<h3>Abstract</h3> <p>In his ethnological surveys&nbsp;&ndash;&nbsp;<em>Anthropologie</em>&nbsp;and&nbsp;<em>Si l&rsquo;enfant ne r&eacute;agit pas</em>&nbsp;(<em>Anthropology</em>&nbsp;and&nbsp;<em>If the child does not react</em>)&nbsp;&ndash;&nbsp;Eric Chauvier shares his field experience, meeting people that marginality made invisible. The anthropological considerations blend with the ethnologist&rsquo;s personal memories and his phenomenological observations&nbsp;&ndash;&nbsp;affects, impressions, feelings&nbsp;&ndash;&nbsp;turn into heuristic tools for his survey. The literary aspect of his surveys transforms the scientific approach and helps rethink the anthropological epistemology. It is a mean of refusing exoticism that threatens any approach to otherness, including those of social elsewhere. This article aims at reconsidering the frontier drawn between literature and anthropology in the light of Eric Chauvier&rsquo;s singular experience.</p> <h2>Keywords</h2> <p style="text-align: left;">literature, Eric Chauvier, ethnology, &nbsp;anthropology,&nbsp;fieldwork,&nbsp;phenomenology,&nbsp;social elsewhere</p> <p style="text-align: left;">&nbsp;</p> <p style="text-align: left;">&nbsp;</p> <blockquote> <p>J&rsquo;ignore si elle est encore en vie. J&rsquo;ignore comment elle a disparu. N&rsquo;ayant pas trouv&eacute; de donn&eacute;es tangibles &agrave; son sujet, pas de registres, pas d&rsquo;archives, pas m&ecirc;me de sources orales dignes de foi, je n&rsquo;ai abouti qu&rsquo;&agrave; des suppositions. [&hellip;] J&rsquo;ai d&rsquo;abord pens&eacute; que ceux qui la croisaient au quotidien &eacute;taient responsables&nbsp;: ceux qui ne la voyaient pas, ceux qui en parlaient sans la voir, ceux qui la voyaient sans en parler. Mais cette piste &eacute;tait incons&eacute;quente, parce qu&rsquo;elle recouvrait une hypoth&egrave;se que j&rsquo;ai mis du temps &agrave; reconna&icirc;tre et &agrave; accepter&nbsp;: la disparition de cette fille a &eacute;t&eacute; le fait de circonstances sur lesquelles j&rsquo;ai pes&eacute; d&rsquo;une fa&ccedil;on regrettable. Celles-ci, une fois avou&eacute;es, m&rsquo;ont oblig&eacute; &agrave; ne plus la chercher, mais &agrave; trouver les fa&ccedil;ons de la faire &laquo;&nbsp;r&eacute;appara&icirc;tre&nbsp;&raquo;, si bien que finalement l&rsquo;objet de l&rsquo;enqu&ecirc;te s&rsquo;est confondu avec l&rsquo;enqu&ecirc;te elle-m&ecirc;me&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>.</p> </blockquote> <p>Ces premi&egrave;res phrases d&rsquo;<em>Anthropologie</em>&nbsp;(2006) dessinent bien la particularit&eacute; des r&eacute;cits d&rsquo;enqu&ecirc;te d&rsquo;&Eacute;ric Chauvier, &agrave; mi-chemin entre ethnologie et &eacute;criture litt&eacute;raire. L&rsquo;auteur n&rsquo;explore pas un ailleurs g&eacute;ographique mais un ailleurs social, dont la diff&eacute;rence est d&eacute;rangeante parce qu&rsquo;elle est le produit de la mis&egrave;re d&rsquo;un pays qui n&rsquo;a rien d&rsquo;exotique justement&nbsp;: le n&ocirc;tre. &Agrave; l&rsquo;image de cette jeune fille rom disparue et que Chauvier recherche en vain dans&nbsp;<em>Anthropologie</em>, ces populations socialement d&eacute;class&eacute;es en France sont avant tout &agrave; la marge du langage, indicibles parce qu&rsquo;invisibles,<em>&nbsp;a priori</em>&nbsp;d&eacute;sincarn&eacute;es parce que sans voix. Comme les mots &eacute;chouent bien souvent &agrave; dire la diff&eacute;rence, il y a dans l&rsquo;anthropologie actuelle une survivance de l&rsquo;exotisme qu&rsquo;Alban Bensa d&eacute;plore dans&nbsp;<em>La Fin de l&rsquo;exotisme&nbsp;</em><a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Cet exotisme latent na&icirc;t, selon lui, de l&rsquo;&eacute;cart entre la pratique de terrain et la reprise th&eacute;orique &agrave; l&rsquo;&eacute;crit. L&rsquo;anthropologie est parfois consid&eacute;r&eacute;e comme une science purement objective alors qu&rsquo;elle se fonde sur un travail de terrain, exp&eacute;rience qui est n&eacute;cessairement celle d&rsquo;une subjectivit&eacute;.</p> <p>Cette distance prise avec l&rsquo;objectivisme provient d&rsquo;une longue remise en question de l&rsquo;anthropologie, amorc&eacute;e dans les ann&eacute;es 1970 aux &Eacute;tats-Unis, au sujet notamment de sa restitution &agrave; l&rsquo;&eacute;crit. Alors que Clifford Geertz avait d&eacute;j&agrave; point&eacute; l&rsquo;importance de l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;anthropologie&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>, la publication de l&rsquo;ouvrage collectif&nbsp;<em>Writing culture. The poetics and politics of ethnography&nbsp;</em><a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>&nbsp;en 1986, v&eacute;ritable rupture dans la discipline, est depuis consid&eacute;r&eacute;e comme le d&eacute;clencheur du tournant de la critique postmoderne. Plusieurs anthropologues influents outre-Atlantique, dont George Marcus, James Clifford et Paul Rabinow, proposaient dans ce recueil d&rsquo;articles de repenser en profondeur la fabrication des textes ethnographiques. Leur but &eacute;tait ainsi de mettre en lumi&egrave;re, pour les &eacute;viter, les facteurs ext&eacute;rieurs qui influent sur l&rsquo;&eacute;criture anthropologique et affectent la fiabilit&eacute; des r&eacute;sultats au retour des missions ethnographiques. Le livre de Johannes Fabian,&nbsp;<em>Time and the Other</em>, publi&eacute; en 1983, &eacute;galement porteur d&rsquo;une telle remise en question, trouve sa place dans ce renouveau m&eacute;thodologique. Il y rappelle qu&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;[&hellip;]&nbsp;il n&rsquo;y a pas de connaissance de l&rsquo;autre qui ne soit aussi un acte temporel, historique et politique&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>&nbsp;&raquo; et ram&egrave;ne ainsi le contexte de l&rsquo;enqu&ecirc;te&nbsp;<em>in situ</em>&nbsp;au centre du travail savant. Alors que la prise en compte de l&rsquo;exp&eacute;rience partag&eacute;e sur le terrain avec la population observ&eacute;e est primordiale pour &eacute;viter de la r&eacute;duire &agrave; une alt&eacute;rit&eacute; fabriqu&eacute;e de toutes pi&egrave;ces, Johannes Fabian constate que ce &laquo;&nbsp;temps partag&eacute;&nbsp;&raquo; dispara&icirc;t dans l&rsquo;&eacute;criture anthropologique savante. Il d&eacute;finit ce &laquo;&nbsp;d&eacute;ni de co-temporalit&eacute;&nbsp;&raquo; comme &laquo;&nbsp;une tendance persistante et syst&eacute;matique &agrave; placer le(s) r&eacute;f&eacute;rent(s) de l&rsquo;anthropologie dans un Temps autre que le pr&eacute;sent du producteur du discours anthropologique&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>&nbsp;&raquo;. En dehors de son questionnement rh&eacute;torique, le tournant critique a donc eu pour effet de centrer davantage la discipline sur sa part ethnographique et de favoriser la r&eacute;flexivit&eacute; du scientifique sur son propre rapport au terrain. &Eacute;ric Chauvier inscrit son ouvrage m&eacute;thodologique&nbsp;<em>Anthropologie de l&rsquo;ordinaire&nbsp;</em><a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>&nbsp;dans la continuit&eacute; de ces r&eacute;flexions, tout en consacrant une attention particuli&egrave;re aux situations de communication qui surviennent dans cette co-temporalit&eacute;. L&rsquo;importance donn&eacute;e &agrave; ce &laquo;&nbsp;temps partag&eacute;&nbsp;&raquo;, qu&rsquo;il appelle &laquo;&nbsp;l&rsquo;ordinaire&nbsp;&raquo; de l&rsquo;enqu&ecirc;te, red&eacute;finit sa posture d&rsquo;ethnologue&nbsp;:&nbsp;il se veut avant tout homme parmi les femmes et les hommes sur le terrain et s&rsquo;inclut dans l&rsquo;observation&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>.</p> <p>Cette d&eacute;marche est mise en &oelig;uvre dans les deux enqu&ecirc;tes qui nous int&eacute;ressent ici&nbsp;:&nbsp;<em>Anthropologie</em>&nbsp;et&nbsp;<em>Si l&rsquo;enfant ne r&eacute;agit pas</em><a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[ 9]</a>. La premi&egrave;re d&eacute;bute par le regard d&rsquo;une jeune fille rom mendiant &agrave; un carrefour&nbsp;: un regard &laquo;&nbsp;&agrave; la fois opaque et lumineux, [&hellip;] verrouill&eacute; et infiniment l&eacute;ger&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>&nbsp;&raquo; qui paralyse l&rsquo;auteur. Il d&eacute;crit ce trouble comme &laquo;&nbsp;une impression de familiarit&eacute; rompue&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>&nbsp;&raquo; tant il lui semble reconna&icirc;tre cette inconnue. La singularit&eacute; de ce ressenti l&rsquo;entra&icirc;ne dans la recherche vaine de cette jeune fille, recherche doubl&eacute;e d&rsquo;une traque minutieuse du langage, &agrave; contre-courant de l&rsquo;invisibilit&eacute; des marges sociales dont elle est issue. Le deuxi&egrave;me ouvrage&nbsp;<em>Si l&rsquo;enfant ne r&eacute;agit pas</em>, fait suite &agrave; une commande institutionnelle&nbsp;: &Eacute;ric Chauvier est amen&eacute; &agrave; observer le quotidien d&rsquo;un centre ferm&eacute; pour adolescents en grande difficult&eacute; sociale. Malgr&eacute; son souci de pr&eacute;server le s&eacute;rieux m&eacute;thodologique de son observation, il est bient&ocirc;t totalement boulevers&eacute; par la voix &laquo;&nbsp;d&eacute;saffect&eacute;e&nbsp;&raquo; d&rsquo;une pensionnaire. Cette voix fait &eacute;merger en lui une r&eacute;miniscence familiale&nbsp;: le souvenir douloureux et enfoui de la maladie de sa m&egrave;re.