<h3>Abstract</h3> <p>This article offers an attempt to rethink the concept of exoticism by analyzing the insertion of other languages in a few travelogues written by French missionaries to the Caribbean in the 17th century. Instead of examining themes related to Caribbean exoticism, we will thus focus on a strategy of writing and analyze the ways in which the travel writers negotiate the place of the stranger within their texts. This will enable us to question what we see as two orientations within the theorization of exoticism: a textual approach that draws from the first understanding of the concept, and a cultural approach, which favors the analysis of aspects of power inherent to the colonial context. The goal of the study is thus double. On the one hand, it seeks to critically examine the ways in which contemporary readings tend to limit the concept of exoticism and, on the other, it proposes to outline a reconfiguration of the concept in light of historical and aesthetical contexts that determine travel writing to the Caribbean during the French settlement.</p> <h3>Keywords</h3> <p>Travel writing in the 17th century, the West Indies, exoticism, heterolingualism,&nbsp;&nbsp;Early modern travel writing,&nbsp;Caribbean Studies, French 17th century missionaries</p> <p>&nbsp;</p> <p>Cet article pose la question de savoir si le concept d&rsquo;exotisme peut nous aider &agrave; comprendre la mani&egrave;re dont les relations de voyage de l&rsquo;&eacute;tablissement fran&ccedil;ais aux Antilles, publi&eacute;es au milieu du XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, int&egrave;grent les langues &eacute;trang&egrave;res au sein d&rsquo;une narration en fran&ccedil;ais&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. Le but est double. Il s&rsquo;agit &agrave; la fois d&rsquo;examiner l&rsquo;intrication d&rsquo;une strat&eacute;gie d&rsquo;&eacute;criture et d&rsquo;interroger, sur un plan th&eacute;orique, un terme, celui d&rsquo;exotisme, dont la d&eacute;finition est souvent floue et qui est de plus anachronique si on le r&eacute;f&egrave;re au XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle. Bien que le mot &laquo;&nbsp;exotique&nbsp;&raquo; existe depuis&nbsp;<em>Le Quart Livre</em>&nbsp;de Rabelais, il n&rsquo;est gu&egrave;re utilis&eacute; en fran&ccedil;ais jusqu&rsquo;&agrave; la fin du XVIII<sup>e&nbsp;</sup>si&egrave;cle, p&eacute;riode o&ugrave; il appara&icirc;t dans les dictionnaires, et son usage est rare jusqu&rsquo;au XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Notre compr&eacute;hension contemporaine du mot, h&eacute;rit&eacute;e du discours romantico-r&eacute;aliste, l&rsquo;associe &agrave; une litt&eacute;rature (coloniale) pittoresque plut&ocirc;t banale, pour ne pas dire kitsch. Ou bien l&rsquo;on insiste sur les circonstances de la cr&eacute;ation et de la r&eacute;ception, en d&eacute;montrant que le terme d&eacute;coule infailliblement d&rsquo;un regard dominant qui ne fait que chosifier l&rsquo;autre. La d&eacute;finition qui convient le plus &agrave; l&rsquo;&eacute;poque qui nous int&eacute;resse ici est sans doute celle qui rel&egrave;ve de son acception premi&egrave;re, selon laquelle l&rsquo;exotisme renvoie &agrave; ce qui vient de l&rsquo;&eacute;tranger (d&eacute;riv&eacute; du mot grec&nbsp;<em>ex&ocirc;tikos</em>, signifiant ce qui vient du dehors). Mais, comme on le sait, il s&rsquo;av&egrave;re difficile de s&rsquo;en tenir &agrave; une telle d&eacute;finition purement r&eacute;f&eacute;rentielle. Le concept requiert vite l&rsquo;adjonction de connotations culturelles, charg&eacute;es de sens et de perspectives diverses. D&egrave;s lors il semble condamn&eacute; &agrave; toujours rater sa cible&nbsp;: parce qu&rsquo;il emp&ecirc;che de&nbsp;<em>voir</em>&nbsp;l&rsquo;autre et d&eacute;bouche sur une projection des fantasmes de l&rsquo;&eacute;crivain et du lecteur, ou parce que les codes de repr&eacute;sentation qui lui sont associ&eacute;s ne sont pas adapt&eacute;s pour dire un ailleurs trop &eacute;loign&eacute;, il n&rsquo;arriverait jamais &agrave; reproduire l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;.</p> <p>Il y a une part de v&eacute;rit&eacute; dans cette condamnation pessimiste. Cependant, pour ce qui concerne les voyageurs aux Antilles du XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, la captation de l&rsquo;&eacute;tranger ne se r&eacute;duit pas &agrave; un seul registre. Dans un m&ecirc;me r&eacute;cit, certains passages donnent par exemple l&rsquo;image du &laquo;&nbsp;bon sauvage&nbsp;&raquo; tandis que d&rsquo;autres projettent le st&eacute;r&eacute;otype du f&eacute;roce cannibale et entre ces deux cas st&eacute;r&eacute;otyp&eacute;s, les relateurs racontent des &eacute;changes quotidiens avec les Am&eacute;rindiens. En effet, la relation de voyage couvre plusieurs modalit&eacute;s d&rsquo;&eacute;criture et les choses autochtones sont rarement isol&eacute;es dans les textes. Parler d&rsquo;<em>un</em>&nbsp;exotisme &agrave; cette &eacute;poque demeure donc probl&eacute;matique, non pas seulement parce que la notion m&ecirc;me est anachronique, mais aussi parce que l&rsquo;&eacute;criture est soumise &agrave; d&rsquo;autres codes que ceux qui furent actifs durant la p&eacute;riode o&ugrave; cette cat&eacute;gorie s&rsquo;est d&eacute;velopp&eacute;e et a &eacute;t&eacute; particuli&egrave;rement mobilis&eacute;e, soit entre la fin du XVIII<sup>e</sup>&nbsp;et le d&eacute;but du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle. En m&ecirc;me temps, se borner &agrave; l&rsquo;acception premi&egrave;re et restreindre l&rsquo;exotisme &agrave; ne seulement signifier que les &eacute;l&eacute;ments venant du dehors comporte le risque de simplifier la complexit&eacute; de la repr&eacute;sentation de l&rsquo;&eacute;tranger dans le contexte qui nous int&eacute;resse. C&rsquo;est &agrave; la lumi&egrave;re de ces questionnements que nous nous demanderons comment penser l&rsquo;exotisme au XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle. Nous proposons qu&rsquo;il correspond &agrave; une strat&eacute;gie d&rsquo;&eacute;criture et c&rsquo;est pourquoi nous tenons &agrave; focaliser l&rsquo;attention sur un aspect stylistique des relations de voyage&nbsp;&ndash;&nbsp;l&rsquo;inclusion des langues &eacute;trang&egrave;res&nbsp;&ndash;&nbsp;plut&ocirc;t que de le traiter comme une th&eacute;matique relative aux imaginaires associ&eacute;s &agrave; l&rsquo;exotisme antillais&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>.</p> <p>Les relations de voyage de l&rsquo;&eacute;tablissement fran&ccedil;ais aux Antilles constituent un corpus mineur dans la litt&eacute;rature viatique du XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. Elles connaissent une p&eacute;riode de publication assez intense apr&egrave;s la fin de la Guerre de Trente ans, jusqu&rsquo;au r&eacute;tablissement de la politique coloniale par Colbert, soit entre 1650 et 1670, et sont presque exclusivement r&eacute;dig&eacute;es par des missionnaires. Nous examinerons les plus grandes publications de cette p&eacute;riode&nbsp;:&nbsp;<em>Histoire g&eacute;n&eacute;rale des Antilles habit&eacute;es par les Fran&ccedil;ois</em>&nbsp;(1654 et 1667-71) du dominicain Jean-Baptiste Du Tertre, qui s&eacute;journa aux &icirc;les entre 1640 et 1658&nbsp;;&nbsp;<em>Histoire naturelle et morale des &icirc;les Antilles de l&rsquo;Am&eacute;rique</em>&nbsp;(1658) du protestant Charles de Rochefort, dont les dates exactes du s&eacute;jour aux Antilles sont difficiles &agrave; d&eacute;terminer&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>&nbsp;;&nbsp;<em>Les Desseins de son Eminence de Richelieu pour l&rsquo;Am&eacute;rique</em>&nbsp;(1659) d&rsquo;un autre dominicain, Andr&eacute; Chevillard, qui fut en Guadeloupe en 1648&nbsp;; et finalement&nbsp;<em>Voyage de la France &eacute;quinoxiale en l&rsquo;isle de la Cayenne, entrepris par les Fran&ccedil;ois en MDCLII</em>&nbsp;(1664) par le cur&eacute; Antoine Biet&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>. Les Antilles ne sont plus nouvelles pour ces voyageurs&nbsp;: ils avaient d&eacute;j&agrave; pr&eacute;par&eacute; leurs s&eacute;jours en lisant les comptes rendus des voyageurs ant&eacute;rieurs, espagnols notamment, et en &eacute;tudiant les