<div class="entry-content"> <h3>Abstract</h3> <p>The&nbsp;paper focuses on &ldquo;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&rdquo;&nbsp; [&ldquo;The Guest of the Week&rdquo;], the main sequence of <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em>, an exclusively literary magazine of France Culture produced by Roger Vrigny from 1966 to 1984. Between elitism and democratization, the magazine obeys the double will to resist the dilution of literature in culture and to give to lonely writers readers who follow them from book to book. The main interview of &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo; is the centerpiece of this policy, which draws its inspiration from the inspiring example of the <em>NRF</em> of the inter-war period, while adapting its practice to that of the <em>NRF</em> after war, which somewhat favors Gallimard authors. A <em>NRF spirit</em> lives in the magazine, despite some concessions made to the mundane spirit of the &ldquo;salons&rdquo; (it is necessary to give &ldquo;bread and distractions&rdquo; to its listeners in the morning) and the ratings. The classic virtues of simplicity and clarity animate the conduct of interviews, safe from good manners and away from polemics and jargons. The clumsy writers are appreciated, the brilliant writers feared, even if some fascinate (Barthes, Butor&hellip;). The important questions concern both the closing of the work and the way in which the inner life of the authors manifests itself. In the role of the interviewer, Vrigny acts much more as a critic than a cultural reporter: unlike a Chancel or Pivot, followers of the position of the ignorant, whose job is to obtain answers to questions that meet the expectations and curiosities of the general public, he deems it important to have his listeners hear peer-to-peer conversations.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p class="meta-tags">radio interviews, Roger Vrigny, <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em>, <em>NRF</em>, France Culture</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <h2>Introduction<br /> &nbsp;</h2> <p style="padding-left: 360px; text-align: justify;">&laquo;&nbsp;Quand on aime la litt&eacute;rature, quand on veut devenir &eacute;crivain, quand on a cette vocation, on avait devant les yeux l&rsquo;exemple de <em>La NRF</em>, on r&ecirc;vait &agrave; toute cette mythologie de <em>La NRF&nbsp;</em>!&nbsp;&raquo; (Roger Vrigny, <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> du 8 septembre 1977)</p> <p style="text-align: justify;">Bien oubli&eacute; aujourd&rsquo;hui, sauf de ceux qui, dans les deux derni&egrave;res d&eacute;cennies du xx<sup>e</sup> si&egrave;cle, ont pris plaisir &agrave; &eacute;couter sur France Culture son &eacute;mission <em>Lettres ouvertes</em> (1984-1997), &eacute;clips&eacute; dans la m&eacute;moire publique par un Chancel, un Pivot (qui fut son collaborateur), un Veinstein, l&rsquo;&eacute;crivain Roger Vrigny, prix Femina 1963 pour <em>La Nuit de Mougins,</em> Grand Prix de litt&eacute;rature de l&rsquo;Acad&eacute;mie fran&ccedil;aise en 1989, romancier surtout, auteur de th&eacute;&acirc;tre, de radio et de t&eacute;l&eacute;vision accessoirement, essayiste d&rsquo;humeur sur le tard, a pourtant &eacute;t&eacute; un poids lourd de la radio litt&eacute;raire en France. Celui qu&rsquo;on a pu appeler le &laquo;&nbsp;Monsieur Livres&nbsp;&raquo; de France-Culture&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a> est entr&eacute; &agrave; la radio en 1956, pour co-animer puis diriger <em>Belles-Lettres</em>, une <em>revue</em> radiophonique (la premi&egrave;re du genre) lanc&eacute;e en 1952 par Robert Mallet et Pierre Sipriot. Il le fait jusqu&rsquo;en 1963, tout en co-produisant, jusqu&rsquo;en 1966, quelques &eacute;missions litt&eacute;raires th&eacute;matiques&nbsp;: <em>Terre natale</em> (1959-1960), <em>Une &oelig;uvre un portrait</em> (1962-1963), <em>Les cris de la f&eacute;e</em> (1966). Dans les ann&eacute;es 1960 et 1970, il pratique aussi tr&egrave;s r&eacute;guli&egrave;rement le genre de l&rsquo;entretien-feuilleton&nbsp;: avec Andr&eacute; Spire (1962, 8 &eacute;missions), Germaine Beaumont (1964, 6 &eacute;missions), Henri Rollan (1965, 6 &eacute;missions), Louis Guilloux (1969, 12 &eacute;missions), Jean Cayrol (1970, 12 &eacute;missions), Jean Tardieu (1972, 12 &eacute;missions), Marcel Arland (1972, 12 &eacute;missions), Marcel Duhamel (1973, 5 &eacute;missions). Il y revient dans les ann&eacute;es 1990, pour la s&eacute;rie d&rsquo;entretiens <em>&Agrave; voix nue</em> lanc&eacute;e en 1985, avec Gabriel Matzneff (1990), Roger St&eacute;phane (1991), Pierre Moinot (1995), en adoptant le format court en cinq &eacute;missions de r&egrave;gle dans la s&eacute;rie.</p> <p style="text-align: justify;">Mais c&rsquo;est dans le genre du <em>magazine</em> que Vrigny va surtout s&rsquo;illustrer et durer, de <em>La Semaine litt&eacute;raire</em> (1963-1968) &agrave; <em>Lettres ouvertes</em> en passant par <em>La</em> <em>Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> (1966-1984), le rendez-vous de la litt&eacute;rature au sein des Matin&eacute;es de France Culture. Son dernier directeur de cha&icirc;ne, Jean-Marie Borzeix (1984-1997), expliquait ainsi sa long&eacute;vit&eacute; dans la fonction&nbsp;: &laquo;&nbsp;Roger Vrigny, c&rsquo;est la curiosit&eacute;, la jeunesse et l&rsquo;ouverture d&rsquo;esprit. Roger comprend et admet toutes les sensibilit&eacute;s litt&eacute;raires. Il n&rsquo;est jamais m&eacute;chant ni agressif, et quand il lance des pointes, c&rsquo;est toujours avec courtoisie. Son &eacute;mission est tr&egrave;s appr&eacute;ci&eacute;e des &eacute;crivains, qui s&rsquo;y sentent &eacute;cout&eacute;s&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>.&nbsp;&raquo; <em>La</em> <em>Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em>, c&rsquo;est durant presque vingt ans, du mercredi 19 octobre 1966 au jeudi 11 octobre 1984, un magazine de plus ou moins deux heures&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a> proposant, sous diff&eacute;rents titres au fil des saisons, des chroniques, des enqu&ecirc;tes, des jeux, un &laquo;&nbsp;interm&egrave;de musical&nbsp;&raquo;, des dossiers (syst&eacute;matiques dans la nouvelle formule du magazine lanc&eacute;e en 1977), des interviews d&rsquo;&eacute;crivains en lien avec l&rsquo;actualit&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. Autour de Vrigny, quelques piliers&nbsp;: Luc Estang et Alain Bosquet, tous deux po&egrave;tes, romanciers, critiques, essayistes&hellip; et membres d&rsquo;une maison d&rsquo;&eacute;dition (Seuil, Calmann-L&eacute;vy)&nbsp;; Christian Giudicelli, un jeune auteur Gallimard&nbsp;; Evelyne Schlumberger, ancienne journaliste de Radio-Lausanne, d&eacute;di&eacute;e aux jeux et enqu&ecirc;tes&nbsp;; le compositeur Georges-L&eacute;once Guinot, concepteur des interm&egrave;des musicaux. Et divers collaborateurs r&eacute;guliers plus ou moins durables, parmi lesquels Bernard Pivot, Roger Gouze, Alain Clerval, le romancier Jean Dutourd, l&rsquo;&eacute;diteur Hubert Juin, les po&egrave;tes Rouben Melik et Pierre Oster, le pol&eacute;miste Patrick Besson (les deux derni&egrave;res ann&eacute;es)&hellip; Tout cela fait un programme mi-instructif mi-divertissant, d&rsquo;o&ugrave; &eacute;merge une s&eacute;quence-phare&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo;, un entretien en t&ecirc;te-&agrave;-t&ecirc;te (presque toujours) de quinze &agrave; vingt minutes avec un &eacute;crivain (le plus souvent un romancier), autour de son dernier livre. Signe de l&rsquo;importance de cette s&eacute;quence, Vrigny en est durant vingt ans le principal animateur. C&rsquo;est l&agrave; au fond que l&rsquo;on peut le mieux capter l&rsquo;esprit que l&rsquo;&eacute;crivain-journaliste veut faire passer sur son &eacute;mission, au-del&agrave; de son ob&eacute;issance aux lois du magazine litt&eacute;raire&nbsp;: un &laquo;&nbsp;esprit <em>NRF</em>&nbsp;&raquo;, guid&eacute; par la &laquo;&nbsp;reconnaissance du caract&egrave;re sacr&eacute; de la litt&eacute;rature et des &eacute;crivains&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>&nbsp;&raquo;, en m&ecirc;me temps que par une pr&eacute;f&eacute;rence marqu&eacute;e pour les esth&eacute;tiques classiques. Comment cet <em>esprit NRF</em> informe-t-il les &laquo;&nbsp;grands entretiens&nbsp;&raquo; de <em>La</em> <em>Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em>&nbsp;?</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="1_Lesprit_NRF">1. L&rsquo;esprit NRF</span><br /> &nbsp;</h2> <h3 style="text-align: justify;"><span id="11_La_litterature_avant_tout">1.1. La litt&eacute;rature avant tout</span></h3> <p style="text-align: justify;">Le vrai titre de <em>La</em> <em>Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em>, son titre officiel &agrave; d&eacute;faut d&rsquo;&ecirc;tre celui sous lequel le magazine s&rsquo;est fait conna&icirc;tre, est on ne peut plus net sur le sujet exclusif de l&rsquo;&eacute;mission&nbsp;: <em>La Litt&eacute;rature</em>. Mani&egrave;re de dire, &agrave; une &eacute;poque qui aime le m&eacute;lange des genres, des disciplines, des arts, l&rsquo;attachement de Vrigny &agrave; ce que la litt&eacute;rature a d&rsquo;unique comme mani&egrave;re de dire le monde&nbsp;; son refus, d&egrave;s lors, du &laquo;&nbsp;d&eacute;cloisonnement&nbsp;&raquo; pratiqu&eacute; dans les magazines &laquo;&nbsp;culturels&nbsp;&raquo; comme dans la presse &eacute;crite. &laquo;&nbsp;En g&eacute;n&eacute;ral, on parle de livres mais peu de &ldquo;litt&eacute;rature&rdquo; dans la presse&nbsp;&raquo;&nbsp;; et m&ecirc;me dans <em>Les Nouvelles litt&eacute;raires </em>des ann&eacute;es 1970, lit-on dans <em>Le Besoin d&rsquo;&eacute;crire&nbsp;</em><a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>. Dans ce petit essai assez vif, Vrigny s&rsquo;en prend aux dangers qui guettent alors la litt&eacute;rature&nbsp;; parmi eux,&nbsp;sa &laquo;&nbsp;banalisation&nbsp;&raquo;, qui &laquo;&nbsp;la rend inoffensive&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>&nbsp;&raquo;. On retrouve l&agrave; quelque chose de l&rsquo;esprit puriste de <em>La NRF</em>&nbsp;: la litt&eacute;rature avant tout. Dans <em>La</em> <em>Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em>, &laquo;&nbsp;l&rsquo;invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo; est toujours un &eacute;crivain. Cette religion de la litt&eacute;rature n&rsquo;exclut pas chez Vrigny un certain sens du monde comme il va, des enjeux commerciaux et promotionnels d&rsquo;un passage dans une &eacute;mission comme la sienne. Il sait se montrer accessible aux man&oelig;uvres &eacute;ditoriales ou amicales pour pousser un &eacute;crivain devant son micro. Et des repr&eacute;sentants des &eacute;diteurs sont r&eacute;guli&egrave;rement invit&eacute;s &agrave; commenter l&rsquo;actualit&eacute; du livre, notamment &agrave; chaque rentr&eacute;e litt&eacute;raire. L&agrave; o&ugrave; un Pivot refuse absolument toute fonction dans l&rsquo;&eacute;dition pour pr&eacute;server son ind&eacute;pendance, Vrigny au contraire est un bon exemple de &laquo;&nbsp;cumulard&nbsp;&raquo; des Lettres, &eacute;crivain, journaliste, directeur litt&eacute;raire (chez Calmann-L&eacute;vy &agrave; partir de 1977), jur&eacute; du prix Renaudot (&agrave; partir de 1978), &laquo;&nbsp;toutes activit&eacute;s qui, alli&eacute;es &agrave; un temp&eacute;rament volontiers pol&eacute;mique, renfor&ccedil;aient son c&ocirc;t&eacute; &eacute;minence de la r&eacute;publique des lettres&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>&nbsp;&raquo;. Et simultan&eacute;ment, c&rsquo;est un amoureux de la litt&eacute;rature, un d&eacute;vot de la chose litt&eacute;raire, qui utilise ses positions dans les champs litt&eacute;raire et m&eacute;diatique pour servir sa passion. En somme, un puriste pragmatique&nbsp;: pragmatique face aux &laquo;&nbsp;r&egrave;gles du jeu&nbsp;&raquo; du march&eacute; &eacute;ditorial&nbsp;; puriste dans sa d&eacute;fense et promotion de la litt&eacute;rature exclusivement. En septembre 1977, la nouvelle formule de <em>La NRF</em> (avec Georges Lambrichs) lui donne l&rsquo;occasion de r&eacute;affirmer la pieuse all&eacute;geance du magazine &agrave; &laquo;&nbsp;l&rsquo;exemple de <em>La NRF</em>&nbsp;&raquo; et leur vocation commune &agrave; s&rsquo;adresser avant tout &agrave; ceux qui aiment la litt&eacute;rature&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;"><em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em>, cela peut &ecirc;tre aussi, dans son genre, une revue, et un lieu de rencontre. Le fait qu&rsquo;il y ait tant de demandes dans le courrier, tant de r&eacute;actions et de r&eacute;flexions &agrave; propos de ce qui est dit et entendu, on se dit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mais, nom d&rsquo;un chien, ce public, il existe&nbsp;! Nom d&rsquo;un chien ces lecteurs, ces gens qui aiment la litt&eacute;rature, sans aucun esprit ni de parti ni de sp&eacute;cialisation, ils existent&nbsp;!