<div class="entry-content"> <h3>Abstract</h3> <p>The series of five broadcasts made from the interview that Jean Daive conducted in 1975 with George Perros is so deeply original that it helps renew the genre of the &ldquo;entretien-feuilleton&rdquo; which dates back to the 1940s. Ostentatiously a montage, the interview breaks with the illusion of attending a direct conversation between a writer and an interviewer: we do not hear an author answering questions, but a speech unfolding freely in the abstract space of the airwaves. A form all the more bizarre as Perros&rsquo; work rests entirely on a desire for conversation, here frustrated. And yet this device enables Daive to create a convincing audio image of Perros, the man and his work, while foregrounding the radio as the best means to echo his word.</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p class="meta-tags">voice, radio interviews, Georges Perros, Jean Daive, radio portrait, art of conversation</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">&laquo;&nbsp;<em>Papiers coll&eacute;s</em>,<em> Po&egrave;mes bleus</em>,<em> Une vie ordinaire</em>,<em> Papiers coll&eacute;s 2</em>, Georges Perros, Jean Daive&nbsp;&raquo;. Telle est la singuli&egrave;re phrase de g&eacute;n&eacute;rique d&rsquo;entr&eacute;e adopt&eacute;e par Jean Daive pour la diffusion de son entretien avec Georges Perros en 1976. D&eacute;j&agrave; la forme d&rsquo;une simple liste d&rsquo;&oelig;uvres cit&eacute;es dans leur ordre de parution constitue en soi un choix original&nbsp;pour un g&eacute;n&eacute;rique ; mais ce qui est plus surprenant encore, c&rsquo;est la juxtaposition des deux noms &agrave; la fin, sans qu&rsquo;il soit explicitement dit, comme c&rsquo;est d&rsquo;ordinaire le cas dans les entretiens radiophoniques, qui &laquo;&nbsp;s&rsquo;entretient avec&nbsp;&raquo; qui. L&rsquo;auditeur avertit sait, naturellement, que l&rsquo;&eacute;crivain invit&eacute; est Georges Perros, auteur des livres cit&eacute;s. Ce d&eacute;tail, frappant &agrave; l&rsquo;audition, car le mot attendu d&rsquo;&laquo;&nbsp;entretien&nbsp;&raquo; n&rsquo;est m&ecirc;me pas prononc&eacute;, n&rsquo;indique pas seulement une volont&eacute; de modernisation, par une sorte d&rsquo;&eacute;purement de la forme, du genre de l&rsquo;entretien&nbsp;; il invite aussi &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir sur la relation entre interviewer et interview&eacute; que construit Jean Daive dans son &eacute;mission. L&rsquo;enregistrement de l&rsquo;entretien avec Perros eut lieu le 17 d&eacute;cembre 1975&nbsp;; il fut ensuite distribu&eacute; en cinq &eacute;pisodes de 25 minutes environ, diffus&eacute;s &agrave; 22 h 35 entre le 16 et le 20 f&eacute;vrier 1976 dans la s&eacute;rie <em>Entretiens avec.</em> Il s&rsquo;agit du premier entretien men&eacute; par Jean Daive, qui en 1975 vient de prendre ses fonctions de producteur &agrave; France Culture. C&rsquo;est &eacute;galement l&rsquo;ann&eacute;e o&ugrave; Yves Jaigu, tout juste nomm&eacute; directeur de l&rsquo;antenne, entreprend de r&eacute;nover une nouvelle fois la grille des programmes. Il s&rsquo;entoure pour cela de jeunes &eacute;crivains et po&egrave;tes, comme Alain Veinstein, qui relate cette exp&eacute;rience dans <em>Radio sauvage&nbsp;</em><a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, Claude Royet-Journoud, qui produit d&egrave;s 1975 la tr&egrave;s novatrice s&eacute;rie <em>Po&eacute;sie ininterrompue</em>, laquelle, quatre fois par jour pendant une semaine (&laquo;&nbsp;le matin, le midi, le soir et la nuit&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>&nbsp;&raquo;), fait entendre un po&egrave;te lisant ses propres textes au micro et le dimanche dialoguant avec un po&egrave;te de son choix. Jean Daive, pour sa part, qui avait &eacute;t&eacute; le po&egrave;te invit&eacute; de <em>Po&eacute;sie ininterrompue </em>d&egrave;s les d&eacute;buts de la s&eacute;rie&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>, semble avoir eu &agrave; c&oelig;ur de participer au renouvellement de la radio litt&eacute;raire et culturelle. En mati&egrave;re d&rsquo;entretien, le mod&egrave;le honni &eacute;tait alors, d&rsquo;apr&egrave;s ses souvenirs, celui o&ugrave; l&rsquo;invit&eacute; comme l&rsquo;invitant, &laquo;&nbsp;assis dans des fauteuils chacun devant son micro [&hellip;] lisaient les r&eacute;ponses comme les questions&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>&nbsp;&raquo; (il donne en exemple les entretiens avec Andr&eacute; Breton et Pierre Jean Jouve). Avec Georges Perros, dont il a lu et aim&eacute; <em>Papiers coll&eacute;s</em> d&egrave;s sa parution, puis le po&egrave;me &laquo;&nbsp;Ken avo&nbsp;&raquo; d&eacute;couvert dans un num&eacute;ro de <em>La</em> <em>NRF</em>, Jean Daive met en place un autre dispositif&nbsp;: laisser l&rsquo;auteur parler, librement, sans autre fil conducteur que l&rsquo;ordre de parution de ses livres&nbsp;(&laquo;&nbsp;un livre par entretien, chacun de trente minutes&nbsp;&raquo;, mais Perros &laquo;&nbsp;&eacute;tait tout &agrave; fait libre d&rsquo;aller o&ugrave; il voulait&nbsp;&raquo;&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>). Cette libert&eacute; de parole, qui d&eacute;borde sans cesse le mince cadre fix&eacute;, se fait sentir de bout en bout, non seulement &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de chaque entretien, mais aussi &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle de l&rsquo;ensemble des &eacute;missions. En effet, si l&rsquo;on consid&egrave;re que la phrase de g&eacute;n&eacute;rique, avec sa liste de quatre livres, fixe le programme de chacune des parties de l&rsquo;entretien, on se demande sur quoi portera la derni&egrave;re. &laquo;&nbsp;Georges Perros, Jean Daive&nbsp;&raquo;&nbsp;: la formulation annonce une rencontre, ou plut&ocirc;t un face &agrave; face. Notre th&egrave;se ici est que c&rsquo;est la relation m&ecirc;me entre les deux hommes en pr&eacute;sence, mise en abyme dans le dernier entretien, qui contribue &agrave; renouveler en profondeur le genre et &agrave; lui donner une valeur nouvelle. Que devient en effet la parole de Perros une fois enregistr&eacute;e et mont&eacute;e ? Quel r&ocirc;le se donne Jean Daive&nbsp;? Et au fond que peut apporter la radio de sp&eacute;cifique dans la connaissance d&rsquo;un auteur et de son &oelig;uvre&nbsp;? Quelle est la valeur d&rsquo;un entretien de ce type&nbsp;? &Agrave; premi&egrave;re vue, l&rsquo;ensemble des cinq entretiens pourrait appara&icirc;tre comme une forme de d&eacute;tournement radiophonique de l&rsquo;&oelig;uvre et de la parole de Perros, pris au pi&egrave;ge du montage. Mais il faut entendre ce qui proprement na&icirc;t de la situation de parole singuli&egrave;re que propose Jean Daive pour cet entretien, ce que la voix parlante de Perros r&eacute;v&egrave;le. Je montrerai au bout du compte que l&rsquo;entretien, con&ccedil;u ici comme une &oelig;uvre radiophonique &agrave; part enti&egrave;re, constitue tout &agrave; la fois une authentique proposition de lecture de l&rsquo;&oelig;uvre et un portrait tout subjectif de Georges Perros par Jean Daive.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="1_Perros_pris_au_piege_de_la_radio">1. Perros pris au pi&egrave;ge de la radio ?</span><br /> &nbsp;</h2> <h3 style="text-align: justify;"><span id="11_Un_montage"><strong>&nbsp;1.1. Un montage</strong></span></h3> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;auditeur habitu&eacute; &agrave; entendre un &eacute;crivain se livrer au jeu de l&rsquo;entretien radiophonique croit assister, du moins lorsque l&rsquo;auteur ne lit pas ses r&eacute;ponses, &agrave; une conversation r&eacute;elle. De l&agrave; son plaisir, car il a le sentiment, l&rsquo;espace de l&rsquo;&eacute;mission, d&rsquo;approcher l&rsquo;auteur, d&rsquo;entrer dans la confidence&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>. G&eacute;n&eacute;ralement, il sait pourtant que cette apparente retransmission de conversation a &eacute;t&eacute; filtr&eacute;e, retravaill&eacute;e au montage&nbsp;; mais la plupart du temps, il l&rsquo;oublie, car tout est fait pour cela. Or dans le cas des entretiens de Georges Perros avec Jean Daive, l&rsquo;illusion du direct ne joue pas, car le montage est d&rsquo;embl&eacute;e hautement perceptible&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>. Le d&eacute;but du 1<sup>er</sup> entretien est en effet particuli&egrave;rement &eacute;labor&eacute; sur le plan sonore : il s&rsquo;ouvre sur vingt secondes d&rsquo;une musique superpos&eacute;e &agrave; des bruitages (violon g&eacute;missant sur ambiance de bistrot), sur quoi se d&eacute;tache alors la voix de Daive qui, d&rsquo;une fa&ccedil;on grave, lente et plate, d&eacute;clame des phrases tir&eacute;es de l&rsquo;&oelig;uvre de Perros&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">&laquo;&nbsp;Tout commence, # tout finit par le langage.&nbsp;&raquo; [Un nouvel &eacute;l&eacute;ment sonore surgit sur le fond musical d&eacute;j&agrave; en place, puis dispara&icirc;t.]</p> <p style="text-align: justify;">&laquo;&nbsp;Mais vivre # reste &agrave; faire&nbsp;&raquo;, # qui &laquo;&nbsp;a quelque chose d&rsquo;impossible.&nbsp;&raquo; [Un ch&oelig;ur de femmes et d&rsquo;hommes s&rsquo;ajoute, provenant de l&rsquo;extrait musical choisi, puis s&rsquo;estompe.]</p> <p style="text-align: justify;">&laquo;&nbsp;&Ecirc;tre des hommes avec des hommes. # Parler.&nbsp;&raquo; [Extrait musical seul&nbsp;: violon + ch&oelig;ur + r&eacute;verb&eacute;ration tr&egrave;s forte.]</p> <p style="text-align: justify;">&laquo;&nbsp;Comme un l&eacute;ger d&eacute;collement # du discours perp&eacute;tuel.&nbsp;&raquo; [La r&eacute;verb&eacute;ration s&rsquo;amplifie.]</p> <p style="text-align: justify;">&laquo;&nbsp;J&rsquo;essaie # d&rsquo;&eacute;tablir un rapport de conversation # &agrave; distance, # conversation # impossible, qui exige # l&rsquo;intervention # du hasard.