejet de toute pr&eacute;tention &agrave; une profondeur ou int&eacute;riorit&eacute; quelconque (6, 09&nbsp;: 41), accompagn&eacute; d&rsquo;une pr&eacute;f&eacute;rence nette pour la surface des ph&eacute;nom&egrave;nes. Tout compte fait, le pari d&rsquo;une &eacute;ducation esth&eacute;tique des lecteurs a &eacute;t&eacute; gagn&eacute;, car les &oelig;uvres de l&rsquo;ancien romancier maudit rencontrent aujourd&rsquo;hui un accueil plus favorable de la critique et une reconnaissance de plus en plus grande des lecteurs (1, 09&nbsp;: 04) qui se termine donc par la cons&eacute;cration de l&rsquo;auteur comme &eacute;crivain admis (1, 09&nbsp;: 25).</p> <p>En g&eacute;n&eacute;ral, Robbe-Grillet pr&eacute;sente donc sa carri&egrave;re de romancier selon le mod&egrave;le du cheminement de l&rsquo;avant-garde, &agrave; savoir comme une ascension constante du cr&eacute;ateur r&eacute;volutionnaire vers la reconnaissance.</p> <p>En fait, dans les passages dans lesquels il parle de ses d&eacute;buts comme conseiller litt&eacute;raire aux &Eacute;ditions de Minuit, les attitudes qu&rsquo;il per&ccedil;oit chez les responsables correspondent exactement &agrave; la structure du champ litt&eacute;raire telle que la sociologie structurale l&rsquo;a con&ccedil;ue. Selon lui, l&rsquo;&eacute;dition litt&eacute;raire de l&rsquo;&eacute;poque &eacute;tait marqu&eacute;e par une opposition tr&egrave;s nette entre les grandes maisons d&rsquo;&eacute;dition d&rsquo;une part, qui publiaient des livres traditionnels dont le lectorat &eacute;tait pratiquement assur&eacute; et, de l&rsquo;autre, les petits &eacute;diteurs qui publiaient des livres par sens du devoir avant-gardiste sans se soucier de l&rsquo;accueil qui leur serait r&eacute;serv&eacute; et sans essayer particuli&egrave;rement de les faire lire ou vendre (3, 14&nbsp;:20). Au contraire, la relation entre le succ&egrave;s de vente d&rsquo;un livre d&rsquo;une part et sa l&eacute;gitimit&eacute; au sein de la litt&eacute;rature de l&rsquo;autre &eacute;tait inversement proportionnelle&nbsp;: aux &eacute;ditions de Minuit par exemple, d&egrave;s qu&rsquo;un livre se vendait &agrave; plus de 300 exemplaires, le conseiller responsable commen&ccedil;ait, selon Robbe-Grillet, &agrave; douter de sa qualit&eacute; litt&eacute;raire.</p> <p>Or, les structures d&eacute;crites par l&rsquo;auteur ne datent pas des ann&eacute;es cinquante, car elles correspondent en tous les points au mod&egrave;le du champ litt&eacute;raire avant-gardiste tel que par exemple Pierre Bourdieu l&rsquo;a analys&eacute;&nbsp;: elles opposent des auteurs reconnus qui se trouvent au sommet de la hi&eacute;rarchie litt&eacute;raire, disposant d&rsquo;un capital symbolique et &eacute;conomique &eacute;lev&eacute; &agrave; une avant-garde qui n&rsquo;est pas encore reconnue, ayant un capital symbolique et &eacute;conomique r&eacute;duit, ce qui lui assigne une position subordonn&eacute;e, mais lui donne la possibilit&eacute; de d&eacute;noncer chaque succ&egrave;s de vente comme une trahison des valeurs litt&eacute;raires inh&eacute;rentes au champ&nbsp;<a href="#_ftn29" name="_ftnref29">[29]</a>. La strat&eacute;gie d&eacute;crite par Robbe-Grillet se con&ccedil;oit dans le cadre du processus habituel de la modernit&eacute; par lequel tout mouvement avant-gardiste ayant un capital symbolique sp&eacute;cifique tr&egrave;s &eacute;lev&eacute; et un capital &eacute;conomique tr&egrave;s r&eacute;duit en dehors du champ litt&eacute;raire se transforme, au cours du temps, en avant-garde consacr&eacute;e et reconnue, qui de ce fait disposera ensuite &eacute;galement d&rsquo;un capital symbolique et d&rsquo;un capital &eacute;conomique consid&eacute;rables au sein du champ social&nbsp;<a href="#_ftn30" name="_ftnref30">[30]</a>. Cette ascension ne se produit &eacute;videmment pas toute seule, mais est amorc&eacute;e par la d&eacute;claration d&rsquo;une &laquo;&nbsp;crise&nbsp;&raquo; de l&rsquo;avant-garde consacr&eacute;e par l&rsquo;avant-garde qui n&rsquo;est pas encore reconnue, une crise qui ne consiste en rien d&rsquo;autre que dans l&rsquo;ensemble de