&nbsp;&raquo; Ce sont les vrais, ce sont les purs&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>&nbsp;!</p> </blockquote> <h3 style="text-align: justify;"><span id="12_Allergies">1.2. Allergies</span></h3> <p style="text-align: justify;">La religion de la litt&eacute;rature impose d&rsquo;&eacute;carter tout esprit partisan, militant ou de chapelle, comme Jean Paulhan s&rsquo;attacha aussi &agrave; le faire &agrave; <em>La NRF</em>, en parlant de politique soit comme d&rsquo;une chose inoffensive soit &laquo;&nbsp;en des sens contradictoires&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>&nbsp;&raquo;, du moins aussi longtemps que possible&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>. Vrigny sait reconna&icirc;tre un bon &eacute;crivain, m&ecirc;me quand il ne le comprend pas ou ne l&rsquo;aime pas d&rsquo;embl&eacute;e, et il n&rsquo;a pas peur de dialoguer avec lui&nbsp;; il n&rsquo;a pas d&rsquo;esprit de syst&egrave;me. Cela ne l&rsquo;emp&ecirc;che pas, comme les personnages influents de <em>La NRF</em> avant lui, d&rsquo;avoir ses pr&eacute;f&eacute;rences et ses allergies&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Allergies&nbsp;: elles ont un point commun, la &laquo;&nbsp;technocratie&nbsp;&raquo;. Vrigny rassemble derri&egrave;re ce mot, dans <em>Le Besoin d&rsquo;&eacute;crire</em> notamment&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>, tous les &laquo;&nbsp;cuistres&nbsp;&raquo; qui mobilisent des jargons, des th&eacute;ories, des sciences &ndash;&nbsp;sciences des signes (structuralisme, s&eacute;miologie&hellip;), sciences de l&rsquo;homme (sociologie, psychanalyse&hellip;)&nbsp;&ndash; pour parler de litt&eacute;rature&nbsp;; et parmi eux les &eacute;crivains qui utilisent ce genre de langage pour imposer aux autres &eacute;crivains leur mani&egrave;re de concevoir la litt&eacute;rature. Paulhan les aurait rang&eacute;s parmi les &laquo;&nbsp;terroristes&nbsp;&raquo;, mot que reprend Vrigny dans une note &eacute;crite en marge de la r&eacute;daction du <em>Besoin d&rsquo;&eacute;crire</em>, o&ugrave; la filiation avec <em>Les</em> <em>Fleurs de Tarbes</em> est nette&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Je vois bien tout ce qu&rsquo;il y aurait &agrave; montrer, le terrorisme du &laquo;&nbsp;nouveau roman&nbsp;&raquo;, le jargon des th&eacute;oriciens, la servilit&eacute; de la critique, la grande peur des &laquo;&nbsp;bien-pensants&nbsp;&raquo;, les professeurs et l&rsquo;Universit&eacute; craignant toujours d&rsquo;&ecirc;tre en retard d&rsquo;une r&eacute;volution, bref le r&egrave;gne des nouveaux &laquo;&nbsp;grands rh&eacute;toriqueurs&nbsp;&raquo; ou bricoleurs du roman, comme les appelle Jacques Brenner, qui remplacent la cr&eacute;ation par le commentaire&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Mais pour Vrigny, ces technocrates ne sont pas seulement des terroristes, ils ont aussi le d&eacute;faut suppl&eacute;mentaire de rendre la litt&eacute;rature &laquo;&nbsp;indigeste&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>&nbsp;&raquo;. Et comment inviter &agrave; son micro un &eacute;crivain dont le jargon peut nuire &agrave; l&rsquo;app&eacute;tit des auditeurs pour la litt&eacute;rature&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">Cette accusation de cuistrerie vise quelques groupes bien identifi&eacute;s dans le champ litt&eacute;raire de l&rsquo;&eacute;poque, trois en particulier&nbsp;: les &eacute;crivains du Nouveau Roman, de <em>Tel Quel</em>, de la revue <em>Change</em>&hellip; Cela dit, le producteur de <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> se montre parfaitement capable de faire des diff&eacute;rences entre les auteurs associ&eacute;s &ndash;&nbsp;plus ou moins l&eacute;gitimement&nbsp;&ndash; &agrave; ces labels&nbsp;: comme Paulhan, il sait qu&rsquo;&ecirc;tre un &laquo;&nbsp;terroriste&nbsp;&raquo; ou un &laquo;&nbsp;rh&eacute;toriqueur&nbsp;&raquo; n&rsquo;emp&ecirc;che d&rsquo;&ecirc;tre ni un bon ni un mauvais &eacute;crivain&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>. Ainsi, alors que Robbe-Grillet, Claude Simon et Claude Ollier ne sont jamais &laquo;&nbsp;invit&eacute;s de la semaine&nbsp;&raquo;&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>, Robert Pinget (que Vrigny appr&eacute;cie) l&rsquo;est une fois (2 d&eacute;cembre 1971), Michel Butor deux fois (1<sup>er</sup> juillet 1971, 5 juillet 1973), et Nathalie Sarraute&hellip; quatre fois (24 f&eacute;vrier 1972, 30 septembre 1976, 28 f&eacute;vrier 1980, 23 juin 1983)&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>. Du c&ocirc;t&eacute; de <em>Tel Quel</em>, pas trace de Sollers, de Jean Thibaudeau ou de Marcelin Pleynet, mais Denis Roche est invit&eacute; trois fois. Du c&ocirc;t&eacute; des trois fondateurs de <em>Change</em>, pas de Maurice Roche, mais deux fois Jacques Roubaud, tandis que Jean-Pierre Faye, &agrave; d&eacute;faut de venir en &laquo;&nbsp;invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo;, est accueilli pour pr&eacute;senter sa d&eacute;fense dans la rubrique &laquo;&nbsp;Actualit&eacute; po&eacute;tique&nbsp;&raquo; de Rouben Melik (16 octobre 1969). Quant &agrave; Roland Barthes, &laquo;&nbsp;qui fut le grand-pr&ecirc;tre de &ldquo;l&rsquo;&eacute;cole du regard&rdquo; et plus tard du Telquelisme&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>&nbsp;&raquo; et constitue aux yeux de Vrigny l&rsquo;incarnation le plus intimidante et fascinante &agrave; la fois du professeur th&eacute;oricien, le &laquo;&nbsp;go&ucirc;t pour les n&eacute;ologismes, les images-chocs, les tournures alambiqu&eacute;es&nbsp;&raquo; de ce &laquo;&nbsp;docteur en &eacute;criture&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>&nbsp;&raquo; n&rsquo;emp&ecirc;che pas qu&rsquo;il soit accueilli trois fois dans le magazine comme &laquo;&nbsp;invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo; (2 avril 1970, 13 janvier 1972, 6 mars 1975).</p> <p style="text-align: justify;">Derri&egrave;re la condamnation en bloc des nouveaux p&eacute;dants de la R&eacute;publique des Lettres, il s&rsquo;agit donc de distinguer selon les cas et les auteurs, la plupart irr&eacute;ductibles au label qui les regroupe et m&ecirc;me &agrave; leur propre jargon.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="13_Preferences">1.3. Pr&eacute;f&eacute;rences</span></h3> <p style="text-align: justify;">Cela dit, les pr&eacute;f&eacute;rences personnelles de Vrigny vont clairement aux &eacute;crivains inscrits dans la grande tradition fran&ccedil;aise du style classique (simple, sobre, clair, dense, disciplin&eacute;, faussement banal, &eacute;l&eacute;gant, fluide&hellip;), celle des fondateurs de <em>La NRF&nbsp;</em><a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>. Car si tout au long du si&egrave;cle la ligne &eacute;ditoriale de <em>La NRF</em> se veut &agrave; la fois classique et moderne et s&rsquo;ouvre aux &laquo;&nbsp;terroristes&nbsp;&raquo;, les &eacute;crivains de style classique y sont plus sp&eacute;cialement &agrave; l&rsquo;honneur, de Gide et Schlumberger &agrave; Marcel Jouhandeau et Marcel Arland, et plus g&eacute;n&eacute;ralement ceux qui ont un rapport globalement plus heureux que soup&ccedil;onneux au langage. Devenir auteur des &eacute;ditions Gallimard, ce &laquo;&nbsp;temple de <em>La NRF</em>&nbsp;&raquo; o&ugrave; le fait entrer Robert Mallet, qui y est directeur litt&eacute;raire, c&rsquo;est avant tout pour Vrigny entrer dans cette &laquo;&nbsp;famille&nbsp;&raquo; de langage, de c&oelig;ur et d&rsquo;esprit &agrave; laquelle il restera attach&eacute; toute sa vie, et dont le symbole &agrave; ses yeux est Marcel Arland. L&rsquo;admiration de Vrigny pour l&rsquo;homme et son &oelig;uvre est patente tout au long de la s&eacute;rie d&rsquo;entretiens qu&rsquo;ils ont ensemble en 1972. Ainsi n&eacute; et situ&eacute; dans le champ litt&eacute;raire des ann&eacute;es cinquante et suivantes, on comprend bien comment le producteur de <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> a le souci de faire valoir dans son magazine des &eacute;crivains qui incarnent &agrave; ses yeux la &laquo;&nbsp;famille&nbsp;&raquo; qui lui est ch&egrave;re &ndash; non sans la confondre quelque peu avec les auteurs Gallimard et familiers de la maison, comme <em>La NRF</em> de l&rsquo;apr&egrave;s-guerre&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Comment cela se manifeste-t-il&nbsp;? Naturellement, au fil des invitations hebdomadaires, dans le choix des &laquo;&nbsp;invit&eacute;s&nbsp;&raquo;, dont certains sont accueillis et pr&eacute;sent&eacute;s d&rsquo;une mani&egrave;re qui ne trompe pas, &agrave; commencer par Robert Mallet, &laquo;&nbsp;invit&eacute;&nbsp;&raquo; cinq fois entre 1967 et 1982 et Marcel Arland, &laquo;&nbsp;invit&eacute;&nbsp;&raquo; trois fois, au tout d&eacute;but et vers la fin du magazine (1967, 1979, 1981), les deux mentors de Vrigny chez Gallimard&nbsp;; tous deux pr&eacute;sents &agrave; divers titres dans une quinzaine d&rsquo;autres &eacute;missions de <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em>. Mais aussi par les hommages sp&eacute;ciaux consacr&eacute;s &agrave; des &eacute;crivains de la &laquo;&nbsp;famille&nbsp;&raquo;, les uns de leur vivant, les autres &agrave; l&rsquo;occasion de leur mort ou d&rsquo;un &eacute;v&eacute;nement comm&eacute;moratif. De m&ecirc;me que, dans <em>La NRF</em> de la grande &eacute;poque (jusqu&rsquo;en 1940), les directions de la revue s&rsquo;expriment, non dans sa partie de cr&eacute;ation, ouverte &agrave; tous les talents, mais dans la partie critique des notes de lecture, hautement strat&eacute;giques &agrave; ce titre, de m&ecirc;me, tout en ouvrant &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo; &agrave; des &eacute;crivains tr&egrave;s divers, Vrigny semble confier &agrave; ces hommages de grand format (ils occupent tout ou majeure partie du magazine) le r&ocirc;le de rep&egrave;re indicateur de ses terres d&rsquo;&eacute;lection en litt&eacute;rature &ndash;&nbsp;avec un faible avou&eacute; pour ceux qui se tiennent &agrave; l&rsquo;&eacute;cart de la vie litt&eacute;raire parisienne, ses cancans et ses mondanit&eacute;s, gage de plus grande fid&eacute;lit&eacute; au sacerdoce de la litt&eacute;rature, comme Cohen, Giono ou Guilloux&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Les noms ne manquent pas&nbsp;: Jean Paulhan (17 octobre 1968)&nbsp;; Albert Cohen (6 novembre 1969)&nbsp;; Fran&ccedil;ois Mauriac (3 septembre 1970)&nbsp;; Jean Giono (15 octobre 1970)&nbsp;; Saint-John Perse (25 septembre 1975)&nbsp;; Patrice de La Tour du Pin&nbsp;; Pierre Jean Jouve (15 janvier 1976)&nbsp;; Paul Morand (29 juillet 1976)&nbsp;; Andr&eacute; Gide (avec qui, symboliquement, Vrigny inaugure le 6 octobre 1977 la nouvelle formule du magazine)&nbsp;; Raymond Queneau (28 octobre 1976)&nbsp;<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>&nbsp;; Andr&eacute; Malraux (25 novembre 1976)&nbsp;; Valery Larbaud (7 juillet 1977, pour le 20<sup>e</sup> anniversaire de sa mort)&nbsp;; Marcel Arland bien s&ucirc;r (5 juillet 1979, pour ses 80 ans)&nbsp;; Max-Pol Fouchet (4 septembre 1980)&nbsp;; Maurice Genevoix (11 septembre 1980)&nbsp;; Louis Guilloux (16 octobre 1980, 3 juin 1982)&nbsp;; Roger Martin du Gard (19 novembre 1981)&nbsp;; L&eacute;opold S&eacute;dar Senghor (14 juin 1984)&hellip;</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="2_Defis_et_enjeux_de_lentretien_dans_La_Matinee_litteraire">2. D&eacute;fis et enjeux de l&rsquo;entretien dans <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em></span><br /> &nbsp;</h2> <h3 style="text-align: justify;"><span id="21_Elargir_laudience_des_ecrivains">2.1. &Eacute;largir l&rsquo;audience des &eacute;crivains</span></h3> <p style="text-align: justify;">&laquo;&nbsp;L&rsquo;attitude <em>N.R.F.