<div class="entry-content"> <h3 style="text-align: justify;">Abstract</h3> <p style="text-align: justify;">This symposium comes at just the right time. Today, radio fiction is sorely lacking in opportunities to reflect on its practice. Not so long ago, we still had the magazine Syntone, which served as our echo chamber, our very own Cahiers du Cin&eacute;ma. We no longer have Syntone magazine, and we feel very much alone. Reflective moments like this are all the more precious in that they help to raise awareness of our own practice, to give birth to a culture.</p> <h2 style="text-align: justify;">Keywords<br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">sound poetry, Henri Chopin, Sebastian Dicenaire, <em>Kirkjub&aelig;jarklaustur</em>, audio fiction, radio fiction, <em>John Haute Fid&eacute;lit&eacute;</em>, <em>Personnologue</em>, <em>Pamela</em>, <em>Version 133</em>, <em>Clinique de la M&eacute;moire Morte</em>, <em>DreamStation</em></p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">Le pr&eacute;sent colloque tombe &agrave; point nomm&eacute;. La fiction radio manque cruellement aujourd&rsquo;hui d&rsquo;espaces pour r&eacute;fl&eacute;chir &agrave; sa pratique. Il y a peu nous avions encore la revue <em>Syntone</em> qui nous servait de chambre d&rsquo;&eacute;cho<em>,</em> c&rsquo;&eacute;tait un peu nos <em>Cahiers du Cin&eacute;ma</em> &agrave; nous. Nous n&rsquo;avons plus la revue <em>Syntone</em>, et nous nous sentons bien seuls. Des moments r&eacute;flexifs comme celui-ci sont d&rsquo;autant plus pr&eacute;cieux qu&rsquo;ils contribuent &agrave; faire &eacute;merger une prise de conscience de notre propre pratique, &agrave; faire na&icirc;tre une <em>culture</em>.</p> <p style="text-align: justify;">Je vais essayer, dans cette intervention, de d&eacute;crire bri&egrave;vement mon parcours artistique, de montrer comment je suis pass&eacute; de la po&eacute;sie sonore &agrave; la fiction radio&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, pourquoi ce passage a &eacute;t&eacute; tout naturel pour moi, alors que &ndash; comme me le rappelait Pierre-Marie H&eacute;ron en pr&eacute;ambule &ndash; c&rsquo;est un trajet finalement assez peu commun ; je souhaiterais ensuite mettre en lumi&egrave;re les concepts qui sous-tendent la notion m&ecirc;me de po&eacute;sie sonore, et qui continuent &agrave; &eacute;clairer ma pratique de la fiction audio&nbsp;; enfin, en vous ouvrant ma modeste bo&icirc;te &agrave; outils conceptuels, j&rsquo;ai l&rsquo;espoir que l&rsquo;un ou l&rsquo;autre de ces outils puisse vous servir &eacute;galement dans votre approche de la radio et nous aide &agrave; dessiner ensemble un horizon de la fiction audio.</p> <p style="text-align: justify;">J&rsquo;aimerais commencer en annon&ccedil;ant mon pr&eacute;suppos&eacute; de d&eacute;part (sans doute tr&egrave;s largement partag&eacute; dans ce colloque) : la fiction radio est un art ; c&rsquo;est ma conviction ; la fiction radio est un art &agrave; part enti&egrave;re, au m&ecirc;me titre que le cin&eacute;ma ou la litt&eacute;rature par exemple, et en tant que tel n&rsquo;a pas &agrave; rougir devant ces grands mod&egrave;les. L&rsquo;intitul&eacute; m&ecirc;me de ce colloque, &eacute;voquant un &laquo; d&eacute;sir de belle radio &raquo;, semble &agrave; la fois placer avec enthousiasme la radio au rang des Beaux-Arts, et suspendre dans le m&ecirc;me temps son geste &agrave; la condition d&rsquo;un d&eacute;sir encore &agrave; r&eacute;aliser.</p> <p style="text-align: justify;">J&rsquo;affirmais &agrave; l&rsquo;instant que la fiction radio est un art &agrave; part enti&egrave;re. Pourtant, &agrave; la diff&eacute;rence de ses grands a&icirc;n&eacute;s, on ne peut pas dire que se rencontre couramment dans la jeunesse de <em>vocation </em>&agrave; la fiction radio. Je ne pense pas que beaucoup d&rsquo;adolescents se soient r&eacute;veill&eacute;s un matin en se disant&nbsp;: &laquo; Plus tard je ferai de la fiction radio&nbsp;&raquo;, alors que c&rsquo;est le cas pour l&rsquo;&eacute;criture, la musique, le cin&eacute;ma, etc. On peut donc se demander <em>pourquoi</em> ce n&rsquo;est pas le cas, et si cet &eacute;tat de fait ne jette pas quelque ombre sur la pr&eacute;tention de la fiction radio &agrave; &ecirc;tre un art &agrave; part enti&egrave;re.</p> <p style="text-align: justify;">Je ne d&eacute;roge pas &agrave; la r&egrave;gle moi-m&ecirc;me. Dans ma jeunesse, je ne me suis pas non plus r&ecirc;v&eacute; r&eacute;alisateur de fictions radio&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Ma vocation, c&rsquo;&eacute;tait plut&ocirc;t la po&eacute;sie. J&rsquo;&eacute;tais biberonn&eacute; &agrave; Lautr&eacute;amont, Henri Michaux, Antonin Artaud (dont l&rsquo;&eacute;mission longtemps censur&eacute;e <em>Pour en finir avec le jugement de dieu</em> faisait d&eacute;j&agrave; partie de mon panth&eacute;on). Mais &agrave; l&rsquo;&eacute;poque tout ce qu&rsquo;on me proposait comme po&eacute;sie contemporaine dans les rang&eacute;es des biblioth&egrave;ques publiques, c&rsquo;&eacute;tait une sorte de &laquo;&nbsp;po&eacute;sie blanche&nbsp;&raquo;, tr&egrave;s abstraite, qui ne semblait pas pouvoir parler du monde dans lequel je vivais &ndash; le monde du parking de l&rsquo;hypermarch&eacute;, des lotissements r&eacute;sidentiels Bouygues ou du journal de 13 heures de Jean-Pierre Pernault. Mon d&eacute;sir po&eacute;tique se fracassait contre ces r&eacute;alit&eacute;s, et s&rsquo;y fracassait d&rsquo;autant plus que le langage &ndash; les vieux mots du dictionnaire fran&ccedil;ais, fatigu&eacute;s par des si&egrave;cles d&rsquo;usage&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a> &ndash; ne me semblait pas adapt&eacute; pour d&eacute;crire dans toute sa crudit&eacute; cette r&eacute;alit&eacute; contemporaine, et la transcender.