<div class="entry-content"> <h3>Abstract</h3> <p>Since the 1950&rsquo;s, Philippe Soupault&rsquo;s activity on the radio has been very diverse&nbsp;: reporter and producer of broadcasts dedicated to poetry, theatre or interviews. This diversity falls within a personal biographical history. Constantly faithful to Dada, he becomes the defender of popular and unprompted poetry and strives to bring poetry out of the books and to turn it into a living show. The radio also gives him the opportunity to find new paths for his own poetry. From the 1970&rsquo;s, interviews and personal stories on Surrealism confines the poet to the repetition of autobiographical and testimonial gesture. So, the same imagination is operating on the radio and in written work&nbsp;: absolute freedom and inventiveness is in contradiction with memory encapsulation. His radio journey fits closely with his literary journey&nbsp;: one of a creator who is struggling to erase the traces left behind.</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p>Soupault, radio,&nbsp;imaginary,&nbsp;poetry,&nbsp;surrealism</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <h2>Introduction<br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Multiplicit&eacute;, diversit&eacute; et vitalit&eacute;&nbsp;: voil&agrave; les termes qui s&rsquo;imposent pour caract&eacute;riser l&rsquo;&oelig;uvre radiophonique de Soupault. Si l&rsquo;on n&rsquo;en finit pas de retrouver ses textes &ndash;&nbsp;on sait qu&rsquo;il n&rsquo;est pas un collectionneur et qu&rsquo;il essaime ses productions sans aucune volont&eacute; de th&eacute;saurisation&nbsp;&ndash; on est aussi abasourdi quand on se retrouve devant l&rsquo;&eacute;cran de l&rsquo;Ina qui propose le recensement des interventions de Soupault &agrave; la radio et &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision&nbsp;: un vertige&nbsp;! Reporter, producteur d&rsquo;&eacute;missions de th&eacute;&acirc;tre et de po&eacute;sie, cr&eacute;ateur d&rsquo;&oelig;uvres radiophoniques, acteur et t&eacute;moin de la vie litt&eacute;raire, Soupault a endoss&eacute; toutes les tenues.</p> <p style="text-align: justify;">Ce rendez-vous avec la radio n&rsquo;est pas une surprise&nbsp;: il s&rsquo;inscrit dans un itin&eacute;raire personnel biographique, dans la continuit&eacute; logique d&rsquo;une activit&eacute; journalistique qui, aux temps splendides du Surr&eacute;alisme, l&rsquo;a d&eacute;j&agrave; plac&eacute; dans les marges. Il s&rsquo;encadre dans une &eacute;poque, celle des grandes heures po&eacute;tiques de la radio, et plus profond&eacute;ment entre en &eacute;cho avec l&rsquo;imaginaire du cr&eacute;ateur.</p> <p style="text-align: justify;">Cette relation avec la radio a ses p&eacute;riodes de bonheur, ses creux, ses ruptures et ses abandons. Si la radio offre &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre de Soupault la possibilit&eacute; d&rsquo;une r&eacute;g&eacute;n&eacute;ration, ne va-t-elle pas aussi la pi&eacute;ger en l&rsquo;enfermant dans une obligation de fid&eacute;lit&eacute; qui lui est mal conforme&nbsp;? Ou bien Soupault d&eacute;joue-t-il le jeu de la radio avec malice&nbsp;? &laquo;&nbsp;Quel est celui d&rsquo;entre vous /&nbsp;qui rira le dernier&nbsp;&raquo; nous demande Soupault dans le po&egrave;me &laquo;&nbsp;Ronde&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>&nbsp;&raquo;. Et c&rsquo;est peut-&ecirc;tre lui.</p> <p style="text-align: justify;">Je vous propose, pour ce jeu de barbichette, quelques &eacute;clairages sur des formes diff&eacute;rentes de son activit&eacute; radiophonique au gr&eacute; de mes propres plaisirs.