&nbsp;&raquo; [La musique reprend, retour du violon, suraigu, qui se m&ecirc;le aux voix de femmes et &agrave; la r&eacute;verb&eacute;ration&nbsp;; puis retour, en superposition, des bruits de bistrot.]&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a></p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Cette s&eacute;rie de citations extraites du texte &laquo;&nbsp;en guise de pr&eacute;face&nbsp;&raquo; de <em>Papiers coll&eacute;s 2</em> proc&egrave;de en elle-m&ecirc;me d&rsquo;un montage&nbsp;: Daive a non seulement s&eacute;lectionn&eacute; ces phrases, mais les a r&eacute;ordonn&eacute;es, coll&eacute;es (citations 2 et 3), et m&ecirc;me tronqu&eacute;es (la derni&egrave;re&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>). Ce n&rsquo;est qu&rsquo;au bout de deux minutes de cette &eacute;tonnante entr&eacute;e en mati&egrave;re, qui joue le r&ocirc;le &agrave; la fois de d&eacute;cor sonore et d&rsquo;atmosph&egrave;re mentale dans laquelle s&rsquo;installe l&rsquo;auditeur, que s&rsquo;&eacute;l&egrave;ve la voix de Perros, introduite par la com&eacute;dienne Mich&egrave;le Cohen. Le contraste avec ce qui pr&eacute;c&egrave;de est saisissant&nbsp;: Daive lisait, d&rsquo;une voix trou&eacute;e de silences&nbsp;; Perros improvise, parle vite, cherche ses mots, ses images. Mais cette parole vive est elle-m&ecirc;me rapidement interrompue par la voix de la com&eacute;dienne lisant un bref passage de <em>Papiers coll&eacute;s 2</em>&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je peux jouer correctement en coulisses. J&rsquo;&eacute;tais vou&eacute; &agrave; la litt&eacute;rature, chose solitaire. D&egrave;s qu&rsquo;on me regarde, je suis foutu.&nbsp;&raquo; Or voil&agrave; l&rsquo;&eacute;crivain au micro&nbsp;: on ne le &laquo;&nbsp;regarde&nbsp;&raquo; pas, mais on l&rsquo;&eacute;coute, il n&rsquo;est pas sous les projecteurs, mais dans les haut-parleurs. Serait-il donc pris au pi&egrave;ge, lui qui au d&eacute;but de la pr&eacute;face&nbsp;de <em>Papiers coll&eacute;s 2</em> s&rsquo;accusait d&rsquo;un &laquo;&nbsp;perp&eacute;tuel d&eacute;lit de fuite&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>&nbsp;&raquo;, ici impossible&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;entretien commence donc &agrave; br&ucirc;le-pourpoint, &agrave; partir des citations, sans question explicitement pos&eacute;e. Perros parle du &laquo;&nbsp;d&eacute;collement&nbsp;&raquo; cit&eacute; par Daive&nbsp;: ce n&rsquo;est pas une &laquo;&nbsp;r&eacute;ponse&nbsp;&raquo; comme dans les entretiens traditionnels, mais plut&ocirc;t le d&eacute;ploiement d&rsquo;un &eacute;cho. De plus, l&rsquo;auditeur sent bien qu&rsquo;il n&rsquo;a pas affaire au d&eacute;but de l&rsquo;&eacute;change r&eacute;el, celui qui a &eacute;t&eacute; enregistr&eacute;, mais qu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;un moment pr&eacute;lev&eacute; dans cet enregistrement. Le montage utilise donc la voix de Perros comme mat&eacute;riau, au m&ecirc;me titre que les lectures d&rsquo;extraits de l&rsquo;&oelig;uvre, les musiques, les bruitages. Le g&eacute;n&eacute;rique intervient quant &agrave; lui un peu avant la 5<sup>&egrave;me</sup> minute, ce qui permet d&rsquo;entendre r&eacute;trospectivement ces cinq premi&egrave;res minutes comme une s&eacute;quence introductive pr&eacute;-g&eacute;n&eacute;rique, un proc&eacute;d&eacute; utilis&eacute; d&rsquo;ordinaire au cin&eacute;ma et dans les feuilletons t&eacute;l&eacute;vis&eacute;s, mais rarement &agrave; la radio. On s&rsquo;attendrait &agrave; ce que, pass&eacute; le g&eacute;n&eacute;rique, l&rsquo;entretien se poursuive sur un mode plus habituel, c&rsquo;est-&agrave;-dire sous la forme d&rsquo;un dialogue entre Perros et Daive. Mais il n&rsquo;en est rien.</p> <p style="text-align: justify;">Les cinq entretiens donnent &agrave; entendre le tressage de trois voix, celles de l&rsquo;auteur, de l&rsquo;interviewer et de l&rsquo;interpr&egrave;te, sans qu&rsquo;il reste rien, ou presque&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>, des interactions r&eacute;elles qu&rsquo;on ne peut qu&rsquo;imaginer avoir eu lieu lors de la s&eacute;ance d&rsquo;enregistrement. Les interventions de Daive, rares, semblent avoir &eacute;t&eacute; enregistr&eacute;es apr&egrave;s coup, puis mont&eacute;es&nbsp;: on ne peut en effet imaginer qu&rsquo;il ait pu s&rsquo;adresser &agrave; Perros sur ce ton, un ton qui n&rsquo;est pas de conversation, mais de lecture ou bien de parole &agrave; soi-m&ecirc;me. D&rsquo;ailleurs ces interventions ne sont souvent pas des questions ou, si elles le sont, elles ne sont que rarement adress&eacute;es directement &agrave; Perros (seules deux d&rsquo;entre elles comportent un &laquo;&nbsp;vous&nbsp;&raquo; d&rsquo;adresse). La plupart du temps, ses interventions, souvent courtes, apparaissent comme une mani&egrave;re d&rsquo;intituler les propos qui suivent : &laquo;&nbsp;Une fiction&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Les notes, mobile d&rsquo;un corps en perp&eacute;tuel &eacute;clatement&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Le corps de la note&nbsp;&raquo;&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>. Ce laconisme abstrait renvoie certes &agrave; la po&eacute;tique de Daive-auteur, mais dans le cadre de l&rsquo;entretien, il contraste surtout violemment avec la profusion verbale de Perros et frustre en permanence le d&eacute;sir fondamental de &laquo;&nbsp;conversation&nbsp;&raquo; que ce dernier ne cesse d&rsquo;exprimer. Le montage met ainsi en avant une distance semble-t-il radicale entre les deux hommes &ndash; qui contraste avec l&rsquo;effet de familiarit&eacute; auquel le genre de l&rsquo;entretien radiophonique a jusque-l&agrave; habitu&eacute; l&rsquo;auditeur. La fin du premier entretien pourrait de ce point de vue para&icirc;tre tristement comique (avec l&rsquo;impression d&rsquo;un dialogue de sourds), mais il faut plut&ocirc;t l&rsquo;entendre comme la mise en lumi&egrave;re criante, au moment du montage, de deux langues &ndash; deux &eacute;tats de la langue &ndash; la langue &eacute;crite et la langue parl&eacute;e&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Jean Daive&nbsp;: Le myst&egrave;re&nbsp;: vouloir tout dire et s&rsquo;apercevoir que la marge est tout aussi grande qui nous s&eacute;pare de, qui nous s&eacute;pare du.</p> <p style="text-align: justify;">Georges Perros&nbsp;: Alors moi je suis pour la conversation. Pourquoi&nbsp;? Parce que je me parle tout seul toute la journ&eacute;e, tu vois. J&rsquo;ai un discours ininterrompu, ce n&rsquo;est pas la po&eacute;sie, c&rsquo;est le discours qui est compl&egrave;tement ininterrompu&nbsp;: pfuit&nbsp;! comme &ccedil;a. &Ccedil;a n&rsquo;arr&ecirc;te pas de se trimbaler dans le cr&acirc;ne. Et je ne peux pas le livrer&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Il faut donc se rendre &agrave; l&rsquo;&eacute;vidence&nbsp;: l&rsquo;entretien avec l&rsquo;&eacute;crivain, en tant qu&rsquo;objet radiophonique, &eacute;mission mont&eacute;e, n&rsquo;est pas ici con&ccedil;u comme dialogue, ni m&ecirc;me comme conversation. Les codes de l&rsquo;entretien sont d&eacute;faits&nbsp;: il n&rsquo;y a ni question, ni r&eacute;ponse, une pr&eacute;sence ambigu&euml; et lointaine de l&rsquo;interviewer (une forme de pr&eacute;sence-absence), une g&ecirc;ne sensible de l&rsquo;interview&eacute; par rapport au fait m&ecirc;me de devoir parler de lui dans un studio de radio&hellip; Si Perros, depuis son entr&eacute;e au micro, suscite une forme de piti&eacute; chez l&rsquo;auditeur, c&rsquo;est moins parce qu&rsquo;il serait soumis &agrave; la question comme dans d&rsquo;autres entretiens (puisqu&rsquo;ici il n&rsquo;y a pas de questions) que parce qu&rsquo;il semble parler dans un espace vide, sans r&eacute;pondant autre que son propre &eacute;cho.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="12_La_radio_espace_de_parole_complexe">1.2. La radio, espace de parole complexe</span></h3> <p style="text-align: justify;">On sait que Perros n&rsquo;a pas aim&eacute; le moment de l&rsquo;entretien, et qu&rsquo;il n&rsquo;a pas &eacute;cout&eacute; le r&eacute;sultat final&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je ne me suis pas &eacute;cout&eacute; &agrave; la radio, horrifi&eacute; &agrave; l&rsquo;avance. En fait d&rsquo;entretiens, la chose s&rsquo;est faite en trois heures trente, entre deux trains. Et Daive n&rsquo;inspire que le silence. J&rsquo;imagine comme il a fabriqu&eacute; l&rsquo;&eacute;mission. Sans importance<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a> !