strat&eacute;gies symboliques (dont la publication de manifestes et de critiques) qui ont pour dessein de la produire&nbsp;<a href="#_ftn31" name="_ftnref31">[31]</a>. L&rsquo;analyse des chiffres de vente de&nbsp;<em>La Jalousie</em>&nbsp;propos&eacute;e par Pierre Bourdieu confirme cette &eacute;volution car les statistiques montrent une lente mais constante progression des ventes qui &ndash; selon lui &ndash; serait due &agrave; l&rsquo;&eacute;conomie secondaire du march&eacute; scolaire et universitaire, promue par la th&eacute;orisation de la pratique d&rsquo;&eacute;criture du Nouveau Roman&nbsp;<a href="#_ftn32" name="_ftnref32">[32]</a>.</p> <p>Jusqu&rsquo;ici, la teneur du parcours tel que Robbe-Grillet le pr&eacute;sente est donc tr&egrave;s claire&nbsp;: il trace son propre cheminement dans la litt&eacute;rature et dans le cin&eacute;ma selon le &laquo;&nbsp;m&eacute;tar&eacute;cit&nbsp;&raquo; de l&rsquo;avant-garde qui s&rsquo;&eacute;tend de ses d&eacute;buts comme &eacute;crivain non l&eacute;gitime jusqu&rsquo;&agrave; la reconnaissance finale comme auteur reconnu.</p> <p>Mais selon ses propres paroles, Robbe-Grillet ne s&rsquo;est pas content&eacute; de suivre le chemin prescrit par la structure du champ litt&eacute;raire en progressant au sein de cette structure tout en acceptant ses r&egrave;gles implicites, mais comme pour l&rsquo;esth&eacute;tique du roman et du cin&eacute;ma&nbsp;: il l&rsquo;a &eacute;galement r&eacute;volutionn&eacute;e.</p> <p>Apr&egrave;s son arriv&eacute;e dans la maison d&rsquo;&eacute;ditions de J&eacute;r&ocirc;me Lindon, Robbe-Grillet a dit-il essay&eacute; de dynamiser la structure statique du champ litt&eacute;raire en d&eacute;veloppant une strat&eacute;gie &eacute;ditoriale propice &agrave; cr&eacute;er un public capable d&rsquo;appr&eacute;cier les livres qui ne trouveraient pas de lecteur sans ce travail &laquo;&nbsp;d&rsquo;&eacute;ducation esth&eacute;tique&nbsp;&raquo;. De ce fait, selon lui, il a &eacute;t&eacute; le premier &agrave; vouloir faire passer une lutte d&rsquo;avant-garde au grand public et &agrave; faire admettre chez le lecteur &laquo;&nbsp;normal&nbsp;&raquo; des &oelig;uvres avant-gardistes. La publication de&nbsp;<em>Pour un nouveau roman</em>&nbsp;s&rsquo;inscrirait donc enti&egrave;rement dans cette strat&eacute;gie de p&eacute;dagogie et de publicit&eacute; avant-gardiste qui r&eacute;volutionne en m&ecirc;me temps les structures du champ litt&eacute;raire. Au cours de l&rsquo;interview, Robbe-Grillet ne cesse de r&eacute;p&eacute;ter que ses &eacute;crits th&eacute;oriques n&rsquo;ont jamais &eacute;t&eacute; con&ccedil;us en vue de prescrire des concepts po&eacute;tologiques &eacute;tablis d&rsquo;avance, mais qu&rsquo;ils sont intervenus apr&egrave;s-coup, une fois les &oelig;uvres de Butor, Simon, Sarraute et les siennes publi&eacute;es (4, 04&nbsp;: 09&nbsp;; 4, 11&nbsp;: 27).</p> <p>Toutes ces structures et stratag&egrave;mes s&rsquo;appliquent &eacute;galement &agrave; ses &oelig;uvres cin&eacute;matographiques. Tout au d&eacute;but de l&rsquo;entretien, Jean Thibaudeau raconte qu&rsquo;il avait observ&eacute;, lors de la projection du film&nbsp;<em>Glissements progressifs du plaisir</em>, que son auteur se trouvait toujours confront&eacute; &agrave; des critiques n&eacute;gatives (1, 02&nbsp;:03). Robbe-Grillet confirme tout de suite en constatant qu&rsquo;avec ses premiers films, il s&rsquo;&eacute;tait trouv&eacute; exactement dans la m&ecirc;me position qu&rsquo;&agrave; ses d&eacute;buts litt&eacute;raires. Et effectivement, les premiers films de ce r&eacute;alisateur venu de la litt&eacute;rature rencontrent un rejet presque unanime de la part de la critique traditionnelle. Pour celle-ci tout est &laquo;&nbsp;faux&nbsp;&raquo; et elle attribue les nombreux &laquo;&nbsp;d&eacute;fauts&nbsp;&raquo; des films au fait que l&rsquo;&eacute;crivain est un d&eacute;butant dans le domaine de la mise en sc&egrave;ne (1, 10&nbsp;: 25). De ce fait, Robbe-Grillet se trouve dans une position double, o&ugrave; la d&eacute;sormais bonne r&eacute;ception de ses livres va de pair avec la mauvaise r&eacute;ception de ses premiers films (1, 11 :18). Thibaudeau voit tout de m&ecirc;me une exception &agrave; cette r&egrave;gle&nbsp;:&nbsp;<em>L&rsquo;Ann&eacute;e derni&egrave;re &agrave; Marienbad</em>, ovationn&eacute; par la critique et les festivals du cin&eacute;ma malgr&eacute; son esth&eacute;tique r&eacute;volutionnaire&nbsp;<a href="#_ftn33" name="_ftnref33">[33]</a>. Mais selon Robbe-Grillet, ce succ&egrave;s ne vient pas de son propre travail, mais de celui du r&eacute;alisateur Alain Resnais qui voulait plaire au public (2, 04&nbsp;: 40)&nbsp;<a href="#_ftn34" name="_ftnref34">[34]</a>.