cartes. Leurs r&eacute;cits participent au projet plus vaste de la colonisation, mais les missionnaires ne partagent pas toujours la politique des compagnies, des propri&eacute;taires, des colons ou de la couronne, ce qui fait que des int&eacute;r&ecirc;ts concurrents se manifestent parfois dans l&rsquo;&eacute;criture. Ces aspects, parmi d&rsquo;autres, contribuent &agrave; rendre ces textes particuli&egrave;rement int&eacute;ressants pour interroger l&rsquo;exotisme&nbsp;: ces livres ne racontent pas une rencontre avec l&rsquo;&eacute;tranger issue d&rsquo;un premier &eacute;change, mais ils s&rsquo;inscrivent dans les complications de l&rsquo;histoire coloniale et de ses repr&eacute;sentations. Ce contexte influence leur &eacute;criture. Comme il s&rsquo;agit plut&ocirc;t d&rsquo;une r&eacute;&eacute;criture ou de la poursuite de voyages ant&eacute;rieurs, l&rsquo;inclusion des langues &eacute;trang&egrave;res dans les &eacute;crits, par exemple, ne devrait plus continuer &agrave; &ecirc;tre utilis&eacute;e en remplacement de mots fran&ccedil;ais lorsqu&rsquo;ils manquent pour d&eacute;crire la r&eacute;alit&eacute; lointaine&nbsp;&ndash;&nbsp;d&egrave;s lors que, pr&eacute;cis&eacute;ment, ces mots ne manquent plus. Le fait que les &laquo;&nbsp;relateurs&nbsp;&raquo; emploient, voire amplifient, cette strat&eacute;gie d&rsquo;&eacute;criture&nbsp;&ndash;&nbsp;puisqu&rsquo;ils citent &eacute;galement des personnes, surtout des autochtones, parlant des langues &eacute;trang&egrave;res&nbsp;&ndash; invite donc &agrave; une interrogation. Cette derni&egrave;re ne concerne pas le fait que cette strat&eacute;gie d&rsquo;&eacute;criture renvoie &agrave; quelque alt&eacute;rit&eacute; &eacute;chappant &agrave; la plume du voyageur. C&rsquo;est la mani&egrave;re dont les textes n&eacute;gocient la place de l&rsquo;&eacute;tranget&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;crit qui retient ici l&rsquo;attention. Comme le sugg&egrave;re Michel de Certeau, il &laquo;&nbsp;faut s&rsquo;interroger sur la citation de l&rsquo;autre dans le discours historiographique lui-m&ecirc;me&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p>Nous commencerons notre &eacute;tude par une discussion de ce que nous percevons comme un &eacute;cart entre une tendance &agrave; voir l&rsquo;exotisme comme une r&eacute;duction discursive ou comme une expression de la pr&eacute;sence de l&rsquo;&eacute;tranger. Afin de sortir de cette impasse, nous en tenterons une re-conceptualisation&nbsp;: la mani&egrave;re dont ces citations de l&rsquo;autre sont inscrites dans les relations des Antilles sugg&egrave;re que l&rsquo;exotisme fonctionne comme un site textuel o&ugrave; peuvent se d&eacute;ployer des transferts culturels complexes. Cela nous m&egrave;nera &agrave; analyser, dans la derni&egrave;re partie, quelques exemples de notre corpus pour illustrer &agrave; quel point les langues &eacute;trang&egrave;res sont int&eacute;gr&eacute;es dans la narration tout en faisant &eacute;merger la diff&eacute;rence.</p> <h2>1. L&rsquo;exotisme&nbsp;: pr&eacute;sence, violence ou espace de n&eacute;gociation&nbsp;?<br /> &nbsp;</h2> <p>L&rsquo;exotisme du d&eacute;but de la modernit&eacute; est surtout con&ccedil;u par rapport aux objets &eacute;trangers, soit les curiosit&eacute;s&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>. Pour vanter leurs propres voyages aupr&egrave;s des hommes puissants susceptibles de soutenir la mission et l&rsquo;&eacute;tablissement des colonies, les missionnaires d&eacute;crivent et collectionnent les pierres pr&eacute;cieuses, les plantes, les coquilles et d&rsquo;autres objets dignes de susciter un int&eacute;r&ecirc;t. Pour n&rsquo;en citer qu&rsquo;un exemple, Du Tertre raconte comment il attrape des colibris qu&rsquo;il fait s&eacute;cher pour les ramener en France. L&rsquo;exotisme y est alors reli&eacute; &agrave; une mat&eacute;rialit&eacute; et non pas aux grands paysages sublimes ou pittoresques destin&eacute;s &agrave; avoir un effet sur le lecteur. Toutefois, l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment que l&rsquo;on associe le plus avec l&rsquo;exotisme antillais, &agrave; savoir l&rsquo;autochtone, ne figure pas parmi les &eacute;vocations textuelles des collections faites dans les &icirc;les. Les relations de l&rsquo;&eacute;tablissement, c&rsquo;est-&agrave;-dire de la p&eacute;riode o&ugrave; il y avait toujours une population am&eacute;rindienne dans les &icirc;les fran&ccedil;aises, racontent seulement la collecte des objets relatifs &agrave; la colonisation, qui pourraient apporter de la richesse ou du savoir. Ce n&rsquo;est qu&rsquo;au moment o&ugrave; les habitants fran&ccedil;ais ne c&ocirc;toient plus que tr&egrave;s peu les Am&eacute;rindiens, &agrave; partir de la fin du XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, que l&rsquo;on peut noter que le p&egrave;re Labat fait un voyage &agrave; la Dominique dans l&rsquo;objectif explicite de visiter les autochtones et y ach&egrave;te des souvenirs qu&rsquo;il ram&egrave;ne en France&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>. Or, si la collecte des choses am&eacute;rindiennes est &eacute;trangement absente de notre corpus, elle est pr&eacute;sente dans les r&eacute;cits sous forme d&rsquo;un autre type de mat&eacute;rialit&eacute;, celle du langage. Chacun des relateurs raconte avec plus ou moins de d&eacute;tails le travail du missionnaire dominicain Raymond Breton, qui r&eacute;sida parmi les Am&eacute;rindiens &agrave; la Dominique pendant douze ans et r&eacute;digea un dictionnaire&nbsp;<em>Fran&ccedil;ois-Cara&iuml;be,</em>&nbsp;publi&eacute; &agrave; Paris en 1665&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>. Certains d&rsquo;entre eux avaient acc&egrave;s &agrave; ses notes, qui leur permettaient d&rsquo;inclure dans leurs narrations des mots en ta&iuml;no&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>&nbsp;sans avoir une connaissance profonde de cette langue. Guid&eacute;s par le savoir linguistique de Breton, ils rajoutent par exemple &agrave; la toponymie europ&eacute;enne des &icirc;les, les noms locaux donn&eacute;s par les Am&eacute;rindiens et transcrits en fran&ccedil;ais. De plus, une grande partie des noms des animaux et de la v&eacute;g&eacute;tation est donn&eacute;e en langue vernaculaire. &Agrave; cela s&rsquo;ajoutent les paroles m&ecirc;mes des Am&eacute;rindiens, rapport&eacute;es en discours direct.</p> <p>Les relateurs recourent ainsi &agrave; une multitude de strat&eacute;gies pour inscrire ces objets linguistiques exotiques dans leurs textes. &Agrave; cet &eacute;gard, il est int&eacute;ressant de noter que la recherche semble conclure que toutes ces formes d&rsquo;int&eacute;gration d&rsquo;autres langues ont un objectif commun&nbsp;: faire en sorte que l&rsquo;&eacute;tranger fasse impression. Se pla&ccedil;ant dans la situation d&rsquo;un lecteur au milieu du XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, Mich&egrave;le Duchet indique que&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Ces sauvages qu&rsquo;on peut voir et toucher, avec un dialogue si possible, donnent l&rsquo;illusion d&rsquo;un contact humain, d&rsquo;une familiarit&eacute; dont aucune lecture ne fournit l&rsquo;&eacute;quivalent. Dans les livres, n&rsquo;aimera-t-on pas surtout ce qui cr&eacute;e l&rsquo;illusion d&rsquo;une pr&eacute;sence&nbsp;: les harangues, les sentences, les traits de bravoure ou de cruaut&eacute;, tout ce qui donne &agrave; l&rsquo;homme sauvage une chance d&rsquo;exister et d&rsquo;entrer dans un monde de relations et d&rsquo;&eacute;changes, situ&eacute; &agrave; la fois en marge de son propre monde et en marge du monde des civilis&eacute;s&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>&nbsp;?</p> </blockquote> <p>L&rsquo;hypoth&egrave;se serait que le lecteur s&rsquo;attende &agrave; ce que l&rsquo;exotisme lui apporte l&rsquo;&eacute;tranger par le biais d&rsquo;une oralit&eacute; authentique transpos&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;crit et dont les formes, souvent emprunt&eacute;es &agrave; un imaginaire de l&rsquo;&eacute;pop&eacute;e, sont donn&eacute;es &agrave; l&rsquo;avance. Et bien que les inclusions de la toponymie locale ou des noms de plantes et d&rsquo;animaux n&rsquo;&eacute;manent pas d&rsquo;une voix narrative, l&rsquo;effet recherch&eacute; par cette strat&eacute;gie de repr&eacute;sentation est le m&ecirc;me&nbsp;: il s&rsquo;agit de faire sonner la langue &eacute;trang&egrave;re pour le plaisir du lecteur. Toutes ces d&eacute;nominations en langue vernaculaire cr&eacute;ent par leur assemblage un espace dans le r&eacute;cit permettant au lecteur de se plonger momentan&eacute;ment dans l&rsquo;ailleurs lointain&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>.