&nbsp;&raquo; De cette &eacute;preuve de parole, il se plaint dans le moment m&ecirc;me de l&rsquo;entretien. Dans la version mont&eacute;e en sont gard&eacute;es au moins quatre traces&nbsp;explicites. &Agrave; chaque fois, Perros pointe le danger que courent sa parole aussi bien que lui-m&ecirc;me dans l&rsquo;espace radiophonique, qu&rsquo;il oppose &agrave; la &laquo;&nbsp;vie&nbsp;&raquo;&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Je pourrais vous dire ce temps-l&agrave; dans ma vie, mais pas par l&rsquo;entretien. Je ne peux pas, &ccedil;a. On ne peut pas poser une question &agrave; quelqu&rsquo;un sur sa vie. C&rsquo;est la vie qui r&eacute;pond, ce n&rsquo;est pas&hellip; Autrement dit, on ne peut pas couper la vie en morceaux et on ne peut pas la faire mourir de temps en temps pour la d&eacute;crire, pour l&rsquo;expliquer, parce que c&rsquo;est un peu la faire mourir&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Et dans le cinqui&egrave;me entretien, en &eacute;cho au premier :</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Je ne peux pas pr&eacute;lever mon r&eacute;el pour le distribuer dans un micro. Je ne peux pas. En ce moment, je suis dans mon r&eacute;el. Mais c&rsquo;est un r&eacute;el de manifestation. C&rsquo;est un r&eacute;el d&rsquo;oral. Enfin, je passe un oral. Mais quand je suis tout seul, dans la rue &agrave; Douarnenez, voil&agrave; mon r&eacute;el. Il est l&agrave; mon r&eacute;el&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Ce que Perros exprime &agrave; plusieurs reprises, c&rsquo;est la peur d&rsquo;&ecirc;tre extrait, isol&eacute; de son milieu, lui comme sa parole. C&rsquo;est au fond la peur de l&rsquo;abstraction&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Alors &eacute;videmment, &eacute;crire, c&rsquo;est donner des renseignements. C&rsquo;est un peu&hellip; On peut faire de l&rsquo;ethnologie avec un livre. M&ecirc;me quand il est&hellip; il donne des renseignements. Des renseignements sur le monde dans lequel elle existe. &Ccedil;a n&rsquo;a rien &agrave; voir. C&rsquo;est pourquoi les entretiens et l&rsquo;individualisation de l&rsquo;&eacute;crivain sont extr&ecirc;mement p&eacute;rilleux. On devrait s&rsquo;y refuser&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">C&rsquo;est la peur d&rsquo;&ecirc;tre pris pour un autre, pour ce qu&rsquo;il n&rsquo;est pas, pour un &laquo;&nbsp;grand &eacute;crivain&nbsp;&raquo;, d&rsquo;&ecirc;tre &laquo;&nbsp;naturalis&eacute;&nbsp;en po&eacute;sie ou en pens&eacute;e&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire empaill&eacute;, fig&eacute;, tu&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;[le fragment] est comme &ccedil;a, comme son auteur et comme sa victime&nbsp;: il est dans le vent et il vaudrait mieux le laisser tranquille. Vous voyez ce que je veux dire&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: justify;">Aujourd&rsquo;hui encore, Jean Daive se souvient de l&rsquo;inconfort dans lequel s&rsquo;est d&eacute;roul&eacute; l&rsquo;entretien&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">[Perros] installe une distance qui est &agrave; peine fraternelle. Je crois qu&rsquo;il ne comprend pas mon int&eacute;r&ecirc;t pour son &laquo; &oelig;uvre &raquo;. Il se pose la question. Souvent. Trop souvent. Et parfois je c&egrave;de &agrave; contre c&oelig;ur. Pourquoi lui Jean Daive qui n&rsquo;existe pas s&rsquo;int&eacute;resse-t-il tant &agrave; mon travail qui n&rsquo;existe pas. Ce n&rsquo;est pas dit mais je l&rsquo;entends se l&rsquo;avouer et m&ecirc;me se le r&eacute;p&eacute;ter. Il est susceptible &agrave; mourir. Plaintif de sa vie, pas heureux en somme, dur ou injuste &agrave; l&rsquo;&eacute;gard du monde humain. Il est pitoyable sur lui-m&ecirc;me et sans piti&eacute; pour les autres&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Georges Perros &eacute;tait tr&egrave;s conscient de l&rsquo;existence de diff&eacute;rents espaces de parole, il &eacute;tait sensible &agrave; ce qu&rsquo;un lieu, un contexte, suscite comme type de conversations. Dans <em>Une vie ordinaire</em> par exemple, il rapporte avec une ironie f&eacute;roce la conversation des salons mondains auquel il s&rsquo;est trouv&eacute; assister&nbsp;: coinc&eacute; &agrave; table &laquo;&nbsp;entre deux cuisses f&eacute;minines&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a> &raquo;, il voudrait &eacute;chapper &agrave; cette fausse parole par le silence. Le &laquo;&nbsp;bistrot&nbsp;&raquo; lui pla&icirc;t davantage, avec ses &laquo;&nbsp;gens de caf&eacute;&nbsp;&raquo; qui se livrent quand ils sont ivres, lieu o&ugrave; il ne fait que passer, &laquo;&nbsp;en toute clandestinit&eacute;&nbsp;&raquo;&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>. C&rsquo;est l&agrave; d&rsquo;ailleurs qu&rsquo;il a donn&eacute; rendez-vous &agrave; Michel Kerninon, avant de le conduire dans &laquo;&nbsp;sa piaule&nbsp;&raquo;, soit au c&oelig;ur m&ecirc;me de l&rsquo;espace d&rsquo;&eacute;criture, pour l&rsquo;entretien &eacute;crit qu&rsquo;il r&eacute;alise en mai 1973&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>. Dans le 4<sup>&egrave;me</sup> entretien avec Daive, il revient assez longuement sur ce lieu pour lui confortable&nbsp;qu&rsquo;est le bistrot :</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Il y a une esp&egrave;ce d&rsquo;intonation du bistrot qui est th&eacute;&acirc;trale, qui donne une libert&eacute;, une tranquillit&eacute; peut-&ecirc;tre, oui, parce qu&rsquo;on est l&agrave; entre choses aussi. Le bistrot, on ne pas y rester et c&rsquo;est liquide aussi, c&rsquo;est la boisson. On boit un coup.&nbsp;On est utile &agrave; quelque chose. On paye. &Ccedil;a n&rsquo;est pas gratuit. Il y a tout &ccedil;a dans un bistrot, et puis il y a le bruit alentour, il y a toutes ces esp&egrave;ces de bruits de la vie&hellip; C&rsquo;est la vie qui vient se r&eacute;chauffer, disons. C&rsquo;est le bruit de la vie qui vient se r&eacute;chauffer l&agrave;. [&hellip;] C&rsquo;est comme l&rsquo;oasis parce que c&rsquo;est comme dans un d&eacute;sert, et on trouve tout &agrave; coup &agrave; boire un coup avec des gens qui vous connaissent, mais qui vous connaissent comme &ccedil;a, qui vous connaissent par le bistrot, qui ne vous demandent pas autre chose. C&rsquo;est bien. J&rsquo;aime bien &ccedil;a. J&rsquo;aime assez &ccedil;a. Cet incognito <a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>[&hellip;]</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Lieu de passage, lieu de vent, le bistrot appara&icirc;t comme le lieu m&ecirc;me de l&rsquo;&eacute;chapp&eacute;e. Ce d&eacute;sir d&rsquo;&laquo;&nbsp;incognito&nbsp;&raquo;, Perros le satisfait aussi avec le livre, puisqu&rsquo;il n&rsquo;y rencontre pas son lecteur&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Ruisseau plus ou moins tourment&eacute;</p> <p>par les m&eacute;andres de son lit</p> [&hellip;] <p>ainsi me font l&rsquo;effet d&rsquo;aller</p> <p>tous ces mots que je te destine</p> <p>ami que par d&eacute;finition</p> <p>je ne rencontrerai jamais</p> <p>puis je souffre mal qu&rsquo;on me parle</p> <p>de ce que j&rsquo;&eacute;cris dans le vent</p> <p>son auteur ni vu ni connu&nbsp;<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Avec la radio, &eacute;videmment, c&rsquo;est autre chose&nbsp;puisqu&rsquo;il y vient pr&eacute;cis&eacute;ment pour parler, en tant qu&rsquo;&laquo;&nbsp;auteur&nbsp;&raquo;, de lui et de son &oelig;uvre&hellip; Espace inconfortable donc. Mais la radio ouvre en fait un double espace de parole&nbsp;: il y a l&rsquo;enregistrement, o&ugrave; l&rsquo;auteur invit&eacute; fait face &agrave; un interlocuteur&nbsp;; et il y a l&rsquo;entretien mont&eacute; et diffus&eacute;, qui s&rsquo;adresse aux auditeurs, avec qui, comme pour les lecteurs, il n&rsquo;y a pas de rencontre directe. Cette seconde dimension, il est possible que Perros n&rsquo;en ait pas eu conscience, aveugl&eacute; par la r&eacute;alit&eacute; d&eacute;sagr&eacute;able du premier &eacute;change, qui pourtant au montage dispara&icirc;t.</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;exhibition du montage affirme en soi l&rsquo;existence de ce lieu de parole sp&eacute;cifique que constitue l&rsquo;espace radiophonique. Ces cinq entretiens, con&ccedil;us comme un tout (effet renforc&eacute; par la reprise &agrave; la fin des citations du d&eacute;but), forment un objet radiophonique qui &eacute;chappe &agrave; l&rsquo;auteur venu parler. &laquo;&nbsp;Ainsi j&rsquo;ai souvent remarqu&eacute; / que la photographie d&eacute;pend / bien plus de celui qui la prend / que de celui qui pose&nbsp;<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>&nbsp;&raquo;, &eacute;crit Perros dans <em>Une vie ordinaire</em>. Il en va bien de m&ecirc;me &agrave; la radio&hellip;</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="2_L8217emergence_d8217une_voix_intime_exterieur">2. L&rsquo;&eacute;mergence d&rsquo;une voix, &laquo;&nbsp;intime ext&eacute;rieur &raquo;</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">La radio, comme l&rsquo;appareil photo et la cam&eacute;ra, enregistre un r&eacute;el qu&rsquo;elle transforme. &Agrave; la radio, cette capture du r&eacute;el passe par le son seul. Un entretien radiophonique avec un &eacute;crivain consiste &agrave; faire surgir une pr&eacute;sence sonore. La voix de l&rsquo;&eacute;crivain est &eacute;videmment centrale. Elle n&rsquo;est pas un pur contenant, un simple canal pour dire des choses&nbsp;: elle est en soi un vecteur d&rsquo;&eacute;motions et surtout une fen&ecirc;tre ouverte sur la subjectivit&eacute;. Une voix, ce n&rsquo;est pas seulement un timbre, mais aussi une diction, un rythme, une allure, une syntaxe. Elle est l&rsquo;&laquo;&nbsp;intime ext&eacute;rieur&nbsp;<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>&nbsp;&raquo;, pour reprendre une belle formule d&rsquo;Henri Meschonnic.