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="1_Jai_rendez-vous_avec_vous">1. J&rsquo;ai rendez-vous avec vous</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;activit&eacute; radiophonique de Soupault commence avant la deuxi&egrave;me guerre. D&egrave;s 1936, son ami Pierre Brossolette lui propose d&rsquo;assurer la chronique des lettres &agrave; la radio Paris-PTT&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. En 1938 sa d&eacute;mission du journal <em>Excelsior</em> signe la fin de la p&eacute;riode des grands reportages &eacute;crits&nbsp;; d&eacute;sormais il abandonnera le stylo du journaliste pour le micro. En mars 1938, Brossolette sugg&egrave;re &agrave; L&eacute;on Blum la candidature de Soupault pour diriger une nouvelle station de radio &agrave; Tunis, destin&eacute;e &agrave; combattre l&rsquo;influence des radios italiennes mussoliniennes&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>. Radio Tunis est inaugur&eacute;e le 13 octobre 1938. En juin 1940, les difficult&eacute;s commencent pour Soupault. Il est limog&eacute; en d&eacute;cembre 1940, arr&ecirc;t&eacute; pour haute trahison et emprisonn&eacute; le 12 mars 1942. &Agrave; Tunis, il &eacute;coute Radio Londres et l&rsquo;importance de la voix radiophonique &eacute;clate dans le po&egrave;me &laquo;&nbsp;Ode &agrave; Londres&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Nous &eacute;tions b&acirc;illonn&eacute;s avec de la boue et des immondices [&hellip;]<br /> Cette nuit Londres est bombard&eacute;e pour la centi&egrave;me fois<br /> Une voix s&rsquo;&eacute;levait c&rsquo;&eacute;tait le cri esp&eacute;r&eacute;<br /> Nous &eacute;tions b&acirc;illonn&eacute;s avec de la boue et des immondices [&hellip;]<br /> Cette nuit Londres est bombard&eacute;e pour la centi&egrave;me fois<br /> Une voix s&rsquo;&eacute;levait c&rsquo;&eacute;tait le cri esp&eacute;r&eacute;</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Soupault c&eacute;l&egrave;bre la voix qui unit les hommes, qui repousse l&rsquo;angoisse, qui brise la peur, la voix humaine qui recouvre le fracas des bombes. Et il s&rsquo;embarque dans ce nouveau m&eacute;dia avec la ferveur qu&rsquo;il met &agrave; toutes ses activit&eacute;s. Cependant, en d&eacute;pit de quelques &laquo;&nbsp;sketches radiophoniques&nbsp;&raquo;, comme il les intitule lui-m&ecirc;me, dans lesquels il s&rsquo;engage contre la dictature (je pense aux <em>Moissonneurs </em>ou &agrave;<em> Tous ensemble au bout du monde</em>), sa voix sert surtout des combats po&eacute;tiques et litt&eacute;raires.</p> <p style="text-align: justify;">Apr&egrave;s son s&eacute;jour &agrave; New York, Soupault rentre &agrave; Paris le 8 octobre 1945&nbsp;; c&rsquo;est une p&eacute;riode difficile o&ugrave; il lui semble que le monde ancien a disparu. Il exprime son d&eacute;sarroi dans <em>Journal d&rsquo;un fant&ocirc;me</em> en 1946. Aussi accepte-t-il, fin 1946, la direction des &eacute;missions en langues &eacute;trang&egrave;res &agrave; la RDF, qu&rsquo;il occupe six mois. Mais c&rsquo;est surtout &agrave; partir des ann&eacute;es 1950 que se d&eacute;veloppe l&rsquo;essentiel de ses activit&eacute;s radiophoniques, autant dans le domaine th&eacute;&acirc;tral que po&eacute;tique.</p> <p style="text-align: justify;">Cette activit&eacute; radiophonique de Soupault prolonge donc naturellement son activit&eacute; de reporter dans la presse &eacute;crite, &agrave; un moment de difficult&eacute;s tant financi&egrave;res que personnelles. Elle s&rsquo;inscrit &eacute;galement dans une p&eacute;riode de pleine croissance pour la radio et de pleine cr&eacute;ativit&eacute; pour les &eacute;missions culturelles. Soupault a toujours &eacute;t&eacute; un homme dans son si&egrave;cle, prenant sur le vif toutes les modernit&eacute;s&nbsp;; il ne pouvait manquer le rendez-vous avec la radio.