</p> <p>Dans l&rsquo;ensemble, on peut constater que le r&eacute;cit de la carri&egrave;re du metteur en sc&egrave;ne Robbe-Grillet se construit selon le m&ecirc;me sch&eacute;ma que celui de son cheminement en litt&eacute;rature, car comme auparavant dans la litt&eacute;rature, l&rsquo;&eacute;crivain est d&eacute;sormais admis comme cin&eacute;aste reconnu dans le champ de la production cin&eacute;matographique (1, 11&nbsp;: 57). Or, si l&rsquo;on peut consid&eacute;rer qu&rsquo;il d&eacute;crit son cheminement comme &eacute;crivain avec justesse, on remarquera qu&rsquo;il oublie de tenir compte du fait qu&rsquo;en tant que cin&eacute;aste, il a pu mettre &agrave; profit tout le capital symbolique d&eacute;j&agrave; acquis dans le domaine litt&eacute;raire pour faire ses premiers films. C&rsquo;est entre autres gr&acirc;ce &agrave; sa renomm&eacute;e litt&eacute;raire qu&rsquo;il a pu r&eacute;unir l&rsquo;argent n&eacute;cessaire pour faire des films. On peut donc dire que, contrairement aux cin&eacute;astes de la&nbsp;<em>Nouvelle Vague</em>, comme Truffaut ou Chabrol, dont il se moque par ailleurs ouvertement (1, 02&nbsp;:02), il n&rsquo;a jamais occup&eacute;, dans le champ du cin&eacute;ma, la position d&rsquo;avant-gardiste &agrave; laquelle il pr&eacute;tend.</p> <p>Cette diff&eacute;rence entre la position pr&eacute;sent&eacute;e par l&rsquo;auteur et sa position r&eacute;elle fait surgir la question des motifs. Quelle est la fonction de cette insistance presque permanente sur la post&eacute;riorit&eacute; de la th&eacute;orie par rapport &agrave; la pratique esth&eacute;tique qui pr&eacute;sente par ailleurs une chronologie inverse &agrave; celle des avant-gardes historiques&nbsp;? Si en effet celles-ci lancent un manifeste pour exhorter les membres du groupe &agrave; certaines pratiques, les th&eacute;ories litt&eacute;raires de Robbe-Grillet sont post&eacute;rieures aux pratiques esth&eacute;tiques qu&rsquo;elles expliquent apr&egrave;s-coup.</p> <p>En fait, l&rsquo;activit&eacute; constante de r&eacute;flexion th&eacute;orique et d&rsquo;explication p&eacute;dagogique a fini, au plus tard au milieu des ann&eacute;es soixante-dix, par conf&eacute;rer &agrave; Robbe-Grillet le statut de v&eacute;ritable th&eacute;oricien programmatique et de chef de file du Nouveau Roman, une position qui lui a permis de s&rsquo;&eacute;riger comme juge impitoyable de ses confr&egrave;res. ON se souvient qu&rsquo;il s&rsquo;&eacute;tait plu, lors du fameux colloque de Cerisy consacr&eacute; au Nouveau Roman, &agrave; accuser Claude Simon et particuli&egrave;rement Michel Butor d&rsquo;avoir cherch&eacute; &agrave; transcender la mat&eacute;rialit&eacute; du signifiant litt&eacute;raire pour &eacute;tablir &ndash;&nbsp;<em>horribile dictu</em>&nbsp;&ndash; une signification ou un sens&nbsp;<a href="#_ftn35" name="_ftnref35">[35]</a>&nbsp;! Il est probable que c&rsquo;est justement pour dissiper le soup&ccedil;on d&rsquo;avoir enferm&eacute; le Nouveau Roman dans les th&eacute;ories d&rsquo;une &eacute;criture autor&eacute;f&eacute;rentielle et auto-g&eacute;n&eacute;ratrice et d&rsquo;avoir exerc&eacute; une certaine terreur th&eacute;orique, que Robbe-Grillet insiste tant sur la motivation &laquo;&nbsp;p&eacute;dagogique&nbsp;&raquo; originelle de sa propre r&eacute;flexion th&eacute;orique&nbsp;<a href="#_ftn36" name="_ftnref36">[36]</a>.