</p> <p>L&rsquo;ethnographie d&rsquo;&Eacute;ric Chauvier se d&eacute;tourne peu &agrave; peu du sujet observ&eacute; pour se transformer en une exploration &agrave; la fois psychologique et r&eacute;flexive. L&rsquo;objet de l&rsquo;enqu&ecirc;te devient l&rsquo;exp&eacute;rience du terrain&nbsp;&ndash;&nbsp;son v&eacute;cu et ses troubles&nbsp;&ndash;&nbsp;plut&ocirc;t que le terrain lui-m&ecirc;me&nbsp;&ndash;&nbsp;la mendicit&eacute; ou l&rsquo;institut pour adolescents. Ce retournement r&eacute;clame une narration litt&eacute;raire, affranchie des normes acad&eacute;miques, qui semble plus &agrave; m&ecirc;me de d&eacute;celer toutes les nuances du v&eacute;cu de l&rsquo;enqu&ecirc;te. Cela a valu &agrave; l&rsquo;auteur quelques critiques quant au s&eacute;rieux de sa d&eacute;marche scientifique. Ainsi, selon No&euml;l Jouenne, dans un article de la revue&nbsp;<em>L&rsquo;Homme</em>&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Le projet anthropologique repose ici sur un style litt&eacute;raire plut&ocirc;t que sur une d&eacute;marche construite sur la base d&rsquo;une histoire de la pens&eacute;e anthropologique. [&hellip;] Tr&egrave;s habilement, l&rsquo;auteur se d&eacute;douane d&rsquo;une ambition plus pragmatique qui serait, par exemple, d&rsquo;approfondir la connaissance d&rsquo;un domaine&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>.</p> </blockquote> <p>Cependant, il serait int&eacute;ressant, justement, d&rsquo;envisager les travaux d&rsquo;&Eacute;ric Chauvier comme une mani&egrave;re de repenser l&rsquo;&eacute;pist&eacute;mologie anthropologique sur un mode litt&eacute;raire, tant du point de vue de l&rsquo;&eacute;criture que de la pratique de terrain elle-m&ecirc;me. Cette dimension transforme la d&eacute;marche scientifique, en effet, et ne se limite pas &agrave; l&rsquo;aspect formel. &Eacute;ric Chauvier ne d&eacute;veloppe-t-il pas ce que l&rsquo;on pourrait appeler une pratique litt&eacute;raire de terrain dans la mesure o&ugrave; il semble &laquo;&nbsp;se donner&nbsp;&raquo; &agrave; l&rsquo;enqu&ecirc;te d&rsquo;une fa&ccedil;on visiblement peu acad&eacute;mique&nbsp;?</p> <p>Je me propose donc de r&eacute;interroger la fronti&egrave;re entre litt&eacute;rature et sciences sociales, et plus particuli&egrave;rement anthropologie, &agrave; la lumi&egrave;re des deux enqu&ecirc;tes d&rsquo;&Eacute;ric Chauvier. Si mon propos n&rsquo;a pas la pr&eacute;tention de juger la m&eacute;thode ethnographique actuelle dans son ensemble, il a en revanche vocation &agrave; &eacute;tudier la pratique singuli&egrave;re de l&rsquo;auteur pour comprendre comment la dimension litt&eacute;raire de son ethnologie permet de la d&eacute;gager &agrave; la fois de l&rsquo;objectivisme et de l&rsquo;inclination &agrave; l&rsquo;exotisme. J&rsquo;aborderai cette dimension litt&eacute;raire selon trois versants&nbsp;: la conception de l&rsquo;anthropologie chez &Eacute;ric Chauvier, sa posture d&rsquo;ethnologue et sa pratique du terrain.</p> <h2>1. L&rsquo;anthropologie selon &Eacute;ric Chauvier ou l&rsquo;anti-exotisme du langage<br /> &nbsp;</h2> <h3>1.1. L&rsquo;exotisme du langage scientifique</h3> <p>Selon la d&eacute;finition de Jean-Fran&ccedil;ois Staszak, l&rsquo;exotisme est avant tout le discours d&rsquo;une approche de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, une fa&ccedil;on d&rsquo;en rendre compte&nbsp;: &laquo;&nbsp;l&rsquo;exotisme n&rsquo;est jamais un fait, ni la caract&eacute;ristique d&rsquo;un objet&nbsp;: il n&rsquo;est qu&rsquo;un point de vue, un discours, un ensemble de valeurs et de repr&eacute;sentations &agrave; propos de quelque chose, quelque part ou quelqu&rsquo;un&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>.&nbsp;&raquo; Tout discours &eacute;tant socialement situ&eacute;&nbsp;&ndash;&nbsp;de par la langue, la culture, l&rsquo;origine sociale de l&rsquo;&eacute;nonciateur&nbsp;&ndash;&nbsp;l&rsquo;exotisme comme discours peut donc &ecirc;tre appr&eacute;hend&eacute; comme un regard surplombant qui suppose une hi&eacute;rarchie entre un dominant imposant son mode de communication et un domin&eacute; stigmatis&eacute; par le langage.</p> <p>L&rsquo;exotisme ne se r&eacute;duit pas &agrave; ces rapports de domination mais cette dimension permet de mettre en lumi&egrave;re une probl&eacute;matique li&eacute;e au langage. Dans la mesure o&ugrave; il r&eacute;sout l&rsquo;aller-retour entre l&rsquo;autre et moi-m&ecirc;me, &agrave; savoir entre un ailleurs, &eacute;trange et &eacute;tranger, et un ici int&eacute;rieur port&eacute; par des rep&egrave;res, le langage risque &agrave; tout moment de devenir exotique. Pour Alban Bensa, comme pour &Eacute;ric Chauvier, il persisterait un exotisme du langage, et plus particuli&egrave;rement un exotisme du langage scientifique de l&rsquo;anthropologie. Le discours anthropologique a pour objectif de rendre compte des r&eacute;sultats d&rsquo;une enqu&ecirc;te &agrave; ceux qui ne l&rsquo;ont pas v&eacute;cue. Or, s&rsquo;il est trop coup&eacute; du contexte du terrain, il peut s&rsquo;enfermer dans une artificialit&eacute; g&eacute;n&eacute;ralisante, certes plus propice &agrave; la communication mais plus &eacute;loign&eacute;e de la r&eacute;alit&eacute;.</p> <p>Par ailleurs, dans&nbsp;<em>Anthropologie de l&rsquo;ordinaire,</em>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier met en garde l&rsquo;ethnologue contre la dimension classificatoire du langage&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a><em>.</em>&nbsp;Il fait notamment r&eacute;f&eacute;rence aux travaux de Jeanne Favret-Saada&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>&nbsp;dont l&rsquo;exp&eacute;rience dans le bocage mayennais aupr&egrave;s de praticiens de la sorcellerie lui a permis justement de d&eacute;construire la sorcellerie comme cat&eacute;gorie. Le r&eacute;cit qu&rsquo;elle fait de l&rsquo;ordinaire de l&rsquo;enqu&ecirc;te, de ses anomalies, de son &eacute;tranget&eacute;, vient invalider le m&eacute;tadiscours acad&eacute;mique et proposer &agrave; la place &laquo;&nbsp;une th&eacute;orie analytique int&eacute;grant la communication avec ses observ&eacute;s&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>&nbsp;&raquo; dans un retour continuel aux d&eacute;tails v&eacute;cus&nbsp;<em>in situ</em>. En effet, &agrave; travers cette id&eacute;e d&rsquo;une persistance de l&rsquo;exotisme, il est possible de consid&eacute;rer que termes savants et images pittoresques fonctionnent sur le m&ecirc;me mode. Efficaces en ce qu&rsquo;ils frappent les yeux comme l&rsquo;esprit, les images pittoresque cr&eacute;ent un &laquo;&nbsp;d&eacute;j&agrave;-vu&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>&nbsp;&raquo; et les mots un d&eacute;j&agrave;-lu. Toujours selon Jean-Fran&ccedil;ois Staszak, le pittoresque est un processus de domestication de l&rsquo;&eacute;trange. Il permet de cadrer l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; pour la rendre plus rassurante comme le font la classification ou le langage th&eacute;orique. Quand de grands concepts font autorit&eacute;, ils aplanissent les asp&eacute;rit&eacute;s&nbsp;&ndash;&nbsp;anomalies et nuances&nbsp;&ndash;&nbsp;du terrain. &Eacute;ric Chauvier nomme cela &laquo;&nbsp;la psychopathologie du langage ordinaire&nbsp;&raquo; et en d&eacute;cline les diff&eacute;rentes formes dans&nbsp;<em>Les Mots sans les choses&nbsp;</em><a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>. De m&ecirc;me que l&rsquo;ouverture &agrave; l&rsquo;autre risque l&rsquo;enlisement exotique, l&rsquo;objectivit&eacute; scientifique peut se convertir en une th&eacute;orisation r&eacute;ductrice de l&rsquo;autre. &Eacute;ric Chauvier ne pr&eacute;tend pas r&eacute;volutionner sa discipline mais en recentrant le propos anthropologique sur sa source premi&egrave;re&nbsp;&ndash;&nbsp;l&rsquo;exp&eacute;rience du terrain et son r&eacute;cit&nbsp;&ndash;, comme d&rsquo;autres l&rsquo;ont fait avant lui, il propose une approche &eacute;pist&eacute;mologique diff&eacute;rente.