</p> <p style="text-align: justify;">&Agrave; partir de ce moment-l&agrave; j&rsquo;ai pens&eacute; que je devais renoncer &agrave; la po&eacute;sie, et que le salut viendrait de ce que je pensais &ecirc;tre son antith&egrave;se&nbsp;: le cin&eacute;ma. Paradoxalement c&rsquo;est en commen&ccedil;ant mes &eacute;tudes de cin&eacute;ma, aux Beaux-arts de Gen&egrave;ve, que je d&eacute;couvre la po&eacute;sie sonore&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. C&rsquo;est un choc : on m&rsquo;avait cach&eacute; cette forme de po&eacute;sie jusqu&rsquo;&agrave; ce jour ! J&rsquo;assiste donc &agrave; des lectures-performances de po&egrave;tes qui &laquo;&nbsp;sortent le po&egrave;me de la page&nbsp;&raquo;, le mettent &laquo;&nbsp;debout&nbsp;&raquo; sur sc&egrave;ne, le font passer &agrave; travers leur corps, leur voix, comme Christian Prigent ou Christophe Tarkos. Je commence moi-m&ecirc;me &agrave; pratiquer la po&eacute;sie sonore, sur sc&egrave;ne, avec ma propre voix, avec des textes qui <em>sonnent</em>, en m&rsquo;accompagnant parfois de sons, d&eacute;j&agrave;. En m&ecirc;me temps dans mes &eacute;tudes de cin&eacute;ma je d&eacute;couvre comment fonctionnent les logiciels audio, je prends l&rsquo;essentiel de mon plaisir &agrave; <em>post-synchroniser</em> mes petits films d&rsquo;&eacute;tudiant &ndash;&nbsp;c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; refaire tous les sons un &agrave; un, &agrave; la fa&ccedil;on d&rsquo;un Tati ou d&rsquo;un Fellini. Mais je m&rsquo;av&egrave;re &ecirc;tre un bien pi&egrave;tre cin&eacute;aste ; en s&eacute;ance de visionnage, mes rushes me semblent toujours fades, d&eacute;cevants, jamais &agrave; la hauteur de mes images mentales.</p> <p style="text-align: justify;">La rencontre avec la radio se produit quand j&rsquo;arrive &agrave; Bruxelles, dans le cadre de mes &eacute;tudes de cin&eacute;ma &ndash; la radio est alors le seul endroit &agrave; Bruxelles &agrave; accueillir ma passion pour la po&eacute;sie sonore. Mais pas n&rsquo;importe quelle radio : l&rsquo;<em>atelier de cr&eacute;ation sonore radiophonique </em>(acsr). C&rsquo;est un endroit unique en son genre, qui me permet tr&egrave;s t&ocirc;t de proposer des dispositifs radiophoniques pour des formes po&eacute;tiques&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. Quand j&rsquo;y arrive dans les ann&eacute;es 2000, l&rsquo;acsr bouillonne de r&eacute;flexions sur la radio&nbsp;&ndash; &laquo;&nbsp;la radio est un art&nbsp;&raquo; est notre mantra. Mais autant, dans nos discussions, cette certitude est assez facile &agrave; d&eacute;fendre quand il s&rsquo;agit du <em>documentaire</em> radiophonique, avec des grandes figures comme Yann Parantho&euml;n ; ou quand il s&rsquo;agit de la <em>cr&eacute;ation</em> radiophonique de type H&ouml;rspiel, avec des noms comme Ren&eacute; Farabet, Luc Ferrari ou encore l&rsquo;ACR de France Culture ; autant cette affirmation devient beaucoup plus difficile &agrave; tenir quand il s&rsquo;agit de <em>fiction</em> radiophonique. En tout cas, dans notre exp&eacute;rience &agrave; ce moment-l&agrave;, nous n&rsquo;avons jamais v&eacute;cu de choc esth&eacute;tique en &eacute;coutant une fiction radio, il n&rsquo;y a aucune grande figure que nous admirons et dont nous voulions nous inspirer. Il faut rappeler qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;&eacute;poque on parle encore de &laquo;&nbsp;dramatiques radio &raquo; sur les ondes publiques, que ce qu&rsquo;on y entend sent souvent le renferm&eacute;, le studio. La fiction radio d&rsquo;alors ne nous semble pas anim&eacute;e d&rsquo;une volont&eacute; propre, elle semble se contenter de son r&ocirc;le de faire-valoir servile d&rsquo;un texte et d&rsquo;un auteur. Ce n&rsquo;&eacute;tait pas ce dont nous r&ecirc;vions. Et cet &eacute;tat de fait nous emb&ecirc;tait beaucoup, parce que nous nous disions que th&eacute;oriquement il n&rsquo;y avait aucune raison pour que la fiction radio ne soit pas un art majeur.</p> <p style="text-align: justify;">Jusqu&rsquo;&agrave; ce que l&rsquo;on d&eacute;couvre &ndash; c&rsquo;est le d&eacute;clic qu&rsquo;on attendait &ndash; cette fiction radio qui s&rsquo;appelle <em>Le Bocal, </em>de Mariannick Bellot et Christophe Rault, sur Arte Radio. Ce n&rsquo;est sans doute pas pour rien si le changement vient d&rsquo;une webradio (c&rsquo;est compl&egrave;tement nouveau &agrave; l&rsquo;&eacute;poque), si la r&eacute;v&eacute;lation vient du num&eacute;rique. On est en 2006 pour la premi&egrave;re saison, puis en 2008 pour la deuxi&egrave;me (la plus aboutie selon moi). Et l&agrave; soudain on se dit&nbsp;: c&rsquo;est une fiction audio purement radiophonique, qui int&egrave;gre le son comme une dimension intrins&egrave;que de son &eacute;criture&nbsp;; c&rsquo;est absolument irr&eacute;ductible &agrave; la litt&eacute;rature, au th&eacute;&acirc;tre ou au cin&eacute;ma&nbsp;; c&rsquo;est purement radiophonique&hellip; C&rsquo;est ce qu&rsquo;on attendait. Ce mod&egrave;le nous a lib&eacute;r&eacute;s, nous a permis de nous dire : voil&agrave;, c&rsquo;est possible.