</p> <h2>4. Conclusion<br /> &nbsp;</h2> <p>En r&eacute;sum&eacute;, on peut dire que cet entretien de Robbe-Grillet avec Thibaudeau constituent un m&eacute;tadiscours compl&eacute;mentaire des &eacute;crits et interventions th&eacute;oriques de l&rsquo;&eacute;crivain. Si la fonction de ces derniers consiste avant tout &agrave; d&eacute;velopper une&nbsp;<em>th&eacute;orie litt&eacute;raire</em>&nbsp;des pratiques esth&eacute;tiques du Nouveau Roman en g&eacute;n&eacute;ral et de Robbe-Grillet en particulier, l&rsquo;entretien sert surtout &agrave; &eacute;crire&nbsp;<em>l&rsquo;histoire litt&eacute;raire</em>&nbsp;de ce mouvement avant-gardiste et de la carri&egrave;re de son chef-de-file. Comme nous avons pu le constater, cette histoire litt&eacute;raire prend la forme d&rsquo;un m&eacute;tar&eacute;cit o&ugrave; Robbe-Grillet se pr&eacute;sente toujours comme un d&eacute;butant et r&eacute;volutionnaire permanent dans les domaines de la litt&eacute;rature &ndash;&nbsp;et aussi celui du cin&eacute;ma. Dans ses entretiens avec Thibaudeau, Robbe-Grillet affirme avoir acquis la reconnaissance de la critique litt&eacute;raire &agrave; l&rsquo;&acirc;ge de 40 ans, donc seulement dix ans apr&egrave;s ses d&eacute;buts, et celle de la critique du cin&eacute;ma pas avant l&rsquo;&acirc;ge de 50 ans, donc dix ans apr&egrave;s ses premiers films. Imm&eacute;diatement apr&egrave;s, il raconte qu&rsquo;il se tourne maintenant vers la peinture&nbsp;: cela laisse supposer qu&rsquo;en plus de ses pr&eacute;occupations pour de nouveaux modes d&rsquo;expression esth&eacute;tique, c&rsquo;est bien la possibilit&eacute; d&rsquo;occuper chaque fois de nouveau la position de l&rsquo;avant-gardiste non reconnu mais l&eacute;gitime qui pr&eacute;sente un grand int&eacute;r&ecirc;t pour lui, car elle le rend d&eacute;positaire d&rsquo;un haut degr&eacute; de reconnaissance au sein du champ m&ecirc;me (1,12&nbsp;: 34)&nbsp;<a href="#_ftn37" name="_ftnref37">[37]</a>. Gr&acirc;ce &agrave; cet autoportrait de l&rsquo;artiste reconnu en auteur maudit, Robbe-Grillet s&rsquo;arroge &eacute;galement un r&ocirc;le qui incombe habituellement aux jeunes &eacute;crivains ou cin&eacute;astes d&eacute;butant leur carri&egrave;re. L&rsquo;affirmation selon laquelle il aurait toujours &eacute;t&eacute; un d&eacute;butant (1, 06&nbsp;: 57) revient &agrave; d&eacute;clarer qu&rsquo;il occupe ce r&ocirc;le d&rsquo;une mani&egrave;re presque permanente, ce qui n&rsquo;est certainement pas le cas.</p> <p>Comme nous le savons, ce n&rsquo;est pas en peinture que Robbe-Grillet a provoqu&eacute; une nouvelle fois une &laquo;&nbsp;r&eacute;volution&nbsp;&raquo;, mais dans le domaine de la litt&eacute;rature. En fait, le renouveau po&eacute;tique et esth&eacute;tique que l&rsquo;auteur entreprendra dans les ann&eacute;es 1980 avec la &laquo;&nbsp;nouvelle autobiographie&nbsp;&raquo; ob&eacute;it au m&ecirc;me sch&eacute;ma de &laquo;&nbsp;r&eacute;volution permanente&nbsp;&raquo; examin&eacute; ci-dessus. Mais cette fois-ci, c&rsquo;est le Nouveau Roman lui-m&ecirc;me qui est vis&eacute;, avec ses partis pris th&eacute;oriques et esth&eacute;tiques comme la &laquo;&nbsp;mort de l&rsquo;auteur&nbsp;&raquo;, la &laquo;&nbsp;productivit&eacute; de l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;&raquo; et une po&eacute;tique bas&eacute;e sur la &laquo;&nbsp;mat&eacute;rialit&eacute; du signifiant&nbsp;&raquo; &ndash; des acquis th&eacute;oriques et esth&eacute;tiques qui sont tous trait&eacute;s de &laquo;&nbsp;niaiseries rassurantes&nbsp;&raquo; par l&rsquo;auteur du<em>&nbsp;Miroir qui revient&nbsp;</em><a href="#_ftn38" name="_ftnref38">[38]</a>. Avec cette petite diff&eacute;rence toutefois que, cette fois-ci, Robbe-Grillet essaie d&rsquo;occuper en m&ecirc;me temps deux positions diam&eacute;tralement oppos&eacute;es et contradictoires dans le champ litt&eacute;raire&nbsp;: d&rsquo;une part, en tant qu&rsquo;auteur jouissant d&rsquo;un grand prestige, il se trouve dans la position sup&eacute;rieure de l&rsquo;avant-garde reconnue et consacr&eacute;e, tandis que de l&rsquo;autre, il se situe volontairement dans la position inf&eacute;rieure en promouvant le courant de la Nouvelle Autobiographie, ce qui lui donne l&rsquo;avantage de se pr&eacute;senter