</p> <p>Dans la lign&eacute;e des travaux de Clifford Geertz et James Clifford qui rappelaient tous les deux que l&rsquo;ethnographie est par d&eacute;finition une &laquo;&nbsp;mise &agrave; l&rsquo;&eacute;crit&nbsp;&raquo; et donc un r&eacute;cit construit, partial et partiel&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>, &Eacute;ric Chauvier souhaite faire de l&rsquo;incompl&eacute;tude inh&eacute;rente &agrave; toute enqu&ecirc;te de terrain le moteur de son travail de recherche. La singularit&eacute; du v&eacute;cu de l&rsquo;exp&eacute;rience, et particuli&egrave;rement ses incompr&eacute;hensions et ses &eacute;checs, sont donc sans cesse ramen&eacute;s au premier plan de son r&eacute;cit. Il est &eacute;vident que le terrain est pour tout ethnologue une exp&eacute;rience avant tout subjective dont il ne sort pas inchang&eacute;. Elle est si marquante qu&rsquo;elle donne lieu &agrave; ce que Vincent Debaene nomme un &laquo;&nbsp;deuxi&egrave;me livre&nbsp;&raquo;. Il constate ainsi dans&nbsp;<em>L&rsquo;Adieu au voyage</em>, que &laquo;&nbsp;presque tous les ethnographes fran&ccedil;ais qui sont partis sur le terrain avant 1939 ont &eacute;crit au retour non seulement une &eacute;tude savante sur la population aupr&egrave;s de laquelle ils avaient s&eacute;journ&eacute;, mais aussi tr&egrave;s souvent, un deuxi&egrave;me livre, un ouvrage plus &ldquo;litt&eacute;raire&rdquo;, en tout cas qui ne respectait pas la forme canonique de la monographie savante&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>&nbsp;&raquo;. S&rsquo;il s&rsquo;agissait l&agrave; d&rsquo;un regard r&eacute;trospectif, plus subjectif, sur l&rsquo;exp&eacute;rience de terrain, il n&rsquo;en est pas de m&ecirc;me de la pratique d&rsquo;&Eacute;ric Chauvier qui se nourrit du tournant postmoderne survenu plusieurs d&eacute;cennies apr&egrave;s la publication des deuxi&egrave;mes livres &eacute;tudi&eacute;s par Vincent Debaene. Il n&rsquo;y a, chez lui, qu&rsquo;un seul livre&nbsp;: le r&eacute;cit chronologique de ses enqu&ecirc;tes o&ugrave; chaque &eacute;chec est relat&eacute;, chaque malaise d&eacute;cortiqu&eacute;, dans la perspective m&ecirc;me du raisonnement anthropologique.</p> <p>Prenons pour premier exemple l&rsquo;ouvrage&nbsp;<em>Anthropologie</em>. L&rsquo;inqui&eacute;tante &eacute;tranget&eacute; du trouble ressenti en croisant le regard de cette jeune mendiante qu&rsquo;il appellera X, puis Ana, oriente l&rsquo;enqu&ecirc;te, lui donne un sens. Pourtant cette enqu&ecirc;te commence par un &eacute;chec d&eacute;guis&eacute;&nbsp;: &Eacute;ric Chauvier met en place une &laquo;&nbsp;installation&nbsp;&raquo; exp&eacute;rimentale, qu&rsquo;il nomme &laquo;&nbsp;jeu des postures&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>&nbsp;&raquo;. Il s&rsquo;arrange pour passer en voiture devant X, accompagn&eacute; chaque fois d&rsquo;une personne diff&eacute;rente, le but &eacute;tant d&rsquo;extirper un commentaire au sujet de X. Les r&eacute;actions tr&egrave;s diverses lui d&eacute;voilent les efforts d&eacute;ploy&eacute;s par chaque personne pour ne pas voir X et la mis&egrave;re qu&rsquo;elle incarne. En revanche, ce syst&egrave;me th&eacute;orique ne lui apprend rien sur ce qu&rsquo;il ressent&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Ainsi, j&rsquo;ai l&rsquo;impression qu&rsquo;en adoptant cette forme d&rsquo;observation indirecte, je suis moi-m&ecirc;me en train d&rsquo;&eacute;touffer la biographie de X&nbsp;&ndash;&nbsp;ce que, pr&eacute;cis&eacute;ment, je reproche &agrave; ceux qui participent &agrave; ces petites installations. [&hellip;] Le jeu des postures est lui-m&ecirc;me une posture, et pas la plus bienveillante &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de X&nbsp;; [&hellip;]. Ce programme est un leurre, une fuite devant la possibilit&eacute; d&rsquo;une rencontre qui s&rsquo;imposait mais que, par prudence ou par timidit&eacute;, je n&rsquo;ai pas os&eacute; provoquer&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>.</p> </blockquote> <p>&Eacute;ric Chauvier prend donc la d&eacute;cision de parler &agrave; X. Ironie du sort&nbsp;: c&rsquo;est au moment pr&eacute;cis o&ugrave; il d&eacute;cide d&rsquo;aller &agrave; sa rencontre qu&rsquo;elle devient introuvable. L&rsquo;auteur entreprend alors une longue et vaine recherche. Il s&rsquo;appuie sur le souvenir puissant du trouble ressenti sous le regard de X. Cette impression singuli&egrave;re devient le moteur de sa recherche, ce qu&rsquo;il appelle un &laquo;&nbsp;panel d&rsquo;impressions rares&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>&nbsp;&raquo; qui repousse sans cesse la menace du langage conventionnel ou scientifique. Menace concr&eacute;tis&eacute;e notamment par l&rsquo;hypoth&egrave;se d&rsquo;un ami qui constate&nbsp;: &laquo;&nbsp;Moi je pense que tu es amoureux de cette fille&nbsp;<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>.&nbsp;&raquo; Sid&eacute;ration de Chauvier dans un premier temps, &laquo;&nbsp;serais-je amoureux d&rsquo;Ana&nbsp;?&nbsp;&raquo;, suivie bient&ocirc;t par une longue r&eacute;flexion sur le mot &laquo;&nbsp;amoureux&nbsp;&raquo;, son pouvoir de s&eacute;duction de par le &laquo;&nbsp;hors-champ qu&rsquo;il sugg&egrave;re&nbsp;<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>&nbsp;&raquo;, la douceur et la facilit&eacute; de l&rsquo;explication qu&rsquo;il propose et bient&ocirc;t l&rsquo;&eacute;cueil qu&rsquo;il dissimule&nbsp;: ce mot devient&nbsp;court-circuit&nbsp;&agrave; la recherche, &laquo;&nbsp;couperet&nbsp;<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>&nbsp;&raquo;. Il est un exemple parfait de l&rsquo;exotisme du langage parce qu&rsquo;il enrobe le sens et porte une &eacute;vidence qui force l&rsquo;interpr&eacute;tation. Ce mot met en danger l&rsquo;impression rare en domestiquant l&rsquo;&eacute;tranget&eacute; au profit de la communication humaine&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Une fois admis que la contemplation d&rsquo;une familiarit&eacute; rompue ne peut se traduire dans l&rsquo;&eacute;vidence&nbsp;<em>a priori</em>&nbsp;du langage social, une fois admis qu&rsquo;elle est sans mot, sans voix, sans clart&eacute;, sans outil ad&eacute;quat [&hellip;] dans quelle mesure suis-je pr&ecirc;t &agrave; sacrifier la communication, c&rsquo;est-&agrave;-dire le mot &laquo;&nbsp;amoureux&nbsp;&raquo;, pour tenter autre chose&nbsp;<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>&nbsp;?</p> </blockquote> <p>Si ce livre ne nous offre pas une monographie de la communaut&eacute; rom, ni une analyse fouill&eacute;e de la mendicit&eacute;, il illustre, bien plus qu&rsquo;il ne glose, le pi&egrave;ge des mots pour les sciences humaines qui se pencheraient sur ces sujets.</p> <h3>1.2. Anthropologie et litt&eacute;rature, un objectif commun</h3> <p>La d&eacute;finition que donne &Eacute;ric Chauvier de l&rsquo;anthropologie dans cette &oelig;uvre est r&eacute;v&eacute;latrice de cet exotisme latent des mots&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ce que je nomme pour moi&nbsp;<em>anthropologie</em>, ce programme de recherche, cette ligne de conduite, con&ccedil;oit le langage comme un abus permanent produit&nbsp;<em>par</em>&nbsp;et&nbsp;<em>pour</em>&nbsp;la communication. L&rsquo;<em>anthropologie</em>&nbsp;d&eacute;joue&nbsp;<em>les pi&egrave;ges du langage&nbsp;</em><a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a><em>.</em>&nbsp;&raquo; Cette repr&eacute;sentation de l&rsquo;anthropologie est assimilable &agrave; celle qui pr&eacute;vaut g&eacute;n&eacute;ralement au sujet de la litt&eacute;rature&nbsp;: entreprendre les mots pour contourner la pauvret&eacute; de la communication humaine et d&eacute;passer l&rsquo;aporie du langage. &Eacute;ric Chauvier rejette donc l&rsquo;&eacute;criture conventionnelle et naturaliste d&rsquo;un monde-objet dont l&rsquo;objectivit&eacute; est illusoire, au profit d&rsquo;une &eacute;criture litt&eacute;raire capable de rendre compte d&rsquo;un monde-v&eacute;cu qui reposerait sur la transcription subjective de l&rsquo;enqu&ecirc;te de terrain. &laquo;&nbsp;Exprimer l&rsquo;ordinaire [de l&rsquo;enqu&ecirc;te] nous contraint effectivement &agrave; l&rsquo;inventivit&eacute; et &agrave; nous poser des probl&egrave;mes de mises en forme sp&eacute;cifiquement litt&eacute;raires&nbsp;<a href="#_ftn29" name="_ftnref29">[29]</a>&nbsp;&raquo;, remarque-t-il, et &laquo;&nbsp;c&rsquo;est en cela&nbsp;&ndash;&nbsp;dans cette&nbsp;<em>voix de v&eacute;rit&eacute;</em>&nbsp;&ndash;&nbsp;que l&rsquo;&eacute;crivain et l&rsquo;anthropologue partagent&nbsp;<em>une raison litt&eacute;raire&nbsp;</em><a href="#_ftn30" name="_ftnref30">[30]</a>&nbsp;&raquo;. Cependant, Chauvier borne ainsi le rapprochement entre ethnologue et &eacute;crivain au champ de l&rsquo;&eacute;criture et, ce faisant, il r&eacute;it&egrave;re la fronti&egrave;re conventionnelle entre eux&nbsp;: la litt&eacute;rature&nbsp;&ndash;&nbsp;par exemple celle de Proust qu&rsquo;il cite longuement&nbsp;&ndash;&nbsp;serait totalement d&eacute;volue &agrave; l&rsquo;&eacute;criture alors que l&rsquo;anthropologie con&ccedil;oit l&rsquo;&eacute;criture comme une technique de restitution d&rsquo;une v&eacute;rit&eacute; de l&rsquo;enqu&ecirc;te scientifique. Pourtant, la litt&eacute;rarit&eacute; que revendique Chauvier d&eacute;passe justement le seul moment de la mise en forme et intervient d&eacute;j&agrave; dans la pratique du terrain.