<p>Cet article analyse les enjeux postcoloniaux de la recr&eacute;ation litt&eacute;raire de l&rsquo;Afrique pr&eacute;coloniale dans le roman&nbsp;<em>La Saison de l&rsquo;ombre</em>&nbsp;(2013) de l&rsquo;&eacute;crivaine francophone d&rsquo;origine camerounaise L&eacute;onora Miano. L&rsquo;originalit&eacute; de ce roman dans le paysage litt&eacute;raire contemporain vient de ce qu&rsquo;il met en sc&egrave;ne les m&eacute;moires sp&eacute;cifiquement africaines de l&rsquo;esclavage, qui ont tr&egrave;s peu &eacute;t&eacute; &eacute;voqu&eacute;es par la litt&eacute;rature africaine, notamment en langue fran&ccedil;aise. Dans le roman, l&rsquo;&eacute;vocation de cette histoire passe par une immersion fictionnelle prenant pour pivot le point de vue des personnages&nbsp;et une africanisation de la langue. Le projet esth&eacute;tique de l&rsquo;&eacute;crivaine pr&eacute;sente ainsi un double enjeu. En r&eacute;&eacute;crivant les d&eacute;buts de l&rsquo;esclavage et de la traite transatlantique d&rsquo;un point de vue &laquo;&nbsp;subsaharien&nbsp;&raquo;, il s&rsquo;agissait pour elle, au plan philosophique et politique, de pr&eacute;senter cette histoire en inversant la perspective habituelle et en africanisant les modes de repr&eacute;sentation du r&eacute;el. Elle a voulu &eacute;galement, dans une vis&eacute;e symbolique et morale, rendre leur humanit&eacute; aux victimes anonymes de cette histoire terrible. Mais les &eacute;crivains francophones, et plus g&eacute;n&eacute;ralement les &eacute;crivains postcoloniaux, peuvent-ils se lib&eacute;rer si ais&eacute;ment de la repr&eacute;sentation occidentale de l&rsquo;histoire et de son point de vue sur les autres,&nbsp;<em>a fortiori</em>&nbsp;lorsque leurs livres sont destin&eacute;s principalement &agrave; des lecteurs occidentaux&nbsp;? L&rsquo;&eacute;crivaine parvient-elle &agrave; &eacute;chapper &agrave; la fatalit&eacute; de cet &laquo;&nbsp;exotisme postcolonial&nbsp;&raquo;, dont Graham Huggan pense qu&rsquo;il est constitutif des actes d&rsquo;&eacute;criture et de lecture dans un march&eacute; mondial du livre domin&eacute; par l&rsquo;Occident&nbsp;? D&rsquo;autre part, en &eacute;voquant l&rsquo;Afrique avant la rencontre avec l&rsquo;Europe, ne rejoint-elle pas paradoxalement la vis&eacute;e primitiviste et la qu&ecirc;te des origines des premiers ethnologues africanistes, alors m&ecirc;me qu&rsquo;elle cherche &agrave; renverser le discours occidental savant de v&eacute;rit&eacute; sur l&rsquo;Afrique&nbsp;?</p>