comme le seul candidat l&eacute;gitime &agrave; sa propre succession. Mais cet autoportrait de l&rsquo;&eacute;crivain reconnu en Jeune Turc de la litt&eacute;rature est &eacute;videmment une &laquo;&nbsp;posture litt&eacute;raire&nbsp;<a href="#_ftn39" name="_ftnref39">[39]</a>&raquo;. En r&eacute;alit&eacute;, elle correspond m&ecirc;me &agrave; une imposture qui rend mensonger le m&eacute;tar&eacute;cit avant-gardiste qui lui sert chaque fois de l&eacute;gitimation. Dans la classification propos&eacute;e par John Rodden des diff&eacute;rents r&ocirc;les adopt&eacute;s par les auteurs dans les entretiens litt&eacute;raires, Alain Robbe-Grillet ferait donc partie des &laquo;&nbsp;bonimenteurs&nbsp;<a href="#_ftn40" name="_ftnref40">[40]</a>&nbsp;&raquo;, mais dans un sens plus profond que celui d&rsquo;un auteur qui ment sur des d&eacute;tails de sa vie priv&eacute;e ou de sa vie d&rsquo;&eacute;crivain car ici, le mensonge porte sur le mythe cr&eacute;&eacute; par lui autour de sa propre carri&egrave;re et des positions auxquelles il pr&eacute;tend sans qu&rsquo;elles correspondent &agrave; sa v&eacute;ritable situation ou position. Cela dit, l&rsquo;entretien montre &eacute;galement &agrave; quel point ces mensonges ont &eacute;t&eacute; propices, pour ne pas dire n&eacute;cessaires, &agrave; une carri&egrave;re litt&eacute;raire qui n&rsquo;aurait peut-&ecirc;tre pas &eacute;t&eacute; possible sans eux.</p> <h3><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h3> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;La rupture avec Tel Quel se fait sur le fond d&rsquo;une continuit&eacute;, &agrave; savoir de son engagement au Parti Communiste Fran&ccedil;ais qu&rsquo;il ne quittera qu&rsquo;en 1979 et qui lui fait adopter un positionnement diff&eacute;rent de celui de Robbe-Grillet, car &ndash;&nbsp;contrairement &agrave; Robbe-Grillet&nbsp;&ndash; il d&eacute;fend le lien entre litt&eacute;rature et politique. En ce qui concerne la radio, au moment o&ugrave; il r&eacute;alise l&rsquo;interview avec Robbe-Grillet, il dispose d&rsquo;une longue exp&eacute;rience dans la production radiophonique, car il a d&eacute;j&agrave; &agrave; son effectif plusieurs productions, entre autres des pi&egrave;ces radiophoniques r&eacute;alis&eacute;es pour Radio France et le S&uuml;ddeutscher Rundfunk, un poste &eacute;metteur situ&eacute; &agrave; Stuttgart.</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;Alain Robbe-Grillet,&nbsp;<em>Glissements progressifs du plaisir&nbsp;</em>(film), France, 1974&nbsp;; Alain Robbe-Grillet,&nbsp;<em>Glissements progressifs du plaisir</em>&nbsp;(cin&eacute;-roman), Paris, Minuit, 1974.</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;David Martens et Christophe&nbsp;Meur&eacute;e. &laquo;&nbsp;Ceci n&rsquo;est pas une interview. Litt&eacute;rarit&eacute; conditionnelle de l&rsquo;entretien d&rsquo;&eacute;crivain&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Po&eacute;tique</em>, vol. 177, no. 1, 2015, p.&nbsp;113-130, ici p.&nbsp;113&nbsp;; Martine Lavaud / Marie-&Egrave;ve. Th&eacute;renty, &laquo;&nbsp;Avant-propos&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>L&rsquo;Interview d&rsquo;&eacute;crivain. Figures bibliques</em>&nbsp;<em>d&rsquo;autorit&eacute;</em><em>,</em>&nbsp;Montpellier, Presses universitaires de la M&eacute;diterran&eacute;e, 2004,&nbsp;p.&nbsp;1-22, ici p.&nbsp;2 [en ligne&nbsp;<a href="https://komodo21.fr/dune-garde-lautre-entretiens-de-robbe-grillet-jean-thibaudeau/http%20://books.openedition.org/pulm/299">ici</a>].</p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;Pour l&rsquo;analyse du champ litt&eacute;raire voir Pierre Bourdieu,&nbsp;<em>Les R&egrave;gles de l&rsquo;art</em>, Paris, Seuil, 1994.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;&Eacute;douard Brasey,&nbsp;<em>L&rsquo;Effet Pivot</em>, Paris, Ramsay, 1987.</p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;Pour l&rsquo;analyse de la condition m&eacute;diale de la litt&eacute;rature voir Jochen Mecke, &laquo;&nbsp;Medien der Literatur&nbsp;&raquo;<em>,&nbsp;</em>dans Jochen Mecke (dir.)