</p> <h2>2. Repenser le lien entre l&rsquo;observateur, l&rsquo;observ&eacute; et le lecteur<br /> &nbsp;</h2> <h3>2.1. La domination symbolique de l&rsquo;observateur</h3> <p>Le risque exotique appara&icirc;t avant tout sur le terrain de l&rsquo;observation ethnographique. En effet, l&rsquo;histoire de la discipline montre que la m&eacute;thodologie de l&rsquo;enqu&ecirc;te a &eacute;volu&eacute; dans le sens d&rsquo;une remise en question de la posture de l&rsquo;ethnographe. C&rsquo;est particuli&egrave;rement le cas depuis les ann&eacute;es 1970, apr&egrave;s que de nombreux anthropologues ont renonc&eacute; aux &eacute;tudes exotiques et aux voyages suite &agrave; la d&eacute;colonisation. Or cette remise en question passe principalement par l&rsquo;&eacute;criture. James Clifford a ainsi montr&eacute; que la prise de conscience d&rsquo;un imp&eacute;rialisme anthropologique, puis son rejet, ont permis peu &agrave; peu une dilution de l&rsquo;autorit&eacute; monophonique de l&rsquo;auteur ethnographe dans les textes anthropologiques&nbsp;<a href="#_ftn31" name="_ftnref31">[31]</a>. En France, le d&eacute;veloppement de l&rsquo;ethnologie du territoire national a notamment port&eacute; l&rsquo;attention des chercheurs vers des zones marginalis&eacute;es, au risque de r&eacute;it&eacute;rer parfois les travers exotiques ou folkloristes&nbsp;<a href="#_ftn32" name="_ftnref32">[32]</a>. Dans ce contexte, les travaux de Jeanne Favret-Saada sur la sorcellerie dans le bocage mayennais ont boulevers&eacute; les habitudes ethnographiques. Elle montre, dans&nbsp;<em>Les Mots, la mort, les sorts&nbsp;</em><a href="#_ftn33" name="_ftnref33">[33]</a>, la n&eacute;cessit&eacute; pour l&rsquo;ethnographe de se laisser affecter par le terrain et l&rsquo;importance de rendre compte ensuite des conditions de la pratique de l&rsquo;enqu&ecirc;te. Florence Weber poursuit cette r&eacute;flexion en m&ecirc;lant ethnom&eacute;thodologie et ph&eacute;nom&eacute;nologie. Dans&nbsp;<em>Le Travail &agrave; c&ocirc;t&eacute;&nbsp;</em><a href="#_ftn34" name="_ftnref34">[34]</a>, elle estime aussi qu&rsquo;une phase d&rsquo;auto-analyse est indispensable, parce que traiter l&rsquo;ethnographe comme un enqu&ecirc;t&eacute; est la seule mani&egrave;re de d&eacute;samorcer son ethnocentrisme. C&rsquo;est dans cette m&ecirc;me perspective qu&rsquo;Alban Bensa rappelle que l&rsquo;ignorance des d&eacute;tails ethnographiques entra&icirc;ne l&rsquo;&eacute;mergence de &laquo;&nbsp;fictions exotiques&nbsp;<a href="#_ftn35" name="_ftnref35">[35]</a>&nbsp;&raquo; dans certains ouvrages de la discipline.</p> <p>Fortes de ce pass&eacute; &eacute;pist&eacute;mologique qui a totalement renvers&eacute; le regard de l&rsquo;ethnographe europ&eacute;en, les enqu&ecirc;tes d&rsquo;&Eacute;ric Chauvier ont justement la particularit&eacute; de mettre en sc&egrave;ne le chercheur au prise avec ces difficult&eacute;s m&eacute;thodologiques sur le terrain. En effet, dans&nbsp;<em>Si l&rsquo;enfant ne r&eacute;agit pas</em>, lors du repas partag&eacute; avec les adolescents qu&rsquo;il observe, &Eacute;ric Chauvier ne peut s&rsquo;emp&ecirc;cher de ressentir un certain d&eacute;go&ucirc;t&nbsp;: &laquo;&nbsp;je me vois dans le r&ocirc;le de ces grands bourgeois humanistes qui, mi-excit&eacute;s mi-r&eacute;volt&eacute;s, contemplent en circuits organis&eacute;s la mis&egrave;re pr&eacute;tendument exotique des tropiques. J&rsquo;&eacute;prouve une absolue r&eacute;pulsion pour le frisson qu&rsquo;ils ressentent et qui pimente leur vie&nbsp;<a href="#_ftn36" name="_ftnref36">[36]</a>.&nbsp;&raquo; D&rsquo;ailleurs, l&rsquo;enqu&ecirc;te commence mal &agrave; cause d&rsquo;une suite d&rsquo;erreurs&nbsp;: l&rsquo;auteur endosse tout de suite le r&ocirc;le de l&rsquo;observateur distant, puis justifie mal son activit&eacute; lorsqu&rsquo;on l&rsquo;interroge sur sa pr&eacute;sence et annote son carnet sans discr&eacute;tion. En se donnant ce statut de scientifique, il rend sa pr&eacute;sence fonctionnelle et se coupe de la r&eacute;alit&eacute; des adolescents. Ainsi prot&eacute;g&eacute; par sa posture de savant, il d&eacute;forme ses observations et se perd dans des interpr&eacute;tations h&acirc;tives. L&rsquo;ethnographe est tent&eacute; d&rsquo;empaqueter le r&eacute;el dans des &laquo;&nbsp;fictions th&eacute;oriques&nbsp;<a href="#_ftn37" name="_ftnref37">[37]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;; si cela peut lui procurer une assise au moment de l&rsquo;observation, ces mod&egrave;les conceptuels plaqu&eacute;s sur la r&eacute;alit&eacute; repr&eacute;sentent aussi un risque pour la qualit&eacute; de l&rsquo;enqu&ecirc;te. Les regards des jeunes gens vont vite le rappeler &agrave; l&rsquo;ordre&nbsp;: &laquo;&nbsp;je r&eacute;alise, avec un sentiment diffus de honte, que j&rsquo;ai sous-estim&eacute; leur capacit&eacute; &agrave; critiquer ma position&nbsp;<a href="#_ftn38" name="_ftnref38">[38]</a>&nbsp;&raquo;, avoue-t-il. En proc&eacute;dant ainsi, l&rsquo;auteur parvient &agrave; faire acc&eacute;der le lecteur &agrave; un autre niveau d&rsquo;analyse qui ne privil&eacute;gie plus l&rsquo;&eacute;tude seule du terrain mais se recentre sur l&rsquo;interaction de l&rsquo;enqu&ecirc;teur avec un terrain qui lui &eacute;chappe.</p> <h3>2.2. Une d&eacute;marche ph&eacute;nom&eacute;nologique vers l&rsquo;appariement des consciences</h3> <p>J&rsquo;ai d&eacute;j&agrave; &eacute;voqu&eacute; l&rsquo;ouvrage&nbsp;<em>Anthropologie de l&rsquo;ordinaire</em>&nbsp;dans lequel &Eacute;ric Chauvier s&rsquo;attache &agrave; repenser la m&eacute;thodologie de l&rsquo;ethnographie pour r&eacute;-humaniser l&rsquo;observation des exclus. Il s&rsquo;inscrit pour cela dans la lign&eacute;e de la ph&eacute;nom&eacute;nologie de Husserl&nbsp;<a href="#_ftn39" name="_ftnref39">[39]</a>, soit une m&eacute;thode pr&ocirc;nant un &laquo;&nbsp;retour aux choses&nbsp;&raquo; et une description rigoureuse du champ de l&rsquo;exp&eacute;rience. La n&eacute;cessaire &laquo;&nbsp;conversion du regard&nbsp;&raquo; que promeut &Eacute;ric Chauvier suit le m&ecirc;me renversement que celui qui caract&eacute;rise le passage du ph&eacute;nom&eacute;nisme &agrave; la ph&eacute;nom&eacute;nologie&nbsp;: l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t n&rsquo;est pas d&rsquo;envisager l&rsquo;objet en lui-m&ecirc;me, vu de l&rsquo;ext&eacute;rieur, mais de comprendre la mani&egrave;re dont il &laquo;&nbsp;se donne&nbsp;&raquo; &agrave; la conscience. Ce d&eacute;placement de l&rsquo;approche d&rsquo;un monde-objet vers un monde-v&eacute;cu est de type r&eacute;flexif. Il suppose deux choses&nbsp;: une attention particuli&egrave;re &agrave; la&nbsp;<em>praxis</em>&nbsp;du scientifique sur le terrain, ainsi qu&rsquo;une remise en question permanente de l&rsquo;approche de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; et notamment du d&eacute;terminisme culturel qui la conditionne. En effet, comme le fait par exemple remarquer Johannes Fabian, le parti pris scientifique en faveur du sens de la vue dans la pratique ethnographique, &agrave; l&rsquo;encontre des autres sens ou du ressenti, est &laquo;&nbsp;une question de choix culturel plut&ocirc;t que de validit&eacute; universelle&nbsp;<a href="#_ftn40" name="_ftnref40">[40]</a>&nbsp;&raquo;, dans la droite ligne de la tradition empiriste.</p> <p>La m&eacute;thode ph&eacute;nom&eacute;nologique telle que la con&ccedil;oit &Eacute;ric Chauvier renvoie l&rsquo;enqu&ecirc;teur &agrave; son statut de conscience parmi les consciences. &Eacute;viter le langage th&eacute;orique qu&rsquo;il consid&egrave;re comme format&eacute; permet, selon lui, de ne pas nier l&rsquo;irr&eacute;ductible sp&eacute;cificit&eacute; des ressentis. &Eacute;ric Chauvier transforme donc sa pratique pour tendre vers un &laquo;&nbsp;appariement des consciences&nbsp;<a href="#_ftn41" name="_ftnref41">[41]</a>&nbsp;&raquo; qui inviterait le lecteur dans le v&eacute;cu de l&rsquo;exp&eacute;rience de terrain. Alors que l&rsquo;approche exotique compartimente les trois instances observ&eacute;s/observateur/lecteurs, l&rsquo;appariement des consciences tendrait, elle, &agrave; les rapprocher&nbsp;<a href="#_ftn42" name="_ftnref42">[42]</a>. Consid&eacute;rer l&rsquo;exp&eacute;rience de l&rsquo;enqu&ecirc;te comme partageable avec le lecteur permet finalement de la concevoir aussi comme un acc&egrave;s direct &agrave; la connaissance. La singularit&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rience subjective de l&rsquo;ethnologue est capable de toucher le lecteur et de lui permettre ainsi de s&rsquo;approprier le monde v&eacute;cu de l&rsquo;observateur dans toutes ses nuances. Dans cette perspective, l&rsquo;&eacute;criture litt&eacute;raire serait un moyen de partager l&rsquo;exp&eacute;rience de terrain sur un mode ph&eacute;nom&eacute;nologique.