</em>, impliquant la reconnaissance du caract&egrave;re sacr&eacute; de la litt&eacute;rature et de l&rsquo;&eacute;crivain, implique naturellement la notion d&rsquo;&eacute;litisme. Une &eacute;lite parle &agrave; l&rsquo;&eacute;lite&nbsp;<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: justify;">Cette &eacute;lite, ces publics restreints, on peut les retrouver, toutes proportions gard&eacute;es, &agrave; la radio&nbsp;: Vrigny en est le premier conscient, lui qui a dirig&eacute; pendant cinq ans sur la Cha&icirc;ne nationale, de 1958 &agrave; 1963, la seule revue litt&eacute;raire qui ait jamais exist&eacute; &agrave; la radio, <em>Belles-Lettres</em>. Son titre suffit &agrave; indiquer le caract&egrave;re globalement &eacute;litiste de son ambition&nbsp;; le nom de son principal fondateur, attach&eacute; &agrave; la maison Gallimard (Robert Mallet), ses sommaires, sugg&egrave;rent clairement son projet d&rsquo;&ecirc;tre une sorte de <em>NRF</em> sur les ondes&nbsp;<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>. Mais Vrigny sait aussi que le d&eacute;fi de la Cha&icirc;ne nationale apr&egrave;s la mort de Paul Gilson en 1963 est, en devenant France Culture, de s&rsquo;ouvrir &agrave; un plus grand public tout en continuant d&rsquo;exister comme cha&icirc;ne de la connaissance, de la parole et du livre &agrave; c&ocirc;t&eacute; de France Inter, con&ccedil;u en 1963 aussi pour rivaliser avec les stations p&eacute;riph&eacute;riques comme Europe n&deg;1 ou Radio-Luxembourg (RTL en 1966), beaucoup plus populaires. Il sait que passer de la revue au magazine signifie, dans ce contexte, aller &agrave; la rencontre d&rsquo;un public plus large que celui de <em>Belles-Lettres</em>, un public que l&rsquo;on rejoint aussi en lui proposant des jeux et des enqu&ecirc;tes, en m&ecirc;lant les derniers potins et les derni&egrave;res parutions, de la musique et des interviews, l&rsquo;amusement et le s&eacute;rieux. Et cela rejoint son d&eacute;sir profond de donner aux &eacute;crivains une <em>audience</em> (au sens de Gracq) plus large, comme il la d&eacute;sire pour lui-m&ecirc;me comme &eacute;crivain&nbsp;<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">C&rsquo;est la raison d&rsquo;&ecirc;tre du nombre des interviews d&rsquo;auteur dans <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em>, et, avec &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo;, de la promotion du genre dialogu&eacute; au rang de genre majeur du magazine. L&rsquo;interview, dans ce r&ocirc;le fondamental de cr&eacute;er des rencontres, si possibles durables, entre un &eacute;crivain et des lecteurs, appara&icirc;t bien en effet comme la pi&egrave;ce ma&icirc;tresse et la motivation profonde du magazine, ainsi qu&rsquo;il ressort de la pr&eacute;sentation qu&rsquo;en fait Vrigny peu apr&egrave;s son d&eacute;marrage, dans un reportage t&eacute;l&eacute;vis&eacute; consacr&eacute; aux Matin&eacute;es de France Culture&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Ce que nous avons voulu faire avant tout sur cette Matin&eacute;e, c&rsquo;est &eacute;tablir un contact entre / ceux que j&rsquo;appelle les producteurs c&rsquo;est-&agrave;-dire les romanciers, les po&egrave;tes, les essayistes, et les consommateurs, c&rsquo;est-&agrave;-dire le public. Trop souvent il me semble qu&rsquo;il y a un foss&eacute; entre ces deux mondes, et que l&rsquo;on consid&egrave;re les &eacute;crivains comme des gens un peu / particuliers, entour&eacute;s / r&eacute;serv&eacute;s dans leur chapelle et leur tour d&rsquo;ivoire. En r&eacute;alit&eacute; il faut &eacute;tablir ce contact et montrer que les &eacute;crivains ont besoin aussi d&rsquo;ouverture sur le monde. Alors diff&eacute;rents jeux pour cela, diff&eacute;rentes s&eacute;quences, mais la principale s&eacute;quence de la Matin&eacute;e c&rsquo;est celle que nous appelons &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est-&agrave;-dire que, &agrave; cette occasion nous invitons un &eacute;crivain qui se trouve dans l&rsquo;actualit&eacute;, soit pour la publication d&rsquo;un livre, soit pour un prix, une r&eacute;compense qu&rsquo;il a obtenue, et / nous l&rsquo;interrogeons mais pas seulement sur son livre, pas uniquement, mais sur son m&eacute;tier d&rsquo;&eacute;crivain, sur ses probl&egrave;mes, sur ses difficult&eacute;s, sur ses influences&nbsp;<a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Et Vrigny de faire l&rsquo;&eacute;loge de son premier invit&eacute;, &laquo;&nbsp;qui correspondait tout &agrave; fait &agrave; l&rsquo;id&eacute;e que je me faisais de cette s&eacute;quence&nbsp;&raquo;, Jean-Pierre Chabrol. Lequel s&rsquo;exprime aussi dans le m&ecirc;me reportage&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Les gens, &ccedil;a les aide de savoir comment un &eacute;crivain s&rsquo;y prend, de savoir / que c&rsquo;est &laquo;&nbsp;un type comme tout le monde&nbsp;&raquo; qui / simplement a / un petit don au d&eacute;part et il a su le faire fructifier. Et / j&rsquo;ai re&ccedil;u des lettres / de gens qui se sont d&eacute;cid&eacute;s &agrave; entrer dans un de mes livres, en se disant apr&egrave;s tout le gars qui parle comme &ccedil;a, on doit pouvoir le comprendre, &ccedil;a a beau &ecirc;tre de la litt&eacute;rature / &laquo;&nbsp;majestueuse&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est / il raconte des histoires certainement. [&hellip;] Finalement la radio m&rsquo;a un peu fait entrer chez eux de force, et ils ne m&rsquo;ont pas jet&eacute; dehors&nbsp;<a href="#_ftn29" name="_ftnref29">[29]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">La culture de l&rsquo;&eacute;mission, c&rsquo;est donc une culture de la relation, de la rencontre avec l&rsquo;auteur et pas seulement une religion du livre. Il s&rsquo;agit de sortir les &eacute;crivains de leur isolement, de leur trouver parmi les lecteurs des amis ou admirateurs qui le suivront ensuite de livre en livre. L&rsquo;id&eacute;e de Vrigny, v&eacute;rifi&eacute;e par les propos de Chabrol, est que le contact avec l&rsquo;auteur est un bon moyen d&rsquo;apprivoiser le public, un premier chemin d&rsquo;acc&egrave;s au livre, plus concret, plus humain que de parler du livre sans lui. C&rsquo;est un point qui m&eacute;rite d&rsquo;&ecirc;tre soulign&eacute;, sachant qu&rsquo;au contraire d&rsquo;autres &eacute;missions de l&rsquo;&eacute;poque pr&eacute;f&egrave;rent ne donner la parole qu&rsquo;&agrave; des lecteurs de livres&nbsp;: journalistes et critiques dans <em>Le Masque et la Plume</em>, libraires dans <em>Les Libraires savent lire</em>&hellip;</p> <p style="text-align: justify;">Tout en r&eacute;v&eacute;rant donc Jean Paulhan ou Marcel Arland (farouche opposant au syst&egrave;me des prix et jurys litt&eacute;raires&nbsp;<a href="#_ftn30" name="_ftnref30">[30]</a>) et en partageant leur conviction que le nombre de lecteurs ou d&rsquo;auditeurs n&rsquo;est pas le plus important dans la vie d&rsquo;une revue ou d&rsquo;une &eacute;mission, il consid&egrave;re aussi comme pr&eacute;f&eacute;rable d&rsquo;en avoir plus que moins. &laquo;&nbsp;On a besoin de 400 fanatiques, c&rsquo;est &ccedil;a qui vous fait vivre, pas 40&nbsp;000 lecteurs&nbsp;&raquo;, disait Paulhan, cit&eacute; par Aury dans l&rsquo;&eacute;mission de 1977 consacr&eacute;e &agrave; <em>La NRF</em>. &laquo;&nbsp;Ce langage, je l&rsquo;approuve compl&egrave;tement de Jean Paulhan. Je me demande &eacute;videmment, quand l&rsquo;&eacute;diteur Gallimard entendait &ccedil;a, s&rsquo;il &eacute;tait tr&egrave;s heureux&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondait Vrigny. En effet, ajoutait-il, les milliers de lecteurs &laquo;&nbsp;&ccedil;a existe&nbsp;&raquo;&nbsp;; alors &laquo;&nbsp;comment faire co&iuml;ncider ces deux directions&nbsp;<a href="#_ftn31" name="_ftnref31">[31]</a>&nbsp;?&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo; est d&rsquo;embl&eacute;e vu par son producteur comme une r&eacute;ponse au d&eacute;fi de &laquo;&nbsp;faire co&iuml;ncider les deux directions&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire de distinguer les talents tout en int&eacute;ressant un large public.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="22De_lactualite_des_ecrivains_invites">2.2.&nbsp;De l&rsquo;actualit&eacute; des &eacute;crivains invit&eacute;s</span></h3> <p style="text-align: justify;">Pour capter ce public, Vrigny n&rsquo;invite aux &laquo;&nbsp;grands entretiens&nbsp;&raquo; du magazine que des auteurs en prose, r&eacute;put&eacute;s plus accessibles, d&rsquo;une part&nbsp;<a href="#_ftn32" name="_ftnref32">[32]</a>&nbsp;; d&rsquo;autre part que des auteurs qui attirent ou ont attir&eacute; l&rsquo;attention des m&eacute;dias. Il ne manque pas, au d&eacute;but de chaque entretien, de rappeler cette notori&eacute;t&eacute; de circonstance, m&ecirc;me avec un Aragon, suffisamment c&eacute;l&egrave;bre d&eacute;j&agrave; pourtant&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Il y a d&eacute;j&agrave; plusieurs semaines [&hellip;] que l&rsquo;on parle de vous un peu partout dans les journaux, &agrave; la radio, &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision, on voit votre visage dans toutes les vitrines des librairies, vous envahissez un peu les librairies Aragon en ce moment avec <em>Blanche ou l&rsquo;Oubli</em>, votre roman&nbsp;<a href="#_ftn33" name="_ftnref33">[33]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Vrigny, lui-m&ecirc;me aur&eacute;ol&eacute; d&rsquo;un des cinq grands prix de l&rsquo;&eacute;poque, ne m&eacute;prise pas du tout le syst&egrave;me des prix litt&eacute;raires&nbsp;: il consid&egrave;re qu&rsquo;il remplit son r&ocirc;le s&rsquo;il permet d&rsquo;attirer vers certains &eacute;crivains des lecteurs qui seraient pass&eacute;s &agrave; c&ocirc;t&eacute; sans ce coup de projecteur m&eacute;diatique&nbsp;: &laquo;&nbsp;[&hellip;] ce qu&rsquo;il faudrait c&rsquo;est que l&rsquo;occasion d&rsquo;un prix litt&eacute;raire soit l&rsquo;occasion de d&eacute;couvrir un auteur et de d&eacute;couvrir une vie&nbsp;! C&rsquo;est-&agrave;-dire une vie profonde, r&eacute;elle, et alors l&agrave; on ne la quitte plus&nbsp;<a href="#_ftn34" name="_ftnref34">[34]</a>&nbsp;!&nbsp;&raquo; C&rsquo;est pourquoi aussi il ne veut pas prendre de risques dans le choix des &laquo;&nbsp;invit&eacute;s de la semaine&nbsp;&raquo;&nbsp;: il en &eacute;carte les po&egrave;tes, les auteurs d&eacute;butants, oubli&eacute;s ou peu connus et, plus g&eacute;n&eacute;ralement, les petits tirages&nbsp;<a href="#_ftn35" name="_ftnref35">[35]</a>. Ils ont droit &agrave; des interviews dans le magazine, mais ailleurs et plus bri&egrave;vement (dix-douze minutes et moins) confi&eacute;es &agrave; des collaborateurs&nbsp;: les uns au d&eacute;but de l&rsquo;&eacute;mission, dans le &laquo;&nbsp;Carrefour des jeunes&nbsp;&raquo; (premiers auteurs en prose ou po&eacute;sie) anim&eacute; par Christian Giudicelli, les autres &agrave; la fin de l&rsquo;&eacute;mission, dans la rubrique de Rouben Melik et Alain Bosquet consacr&eacute;e aux auteurs qui font &laquo;&nbsp;l&rsquo;actualit&eacute; po&eacute;tique&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;">En somme, la composition du magazine induit clairement une hi&eacute;rarchie entre les interviews, au profit de la plus populaire (on l&rsquo;imagine). &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo;, au centre, n&rsquo;est pas seulement un exercice de m&eacute;diatisation&nbsp;: c&rsquo;est aussi un exercice d&rsquo;exploitation d&rsquo;une renomm&eacute;e, Vrigny tablant sur la notori&eacute;t&eacute; pr&eacute;alable d&rsquo;&eacute;crivains d&eacute;j&agrave; distingu&eacute;s.