</p> <p style="text-align: justify;">&Agrave; partir de ce moment-l&agrave;, je commence moi-m&ecirc;me &agrave; r&eacute;aliser des fictions radio. Dans une &laquo;&nbsp;premi&egrave;re p&eacute;riode&nbsp;&raquo; si j&rsquo;ose dire, que je qualifierais d&rsquo;exp&eacute;rimentale&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>, je r&eacute;alise encore des fictions radio &laquo;&nbsp;en po&egrave;te&nbsp;&raquo; ; c&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;&agrave; chaque fois je trouve <em>une</em> id&eacute;e sonore qui me semble valoir la peine d&rsquo;&ecirc;tre r&eacute;alis&eacute;e, mais &agrave; chaque fois je me dis aussi que c&rsquo;est la derni&egrave;re fois, que c&rsquo;est un <em>one shot</em>. Je ne suis pas encore enti&egrave;rement convaincu que la fiction radio est un langage &agrave; part enti&egrave;re. Dans <em>Kirkjub&aelig;jarklaustur</em> par exemple, l&rsquo;id&eacute;e &eacute;tait de faire une fiction radio &laquo;&nbsp;normale&nbsp;&raquo; en quelque sorte, mais o&ugrave; tous les sons &ndash; narration, dialogues, musique, bruitage, sound design, paysage sonore &ndash; sont faits &laquo;&nbsp;&agrave; la bouche&nbsp;&raquo;. La seule source sonore, c&rsquo;est la bouche des trois interpr&egrave;tes que nous sommes. &Agrave; partir de cette source unique, on recr&eacute;e tout un monde. C&rsquo;est une sorte de geste d&rsquo;<em>arte povera </em>radiophonique, si l&rsquo;on veut, d&rsquo;affirmation de l&rsquo;artificialit&eacute; radicale de la radio et en m&ecirc;me temps de sa simplicit&eacute; et sa puissance universelle. &Agrave; partir de rien, &agrave; partir de la flamm&egrave;che vacillante d&rsquo;une voix, on peut recr&eacute;er le monde. Pas besoin d&rsquo;autre chose. Au diable le r&eacute;alisme&nbsp;! Encore une fois, l&rsquo;id&eacute;e derri&egrave;re cette d&eacute;marche &eacute;tait de cr&eacute;er un objet strictement radiophonique, sans &eacute;quivalent dans d&rsquo;autres disciplines, cin&eacute;ma ou litt&eacute;rature par exemple.</p> <p style="text-align: justify;">Et puis dans un deuxi&egrave;me temps, apr&egrave;s cette p&eacute;riode &laquo;&nbsp;exp&eacute;rimentale&nbsp;&raquo;, j&rsquo;entre dans une deuxi&egrave;me p&eacute;riode plus &laquo;&nbsp;fictionnelle&nbsp;&raquo;&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>, o&ugrave; je commence &agrave; assumer que je suis un r&eacute;alisateur de fictions radio, que c&rsquo;est devenu mon mode d&rsquo;expression principal, mon m&eacute;tier, o&ugrave; je commence &agrave; appr&eacute;cier le simple fait de <em>raconter</em> une histoire avec les moyens du son et de la radio, o&ugrave; je suis enfin convaincu qu&rsquo;il y a une infinit&eacute; de styles possibles en fiction radio, que c&rsquo;est un langage &agrave; part enti&egrave;re&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>.</p> <p style="text-align: center;">*</p> <p style="text-align: justify;">Apr&egrave;s avoir rapidement bross&eacute; mon parcours, j&rsquo;aimerais revenir maintenant &agrave; la notion de &laquo;&nbsp;po&eacute;sie sonore&nbsp;&raquo; &ndash; un bien &eacute;trange objet quand on y pense &ndash;, et prendre le temps de m&rsquo;arr&ecirc;ter sur certains des concepts qui la traversent, et qui contaminent encore ma propre fa&ccedil;on de faire la radio. Dans le cadre de cette intervention, je ne parlerais pas de <em>toute</em> la po&eacute;sie sonore (il faudrait un colloque entier pour cela), je me concentrerai donc uniquement sur Henri Chopin, un des fondateurs de la po&eacute;sie sonore&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>, &agrave; la fois parce qu&rsquo;il est sans doute le plus embl&eacute;matique des po&egrave;tes sonores, mais surtout parce que son &oelig;uvre est celle qui m&rsquo;a le plus marqu&eacute;. Il n&rsquo;y a quasiment pas de mots dans les <em>audiopo&egrave;mes</em> d&rsquo;Henri Chopin (c&rsquo;est ainsi qu&rsquo;il les nomme), c&rsquo;est essentiellement du souffle, du corps qui est enregistr&eacute;. Il y aurait de multiples fa&ccedil;ons de d&eacute;crire le travail d&rsquo;Henri Chopin. L&rsquo;un d&rsquo;elles &ndash; tr&egrave;s caricaturale &ndash; consisterait &agrave; dire par exemple que c&rsquo;est quelqu&rsquo;un qui a enregistr&eacute; des gargouillis sur un magn&eacute;tophone et qui appel&eacute; &ccedil;a &laquo; po&eacute;sie &raquo;. Comme dans un geste duchampien o&ugrave; l&rsquo;on pose l&rsquo;estampille &laquo; art &raquo; sur une pissoti&egrave;re. Au-del&agrave; de la provocation, ce geste a le m&eacute;rite de faire table rase d&rsquo;une certaine po&eacute;sie &ndash; pompeuse, pr&eacute;cieuse, acad&eacute;mique, bourgeoise (rayer la mention inutile). Et cela fait le plus grand bien. Mais c&rsquo;est aussi une affirmation du corps, de l&rsquo;organique &ndash; l&agrave; encore en opposition &agrave; une po&eacute;sie &laquo; blanche &raquo;, abstraite, &eacute;th&eacute;r&eacute;e. Et c&rsquo;est aussi tout simplement tr&egrave;s beau. Si on &eacute;coute du Henri Chopin aujourd&rsquo;hui, c&rsquo;est d&rsquo;une beaut&eacute; lunaire, &ccedil;a ne ressemble &agrave; rien, c&rsquo;est une exp&eacute;rience inou&iuml;e, comme si on venait d&rsquo;atterrir pour une heure sur une plan&egrave;te aux paysages inconnus qu&rsquo;on ne serait pas s&ucirc;r d&rsquo;&ecirc;tre amen&eacute; &agrave; revoir un jour.