</p> <p>Comme le signale Vincent Debaene&nbsp;<a href="#_ftn43" name="_ftnref43">[43]</a>, la n&eacute;cessit&eacute; de l&rsquo;&eacute;criture litt&eacute;raire pour atteindre une &eacute;vocation plus fid&egrave;le de la r&eacute;alit&eacute; est un argument r&eacute;current des ethnologues pour justifier la publication d&rsquo;un &laquo;&nbsp;deuxi&egrave;me livre&nbsp;&raquo;. Pourtant dans le cas des ouvrages d&rsquo;&Eacute;ric Chauvier, l&rsquo;&eacute;criture litt&eacute;raire ne se limite pas &agrave; un mode d&rsquo;expression. Rendre compte des impressions fugaces, subjectives, permet d&rsquo;interroger son propre regard, d&rsquo;analyser les &eacute;checs et de contourner des termes englobants qui amputeraient le travail de recherche. L&rsquo;&eacute;criture litt&eacute;raire participe ainsi totalement &agrave; l&rsquo;entreprise scientifique. Il ne s&rsquo;agit donc pas seulement d&rsquo;un outil stylistique ou rh&eacute;torique mais bien d&rsquo;un mode de connaissance &agrave; part enti&egrave;re. C&rsquo;est d&rsquo;autant plus vrai que Chauvier exclut absolument toute fictionnalisation du r&eacute;el, alors m&ecirc;me qu&rsquo;elle est une tentation de l&rsquo;enqu&ecirc;te, tentation qu&rsquo;il fait d&rsquo;ailleurs appara&icirc;tre dans son r&eacute;cit pour la mettre &agrave; distance. L&rsquo;absence de la jeune fille rom recherch&eacute;e incite &agrave; imaginer sa vie, les raisons de sa situation, et c&rsquo;est ce que font les deux assistantes sociales qu&rsquo;il rencontre, en amalgamant la vie de X &agrave; celle d&rsquo;une adolescente en fugue. Chauvier r&eacute;siste pourtant &agrave; toute appropriation abusive de la biographie de cette inconnue, au nom de la r&eacute;alit&eacute; scientifique de l&rsquo;enqu&ecirc;te justement. Litt&eacute;rarit&eacute; n&rsquo;est pas synonyme de fiction. Si l&rsquo;authenticit&eacute; du v&eacute;cu de l&rsquo;enqu&ecirc;te ne peut souffrir aucun clich&eacute;, au sens premier d&rsquo;image fig&eacute;e, elle ne peut se partager que sur le mode de l&rsquo;inachev&eacute;, du d&eacute;tail et de la frustration. Accepter que X reste un myst&egrave;re est la cl&eacute; pour percer celui du ressenti de l&rsquo;ethnologue et ainsi faire de son enqu&ecirc;te une d&eacute;marche purement ph&eacute;nom&eacute;nologique. &Agrave; la suite de James Clifford&nbsp;<a href="#_ftn44" name="_ftnref44">[44]</a>&nbsp;et des postmodernes, &Eacute;ric Chauvier r&eacute;it&egrave;re &agrave; sa fa&ccedil;on l&rsquo;id&eacute;e que l&rsquo;anthropologie est par d&eacute;finition partielle parce que cette incompl&eacute;tude assure la validit&eacute; scientifique.</p> <h2>3. L&rsquo;ethnologue, &eacute;crivain sur le terrain des ailleurs sociaux<br /> &nbsp;</h2> <p>L&rsquo;anthropologie, telle que la con&ccedil;oit &Eacute;ric Chauvier, poss&egrave;de une dimension litt&eacute;raire &agrave; la fois dans son rapport &agrave; la langue et dans son rapport &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience. Cette double dimension litt&eacute;raire tend &agrave; d&eacute;samorcer les&nbsp;<em>a priori</em>&nbsp;exotiques et transforme la pratique de terrain. Si l&rsquo;on peut facilement concevoir les livres de Chauvier comme de la litt&eacute;rature, est-il possible de parler de ses enqu&ecirc;tes comme d&rsquo;une pratique de terrain d&rsquo;&eacute;crivain&nbsp;?</p> <h3>3.1. L&rsquo;affect, une garantie contre l&rsquo;exotisme du langage</h3> <p>Nourri par les th&eacute;ories de Harold Garfinkel sur les &laquo;&nbsp;<em>breaching experiences&nbsp;</em><a href="#_ftn45" name="_ftnref45">[45]</a>&nbsp;&raquo; et par celles de Jeanne Favret-Saada&nbsp;<a href="#_ftn46" name="_ftnref46">[46]</a>&nbsp;sur l&rsquo;importance des affects dans l&rsquo;enqu&ecirc;te de terrain, &Eacute;ric Chauvier fait appel &agrave; ce qu&rsquo;il nomme une &laquo;&nbsp;heuristique du trouble&nbsp;<a href="#_ftn47" name="_ftnref47">[47]</a>&nbsp;&raquo;. Dans le prolongement de sa d&eacute;marche ph&eacute;nom&eacute;nologique, il consid&egrave;re ses ressentis comme une forme de connaissance imm&eacute;diate et fugace, de l&rsquo;ordre de l&rsquo;impressionnisme et estime qu&rsquo;ils doivent &ecirc;tre trait&eacute;s comme des objets de recherche &agrave; part enti&egrave;re. Dans ses deux enqu&ecirc;tes, les affects de l&rsquo;ethnographe ont donc un r&ocirc;le central et d&eacute;bordent le protocole d&rsquo;observation.</p> <p>Lorsqu&rsquo;il enqu&ecirc;te dans l&rsquo;institut pour adolescents, sa posture d&rsquo;observateur distant se fissure lorsqu&rsquo;il entend la voix de Joy. Cette voix qu&rsquo;il dit &laquo;&nbsp;spectrale&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;bruyante et d&eacute;sert&eacute;e&nbsp;<a href="#_ftn48" name="_ftnref48">[48]</a>&nbsp;&raquo;, porte en elle une inqui&eacute;tante &eacute;tranget&eacute;. &laquo;&nbsp;Elle semble d&eacute;saffect&eacute;e, priv&eacute;e des modulations qui donnent &agrave; la voix son caract&egrave;re humain&nbsp;<a href="#_ftn49" name="_ftnref49">[49]</a>&nbsp;&raquo;. L&rsquo;anomalie de la tonalit&eacute; le touche d&rsquo;une fa&ccedil;on telle qu&rsquo;elle fait &eacute;merger en lui &laquo;&nbsp;une douleur insondable&nbsp;<a href="#_ftn50" name="_ftnref50">[50]</a>&nbsp;&raquo;. Il tente dans un premier temps de l&rsquo;ignorer. Pourtant le trouble s&rsquo;intensifie &agrave; chaque fois que Joy parle. L&rsquo;agitation int&eacute;rieure transforme peu &agrave; peu la pratique de terrain de l&rsquo;ethnologue. L&rsquo;objectivit&eacute; scientifique exigerait de lui qu&rsquo;il contienne cette urgence psychologique afin de poursuivre son travail mais &Eacute;ric Chauvier multiplie les allers-retours aux toilettes pour r&eacute;&eacute;couter chaque nouvel enregistrement de cette voix. L&rsquo;anomalie devient obsession. Si cette crise psychologique le d&eacute;tourne d&rsquo;une pratique orthodoxe de l&rsquo;enqu&ecirc;te, elle le focalise sur Joy et sur la souffrance masqu&eacute;e dans sa voix. Elle r&eacute;v&egrave;le &eacute;galement l&rsquo;indicible de cette souffrance dans une institution qui, comme la science, a tendance &agrave; formater le langage en imposant un vocabulaire et des cat&eacute;gories. &Eacute;ric Chauvier vit cette observation &agrave; travers la r&eacute;miniscence de la maladie de sa m&egrave;re.&nbsp;En cela il est certainement plus proche de la r&eacute;alit&eacute; de Joy que n&rsquo;importe quel intervenant social ce soir-l&agrave;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Il me semble [&hellip;] que ce retour sur mon propre v&eacute;cu ne marque pas un d&eacute;ni de la souffrance de Joy, mais, au contraire, une fa&ccedil;on de m&rsquo;y connecter pour la comprendre un peu, sans l&rsquo;&eacute;touffer, en laissant simplement vivre les anomalies qui relient nos deux existences, ces anomalies que, sous une autre forme, je ne voyais pas sur la berge de l&rsquo;&eacute;tang familial&nbsp;<a href="#_ftn51" name="_ftnref51">[51]</a>.</p> </blockquote> <p>La m&ecirc;me pr&eacute;sence de l&rsquo;affect comme cl&eacute; heuristique se retrouve &eacute;galement dans<em>&nbsp;Anthropologie</em>. Le souvenir du trouble ressenti sert de guide&nbsp;; &Eacute;ric Chauvier y revient chaque fois que son enqu&ecirc;te pi&eacute;tine. Parce que ce trouble explique la douleur de l&rsquo;absence de X, il est le moteur de cette recherche bien plus qu&rsquo;une &eacute;ventuelle hypoth&egrave;se scientifique &agrave; v&eacute;rifier.</p> <p>Chacun de ces r&eacute;cits se tisse donc autour d&rsquo;une anomalie survenue dans l&rsquo;ordinaire de l&rsquo;enqu&ecirc;te&nbsp;: la voix de Joy dans&nbsp;<em>Si l&rsquo;enfant ne r&eacute;agit pas,</em>&nbsp;le regard de X dans&nbsp;<em>Anthropologie</em>. Elles provoquent ce que Chauvier appelle des &laquo;&nbsp;exp&eacute;riences de savoir&nbsp;&raquo;. L&rsquo;affect sert de point de rep&egrave;re et permet de r&eacute;ajuster &agrave; tout moment la pratique de terrain. Dans un premier temps, il d&eacute;clenche les &eacute;tapes du raisonnement&nbsp;; il r&eacute;oriente ensuite la pratique de terrain chaque fois que la posture du scientifique prend le dessus ou que le pouvoir exotisant du langage menace. Paradoxalement, la subjectivit&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rience pr&eacute;serve la justesse du propos alors que l&rsquo;exigence scientifique d&rsquo;objectivit&eacute; g&eacute;n&egrave;re un exotisme d&eacute;formant.