</p> <p style="text-align: justify;">Georges Perros est donc venu parler dans ce lieu abstrait qu&rsquo;est un studio radiophonique. Il s&rsquo;est trouv&eacute; face &agrave; Jean Daive, qu&rsquo;il ne conna&icirc;t pas, et qui en tant qu&rsquo;auteur d&eacute;veloppe de tout autres voies esth&eacute;tiques que lui. Ce dernier ne lui pose gu&egrave;re de questions, mais lui ouvre un vaste espace de parole avec pour seul fil conducteur la chronologie des &oelig;uvres publi&eacute;es au moment de l&rsquo;entretien. Certes, il y a la pr&eacute;sence amie de Jean-Marie Gibbal qui aide sans doute Perros &agrave; se sentir plus &agrave; l&rsquo;aise. Mais cette s&eacute;ance d&rsquo;enregistrement, aux dires de Perros comme de Daive, fut difficile, voire p&eacute;nible. Pourtant, en &eacute;coutant l&rsquo;ensemble de ces cinq entretiens, on a l&rsquo;impression qu&rsquo;il se passe quelque chose, que le dispositif radiophonique est parvenu &agrave; faire surgir de l&rsquo;inattendu, de l&rsquo;impr&eacute;vu, quelque chose qui &eacute;chappe &agrave; Perros lui-m&ecirc;me. Jean Daive se souvient :</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Nous avan&ccedil;ons titre apr&egrave;s titre. Il ne parle pas, il chante, il gazouille, le terme est de lui au micro ou hors micro. [&hellip;] Il y a une vitesse de la pens&eacute;e et donc de la parole. Il en a conscience et se demande pourquoi il s&rsquo;entend chanter de cette fa&ccedil;on. Pourquoi cette pr&eacute;cipitation&nbsp;<a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Sur le fond, Perros se redit par rapport &agrave; ses &eacute;crits. L&rsquo;auditeur familier de l&rsquo;&oelig;uvre n&rsquo;apprend presque rien de nouveau. Il y a bien quelques aveux personnels (il n&rsquo;a pas d&rsquo;autorit&eacute; sur ses enfants, il est superstitieux, etc.), car l&rsquo;espace de l&rsquo;entretien appelle la confidence, mais l&agrave; n&rsquo;est pas l&rsquo;essentiel bien s&ucirc;r. Ce qui est proprement inou&iuml;, c&rsquo;est sa voix&nbsp;: mani&egrave;re de parler, mais aussi de penser et de ressentir. On y entend un homme en qu&ecirc;te, qui cherche le mot juste, la pr&eacute;cision des images, qui se confirme &agrave; lui-m&ecirc;me qu&rsquo;il a trouv&eacute; la bonne expression, comme dans ce passage du 3<sup>e </sup>entretien &agrave; propos de <em>Une vie ordinaire </em>:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">C&rsquo;est quelque chose de vertical. Voil&agrave; c&rsquo;est &ccedil;a. C&rsquo;est quelque chose qui coule. Quelque chose qui coule verticalement, plut&ocirc;t comme un robinet. Plut&ocirc;t comme un robinet que comme un ruisseau en fait. C&rsquo;est plut&ocirc;t quelque chose qui descend&nbsp;<a href="#_ftn29" name="_ftnref29">[29]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Perros proc&egrave;de par reprises successives, sortes d&rsquo;esquisses verbales. Tout au long des entretiens, l&rsquo;auditeur assiste ainsi au surgissement de la pens&eacute;e et de l&rsquo;expression, lanc&eacute;es sans frein dans l&rsquo;espace des ondes, contrairement &agrave; ce qui se passe dans l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Oui il y a quelque chose en moi qui ne tient pas en place, c&rsquo;est certain. Et que, &eacute;videmment, je ne peux pas suivre, parce que &ccedil;a va beaucoup plus vite que moi. [&hellip;] Les mots que je trace sur une feuille, ce sont peut-&ecirc;tre des mots de freinage. De freinage et de d&eacute;rapage&nbsp;<a href="#_ftn30" name="_ftnref30">[30]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;&eacute;criture donne un cadre&nbsp;: le papier accroche et ralentit la pens&eacute;e, donne une forme, une longueur visibles aux mots que l&rsquo;on y d&eacute;pose. On p&egrave;se ses mots, et la contrainte du vers, d&rsquo;autant plus quand il est compt&eacute; comme dans <em>Une vie ordinaire</em>, accentue le ralentissement inh&eacute;rent au fait d&rsquo;&eacute;crire. Mais quand Perros parle, sans &ecirc;tre interrompu, pens&eacute;e et paroles suivent leur pente naturelle, &agrave; toute allure,&nbsp;d&eacute;rivent d&rsquo;image en image, par encha&icirc;nements pseudo-logiques. Les exemples de cette d&eacute;rive foisonnent dans les cinq entretiens. En voici un, particuli&egrave;rement frappant, qui intervient au moment m&ecirc;me o&ugrave; Perros &eacute;voque l&rsquo;&eacute;tat physique et mental dans lequel il se trouve lorsqu&rsquo;il &eacute;crit&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Pour moi, le langage, c&rsquo;est quelque chose &ndash; le mien &ndash; c&rsquo;est quelque chose qui a de temps en temps, la chair de poule c&rsquo;est tout, c&rsquo;est comme la mer quand on la regarde, la mer est tr&egrave;s frileuse (de temps en temps, en fait). [br&egrave;ve respiration] Eh bien&hellip; ou comme quand on touche le la la peau d&rsquo;un cheval, quand on le le caresse et tout &agrave; coup, sloup&nbsp;! &ccedil;a fait &ccedil;a fait une esp&egrave;ce de mouvement comme &ccedil;a, comme la comme la chair de poule.</p> <p style="text-align: justify;">[respiration] Eh bien, c&rsquo;est c&rsquo;est comme &ccedil;a que j&rsquo;&eacute;cris, c&rsquo;est comme &ccedil;a que je peux &eacute;crire, c&rsquo;est quand ma langue, mon mon chant de de mots a la chair de poule. Y a un petit vent qui passe l&agrave;, comme les bl&eacute;s de temps en temps, comme&hellip; [br&egrave;ve respiration] Et alors c&rsquo;est l&agrave;, l&agrave;, j&rsquo;&eacute;cris avec &ccedil;a. Seulement, c&rsquo;est c&rsquo;est &eacute;crire heu m&ecirc;me pas sur le sable, c&rsquo;est &eacute;crire sur le vent.</p> <p style="text-align: justify;">[Br&egrave;ve interruption] Il faut tout d&rsquo;m&ecirc;me &ecirc;tre dans un certain &eacute;tat, je ne peux pas&hellip; toujours heu&hellip; &ecirc;tre heu&hellip; susceptible de cette libert&eacute;. Parce qu&rsquo;en fait, c&rsquo;est un mouvement de libert&eacute;, c&rsquo;est un mouvement de&hellip; comme quelqu&rsquo;un qui tour qui tourne la t&ecirc;te doucement, c&rsquo;est comme un mouvement de nuque en fait, c&rsquo;est comme un mouvement d&rsquo;&eacute;paules, [inspiration] qui peut &ecirc;tre heu&hellip; un signe. Un signe pour personne, enfin, un l&eacute;ger signe amoureux, disons&hellip; Qui renouvelle le bail, [inspiration] d&rsquo;une vie qui voudrait bien heu&hellip; se fondre en&hellip; en eau et en&hellip; [inspiration] Enfin, oui, c&rsquo;est la mort, le la la la l&rsquo;horreur. Alors il vaudrait mieux pouvoir mourir avant d&rsquo;&ecirc;tre pris comme &ccedil;a. C&rsquo;est un peu le r&ecirc;ve heu que fait ma&hellip; ma langue&nbsp;: pi&eacute;ger la mort. Pour me laisser sur le carreau, mais au moins comme &ccedil;a j&rsquo;aurai&hellip; battu heu&hellip; l&rsquo;&oelig;uf. C&rsquo;est la mayonnaise, en fait c&rsquo;est &ccedil;a ce que je veux dire. Il faut pouvoir faire la mayonnaise avant de&hellip; de tomber en ruines&nbsp;<a href="#_ftn31" name="_ftnref31">[31]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Perros est ici dans un effort de d&eacute;finition. Il cherche vraiment, par une succession rapide d&rsquo;images, de sensations, par le recours &agrave; l&rsquo;onomatop&eacute;e, aux d&eacute;ictiques, &agrave; faire comprendre, ou mieux, &agrave; faire sentir &agrave; ses interlocuteurs, Daive et Gibbal, ce qui chez lui d&eacute;clenche l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;: ce qu&rsquo;il appelle la &laquo;&nbsp;chair&nbsp;de poule&nbsp;&raquo;, qu&rsquo;il d&eacute;crit d&rsquo;abord comme un &laquo;&nbsp;mouvement&nbsp;&raquo;, &agrave; la fois comme une soudaine agitation de surface (sur la mer, sur la peau du cheval, sur les bl&eacute;s), et comme une sorte de d&eacute;gagement, de sursaut, tendu vers autrui (&laquo;&nbsp;signe&nbsp;&raquo; corporel), comme pour &eacute;chapper &agrave; une certaine tendance &agrave; la dissolution, &agrave; la disparition. L&rsquo;id&eacute;e de&nbsp;&laquo;&nbsp;mort&nbsp;&raquo; arrive ici de mani&egrave;re abrupte et inattendue, au creux d&rsquo;une h&eacute;sitation, avec pourtant une force d&rsquo;affirmation sans pr&eacute;c&eacute;dent (&laquo;&nbsp;Enfin, oui, c&rsquo;est&nbsp;&raquo;). Cette pens&eacute;e de la mort vient remotiver l&rsquo;image de d&eacute;part, celle de la &laquo;&nbsp;chair de poule&nbsp;&raquo;, qui devient, par effet de connotation, l&rsquo;expression toute simple de la peur. Les trois derni&egrave;res phrases de cet extrait, qui am&egrave;nent l&rsquo;image insolite et triviale de la &laquo;&nbsp;mayonnaise&nbsp;&raquo;, sonnent &agrave; la fois comme un pied de nez goguenard &agrave; la mort, une sorte de revanche absurde, d&eacute;risoire (&laquo;&nbsp;au moins comme &ccedil;a j&rsquo;aurai&hellip;&nbsp;&raquo;), mais aussi comme un d&eacute;fi au langage (et aux interlocuteurs pr&eacute;sents), car que veut dire &laquo;&nbsp;battre l&rsquo;&oelig;uf&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;faire la mayonnaise&nbsp;&raquo; dans ce contexte&nbsp;? On comprend que cette course effr&eacute;n&eacute;e d&rsquo;explications, cette voix qui se pr&eacute;cipite d&rsquo;image en image en ne respirant qu&rsquo;&agrave; peine, se d&eacute;bat dans la langue&nbsp;: Perros bat le langage, pour le faire monter et lui donner consistance, face au n&eacute;ant qui vient. On entend le po&egrave;te tisser un &eacute;chafaudage au-dessus du vide.</p> <p style="text-align: justify;">La voix de Perros, dans cet entretien o&ugrave; la parole s&rsquo;&eacute;coule sans entrave, fait ainsi entendre, en m&ecirc;me temps qu&rsquo;elle la r&eacute;alise, une v&eacute;ritable po&eacute;tique, qui puise &agrave; l&rsquo;angoisse de la conscience de la mort. &Agrave; la fin du dernier entretien, Perros oppose les &laquo;&nbsp;beaux vers&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;l&rsquo;intelligence de la trouvaille&nbsp;&raquo; (chez Claudel, Saint-John Perse, Val&eacute;ry par exemple) au po&egrave;me comme ensemble organique, animal&nbsp;(comme chez Verlaine) :</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Un beau vers chez Verlaine, vous ne le trouvez pas. C&rsquo;est le po&egrave;me qui est&hellip; hein. &laquo;&nbsp;Je fais souvent ce r&ecirc;ve &eacute;trange et p&eacute;n&eacute;trant&hellip;&nbsp;&raquo;. Mais y a pas&hellip; c&rsquo;est pas de beaux vers &ccedil;a. Une esp&egrave;ce d&rsquo;enroulement&nbsp;<a href="#_ftn32" name="_ftnref32">[32]</a> tout &agrave; coup du langage qui se fait animal, qui se fait chat, qui se fait&hellip; Et en fait un po&egrave;me, c&rsquo;est un animal, ce sont les animaux du langage les po&egrave;mes, ce sont les animaux&nbsp;! Moi quand je regarde un chat &ndash; et maintenant je vis avec des chats, parce qu&rsquo;ils viennent sur le paillasson alors on les prend &ndash; eh bien c&rsquo;est un animal tr&egrave;s po&eacute;tique effectivement. Et un po&egrave;me pour moi maintenant, c&rsquo;est un chat&nbsp;<a href="#_ftn33" name="_ftnref33">[33]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">La d&eacute;finition lapidaire et insolite &agrave; laquelle aboutit Perros (&laquo;&nbsp;un po&egrave;me, c&rsquo;est un chat&nbsp;&raquo;) proc&egrave;de de rebonds d&eacute;finitionnels successifs, de r&eacute;p&eacute;titions s&rsquo;inscrivant dans un d&eacute;roulement en apparence logique (&laquo;&nbsp;en fait&nbsp;&raquo;) et authentifi&eacute;s par l&rsquo;exp&eacute;rience quotidienne (&laquo;&nbsp;eh bien c&rsquo;est un animal tr&egrave;s po&eacute;tique effectivement&nbsp;&raquo;). Il y a dans ce passage plein d&rsquo;un humour touchant &agrave; la gr&acirc;ce du <em>nonsense&nbsp;</em><a href="#_ftn34" name="_ftnref34">[34]</a>, une l&eacute;g&egrave;ret&eacute; d&rsquo;invention, une fantaisie, une gaiet&eacute; qui font sourire l&rsquo;auditeur et le surprennent. &laquo; Il y a donc des po&egrave;mes chats, des po&egrave;mes vaches&hellip; Tout ce que vous voudrez&nbsp;&raquo;, poursuit Perros&hellip; Nulle &laquo;&nbsp;trouvaille&nbsp;&raquo; ici, mais un encha&icirc;nement verbal n&eacute;cessaire, anim&eacute; de l&rsquo;int&eacute;rieur par une pouss&eacute;e &agrave; la fois imaginative et rythmique.