</p> <p style="text-align: justify;">La r&eacute;forme de l&rsquo;&eacute;mission en 1977 modifie ce bel &eacute;quilibre, en r&eacute;organisant le magazine en deux grandes parties&nbsp;: d&rsquo;abord un &laquo;&nbsp;magazine de l&rsquo;actualit&eacute;&nbsp;&raquo;, destin&eacute; &agrave; &laquo;&nbsp;r&eacute;pondre aux exigences de l&rsquo;information litt&eacute;raire&nbsp;&raquo;, comportant au d&eacute;but les rubriques &laquo;&nbsp;Nouvelles br&egrave;ves&nbsp;&raquo; (Giudicelli), &laquo;&nbsp;Billet du jour&nbsp;&raquo; (chroniqueurs tournants), &laquo;&nbsp;&Agrave; la vitrine du libraire&nbsp;&raquo; (chroniqueurs tournants) et &laquo;&nbsp;Le Livre de la semaine&nbsp;&raquo; (Vrigny <em>et alii</em>)&nbsp;; ensuite un &laquo;&nbsp;dossier de la semaine&nbsp;&raquo;, consacr&eacute; &laquo;&nbsp;soit &agrave; un &eacute;crivain &agrave; l&rsquo;occasion d&rsquo;un anniversaire, d&rsquo;une r&eacute;&eacute;dition, d&rsquo;une &eacute;tude r&eacute;cemment parue, soit &agrave; un th&egrave;me litt&eacute;raire, illustr&eacute; par un ou plusieurs romans ou extraits ou critiques d&rsquo;&eacute;crivains contemporains, soit &agrave; une enqu&ecirc;te men&eacute;e sur la vie litt&eacute;raire, par exemple l&rsquo;&eacute;dition, par exemple la critique, par exemple la lecture, par exemple pourquoi pas l&rsquo;activit&eacute; litt&eacute;raire d&rsquo;une r&eacute;gion&nbsp;<a href="#_ftn36" name="_ftnref36">[36]</a>&nbsp;&raquo;. Il s&rsquo;agit alors de r&eacute;agir &agrave; l&rsquo;esprit du temps &laquo;&nbsp;qui consiste &agrave; vouloir parler de tout et &agrave; pr&ocirc;ner la sacro-sainte actualit&eacute;, or pour nous ce qui est actuel pr&eacute;cis&eacute;ment, ce n&rsquo;est pas ce qui passe mais ce qui reste&nbsp;&raquo;. Vrigny met aussi en avant les pr&eacute;f&eacute;rences des auditeurs&nbsp;: &laquo; [&hellip;] combien de fois au cours de ces onze ann&eacute;es, &agrave; l&rsquo;occasion d&rsquo;hommages ou d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements, nous nous sommes aper&ccedil;us qu&rsquo;on pr&eacute;f&eacute;rait finalement parler longuement de ceux que nous aimions et de ceux que vous aimiez&nbsp;&raquo; (il cite ici Colette, Giono, Faulkner&hellip;). Et puis, &laquo;&nbsp;nous vivons &agrave; une &eacute;poque o&ugrave; les vrais &eacute;crivains s&rsquo;accommodent assez mal du climat de show-business qui asphyxie la vie litt&eacute;raire. Alors c&rsquo;est &agrave; nous aussi de les faire respirer&nbsp;<a href="#_ftn37" name="_ftnref37">[37]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;">Dans cette nouvelle formule, &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo; n&rsquo;est plus la cl&eacute; de vo&ucirc;te de l&rsquo;&eacute;mission, mais elle le reste du &laquo;&nbsp;magazine de l&rsquo;actualit&eacute;&nbsp;&raquo; (apr&egrave;s un temps de t&acirc;tonnement de quelques semaines durant lequel elle est remplac&eacute;e par &laquo;&nbsp;Le Livre de la semaine&nbsp;&raquo;&nbsp;<a href="#_ftn38" name="_ftnref38">[38]</a>). Par ailleurs, la formule de l&rsquo;entretien est pr&eacute;sente dans certains dossiers de la semaine consacr&eacute;s &agrave; des auteurs vivants, sous un format deux fois plus long d&rsquo;ailleurs (autour de 30 mn), tandis que des &laquo;&nbsp;Rencontres&nbsp;&raquo; avec de jeunes &eacute;crivains (Herv&eacute; Guibert&hellip;), ou des &eacute;crivains &eacute;trangers (William Cliff&hellip;) perp&eacute;tuent al&eacute;atoirement la tradition des interviews de d&eacute;couverte.</p> <p style="text-align: justify;">Bref, de 1977 &agrave; 1984, la belle architecture d&rsquo;interviews de la premi&egrave;re d&eacute;cennie du magazine c&egrave;de la place &agrave; quelque chose de plus libre derri&egrave;re l&rsquo;apparence d&rsquo;ordre de la structure en deux volets, et parfois de plus d&eacute;tach&eacute; par rapport &agrave; la &laquo;&nbsp;sacro-sainte actualit&eacute;&nbsp;&raquo;. Mais ce qui demeure, c&rsquo;est bien la volont&eacute; de Vrigny de faire venir au micro de son &eacute;mission des &eacute;crivains de valeur, pour les mettre en contact avec les auditeurs.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="3_Dialogues_avec_les_ecrivains_fond_et_forme">3. Dialogues avec les &eacute;crivains&nbsp;: fond et forme</span><br /> &nbsp;</h2> <h3 style="text-align: justify;"><span id="31Conversation_civile_et_bonnes_manieres"><em>&nbsp;3.1.&nbsp;</em><em>Conversation civile et bonnes mani&egrave;res</em></span></h3> <p style="text-align: justify;">Heureuse rencontre, pour la premi&egrave;re &eacute;mission du magazine, que celle de l&rsquo;&eacute;crivain-journaliste parisien Vrigny et de l&rsquo;&eacute;crivain-conteur c&eacute;venol Chabrol, accord&eacute;s sur l&rsquo;essentiel, si on en croit la conclusion de l&rsquo;invit&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Finalement vous voyez, mes go&ucirc;ts, ma fa&ccedil;on d&rsquo;aborder la litt&eacute;rature ressemblent beaucoup &agrave; votre &eacute;mission. Parce que c&rsquo;est l&rsquo;homme que j&rsquo;aime&nbsp;<a href="#_ftn39" name="_ftnref39">[39]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: justify;">Mais ce qui frappe aussi &agrave; l&rsquo;&eacute;coute de cet entretien programmatique, c&rsquo;est le contraste des mani&egrave;res de parler des deux hommes&nbsp;: quelle saveur, rondeur, gourmandise du mot, quel sens aussi de l&rsquo;action orale (souffle, timbre de voix, d&eacute;bit&hellip;) chez Chabrol&nbsp;! Par comparaison, si Vrigny, d&rsquo;une voix calme, un peu bourrue mais aimable, bien d&rsquo;aplomb, m&egrave;ne l&rsquo;entretien avec assurance, son langage para&icirc;t p&acirc;le, fade. Il s&rsquo;exprime plut&ocirc;t bien, sans recherche ni jargon, avec les mots qui lui viennent. Le d&eacute;bit est fluide, les mots simples. Les r&eacute;serves ou objections sont formul&eacute;es de mani&egrave;re toujours courtoise, civile&hellip; En bref, Vrigny &ndash; et en fait toute son &eacute;quipe avec lui&nbsp;&ndash; parle le langage de l&rsquo;honn&ecirc;te homme de son temps, qui est le langage de la conversation cultiv&eacute;e et polie alors en usage dans la plupart des &eacute;missions litt&eacute;raires de France Culture (avec des exceptions). Comme si litt&eacute;rature et bonnes mani&egrave;res devaient aller ensemble. Comme si un magazine litt&eacute;raire de France Culture comme le sien, o&ugrave; des &eacute;crivains invitent d&rsquo;autres &eacute;crivains &agrave; parler d&rsquo;eux-m&ecirc;mes et de leurs livres, devait actualiser, en le modernisant c&rsquo;est-&agrave;-dire en le d&eacute;mocratisant, le mod&egrave;le classique du <em>salon</em>. Et de fait, avant de revenir en 1977 &agrave; l&rsquo;id&eacute;e que <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> est une sorte de revue, Vrigny a d&rsquo;abord pr&eacute;sent&eacute; l&rsquo;&eacute;mission comme une sorte de salon litt&eacute;raire&nbsp;: &laquo;&nbsp;[&hellip;] je ne veux pas faire un &ldquo;magazine d&rsquo;information&rdquo;, plut&ocirc;t une esp&egrave;ce de salon imaginaire fa&ccedil;on xx<sup>e </sup>si&egrave;cle&nbsp;<a href="#_ftn40" name="_ftnref40">[40]</a>&hellip;&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: justify;">Pourquoi un tel mod&egrave;le et un tel langage&nbsp;? Sans doute aussi parce que, tout en se situant un cran au-dessus du langage courant, il est accessible &agrave; tous. Cette simplicit&eacute; &eacute;l&eacute;gante du style de la conversation cultiv&eacute;e, ni trop familier ni vulgaire, qui connote &agrave; la fois un bon usage social et l&rsquo;institution litt&eacute;raire, est conforme &agrave; l&rsquo;image que le grand public scolaris&eacute; peut se faire de la litt&eacute;rature et des livres comme espace du bon usage de la langue fran&ccedil;aise. C&rsquo;est en somme le mod&egrave;le d&rsquo;Anatole France que Vrigny oppose aux jargons des &laquo;&nbsp;laborantins du porte-plume, g&eacute;n&eacute;ticiens textuels et autres narratologues&nbsp;&raquo;, aux &laquo;&nbsp;bataillons de linguistes, de sociologues et de psychanalystes&nbsp;<a href="#_ftn41" name="_ftnref41">[41]</a>&nbsp;&raquo; op&eacute;rant sur le terrain de la litt&eacute;rature. Anatole France dont il salue le retour en gr&acirc;ce, le &laquo;&nbsp;cadavre bien vivant&nbsp;&raquo;, dans une des derni&egrave;res <em>Matin&eacute;es litt&eacute;raires&nbsp;</em><a href="#_ftn42" name="_ftnref42">[42]</a>. Anatole France qu&rsquo;Aragon lui avait d&eacute;j&agrave; oppos&eacute; en 1967 en justifiant son choix d&rsquo;&eacute;crire &laquo;&nbsp;dans le <em>devenir</em> de la langue&nbsp;&raquo;&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">J&rsquo;ai peut-&ecirc;tre &eacute;t&eacute; injuste dans ma jeunesse &ndash; je l&rsquo;ai certainement &eacute;t&eacute; pour beaucoup de gens et en particulier &agrave; l&rsquo;&eacute;gard d&rsquo;Anatole France. Mais il est vrai que je n&rsquo;aimais pas et que je n&rsquo;aime pas / le langage&hellip; <em>artificiel</em>, <em>construit</em>, qui est le langage d&rsquo;Anatole France, et qui est une langue morte&nbsp;!</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">En r&eacute;alit&eacute;, si Vrigny accepte toutes les aventures litt&eacute;raires (il admire par exemple Giono, Guilloux, Queneau), pour lui-m&ecirc;me et dans son magazine, il n&rsquo;admet qu&rsquo;un style&nbsp;: celui d&rsquo;Anatole France&nbsp;<a href="#_ftn43" name="_ftnref43">[43]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Vrigny, connu dans d&rsquo;autres &eacute;missions pour sa personnalit&eacute; volontiers abrupte et cassante, son go&ucirc;t de la pol&eacute;mique et du franc-parler (qualit&eacute;s qui le font int&eacute;grer de temps en temps l&rsquo;&eacute;quipe du <em>Masque et la Plume</em>), opte aussi dans <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> pour la civilit&eacute;, les bonnes mani&egrave;res et le bon usage, et les demande &agrave; ses collaborateurs, dont certains sont connus par ailleurs pour leur esprit combatif aussi ou leur cynisme (Roger Gouze, Alain Bosquet). Cela donne des entretiens agr&eacute;ables, entre gens de bonne compagnie, un peu monotones &agrave; la longue, o&ugrave; l&rsquo;on ne s&rsquo;interrompt pas souvent, o&ugrave; l&rsquo;on rit aimablement de temps en temps, o&ugrave; les d&eacute;saccords et passes d&rsquo;armes restent courtois. Vrigny ne maltraite ouvertement personne&nbsp;; il existe suffisamment de biais <em>courtois</em> pour laisser entendre que l&rsquo;on n&rsquo;est pas d&rsquo;accord avec ses invit&eacute;s&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il y a tout de m&ecirc;me une certaine fa&ccedil;on de les interroger / qui montre bien que / on ne partage pas toujours ni leurs id&eacute;es ni leur / conception du talent&nbsp;<a href="#_ftn44" name="_ftnref44">[44]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: justify;">Le reproche, &eacute;videmment, que l&rsquo;on peut faire &agrave; cette pratique <em>civile</em> de l&rsquo;entretien, c&rsquo;est de manquer de vie, de saveur, de relief, d&rsquo;action dramatique aussi&hellip; Il n&rsquo;y a pas assez d&rsquo;action, pas assez de p&eacute;rip&eacute;ties, pas assez de spectacle, peut-on reprocher, dans les conversations de salon de <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire&nbsp;</em>; et encore moins apr&egrave;s la r&eacute;forme de 1977. Tout cela, Vrigny le sait et y renonce d&eacute;lib&eacute;r&eacute;ment, non parce qu&rsquo;il en serait incapable (on a dit son go&ucirc;t de la pol&eacute;mique), mais parce que pour lui, ces &laquo;&nbsp;grands entretiens&nbsp;&raquo; du magazine doivent &ecirc;tre au service des livres et des auteurs et non leur faire &eacute;cran en devenant trop int&eacute;ressants par eux-m&ecirc;mes. La vraie rencontre avec l&rsquo;&eacute;crivain se joue dans ses livres. La parole sera toujours inf&eacute;rieure &agrave; l&rsquo;&eacute;criture. Clairement, Vrigny est un homme du livre.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="32_Un_gout_pour_les_auteurs_gauches">3.2. Un go&ucirc;t pour les auteurs gauches</span></h3> <p style="text-align: justify;">C&rsquo;est pourquoi aussi, tout en adoptant les formes du savoir-vivre classique, Vrigny ne valorise pas &agrave; &eacute;galit&eacute; les grandes vertus de la conversation &agrave; la fran&ccedil;aise que sont le naturel, l&rsquo;esprit et la clart&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn45" name="_ftnref45">[45]</a>. De cet art noble de la parole, il garde la simplicit&eacute;, la clart&eacute;, la politesse affable aussi, mais gu&egrave;re l&rsquo;esprit, la vivacit&eacute;, le jaillissement, l&rsquo;enjouement, les circuits de parole impr&eacute;vus, c&rsquo;est-&agrave;-dire la vraie musique. Il n&rsquo;y a pas non plus chez lui l&rsquo;id&eacute;e, comme chez Amrouche, de l&rsquo;entretien comme<em> work in progress</em>, comme lieu o&ugrave; provoquer l&rsquo;&eacute;crivain &agrave; une cr&eacute;ation orale&nbsp;<a href="#_ftn46" name="_ftnref46">[46]</a>. L&rsquo;important, dans la perspective de Vrigny, est de pouvoir dialoguer avec un &eacute;crivain de son dernier livre sans lui voler la vedette, donc en en parlant simplement, sans chercher &agrave; faire de l&rsquo;esprit ou &agrave; briller.