</p> <h3>3.2. De l&rsquo;enqu&ecirc;te de l&rsquo;ethnographe &agrave; la qu&ecirc;te de l&rsquo;&eacute;crivain</h3> <p>Le mot &laquo;&nbsp;qu&ecirc;te&nbsp;&raquo; appara&icirc;t dans&nbsp;<em>Anthropologie</em>, lorsqu&rsquo;&Eacute;ric Chauvier cherche la trace de la jeune fille aupr&egrave;s d&rsquo;associations&nbsp;<a href="#_ftn52" name="_ftnref52">[52]</a>. Si l&rsquo;enqu&ecirc;te est une investigation protocolaire et m&eacute;thodique, la qu&ecirc;te rel&egrave;ve davantage de la recherche obstin&eacute;e dont la dynamique est avant tout celle de l&rsquo;intime. Ce glissement est r&eacute;v&eacute;lateur de la transformation qui s&rsquo;op&egrave;re dans la pratique de terrain d&rsquo;&Eacute;ric Chauvier. Quatre effets d&ucirc;s &agrave; ce changement peuvent &ecirc;tre relev&eacute;s&nbsp;:</p> <p>&ndash; L&rsquo;attention extr&ecirc;mement minutieuse port&eacute;e sur les anomalies r&eacute;pond au souci de conserver &laquo;&nbsp;le panel d&rsquo;impressions rares&nbsp;&raquo; recueillies sur le terrain&nbsp;;</p> <p>&ndash; L&rsquo;apparition progressive d&rsquo;une urgence dans l&rsquo;enqu&ecirc;te est due &agrave; un investissement &eacute;motionnel croissant de l&rsquo;enqu&ecirc;teur. Dans&nbsp;<em>Si l&rsquo;enfant ne r&eacute;agit pas</em>, &Eacute;ric Chauvier s&rsquo;enferme pas moins de neuf fois aux toilettes en trois heures pour r&eacute;&eacute;couter ses enregistrements, avant de quitter pr&eacute;cipitamment l&rsquo;internat &agrave; minuit, dans un &eacute;tat de &laquo;&nbsp;trouble absolu&nbsp;&raquo;&nbsp;;</p> <p>&ndash; L&rsquo;urgence qui saisit l&rsquo;ethnologue va de pair avec l&rsquo;&eacute;mergence d&rsquo;une angoisse. Le r&eacute;cit de l&rsquo;enqu&ecirc;te dans le centre ferm&eacute; pour adolescents se cristallise autour de motifs r&eacute;p&eacute;titifs&nbsp;: ces neuf allers-retours aux toilettes, le poster de Britney Spears est d&eacute;crit six fois, par cinq fois la voix de Joy est suivie d&rsquo;un claquement de porte rageur, les r&eacute;f&eacute;rences &agrave; des films d&rsquo;&eacute;pouvante reviennent &eacute;galement &agrave; plusieurs reprises. Ces&nbsp;<em>leitmotive</em>&nbsp;sont un parti pris litt&eacute;raire qui inscrit l&rsquo;asphyxie inh&eacute;rente &agrave; la voix de Joy dans le r&eacute;cit&nbsp;;</p> <p>&ndash; Le retournement de l&rsquo;enqu&ecirc;te survient au moment o&ugrave; la r&eacute;flexivit&eacute; s&rsquo;intensifie et prend le pas sur le protocole scientifique&nbsp;; l&rsquo;objet de l&rsquo;enqu&ecirc;te devient alors l&rsquo;exp&eacute;rience de terrain et non plus le terrain lui-m&ecirc;me.</p> <p>Finalement,&nbsp;<em>in situ</em>, &Eacute;ric Chauvier associe deux pratiques qu&rsquo;il consid&egrave;re comme compl&eacute;mentaires&nbsp;: d&rsquo;une part celle de l&rsquo;ethnologue soucieux de noter dans son carnet toutes les m&eacute;diations de l&rsquo;exp&eacute;rience qui rendent la connaissance de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; possible, d&rsquo;autre part celle de l&rsquo;&eacute;crivain, plus impressionniste, qui parvient &agrave; sauver les affects dans toutes leurs nuances. Chacune de ces deux pratiques d&eacute;pend de l&rsquo;autre. C&rsquo;est pourquoi l&rsquo;enqu&ecirc;te de Chauvier ne peut donner lieu &agrave; deux livres distincts, l&rsquo;un pour le compte-rendu savant, l&rsquo;autre pour le r&eacute;cit de l&rsquo;exp&eacute;rience. Exp&eacute;rience de terrain et &eacute;criture s&rsquo;auto-conditionnent et se cr&eacute;ent ensemble. La litt&eacute;rarit&eacute; des &eacute;crits d&rsquo;&Eacute;ric Chauvier a une dimension heuristique puisque le r&eacute;cit subjectif permet de faire des affects le point de d&eacute;part d&rsquo;une r&eacute;flexion scientifique. Cela rejoint le propos d&rsquo;Alban Bensa et de Fran&ccedil;ois Pouillon dans l&rsquo;ouvrage&nbsp;<em>Terrains d&rsquo;&eacute;crivains</em>&nbsp;: &laquo;&nbsp;[&hellip;] dans le domaine de l&rsquo;ethnographie par la r&eacute;flexivit&eacute;, les &eacute;crivains ont plusieurs longueurs d&rsquo;avance, tout simplement parce qu&rsquo;ils s&rsquo;autorisent &agrave; se penser comme des composantes du monde qu&rsquo;ils d&eacute;crivent&nbsp;<a href="#_ftn53" name="_ftnref53">[53]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p>Les enqu&ecirc;tes d&rsquo;&Eacute;ric Chauvier ne sont pas &agrave; mi-chemin entre ethnologie et litt&eacute;rature, elles sont litt&eacute;raires parce qu&rsquo;elles sont ethnologiques et&nbsp;<em>vice versa</em>. Sur le terrain comme &agrave; l&rsquo;&eacute;crit, l&rsquo;impressionnisme prime pour d&eacute;passer la pauvret&eacute; du langage. Dans sa pratique particuli&egrave;re d&rsquo;anthropologue, la dimension litt&eacute;raire lui permet d&rsquo;&eacute;viter l&rsquo;&eacute;cueil de l&rsquo;exotisme, c&rsquo;est-&agrave;-dire le risque d&rsquo;une d&eacute;formation de la r&eacute;alit&eacute; du terrain qui proviendrait tant de son ethnocentrisme que de sa posture de scientifique ou du jargon th&eacute;orique.</p> <p>Ces travaux interrogent la fronti&egrave;re entre litt&eacute;rature et ethnologie. La conversion du regard ph&eacute;nom&eacute;nologique se joue dans le brouillage de cette fronti&egrave;re entre l&rsquo;objectivit&eacute; convenue des sciences et la pr&eacute;tendue subjectivit&eacute; de la litt&eacute;rature. Selon Vincent Debaene, cette question ne peut se r&eacute;soudre par l&rsquo;abandon d&rsquo;une distinction entre science et litt&eacute;rature dont les champs, d&rsquo;apr&egrave;s lui, ne peuvent se rencontrer&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;les logiques de qualification d&rsquo;un texte comme &ldquo;scientifique&rdquo; ou comme &ldquo;litt&eacute;raire&rdquo; sont simplement h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes puisque, dans un cas, on &eacute;value une pertinence et, dans l&rsquo;autre, on d&eacute;signe une appartenance&nbsp;<a href="#_ftn54" name="_ftnref54">[54]</a>.&nbsp;&raquo; Il explique ainsi que la litt&eacute;rature n&rsquo;&eacute;tant l&eacute;gitim&eacute;e que par une logique de cons&eacute;cration, le travail de l&rsquo;&eacute;criture ne garantit pas l&rsquo;int&eacute;gration d&rsquo;un texte &agrave; la litt&eacute;rature tout comme une d&eacute;marche scientifique ne l&rsquo;en exclut pas non plus. Pourtant, un texte savant, &laquo;&nbsp;pertinent&nbsp;&raquo;, qui ferait d&rsquo;une &eacute;criture &laquo;&nbsp;litt&eacute;raire&nbsp;&raquo; un soubassement m&eacute;thodologique, prendrait le risque de se voir exclu du champ scientifique. La libert&eacute; litt&eacute;raire que s&rsquo;autorisent de plus en plus de chercheurs d&egrave;s leurs &eacute;crits savants et non plus uniquement dans un &laquo;&nbsp;deuxi&egrave;me livre&nbsp;&raquo;, semble donc amorcer une remise en question de la fronti&egrave;re institutionnelle de l&rsquo;&eacute;criture des sciences humaines et sociales, longtemps contrainte par des normes acad&eacute;miques. Les travaux d&rsquo;&Eacute;ric Chauvier tendent ainsi &agrave; renverser notre vision de la science et &agrave; montrer qu&rsquo;une &eacute;criture plus subjective, moins exhaustive, peut aussi &ecirc;tre gage d&rsquo;une plus grande honn&ecirc;tet&eacute; intellectuelle. De plus, ils invitent &agrave; penser ce brouillage non plus comme une question de situation dans les champs litt&eacute;raire ou acad&eacute;mique, mais comme une v&eacute;ritable probl&eacute;matique &eacute;pist&eacute;mologique puisqu&rsquo;il peut entra&icirc;ner un changement dans la pratique m&ecirc;me de l&rsquo;enqu&ecirc;te de terrain. Nous l&rsquo;avons vu, la perspective d&rsquo;une &eacute;criture moins contrainte transforme la m&eacute;thodologie ethnographique de Chauvier, change son approche de la r&eacute;alit&eacute; sur le terrain et l&rsquo;ouvre &agrave; d&rsquo;autres pistes. La litt&eacute;rarit&eacute; se donne alors non plus seulement comme un mode d&rsquo;expression mais &eacute;galement comme un mode de connaissance qui tendrait, dans le cas de Chauvier, &agrave; d&eacute;samorcer l&rsquo;exotisme du regard de l&rsquo;ethnographe sur l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;.