</p> <p style="text-align: justify;">Cette rencontre est d&rsquo;autant plus naturelle qu&rsquo;elle correspond chez lui &agrave; une forme de sensibilit&eacute;, d&rsquo;imaginaire. L&rsquo;&eacute;crivain est sensible aux s&eacute;ductions de la mobilit&eacute;, de l&rsquo;instantan&eacute;. Il n&rsquo;aime pas s&rsquo;attarder, corrige peu ses brouillons, et trouve dans l&rsquo;automatisme et le jaillissement de la pens&eacute;e ses plus grands bonheurs de po&egrave;te. Il y a toujours eu en lui la nostalgie de Dada&nbsp;; il n&rsquo;est pas un m&eacute;ticuleux qui remet cent fois son travail sur le m&eacute;tier. Certes, la radio peut requ&eacute;rir un travail de longue haleine, et Soupault pr&eacute;parait s&eacute;rieusement ses &eacute;missions, mais il y a dans le caract&egrave;re &eacute;ph&eacute;m&egrave;re de la radio quelque chose qui, sans aucun doute, ne manquait pas de le s&eacute;duire. La radio n&rsquo;autorise ni les remords, ni les retours en arri&egrave;re, or Soupault n&rsquo;aime pas remettre les pas dans les pas, bien qu&rsquo;il le fasse tr&egrave;s souvent&nbsp;! Je dirai donc qu&rsquo;il est un radiophile po&eacute;tiquement programm&eacute;.</p> <p style="text-align: justify;">Je me suis promen&eacute;e dans l&rsquo;immensit&eacute; de cette production et j&rsquo;ai choisi d&rsquo;&eacute;clairer ce qui m&rsquo;est apparu comme le plus r&eacute;v&eacute;lateur de l&rsquo;imaginaire de l&rsquo;&eacute;crivain, en me demandant dans quelle mesure le travail radiophonique &eacute;tait un prolongement de l&rsquo;&oelig;uvre &eacute;crite et/ou ouvrait de nouveaux horizons. Vaste programme pour lequel je ne puis ouvrir que quelques pistes&nbsp;!</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="2_Soupault_le_passeur_de_poesie">2. Soupault, le passeur de po&eacute;sie</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Soupault &agrave; la radio est un inlassable d&eacute;fenseur d&rsquo;une po&eacute;sie populaire au meilleur sens du terme. Il d&eacute;veloppe avec une ardeur incroyable sa conception de la po&eacute;sie et la mise en acte de cette conception&nbsp;: po&eacute;sie insolite, po&eacute;sie spontan&eacute;e, po&eacute;sie pour tous. Ne pas s&eacute;parer la po&eacute;sie de la vie, ne pas cantonner la po&eacute;sie dans des livres, mais la faire vivre au quotidien, dans un jaillissement toujours renouvel&eacute;, tel est son Graal.</p> <p style="text-align: justify;">Il est le producteur pendant une dizaine d&rsquo;ann&eacute;es avec Jean Chouquet d&rsquo;&eacute;missions qui, pour certaines, ont eu un fort succ&egrave;s, en particulier, <em>Prenez garde &agrave; la po&eacute;sie</em> de 1954 &agrave; 1956, sur la Cha&icirc;ne nationale. Ce travail de passeur de po&eacute;sie, Soupault le poursuivra avec les s&eacute;ries <em>Faites vous-m&ecirc;me votre anthologie</em> en 1955-1956, <em>Po&egrave;tes &agrave; vos luths</em> en 1956-1957, <em>Po&eacute;sie &agrave; quatre voix</em> en 1957-1958, <em>Comptines</em> en 1957-1959, <em>Po&egrave;tes oubli&eacute;s, amis inconnus </em>en 1959-1961, <em>Proverbes et dictons</em> en 1959-1962, puis <em>Vive la po&eacute;sie</em> (1962-1965) et <em>Midis de la po&eacute;sie</em> (1961-1968).