</p> <p>La langue &eacute;trang&egrave;re rev&ecirc;t une puissance &eacute;vocatrice puisqu&rsquo;elle brise le courant narratif. Dans son analyse des dictionnaires fran&ccedil;ais-cara&iuml;be du XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, Odile Gannier sugg&egrave;re que la parole de l&rsquo;autre peut m&ecirc;me porter tout un monde &eacute;tranger vers le public europ&eacute;en, &laquo;&nbsp;de sorte que les civilisations indiennes apparaissent v&eacute;ritablement sous les yeux du lecteur [&hellip;]&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>&nbsp;&raquo;. Une id&eacute;e semblable revient chez R&eacute;al Ouellet, qui voit dans l&rsquo;insertion des langues &eacute;trang&egrave;res l&rsquo;un des traits de la litt&eacute;rarit&eacute; de la relation de voyage. Il s&rsquo;agit &agrave; la fois d&rsquo;un effet de r&eacute;el et d&rsquo;une dramatisation de cette relation, dans la mesure o&ugrave; cette insertion donne &agrave; l&rsquo;anecdote viatique &laquo;&nbsp;la vibration du v&eacute;cu et l&rsquo;attrait de la curiosit&eacute; exotique&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>&nbsp;&raquo;. Tout en constituant le voyageur&nbsp;comme un personnage comp&eacute;tent qui sait ma&icirc;triser la langue et l&rsquo;espace &eacute;trangers, l&rsquo;introduction dans le texte d&rsquo;une parole et d&rsquo;une langue autre ram&egrave;nerait le monde exotique devant les yeux du lecteur. C&rsquo;est aussi la conclusion de Jean-Michel Racault, qui pr&eacute;cise que l&rsquo;effet produit est notamment li&eacute; &agrave; l&rsquo;usage du style direct&nbsp;: on cite l&rsquo;autre et par l&rsquo;&eacute;mergence de sa voix, il est transf&eacute;r&eacute; au monde du lecteur&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>. La parole de l&rsquo;Am&eacute;rindien semble donc s&rsquo;adresser directement &agrave; l&rsquo;imagination du lecteur europ&eacute;en, pour que celui-ci puisse projeter une image de ce qu&rsquo;est l&rsquo;&eacute;tranger &agrave; partir des graph&egrave;mes pr&eacute;sents sur la page, graph&egrave;mes qu&rsquo;il tentera peut-&ecirc;tre m&ecirc;me de prononcer &agrave; haute voix, suscitant une &eacute;tranget&eacute; audible. Selon ces analyses, les langues inscrites dans le r&eacute;cit de voyage produisent de l&rsquo;exotisme, en rendant pr&eacute;sent le monde am&eacute;rindien comme un objet de cette sorte. Et cet objet se d&eacute;finit par sa diff&eacute;rence par rapport non seulement au texte fran&ccedil;ais, mais aussi au contexte de sa r&eacute;ception.</p> <p>Interrogeant les pr&eacute;misses de cette conclusion, d&rsquo;autres chercheurs ont mis en question les proc&eacute;d&eacute;s qui soutiendraient un tel transfert. D&rsquo;apr&egrave;s cette perspective, la citation impliquerait forc&eacute;ment une prise de possession d&rsquo;un &eacute;nonc&eacute; &eacute;tranger, traduit de l&rsquo;oralit&eacute; en langue autochtone &agrave; l&rsquo;&eacute;crit en fran&ccedil;ais. Cela conduirait &agrave; une double ali&eacute;nation et une double agression contre le sujet qui est ainsi cit&eacute;. En effet, selon Dominique Bertrand, &laquo;&nbsp;Traduite, la langue de l&rsquo;autre s&rsquo;offrait dans une transparence pragmatique, le code des &eacute;quivalences inscrit dans le dictionnaire annulant l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>&nbsp;&raquo;. Poursuivant une argumentation analogue, Eni Orlandi arrive &agrave; la conclusion que les relations de voyage proc&egrave;dent par une &laquo;&nbsp;d&eacute;naturation radicale des langues &ldquo;sauvages&rdquo;&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>&nbsp;&raquo;. Int&eacute;gr&eacute; dans le texte en fran&ccedil;ais, le mot exotique n&rsquo;a plus rien &agrave; voir avec son contexte d&rsquo;origine. Le voyageur cite l&rsquo;autre comme une illusion de son langage r&eacute;el, ce qui m&egrave;ne Isabelle Moreau et Gr&eacute;goire Holtz &agrave; parler d&rsquo;une &laquo;&nbsp;d&eacute;possession de l&rsquo;&eacute;nonciation&nbsp;&raquo;, le relateur construisant son discours sur &laquo;&nbsp;un vol de voix&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>&nbsp;&raquo;. Pour que l&rsquo;&eacute;tranger soit &laquo;&nbsp;comestible&nbsp;&raquo; pour le lecteur, le narrateur le modifie et le d&eacute;nature, faisant de lui un personnage fictif, st&eacute;r&eacute;otyp&eacute;. De ce point de vue, le langage autre se pr&eacute;sente comme une mat&eacute;rialit&eacute; mall&eacute;able, et non comme un marqueur de diff&eacute;rences. L&rsquo;exotisme serait la cat&eacute;gorie employ&eacute;e pour saisir une production discursive de l&rsquo;&eacute;tranger, d&eacute;termin&eacute;e par la posture&nbsp;<em>a priori</em>&nbsp;sup&eacute;rieure du voyageur europ&eacute;en par rapport au monde et au peuple qu&rsquo;il d&eacute;crit. On aboutit ainsi &agrave; y voir un discours ornemental qui ne produit que la projection de l&rsquo;observateur et du lecteur, renvoyant &agrave; un vide r&eacute;f&eacute;rentiel&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>. Ce serait un discours colonial qui, contrairement &agrave; l&rsquo;orientalisme selon la d&eacute;finition d&rsquo;Edward Said, lequel renvoie aussi &agrave; un corps de doctrines et de pratiques de domination&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>, op&egrave;rerait enti&egrave;rement dans le fantasm&eacute;.</p> <p>Force est de constater que l&agrave; o&ugrave; certains consid&egrave;rent que la parole de l&rsquo;autre est d&eacute;natur&eacute;e &agrave; travers son inscription dans le texte, d&rsquo;autres voient dans la m&ecirc;me modalit&eacute; une expression de sa pr&eacute;sence dans le r&eacute;cit. Cela explique peut-&ecirc;tre le sentiment de perte qui semble traverser la plupart des analyses de l&rsquo;exotisme. &laquo;&nbsp;L&rsquo;op&eacute;ration scriptuaire, qui produit, pr&eacute;serve, cultive des &ldquo;v&eacute;rit&eacute;s&rdquo; non p&eacute;rissables,&nbsp;&raquo; &eacute;crit de Certeau, &laquo;&nbsp;s&rsquo;articule sur une rumeur de paroles &eacute;vanouies aussit&ocirc;t qu&rsquo;&eacute;nonc&eacute;es, donc perdues &agrave; jamais. Une &ldquo;perte&rdquo; irr&eacute;parable est la trace de ces paroles dans les textes dont elles sont l&rsquo;objet. C&rsquo;est ainsi que semble s<em>&rsquo;&eacute;crire</em>&nbsp;une relation &agrave; l&rsquo;autre&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>&nbsp;&raquo;. Vol&eacute;, d&eacute;natur&eacute; ou bien &eacute;cho fid&egrave;le de la parole de l&rsquo;autre, le cit&eacute; est suppos&eacute; renvoyer &agrave; une r&eacute;alit&eacute; existante (le mot d&eacute;note la chose) ou bien l&rsquo;oblit&eacute;rer (le mot d&eacute;nature la chose, qui est perdue &agrave; jamais). Ainsi, appara&icirc;t en filigrane un lien entre ceux qui entendent critiquer l&rsquo;exotisme (ne voyant en lui qu&rsquo;une illusion, une projection du m&ecirc;me) et ceux qui per&ccedil;oivent dans son expression des traces d&rsquo;une &laquo;&nbsp;vraie&nbsp;&raquo; alt&eacute;rit&eacute;. Ces approches se basent finalement toutes deux sur une certaine nostalgie, qui est peut-&ecirc;tre elle-m&ecirc;me empreinte d&rsquo;une forme d&rsquo;exotisme. L&rsquo;&eacute;tranger ne peut s&rsquo;inscrire dans le texte que sous forme de fragment&nbsp;; il doit devenir&nbsp;<em>disjecta membra,</em>&nbsp;tout en s&rsquo;int&eacute;grant dans une structure textuelle globale qui le soumet &agrave; une domestication&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>. Si le mot &eacute;tranger pouvait ramener au lecteur une simplicit&eacute; qui en quelque sorte fonctionnerait comme le miroir tendu aux contr&eacute;es lointaines qu&rsquo;il &eacute;voque, ce transfert linguistique se r&eacute;aliserait dans l&rsquo;espace d&rsquo;un &eacute;cart. Puisque le lecteur ne peut pas voir ou toucher l&rsquo;&eacute;tranger, les mots en langue locale servent de suppl&eacute;ment&nbsp;: les sons exotiques ont plut&ocirc;t un pouvoir de connotation et non pas un pouvoir de d&eacute;notation. Ils s&rsquo;&eacute;loignent de tout (con)texte pour flotter dans l&rsquo;espace d&eacute;j&agrave; bien rempli de l&rsquo;imagination.