</p> <p>Cette contigu&iuml;t&eacute; des sciences humaines avec la litt&eacute;rature est confirm&eacute;e en ce qu&rsquo;ethnologie et litt&eacute;rature connaissent toutes deux une m&ecirc;me tendance depuis quelques ann&eacute;es vers un retour &agrave; la r&eacute;alit&eacute; v&eacute;cue sur le terrain. Il existe ainsi dans la litt&eacute;rature contemporaine, un renouvellement de la pratique de l&rsquo;enqu&ecirc;te, qui donne lieu &agrave; des r&eacute;cits non fictionnels que l&rsquo;on pourrait appeler &laquo;&nbsp;&eacute;critures de terrain&nbsp;&raquo;. Des auteurs comme Fran&ccedil;ois Bon&nbsp;<a href="#_ftn55" name="_ftnref55">[55]</a>, Florence Aubenas&nbsp;<a href="#_ftn56" name="_ftnref56">[56]</a>&nbsp;ou Philippe Vasset&nbsp;<a href="#_ftn57" name="_ftnref57">[57]</a>&nbsp;r&eacute;interrogent le rapport de l&rsquo;&eacute;crivain &agrave; la r&eacute;alit&eacute; des marges sociales &agrave; travers des formats d&rsquo;enqu&ecirc;te innovants, tout comme &Eacute;ric Chauvier. Ce besoin de relier la pens&eacute;e &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue en faisant appel &agrave; une &eacute;criture plus litt&eacute;raire se g&eacute;n&eacute;ralise &eacute;galement dans l&rsquo;ensemble des sciences humaines et sociales&nbsp;: en sociologie&nbsp;<a href="#_ftn58" name="_ftnref58">[58]</a>, en histoire&nbsp;<a href="#_ftn59" name="_ftnref59">[59]</a>, en g&eacute;ographie&nbsp;<a href="#_ftn60" name="_ftnref60">[60]</a>. Peut-on voir dans ce mouvement commun un tournant &eacute;pist&eacute;mologique et litt&eacute;raire&nbsp;? Dans l&rsquo;&eacute;lan de cette interrogation, nous ach&egrave;verons cet article comme nous l&rsquo;avons commenc&eacute;, en citant&nbsp;<em>Anthropologie</em>, les derniers mots cette fois&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;enqu&ecirc;te est vou&eacute;e &agrave; continuer&nbsp;<a href="#_ftn61" name="_ftnref61">[61]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <h2><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h2> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Anthropologie</em>&nbsp;[2006], Paris, Allia, 2011, p.&nbsp;7.</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;Alban Bensa,&nbsp;<em>La Fin de l&rsquo;exotisme&nbsp;: essais d&rsquo;anthropologie critique</em>, Toulouse, Anacharsis, 2006.</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;Clifford Geertz,&nbsp;<em>The Interpretation of Cultures</em>, New York, Basic Books, 1973.</p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;James Clifford, George Marcus (dir.),&nbsp;<em>Writing Culture. The Poetics and Politics of Ethnography</em>, Berkeley, University of California Press, 1986.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;Johannes Fabian,&nbsp;<em>Le Temps et les autres&nbsp;</em>[1983], traduit de l&rsquo;anglais par Estelle Henry-Bossonney et Bernard M&uuml;ller, Toulouse, Anacharsis, 2006, p.&nbsp;26.</p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;<em>Ibid.,</em>&nbsp;p.&nbsp;72.</p> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Anthropologie de l&rsquo;ordinaire</em>, Toulouse, Anacharsis, 2011.</p> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;[&hellip;] je propose d&rsquo;envisager le &ldquo;temps partag&eacute;&rdquo; de la relation observateur-observ&eacute; comme une situation de communication &eacute;tudiable en tant que telle. [&hellip;] Dans ce livre, je voudrais tenter de prolonger la critique de Fabian en assumant de fa&ccedil;on effective l&rsquo;h&eacute;ritage du&nbsp;<em>linguistic turn</em>&nbsp;en anthropologie, lequel permet de ne plus seulement consid&eacute;rer &ldquo;le temps de l&rsquo;enqu&ecirc;te&rdquo; en tant que cat&eacute;gorie &eacute;chappant &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience des observateurs et des observ&eacute;s, mais aussi le temps incarn&eacute; de l&rsquo;enqu&ecirc;te, soit des situations de communication qui mettent en sc&egrave;ne des interlocuteurs jouant des r&ocirc;les dont les effets sont presque toujours politiques.&nbsp;&raquo; (<em>Ibid.,</em>&nbsp;p.&nbsp;57).</p> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Si l&rsquo;enfant ne r&eacute;agit pas</em>, Paris, Allia, 2008.</p> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Anthropologie</em>,&nbsp;<em>op. cit.,</em>&nbsp;p.&nbsp;12.</p> <p><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a>&nbsp;No&euml;l Jouenne, &laquo;&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Anthropologie</em>&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>L&rsquo;Homme</em>, n&deg;&nbsp;185-186, 2008, p.&nbsp;527-528.</p> <p><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a>&nbsp;Jean-Fran&ccedil;ois Staszak, &laquo;&nbsp;Qu&rsquo;est-ce que l&rsquo;exotisme&nbsp;?&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Le Globe</em>, vol.&nbsp;148, n&deg;&nbsp;1, 2008, p.&nbsp;7-30.</p> <p><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a>&nbsp;Voir le chapitre &laquo;&nbsp;Quand dire, c&rsquo;est classer&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>Anthropologie de l&rsquo;ordinaire</em>,&nbsp;<em>op. cit</em>., p.&nbsp;113-133.</p> <p><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a>&nbsp;Jeanne Favret-Saada,&nbsp;<em>Les Mots, la mort, les sorts</em>, Paris, Gallimard, 1977.</p> <p><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Anthropologie de l&rsquo;ordinaire</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.&nbsp;117.</p> <p><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a>&nbsp;Voir Jean-Fran&ccedil;ois Staszak, &laquo;&nbsp;Qu&rsquo;est-ce que l&rsquo;exotisme&nbsp;?&nbsp;&raquo;, art. cit., p.&nbsp;17.</p> <p><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Les Mots sans les choses</em>, Paris, Allia, 2014.</p> <p><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a>&nbsp;V. Clifford Geertz, &laquo;&nbsp;La description dense. Vers une th&eacute;orie interpr&eacute;tative de la culture&nbsp;&raquo;, traduit de l&rsquo;anglais au fran&ccedil;ais par Andr&eacute; Mary pour le num&eacute;ro sp&eacute;cial d&rsquo;<em>Enqu&ecirc;te</em>, &laquo;&nbsp;La Description&nbsp;&raquo;, n&deg;&nbsp;6, octobre 1998, p.&nbsp;73-105&nbsp;; James Clifford, &laquo;&nbsp;De l&rsquo;autorit&eacute; en ethnographie. Le r&eacute;cit anthropologique comme texte litt&eacute;raire&nbsp;&raquo;, traduit de l&rsquo;am&eacute;ricain au fran&ccedil;ais par G&eacute;rard Leclerc, Patrick Menget &amp; Britta Rupp-Eisenreich, revu par Daniel C&eacute;fa&iuml;, dans Daniel C&eacute;fa&iuml; (dir.),&nbsp;<em>L&rsquo;Enqu&ecirc;te de terrain</em>, Paris, La D&eacute;couverte, 2003, p. 263-293.</p> <p><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a>&nbsp;Vincent Debaene,&nbsp;<em>L&rsquo;Adieu au voyage&nbsp;: l&rsquo;ethnologie fran&ccedil;aise entre science et litt&eacute;rature</em>, Paris, Gallimard, 2010, p.&nbsp;15.</p> <p><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Anthropologie, op.&nbsp;cit.,</em>&nbsp;p.&nbsp;25.</p> <p><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a>&nbsp;<em>Ibid.,</em>&nbsp;p.&nbsp;55-56.</p> <p><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a>&nbsp;<em>Ibid.,&nbsp;</em>p.&nbsp;77.</p> <p><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a>&nbsp;<em>Ibid.,&nbsp;</em>p.&nbsp;114.</p> <p><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a>&nbsp;<em>Ibid.,&nbsp;</em>p.&nbsp;115.</p> <p><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a>&nbsp;<em>Ibid.,&nbsp;</em>p.&nbsp;131.</p> <p><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a>&nbsp;<em>Ibid.,</em>&nbsp;p.&nbsp;130.</p> <p><a href="#_ftnref28" name="_ftn28">[28]</a>&nbsp;<em>Ibid.,</em>&nbsp;p.&nbsp;132.</p> <p><a href="#_ftnref29" name="_ftn29">[29]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Anthropologie de l&rsquo;ordinaire</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.&nbsp;142.</p> <p><a href="#_ftnref30" name="_ftn30">[30]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;144.</p> <p><a href="#_ftnref31" name="_ftn31">[31]</a>&nbsp;James Clifford, &laquo;&nbsp;De l&rsquo;autorit&eacute; en ethnographie. Le r&eacute;cit anthropologique comme texte litt&eacute;raire&nbsp;&raquo;, art. cit.</p> <p><a href="#_ftnref32" name="_ftn32">[32]</a>&nbsp;&Agrave; ce sujet, voir Daniel C&eacute;fa&iuml;, &laquo;&nbsp;Postface. L&rsquo;enqu&ecirc;te de terrain en sciences sociales&nbsp;&raquo;, dans Daniel C&eacute;fa&iuml; (dir.),&nbsp;&nbsp;<em>L&rsquo;Enqu&ecirc;te de terrain</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p. 465-615.</p> <p><a href="#_ftnref33" name="_ftn33">[33]</a>&nbsp;Jeanne Favret-Saada,&nbsp;<em>Les Mots, la mort, les sorts</em>,&nbsp;<em>op. cit</em>.</p> <p><a href="#_ftnref34" name="_ftn34">[34]</a>&nbsp;Florence Weber,&nbsp;<em>Le Travail &agrave; c&ocirc;t&eacute;. Une ethnologie des perceptions&nbsp;</em>[1989], Nouvelle &eacute;dition revue et augment&eacute;e, &eacute;ditions EHESS, 2009, p. 224.</p> <p><a href="#_ftnref35" name="_ftn35">[35]</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;Le risque est grand pour les chercheurs dits &ldquo;de terrain&rdquo; de montrer moins ce qu&rsquo;ils ont vu que ce qu&rsquo;ils pensent devoir donner &agrave; comprendre &agrave; leurs lecteurs au-del&agrave; des apparences. [&hellip;] ces observateurs distraits par l&rsquo;abstrait oublient qu&rsquo;au moment de leur enqu&ecirc;te ils figuraient parmi les acteurs du tableau de genre qu&rsquo;ils veulent &eacute;crire &agrave; leur retour. C&rsquo;est &agrave; ces conditions de c&eacute;cit&eacute; et de surdit&eacute; partielles qu&rsquo;est possible la fiction exotique [&hellip;].