</p> <p style="text-align: justify;">Mais &ndash; et c&rsquo;est l&agrave; o&ugrave; je voulais en venir &ndash; c&rsquo;est aussi un geste th&eacute;orique. Le simple fait d&rsquo;appeler &laquo; po&eacute;sie &raquo; l&rsquo;enregistrement de cette voix pure, de ce pur vouloir-dire d&eacute;nu&eacute; de mots, contient toute une pens&eacute;e, complexe et &eacute;labor&eacute;e, repli&eacute;e sur elle-m&ecirc;me. Que nous dit ce geste ? Que toute l&rsquo;histoire de la litt&eacute;rature est une simple parenth&egrave;se, un accident de parcours technologique dans l&rsquo;histoire d&rsquo;un art qui serait beaucoup plus vaste, beaucoup plus ancien, et qui serait <em>la Po&eacute;sie</em> sous la forme de la tradition orale, l&rsquo;<em>Art de la parole</em>, un art originel qui aurait toujours &eacute;t&eacute; l&agrave;. Depuis la nuit des temps la po&eacute;sie aurait &eacute;t&eacute; orale, sauvage, sous la forme du cri ou du chant, primitif d&rsquo;abord, accompagnant pendant des dizaines de mill&eacute;naires <em>Homo Sapiens</em> dans ses chasses ou dans ses peintures rupestres &agrave; la lueur des torches, puis s&rsquo;articulant, devenant exclamation, &eacute;merveillement, impr&eacute;cation, m&eacute;lop&eacute;e, ritournelle, litanie, sortil&egrave;ge, pri&egrave;re, jeu, joute ; elle se serait certainement civilis&eacute;e au N&eacute;olithique, &agrave; la fondation des Cit&eacute;s et des civilisations, raffin&eacute;e, enrichie au contact des autres langues et des autres cultures, sous la forme de l&rsquo;&eacute;pop&eacute;e notamment, occasionnellement accompagn&eacute;e de cordes pinc&eacute;es ou de tambours de peaux&nbsp;; elle serait devenue d&rsquo;une sophistication extr&ecirc;me, ses meilleurs a&egrave;des auraient &eacute;t&eacute; recherch&eacute;s dans les cours les plus prestigieuses &ndash; nous sommes &agrave; l&rsquo;&eacute;poque des sources orales de l&rsquo;Iliade et de l&rsquo;Odyss&eacute;e &ndash; mais toute cette lente construction d&rsquo;un art s&rsquo;est &eacute;vanouie d&rsquo;un coup dans notre m&eacute;moire, comme finissent toujours par s&rsquo;&eacute;vanouir les paroles. Ce n&rsquo;est finalement que tr&egrave;s tardivement dans l&rsquo;histoire de la Po&eacute;sie que s&rsquo;op&egrave;re la rencontre d&eacute;terminante avec une nouvelle technologie, l&rsquo;<em>&eacute;criture</em>, une technologie de comptables &agrave; l&rsquo;origine, invent&eacute;e pour r&eacute;pertorier le nombre de jarres d&rsquo;orge ou de t&ecirc;tes de b&eacute;tail que l&rsquo;on devait. La rencontre avec cette technologie a &eacute;t&eacute; &ndash; on le sait &ndash; &ocirc; combien heureuse et f&eacute;conde, et a engendr&eacute; cette longue idylle qu&rsquo;on appelle <em>litt&eacute;rature</em>. Mais pour passionnante qu&rsquo;elle soit, ce moment particulier de la Po&eacute;sie qu&rsquo;est la litt&eacute;rature n&rsquo;en constitue pas pour autant l&rsquo;Alpha et l&rsquo;Om&eacute;ga, elle n&rsquo;en est si l&rsquo;on veut que le dernier m&eacute;andre. Et tout nous incite &agrave; croire que la Po&eacute;sie avant l&rsquo;&eacute;criture &eacute;tait tout aussi <em>heureuse et f&eacute;conde</em>. Le geste d&rsquo;Henri Chopin consiste (entre autres) &agrave; nous reconnecter &agrave; cette f&eacute;condit&eacute; heureuse des origines, &agrave; faire revivre son &eacute;nergie essentielle et &agrave; la r&eacute;inventer &agrave; l&rsquo;aune de notre temps.</p> <p style="text-align: justify;">Si on suit ce chemin de pens&eacute;e jusqu&rsquo;au bout, on pourrait affirmer que l&rsquo;&eacute;criture au fond n&rsquo;est rien d&rsquo;autre qu&rsquo;une <em>technologie d&rsquo;enregistrement de la voix</em>. On se souvient que Saint Augustin s&rsquo;&eacute;tonnait de voir un de ses coll&egrave;gues lire un texte &agrave; voix-basse. C&rsquo;&eacute;tait une anomalie &agrave; l&rsquo;&eacute;poque. Un texte &eacute;tait cens&eacute; &ecirc;tre restitu&eacute; &agrave; voix-haute. Un <em>lecteur</em> devant un manuscrit, c&rsquo;&eacute;tait un peu comme une <em>t&ecirc;te de lecture</em> devant une bande magn&eacute;tique, un diamant sursautant dans un microsillon&nbsp;; il s&rsquo;agissait de d&eacute;chiffrer un syst&egrave;me de signes et de le transposer en ph&eacute;nom&egrave;ne acoustique, phonatoire. &Agrave; ceci pr&egrave;s que l&rsquo;enregistrement audio restitue le <em>grain</em> de la voix, son timbre, son rythme, quand l&rsquo;&eacute;criture ne parvient &agrave; capturer que la suite des mots, le flux d&rsquo;&eacute;nonciation &ndash; dans lequel il nous arrive parfois tout de m&ecirc;me de pouvoir encore&nbsp;&laquo;&nbsp;entendre&nbsp;&raquo; la voix-fant&ocirc;me de l&rsquo;&eacute;nonciateur&nbsp;: c&rsquo;est l&rsquo;autre nom du <em>style</em>. Pour comprendre l&rsquo;&eacute;tonnement de Saint Augustin, il nous faut proc&eacute;der par transposition. Imaginons par exemple que l&rsquo;invention de la <em>notation musicale</em> ait rendu compl&egrave;tement obsol&egrave;tes les concerts et les disques, et que d&eacute;sormais la musique ne se consomme plus qu&rsquo;en silence, dans la solitude de sa chambre, le nez sur sa partition&hellip; La po&eacute;sie sonore fait en quelque sorte retour aux origines de la po&eacute;sie orale, en restituant ce lien au phonatoire, au timbre de la voix vivant et vibrant, mais en conservant de l&rsquo;histoire de la litt&eacute;rature l&rsquo;<em>&eacute;criture,</em> ou archi-&eacute;criture au sens derridien, l&rsquo;<em>inscription</em> de cette voix vivante et vibrante sur ce nouveau papier qu&rsquo;est la bande magn&eacute;tique&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>. Car la po&eacute;sie sonore n&rsquo;est pas qu&rsquo;affaire de pr&eacute;sence sur sc&egrave;ne du corps du po&egrave;te ; d&egrave;s le d&eacute;part, c&rsquo;est le <em>magn&eacute;tophone&nbsp;</em> qui est cardinal dans la fondation de la po&eacute;sie sonore<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>, pens&eacute; comme un <em>nouveau stylo</em>.