</p> <p style="text-align: justify;">Vrigny se m&eacute;fie donc des &eacute;crivains beaux parleurs, &agrave; l&rsquo;aise ou trop &agrave; l&rsquo;aise, voire brillants. L&rsquo;aisance est signe pour lui de ratage plus que de r&eacute;ussite&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Moi je suis toujours &eacute;pat&eacute; quand je rencontre des &eacute;crivains / qui peuvent parler d&rsquo;une / d&rsquo;une fa&ccedil;on tout &agrave; fait / pertinente, de leur &oelig;uvre. On dirait qu&rsquo;il y a / presque / un mode d&rsquo;emploi une / une sorte de / une sorte de petit compliment tout pr&eacute;par&eacute;. [&hellip;] alors ceux-l&agrave; je m&rsquo;en m&eacute;fie un peu. Je m&rsquo;en m&eacute;fie un peu parce qu&rsquo;ils ont un double langage en quelque sorte. En revanche je suis tr&egrave;s attir&eacute; par les &eacute;crivains qui sont un peu resserr&eacute;s / sur eux-m&ecirc;mes et qui ont beaucoup de mal &agrave; extraire d&rsquo;eux autre chose que ceux qu&rsquo;ils ont &eacute;crit. Parce que tout le monde sait que ce qui compte, c&rsquo;est ce qu&rsquo;on a &eacute;crit, pas ce qu&rsquo;on <em>dit</em> de ce qu&rsquo;on a &eacute;crit&nbsp;<a href="#_ftn47" name="_ftnref47">[47]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Sans mettre explicitement en avant, comme Alain Veinstein avec qui il dialogue ici, l&rsquo;importance du silence dans le cheminement d&rsquo;une &laquo;&nbsp;parole qui se cherche&nbsp;&raquo;, partant &laquo;&nbsp;&agrave; travers le jeu des questions et r&eacute;ponses, &agrave; la recherche de sa propre voix, ou plut&ocirc;t de sa voix int&eacute;rieure&nbsp;<a href="#_ftn48" name="_ftnref48">[48]</a>&nbsp;&raquo;, le producteur de <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> se montre sensible &agrave; ce que les lenteurs, h&eacute;sitations, t&acirc;tonnements et pannes peuvent dire d&rsquo;une certaine honn&ecirc;tet&eacute; de l&rsquo;&eacute;crivain manifestant que les mots justes lui manquent, et de son humilit&eacute; devant ce qui, dans son &oelig;uvre, lui reste en partie obscur&nbsp;<a href="#_ftn49" name="_ftnref49">[49]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Le d&eacute;faut des auteurs qui parlent trop bien est en fait d&rsquo;analyser trop bien, c&rsquo;est-&agrave;-dire de se transformer en manieurs d&rsquo;id&eacute;es, qui croient parler d&rsquo;une &oelig;uvre avec justesse en en parlant avec intelligence. Un exemple type pour Vrigny pourrait &ecirc;tre Michel Butor (qu&rsquo;il appr&eacute;cie cependant), incarnation de l&rsquo;intelligence brillante, du parfait p&eacute;dagogue et professeur, qui, invit&eacute; en 1971 pour parler du deuxi&egrave;me volume du <em>G&eacute;nie du lieu</em>, explique tout et a r&eacute;ponse &agrave; tout, de sa pr&eacute;cise petite voix claire, affable et sentencieuse, sans jamais h&eacute;siter&nbsp;<a href="#_ftn50" name="_ftnref50">[50]</a>. Or une &oelig;uvre n&rsquo;est pas seulement un ensemble d&rsquo;id&eacute;es, de significations&nbsp;: &laquo;&nbsp;Un &eacute;crivain ne manque pas d&rsquo;intelligence, on s&rsquo;en doute. Elle est d&rsquo;un autre ordre. [&hellip;] Sur le chemin de la connaissance, l&rsquo;imagination nous conduit plus s&ucirc;rement (et plus loin) que la connaissance&nbsp;<a href="#_ftn51" name="_ftnref51">[51]</a>.&nbsp;&raquo; &Agrave; l&rsquo;&eacute;crivain dont le commentaire va dominer l&rsquo;&oelig;uvre et l&rsquo;appauvrir, Vrigny pr&eacute;f&egrave;re donc un auteur gauche, qui ne parle pas tr&egrave;s bien, un &laquo;&nbsp;cancre&nbsp;&raquo; (Cocteau), un instinctif&nbsp;: celui qui, restant ainsi dans l&rsquo;ombre de son &oelig;uvre, a du mal &agrave; rendre compte de ce qu&rsquo;il a fait. Comme Robert Pinget, interrog&eacute; sur <em>Fable</em> en 1971&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Roger Vrigny ‒ C&rsquo;est un livre &eacute;miett&eacute;&hellip;</p> <p style="text-align: justify;">Robert Pinget &ndash; Oui&hellip;</p> <p style="text-align: justify;">‒ [&hellip;] un livre aussi, d&rsquo;une certaine mani&egrave;re, &eacute;clat&eacute;. C&rsquo;est-&agrave;-dire que l&rsquo;on sent, derri&egrave;re cela, un propos tr&egrave;s ferme, qui est tout simplement l&rsquo;aventure de deux &ecirc;tres qui se sont rencontr&eacute;s, qui se sont aim&eacute;s et qui se sont s&eacute;par&eacute;s [&hellip;]</p> <p style="text-align: justify;">‒ Parfaitement. Vous avez tout &agrave; fait bien analys&eacute;. Rien &agrave; ajouter de mieux &agrave; ce que vous dites l&agrave;.</p> <p style="text-align: justify;">‒ Oui mais alors, bon&hellip; justement j&rsquo;aimerais / bien que nous n&rsquo;en restions pas &agrave; l&rsquo;analyse. Parce que / je voudrais / momentan&eacute;ment quitter le probl&egrave;me particulier de <em>Fable</em> pour l&rsquo;&eacute;tendre &agrave; un point de vue plus g&eacute;n&eacute;ral de la litt&eacute;rature. [&hellip;] Quel est le probl&egrave;me qui s&rsquo;est pos&eacute; &agrave; vous et comment avez-vous voulu le traiter&nbsp;? Car, encore une fois, vous avez tout de m&ecirc;me employ&eacute; un certain nombre / d&rsquo;artifices &ndash;&nbsp;et quand je dis artifices je l&rsquo;emploie dans le bon sens vous comprenez. Un certain nombre de <em>moyens.</em> Alors quels sont ces moyens que vous pouvez nous donner maintenant&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">‒ <em>(voix un peu concentr&eacute;e)</em> Voyez-vous j&rsquo;n&rsquo;ai pas assez r&eacute;fl&eacute;chi / &agrave; ce probl&egrave;me avant que vous n&rsquo;m&rsquo;interrogiez&hellip; Il me serait tr&egrave;s difficile de vous dire &agrave; quels moyens j&rsquo;ai recouru. Je sais que j&rsquo;ai recouru &agrave; la rupture&hellip; mais pour donner forme / &agrave; / cette histoire / je n&rsquo;puis pas de but en blanc comme &ccedil;a vous dire &agrave; quel syst&egrave;me j&rsquo;ai recouru. Je sais / que / c&rsquo;est une &oelig;uvre sp&eacute;cialement &eacute;crite, litt&eacute;raire &ndash; <em>Oui</em> &ndash; que jusqu&rsquo;&agrave; maintenant / mes romans / ont surtout &eacute;t&eacute; des exercices de ton, de tonalit&eacute;, il y a le <em>je</em> partout dans mes romans mais il est &agrave; chaque fois diff&eacute;rent, moi ce qui m&rsquo;importe c&rsquo;est de trouver &agrave; chaque fois le ton d&rsquo;une voix qui parle. Or ici je voudrais que la voix soit le moins audible possible, le moins reconnaissable possible <em>(la voix se d&eacute;tend)</em> et j&rsquo;n&rsquo;ai en d&eacute;finitive eu recours qu&rsquo;&agrave; des artifices proprement litt&eacute;raires, et non plus du tout ni sonores ni auditifs &ndash; <em>Oui, oui </em>&ndash; N&eacute;anmoins il y a, &agrave; la fin de ce livre, une esp&egrave;ce de retour &agrave;&hellip; &ndash;&nbsp;<em>&agrave; la voix&hellip;</em>&nbsp;&ndash; &agrave; la voix qui parle, ce que vous avez remarqu&eacute; tout &agrave; l&rsquo;heure et / qui serait peut-&ecirc;tre int&eacute;ressant et plus facile pour le lecteur d&rsquo;entendre&nbsp;<a href="#_ftn52" name="_ftnref52">[52]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Pinget approuve telle analyse, avoue sa difficult&eacute; &agrave; r&eacute;pondre &agrave; telle question pointue, murmure, d&eacute;glutit souvent&nbsp;; sa respiration change audiblement quand il se concentre. Il h&eacute;site, se reprend, se montre gauche &agrave; souhait, mais parce qu&rsquo;il ne triche pas avec lui-m&ecirc;me&nbsp;; on l&rsquo;entend penser, en m&ecirc;me temps qu&rsquo;on sent les limites de l&rsquo;exercice critique auquel il accepte de se pr&ecirc;ter. Cette fragilit&eacute; audible de la parole qui se risque &agrave; l&rsquo;analyse, voil&agrave; ce qu&rsquo;aime Vrigny.</p> <h3 style="text-align: justify;">3.3. Critique ou reporter&nbsp;?</h3> <p style="text-align: justify;">Les convictions (proustiennes) de Vrigny sur l&rsquo;inf&eacute;riorit&eacute; de l&rsquo;intelligence critique par rapport &agrave; l&rsquo;imagination cr&eacute;atrice nous aident &agrave; comprendre le mod&egrave;le d&rsquo;interview mis en &oelig;uvre dans &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo; &agrave; ses d&eacute;buts, qui est l&rsquo;interview de reportage et non le dialogue critique.</p> <p style="text-align: justify;">De fait, m&ecirc;me si par profession Vrigny parle avec une relative aisance, pourquoi se permettrait-il un langage qui lui d&eacute;pla&icirc;t toujours un peu dans la bouche des &eacute;crivains&nbsp;? Comment parler avec intelligence d&rsquo;un livre, si l&rsquo;intelligence est une mani&egrave;re de l&rsquo;&eacute;clairer certes, peu ou prou, mais aussi de le r&eacute;tr&eacute;cir, et parfois de l&rsquo;obscurcir, ou de le manquer&nbsp;? Pour se garder d&rsquo;en faire trop dans le r&ocirc;le du critique, qui analyse, &eacute;value, juge, Vrigny adopte volontiers, et au d&eacute;but assez ostensiblement, le r&ocirc;le du reporter, qui pose des questions factuelles simples permettant &agrave; l&rsquo;&eacute;crivain de se raconter et s&rsquo;expliquer ou de raconter et expliquer son livre. Comme Jules Huret dans son enqu&ecirc;te par interviews&nbsp;; comme Bernard Pivot, son collaborateur jusqu&rsquo;en 1969, dans <em>Apostrophes</em>. D&rsquo;autant qu&rsquo;il a le sens du public auquel il s&rsquo;adresse, de cet auditoire du matin form&eacute; surtout de &laquo;&nbsp;m&eacute;nag&egrave;res&nbsp;<a href="#_ftn53" name="_ftnref53">[53]</a>&nbsp;&raquo;. &Agrave; Chabrol (15 mn, 12 tours de parole), il demande o&ugrave; il habite, pourquoi il n&rsquo;aime pas Paris, s&rsquo;il y a un caract&egrave;re c&eacute;venol, pourquoi il est devenu &eacute;crivain, s&rsquo;il &eacute;crit vite, comment il travaille et ce qu&rsquo;il ressent. L&rsquo;interview penche largement du c&ocirc;t&eacute; du reportage. Seule la fin de l&rsquo;&eacute;change, sur la simplicit&eacute; comme valeur esth&eacute;tique ma&icirc;tresse, rel&egrave;ve de la critique. De m&ecirc;me avec l&rsquo;invit&eacute; suivant, Jacques Brenner, que Vrigny veut faire parler de lui plut&ocirc;t que de son livre.</p> <p style="text-align: justify;">Mais&hellip; cela ne dure pas plus de quelques mois&nbsp;! Car par ailleurs, contrairement &agrave; Bernard Pivot qui assume son r&ocirc;le de &laquo;&nbsp;courri&eacute;riste culturel&nbsp;&raquo; sans pr&eacute;tendre &agrave; dialoguer de pair &agrave; pair avec ses invit&eacute;s&nbsp;<a href="#_ftn54" name="_ftnref54">[54]</a>, il est capital pour Vrigny que le questionneur d&rsquo;un &eacute;crivain soit lui-m&ecirc;me un &eacute;crivain, c&rsquo;est-&agrave;-dire quelqu&rsquo;un qui s&rsquo;y conna&icirc;t parce qu&rsquo;il est du m&eacute;tier, car &laquo;&nbsp;comment appr&eacute;cier le moyen d&rsquo;inventer si on n&rsquo;invente pas soi-m&ecirc;me&nbsp;<a href="#_ftn55" name="_ftnref55">[55]</a>&nbsp;?&nbsp;&raquo; Et comment le faire sans aller sur le terrain de la critique&nbsp;? Et comment jouer les ignorants, les na&iuml;fs, les curieux, les simples repr&eacute;sentants du public, r&ocirc;le cependant indispensable, d&egrave;s lors qu&rsquo;on est du m&ecirc;me bord&nbsp;? On voit le dilemme et la d&eacute;licatesse de l&rsquo;exercice&nbsp;<a href="#_ftn56" name="_ftnref56">[56]</a>. Il aboutit apr&egrave;s quelques flottements &agrave; ce r&eacute;sultat&nbsp;: le grand entretien des <em>Matin&eacute;es litt&eacute;raires</em>, c&rsquo;est une conversation critique simple entre pairs, dans laquelle se glissent des questions de petit reporter.</p> <p style="text-align: justify;">Quelques exemples donneront une id&eacute;e de la vari&eacute;t&eacute; des r&eacute;alisations partant de ce principe. Dans l&rsquo;entretien d&eacute;j&agrave; cit&eacute; de 1971 avec Butor, deux questions de reportage sont pos&eacute;es dans la premi&egrave;re partie (six minutes), qui porte sur <em>Dialogue avec 33 variations de Ludwig van Beethoven sur une valse de Diabelli</em>&nbsp;: l&rsquo;origine de ce petit livre&nbsp;; sa fid&eacute;lit&eacute; ou non &agrave; cette origine dans sa composition. Mais Vrigny a aussi son id&eacute;e sur l&rsquo;&oelig;uvre de Butor et l&rsquo;exprime avant m&ecirc;me de poser la deuxi&egrave;me question. Il la reprend ensuite longuement, en guise d&rsquo;introduction &agrave; la deuxi&egrave;me partie de l&rsquo;entretien (12 mn 15), consacr&eacute;e en huit tours de parole au <em>G&eacute;nie du lieu</em>. Reste que, face &agrave; une &oelig;uvre d&rsquo;architecture aussi complexe, le critique doit entrer dans un propos assez complexe lui aussi pour les auditeurs&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">[&hellip;] quand on lit / ce livre, eh bien on peut le lire / &agrave; diff&eacute;rents niveaux. Je veux dire par l&agrave; / que &ndash;&nbsp;je dis tr&egrave;s grossi&egrave;rement pour nos auditeurs et d&rsquo;une fa&ccedil;on un peu simpliste&nbsp;&ndash; que / cela peut appara&icirc;tre, disons tout b&ecirc;tement comme un journal de voyage, comme un retour sur soi-m&ecirc;me, comme un po&egrave;me, comme une m&eacute;ditation. Comme &eacute;galement un drame v&eacute;cu par le narrateur, qui y revient &agrave; plusieurs reprises. Je pense que / la disposition typographique &ndash; nous y sommes habitu&eacute;s avec vos livres &ndash; je pense que / cette disposition typographique nous donne &eacute;videmment les diff&eacute;rents chemins &agrave; suivre &ndash; je veux dire par l&agrave; non seulement les titres, mais &eacute;galement / le haut des pages, inscrit en italiques, qui ne sont / que / des fragments de phrase qui / renvoient &agrave; des phrases &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur / des diff&eacute;rentes parties de l&rsquo;ouvrage. Tout &ccedil;a a l&rsquo;air tr&egrave;s compliqu&eacute; quand je l&rsquo;explique, mais l&agrave; encore, c&rsquo;est parce que c&rsquo;est retranspos&eacute; <em>oralement</em>, alors que cela doit &ecirc;tre <em>lu </em>avant tout, n&rsquo;est-ce pas.