</p> <p style="text-align: justify;">Faire parler Perros de cette fa&ccedil;on, c&rsquo;est un peu le mettre en &eacute;tat d&rsquo;&eacute;criture, mais sans qu&rsquo;il puisse vraiment &eacute;crire, sans qu&rsquo;il puisse &laquo;&nbsp;freiner&nbsp;&raquo;, sans qu&rsquo;il puisse ma&icirc;triser ce qui sort de sa bouche. D&rsquo;o&ugrave; un certain plaisir &agrave; parler, qui s&rsquo;entend dans ces moments d&rsquo;humour, de provocation joyeuse de l&rsquo;interlocuteur, mais aussi une certaine angoisse devant ce qui &eacute;chappe, qui sera grav&eacute;, diffus&eacute;, sans qu&rsquo;il puisse y redire&hellip; Suivre la voix de Perros, c&rsquo;est d&rsquo;ailleurs aussi entendre ses silences, lesquels, autant que ses constructions de langage &laquo;&nbsp;dans le vent&nbsp;&raquo;, disent le &laquo;&nbsp;d&eacute;sarroi&nbsp;&raquo; qui &laquo;&nbsp;mijote&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;dans la casserole&nbsp;&raquo;&nbsp;<a href="#_ftn35" name="_ftnref35">[35]</a>. C&rsquo;est l&agrave; aussi l&rsquo;une des grandes valeurs de l&rsquo;entretien que de faire entendre ces silences, ces non-dits, qui ne sont nullement des &eacute;quivalents des blancs sur la page. Une forme de silence, d&rsquo;ellipse, est aussi perceptible dans certaines r&eacute;p&eacute;titions, qui s&rsquo;entendent comme l&rsquo;&eacute;cho d&rsquo;un v&eacute;ritable ab&icirc;me int&eacute;rieur. Ainsi dans le premier entretien, ce passage sur le myst&egrave;re de l&rsquo;origine, myst&egrave;re de la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;&eacute;crire&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Et c&rsquo;&eacute;tait d&eacute;j&agrave; peut-&ecirc;tre le d&eacute;collement, cette esp&egrave;ce d&rsquo;accent parisien, d&eacute;j&agrave; peut-&ecirc;tre&hellip; puisque j&rsquo;&eacute;tais &agrave; Paris et qu&rsquo;il y avait ce c&ocirc;t&eacute;-l&agrave;. Peut-&ecirc;tre, je ne sais pas. Mais &ccedil;a ne justifie pas l&rsquo;&eacute;criture &ccedil;a. D&rsquo;ailleurs, rien. Rien&nbsp;<a href="#_ftn36" name="_ftnref36">[36]</a>&hellip;</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Le dernier &laquo;&nbsp;rien&nbsp;&raquo; s&rsquo;entend &agrave; peine&nbsp;: en se perdant ainsi dans les limbes d&rsquo;un lointain radiophonique, il ouvre un espace d&rsquo;indicible qui aur&eacute;ole Perros d&rsquo;une sorte de profondeur sonore et existentielle. De m&ecirc;me, dans un autre passage, la r&eacute;p&eacute;tition finale, tout en faisant appara&icirc;tre un d&eacute;sarroi, une souffrance profonde, coupe l&rsquo;&eacute;lan m&eacute;taphorique dans lequel il s&rsquo;&eacute;tait engag&eacute;&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">[&hellip;] je d&eacute;fends l&rsquo;intellect. Oui, je le prom&egrave;ne. Je le fais voyager. Je lui montre des choses. Beaucoup plus dans ma vie quotidienne que dans mon &eacute;criture qui est une &eacute;criture &agrave; la mesure de mes moyens et, alors &eacute;videmment, pour moi ce n&rsquo;est pas suffisant. Ce n&rsquo;est pas suffisant&nbsp;<a href="#_ftn37" name="_ftnref37">[37]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">D&rsquo;embl&eacute;e, l&rsquo;auditeur avait &eacute;t&eacute; pr&eacute;venu&nbsp;: Perros se pr&eacute;sente sans masque, non pas tant parce qu&rsquo;il a quitt&eacute; le m&eacute;tier d&rsquo;acteur, nous dit-il, que par le simple fait qu&rsquo;il parle au micro en son nom, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; d&eacute;couvert. Mais ce qui est d&eacute;couvert au fond, c&rsquo;est sans doute moins Perros, qui demeure insaisissable, que la r&eacute;sonance de cette parole, vive aussi bien qu&rsquo;&eacute;crite, sur celui qui la re&ccedil;oit, Jean Daive.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="3_Un_portrait_radiophonique">3. Un portrait radiophonique</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">La derni&egrave;re partie de l&rsquo;entretien est la seule qui ne prenne pas comme point de d&eacute;part un livre de Perros. Il y est question de la lecture, de Perros lecteur, des admirations litt&eacute;raires de ce dernier&nbsp;; il est y aussi question de la meilleure mani&egrave;re de parler des auteurs aim&eacute;s. C&rsquo;est la partie la plus implicitement r&eacute;flexive par rapport &agrave; ce que Daive, en tant que m&eacute;diateur de Perros et de son &oelig;uvre aupr&egrave;s des auditeurs, entreprend de faire &agrave; la radio. L&rsquo;entretien mont&eacute; ne cherche pas ici &agrave; faire assister l&rsquo;auditeur &agrave; une conversation entre l&rsquo;auteur et son interviewer&nbsp;: il s&rsquo;assume plut&ocirc;t comme une forme &eacute;labor&eacute;e de ressaisie sonore d&rsquo;une &oelig;uvre et d&rsquo;une figure d&rsquo;&eacute;crivain, proc&eacute;dant par pr&eacute;l&egrave;vements (extraits de l&rsquo;&oelig;uvre imprim&eacute;e, extraits de l&rsquo;entretien enregistr&eacute;, musiques et bruitages), collages, superpositions de pistes sonores. Si l&rsquo;artifice du montage est assum&eacute; comme tel, c&rsquo;est qu&rsquo;il garantit paradoxalement l&rsquo;&eacute;laboration d&rsquo;un portrait radiophonique fid&egrave;le &agrave; l&rsquo;esprit (plus qu&rsquo;&agrave; la lettre) de l&rsquo;&oelig;uvre et de son auteur.</p> <p style="text-align: justify;">Tout d&rsquo;abord, comment pr&eacute;senter un auteur&nbsp;? Jean Daive, &agrave; l&rsquo;&eacute;coute de Perros, montre ici qu&rsquo;il suit l&rsquo;une de ses le&ccedil;ons. En effet, &agrave; travers les exemples de Paulhan puis de Val&eacute;ry, tous deux c&ocirc;toy&eacute;s et &eacute;perdument admir&eacute;s par Perros, ce dernier invite &agrave; d&eacute;sacraliser la figure de l&rsquo;&eacute;crivain, &agrave; le faire descendre de son pi&eacute;destal mondain pour le rendre &agrave; son humanit&eacute;. Selon lui, c&rsquo;est en ce sens que Paulhan faisait passer des &eacute;preuves &agrave; ceux qui voulaient l&rsquo;approcher :</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Il fallait l&rsquo;oublier, n&rsquo;est-ce pas&nbsp;? Il fallait faire en sorte que&hellip; ne pas le traiter lui comme il &eacute;tait trait&eacute; d&rsquo;habitude, c&rsquo;est-&agrave;-dire tr&egrave;s mal, comme un monsieur. Il ne voulait pas &ecirc;tre trait&eacute; comme &ccedil;a non plus&nbsp;; il voulait &ecirc;tre trait&eacute; comme un homme d&rsquo;amiti&eacute; justement. Et il faisait donc passer des &eacute;preuves &agrave; ce degr&eacute;-l&agrave;&nbsp;<a href="#_ftn38" name="_ftnref38">[38]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Cela fait bien s&ucirc;r &eacute;cho au d&eacute;sir d&rsquo;incognito, tout comme &agrave; la relation d&rsquo;amiti&eacute; avec le lecteur, que Perros n&rsquo;a de cesse de revendiquer pour lui-m&ecirc;me. Or l&rsquo;entretien fait entendre, juste &agrave; la suite de ce passage sur Paulhan, quelques vers d&rsquo;<em>Une vie ordinaire</em> relatant avec humour une rencontre des plus intimes avec Val&eacute;ry (&laquo;&nbsp;Moi je l&rsquo;ai rencontr&eacute; un jour / Val&eacute;ry, dans les vespasiennes / et fait pipi tout pr&egrave;s de lui / &eacute;coutant la chanson bien douce / qui s&rsquo;&eacute;coulait de sa vessie&nbsp;&raquo;)&nbsp;; puis Perros raconte les cours auxquels il assistait au Coll&egrave;ge de France, &eacute;mu moins par la parole du ma&icirc;tre que par le simple fait d&rsquo;&ecirc;tre l&agrave;, en <em>sa </em>pr&eacute;sence, et de d&eacute;couvrir en Val&eacute;ry&nbsp;un mortel plut&ocirc;t qu&rsquo;un dieu&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Pour moi, c&rsquo;&eacute;tait vraiment l&rsquo;homme total. Pour moi, Val&eacute;ry &eacute;tait ce que L&eacute;onard de Vinci &eacute;tait pour lui, une esp&egrave;ce de&hellip; Moi j&rsquo;&eacute;tais tout &agrave; fait &agrave; genoux. Mais je ne l&rsquo;ai pas connu. J&rsquo;allais au Coll&egrave;ge de France &agrave; tous ses cours. C&rsquo;&eacute;tait pendant la guerre. Je ne peux pas dire que c&rsquo;&eacute;tait passionnant. D&rsquo;ailleurs, il n&rsquo;y avait grand monde. Il n&rsquo;&eacute;tait pas tellement aid&eacute;, parce qu&rsquo;il y avait trois duchesses de La Rochefoucauld qui &eacute;taient au premier rang. Ce n&rsquo;&eacute;tait vraiment pas tr&egrave;s passionnant. Et &ccedil;a ne l&rsquo;amusait pas tellement non plus. Il faisait froid [&hellip;] Et il &eacute;tait &acirc;g&eacute;&nbsp;; enfin, il en avait marre. Et il ne faisait aucun effort pour nous aider. Il ouvrait ses papiers, ses cahiers, et puis il nous lisait des trucs. On ne comprenait rien. [&hellip;] Enfin, ce n&rsquo;&eacute;tait pas extraordinaire. Mais c&rsquo;&eacute;tait extraordinaire d&rsquo;&ecirc;tre l&agrave;. Naturellement. Et de le voir. Sa femme dormait. Il la regardait de temps en temps. Son &oelig;il bleu, magnifique, et il regardait sa femme qui dormait. C&rsquo;&eacute;tait &eacute;mouvant, disons. C&rsquo;&eacute;tait &eacute;mouvant&nbsp;<a href="#_ftn39" name="_ftnref39">[39]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Par le fait m&ecirc;me d&rsquo;assembler au montage ces anecdotes et cet extrait de po&egrave;me, Jean Daive non seulement signale &agrave; l&rsquo;auditeur la mani&egrave;re dont Perros con&ccedil;oit la relation &agrave; l&rsquo;&eacute;crivain aim&eacute;, mais encore met en &eacute;vidence sa propre tentative, avec l&rsquo;entretien radiophonique ainsi con&ccedil;u, de faire entendre l&rsquo;auteur dans sa v&eacute;rit&eacute; humaine plut&ocirc;t que litt&eacute;raire, l&rsquo;&oelig;uvre &eacute;crite comme l&rsquo;&eacute;cho ou la poursuite du discours spontan&eacute;. Non seulement la radio fait entendre la pens&eacute;e de Perros, mais elle cherche &agrave; la r&eacute;fl&eacute;chir&nbsp;: le dispositif de l&rsquo;entretien tel que Daive le met en place fonctionne comme un miroir, renvoyant aux auditeurs une image (sonore) correspondant &agrave; l&rsquo;id&eacute;al formul&eacute; par Perros. &Agrave; plusieurs reprises d&rsquo;ailleurs au cours de l&rsquo;entretien, Perros exprime des &laquo;&nbsp;r&ecirc;ves&nbsp;&raquo;, que pr&eacute;cis&eacute;ment la radio semble pouvoir r&eacute;aliser. Ainsi de ce passage du premier entretien o&ugrave; il d&eacute;clare&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Le r&ecirc;ve pour moi, &ccedil;&rsquo;aurait &eacute;t&eacute; &ccedil;a&nbsp;: &ccedil;&rsquo;aurait &eacute;t&eacute; de graver sur le mur du vent, quelque chose qui se serait ajout&eacute; aux choses de la nature&nbsp;<a href="#_ftn40" name="_ftnref40">[40]</a>&nbsp;&raquo; Les ondes hertziennes rendent possible ce r&ecirc;ve. Ce n&rsquo;est d&rsquo;ailleurs pas un hasard si l&rsquo;expression &laquo;&nbsp;graver sur le mur du vent&nbsp;&raquo; a &eacute;t&eacute; choisie comme titre pour publier la transcription des entretiens avec Jean Daive, transcription qui n&rsquo;a pourtant pas d&rsquo;&eacute;quivalent, elle, avec l&rsquo;&eacute;coute des entretiens eux-m&ecirc;mes&nbsp;: il y manque justement la voix, son mouvement, sa vie propre, ce qui fait que la parole enregistr&eacute;e devient bien &laquo;&nbsp;quelque chose&nbsp;[&hellip;] ajout&eacute; aux choses de la nature&nbsp;&raquo;. L&rsquo;entretien, tel que le met en &oelig;uvre Jean Daive, est bien une mani&egrave;re de &laquo;&nbsp;graver sur le mur du vent&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire de fixer une parole sans lui &ocirc;ter son mouvement, de la faire entendre plut&ocirc;t que lire, de la d&eacute;gager d&rsquo;un support, la page, qui lui fait courir le risque d&rsquo;&ecirc;tre fig&eacute;e en chose litt&eacute;raire. Un autre &laquo;&nbsp;r&ecirc;ve&nbsp;&raquo; auquel la radio donne une chance de prendre corps, c&rsquo;est celui d&rsquo;&ecirc;tre entendu, et m&ecirc;me chant&eacute; plut&ocirc;t que lu, comme un &laquo;&nbsp;air&nbsp;&raquo; que l&rsquo;on retiendrait par c&oelig;ur au fond de soi, plus ou moins exact, et qui pourrait servir de signe de reconnaissance. Georges Perros &eacute;voque ainsi sa rencontre, &agrave; la fois r&eacute;elle et fantasm&eacute;e, avec Francis Poulenc&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Un jour, j&rsquo;ai rencontr&eacute; Francis Poulenc dans la rue. Rue de M&eacute;dicis. Il habitait l&agrave; d&rsquo;ailleurs. Je n&rsquo;ai pas os&eacute;, mais c&rsquo;est ce que je voulais dire un peu &agrave; propos de la note, je n&rsquo;ai pas os&eacute; l&rsquo;arr&ecirc;ter, mais je voulais absolument lui chanter une partie de son concerto pour piano et lui demander s&rsquo;il n&rsquo;y avait pas une note dans ma m&eacute;moire qui clochait un peu. [&hellip;] Et quand on me dit qu&rsquo;on lit mes notes, j&rsquo;aimerais que ce soit comme &ccedil;a&nbsp;: j&rsquo;aimerais qu&rsquo;on me chante l&rsquo;air. Et qu&rsquo;on me dise, tiens&nbsp;! on va se retrouver ensemble sur la Terre gr&acirc;ce &agrave; un petit air que j&rsquo;ai retenu en lisant la note. Autrement dit, je voudrais que &ccedil;a fasse chanter plut&ocirc;t que lire, parce que ce n&rsquo;est pas &agrave; lire une note. &Ccedil;a se chante. C&rsquo;est un petit air. Et alors on pourrait se reconna&icirc;tre comme &ccedil;a&nbsp;: une soci&eacute;t&eacute; secr&egrave;te de la note. Il y aurait un air qui nous rassemblerait. Oui, ce serait une soci&eacute;t&eacute; presque clandestine. Naturellement&nbsp;! Mais ce serait exactement comme &ccedil;a, comme quand je voulais arr&ecirc;ter Francis Poulenc. Je voulais lui prouver que je le connaissais et que j&rsquo;avais rien &agrave; lui dire, et que ce n&rsquo;&eacute;tait pas du tout pour lui demander de le conna&icirc;tre ou&hellip; Il n&rsquo;y a rien &agrave; conna&icirc;tre. J&rsquo;avais envie de me mettre &agrave; c&ocirc;t&eacute; de lui et de lui chanter un petit air. &Eacute;videmment, il se serait retourn&eacute;, il m&rsquo;aurait regard&eacute; et il m&rsquo;aurait peut-&ecirc;tre pris l&rsquo;&eacute;paule, je ne sais pas, dans une esp&egrave;ce&hellip; C&rsquo;est &ccedil;a le r&ecirc;ve que je fais d&rsquo;une amiti&eacute; possible gr&acirc;ce &agrave; la note&nbsp;<a href="#_ftn41" name="_ftnref41">[41]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Comme dans cette rencontre manqu&eacute;e avec Poulenc, dont l&rsquo;entretien mont&eacute; cherche d&rsquo;ailleurs &agrave; cr&eacute;er un simulacre (en faisant entendre, sous la voix de Perros qui non seulement en parle mais encore en chante quelques mesures, le concerto en question), Daive semble avoir manqu&eacute; le rendez-vous fraternel. Celui-ci n&rsquo;a pas lieu au moment de l&rsquo;enregistrement&nbsp;; mais il a lieu en diff&eacute;r&eacute;, par cette tentative d&rsquo;&eacute;laborer avec la radio une sorte d&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;quivalent&nbsp;<a href="#_ftn42" name="_ftnref42">[42]</a>&nbsp;&raquo; de la parole et du projet perrossiens, ou au moins un &eacute;cho fraternel. Cette fraternit&eacute;, Perros ne la reconna&icirc;t pas, puisqu&rsquo;il n&rsquo;a pas &eacute;cout&eacute; le r&eacute;sultat final de l&rsquo;entretien, qu&rsquo;il s&rsquo;en d&eacute;tourne (il ne s&rsquo;est pas &laquo;&nbsp;retourn&eacute;&nbsp;&raquo;&nbsp;!) comme si cela ne le concernait plus. Cette rencontre manqu&eacute;e que figure ici l&rsquo;entretien explique sans doute l&rsquo;importance que Daive donne &agrave; une formule de Perros, celle de &laquo; conversation &agrave; distance&nbsp;&raquo;. Tir&eacute;e de la pr&eacute;face de <em>Papiers coll&eacute;s 2</em> et caract&eacute;risant pour l&rsquo;auteur la relation d&eacute;sir&eacute;e avec le lecteur, elle s&rsquo;accorde bien elle aussi (comme &laquo;&nbsp;graver sur le mur du vent&nbsp;&raquo;) avec le medium radiophonique. Jean Daive l&rsquo;utilise pour ouvrir et fermer la s&eacute;rie des entretiens&nbsp;: &laquo;&nbsp;J&rsquo;essaie d&rsquo;&eacute;tablir un rapport de conversation &agrave; distance, conversation impossible, qui exige l&rsquo;intervention du hasard&nbsp;&raquo;. Jean Daive modifie la phrase originelle de Perros&nbsp;en la tronquant&nbsp;: ce faisant, il se la r&eacute;approprie, se la dit pour lui-m&ecirc;me (se la chante&nbsp;?), fait co&iuml;ncider le &laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo; de Perros avec le sien propre. L&rsquo;inexactitude de la citation ici n&rsquo;est pas trahison&nbsp;: elle figure l&rsquo;op&eacute;ration m&ecirc;me de r&eacute;ception intime d&rsquo;une parole lue ou entendue, qui revient en m&eacute;moire. Elle doit au fond s&rsquo;entendre comme un signe de fraternit&eacute;. Cette pratique de la citation modifi&eacute;e appara&icirc;t plusieurs fois au cours des entretiens. Dans le 3<sup>&egrave;me</sup>, celle-ci est clairement perceptible (y compris dans le temps de la diffusion pour un auditeur attentif) puisque la citation originale est d&rsquo;abord dite par Michelle Cohen au d&eacute;but de l&rsquo;&eacute;mission (&laquo;&nbsp;&Agrave; qui n&rsquo;est-ce pas arriv&eacute;&nbsp;/ d&rsquo;avoir &agrave; dire la parole / celle de toute &eacute;ternit&eacute; / &agrave; l&rsquo;homme que vous avez l&agrave; / devant vous pr&eacute;sent mais pr&eacute;caire&nbsp;<a href="#_ftn43" name="_ftnref43">[43]</a>&nbsp;&raquo;), puis reprise par Jean Daive &agrave; la fin (&laquo;&nbsp;Dire la parole, celle de toute &eacute;ternit&eacute;, &agrave; l&rsquo;homme que vous avez l&agrave;, devant vous, pr&eacute;sent mais pr&eacute;caire&nbsp;<a href="#_ftn44" name="_ftnref44">[44]</a>&raquo;)&nbsp;: une fois encore, le &laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo; de Perros a fait place &agrave; celui de Daive, si bien que &laquo; l&rsquo;homme [&hellip;] pr&eacute;sent mais pr&eacute;caire&nbsp;&raquo; en vient &agrave; s&rsquo;identifier, dans la bouche de l&rsquo;interviewer, pour l&rsquo;auditeur, &agrave; Perros lui-m&ecirc;me.