</p> <p style="text-align: center;">*</p> <p style="text-align: justify;">Si l&rsquo;on fait pour sienne cette &laquo;&nbsp;th&eacute;orie&nbsp;&raquo; que je viens d&rsquo;&eacute;noncer, on ne s&rsquo;&eacute;tonnera pas que le glissement de la <em>po&eacute;sie sonore</em> &agrave; la <em>fiction audio</em> se soit fait tout naturellement, un peu &agrave; la mani&egrave;re d&rsquo;un &eacute;crivain qui, apr&egrave;s avoir touch&eacute; &agrave; la po&eacute;sie, jetterait son d&eacute;volu sur le roman pour &eacute;largir sa palette&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Jusqu&rsquo;&agrave; pr&eacute;sent j&rsquo;ai utilis&eacute; presque indiff&eacute;remment les termes <em>fiction radio</em> et <em>fiction audio</em>. Il est temps de marquer ma pr&eacute;f&eacute;rence pour ce dernier. Est-ce &agrave; dire que je rattacherais d&rsquo;une fa&ccedil;on ou d&rsquo;une autre la <em>fiction audio</em> &agrave; la grande Geste de la Po&eacute;sie sonore dessin&eacute;e par Henri Chopin, et que ce faisant je lui conf&egrave;rerais un caract&egrave;re plus <em>essentiel</em> que la fiction radio&nbsp;? Je ne suis pas loin de le penser&nbsp;: le terme de <em>fiction audio</em> me semble plus vaste, en effet, je m&rsquo;y reconnais plus, et j&rsquo;affectionne particuli&egrave;rement cette filiation, ce glissement s&eacute;mantique de <em>po&eacute;sie / sonore</em> &agrave; <em>fiction / audio</em>. Mais ce n&rsquo;est pas pour autant qu&rsquo;il faille <em>jouer</em> la fiction audio contre la fiction radio. Je ne pense pas que &ccedil;a ait la moindre utilit&eacute;. On sait combien il est tendu ces jours-ci de remettre en cause la radio face au rouleau compresseur du podcast &ndash; avec le danger d&rsquo;un nivellement par le bas, d&rsquo;un sous-financement, voire d&rsquo;une disparition compl&egrave;te de la cr&eacute;ation radio. Je rappelle que le slogan du premier Paris Podcast Festival en 2018 &eacute;tait : &laquo; Ce n&rsquo;est pas de la radio, c&rsquo;est du podcast&nbsp;!&nbsp;&raquo;&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>. Dans cette situation, on peut comprendre que soit tr&egrave;s mal v&eacute;cue par les acteurs et les actrices de la radio de cr&eacute;ation, &oelig;uvrant dans une ombre la majorit&eacute; du temps, cette OPA agressive du podcast sur la narration sonore, tirant la couverture &agrave; soi, rel&eacute;guant la radio au rang d&rsquo;antiquit&eacute;, criant haut et fort avoir invent&eacute; la roue.</p> <p style="text-align: justify;">Je pense que nous sommes &agrave; un moment particulier de notre histoire. Ce n&rsquo;est sans doute pas pour rien si ce colloque s&rsquo;est donn&eacute; pour cadre d&rsquo;&eacute;tudes les dix ou vingt derni&egrave;res ann&eacute;es de notre m&eacute;dium. Cela co&iuml;ncide avec l&rsquo;arriv&eacute;e du num&eacute;rique dans les techniques d&rsquo;enregistrement, de production et de diffusion&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>. Je suis convaincu que cette (r)&eacute;volution technologique a boulevers&eacute; plus qu&rsquo;on ne le pense notre fa&ccedil;on de faire de la fiction radio, son esth&eacute;tique en g&eacute;n&eacute;ral. Quand j&rsquo;ai commenc&eacute; &agrave; manipuler du son au tournant des ann&eacute;es 2000, il n&rsquo;&eacute;tait pas rare encore d&rsquo;utiliser la bande magn&eacute;tique, que ce soit pour l&rsquo;enregistrement ou pour le montage. Je n&rsquo;ai aucune nostalgie de cette &eacute;poque-l&agrave;, parce que pour moi c&rsquo;&eacute;tait un support beaucoup plus lourd, beaucoup moins mall&eacute;able que le son sur ordinateur. Une partie de l&rsquo;amour que je voue au son est li&eacute;e &agrave; la fluidit&eacute; organique du num&eacute;rique que j&rsquo;ai tout de suite ressentie en le d&eacute;couvrant. J&rsquo;&eacute;voquais plus haut <em>Le Bocal</em> sur Arte Radio. Pour moi c&rsquo;est typiquement une &oelig;uvre d&rsquo;une &eacute;poque num&eacute;rique. Je suis persuad&eacute; que c&rsquo;&eacute;tait infaisable sur un vieux banc de montage magn&eacute;tique, ou alors cela aurait &eacute;t&eacute; tellement fastidieux, cela aurait demand&eacute; tellement d&rsquo;heures de travail pour atteindre une telle intrication du son et de la narration que personne n&rsquo;aurait m&ecirc;me <em>song&eacute;</em> &agrave; s&rsquo;aventurer dans une telle esth&eacute;tique.</p> <p style="text-align: justify;">Avec le num&eacute;rique, le son acquiert une v&eacute;ritable <em>plasticit&eacute;</em>, on peut modeler et remodeler &agrave; l&rsquo;infini le flux d&rsquo;ondes sonores qui coule de votre ordinateur. Pour illustrer cette impression, je vais donner un exemple : dans une de mes fictions, <em>John Haute Fid&eacute;lit&eacute;</em>, j&rsquo;ai &eacute;chantillonn&eacute; un extrait d&rsquo;une symphonie de Beethoven et j&rsquo;ai modifi&eacute; apr&egrave;s coup les notes <em>&agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur m&ecirc;me du sample</em>, pour y introduire des dissonances presque dod&eacute;caphoniques. Comme si Beethoven avait &eacute;cout&eacute; du Arv&ouml; Part sur son mp3. Ou comme si j&rsquo;avais pu pr&eacute;lever l&rsquo;ADN sonore de Beethoven, le modifier g&eacute;n&eacute;tiquement et l&rsquo;exp&eacute;dier par uchronie musicale dans un monde parall&egrave;le inconnu. Si les techniques du <em>montage</em> et du <em>mixage</em> &eacute;taient d&eacute;j&agrave; pr&eacute;sentes &agrave; l&rsquo;&egrave;re du magn&eacute;tophone et faisaient partie int&eacute;grante de son esth&eacute;tique, le num&eacute;rique a ajout&eacute; une nouvelle dimension sonore : l&rsquo;art de la <em>mutation</em>.