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Tentative risqu&eacute;e&nbsp;: malgr&eacute; tout son effort d&rsquo;intelligence, Vrigny se voit men&eacute; par l&rsquo;auteur &agrave; un niveau d&rsquo;analyse de la physique du livre bien plus complexe qu&rsquo;il ne l&rsquo;avait imagin&eacute; et que Butor lui explique patiemment, illuminant le dialogue de son intelligence&hellip;</p> <p style="text-align: justify;">Avec Pinget (16 mn 30, dont 3 mn de lecture d&rsquo;une page de <em>Fable</em>), aucune question de reportage&nbsp;; on a cette fois affaire &agrave; un vrai dialogue critique entre pairs, en treize tours de parole &eacute;quilibr&eacute;s. Vrigny avance ses id&eacute;es sur le livre, se risque &agrave; poser, comme on a vu, une ou deux questions ambitieuses, mais sans descendre trop cette fois dans la complexit&eacute; des choses, comme il a tent&eacute; de le faire avec Butor. L&rsquo;imp&eacute;ratif est de rester simple.</p> <p style="text-align: justify;">Quant &agrave; l&rsquo;imp&eacute;ratif de rester civil, il est remis en jeu &agrave; chaque fois que l&rsquo;auteur exprime un d&eacute;saccord avec son intervieweur, car alors Vrigny a tendance &agrave; revenir &agrave; la charge, &agrave; s&rsquo;expliquer&nbsp;; on sent qu&rsquo;il n&rsquo;aime pas avoir tort et doit dompter le pol&eacute;miste en lui. Un dialogue de sourds peut s&rsquo;engager, auquel il met fin en c&eacute;dant courtoisement, pour la forme, comme dans l&rsquo;entretien de 1967 avec Aragon, qui pr&eacute;sente un bel exemple de discussion impossible avec un grand &eacute;crivain qui impose souverainement sa loi &agrave; un interlocuteur trop d&eacute;f&eacute;rent pour aller &agrave; la pol&eacute;mique (et trop mineur&nbsp;? C&rsquo;est un &eacute;crivain de troisi&egrave;me ordre), et qui n&rsquo;avait en somme besoin de lui que pour se lancer dans une forme de <em>monologue</em> dialogu&eacute; (5 tours de parole en tout, 15 mn pour Aragon, 5 pour Vrigny).</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="34_Clarte_et_profondeur_des_livres">3.4. Clart&eacute; et profondeur des livres</span></h3> <p style="text-align: justify;">S&rsquo;agissant des pr&eacute;occupations de Vrigny dans ces entretiens, l&rsquo;&eacute;crivain-journaliste affiche une pr&eacute;dilection pour deux th&egrave;mes qui, sans &ecirc;tre toujours centraux, deviennent habituels, &laquo;&nbsp;routiniers&nbsp;&raquo;, et trahissent son ancrage &agrave; la fois spiritualiste et classique.</p> <p style="text-align: justify;">Le premier a trait &agrave; la composition des livres &eacute;voqu&eacute;s&nbsp;: Vrigny semble penser qu&rsquo;un livre ne tient pas esth&eacute;tiquement sans reposer sur une construction bien m&eacute;dit&eacute;e, m&ecirc;me cach&eacute;e. Comme si, sans elle, le lecteur devait &ecirc;tre perdu ou moins heureux. Il admire dans <em>La Vie de famille</em> de Henriette Jelinek, souvent invit&eacute;e, le &laquo;&nbsp;prestige d&rsquo;une &eacute;criture, d&rsquo;une construction romanesque&nbsp;&raquo; &agrave; partir d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments banals, du quotidien (2 octobre 1969). Il trouve &laquo;&nbsp;passionnant&nbsp;&raquo; <em>Une enfance gantoise</em> de Suzanne Lilar, qui a l&rsquo;air d&rsquo;&ecirc;tre un livre de souvenirs &laquo;&nbsp;mais en fait&nbsp;&raquo; propose &laquo;&nbsp;l&rsquo;itin&eacute;raire, &agrave; la fois charnel, spirituel, et m&ecirc;me m&eacute;taphysique, d&rsquo;un &ecirc;tre humain en contact avec la cr&eacute;ation&nbsp;&raquo; (23 septembre 1976). Vrigny a le go&ucirc;t classique de la <em>clart&eacute;</em>&nbsp;: il faut que ce soit compos&eacute; ou orient&eacute;, en tout cas lisible. Une &oelig;uvre peut &ecirc;tre jusqu&rsquo;&agrave; un certain point compliqu&eacute;e, cela d&eacute;pend du sujet, mais il faut qu&rsquo;elle soit compr&eacute;hensible et donc claire &agrave; un certain niveau de lecture&nbsp;<a href="#_ftn57" name="_ftnref57">[57]</a>. Un de ses soucis d&rsquo;intervieweur est donc de signaler ce qu&rsquo;il en est aux auditeurs, comme pour <em>Intervalle</em> de Butor, issu d&rsquo;un sc&eacute;nario pour la t&eacute;l&eacute;vision&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Je prends quelques pr&eacute;cautions oratoires avant d&rsquo;interroger Michel Butor parce que, effectivement, publier un sc&eacute;nario, en apparence &ccedil;a a l&rsquo;air d&rsquo;&ecirc;tre tr&egrave;s simple. Et en fait quand on ouvre son ouvrage, on s&rsquo;aper&ccedil;oit tout de suite que c&rsquo;est assez compliqu&eacute;. C&rsquo;est assez compliqu&eacute; / je dirais, pas forc&eacute;ment de lecture <em>une fois</em> qu&rsquo;on est entr&eacute; dans / les diff&eacute;rentes sinuosit&eacute;s de cet <em>Intervalle</em>. Mais malgr&eacute; tout il faudrait, Michel Butor, pour que nos auditeurs nous comprennent bien, presque un entretien / en st&eacute;r&eacute;ophonie, &agrave; plus canaux, o&ugrave; les diff&eacute;rents niveaux d&rsquo;&eacute;criture et de langage seraient restitu&eacute;s par les diff&eacute;rents niveaux d&rsquo;&eacute;coute. Non&nbsp;<a href="#_ftn58" name="_ftnref58">[58]</a>&nbsp;?</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Le second th&egrave;me r&eacute;current touche au <em>moi profond</em> de l&rsquo;auteur. Contrairement au programme initialement affich&eacute;, qui est d&rsquo;en savoir plus sur &laquo;&nbsp;la vie d&rsquo;un artiste&nbsp;<a href="#_ftn59" name="_ftnref59">[59]</a>&nbsp;&raquo;, le programme r&eacute;el est de faire dire &agrave; l&rsquo;&eacute;crivain, m&ecirc;me rapidement, ce qu&rsquo;il a mis de lui dans son livre, c&rsquo;est-&agrave;-dire de le faire parler de sa vie int&eacute;rieure telle qu&rsquo;elle se forme dans son &oelig;uvre. C&rsquo;&eacute;tait d&eacute;j&agrave;, &agrave; une tout autre &eacute;chelle &eacute;videmment, la d&eacute;marche de Jean Amrouche dans ses entretiens-feuilletons. Il y a certes une curiosit&eacute; du public pour la vie des &eacute;crivains, qui est aussi celle de Vrigny&nbsp;: &laquo;&nbsp;Quand on a ces auteurs ces &eacute;crivains en face de soi, on est encore curieux / de savoir tout de m&ecirc;me ce qu&rsquo;il y a / <em>derri&egrave;re</em>, derri&egrave;re le livre&nbsp;<a href="#_ftn60" name="_ftnref60">[60]</a>.&nbsp;&raquo; Elle dessine au d&eacute;but un spectre des questions possibles de la s&eacute;quence&nbsp;: interroger un &eacute;crivain &laquo;&nbsp;pas seulement sur son livre, pas uniquement, mais sur son m&eacute;tier d&rsquo;&eacute;crivain, sur ses probl&egrave;mes, sur ses difficult&eacute;s, sur ses influences&nbsp;<a href="#_ftn61" name="_ftnref61">[61]</a>&nbsp;&raquo;. Mais Vrigny est simultan&eacute;ment emp&ecirc;ch&eacute; par ses convictions proustiennes de donner &agrave; ces questions trop de place. L&rsquo;affirmation selon laquelle &laquo;&nbsp;le portrait d&rsquo;un auteur, c&rsquo;est d&rsquo;abord son &oelig;uvre&nbsp;<a href="#_ftn62" name="_ftnref62">[62]</a>&nbsp;&raquo; dirige d&eacute;j&agrave; la s&eacute;rie d&rsquo;&eacute;missions qu&rsquo;il produit en 1962-1963, <em>Une &oelig;uvre un portrait</em>, et son sixi&egrave;me roman, <em>La Vie br&egrave;ve</em>, publi&eacute; en 1972, est enti&egrave;rement organis&eacute; selon ce principe d&rsquo;une division entre moi social et moi profond. Cette division lui semble valable quelle que soit l&rsquo;&oelig;uvre, de la plus r&eacute;aliste &agrave; la plus formaliste. Ainsi, &agrave; Jean-Marie Rouart, romancier des <em>Feux du pouvoir</em>, une &laquo;&nbsp;&eacute;tude sociale, balzacienne&nbsp;&raquo; du pouvoir politique sous la Ve R&eacute;publique, qui veut se d&eacute;finir en s&rsquo;opposant &agrave; la &laquo;&nbsp;recherche purement formelle&nbsp;&raquo; du Nouveau Roman, Vrigny oppose que &laquo;&nbsp;tout roman est l&rsquo;expression / d&rsquo;une v&eacute;rit&eacute; secr&egrave;te, que chaque &eacute;crivain a en soi. Et finalement de son obsession&nbsp;&raquo;. Il ajoute&nbsp;: &laquo;&nbsp;Disons que pour vous l&rsquo;obsession, eh bien c&rsquo;est le monde contemporain, et dans ce cas particulier le monde de la politique&nbsp;<a href="#_ftn63" name="_ftnref63">[63]</a>.&nbsp;&raquo; De m&ecirc;me, dans l&rsquo;histoire savamment &eacute;miett&eacute;e et quasi illisible de <em>Fable</em> de Robert Pinget, il d&eacute;tecte &laquo;&nbsp;une aventure que l&rsquo;on sent extr&ecirc;mement personnelle, extr&ecirc;mement &eacute;prouv&eacute;e par l&rsquo;auteur et en m&ecirc;me temps tr&egrave;s &eacute;loign&eacute;e de la confidence / morale, de la confession du <em>je</em>. Ce n&rsquo;est pas un aveu, ou alors c&rsquo;est un aveu en forme de po&egrave;me&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;">Le livre est le r&eacute;v&eacute;lateur de la vraie vie de l&rsquo;&eacute;crivain, qui est sa vie int&eacute;rieure&nbsp;: sur ce point, Vrigny se range du c&ocirc;t&eacute; de Proust de fa&ccedil;on constante et affich&eacute;e. C&rsquo;est pourquoi du reste &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo; peut c&eacute;der passag&egrave;rement la place, en 1977, au &laquo;&nbsp;Livre de la semaine&nbsp;&raquo;. Aussi bien l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t manifest&eacute; pour la vie des auteurs dans &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo;, assez in&eacute;gal et parfois m&ecirc;me inexistant, n&rsquo;ob&eacute;it-il jamais &agrave; l&rsquo;arri&egrave;re-pens&eacute;e de faire croire que l&rsquo;homme peut expliquer l&rsquo;&oelig;uvre, &laquo;&nbsp;m&ecirc;me s&rsquo;il y a tout de m&ecirc;me des ponts entre ces vies, heureusement du reste&nbsp;<a href="#_ftn64" name="_ftnref64">[64]</a>&nbsp;&raquo;. Cette conviction oriente Vrigny vers des th&egrave;mes qui pr&eacute;cis&eacute;ment font le pont entre vie et &oelig;uvre, comme&nbsp;: ce que dit un livre de la &laquo;&nbsp;vraie vie&nbsp;&raquo; de son auteur&nbsp;; ce que dit la qualit&eacute; de son &eacute;criture de la qualit&eacute; de sa sensibilit&eacute;&nbsp;; dans quel(s) personnage(s) de son roman il se projette &hellip; Sujets d&eacute;licats &agrave; aborder en quinze minutes d&rsquo;entretien, que Vrigny sait bien &ecirc;tre complexes. D&rsquo;autant que l&rsquo;&eacute;mission grand public n&rsquo;aime pas la complexit&eacute;, et qu&rsquo;il lui faut accepter et assumer une certaine simplification du propos. Mais comment y renoncer&nbsp;? Au moment o&ugrave; le th&egrave;me de la mort de l&rsquo;auteur est port&eacute; par des courants de l&rsquo;&eacute;poque dont il r&eacute;prouve le jargon, c&rsquo;est bien comme h&eacute;ritier d&rsquo;une approche spiritualiste de la litt&eacute;rature, celle de Proust, celle de <em>La NRF</em> aussi (Rivi&egrave;re, Du Bos et Arland plut&ocirc;t que Thibaudet et Paulhan), que se situe Vrigny dans les entretiens de &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo;.