</p> <p>Sans contester ces lectures &ndash; l&rsquo;exotisme est effectivement un discours dont il faut se m&eacute;fier&nbsp;&ndash;&nbsp;on peut noter que, dans les deux cas, l&rsquo;argument prend comme point de d&eacute;part la r&eacute;ception et non pas l&rsquo;&eacute;criture. Le voyageur est surtout int&eacute;ressant comme &eacute;crivain cherchant &agrave; plaire ou &agrave; informer, tandis que ce qui se produit &agrave; la rencontre des pays et des peuples &eacute;trangers est secondaire, toujours cach&eacute; sous les couches de la repr&eacute;sentation qu&rsquo;il en donne. Que se passe-il si l&rsquo;on change la perspective et si l&rsquo;on voit dans l&rsquo;exotisme une op&eacute;ration de n&eacute;gociation entre une exp&eacute;rience v&eacute;cue ailleurs et la mise en r&eacute;cit&nbsp;? En d&rsquo;autres termes, nous proposons d&rsquo;envisager la mat&eacute;rialit&eacute; linguistique non pas comme&nbsp;<em>disjecta membra</em>, mais comme une diff&eacute;rence qui s&rsquo;&eacute;crit tout en cr&eacute;ant des liens.</p> <h2>2. Sc&eacute;nographies de la parole de l&rsquo;&eacute;tranger<br /> &nbsp;</h2> <p>L&rsquo;inclusion des langues &eacute;trang&egrave;res recouvre plusieurs m&eacute;diations jusqu&rsquo;au point o&ugrave; il devient impossible de toujours localiser sa source. Quoi qu&rsquo;il en soit, il s&rsquo;agit sans exception d&rsquo;une transcription de l&rsquo;oral &agrave; l&rsquo;&eacute;crit qui s&rsquo;effectue sur un fond incertain&nbsp;: les circonstances entourant la traduction sont rarement explicit&eacute;es dans le texte. Le sujet m&ecirc;me des &eacute;nonciations cit&eacute;es est souvent impossible &agrave; identifier&nbsp;; la plupart du temps ce sont des mots sans voix. Sans pr&eacute;tendre &agrave; l&rsquo;exhaustivit&eacute;, nous avons n&eacute;anmoins pu d&eacute;celer au sein du corpus indiqu&eacute; en introduction quelques variantes de l&rsquo;insertion du discours de l&rsquo;autre, en commen&ccedil;ant par celle des mots en langue vernaculaire dans le texte &eacute;crit en fran&ccedil;ais. Ces derniers ne sont pas nombreux et ils appartiennent presque tous &agrave; deux cat&eacute;gories&nbsp;: les termes toponymiques et ceux relevant de l&rsquo;histoire naturelle et morale, d&eacute;notant des plantes et des animaux ou bien des pratiques culturelles qui n&rsquo;existent pas en Europe. Cette fa&ccedil;on de ponctuer le texte avec des mots &eacute;trangers est un ph&eacute;nom&egrave;ne temporaire, m&ecirc;me dans la litt&eacute;rature viatique&nbsp;<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>. Encore faut-il noter qu&rsquo;il est rare que le relateur en introduise un nouveau. Et quand cela arrive, il n&rsquo;est question que d&rsquo;un lexique restreint. Les m&ecirc;mes mots exotiques circulent alors d&rsquo;une relation l&rsquo;autre et ceux comme&nbsp;<em>roucou</em>,&nbsp;<em>hamac</em>,&nbsp;<em>boucan</em>,&nbsp;<em>ananas</em>&nbsp;sont d&eacute;j&agrave; assez connus &agrave; l&rsquo;&eacute;poque. De plus, les termes indig&egrave;nes sont comme ensevelis dans des p&eacute;riphrases explicatives redondantes&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les Sauvages disent&hellip;&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Ils appellent en leur langue&hellip;&nbsp;&raquo; &Agrave; la fin du XVII<sup>e&nbsp;</sup>si&egrave;cle, les voyageurs &agrave; destination des &icirc;les ne citent pratiquement plus aucun mot en langue autochtone. Dans&nbsp;<em>Nouveau voyage aux Isles de l&rsquo;Am&eacute;rique&nbsp;</em>du dominicain Jean-Baptiste Labat, la formule &laquo;&nbsp;Les Espagnols l&rsquo;appellent&hellip;&nbsp;&raquo; est plus courante que l&rsquo;&eacute;quivalent autochtone. Ce silence refl&egrave;te l&rsquo;histoire&nbsp;: les Am&eacute;rindiens ne disent plus rien pour la simple raison qu&rsquo;ils sont chass&eacute;s de leurs &icirc;les et ne constituent plus des partenaires d&rsquo;&eacute;change ou de conflit.</p> <p>On voit donc que les formules g&eacute;n&eacute;riques qui entourent la parole de l&rsquo;autre ne servent pas &agrave; mettre en valeur quelque pr&eacute;sence exotique. Les mots vernaculaires tranchent certainement avec le fran&ccedil;ais, mais ils sont souvent d&eacute;j&agrave; connus et ils sont toujours encadr&eacute;s, de telle sorte que le choc potentiel de leur lecture est estomp&eacute;. Ce n&rsquo;est pas par hasard que de Certeau d&eacute;ploie tout un champ lexical relatif &agrave; la sc&eacute;nographie lorsqu&rsquo;il soul&egrave;ve la probl&eacute;matique de la citation de l&rsquo;autre, &agrave; partir de sa lecture du voyage au Br&eacute;sil de Jean de L&eacute;ry (1534-1613). Cette sc&eacute;nographie concerne tant&ocirc;t le tableau de l&rsquo;oralit&eacute;, tant&ocirc;t la sc&egrave;ne du dire, comme si l&rsquo;inclusion du discours de l&rsquo;autre requ&eacute;rait un dispositif pour &ecirc;tre effectu&eacute;e ou comme si la mani&egrave;re dont est pr&eacute;sent&eacute; l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment &eacute;tranger vocal se faisait l&rsquo;&eacute;cho d&rsquo;une certaine conception contemporaine de l&rsquo;exotisme, li&eacute;e au pittoresque. Le dictionnaire de l&rsquo;Acad&eacute;mie de 1762 note que pittoresque se dit &laquo;&nbsp;de la disposition des objets&nbsp;; attitude des figures que le peintre croit favorable &agrave; l&rsquo;expression&nbsp;<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>&nbsp;&raquo;. On ne frappe pas par l&rsquo;&eacute;tranget&eacute; seule, tout d&eacute;pend de la mani&egrave;re dont elle est expos&eacute;e et de la sc&egrave;ne o&ugrave; elle l&rsquo;est. Ce qui nous int&eacute;resse surtout, c&rsquo;est que cette observation permet de repenser le statut de l&rsquo;inclusion des langues &eacute;trang&egrave;res. Dans la mesure o&ugrave; elle est toujours introduite au sein d&rsquo;un dispositif, la parole &eacute;trang&egrave;re ne se constitue pas comme une voix, renvoyant &agrave; un sujet parlant ou &agrave; une conscience. Au lieu d&rsquo;envisager ces textes sous l&rsquo;angle de la polyphonie ou du dialogisme, il convient ici d&rsquo;&eacute;voquer ce que Rainier Grutman appelle &laquo;&nbsp;h&eacute;t&eacute;rolinguisme&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire une textualisation des langues&nbsp;<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>. Cela recouvre un proc&eacute;d&eacute; profond&eacute;ment litt&eacute;raire qui produit une multiplicit&eacute; de langues tout en jouissant d&rsquo;une certaine libert&eacute; vis-&agrave;-vis de celles qui sont r&eacute;ellement parl&eacute;es. Les strat&eacute;gies d&rsquo;&eacute;criture employ&eacute;es par les relateurs, qui intercalent les mots vernaculaires et recourent aux anecdotes pour dramatiser les &eacute;changes, constituent autant de &laquo;&nbsp;sc&eacute;nographies d&rsquo;&eacute;nonciation&nbsp;&raquo; qui rendent possible le surgissement de la parole de l&rsquo;autre&nbsp;<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>.