</p> <p style="text-align: justify;">La relation entre Perros et Daive est donc particuli&egrave;rement ambivalente. Daive n&rsquo;est pas un ami &eacute;lu pour la conversation, comme ont pu l&rsquo;&ecirc;tre tous ceux, nombreux, avec qui Perros a tenu correspondance, autre forme de &laquo;&nbsp;conversation &agrave; distance&nbsp;&raquo; (Jean Grenier, Jean Roudaut, Jean Paulhan, Michel Butor, Bernard No&euml;l, Carl-Gustav Bjurstr&ouml;m, Lorand Gaspar, Henri Thomas, etc.). C&rsquo;est lui qui l&rsquo;a fait venir, parce qu&rsquo;il aimait son &oelig;uvre&nbsp;; et visiblement il n&rsquo;a pas r&eacute;ussi &agrave; le lui montrer. Il n&rsquo;est pas all&eacute; &agrave; lui, dans son lieu, comme l&rsquo;avait fait Roger Pillaudin pour la radio en 1969, enregistrant son entretien dans la Baie des Tr&eacute;pass&eacute;s&nbsp;<a href="#_ftn45" name="_ftnref45">[45]</a>, ou comme Pierre-Jakez H&eacute;lias pour l&rsquo;entretien t&eacute;l&eacute;vis&eacute; r&eacute;alis&eacute; par Paul-Andr&eacute; Picton en 1971&nbsp;<a href="#_ftn46" name="_ftnref46">[46]</a>. L&rsquo;entretien avec Daive, une fois mont&eacute;, assume donc cette distance et &eacute;pouse l&rsquo;id&eacute;e que Perros formule &agrave; propos de la relation au lecteur. Jean Daive y joue finalement le r&ocirc;le d&rsquo;un m&eacute;diateur en retrait, distant, laissant la plus grande place audible &agrave; son invit&eacute;, tout en ouvrant la voie pour que l&rsquo;auditeur, destinataire final de l&rsquo;entretien, entende &agrave; son tour Perros et puisse laisser sa parole faire son miel en lui. Jean Daive est en effet celui qui entend et redit &agrave; part soi, reformule ce qu&rsquo;il a compris &ndash; d&rsquo;o&ugrave; ce ton, si &eacute;trange &agrave; premi&egrave;re audition, qui est en fait celui-l&agrave; m&ecirc;me de la &laquo;&nbsp;conversation &agrave; distance&nbsp;&raquo; et non celui de la conversation directe. Ainsi &agrave; la fin du premier entretien, Daive ressaisit la pens&eacute;e de Perros, en se coulant dans les mots m&ecirc;mes de ce dernier&nbsp;: &laquo;&nbsp;La parole &eacute;crite voudrait bien passer inaper&ccedil;ue. Elle voudrait bien &ecirc;tre &eacute;gale au vent, &agrave; la pluie, aux personnages et aux choses du quotidien qu&rsquo;elle vise pour s&rsquo;y fondre&nbsp;<a href="#_ftn47" name="_ftnref47">[47]</a>&nbsp;&raquo; L&rsquo;auditeur, quant &agrave; lui, est appel&eacute; &agrave; jouer le m&ecirc;me r&ocirc;le que l&rsquo;ami-lecteur anonyme, que Perros ne choisit pas mais auquel il se livre pourtant, m&ecirc;me par-del&agrave; la mort&nbsp;: auditeur chez qui se produira peut-&ecirc;tre, r&eacute;ponse muette et intime &agrave; la parole d&eacute;livr&eacute;e, un tressaillement intime, un mouvement de &laquo;&nbsp;chair de poule&nbsp;&raquo;, une &eacute;motion enfin, seul &laquo;&nbsp;signe&nbsp;&raquo; d&eacute;sir&eacute; par Perros en ce qu&rsquo;il fait triompher de la mort. &laquo;&nbsp;Voil&agrave;&nbsp;! La mort ne prend pas &ccedil;a, c&rsquo;est ce que je voulais dire. La mort ne peut pas&hellip; la mort est battue, l&agrave;&nbsp;<a href="#_ftn48" name="_ftnref48">[48]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: justify;">Ce premier entretien que m&egrave;ne Jean Daive &agrave; la radio assume pleinement le fait d&rsquo;&ecirc;tre un objet sonore construit plut&ocirc;t que l&rsquo;apparente retransmission d&rsquo;une conversation &agrave; laquelle on ferait mine de convier muettement l&rsquo;auditeur. La radio s&rsquo;y affirme non seulement comme moyen d&rsquo;expression, mais encore comme moyen sp&eacute;cifique de repr&eacute;sentation du r&eacute;el. Il s&rsquo;agit de capter, sur le plan sonore, non seulement ce que dit Georges Perros, mais ce qu&rsquo;il est, non seulement sa parole, mais aussi toute son &eacute;paisseur humaine. Captif, Perros l&rsquo;est ind&eacute;niablement dans ce studio impersonnel&nbsp;; et il s&rsquo;en d&eacute;fend puisqu&rsquo;il rejette, dans le m&ecirc;me temps qu&rsquo;il s&rsquo;y pr&ecirc;te, l&rsquo;exercice de l&rsquo;entretien. Mais ce que r&eacute;ussit &agrave; capter Jean Daive, second&eacute; par le r&eacute;alisateur Alain Pollet, c&rsquo;est une parole suffisamment lib&eacute;r&eacute;e des questions et, plus g&eacute;n&eacute;ralement, des contraintes de la conversation courante, pour qu&rsquo;on puisse y entendre tout un prisme d&rsquo;&eacute;motions, une sensibilit&eacute; &agrave; nue, un acc&egrave;s sonore direct &agrave; cette &laquo;&nbsp;nuit&nbsp;&raquo; que Perros disait rechercher chez les autres&nbsp;<a href="#_ftn49" name="_ftnref49">[49]</a>. En m&ecirc;me temps, si l&rsquo;auteur est bien sans masque, il est cependant en partie rev&ecirc;tu de la sensibilit&eacute; propre de son interviewer, Jean Daive, qui, dans le tissu des textes et des paroles de Perros, d&eacute;coupe, pr&eacute;l&egrave;ve ce qui lui parle et qui fait signe, aussi bien &agrave; lui-m&ecirc;me qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;espace radiophonique o&ugrave; pour l&rsquo;auditeur se d&eacute;ploie l&rsquo;entretien. De m&ecirc;me, le choix de monter des extraits musicaux et des bruitages pare la parole de Perros d&rsquo;un tissu affectif qui oriente l&rsquo;&eacute;coute et qui contribue &agrave; faire de l&rsquo;entretien un portrait tout subjectif de l&rsquo;&eacute;crivain. L&rsquo;entretien mont&eacute; constitue ainsi dans son ensemble une forme de r&eacute;ponse diff&eacute;r&eacute;e &agrave; Georges Perros. Mais le son qui revient &agrave; l&rsquo;auditeur, comme un &eacute;cho, n&rsquo;est ni tout &agrave; fait un autre ni tout &agrave; fait le m&ecirc;me (par rapport &agrave; ce qu&rsquo;il fut au moment de sa prise), augment&eacute; qu&rsquo;il est de la pr&eacute;sence de Jean Daive, lequel s&rsquo;affirme non seulement comme m&eacute;diateur mais aussi pleinement, quoique discr&egrave;tement, comme auteur de l&rsquo;entretien. &laquo;&nbsp;Georges Perros, Jean Daive&nbsp;&raquo;&nbsp;: l&rsquo;entretien appara&icirc;t ici au fond comme la mise en tension de deux espaces-temps, &agrave; l&rsquo;origine disjoints mais superpos&eacute;s au montage, de la parole auctoriale. Par ce dispositif de relais, Jean Daive contribue bien &agrave; faire &laquo;&nbsp;passer la douane&nbsp;<a href="#_ftn50" name="_ftnref50">[50]</a>&nbsp;&raquo; &agrave; son invit&eacute;, s&rsquo;effa&ccedil;ant lui-m&ecirc;me au maximum, pour laisser parvenir jusqu&rsquo;&agrave; nos propres rives int&eacute;rieures, la &laquo;&nbsp;petite musique&nbsp;&raquo; si &eacute;mouvante, si inoubliable, de Georges Perros.</p> <h3 style="text-align: justify;"><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h3> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Alain Veinstein, <em>Radio sauvage</em>, Paris, Seuil, 2010, p.&nbsp;40 <em>suiv</em>.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> &laquo;&nbsp;Le temps qu&rsquo;on la cherche, elle est d&eacute;j&agrave; commenc&eacute;e, on la trouve, elle est finie. Mais elle surgit parfois sans qu&rsquo;on l&rsquo;attende. C&rsquo;est la po&eacute;sie sur France-Culture, le matin, le midi, le soir et la nuit, &ldquo;Po&eacute;sie ininterrompue&rdquo;&nbsp;&raquo; (<em>Le Monde</em>, lundi 14 mars 1977), cit&eacute; par Abigail Lang, &laquo;&nbsp;&ldquo;Bien ou mal lire, telle n&rsquo;est pas la question&rdquo;. <em>Po&eacute;sie ininterrompue</em>, archives sonores de la po&eacute;sie&nbsp;&raquo;, dans Pierre-Marie H&eacute;ron, Marie Joqueviel-Bourjea et C&eacute;line Pardo (dir.), <em>Po&eacute;sie sur les ondes. La voix des po&egrave;tes-producteurs &agrave; la radio</em>, Presses universitaires de Rennes, 2018.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> &Eacute;mission diffus&eacute;e du 2 au 8 juin 1975.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Propos de Jean Daive recueilli par mail le 1<sup>er</sup> mai 2017. Je remercie ici Jean Daive d&rsquo;avoir bien voulu r&eacute;pondre &agrave; mes questions.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> Propos recueilli de Jean Daive recueilli par mail le 16 mai 2017.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Voir C&eacute;line Pardo, &laquo;&nbsp;Avec un &eacute;crivain, les yeux ferm&eacute;s. L&rsquo;art du portrait d&rsquo;&eacute;crivain &agrave; la radio&nbsp;&raquo;, dans Ivanne Rialland (dir.), <em>Critique et m&eacute;dium</em>, Paris, CNRS &eacute;ditions, 2017, p.&nbsp;271-285.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> Jean Daive affirme qu&rsquo;il n&rsquo;est pas responsable du montage. Il faut donc sans doute l&rsquo;attribuer &agrave; Alain Pollet qui r&eacute;alise l&rsquo;&eacute;mission.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> Le signe # marque une pause dans la diction. Entre crochets sont indiqu&eacute;s les sons ajout&eacute;s au montage.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> La transcription de l&rsquo;entretien, qu&rsquo;on peut lire dans <em>Graver sur le mur du vent</em>, Thierry Gillyb&oelig;uf (&eacute;d.), Illiers-Combray, &eacute;ditions Marcel le Poney, 2010, restitue entre crochets la phrase originale de Perros&nbsp;: &laquo;&nbsp;conversation impossible [&agrave; l&rsquo;&eacute;tat brut], qui exige l&rsquo;intervention [d&rsquo;un heureux] hasard&nbsp;&raquo;. Mais pour d&rsquo;autres citations modifi&eacute;es par Daive, il n&rsquo;y a pas de restitution de l&rsquo;original.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a> Georges Perros, <em>Papiers coll&eacute;s 2</em>, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;L&rsquo;Imaginaire&nbsp;&raquo;, 1973, p.&nbsp;9.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a> On entend seulement, &agrave; de rares moments, plut&ocirc;t dans les derniers entretiens, de brefs acquiescements de Jean-Marie Gibbal, un ami proche de Perros, qui &eacute;tait pr&eacute;sent lors de l&rsquo;enregistrement.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a> 1<sup>er</sup> entretien.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a> Pour plus de lisibilit&eacute;, j&rsquo;ai repris ici la transcription &eacute;dit&eacute;e (p.&nbsp;22), bien qu&rsquo;elle ne rende qu&rsquo;imparfaitement compte de la diction et du parler r&eacute;els de Perros.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a> Lettre &agrave; Jean Roudaut, 24 f&eacute;vrier 1976, cit&eacute;e dans <em>Graver sur le mur du vent</em>, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;12.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a> Premier entretien, transcription &eacute;dit&eacute;e, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;16.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a> Cinqui&egrave;me entretien, <em>ibid.</em>, p.&nbsp;64.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a> Quatri&egrave;me entretien, <em>ibid.</em>, p.&nbsp;59.