</p> <p style="text-align: justify;">Dans les ann&eacute;es &agrave; venir, de nouvelles technologies audio vont faire leur apparition&nbsp;: l&rsquo;Intelligence Artificielle ou les deepfakes vont nous permettre (ou nous permettent d&eacute;j&agrave;&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>) de cloner des voix, par exemple la voix des morts, et de leur faire dire ce que l&rsquo;on veut. Je me prends &agrave; imaginer une fiction o&ugrave; j&rsquo;exhumerais une archive inconnue du g&eacute;n&eacute;ral de Gaulle&hellip; ou une chanson in&eacute;dite d&rsquo;&Eacute;dith Piaf&hellip; Ces technologies ne sont pas effrayantes &agrave; mes yeux dans leur usage artistique (dans un usage journalistique ou de manipulation de la v&eacute;rit&eacute;, c&rsquo;est tout autre chose), elles sont r&eacute;jouissantes au contraire, car elles mettent le cr&eacute;ateur sonore dans la position de l&rsquo;&eacute;crivain-d&eacute;miurge, pouvant convoquer le monde &agrave; l&rsquo;infini sur son ordinateur. Et cela va selon moi dans le sens d&rsquo;un art audio comme art majeur.</p> <p style="text-align: justify;">Mais le tournant principal que le num&eacute;rique a fait prendre &agrave; notre m&eacute;dium &agrave; mon avis se situe au niveau de la <em>diffusion</em> &ndash; la radio consid&eacute;r&eacute;e non plus seulement comme art de <em>flux</em>, mais aussi comme art de <em>stock</em>. On peut ici reprendre &agrave; notre compte l&rsquo;analogie avec le bouleversement que l&rsquo;&eacute;criture a provoqu&eacute; dans la po&eacute;sie orale. Ce qui appara&icirc;t avec le num&eacute;rique, c&rsquo;est moins la possibilit&eacute; de <em>conserver</em> des traces des &oelig;uvres pass&eacute;es &ndash; l&rsquo;archivage sur bandes magn&eacute;tiques ayant toujours exist&eacute; dans les grandes radios publiques &ndash; que celle de les <em>partager</em> et de <em>consulter</em> facilement et largement&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>. Les &eacute;crivains ont leur biblioth&egrave;que, les cin&eacute;astes ont leur cin&eacute;math&egrave;que, et c&rsquo;est dans la connaissance intime des &oelig;uvres du pass&eacute;, dont on peut s&rsquo;inspirer ou qu&rsquo;on peut au contraire rejeter, que se cr&eacute;e une <em>culture</em>, par s&eacute;dimentation. Or jusqu&rsquo;&agrave; assez r&eacute;cemment en radio nous n&rsquo;avions pas l&rsquo;&eacute;quivalent d&rsquo;une <em>radioth&egrave;que</em>. La radio &eacute;tait un art quasi-amn&eacute;sique, o&ugrave; chaque g&eacute;n&eacute;ration recommen&ccedil;ait &agrave; b&acirc;tir sur du sable.</p> <p style="text-align: justify;">Cela a chang&eacute; depuis une petite vingtaine d&rsquo;ann&eacute;es. Nous nous &eacute;coutons les uns les autres. Nous ne &laquo;&nbsp;ratons&nbsp;&raquo; plus la diffusion des &oelig;uvres de nos coll&egrave;gue, dans la mesure o&ugrave; celles-ci restent g&eacute;n&eacute;ralement consultables pendant des ann&eacute;es&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>. Ces &eacute;coutes, ainsi que l&rsquo;existence de festivals, de quelques &ndash; trop rares &ndash; articles critiques (dans feu <em>Syntone</em>, aujourd&rsquo;hui dans <em>T&eacute;l&eacute;rama</em> ou <em>Le Monde</em>), ou d&rsquo;un colloque comme celui-ci, contribue &agrave; cr&eacute;er l&rsquo;&eacute;mulation indispensable &agrave; la formation d&rsquo;une v&eacute;ritable <em>sc&egrave;ne</em> de la fiction sonore francophone.</p> <p style="text-align: justify;">En revendiquant plus haut mon attachement au terme <em>fiction audio</em>, j&rsquo;ai peut-&ecirc;tre donn&eacute; l&rsquo;impression de me placer moi-m&ecirc;me dans cette cat&eacute;gorie d&rsquo;artistes audio d&eacute;tach&eacute;s de toute institution radiophonique, cr&eacute;ant et diffusant ind&eacute;pendamment sur Internet. Or il n&rsquo;en est rien. Mon mode de production reste extr&ecirc;mement attach&eacute; &agrave; l&rsquo;institution &laquo;&nbsp;radio&nbsp;&raquo;&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>, qu&rsquo;elle soit publique ou non, ne serait-ce que parce que c&rsquo;est l&agrave; qu&rsquo;on peut trouver le financement indispensable &agrave; une production professionnelle comprenant com&eacute;diens, bruiteurs, sound designers, ing&eacute;nieurs du son.