&nbsp;&raquo; (Alban Bensa,&nbsp;<em>La Fin de l&rsquo;exotisme</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;141).</p> <p><a href="#_ftnref36" name="_ftn36">[36]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Si l&rsquo;enfant ne r&eacute;agit pas, op.&nbsp;cit.,</em>&nbsp;p.&nbsp;16.</p> <p><a href="#_ftnref37" name="_ftn37">[37]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier d&eacute;finit une &laquo;&nbsp;fiction th&eacute;orique&nbsp;&raquo; comme un &laquo;&nbsp;mod&egrave;le conceptuel surplombant plaqu&eacute; sur le v&eacute;cu de chacun au point de rendre celui-ci inexprimable&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>Les Mots sans les choses</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;25.</p> <p><a href="#_ftnref38" name="_ftn38">[38]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Si l&rsquo;enfant ne r&eacute;agit pas</em>,&nbsp;<em>op. cit.,</em>&nbsp;p.&nbsp;17.</p> <p><a href="#_ftnref39" name="_ftn39">[39]</a>&nbsp;Edmund Husserl,&nbsp;<em>Id&eacute;es directrices pour une ph&eacute;nom&eacute;nologie&nbsp;</em>[1913], Paris, Gallimard, 1950.</p> <p><a href="#_ftnref40" name="_ftn40">[40]</a>&nbsp;Johannes Fabian,&nbsp;<em>Le Temps et les autres</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.&nbsp;184.</p> <p><a href="#_ftnref41" name="_ftn41">[41]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier utilise cette notion en r&eacute;f&eacute;rence &agrave; un article de Daniel Cefa&iuml; et Nathalie Depraz qui montre les apports de la ph&eacute;nom&eacute;nologie husserlienne pour l&rsquo;ethnologie. Voir Daniel Cefa&iuml; &amp; Nathalie Depraz, &laquo;&nbsp;De la m&eacute;thode ph&eacute;nom&eacute;nologique dans la d&eacute;marche ethnom&eacute;thodologique.&nbsp;Garfinkel &agrave; la lumi&egrave;re de Husserl et de Sch&uuml;tz&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>L&rsquo;Ethnom&eacute;thodologie</em>,&nbsp;Paris,&nbsp;La D&eacute;couverte,&nbsp;&laquo;&nbsp;Recherches&nbsp;&raquo;,&nbsp;2001,&nbsp;p.&nbsp;99-119.</p> <p><a href="#_ftnref42" name="_ftn42">[42]</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;Cette &ldquo;conversion du regard&rdquo;, pour reprendre l&rsquo;expression de Husserl fondant la ph&eacute;nom&eacute;nologie, substitue un &ldquo;appariement des consciences&rdquo; aux protocoles m&eacute;tadiscursifs imposant une rupture entre le texte et le lecteur&nbsp;&raquo; (&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Anthropologie de l&rsquo;ordinaire</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;72).</p> <p><a href="#_ftnref43" name="_ftn43">[43]</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;Lorsqu&rsquo;un savant se voit tax&eacute; de faire de la litt&eacute;rature, il n&rsquo;a souvent d&rsquo;autre choix que de combiner deux arguments&nbsp;: la n&eacute;cessit&eacute; de toucher un public plus vaste que celui de ses pairs et l&rsquo;exigence d&rsquo;une&nbsp;<em>&eacute;vocation</em>&nbsp;plus fid&egrave;le &agrave; la r&eacute;alit&eacute; de l&rsquo;enqu&ecirc;te que les &eacute;crits scientifiques&nbsp;&raquo; (Vincent Debaene,&nbsp;<em>L&rsquo;Adieu au voyage</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.&nbsp;486).</p> <p><a href="#_ftnref44" name="_ftn44">[44]</a>&nbsp;Voir James Clifford, &laquo; Introduction: Partial Truths &raquo;, dans&nbsp;<em>Writing Culture. The Poetics and Politics of Ethnography</em>, James Clifford &amp; George Marcus (dir.),&nbsp;<em>op. cit.</em>, p. 14-15.</p> <p><a href="#_ftnref45" name="_ftn45">[45]</a>&nbsp;Harold Garfinkel propose de perturber le terrain d&rsquo;enqu&ecirc;te pour produire des moments de confusion et ainsi rendre &eacute;trange un monde trop familier. Ces &laquo;&nbsp;breaching experiences&nbsp;&raquo; permettent d&rsquo;&eacute;clairer les r&egrave;gles par d&eacute;faut des situations sociales et les m&eacute;canismes d&rsquo;un ordinaire allant de soi. Voir Harold Garfinkel,&nbsp;<em>Recherches en ethnom&eacute;thodologie</em>, Paris, Presses Universitaires de France, 2007.</p> <p><a href="#_ftnref46" name="_ftn46">[46]</a>&nbsp;Jeanne Favret-Saada, &laquo;&nbsp;&Ecirc;tre affect&eacute;&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Gradhiva</em>, 1990, n&deg;&nbsp;8, p.&nbsp;3-10.</p> <p><a href="#_ftnref47" name="_ftn47">[47]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier, &laquo;&nbsp;Pr&eacute;face. Le livre du voleur. De l&rsquo;importance du trouble en anthropologie&nbsp;&raquo;, dans Myriam Congoste<em>, Le Vol et la morale. L&rsquo;ordinaire d&rsquo;un voleur</em>, Toulouse, Anacharsis, 2012, p.&nbsp;7.</p> <p><a href="#_ftnref48" name="_ftn48">[48]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Si l&rsquo;enfant ne r&eacute;agit pas</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;88.</p> <p><a href="#_ftnref49" name="_ftn49">[49]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;33.</p> <p><a href="#_ftnref50" name="_ftn50">[50]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;24.</p> <p><a href="#_ftnref51" name="_ftn51">[51]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;121.</p> <p><a href="#_ftnref52" name="_ftn52">[52]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,&nbsp;<em>Anthropologie</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit</em>., p.&nbsp;83.</p> <p><a href="#_ftnref53" name="_ftn53">[53]</a>&nbsp;Alban Bensa &amp; Fran&ccedil;ois Pouillon (dir.),&nbsp;<em>Terrains d&rsquo;&eacute;crivains : litt&eacute;rature et ethnographie</em>, Toulouse, Anacharsis, 2012, p.&nbsp;29.</p> <p><a href="#_ftnref54" name="_ftn54">[54]</a>&nbsp;Vincent Debaene,&nbsp;<em>L&rsquo;Adieu au voyage</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.&nbsp;487.</p> <p><a href="#_ftnref55" name="_ftn55">[55]</a>&nbsp;Fran&ccedil;ois Bon,&nbsp;<em>Daewoo</em>, Paris, Fayard, 2004.</p> <p><a href="#_ftnref56" name="_ftn56">[56]</a>&nbsp;Florence Aubenas,&nbsp;<em>Le Quai de Ouistreham</em>, Paris, L&rsquo;Olivier, 2011.</p> <p><a href="#_ftnref57" name="_ftn57">[57]</a>&nbsp;Philippe Vasset,&nbsp;<em>Un Livre blanc: r&eacute;cit avec cartes</em>, Paris, Fayard, 2007.</p> <p><a href="#_ftnref58" name="_ftn58">[58]</a>&nbsp;Dans&nbsp;<em>Esquisse pour une auto-analyse</em>, Pierre Bourdieu souhaitait faire de son propre cursus le mat&eacute;riau d&rsquo;une analyse sociologique. Didier &Eacute;ribon a entrepris une d&eacute;marche similaire et raconte &agrave; travers un texte oscillant entre autobiographie et essai, son retour &agrave; Reims, le milieu ouvrier de son enfance et son ascension sociale. Voir Pierre Bourdieu,&nbsp;<em>Esquisse pour une auto-analyse</em>, Paris, Raisons d&rsquo;agir, 2004&nbsp;; Didier &Eacute;ribon,&nbsp;<em>Retour &agrave; Reims</em>, Paris, Fayard, 2009.</p> <p><a href="#_ftnref59" name="_ftn59">[59]</a>&nbsp;Voir&nbsp;le r&eacute;cit d&rsquo;enqu&ecirc;te d&rsquo;Ivan Jablonka,&nbsp;<em>La&euml;titia ou la fin des hommes</em>, Paris, Le Seuil, 2016 ou la pratique de l&rsquo;ego-histoire de Philippe Arti&egrave;res dans&nbsp;<em>Au fond</em>, Paris, Le Seuil, 2016.</p> <p><a href="#_ftnref60" name="_ftn60">[60]</a>&nbsp;Dans les ann&eacute;es 1970, Armand Fr&eacute;mont forgeait le concept d&rsquo; &laquo;&nbsp;espace v&eacute;cu&nbsp;&raquo; pour aborder l&rsquo;espace comme un ensemble d&rsquo;interactions entre l&rsquo;individu, le paysage et son milieu. Voir Armand Fr&eacute;mont,&nbsp;<em>La R&eacute;gion, espace v&eacute;cu</em>, Paris, Flammarion, 1976. Plus r&eacute;cemment, Pierre Sansot a propos&eacute; une approche diff&eacute;rente de l&rsquo;urbanisme dans&nbsp;<em>Po&eacute;tique de la ville</em>. Il y revendique une &eacute;criture qui prend sa source dans le lieu lui-m&ecirc;me &agrave; partir des &laquo;&nbsp;mots de la conscience commune&nbsp;&raquo;, rejetant ainsi, comme le fait &Eacute;ric Chauvier, un langage scientifique qu&rsquo;il consid&egrave;re comme d&eacute;shumanis&eacute; et fade.&nbsp;Voir Pierre Sansot,&nbsp;<em>Po&eacute;tique de la ville</em>, Paris, &Eacute;ditions Payot et Rivages, 2004.</p> <p><a href="#_ftnref61" name="_ftn61">[61]</a>&nbsp;&Eacute;ric Chauvier,<em>&nbsp;Anthropologie, op.&nbsp;cit.,&nbsp;</em>p.&nbsp;135.</p> <h3>Auteur</h3> <p><strong>Violaine Sauty</strong>&nbsp;est agr&eacute;g&eacute;e de Lettres Modernes. Elle est actuellement ATER &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry de Montpellier et en cotutelle avec l&rsquo;Universit&eacute; libre de Bruxelles. Elle pr&eacute;pare, sous la direction de Marie-&Egrave;ve Th&eacute;renty et de Paul Aron, une th&egrave;se intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;&Eacute;critures de terrains&nbsp;: (en)qu&ecirc;tes d&rsquo;auteurs dans la litt&eacute;rature contemporaine non fictionnelle&nbsp;&raquo;.</p> <h3><strong>Copyright</strong></h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>