<em>, Medien der Literatur. Vom Almanach zur Hyperfiction</em>, Bielefeld, transcript Verlag, 2011, p. 9-25.</p> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;Voir Galia Yanoshevsy,&nbsp;<em>Les Discours du Nouveau Roman. Essais, entretiens, d&eacute;bats</em>, Villeneuve d&rsquo;Ascq, Presses du Septentrion, 2006.</p> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;Pierre Bourdieu,&nbsp;<em>Les R&egrave;gles de l&rsquo;art</em>, Paris, Seuil, 1994, p.&nbsp;181.</p> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a>&nbsp;Galia Yanoshevsky,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em></p> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a>&nbsp;Roger-Michel Allemand,&nbsp;<em>Alain Robbe-Grillet</em>, Paris, Seuil, 2002.</p> <p><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a>&nbsp;Dans sa th&eacute;orie des m&eacute;dias, Friedrich Kittler attribue les trois cat&eacute;gories lacaniennes du &laquo;&nbsp;symbolique&nbsp;&raquo;, de &laquo;&nbsp;l&rsquo;imaginaire&nbsp;&raquo; et du &laquo;&nbsp;r&eacute;el&nbsp;&raquo; aux m&eacute;dias respectivement litt&eacute;raires, audiovisuels et acoustiques (<em>Grammophon, Film, Typwriter</em>, Berlin, Brinkmann &amp; Bose, 1986, p.&nbsp;27-29).</p> <p><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a>&nbsp;Pour les cat&eacute;gories et dimensions de l&rsquo;analyse radiophonique voir Jochen Mecke, &laquo;&nbsp;Das H&ouml;rspiel als mediale Kunstform der Literatur&nbsp;&raquo;, dans Jochen Mecke/Hermann Wetzel (dir.),&nbsp;<em>Franz&ouml;sische Literaturwissenschaft. Eine multimediale Einf&uuml;hrung</em>, T&uuml;bingen, Francke, UTB, 2009, p.&nbsp;213-248, ici p.&nbsp;233-236.</p> <p><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;236-237.</p> <p><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a>&nbsp;Voir &agrave; ce propos les diff&eacute;rentes formes de po&eacute;tique de l&rsquo;entretien d&eacute;velopp&eacute;es par Pierre-Marie H&eacute;ron, &laquo;&nbsp;Introduction&nbsp;: Rep&egrave;res sur le genre de l&rsquo;entretien-feuilleton &agrave; la radio&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>&Eacute;crivains au micro. Les entretiens-feuilletons &agrave; la radio fran&ccedil;aise dans les ann&eacute;es cinquante</em>, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p.&nbsp;9-23.</p> <p><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a>&nbsp;Voir la fiche technique de l&rsquo;Ina&nbsp;: &laquo;&nbsp;Titre collection&nbsp;: Entretiens avec&hellip;, Cha&icirc;ne&nbsp;: France Culture, Dates de diffusion&nbsp;: 03.02.1975-15.02.1975, Statut de diffusion&nbsp;: Premi&egrave;re diffusion, Heure de diffusion&nbsp;: 11&nbsp;: 45-11&nbsp;: 58&nbsp;: 00, Canal&nbsp;: FM,&nbsp;Type de description&nbsp;: &Eacute;mission simple, G&eacute;n&eacute;rique&nbsp;: Producteur et Pr&eacute;sentateur&nbsp;: Jean Thibaudeau.&nbsp;&raquo;</p> <p><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a>&nbsp;Walter Benjamin. &laquo;&nbsp;L&rsquo;&oelig;uvre d&rsquo;art &agrave; l&rsquo;&eacute;poque de sa reproduction m&eacute;canis&eacute;e&nbsp;&raquo; [1935], trad. fr. P.&nbsp;Klossowski avec l&rsquo;auteur,&nbsp;<em>Zeitschrift f&uuml;r Sozialforschung</em>, Paris, Librairie F&eacute;lix Alcan, 5<sup>e</sup>&nbsp;ann&eacute;e, 1, 1936, p.&nbsp;40-68.</p> <p><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a>&nbsp;Roland Barthes,&nbsp;<em>Le Degr&eacute; z&eacute;ro de la litt&eacute;rature</em>, Paris, Seuil, 1953.</p> <p><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a>&nbsp;Dans sa pr&eacute;face &agrave;&nbsp;<em>Pr&eacute;face &agrave; une vie d&rsquo;&eacute;crivain</em>, Bernard Comment raconte qu&rsquo;il avait exactement, si ce n&rsquo;est uniquement, ce r&ocirc;le-l&agrave; dans ses entretiens avec Robbe-Grillet&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il ne s&rsquo;agissait pas d&rsquo;entretiens. Simplement, pour les besoins de l&rsquo;interlocution, il fallait une pr&eacute;sence, un regard, une &eacute;coute, &agrave; qui Alain Robbe-Grillet puisse s&rsquo;adresser. Un substitut pr&eacute;sent de l&rsquo;auditeur, si l&rsquo;on veut. J&rsquo;ai jou&eacute; ce modeste r&ocirc;le (Alain Robbe-Grillet,&nbsp;<em>Pr&eacute;face &agrave; la vie d&rsquo;&eacute;crivain</em>, Paris, Seuil, &laquo;&nbsp;Fiction et Cie&nbsp;&raquo;, 2005, p.