</p> <p>Ce ne sont donc gu&egrave;re ces mots seuls en tant que&nbsp;<em>disjecta membra</em>&nbsp;qui produisent un effet d&rsquo;&eacute;tranget&eacute;. Bien au contraire, c&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment le proc&eacute;d&eacute; de textualisation du multilinguisme qui m&eacute;diatise cette &eacute;tranget&eacute;, op&eacute;rant ainsi comme un processus d&rsquo;int&eacute;gration, sans l&rsquo;effacer, de la diff&eacute;rence. En effet, on remarque parfois que ce ne sont pas seulement les mots en langue locale qui figurent cet exotisme linguistique, mais aussi ceux qui &eacute;chappent aux relateurs. En certains endroits, face &agrave; une plante ou un ph&eacute;nom&egrave;ne compliqu&eacute; &agrave; capter, le voyageur n&rsquo;arrive pas &agrave; trouver le mot vernaculaire correspondant et se voit oblig&eacute; de gloser. Par exemple, le p&egrave;re Du Tertre doit recourir &agrave; des paraphrases assez longues puisqu&rsquo;il n&rsquo;a jamais compris comment les Am&eacute;rindiens nomment une plante&nbsp;: &laquo;&nbsp;D&rsquo;une plante dont les femmes Sauvages se servent pour estre fecondes&nbsp;&raquo;. Il lui arrive aussi d&rsquo;utiliser un nom transcrit du ta&iuml;no, &laquo;&nbsp;herbes &agrave; fl&egrave;ches&nbsp;&raquo;, pour d&eacute;signer une plante qu&rsquo;il a du mal &agrave; identifier. Bien qu&rsquo;&eacute;voqu&eacute;e bri&egrave;vement, l&rsquo;absence du nom introduit une parenth&egrave;se dans la narration, laissant entrevoir l&rsquo;ab&icirc;me de la communication tout en pr&eacute;sentant un &eacute;change qui a r&eacute;ellement eu lieu. L&rsquo;exotique &eacute;chappe &agrave; toute saisie, mais le texte capte tout de m&ecirc;me l&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;une rencontre avec l&rsquo;&eacute;tranger.</p> <p>L&rsquo;importance de la sc&eacute;nographie se manifeste justement par la quantit&eacute; de sc&egrave;nes d&rsquo;&eacute;change incluses dans les relations de voyage. Ces sc&egrave;nes, qui sont plus ou moins fictionnalis&eacute;es, sont beaucoup plus nombreuses que les mentions du vocabulaire local, ce qui confirme que la pr&eacute;sence langagi&egrave;re survient moins par les mots exotiques que par une certaine forme th&eacute;&acirc;trale de textualisation des langues. La premi&egrave;re de ces variantes correspond &agrave; ce que l&rsquo;on peut appeler la parole en translation, qui correspond &agrave; une parole fictionnelle et dont la traduction reste implicite. Dans ces cas, la sc&egrave;ne est peupl&eacute;e des personnages, presque exclusivement des vieillards ou des enfants, souvent pris dans une situation qui &eacute;voque la piti&eacute;. Ainsi, au d&eacute;but de l&rsquo;<em>Histoire naturelle et morale des Antilles de l&rsquo;Am&eacute;rique</em>, le protestant Rochefort veut mettre en valeur la douceur du climat et la richesse des terres aux &icirc;les et les compare avec la Nouvelle France en peignant une sc&egrave;ne cens&eacute;e faire effet&nbsp;:</p> <blockquote> <p>[Les &icirc;les] sont bien differentes de ces pa&iuml;s de la nouvelle France, ou les pauvres sauvages ont tant de peine &agrave; trouver leur nourriture, que leurs enfans en sortant le matin de la Cabanne, &amp; eus au milieu de la campagne o&ugrave; ils font leur chaffe, ont accoutum&eacute; de crier &agrave; haute voix,&nbsp;<em>Venez Tatous, venez Castors, venez Orignacs</em>, appellant ainsi au secours de leurs necessit&eacute;, ces animaus, qui ne se presentent pas &agrave; eus si souvent qu&rsquo;ils en auroient besoin&nbsp;<a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a>.</p> </blockquote> <p>Tout au long de son ouvrage, Rochefort d&eacute;veloppe cette th&eacute;matique des rapports entre les autochtones insulaires et ceux de la terre ferme de l&rsquo;Am&eacute;rique du Sud aussi bien que du Nord. La sc&egrave;ne que nous venons de citer n&rsquo;est donc pas anodine. Elle appartient en effet &agrave; la d&eacute;marche comparatiste sur laquelle se d&eacute;veloppe l&rsquo;ouvrage, qui consiste en l&rsquo;&eacute;tablissement d&rsquo;analogies entre &eacute;trangers. Le discours des enfants ci-dessus est enti&egrave;rement fictionnalis&eacute; et ins&eacute;r&eacute; dans une disposition qui renforce l&rsquo;expression. Des &eacute;l&eacute;ments exotiques sont pr&eacute;sents, notamment les animaux typiques de la r&eacute;gion, mais c&rsquo;est la sc&egrave;ne qui cr&eacute;e l&rsquo;effet&nbsp;: les vastes &eacute;tendues o&ugrave; le gibier est rare, puis le cri de ces jeunes affam&eacute;s et, surtout, l&rsquo;&eacute;chec attendu. Ce genre de discours est toujours tenu par un personnage pittoresque avant la lettre, puisqu&rsquo;il est inscrit dans une situation pr&eacute;cise, et joue sur l&rsquo;identification avec le lecteur. L&rsquo;&eacute;motion centrale qu&rsquo;il s&rsquo;agit de susciter dans cette sc&egrave;ne est la piti&eacute; et non la menace.</p> <p>Il existe aussi une variante proche de cette translation fictionnalis&eacute;e, que l&rsquo;on peut nommer la voix en traduction tronqu&eacute;e. Dans ce cas, les Am&eacute;rindiens parlent un langage d&eacute;natur&eacute;, simplifi&eacute; du fran&ccedil;ais et teint&eacute; d&rsquo;espagnol, comme une sorte de cr&eacute;ole primitif que les relateurs appellent &laquo;&nbsp;leur baragouin&nbsp;&raquo;. L&agrave; encore les formules se r&eacute;p&egrave;tent&nbsp;:&nbsp;<em>France mouche fasche</em>&nbsp;ou bien&nbsp;<em>France matt&eacute; Karib</em>,&nbsp;<em>Moy bonne Cara&iuml;be</em>. Elles sont courtes et simples et infantilisent le sujet &eacute;nonciateur, de nouveau dans le but d&rsquo;&eacute;veiller la piti&eacute; chez le lecteur tout en renvoyant &agrave; une certaine id&eacute;e st&eacute;r&eacute;otyp&eacute;e du primitif. Cette traduction tronqu&eacute;e est utilis&eacute;e dans le compte rendu d&rsquo;&eacute;changes &eacute;conomiques ou verbaux avec les Fran&ccedil;ais, aussi bien que dans celui des discours associ&eacute;s aux rites de bienvenue ou d&rsquo;adieu. Elle est aussi perceptible dans des situations un peu plus tendues, comme les &eacute;changes d&rsquo;otage ou les &eacute;pisodes de cannibalisme. Il en va de m&ecirc;me dans les passages o&ugrave; l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; est traduit en un fran&ccedil;ais &eacute;l&eacute;mentaire mais correct. Ici encore la parole de l&rsquo;autre est presque toujours courte et, surtout, simple, comme lorsque Rochefort parle du d&eacute;go&ucirc;t que l&rsquo;Am&eacute;rindien a du sel&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Et quand ils voyent nos gens en user, ils leur disent, par une compassion digne de compassion,&nbsp;<em>Compere, tu te fais mourir&nbsp;</em><a href="#_ftn29" name="_ftnref29">[29]</a>.&nbsp;&raquo; Cette variante de textualisation est aussi commune dans les passages qui d&eacute;crivent comment les Am&eacute;rindiens communiquent entre eux dans des situations pr&eacute;cises &ndash; bien que toutes les relations affirment qu&rsquo;ils tiennent de longs discours et n&rsquo;interrompent jamais celui qui parle. Au lieu de citer ces discours dans leur int&eacute;gralit&eacute;, les auteurs recourent &agrave; la sc&eacute;nographie pour mieux int&eacute;grer dans le r&eacute;cit la fa&ccedil;on de parler des natifs.</p> <p>L&rsquo;usage d&rsquo;un dispositif pour inscrire l&rsquo;&eacute;tranget&eacute; est encore plus patent dans les sections dialogu&eacute;es. La variante qui nous int&eacute;resse ici, et qui servira de dernier exemple, est une sorte de combinaison des pr&eacute;c&eacute;dentes&nbsp;: la citation parall&egrave;le. Il s&rsquo;agit l&agrave; des transcriptions de l&rsquo;oralit&eacute; autochtone, traduite ensuite en un fran&ccedil;ais basique. L&rsquo;exemple le plus int&eacute;ressant provient des &eacute;crits d&rsquo;Andr&eacute; Chevillard, qui construit toute sa relation sur une telle disposition. Il cite les Am&eacute;rindiens dans des sc&egrave;nes qui concernent autant l&rsquo;activit&eacute; missionnaire (notamment l&rsquo;instruction et la conversion) que les pratiques culturelles des autochtones. Le lecteur entend parler de petits Am&eacute;rindiens qui&nbsp;:</p> <blockquote> <p>t&eacute;moignent de se r&eacute;jou&iuml;r du futur festin de l&rsquo;esclave ennemy, repetans &agrave; toutes rencontres ces mots&nbsp;:&nbsp;<em>Icao&uuml;a libel&eacute; lixabals;&nbsp;</em>c&rsquo;est &agrave; dire&nbsp;<em>Celuy l&agrave; est n&ocirc;tre Boucan!</em>&nbsp;&raquo; ou bien des Am&eacute;rindiens qui prient dans leur langue les missionnaires de les baptiser&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>Si ancai&eacute; bohatinan Baba binal&eacute; bouca etinan bon&eacute; loachout baptiz&eacute;</em>, voulant dire<em>&nbsp;Vous vous mocquez de moy mon Pere il y a long temps que ie vous presse de me baptiser ; helas! ayez piti&eacute; de moy, pauvre Cara&iuml;be, car i&rsquo;ay l&rsquo;ame sur les l&eacute;vres&nbsp;</em><a href="#_ftn30" name="_ftnref30">[30]</a>.