</p> <p style="text-align: justify;">Cependant ces purs artistes de &laquo;&nbsp;fiction audio&nbsp;&raquo; d&eacute;tach&eacute;s de l&rsquo;institution radiophonique que je d&eacute;cris existent. Je citerai trois noms. Daniel Martin-Borret tout d&rsquo;abord, qui &ndash; m&ecirc;me s&rsquo;il est r&eacute;guli&egrave;rement diffus&eacute; sur des radios &ndash; est vraiment pour moi l&rsquo;exemple parfait de l&rsquo;auteur audio, produisant ses pi&egrave;ces sur son propre blog, faisant tout lui-m&ecirc;me, de l&rsquo;&eacute;criture &agrave; la technique en passant par la musique et la diffusion, une sorte d&rsquo;<em>&eacute;crivain audio total </em>(je ne sais pas s&rsquo;il appr&eacute;cierait ce terme). Je citerai &eacute;galement &Egrave;lg, un musicien &eacute;lectronique exp&eacute;rimental bas&eacute; &agrave; Bruxelles qui a r&eacute;alis&eacute; avec <em>Amiral Prose</em> une fiction audio hallucin&eacute;e, &agrave; mille lieux du &laquo;&nbsp;storytelling&nbsp;&raquo; omnipr&eacute;sent dans le podcast. Je vous le recommande vivement, c&rsquo;est tr&egrave;s inspirant. Et enfin je citerai Vimala Pons, une circassienne et com&eacute;dienne (notamment dans les films de Bertrand Mandico) et son tr&egrave;s &eacute;trange et abouti <em>M&eacute;moires de l&rsquo;Homme Fente</em>, un livre audio ou &laquo; film sans images &raquo; (tel qu&rsquo;elle le nomme) distribu&eacute; directement en cassette. Il me semblerait malhonn&ecirc;te de qualifier son travail de &laquo; &nbsp;radiophonique &raquo;, puisqu&rsquo;&agrave; aucun moment la radio ne semble entrer en ligne de compte, ni dans sa production, ni dans sa diffusion, ni m&ecirc;me en tant que simple r&eacute;f&eacute;rence. Pourtant, loin d&rsquo;&ecirc;tre une simple &laquo; lecture audio &raquo; agr&eacute;ment&eacute;e de quelques effets sonores, son r&eacute;cit et sa construction font preuve d&rsquo;une grande maturit&eacute; sonore. Il n&rsquo;y a pas de doute pour moi : nous pratiquons le m&ecirc;me art : la &laquo;&nbsp; fiction audio &raquo;. Et dans un autre registre, beaucoup plus pop et pulp, la <em>saga mp3</em>, apparue dans les ann&eacute;es 2000,&nbsp;a sans doute fait de la &laquo;&nbsp;fiction radio&nbsp;&raquo; sans le savoir pendant des ann&eacute;es, &agrave; l&rsquo;instar de monsieur Jourdain. Pour emprunter une m&eacute;taphore &agrave; la biologie, on pourrait dire qu&rsquo;il y a eu &laquo;&nbsp;convergence &eacute;volutive&nbsp;&raquo; vers la forme de la fiction audio, en provenance de diff&eacute;rents m&eacute;dias et de diff&eacute;rents milieux, n&rsquo;ayant pas forc&eacute;ment de rapport les uns des autres.</p> <p style="text-align: justify;">Deux mots pour finir.</p> <p style="text-align: justify;">Avant de nous projeter un tant soit peu vers l&rsquo;avenir, prenons d&eacute;j&agrave; notre &eacute;lan vers le pass&eacute;. On trouve d&eacute;j&agrave; la trace de cette aspiration &agrave; la fiction audio d&egrave;s le XVIIe si&egrave;cle, chez Cyrano de Bergerac (l&rsquo;auteur, pas le personnage de la pi&egrave;ce d&rsquo;Edmond Rostand). Dans son livre <em>L&rsquo;Autre Monde&nbsp;: Les &Eacute;tats et Empires de la Lune et du Soleil</em>, il imagine des livres parlants, dont les auteurs nous s&rsquo;adresseraient &agrave; nous directement au creux de l&rsquo;oreille, avec une voix toute musicale&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Pour revenir enfin &agrave; ma question initiale : existe-t-il aujourd&rsquo;hui une <em>vocation</em> &agrave; la fiction audio ? Il y a trois ou quatre ans, j&rsquo;aurais encore &eacute;t&eacute; forc&eacute; de r&eacute;pondre par la n&eacute;gative. Mais c&rsquo;est en train de changer sous nos yeux. J&rsquo;en veux pour preuve l&rsquo;ouverture r&eacute;cente d&rsquo;un Master radio &agrave; l&rsquo;INSAS (l&rsquo;&eacute;cole de cin&eacute;ma, radio et th&eacute;&acirc;tre de Bruxelles) et l&rsquo;existence d&rsquo;une sp&eacute;cialisation &laquo;&nbsp;fiction radio &raquo;. Des jeunes gens aujourd&rsquo;hui <em>veulent</em> faire de la fiction audio, c&rsquo;est leur premier choix, c&rsquo;est leur m&eacute;dium de pr&eacute;dilection. Voil&agrave; qui devrait lever nos derniers doutes&nbsp;: oui, la fiction audio est un art &agrave; part enti&egrave;re, un art qui a tout son (bel) avenir devant lui.</p> <h2><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Fiction <em>radio</em> ou fiction <em>audio</em>&nbsp;: je reviendrai sur la diff&eacute;rence que je mets entre ces deux termes.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Seules peut-&ecirc;tre les fictions jeunesse des <em>Histoire du Pince-Oreille</em> sur France Culture me faisaient r&ecirc;ver, <em>litt&eacute;ralement</em>, puisque je les &eacute;coutais dans un demi-sommeil&nbsp;: elles avaient une libert&eacute; de ton et de r&eacute;alisation que n&rsquo;avaient pas &agrave; mes oreilles les fictions plus s&eacute;rieuses pour adultes.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Ou comme le disait le po&egrave;te Francis Ponge&nbsp; : &laquo; Supposons que chaque peintre, le plus d&eacute;licat, Matisse par exemple&hellip; pour faire ses tableaux, n&rsquo;ait eu qu&rsquo;un grand pot de rouge, un grand pot de jaune, un grand pot de, etc., ce m&ecirc;me pot o&ugrave; tous les peintres depuis l&rsquo;Antiquit&eacute; (fran&ccedil;ais mettons, si vous voulez) et non seulement tous les peintres, mais toutes les concierges, tous les employ&eacute;s de chantiers, tous les paysans ont tremp&eacute; leur pinceau et puis ont peint avec cela. Ils ont remu&eacute; le pinceau, et voil&agrave; Matisse qui vient et prend ce bleu, prend ce rouge, salis depuis, mettons, sept si&egrave;cles pour le fran&ccedil;ais. Il lui faut donner l&rsquo;impression de couleurs pures. Ce serait tout de m&ecirc;me une chose assez difficile ! C&rsquo;est un peu comme &ccedil;a que nous avons &agrave; travailler &raquo; (&laquo; La <em>pratique de la litt&eacute;rature</em> &raquo;, in <em>M&eacute;thodes</em>, Paris, Gallimard, &laquo; Folio&nbsp;&raquo;, p. 226).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Gr&acirc;ce au professeur, traducteur, historien de la m&eacute;decine, organisateur de festival et po&egrave;te sonore Vincent Barras.