&nbsp;7).</p> <p><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a>&nbsp;Jean Thibaudeau,&nbsp;<em>Entretiens avec Alain Robbe-Grillet</em>, 2, 5&nbsp;: 30.</p> <p><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, 7, 13&nbsp;: 30.</p> <p><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a>&nbsp;Qu&rsquo;une v&eacute;ritable polyphonie, voire une conception agonale, de l&rsquo;entretien fasse d&eacute;faut, appara&icirc;t d&rsquo;une mani&egrave;re encore plus claire si nous comparons l&rsquo;entretien entre les deux &eacute;crivains avec une repr&eacute;sentation litt&eacute;raire telle que Yasmina R&eacute;za l&rsquo;a fournie dans sa pi&egrave;ce&nbsp;<em>Comment vous racontez la partie</em>&nbsp;o&ugrave; l&rsquo;antagonisme entre la journaliste et l&rsquo;&eacute;crivaine produit une v&eacute;ritable joute oratoire (Paris, Flammarion 2014.</p> <p><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a>&nbsp;Pierre Bourdieu,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;175&nbsp;<em>sq</em>.</p> <p><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a>&nbsp;Jean Thibaudeau,&nbsp;<em>Une c&eacute;r&eacute;monie royale</em>, Paris, Minuit, 1960.</p> <p><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a>&nbsp;Voir la critique qu&rsquo;il op&egrave;re des entretiens en g&eacute;n&eacute;ral dans la longue interview avec Beno&icirc;t Peeters et surtout dans le deuxi&egrave;me chapitre intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Je d&eacute;teste les interviews&nbsp;&raquo; (Beno&icirc;t Peteers,&nbsp;<em>Alain Robbe-Grillet</em>, DVD, Paris, Impressions Nouvelles, 2001, 2, 01&nbsp;:54-09&nbsp;:21).</p> <p><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a>&nbsp;Voir Pierre-Marie H&eacute;ron,&nbsp;<em>op. cit.</em></p> <p><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a>&nbsp;Gala Yaneshovsky a relev&eacute; cette contradiction permanente chez Robbe-Grillet entre une th&eacute;orie n&eacute;gative de l&rsquo;entretien d&rsquo;une part et une pratique abondante du genre (<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;69). S&rsquo;y ajoute &eacute;videmment une autre entre la d&eacute;claration de la mort de l&rsquo;auteur d&rsquo;une part et, d&rsquo;autre part, les nombreuses interviews o&ugrave; il est question justement du point de vue de l&rsquo;auteur. Galia Yaneshovsky a expliqu&eacute; ces contradictions par la n&eacute;cessit&eacute; de promotion de l&rsquo;&oelig;uvre et une d&eacute;viation in&eacute;vitable de la pratique d&rsquo;&eacute;criture par rapport aux positions po&eacute;tologiques (<em>ibid.</em>, p.&nbsp;66-67).</p> <p><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a>&nbsp;Jochen Mecke, &laquo;&nbsp;Techniques radiophoniques du Nouveau Roman&nbsp;: l&rsquo;esth&eacute;tique interm&eacute;diale de Jean Thibaudeau&nbsp;&raquo;, dans Pierre-Marie H&eacute;ron, Fran&ccedil;oise Joly, Annie Pibarot (dir.),&nbsp;<em>Aventures radiophoniques du Nouveau Roman</em>, Presses universitaire de Rennes, 2017, p. 157-170.</p> <p><a href="#_ftnref28" name="_ftn28">[28]</a>&nbsp;Jean Ricardou,&nbsp;<em>Le</em>&nbsp;<em>Nouveau Roman&nbsp;</em>suivi de<em>&nbsp;Les raisons de l&rsquo;ensemble</em>, Paris, Seuil, &laquo;&nbsp;Points&nbsp;&raquo;, 1990, p.&nbsp;86&nbsp;<em>sq.</em></p> <p><a href="#_ftnref29" name="_ftn29">[29]</a>&nbsp;Pierre Bourdieu,&nbsp;<em>Les r&egrave;gles de l&rsquo;art</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;179.</p> <p><a href="#_ftnref30" name="_ftn30">[30]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;177.</p> <p><a href="#_ftnref31" name="_ftn31">[31]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;181.</p> <p><a href="#_ftnref32" name="_ftn32">[32]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;204&nbsp;<em>sq.