</p> </blockquote> <p>On retrouve ici &agrave; la fois un ingr&eacute;dient clef de l&rsquo;exotisme am&eacute;ricain, &agrave; savoir le cannibalisme, et l&rsquo;assimilation &agrave; la culture europ&eacute;enne par le biais de la religion. La phrase en langue vernaculaire est ainsi envelopp&eacute;e dans un imaginaire bien &eacute;tabli. Chez d&rsquo;autres relateurs, la citation en parall&egrave;le intervient comme une forme d&rsquo;instruction au voyage. Cela appara&icirc;t par exemple dans une s&eacute;quence de la relation d&rsquo;Antoine Biet, qui illustre une sc&egrave;ne rituelle d&rsquo;accueil tout en incluant un dialogue o&ugrave; les deux langues sont utilis&eacute;es en parall&egrave;le&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Quand ils [les Am&eacute;rindiens] ont reconnu que ce Navire est de leurs amis, ils viennent dans leurs Canots d&rsquo;un cost&eacute; &amp; d&rsquo;autre aborder ce Vaisseau. Le Capitaine les prie de monter, ils le font, sans se faire beaucoup importuner. On les fait entrer dans la chambre de poupe, o&ugrave; estant assis le Capitaine leur presente &agrave; boire de l&rsquo;eau de vie, de laquelle ils sont fort amateurs. Ils ne quittent point la partie qu&rsquo;ils ne soient saouls. Pendant cela le Capitaine leur parle en leur langue, s&rsquo;il la s&ccedil;ait, ou par un Truchement.</p> <p>Les Indiens demandent&nbsp;<em>Et&eacute;bogu&eacute; erebo nabo&uuml;i&nbsp;?</em>&nbsp;cela veut dire,&nbsp;<em>Qu&rsquo;est-tu venu faire icy&nbsp;?</em></p> <p>L&rsquo;Estranger r&eacute;pond,&nbsp;<em>Aou amor&eacute; cen&eacute; nobou&iuml;</em>, cela veut dire,&nbsp;<em>ie te suis venu voir</em>.</p> <p>L&rsquo;Indien,&nbsp;<em>Otonom&eacute;</em>, pourquoy&nbsp;?</p> <p>L&rsquo;Estranger,&nbsp;<em>Galibi banar&eacute; Francici</em>, les Galibis sont amis des Fran&ccedil;ois,&nbsp;<em>Galibi iroupa</em>, les Galibis sont bons.</p> <p>Le Capitaine du Navire luy dit&nbsp;: Veux-tu boire de l&rsquo;eau de vie&nbsp;?&nbsp;<em>amor&eacute; brandevin sineri ic&eacute;&nbsp;?</em></p> <p>L&rsquo;Indien r&eacute;pond&nbsp;:&nbsp;<em>terr&eacute; auo ic&eacute;</em>, o&uuml;y ie veux boire.</p> <p>Le Capitaine dit&nbsp;: Ie veux achepter des licts de cotton,&nbsp;<em>auo cibegat acado amor&eacute;.</em></p> <p>L&rsquo;Indien, Ie viendray demain avec mon pere, ie t&rsquo;en apporteray beacoup,&nbsp;<em>auo coropo nobo&uuml;i aconom&eacute; baba, aou mencho&uuml;i amor&eacute; tapo&uuml;im&eacute;</em>.</p> <p>Apporte-moy des poules, du cerf, des Ananas,&nbsp;<em>aou m&eacute;n&eacute;bo&uuml;i, corotogo, couchari, anana&iuml;</em>.</p> <p>Celuy-l&agrave; t&rsquo;en apportera,&nbsp;<em>moc&eacute; m&eacute;n&eacute;bo&uuml;i amor&eacute;</em>, ou bien&nbsp;<em>moc&eacute; cay&eacute;</em>.</p> <p>Comment s&rsquo;appelle cela&nbsp;?&nbsp;<em>est&eacute;t&eacute; moc&eacute;</em>&nbsp;ou&nbsp;<em>ini.</em></p> <p>Cela s&rsquo;appelle du cerf, une poule,&nbsp;<em>et&eacute;t&eacute; couchari, cotogo&nbsp;</em><a href="#_ftn31" name="_ftnref31">31]</a><em>.</em></p> </blockquote> <p>Au fur et &agrave; mesure que le lecteur est introduit dans cet &eacute;change litt&eacute;ralement mis en sc&egrave;ne, les marqueurs d&rsquo;&eacute;nonciation disparaissent et le dialogue continue encore quelques lignes. Les paroles sont distribu&eacute;es selon un certain dispositif&nbsp;: l&rsquo;accueil sur le vaisseau, les premi&egrave;res phrases, l&rsquo;invitation &agrave; boire, la n&eacute;gociation puis un &eacute;change linguistique (&laquo;&nbsp;comment s&rsquo;appelle cela&nbsp;?&nbsp;&raquo;). Quelques pages plus loin, le lecteur trouve d&rsquo;ailleurs &agrave; sa disposition un vocabulaire caribe. Si, dans les cas pr&eacute;c&eacute;dents, la sc&eacute;nographie fait en sorte que le r&eacute;cit factuel du voyage tende vers la litt&eacute;rature, cet exemple montre au contraire comment cette derni&egrave;re sert aussi &agrave; la figuration d&rsquo;un certain savoir sur l&rsquo;autre. De nouveau, il n&rsquo;est pas question de reproduire une image de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, mais de textualiser les paroles. Les langues en jeux dans la relation de voyage donnent ainsi &agrave; voir une tension entre l&rsquo;exp&eacute;rience r&eacute;elle de la rencontre avec l&rsquo;ailleurs et l&rsquo;&eacute;criture.</p> <p>La recension des diff&eacute;rentes modalit&eacute;s d&rsquo;inclusion des langues &eacute;trang&egrave;res pr&eacute;sent&eacute;e ici est loin d&rsquo;&ecirc;tre compl&egrave;te. Elle suffit pourtant &agrave; d&eacute;montrer qu&rsquo;un exotisme du XVII<sup>e&nbsp;</sup>si&egrave;cle ne proc&egrave;de pas seulement en ciblant des objets. Plus que le mot en soi, c&rsquo;est la sc&eacute;nographie rendant possible l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; qui produit l&rsquo;effet d&rsquo;&eacute;tranget&eacute;. Plut&ocirc;t que de la percevoir comme une &laquo;&nbsp;pr&eacute;sence exotique&nbsp;&raquo;, l&rsquo;importance du dispositif montre que la diff&eacute;rence que repr&eacute;sente le discours de l&rsquo;autre est sujette &agrave; n&eacute;gociation selon le placement de ce discours dans l&rsquo;ensemble du r&eacute;cit. L&rsquo;insertion de ces mots autres comporte plusieurs dimensions. Elle se construit effectivement sur un &laquo;&nbsp;vol de voix&nbsp;&raquo;, mais ce pillage linguistique fait aussi entendre l&rsquo;&eacute;cho de l&rsquo;&eacute;tranger. &Agrave; cet &eacute;gard, la textualisation du langage de l&rsquo;autre m&eacute;diatise une relation entre l&rsquo;ici et l&rsquo;ailleurs. Surtout, elle s&rsquo;inscrit dans un ensemble discursif plus large qui d&eacute;passe la seule fonction d&eacute;notative et m&ecirc;me connotative.</p> <p>Curieusement, l&rsquo;exotisme du d&eacute;but de la modernit&eacute; semble donner lieu &agrave; une pratique d&rsquo;&eacute;criture relationnelle qui rappelle la r&eacute;-interrogation du concept propos&eacute;e par la litt&eacute;rature francophone d&rsquo;aujourd&rsquo;hui. Charles Forsdick d&eacute;montre &agrave; juste titre comment certains auteurs des anciennes colonies fran&ccedil;aises, s&rsquo;appuyant sur Victor Segalen, y voient un concept relatif, posant un rapport entre le sujet et le monde, entre le m&ecirc;me et l&rsquo;autre. C&rsquo;est un embrayeur (<em>shifter</em>)&nbsp;<a href="#_ftn32" name="_ftnref32">[32]</a>&nbsp;qui ne se limite pas &agrave; une op&eacute;ration de domestication de l&rsquo;&eacute;tranget&eacute;, car il mobilise dans l&rsquo;&eacute;criture une probl&eacute;matisation du rapport au monde et recouvre diff&eacute;rentes strat&eacute;gies pour dire l&rsquo;&eacute;tranger&nbsp;<a href="#_ftn33" name="_ftnref33">[33]</a>. Le philosophe martiniquais Ren&eacute; M&eacute;nil sugg&egrave;re qu&rsquo;il &laquo;&nbsp;r&eacute;sulte d&rsquo;un certain type de relation humaine&nbsp;&raquo;, et on pourrait ajouter qu&rsquo;il d&eacute;coule d&rsquo;un certain type de rapport au monde&nbsp;<a href="#_ftn34" name="_ftnref34">[34]</a>. Des auteurs comme M&eacute;nil et, plus tard, &Eacute;douard Glissant, refusent de limiter l&rsquo;exotisme &agrave; son paradigme colonial. Proc&eacute;dant &agrave; un d&eacute;tournement de regards, l&rsquo;exotisme leur permet d&rsquo;examiner celui qu&rsquo;ils portent sur eux-m&ecirc;mes, trop souvent d&eacute;termin&eacute; par l&rsquo;&oelig;il de l&rsquo;autre, ainsi que de le retourner vers le colon. Cette strat&eacute;gie de d&eacute;tournement a conduit &agrave; ce que le concept d&rsquo;exotisme soit (re)devenu h&eacute;t&eacute;rog&egrave;ne (&laquo;&nbsp;<em>unimagined spaces of heterogeneity</em>&nbsp;&raquo; selon Forsdick), pointant simultan&eacute;ment dans plusieurs directions, m&eacute;diatisant des relations interculturelles ou transculturelles ainsi qu&rsquo;un rapport entre l&rsquo;homme et le monde&nbsp;<a href="#_ftn35" name="_ftnref35">[35]</a>.