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> Voir par exemple le cycle <em>Bru(i)xelles</em> sur la webradio SilenceRadio&nbsp;: <a href="https://www.silenceradio.org/grid.php?folder=4">www.silenceradio.org/grid.php?folder=4</a></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Comprenant <em>Personnologue </em>(2009), <em>Kirkjub&aelig;jarklaustur </em>(2011) et <em>Pamela </em>(2015), voir <a href="http://www.dicenaire.com/radio">www.dicenaire.com/radio</a></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> Avec des pi&egrave;ces comme <em>John Haute Fid&eacute;lit&eacute;</em> (2017), <em>Version 133</em> (2019), <em>DreamStation</em> (2019), <em>Clinique de la M&eacute;moire Morte </em>(2020), voir <a href="http://www.dicenaire.com/radio">www.dicenaire.com/radio</a></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> Aujourd&rsquo;hui, si je devais rapprocher la fiction radio d&rsquo;une autre discipline, &ccedil;a serait plut&ocirc;t de l&rsquo;<em>art de guider les r&ecirc;ves &eacute;veill&eacute;s</em> &ndash; c&rsquo;est une bonne d&eacute;finition je trouve du m&eacute;tier du cr&eacute;ateur fiction radio.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> Avec Bernard Heidsieck, principalement.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a> Bernard Stiegler, lui aurait parl&eacute; d&rsquo;<em>hypomn&eacute;mata</em>, c&rsquo;est-&agrave;-dire d&rsquo;ext&eacute;riorisation de notre m&eacute;moire dans un support mat&eacute;riel consultable <em>a posteriori</em>.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a> Ainsi Henri Chopin, quand je lui demandais lors du festival Radiophon&rsquo;ic 2003 &agrave; Bruxelles quel conseil il donnerait &agrave; un jeune po&egrave;te sonore, pr&eacute;conisait avant tout l&rsquo;usage&hellip; du (magn&eacute;tophone &agrave; bande) Revox&nbsp;!</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a> Citons, parmi mille noms possibles, un Roberto Bola&ntilde;o dont &ccedil;a a &eacute;t&eacute; le parcours.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a> Calqu&eacute; sur le slogan de HBO, la cha&icirc;ne c&acirc;bl&eacute;e qui a produit toutes ces excellentes s&eacute;ries TV, &laquo;&nbsp;It&rsquo;s not TV, it&rsquo;s HBO&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;">[14] Je renverrai ici &agrave; l&rsquo;excellente s&eacute;rie d&rsquo;articles de Juliette Vocler sur les origines du podcast, <em>Il &eacute;tait une fois le podcast</em> : <a href="http://syntone.fr/il-etait-une-fois-le-podcast-1-faire-table-rase/">http://syntone.fr/il-etait-une-fois-le-podcast-1-faire-table-rase/</a></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a> <a href="https://www.theverge.com/tldr/2018/4/17/17247334/ai-fake-news-video-barack-obama-jordan-peele-buzzfeed">https://www.theverge.com/tldr/2018/4/17/17247334/ai-fake-news-video-barack-obama-jordan-peele-buzzfeed</a></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a> Avant l&rsquo;arriv&eacute;e d&rsquo;Internet, la seule source accessible d&rsquo;archives radiophoniques &eacute;tait Les Nuits de France Culture, et depuis 1989, les splendides livres-CDs des &eacute;ditions Phonurgia Nova (que leur nom soit b&eacute;ni pour l&rsquo;&Eacute;ternit&eacute; dans les cieux radiophoniques).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a> Ainsi on me parle encore encore r&eacute;guli&egrave;rement de <em>Personnologue</em>, ma premi&egrave;re pi&egrave;ce en 2009&hellip;</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a> Et nous sommes nombreux dans ce cas, comme Alexandre Plank ou Benjamin Abitan&hellip;</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a> &laquo;&nbsp;C&rsquo;est un livre o&ugrave; pour apprendre les yeux sont inutiles ; on n&rsquo;a besoin que des oreilles. [&hellip;] il en sort comme de la bouche d&rsquo;un homme ou d&rsquo;un instrument de musique, tous les sons distincts et diff&eacute;rents qui servent, entre les grands lunaires, &agrave; l&rsquo;expression du langage [&hellip;]&nbsp;&raquo; (<em>op. cit.</em>).</p> <h3 style="text-align: justify;">Auteur</h3> <p style="text-align: justify;"><strong>Sebastian Dicenaire</strong> est po&egrave;te, performeur, auteur et r&eacute;alisateur de fictions sonores. Impliqu&eacute; dans la programmation de Silence Radio, &eacute;manation de l&rsquo;ACSR, de son d&eacute;but en 2005 &agrave; son arr&ecirc;t en 2012, il r&eacute;alise ses premi&egrave;res fictions avec l&rsquo;ACSR, en collab. avec Christophe Rault : <em>Personnologue</em>&nbsp;en 2009 (Prix Les Radiophonies 2010 du meilleur texte&nbsp;&ndash; &nbsp;et de la meilleure interpr&egrave;te f&eacute;minine pour Laurence Vielle)&nbsp;;<em>&nbsp;</em><em>Kirkjub&aelig;jarklaustu</em><i>r&nbsp;</i>en 2011,&nbsp;mention sp&eacute;ciale au prix Europa (2011) et prix SACD Belgique de la fiction radio 2012&nbsp;;&nbsp;<i>Pamela</i>&nbsp;en 2015, un feuilleton parodique des romans &agrave; l&rsquo;eau de rose en huit &eacute;pisodes,&nbsp;Prix Phonurgia Nova de la Fiction Francophone 2016. Son avant-derni&egrave;re &oelig;uvre, une fiction d&rsquo;anticipation, est un&nbsp;podcast natif pour France Culture,&nbsp;<i>DreamStation</i>, 2019&nbsp;; sa derni&egrave;re,&nbsp;<i>Clinique</i><i>&nbsp;de la M&eacute;moire Morte</i>, en 4 &eacute;pisodes, a &eacute;t&eacute; produite par RTS-Podcast &amp; Le Labo et mise en ligne &agrave; l&rsquo;automne 2020.</p> <h3 style="text-align: justify;"><strong>Copyright</strong></h3> <p style="text-align: justify;">Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p> </div>