</em></p> <p><a href="#_ftnref33" name="_ftn33">[33]</a>&nbsp;Si tout au d&eacute;but, le film a fait, certes, l&rsquo;objet du rejet de la profession, il a &eacute;t&eacute; n&eacute;anmoins reconnu tr&egrave;s t&ocirc;t &ndash; en fait, d&egrave;s le festival de Venise &ndash; comme un chef d&rsquo;&oelig;uvre.</p> <p><a href="#_ftnref34" name="_ftn34">[34]</a>&nbsp;Ce qui lui semble parfaitement injuste car il avait consenti &agrave; travailler avec Resnais pour la simple raison que celui-ci &eacute;tait le seul r&eacute;alisateur pr&ecirc;t &agrave; accepter un sc&eacute;nario sous forme de d&eacute;coupage d&eacute;crivant d&eacute;j&agrave; le film entier dans tous ses d&eacute;tails. Dans son sc&eacute;nario, Robbe-Grillet avait d&eacute;crit le film comme s&rsquo;il existait d&eacute;j&agrave; (2, 2&nbsp;: 57), ce qui revient &agrave; dire que le travail avait d&eacute;j&agrave; &eacute;t&eacute; fait quand Resnais a commenc&eacute; &agrave; diriger les acteurs.</p> <p><a href="#_ftnref35" name="_ftn35">[35]</a>&nbsp;Jean Ricardou/ Fran&ccedil;oise van Rossum-Guyon (coord.),&nbsp;<em>Nouveau Roman&nbsp;: hier aujourd&rsquo;hui</em>, Paris, U.G.E., &laquo;&nbsp;10/18&nbsp;&raquo;, volume 2&nbsp;: Pratiques, 1972, p.&nbsp;279&nbsp;<em>sq.</em></p> <p><a href="#_ftnref36" name="_ftn36">[36]</a>&nbsp;Que le reproche qu&rsquo;on lui a alors adress&eacute; d&rsquo;avoir exerc&eacute; une certaine &laquo;&nbsp;terreur&nbsp;&raquo; ne soit pas compl&egrave;tement d&eacute;pourvu de fondement appara&icirc;t clairement au colloque de Cerisy de 1975, cette fois-ci consacr&eacute; uniquement &agrave; Robbe-Grillet et o&ugrave; Jean Ricardou revendique la notion de terrorisme pour les &eacute;crits de&nbsp;<em>Pour un nouveau roman&nbsp;:</em>&nbsp;&laquo;&nbsp;Toutes les proc&eacute;dures du Terrorisme [sic&nbsp;!] se trouvent en effet intens&eacute;ment actives dans ce chapitre de&nbsp;<em>Pour un nouveau roman&nbsp;</em>(Jean Ricardou,&nbsp;<em>Robbe-Grillet&nbsp;: analyse, th&eacute;orie</em>, Paris, U.G.E. &laquo;&nbsp;10/18&nbsp;&raquo;, volume I&nbsp;: Roman/cin&eacute;ma, 1975, p.&nbsp;17). Cette hypoth&egrave;se est corrobor&eacute;e par la r&eacute;vocation spectaculaire de la th&eacute;orie du Nouveau Roman dans&nbsp;<em>Le Miroir qui revient,</em>&nbsp;o&ugrave; Robbe-Grillet affirme par exemple qu&rsquo;il n&rsquo;avait jamais parl&eacute; d&rsquo;autre chose que de lui-m&ecirc;me (Alain Robbe-Grillet,&nbsp;<em>Le Miroir qui revient</em>, Paris, Minuit, 1983, p, 10).</p> <p><a href="#_ftnref37" name="_ftn37">[37]</a>&nbsp;Le script r&eacute;volutionnaire propos&eacute; par Robbe-Grillet est m&ecirc;me tellement omnipr&eacute;sent que Thibaudeau ne peut r&eacute;sister &agrave; la tentation de l&rsquo;appliquer &agrave; l&rsquo;entretien pr&eacute;sent (10,13&nbsp;: 59).</p> <p><a href="#_ftnref38" name="_ftn38">[38]</a>&nbsp;Ibid., p, 11.</p> <p><a href="#_ftnref39" name="_ftn39">[39]</a>&nbsp;J&eacute;r&ocirc;me Meizoz,&nbsp;<em>Postures litt&eacute;raires. Mises en sc&egrave;ne modernes de l&rsquo;auteur</em>, Gen&egrave;ve, Slatkine, 2007.</p> <p><a href="#_ftnref40" name="_ftn40">[40]</a>&nbsp;John Rodden, &laquo;&nbsp;L&rsquo;entretien comme performance publique. Vers une typologie des pratiques et des strat&eacute;gies litt&eacute;raires&nbsp;&raquo;, dans David Martens, Galia Yanoshevsky, Pierre-Marie H&eacute;ron,&nbsp;<em>L&rsquo;Entretien d&rsquo;&eacute;crivain</em>, Presses universitaires de Rennes, &agrave; para&icirc;tre.</p> <h3>Auteur</h3> <p><strong>Jochen Mecke</strong>, Professeur de cultures et litt&eacute;ratures romanes &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; de Regensburg (Allemagne) et directeur du Centre de Recherches Hispaniques, a consacr&eacute; de nombreux travaux &agrave; la litt&eacute;rature fran&ccedil;aise moderne et postmoderne, au cin&eacute;ma, &agrave; la radio, &agrave; l&rsquo;esth&eacute;tique interm&eacute;diale et &agrave; la temporalit&eacute; du roman. Derni&egrave;re publication&nbsp;: &laquo;&nbsp;Esth&eacute;tiques de l&rsquo;horreur de la Grande Guerre&nbsp;&raquo;,<em>&nbsp;Romanische Studien / &Eacute;tudes Romanes</em>, 2018.</p> <h3><strong>Copyright</strong></h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>