</p> <p>Les langages autres se pr&eacute;sentent justement &agrave; l&rsquo;analyse comme une mani&egrave;re de saisir, dans les relations de voyage, ces &laquo;&nbsp;lieux d&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; inconcevables&nbsp;&raquo;, qui peuvent &ecirc;tre lus &agrave; la fois comme des signes d&rsquo;une pr&eacute;sence exotique et comme une domestication de l&rsquo;&eacute;tranger. Quelle que soit son imbrication dans un projet d&rsquo;&eacute;tablissement colonial, comme dans le cas de ces r&eacute;cits missionnaires des Antilles, l&rsquo;exotisme peut en effet servir comme terme utilis&eacute; pour concevoir les mises en sc&egrave;ne de diff&eacute;rences toujours n&eacute;gociables et sujettes &agrave; transformations. Sans nier la part de pouvoir impliqu&eacute;e dans la repr&eacute;sentation exotisante, cette approche permet d&rsquo;envisager le concept au-del&agrave; de la singularisation (nostalgique) de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; et de la lecture purement discursive, qui n&rsquo;y voit qu&rsquo;une projection du m&ecirc;me. L&rsquo;exotisme sous-tend le rapport de pouvoir imbriqu&eacute; dans l&rsquo;&eacute;criture de voyage en m&ecirc;me temps qu&rsquo;il r&eacute;sume en quelque sorte la mani&egrave;re dont on n&eacute;gocie la diff&eacute;rence culturelle, ce qui explique pourquoi il reste central pour toute tentative de penser les relations transculturelles.</p> <h2><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h2> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;Cet article a &eacute;t&eacute; r&eacute;alis&eacute; avec le soutien de la Fondation su&eacute;doise pour la recherche en humanit&eacute;s [<a href="http://www.rj.se/">www.rj.se</a>].</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;Vincenette Maigne, &laquo;&nbsp;Exotisme&nbsp;: &eacute;volution en diachronie du mot et de son champ s&eacute;mantique&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>Exotisme et cr&eacute;ation. Actes du Colloque International (Lyon 1983)</em>, Roland Antonioli (dir.), Lyon, Herm&egrave;s, 1985, p.&nbsp;9-16.</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;Voir &agrave; ce sujet Gilbert Chinard,&nbsp;<em>L&rsquo;Am&eacute;rique et le r&ecirc;ve exotique dans la litt&eacute;rature fran&ccedil;aise au XVII<sup>e</sup>&nbsp;et au XVIII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle</em>, Paris,&nbsp;Hachette, 1913&nbsp;; Gilbert Chinard,&nbsp;<em>L&rsquo;Exotisme am&eacute;ricain dans la litt&eacute;rature fran&ccedil;aise au XVI<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle</em>, Paris, 1911.</p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;Marie-Christine Gomez-G&eacute;raud,&nbsp;<em>&Eacute;crire le voyage au XVI<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle en France</em>, Paris, Presses universitaires de France, 2000, p.&nbsp;9. Pour satisfaire un public toujours plus s&eacute;duit par l&rsquo;Orient, on imprime en France &laquo;&nbsp;deux fois plus de livres sur les Turcs et l&rsquo;Empire turc, que sur l&rsquo;Am&eacute;rique&nbsp;&raquo;, p. 10. Henri-Jean Martin confirme que l&rsquo;Orient demeure la source d&rsquo;inspiration principale de l&rsquo;imaginaire du lointain au XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle. V.&nbsp;<em>Livre, pouvoirs et soci&eacute;t&eacute; &agrave; Paris au XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle (1598-1701)</em>, Gen&egrave;ve, Droz, 1969, p.&nbsp;207.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;Beno&icirc;t Roux, &laquo;&nbsp;Le Pasteur Charles de Rochefort et l&rsquo;<em>Histoire naturelle et morale des &icirc;les Antilles de l&rsquo;Am&eacute;rique</em>&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>Les Indiens des Petites Antilles. Des Premiers peuplements aux d&eacute;buts de la colonisation europ&eacute;enne</em>, Bernard Grunberg (dir.), Paris, L&rsquo;Harmattan, 2011, p.&nbsp;175-216.</p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;Antoine Biet,&nbsp;<em>Voyage de la France &eacute;quinoxiale en l&rsquo;isle de la Cayenne, entrepris par les Fran&ccedil;ois en MDCLII</em>, Paris, Clouzier, 1664&nbsp;; Andr&eacute; Chevillard,&nbsp;<em>Les Desseins de son Eminence de Richelieu pour l&rsquo;Am&eacute;rique&nbsp;</em>[1659], Basse-Terre, Soci&eacute;t&eacute; d&rsquo;histoire de la Guadeloupe, 1973&nbsp;;&nbsp;Jean-Baptiste Du Tertre,&nbsp;<em>Histoire g&eacute;n&eacute;rale des</em>&nbsp;<em>Antilles habit&eacute;es par les Fran&ccedil;ois, divis&eacute;e en deux tomes, et enrichie de cartes et de figures</em>, Paris, Thomas Jolly, 1667&nbsp;; Charles de Rochefort,&nbsp;<em>Histoire naturelle et morale des &icirc;les Antilles de l&rsquo;Am&eacute;rique</em>, Rotterdam, Arnould Leers, 1658.</p> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;Michel de Certeau,&nbsp;&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;criture de l&rsquo;histoire</em>, Paris, Biblioth&egrave;que des histoires, 1978.</p> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;Voir Frank Lestringant, &laquo;&nbsp;L&rsquo;exotisme en France &agrave; la Renaissance&nbsp;: de Rabelais &agrave; L&eacute;ry&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>Litt&eacute;rature et exotisme XVI<sup>e</sup>-XVIII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle</em>, Dominique de Courcelles (dir.), Paris, &Eacute;cole des chartes, 1997, p.&nbsp;5-16.</p> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a>&nbsp;Prenons l&rsquo;exemple du p&egrave;re Labat, qui r&eacute;sida &agrave; la Martinique entre 1695 et 1709 et alla &agrave; la Dominique dans l&rsquo;objectif d&rsquo;observer les Am&eacute;rindiens. Il pr&eacute;cise ses achats avant son d&eacute;part&nbsp;: &laquo;&nbsp;J&rsquo;avois fait une bonne provision d&rsquo;arcs de fl&egrave;ches, de boutons, de panniers, &amp; autres ustenciles de m&eacute;nage&nbsp;; &amp; j&rsquo;avois achet&eacute; un hamac de mariage qui estoit tr&egrave;s beau&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash;&nbsp;<em>Nouveau voyage aux Isles de l&rsquo;Am&eacute;rique</em>, Paris, 1722, tome iv, p.&nbsp;374.</p> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a>&nbsp;Raymond Breton,&nbsp;<em>Dictionnaire cara&iuml;be-fran&ccedil;ais&nbsp;</em>[1665], Paris, Karthala, 1999.</p> <p><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a>&nbsp;Le ta&iuml;no est une langue aujourd&rsquo;hui &eacute;teinte de la famille des langues arawaks, parl&eacute;e par des populations qui habitaient principalement dans les Bahamas et les Grandes Antilles.</p> <p><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a>&nbsp;Mich&egrave;le Duchet,&nbsp;<em>Anthropologie et histoire au si&egrave;cle des Lumi&egrave;res</em>, Paris, Maspero, 1971, p.&nbsp;42.</p> <p><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a>&nbsp;Voir la belle analyse de Sophie Linon Jenny, &laquo;&nbsp;L&rsquo;exotique dans les techniques d&rsquo;&eacute;critures de deux r&eacute;cits de voyages authentiques dans les Indes orientales&nbsp;:&nbsp;<em>Relation d&rsquo;un voyage des Indes orientales</em>, Delon (1685) et&nbsp;<em>Les Voyages aux isles Dauphine et Mascareine</em>, Dubois (1674)&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>L&rsquo;Exotisme</em>, Alain Buisine &amp; Norbert Dodille (dir.), Paris, Didier-&Eacute;rudition, 1988, p.&nbsp;94.</p> <p><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a>&nbsp;Odile Gannier, &laquo;&nbsp;Le tupi et le galibi sans peine&nbsp;: glossaires, manuels et cat&eacute;chismes &agrave; l&rsquo;usage des voyageurs et missionnaires (XVI<sup>e</sup>-XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cles)&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>&Eacute;chos des textes, &eacute;chos des voix. &Eacute;tude sur le dialogue, en hommage &agrave; B&eacute;atrice P&eacute;rigot</em>, Odile Gannier &amp; V&eacute;ronique Montagne (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2013, p.&nbsp;439-466.</p> <p><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a>&nbsp;R&eacute;al Ouellet,&nbsp;<em>La Relation de voyage en Am&eacute;rique (XVI<sup>e</sup>-XVIII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cles)</em>, Qu&eacute;bec, Presses de l&rsquo;universit&eacute; Laval, 2010, p.&nbsp;98.</p> <p><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a>&nbsp;Jean-Michel Racault, &laquo;&nbsp;Paroles sauvages&nbsp;: probl&egrave;mes du dialogue et repr&eacute;sentation de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; am&eacute;ricaine chez La Hontant&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>La France Am&eacute;rique (XV<sup>e</sup>-XVIII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cles)</em>, Frank Lestringant (dir.), Paris, Champion, 1998, p.&nbsp;434.