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a> Premier entretien, <em>ibid.</em>, p.&nbsp;21.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a> <em>Ibid</em>.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a> Propos de Jean Daive recueilli par mail le 1<sup>er</sup> mai 2017.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a> Georges Perros, <em>Une vie ordinaire</em> [1967], Paris, Gallimard, 1988, p.&nbsp;104-105.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a> <em>Ibid.</em>, p.&nbsp;159-160.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a> Georges Perros, <em>Je suis toujours ce que je vais devenir</em>, Brest, &eacute;ditions Dialogues, 2016. Le texte de cet entretien para&icirc;t pour la premi&egrave;re fois de fa&ccedil;on posthume en 1983 (co&eacute;dition Calligrammes/Bretagnes), scand&eacute; par des &laquo;&nbsp;illustrations&nbsp;&raquo; de Perros et clos par une signature manuscrite. L&rsquo;auteur de l&rsquo;entretien, Michel Kerninon, s&rsquo;efface compl&egrave;tement devant la parole auctoriale de Perros.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a> <em>Graver sur le mur du vent</em>, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;54.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a> <em>Une vie ordinaire</em>, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;121.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a> <em>Ibid.</em>, p.&nbsp;94.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a> Une expression qu&rsquo;on retrouve dans plusieurs textes de Meschonnic, par exemple dans <em>Le Rythme et la lumi&egrave;re. Avec Pierre Soulages</em>, Paris, Odile Jacob, 2000, p.&nbsp;173.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref28" name="_ftn28">[28]</a> Propos de Jean Daive recueilli par mail le 1<sup>er</sup> mai 2017.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref29" name="_ftn29">[29]</a> Il s&rsquo;agit ici de ma propre transcription qui restitue ce que <em>Graver sur le mur du vent</em> a effac&eacute;&nbsp;(<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;44), l&rsquo;expression &laquo;&nbsp;Voil&agrave; c&rsquo;est &ccedil;a&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref30" name="_ftn30">[30]</a> Deuxi&egrave;me entretien, <em>Graver sur le mur du vent</em>, <em>op.&nbsp;cit., </em>p.&nbsp;30.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref31" name="_ftn31">[31]</a> Je transcris ici les paroles de Perros r&eacute;ellement prononc&eacute;es. Les points de suspension indiquent un silence (le reste du temps, tout est dit en un souffle, tr&egrave;s vite). Le silence est particuli&egrave;rement long avant &laquo;&nbsp;l&rsquo;&oelig;uf&nbsp;&raquo;, signe d&rsquo;un bref scrupule peut-&ecirc;tre devant l&rsquo;incongruit&eacute; de cette image, scrupule qu&rsquo;il d&eacute;passe cependant avec la m&eacute;taphore fil&eacute;e et assum&eacute;e (&laquo;&nbsp;en fait c&rsquo;est &ccedil;a ce que je veux dire&nbsp;&raquo;) de la &laquo;&nbsp;mayonnaise&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref32" name="_ftn32">[32]</a> Ce terme d&rsquo;&laquo;&nbsp;enroulement&nbsp;&raquo;, il l&rsquo;avait employ&eacute; d&eacute;j&agrave; en 1963, dans une lettre &agrave; Butor, suite &agrave; une &eacute;mission sur la Bretagne qu&rsquo;il avait r&eacute;alis&eacute;e pour la radio en d&eacute;cembre 1962 et dont il avait repris le po&egrave;me &laquo;&nbsp;Amour d&rsquo;Armor&nbsp;&raquo; devenu &laquo;&nbsp;Marines&nbsp;&raquo; dans les <em>Po&egrave;mes bleus</em>. Voici ce qu&rsquo;il &eacute;crit &agrave; propos de &laquo;&nbsp;Marines&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je t&rsquo;envoie ce que j&rsquo;ai tir&eacute; du truc radiophonique. En fait, j&rsquo;ai simplement retir&eacute; les citations et les n&oelig;uds musicaux. [&hellip;] Ce qui m&rsquo;a int&eacute;ress&eacute;, ce sont les enroulements, quand le langage s&rsquo;ouvre comme une fleur, et se d&eacute;plie, dans la mesure de son inspiration. &Ccedil;a s&rsquo;arr&ecirc;te malheureusement toujours un peu vite&nbsp;&raquo;, lettre cit&eacute;e par Estelle Ferrux, &laquo;&nbsp;&ldquo;Mesure de ce que je suis&rdquo;. La po&eacute;sie de Georges Perros&nbsp;&raquo;, th&egrave;se de doctorat de l&rsquo;universit&eacute; Paris-Sorbonne, 19 octobre 2007, p.&nbsp;53. Je remercie ici Estelle Ferrux de m&rsquo;avoir communiqu&eacute; son beau travail.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref33" name="_ftn33">[33]</a> Cinqui&egrave;me entretien, transcription personnelle.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref34" name="_ftn34">[34]</a> Voir la tr&egrave;s &eacute;clairante mise au point de Nicolas Cremona, &laquo;&nbsp;Le&nbsp;<em>nonsense&nbsp;</em>&raquo;, s&eacute;minaire ENS Paris 2005-2006, [en ligne], <a href="http://www.fabula.org/atelier.php?Nonsense" target="_blank">http://www.fabula.org/atelier.php?Nonsense</a>, derni&egrave;re consultation le 11 octobre 2017.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref35" name="_ftn35">[35]</a> <em>Une vie ordinaire, op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;163.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref36" name="_ftn36">[36]</a> <em>Graver sur le mur du vent</em>, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;15.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref37" name="_ftn37">[37]</a> Deuxi&egrave;me entretien, <em>ibid.</em>, p.&nbsp;31.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref38" name="_ftn38">[38]</a> Cinqui&egrave;me entretien,<em> ibid.</em>, p.&nbsp;62.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref39" name="_ftn39">[39]</a> <em>Ibid.</em>, p.&nbsp;63.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref40" name="_ftn40">[40]</a> Premier entretien, p.&nbsp;17.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref41" name="_ftn41">[41]</a> <em>Ibid.</em>, p.&nbsp;42-43.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref42" name="_ftn42">[42]</a> Georges Perros dit quant &agrave; lui que certains &laquo;&nbsp;lieux&nbsp;&raquo;, en Bretagne, sont &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;quivalent naturel&nbsp;&raquo; de ses &eacute;crits (Troisi&egrave;me entretien, <em>ibid.</em>, p.&nbsp;39).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref43" name="_ftn43">[43]</a> <em>Une vie ordinaire</em>, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;71.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref44" name="_ftn44">[44]</a> Troisi&egrave;me entretien, transcription de <em>Graver sur le mur du vent</em>, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;47.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref45" name="_ftn45">[45]</a> <em>Des hommes et la mer&nbsp;: Georges Perros</em>, &eacute;mission produite par Roger Pillaudin, France Inter, 29 ao&ucirc;t 1969, 23h, 30 min.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref46" name="_ftn46">[46]</a> &laquo;&nbsp;Une vie ordinaire&nbsp;&raquo;, dans <em>Lu et approuv&eacute;</em> (collection &laquo;&nbsp;Atlantique&nbsp;&raquo;), r&eacute;alisation de Paul-Andr&eacute; Picton, ORTF, 1<sup>&egrave;re</sup> cha&icirc;ne, 27 novembre 1971.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref47" name="_ftn47">[47]</a> Premier entretien, transcription de <em>Graver sur le mur du vent</em>, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;22.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref48" name="_ftn48">[48]</a> Troisi&egrave;me entretien, <em>ibid.</em>, p.&nbsp;43.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref49" name="_ftn49">[49]</a> &laquo;&nbsp;Quand je disais la sensibilit&eacute; d&rsquo;autre, c&rsquo;est quoi&nbsp;? C&rsquo;est leur nuit. C&rsquo;est la nuit de l&rsquo;autre que je sollicite et que je recherche. Ce n&rsquo;est pas le fait de se dire bonjour. Je veux dire que ce n&rsquo;est pas si simple le r&eacute;el et le quotidien. On dit toujours&nbsp;: vous &ecirc;tes un type du r&eacute;el, du quotidien. Ce n&rsquo;est pas si simple, parce que c&rsquo;est tr&egrave;s difficile &agrave; pr&eacute;lever justement.&nbsp;&raquo; (Cinqui&egrave;me entretien, <em>ibid.</em>, p.&nbsp;65).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref50" name="_ftn50">[50]</a> Dans le 3<sup>e</sup> entretien, Perros s&rsquo;&eacute;crie&nbsp;: &laquo;&nbsp;Parce que je crois que, tout de m&ecirc;me, il vaut mieux avoir du g&eacute;nie. Je crois&hellip; quand on &eacute;crit. Mais quand on n&rsquo;en a pas, il faut s&rsquo;arranger avec cette esp&egrave;ce de son, de bruit que fait la langue en nous, et&hellip; pour s&rsquo;en d&eacute;barrasser tout simplement. Parce que je voudrais bien passer la douane, moi. C&rsquo;est-&agrave;-dire basculer de l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute;, et alors l&agrave; je me dirais&nbsp;: tiens&nbsp;! tu &eacute;cris et &ccedil;a a un sens&nbsp;&raquo; (<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;39).</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="Auteur">Auteur</span></h3> <p style="text-align: justify;"><strong>C&eacute;line Pardo</strong> est membre du Centre d&rsquo;&eacute;tude&nbsp;de la langue et des litt&eacute;ratures fran&ccedil;aises (Cellf) de Paris-Sorbonne. Elle est l&rsquo;auteure de&nbsp;<em>La Po&eacute;sie hors du livre (1945-1965). Le po&egrave;me &agrave; l&rsquo;&egrave;re de la radio et du disque</em>&nbsp;(PUPS, 2015) et a codirig&eacute; plusieurs ouvrages dont&nbsp;<em>Po&eacute;sie et m&eacute;dias</em> (Nouveau Monde, 2012) et&nbsp;<em>Po&eacute;sie sur les ondes</em> (PUR, 2018). Elle poursuit des recherches sur la part sonore de la litt&eacute;rature (radio, enregistrements, lectures publiques) et sur la po&eacute;sie des XXe et XXIe si&egrave;cles.</p> <h3 style="text-align: justify;"><strong>Copyright</strong></h3> <p style="text-align: justify;">Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p> </div>