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="Conclusion">Conclusion</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Entre &eacute;litisme et d&eacute;mocratisation, le magazine de Roger Vrigny se caract&eacute;rise par la double volont&eacute; de r&eacute;sister &agrave; la dilution de la litt&eacute;rature dans la culture et de donner &agrave; des &eacute;crivains trop seuls des &laquo;&nbsp;sectes&nbsp;&raquo; de lecteurs attach&eacute;s &agrave; les suivre. D&rsquo;embl&eacute;e et jusqu&rsquo;&agrave; la fin, le grand entretien de &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo; (passag&egrave;rement &laquo;&nbsp;Livre de la semaine&nbsp;&raquo;) est la pi&egrave;ce ma&icirc;tresse de cette politique, qui puise son inspiration dans le stimulant exemple de <em>La NRF</em> de la grande &eacute;poque, non sans adapter sa pratique &agrave; celle de <em>La NRF</em> d&rsquo;apr&egrave;s-guerre, qui favorise quelque peu les auteurs Gallimard. Un <em>esprit NRF</em> habite le Monsieur Litt&eacute;rature de France Culture en d&eacute;pit de certaines concessions faites &agrave; l&rsquo;esprit mondain des &laquo;&nbsp;salons&nbsp;&raquo; (il faut bien donner &laquo;&nbsp;du pain et des jeux&nbsp;&raquo; &agrave; ses auditeurs du matin) et &agrave; l&rsquo;audimat (en invitant des &eacute;crivains d&eacute;j&agrave; m&eacute;diatis&eacute;s). Une d&eacute;fense et illustration des vertus classiques de simplicit&eacute; et de clart&eacute; anime la conduite des grands entretiens du magazine, &agrave; l&rsquo;abri des bonnes mani&egrave;res et &agrave; l&rsquo;&eacute;cart des pol&eacute;miques et des jargons. Les &eacute;crivains gauches y sont appr&eacute;ci&eacute;s, les &eacute;crivains brillants redout&eacute;s, m&ecirc;me si certains fascinent (Barthes, Butor&hellip;). Les questions importantes touchent tout &agrave; la fois &agrave; la cl&ocirc;ture de l&rsquo;&oelig;uvre et &agrave; la mani&egrave;re dont la vie int&eacute;rieure des auteurs s&rsquo;y manifeste. Dans le r&ocirc;le de l&rsquo;intervieweur, Vrigny&nbsp;agit beaucoup plus en critique qu&rsquo;en reporter culturel&nbsp;: au contraire d&rsquo;un Chancel ou d&rsquo;un Pivot, adeptes de la position de l&rsquo;ignorant, dont le m&eacute;tier est d&rsquo;obtenir des r&eacute;ponses &agrave; des questions &eacute;pousant les attentes et curiosit&eacute;s du grand public, il juge important de faire entendre &agrave; ses auditeurs des conversations de pair &agrave; pair, simples certes, surtout pas sp&eacute;cialis&eacute;es ni jargonnantes, mais o&ugrave; sa qualit&eacute; d&rsquo;&eacute;crivain lui permet d&rsquo;avoir des avis autoris&eacute;s et de poser quelques bonnes questions. Le r&eacute;sultat n&rsquo;est pas s&eacute;duisant &agrave; la mani&egrave;re d&rsquo;une &eacute;mission &laquo;&nbsp;intelligente&nbsp;&raquo;, intellectuellement brillante, ou bien d&rsquo;une &eacute;mission tr&egrave;s anim&eacute;e, satisfaisant en nous le go&ucirc;t de l&rsquo;action et des spectacles. Mais il nous attache en communiquant quelque chose de ce silence int&eacute;rieur dont les livres, dit Proust, sont les enfants.</p> <h3 style="text-align: justify;"><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h3> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> &laquo;&nbsp;Sur France Culture on ne peut pas dire qu&rsquo;on ne vous conna&icirc;t pas&nbsp;! &Ccedil;a fait un moment que les livres, c&rsquo;est vous&nbsp;!&nbsp;&raquo; (Propos d&rsquo;Alain Veinstein &agrave; Roger Vrigny, <em>Du jour au lendemain</em>, France Culture, 18 mars 1988).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Cit&eacute; par Armelle Cressard dans un portrait de Roger Vrigny, &laquo;&nbsp;Le besoin d&rsquo;&eacute;crits&nbsp;&raquo;, <em>Le Monde</em>, 20 mai 1996.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Diffus&eacute; le mercredi matin durant les deux premi&egrave;res saisons, le jeudi matin d&egrave;s la troisi&egrave;me (octobre 1968). D&rsquo;octobre 1966 &agrave; avril 1975, les Matin&eacute;es de France Culture sont programm&eacute;es de 9h07 ou 9h15 &agrave; 11h. &Agrave; partir du 7 avril 1975, elles s&rsquo;arr&ecirc;tent &agrave; 10h45 au profit d&rsquo;&eacute;missions courtes ax&eacute;es sur le livre et les auteurs&nbsp;: <em>Le texte et la marge</em>, <em>&Eacute;tranger mon ami</em>, <em>Un quart d&rsquo;heure avec</em>, <em>Le livre ouverture sur la vie</em>, <em>Questions en zigzag</em>, <em>D&eacute;marches</em>.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Analyses fond&eacute;es sur des &eacute;coutes cibl&eacute;es (dates-cl&eacute;s, noms&hellip;) et des sondages (un mois d&rsquo;&eacute;missions par ann&eacute;e). Malheureusement, les archives sonores conserv&eacute;es sont la plupart amput&eacute;es de leur g&eacute;n&eacute;rique, lequel annonce en g&eacute;n&eacute;ral le sommaire du num&eacute;ro. Les notices de l&rsquo;Ina restituent tr&egrave;s capricieusement ces sommaires.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> Pierre Hebey (&eacute;d.), <em>L&rsquo;esprit NRF (1908-1940)</em>, Paris, Gallimard, 1990, p.&nbsp;XIV. Voir aussi p.&nbsp;XII-XIII.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Roger Vrigny, <em>Le Besoin d&rsquo;&eacute;crire</em>, Paris, Gallimard, 1990, p.&nbsp;18.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> <em>Ibid.</em>, p.&nbsp;14. C&rsquo;est aussi le grand reproche qu&rsquo;il fait au magazine <em>Lire </em>de Bernard Pivot, magazine de lecture et d&rsquo;information sur les livres bien plus que sur la litt&eacute;rature (voir ses propos dans <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> du 18 septembre 1975.)</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> &laquo;&nbsp;Mort du romancier Roger Vrigny&nbsp;&raquo;, <em>Lib&eacute;ration</em>, 19 ao&ucirc;t 1997, p.&nbsp;21.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> du 8 septembre 1977.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a> Jean Paulhan, dans un texte de 1937 cit&eacute; par Laurence Brisset, <em>La NRF de Paulhan</em>, Paris, Gallimard, 2003, p.&nbsp;71.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a> Laurence Brisset, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;74-89, analyse l&rsquo;affirmation d&rsquo;une position antifasciste puis violemment anti-munichoise dans <em>La NRF</em> des ann&eacute;es 1934-1940.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a> &laquo;&nbsp;Gide, Rivi&egrave;re, Gallimard, Paulhan&hellip; chacun d&rsquo;entre eux poss&eacute;dait ses amiti&eacute;s, ses pr&eacute;f&eacute;rences, ses aversions et ses m&eacute;thodes personnelles de gouvernement.&nbsp;&raquo; (Pierre Hebey, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;XII).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a> <em>Le Besoin d&rsquo;&eacute;crire</em>, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;14.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a> <em>Instant d&eacute;rob&eacute;s (pages de journal</em>), Paris, Gallimard, 1996, p.&nbsp;51.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a> <em>Ibid.</em></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a> Voir les tr&egrave;s int&eacute;ressantes pages de Laurence Brisset sur l&rsquo;accueil d&rsquo;&eacute;crivains &laquo;&nbsp;terroristes&nbsp;&raquo; &agrave; <em>La NRF</em>, des surr&eacute;alistes aux Nouveaux romanciers (<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;130-142).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a> Simon et Ollier ont droit &agrave; une br&egrave;ve interview de quelques minutes dans une autre s&eacute;quence du magazine, le premier en 1967 (&agrave; propos d&rsquo;<em>Histoire</em>), le deuxi&egrave;me en 1980 (&agrave; propos de <em>Marrakech M&eacute;dine</em>). Dans un <em>Masque et la Plume</em> du 26 octobre 1969 (France Inter), Vrigny s&rsquo;en &eacute;tait pris assez violemment aux &laquo;&nbsp;tics et manies&nbsp;&raquo; d&rsquo;&eacute;criture de Simon &ndash;&nbsp;pourtant reconnu par lui comme un &eacute;crivain important&nbsp;&ndash; dans <em>La Bataille de Pharsale</em>, dignes d&rsquo;un d&eacute;butant du Nouveau Roman. Quant &agrave; Robbe-Grillet, plusieurs pages du <em>Besoin d&rsquo;&eacute;crire</em> le visent.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a> Une premi&egrave;re interview a eu lieu le 24 octobre 1968 pour <em>Entre la vie et la mort</em>, par Alain Bosquet, hors rubrique &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo; (consacr&eacute;e &agrave; Philippe H&eacute;riat, pour <em>Les Boussardel</em>).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a> <em>Le Besoin d&rsquo;&eacute;crire</em>, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;77.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a> <em>Ibid.</em>, p.&nbsp;67.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a> Ce n&rsquo;est pas le lieu ici de discuter du &laquo;&nbsp;mythe de la langue classique&nbsp;&raquo; dans la prose fran&ccedil;aise du xx<sup>e</sup> si&egrave;cle. Voir &agrave; ce sujet Gilles Philippe et Julien Piat (dir.), <em>La langue litt&eacute;raire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert &agrave; Claude Simon</em>, Paris, Fayard, 2009, p.&nbsp;281-321.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a> Voir Nathalie Froloff, article &laquo;&nbsp;<em>La Nouvelle Revue fran&ccedil;aise</em>&nbsp;&raquo;, dans Bruno Curatolo (dir.), <em>Dictionnaire des revues litt&eacute;raires</em>, Paris, Champion, 2014, I, p.&nbsp;521. &Agrave; partir de 1978, Vrigny repr&eacute;sente en quelque sorte les int&eacute;r&ecirc;ts de l&rsquo;&eacute;diteur au sein du jury Renaudot, connu pour ses attaches Gallimard. Il y rejoint son vieil ami Jacques Brenner, et y fait entrer Robert Mallet et son collaborateur de <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> Christian Giudicelli, lui aussi auteur Gallimard.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a> Quelques hommages longs seulement sont consacr&eacute;s &agrave; des &eacute;crivains qui ne sont pas de sa &laquo;&nbsp;famille&nbsp;&raquo;&nbsp;: Samuel Beckett (30 octobre 1969), Pablo Neruda (25 septembre 1975), Jacques Pr&eacute;vert (14 avril 1977)&hellip; Il existe aussi, dans la rubrique &laquo;&nbsp;Nouvelles br&egrave;ves&nbsp;&raquo; par exemple, de nombreux hommages courts, tous fun&egrave;bres, &agrave; des personnalit&eacute;s du monde de la po&eacute;sie, des lettres, de la presse litt&eacute;raire ou de l&rsquo;&eacute;dition&nbsp;: Armand Robin, Georges Perros, Malcolm de Chazal, Alejo Carpentier&nbsp;; Dominique de Roux, Philipe Jullian, Pascal Pia, Genevi&egrave;ve Serreau&hellip; Avec, le 27 mars 1980, un bel &laquo;&nbsp;Adieu &agrave; Roland Barthes&nbsp;&raquo;, en compagnie de Maurice Nadeau.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a> Vrigny se montre particuli&egrave;rement &eacute;mu au d&eacute;but de cet hommage, saluant celui qui &laquo;&nbsp;avait r&eacute;ussi ce prodige d&rsquo;&ecirc;tre secret et populaire, d&rsquo;&ecirc;tre savant et accessible, d&rsquo;&ecirc;tre unique en son genre, inclassable, et en m&ecirc;me temps d&rsquo;&ecirc;tre commun &agrave; tous&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a> Pierre Hebey (&eacute;d.), <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;XIV.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a> Tout en donnant la priorit&eacute; &agrave; &laquo;&nbsp;la part de cr&eacute;ation&nbsp;&raquo; (textes in&eacute;dits, lus &laquo;&nbsp;en principe&nbsp;&raquo; par les auteurs), la revue propose une &laquo;&nbsp;part de critique&nbsp;&raquo; privil&eacute;giant les genres parl&eacute;s qui font l&rsquo;atout de la radio&nbsp;: &laquo;&nbsp;des confrontations, des rencontres ou des dialogues&nbsp;&raquo;, et une &laquo;&nbsp;part d&rsquo;information&nbsp;&raquo; sur des faits et &eacute;v&eacute;nements de l&rsquo;actualit&eacute; litt&eacute;raire (Robert Mallet et Pierre Sipriot, <em>Belles-Lettres</em>, num&eacute;ro 1, Cha&icirc;ne nationale, lundi 20 octobre 1952).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a> L&rsquo;&oelig;uvre m&ecirc;me de Vrigny ne cesse de d&eacute;cliner le th&egrave;me de l&rsquo;homme seul dans la foule, et ses t&eacute;moignages de lecture celui de la rencontre (esp&eacute;r&eacute;e, d&eacute;&ccedil;ue, combl&eacute;e&hellip;) avec ce semblable et fr&egrave;re, qu&rsquo;il trouve dans les livres de Marcel Arland, Louis Guilloux, Jean Grenier, Jos&eacute; Cabanis ou Jean Cayrol et avant eux, tout &agrave; l&rsquo;origine de sa vocation litt&eacute;raire, de Gide et de Kafka.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref28" name="_ftn28">[28]</a> &laquo;&nbsp;Micros et cam&eacute;ras&nbsp;&raquo;, ORTF, Premi&egrave;re cha&icirc;ne, 25 f&eacute;vrier 1967.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref29" name="_ftn29">[29]</a> <em>Ibid.