</p> <p><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a>&nbsp;Bertrand Dominique, &laquo;&nbsp;Verbal et non-verbal dans les relations entre Europ&eacute;ens et Cara&iuml;bes&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>La France Am&eacute;rique (XV<sup>e</sup>-XVIII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cles)</em>, Frank Lestringant (dir.), Paris, Champion, 1998.</p> <p><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a>&nbsp;Eni Orlandi, &laquo;&nbsp;R&eacute;&eacute;dition du singulier. Un regard fran&ccedil;ais sur le Br&eacute;sil&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>L&rsquo;Inscription des langues dans les relations de voyage (XVI<sup>e</sup>-XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cles)</em>, Mich&egrave;le Duchet (dir.), ENS Fontenay/Saint-Cloud, 1992, p.&nbsp;102.</p> <p><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a>&nbsp;Isabelle Moureau &amp; Gr&eacute;goire Holtz,&nbsp;<em>&laquo;&nbsp;&ldquo;Parler librement&rdquo;: La libert&eacute; de parole au tournant du XVI<sup>e</sup>&nbsp;et du XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle</em>, Lyon, ENS &Eacute;ditions, 2005,&nbsp;<a href="http://books.openedition.org/enseditions/153">http://books.openedition.org/enseditions/153</a>, consult&eacute; le 22 janvier 2015, p.&nbsp;21 et p.&nbsp;3.</p> <p><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a>&nbsp;Voir Peter Mason,&nbsp;<em>Infelicities: Representations of the Exotic</em>, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1998. Voir aussi son article&nbsp;: &laquo;&nbsp;On Producing the (American) Exotic&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Anthropos</em>, vol. 91, 1996, p.&nbsp;139-151.</p> <p><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a>&nbsp;Edward Said,&nbsp;<em>Orientalism</em>, New York, Pantheon Books, 1978.</p> <p><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a>&nbsp;Michel De Certeau,&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;criture de l&rsquo;histoire</em>,&nbsp;<em>op.cit</em>., p.&nbsp;218.</p> <p><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a>&nbsp;R&eacute;al Ouellet, &laquo;&nbsp;Le statut du r&eacute;el dans la relation de voyage&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Litt&eacute;ratures classiques</em>, n<sup>o</sup>&nbsp;11, 1989. Cela fait &eacute;cho &agrave; ce que Sylvie Requemora-Gros identifie comme &eacute;tant caract&eacute;ristique de la relation de voyage &agrave; l&rsquo;&acirc;ge classique, qui prend souvent la forme d&rsquo;un puzzle, d&rsquo;un&nbsp;<em>patchwork</em>. Voir son livre&nbsp;<em>Voguer vers la modernit&eacute;&nbsp;: le voyage &agrave; travers les genres au XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle</em>, Paris, Presses de l&rsquo;Universit&eacute; Paris-Sorbonne, 2012, p.&nbsp;382.</p> <p><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a>&nbsp;Marie-Christine Pioffet,&nbsp;<em>La Tentation de l&rsquo;&eacute;pop&eacute;e dans les relations des J&eacute;suites</em>, Sillery, Septentrion, 1997, p.&nbsp;497.</p> <p><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a>&nbsp;<em>Dictionnaire de l&rsquo;Acad&eacute;mie fran&ccedil;aise, quatri&egrave;me &eacute;dition</em>&nbsp;,1762,&nbsp;<em>Dictionnaires d&rsquo;autrefois&nbsp;</em><a href="https://artfl.atilf.fr/cgi-bin/dico1look.pl?strippedhw=pittoresque&amp;dicoid=ACAD1762&amp;headword=&amp;dicoid=ACAD1762">https://artfl.atilf.fr/cgi-bin/dico1look.pl?strippedhw=pittoresque&amp;dicoid=ACAD1762&amp;headword=&amp;dicoid=ACAD1762</a>, consult&eacute; le 23/10/2017.</p> <p><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a>&nbsp;Rainier Grutman, &laquo;&nbsp;Langues &eacute;trang&egrave;res et savoir romantique&nbsp;: consid&eacute;rations pr&eacute;liminaires&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>TTR : traduction, terminologie, r&eacute;daction</em>, vol 9, n<sup>o</sup>&nbsp;1, 1996, p. 71-90.</p> <p><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a>&nbsp;Nous empruntons le terme de sc&eacute;nographie d&rsquo;&eacute;nonciation &agrave; Dominique Maingueneau,&nbsp;<em>Le Discours litt&eacute;raire. Paratopie et sc&egrave;ne d&rsquo;&eacute;nonciation</em>, Paris, A. Colin, 2004, p. 34.</p> <p><a href="#_ftnref28" name="_ftn28">[28]</a>&nbsp;Rochefort,&nbsp;<em>op.cit</em>., p.&nbsp;5.</p> <p><a href="#_ftnref29" name="_ftn29">[29]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;410.</p> <p><a href="#_ftnref30" name="_ftn30">[30]</a>&nbsp;Chevillard,&nbsp;<em>op. cit</em>., p.&nbsp;118.</p> <p><a href="#_ftnref31" name="_ftn31">[31]</a>&nbsp;Biet,&nbsp;<em>op.cit</em>., p.&nbsp;393.</p> <p><a href="#_ftnref32" name="_ftn32">[32]</a>&nbsp;Charles Forsdick, &laquo;&nbsp;Travelling Concepts&nbsp;: Postcolonial Approaches to Exoticism&nbsp;&raquo;&nbsp;<em>Paragraph</em>, vol. 24, n&deg;<sup>&nbsp;</sup>3, 2001, p.&nbsp;14. &laquo;&nbsp;Whereas in contemporary critical currency, the term [exoticism] has almost universally pejorative overtones and is restricted by its coupling to colonial discourse, close analysis reveals a need for a more nuanced understanding that encompasses the potential reflexivity or reciprocity within exoticism &raquo;. C&rsquo;est aussi ce que propose Ana&iuml;s Fl&eacute;chet dans un contexte fran&ccedil;ais. V. &laquo;&nbsp;L&rsquo;exotisme comme objet d&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Hypoth&egrave;ses</em>, n&deg;&nbsp;11, 2008, p.&nbsp;15-26.</p> <p><a href="#_ftnref33" name="_ftn33">[33]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p. 24. &laquo;&nbsp;The epithet &ldquo;exotic&rdquo; can operate as a shifter and [&hellip;] even exoticism itself as a form of radical otherness can accordingly function in phenomena such as cultural opacity transculturation and contrapunctual approaches to interculturality as a mode of resistance. &raquo;</p> <p><a href="#_ftnref34" name="_ftn34">[34]</a>&nbsp;Ren&eacute; M&eacute;nil, &laquo;&nbsp;De l&rsquo;exotisme colonial&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Antilles d&eacute;j&agrave; jadis, pr&eacute;c&eacute;d&eacute; de Trac&eacute;es</em>, Paris, Jean-Michel Place, 1999, p. 20&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il existe un exotisme fond&eacute; en nature et qui r&eacute;sulte d&rsquo;un certain type de relation humaine. Me voici en pays &eacute;tranger&nbsp;: d&eacute;pays&eacute;, je per&ccedil;ois les m&oelig;urs, les usages et les coutumes de l&rsquo;indig&egrave;ne comme pittoresques et marqu&eacute;s du signe de l&rsquo;&eacute;tranget&eacute;. Et comme la relation est r&eacute;ciproque, l&rsquo;indig&egrave;ne de ce pays aura de moi une vision inverse et pareille. Je suis pour lui &eacute;tranger comme il est pour moi &eacute;tranger&nbsp;: il a de moi une vision exotique et j&rsquo;ai de lui une vision exotique. Il n&rsquo;en peut &ecirc;tre autrement. [&hellip;] La vision exotique est une vue de l&rsquo;homme prise &ldquo;de l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute;&rdquo;, du dehors et par-dessus les fronti&egrave;res g&eacute;ographiques.&nbsp;&raquo;</p> <p><a href="#_ftnref35" name="_ftn35">[35]</a>&nbsp;Charles Forsdick, &laquo;&nbsp;Travelling Concepts&nbsp;&raquo;, art. cit., p. 21.</p> <h3>Auteur</h3> <p><strong>Christina Kullberg</strong>&nbsp;est ma&icirc;tre de conf&eacute;rences au D&eacute;partement de langues modernes &agrave; l&rsquo;universit&eacute; d&rsquo;Uppsala, Su&egrave;de. Parmi ses publications on trouve de nombreux articles sur la litt&eacute;rature antillaise contemporaine (Glissant, Cond&eacute;, Chamoiseau, Ina C&eacute;saire, Fanon, etc.) et sur les relations des missionnaires aux Antilles du d&eacute;but de la colonisation des &icirc;les, ainsi qu&rsquo;une monographie,&nbsp;<em>The Poetics of Ethnography in Martinican Narratives: Exploring the Self and the Environment</em>&nbsp;(University of Virginia Press, 2013). Elle travaille actuellement sur le projet &ldquo;Tropical Engagements&nbsp;: Voices in Early Modern Travel Writing to the Caribbean&rdquo;, soutenu par Fondation su&eacute;doise pour la recherche en humanit&eacute;s. Depuis 2016, elle fait partie du comit&eacute; d&rsquo;organisation du programme de recherche, &ldquo;Cosmopolitan and Vernacular Dynamics in World Literatures&rdquo; (<a href="http://www.worldlit.se/">www.worldlit.se</a>).</p> <h3><strong>Copyright</strong></h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>