</em></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref30" name="_ftn30">[30]</a> Bruno Curatolo, &laquo;&nbsp;Une histoire de la litt&eacute;rature &ldquo;pure&rdquo;&nbsp;: Marcel Arland &agrave; la <em>NRf</em>&nbsp;&raquo;, dans Vincent Debaene, Jean-Louis Jeannelle, Marielle Mac&eacute;, Michel Murat (dir.), <em>L&rsquo;Histoire litt&eacute;raire des &eacute;crivains</em>, Paris, PUPS, 2013, p.&nbsp;211-218.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref31" name="_ftn31">[31]</a> <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> du 8 septembre 1977.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref32" name="_ftn32">[32]</a> L&rsquo;&eacute;lection des romanciers pour cette s&eacute;quence est un choix typiquement &laquo;&nbsp;grand public&nbsp;&raquo;. <em>La NRF</em> a fait de m&ecirc;me dans ses sommaires, pour se d&eacute;marquer du <em>Mercure de France </em>et sortir du champ de la &laquo;&nbsp;litt&eacute;rature restreinte&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref33" name="_ftn33">[33]</a> <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire </em>du 27 septembre 1967.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref34" name="_ftn34">[34]</a> Roger Vrigny, propos au Journal t&eacute;l&eacute;vis&eacute; de 20 heures, 1<sup>er</sup> f&eacute;vrier 1974.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref35" name="_ftn35">[35]</a> Les auteurs de th&eacute;&acirc;tre sont quant &agrave; eux &laquo;&nbsp;r&eacute;serv&eacute;s&nbsp;&raquo; &agrave; la Matin&eacute;e d&eacute;di&eacute;e aux spectacles.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref36" name="_ftn36">[36]</a> Roger Vrigny, <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire </em>du 6 octobre 1977. La r&eacute;forme a comme cons&eacute;quence de faire entrer en nombre dans l&rsquo;&eacute;mission les universitaires et autres &laquo;&nbsp;sp&eacute;cialistes&nbsp;&raquo; d&rsquo;un &eacute;crivain. Le magazine s&rsquo;acad&eacute;mise&hellip;</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref37" name="_ftn37">[37]</a> <em>Ibid.</em></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref38" name="_ftn38">[38]</a> Le changement est surtout dans le titre, puisque &laquo;&nbsp;Le Livre de la semaine&nbsp;&raquo; consiste aussi en un &laquo;&nbsp;grand entretien&nbsp;&raquo; avec un &eacute;crivain, centr&eacute; sur son dernier livre, mais aussi de place. En revenant quelques semaines plus tard au titre pr&eacute;c&eacute;dent, Vrigny remet aussi la rubrique pile au centre du magazine d&rsquo;actualit&eacute;, entre les &laquo;&nbsp;Nouvelles br&egrave;ves&nbsp;&raquo; (Giudicelli), et &laquo;&nbsp;&Agrave; la vitrine du libraire&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref39" name="_ftn39">[39]</a> <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> du 19 octobre 1966.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref40" name="_ftn40">[40]</a> &Eacute;lisabeth Chandet, &laquo;&nbsp;<em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> de France Culture&nbsp;: une &eacute;mission &agrave; la page&nbsp;&raquo;, <em>T&eacute;l&eacute;rama</em>, n&deg;1056, 12 avril 1970, p.&nbsp;67-68.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref41" name="_ftn41">[41]</a> <em>Le Besoin d&rsquo;&eacute;crire</em>, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;15-16, 38.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref42" name="_ftn42">[42]</a> Pr&eacute;sentation du &laquo;&nbsp;Dossier Anatole France&nbsp;&raquo;, &eacute;mission du 4 octobre 1984, avec Marie-Claire Bancquart et Jacques Suffel, &laquo;&nbsp;francien averti&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref43" name="_ftn43">[43]</a> Gilles Philippe et Julien Piat (dir.), <em>op.&nbsp;cit.</em>, rappellent que le style de l&rsquo;&eacute;crivain est consid&eacute;r&eacute; par la g&eacute;n&eacute;ration 1900 comme &laquo;&nbsp;le mod&egrave;le de la langue litt&eacute;raire au sens philologique du terme&nbsp;&raquo;, celui qui, affirme Vendryes dans <em>Le Langage </em>en 1923, &laquo;&nbsp;r&eacute;alise avec perfection l&rsquo;id&eacute;al du fran&ccedil;ais litt&eacute;raire, sous sa forme g&eacute;n&eacute;rale et &ldquo;commune&rdquo;&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;21).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref44" name="_ftn44">[44]</a> Roger Vrigny &agrave; Jacques Chancel, <em>Radioscopie</em>, France Inter, 5 avril 1979.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref45" name="_ftn45">[45]</a> Voir notamment Marc Fumaroli, &laquo;&nbsp;La conversation&nbsp;&raquo;, dans <em>Trois institutions litt&eacute;raires</em>, Gallimard, &laquo;&nbsp;Folio-Histoire&nbsp;&raquo;, 1994&nbsp;; Emmanuel Godo, &laquo;&nbsp;Le XVIIe si&egrave;cle ou la conversation souveraine&nbsp;&raquo;, dans son <em>Histoire de la conversation</em>, Paris, PUF, &laquo;&nbsp;Perspectives litt&eacute;raires&nbsp;&raquo;, 2003.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref46" name="_ftn46">[46]</a> Pierre-Marie H&eacute;ron, &laquo;&nbsp;De Gide &agrave; Jouhandeau&nbsp;: conception et r&eacute;alisations&nbsp;&raquo;, dans id. (dir.), <em>Les &eacute;crivains &agrave; la radio&nbsp;: les Entretiens de Jean Amrouche</em>, Montpellier, Publications de Montpellier 3, 2000, p.&nbsp;33-47.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref47" name="_ftn47">[47]</a> Roger Vrigny, interview&eacute; par Alain Veinstein dans <em>Du jour au lendemain</em>, France Culture, 18 mars 1988.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref48" name="_ftn48">[48]</a> Alain Veinstein, <em>Radio sauvage</em>, Paris, Seuil, 2010, p.&nbsp;220.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref49" name="_ftn49">[49]</a> Le premier &agrave; donner cette importance au silence est Pierre Dumayet, dans <em>Lectures pour tous</em>. Vrigny est proche de lui par le fait de donner plus d&rsquo;importance au livre &agrave; lire apr&egrave;s l&rsquo;&eacute;mission qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;&eacute;mission elle-m&ecirc;me. Pour Veinstein au contraire, du moins dans <em>Du jour au lendemain</em>, les lenteurs, tortures et angoisses de l&rsquo;expression forment, un drame passionnant par lui-m&ecirc;me et tout l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de l&rsquo;&eacute;mission. Ce pourquoi il ne la consid&egrave;re pas comme une &eacute;mission litt&eacute;raire (<em>Radio sauvage</em>, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;149).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref50" name="_ftn50">[50]</a> <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> du 1<sup>er</sup> juillet 1971.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref51" name="_ftn51">[51]</a> <em>Le Besoin d&rsquo;&eacute;crire</em>, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;21. En cela, Vrigny n&rsquo;aime pas les romans &laquo;&nbsp;philosophiques&nbsp;&raquo;, les auteurs qui comme Michel Tournier (re&ccedil;u le 10 avril 1975 &agrave; <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> pour <em>Les M&eacute;t&eacute;ores</em>), &eacute;crivent des romans &agrave; id&eacute;es donnant pr&eacute;texte &agrave; &laquo;&nbsp;un article de trois colonnes&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;un bavardage d&rsquo;une demi-heure &agrave; la radio&nbsp;&raquo; (<em>ibid.</em>, p.&nbsp;19).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref52" name="_ftn52">[52]</a> <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> du 2 d&eacute;cembre 1971.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref53" name="_ftn53">[53]</a> &laquo;&nbsp;Il faut tenir compte de notre horaire, qui nous isole d&rsquo;un certain public. De 9h &agrave;11 h, nous touchons les professions lib&eacute;rales, des &eacute;tudiants, mais aussi des m&eacute;nag&egrave;res, dont la r&eacute;action me semble la plus importante&nbsp;&raquo; (Vrigny, propos &agrave; &Eacute;lisabeth Chandet, art. cit.).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref54" name="_ftn54">[54]</a> Bernard Pivot, <em>Le M&eacute;tier d&rsquo;&eacute;crire</em>, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Folio&nbsp;&raquo;, 2001, p.&nbsp;66.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref55" name="_ftn55">[55]</a> <em>Le Besoin d&rsquo;&eacute;crire</em>, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;33.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref56" name="_ftn56">[56]</a> Vrigny semble au d&eacute;part avoir imagin&eacute; une r&eacute;partition des t&acirc;ches entre &laquo;&nbsp;L&rsquo;Invit&eacute; de la semaine&nbsp;&raquo; et la s&eacute;quence &eacute;quivalente qu&rsquo;il anime depuis 1963 dans <em>La Semaine litt&eacute;raire</em>, &laquo;&nbsp;Un &eacute;crivain sur la sellette&nbsp;&raquo;. Le jumelage est explicite dans le cas de Chabrol, qui passe &agrave; une semaine de distance dans les deux &eacute;missions. Centrer l&rsquo;entretien sur l&rsquo;&oelig;uvre dans l&rsquo;une, sur l&rsquo;homme dans l&rsquo;autre&nbsp;s&rsquo;av&egrave;rera une fausse bonne id&eacute;e.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref57" name="_ftn57">[57]</a> Ce go&ucirc;t de l&rsquo;&oelig;uvre close transpara&icirc;t aussi dans le montage des entretiens. Vrigny en soigne les chutes, les arr&ecirc;te volontiers sur une parole frappante ou un dernier &eacute;change qui ne manque pas de hauteur ou d&rsquo;allure. Voici par exemple, la fin de l&rsquo;entretien de 1967 avec Aragon&nbsp;: &laquo;&nbsp;&ndash;&nbsp;Aragon, au fond vous venez de donner la d&eacute;finition m&ecirc;me de l&rsquo;&eacute;crivain, du cr&eacute;ateur&nbsp;: c&rsquo;est celui qui &eacute;crit dans le devenir de la langue. Donc dans le devenir. Donc dans la vie. &ndash;&nbsp;Et c&rsquo;est bien pourquoi je suis un r&eacute;aliste. <em>Musique</em>&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref58" name="_ftn58">[58]</a> <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> du 5 juillet 1973.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref59" name="_ftn59">[59]</a> Jean Dutourd, un des premiers invit&eacute;s de la saison 1967-1968, est annonc&eacute; comme &laquo;&nbsp;l&rsquo;invit&eacute; type de la semaine&nbsp;&raquo;, parce qu&rsquo;il vient de publier &laquo;&nbsp;un livre qui a pour titre <em>Pluche ou l&rsquo;amour de l&rsquo;art</em>, qui est exactement le sujet m&ecirc;me de nos conversations, &agrave; savoir la vie d&rsquo;un artiste&nbsp;&raquo; (<em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> du 4 octobre 1967).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref60" name="_ftn60">[60]</a> Propos de Vrigny au micro d&rsquo;Alain Veinstein, <em>Du jour au lendemain</em>, France Culture, 18 mars 1988.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref61" name="_ftn61">[61]</a> &laquo;&nbsp;Micros et cam&eacute;ras&nbsp;&raquo; du 25 f&eacute;vrier 1967, <em>op.&nbsp;cit</em>.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref62" name="_ftn62">[62]</a> <em>Une &oelig;uvre un portrait</em>, 18 juillet 1962 (&eacute;mission sur Queneau). Comme Proust avec Bergotte, la voix parl&eacute;e de l&rsquo;auteur est per&ccedil;ue dans cette s&eacute;rie comme le lieu de confluence et de tension entre moi social et moi profond.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref63" name="_ftn63">[63]</a> <em>La Matin&eacute;e litt&eacute;raire</em> du 27 octobre 1977.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref64" name="_ftn64">[64]</a> Propos de Vrigny au micro d&rsquo;Alain Veinstein, <em>Du jour au lendemain</em>, France Culture, 11 avril 1996.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="Auteur">Auteur</span></h3> <p style="text-align: justify;"><strong>Pierre-Marie H&eacute;ron </strong><strong>est </strong>professeur de litt&eacute;rature fran&ccedil;aise &agrave; l&rsquo;universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry Montpellier et membre de l&rsquo;Institut universitaire de France. Il anime &agrave; Montpellier un programme de recherche sur les &eacute;crivains et la radio en France (XX-XXI<sup>e </sup>si&egrave;cles), et a dirig&eacute; huit ouvrages sur le sujet. Derniers titres parus&nbsp;: <em>Aventures radiophoniques du Nouveau Roman</em> (avec Fran&ccedil;oise Joly et Annie Pibarot) en 2017 et <em>Po&eacute;sie sur les ondes</em> (avec Marie Joqueviel-Bourjea et C&eacute;line Pardo) en 2018, aux Presses universitaires de Rennes.</p> <h3 style="text-align: justify;"><strong>Copyright</strong></h3> <p style="text-align: justify;">Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p> </div>