</p> <p style="text-align: justify;">Sa premi&egrave;re intention est de sortir la po&eacute;sie du livre pour qu&rsquo;elle devienne un spectacle vivant. L&rsquo;&eacute;mission <em>Prenez garde &agrave; la po&eacute;sie</em> est pr&eacute;par&eacute;e sur un canevas propos&eacute; en alternance par Chouquet et Soupault&nbsp;pour le choix des textes, des interpr&egrave;tes, des musiques. Elle est enregistr&eacute;e au th&eacute;&acirc;tre Gramont. La pr&eacute;sence constante de l&rsquo;humour est assur&eacute;e par Jean Poiret et Michel Serrault (qui, sous le nom de St&eacute;phane Brineville, incarne un po&egrave;te m&eacute;diocre, vaniteux et niais)&nbsp;; on entend le public rire aux &eacute;clats aux &eacute;changes souvent enlev&eacute;s des duettistes. Le rythme de ces spectacles po&eacute;tiques qui durent plus d&rsquo;une heure est rapide, alternant sketchs, po&egrave;mes mis en musique, et chansons. Le r&ocirc;le du public est essentiel. La s&eacute;rie <em>Po&egrave;tes &agrave; vos luths</em> m&rsquo;est apparue moins cr&eacute;ative. Est-ce parce que le public a disparu&nbsp;? Face &agrave; un micro, qui &eacute;limine la pr&eacute;sence du destinataire, l&rsquo;&eacute;change Poiret/Serrault perd en panache et en dynamisme. Les querelles simul&eacute;es des humoristes, o&ugrave; l&rsquo;un d&eacute;fend la po&eacute;sie classique et l&rsquo;autre la po&eacute;sie moderne, semblent parfois bien artificielles. En fait, la th&eacute;&acirc;tralisation du d&eacute;bat a besoin de la sc&egrave;ne pour donner toute sa vitalit&eacute;.</p> <p style="text-align: justify;">La place de la chanson dans <em>Prenez garde &agrave; la po&eacute;sie</em> est essentielle et l&rsquo;on retrouve l&agrave; le go&ucirc;t de Soupault pour la chanson, capable, comme il l&rsquo;indique dans la pr&eacute;face de son recueil de po&egrave;mes <em>Chansons</em>, de r&eacute;unir des gens de milieux, de nationalit&eacute;s ou de sensibilit&eacute;s diff&eacute;rentes. Dans toutes les &eacute;missions, qu&rsquo;elles soient en public ou en studio, musique et chansons se taillent la part du lion. Si une partie des po&egrave;mes est dite par de grands com&eacute;diens ‒&nbsp;Jacques Dufilho, Raymond Devos, Fran&ccedil;ois P&eacute;rier, Michel Bouquet, Roger Blin, Louis de Fun&egrave;s, Suzanne Flon pour n&rsquo;en citer que quelques-uns&nbsp;‒, beaucoup sont chant&eacute;s par des po&egrave;tes de la chanson&nbsp;: Charles Trenet (dont &laquo;&nbsp;L&rsquo;&acirc;me des po&egrave;tes&nbsp;&raquo; sert d&rsquo;indicatif &agrave; l&rsquo;&eacute;mission <em>Prenez garde &agrave; la po&eacute;sie</em>), Leo Ferr&eacute;, Guy B&eacute;art, F&eacute;lix Leclerc, Georges Moustaki, Pierre Perret, Serge Reggiani&hellip; Les interpr&egrave;tes populaires de l&rsquo;&eacute;poque sont &eacute;videmment convi&eacute;s&nbsp;: Denise Beno&icirc;t, Cora Vaucaire, Germaine Montero, Catherine Sauvage par exemple. Le principe est toujours le m&ecirc;me&nbsp;: accorder &agrave; la po&eacute;sie la plus large visibilit&eacute; possible, la faire entendre, la faire vibrer sur des accords musicaux, ou, quand il s&rsquo;agit de lectures de po&egrave;mes, donner au langage la puissance qu&rsquo;il perd dans une lecture silencieuse.</p> <p style="text-align: justify;">Particuli&egrave;rement remarquable est l&rsquo;&eacute;clectisme des choix de Soupault. Des po&egrave;tes de toutes les &eacute;poques et de toutes les &eacute;coles sont convi&eacute;s. Certes, une grande place est donn&eacute;e &agrave; la po&eacute;sie contemporaine&nbsp;: Apollinaire, Claudel, Cendrars, Carco, Michaux, les surr&eacute;alistes&hellip; Mais Soupault n&rsquo;&eacute;carte jamais la po&eacute;sie classique ou populaire&nbsp;: &laquo;&nbsp;La belle si tu voulais&nbsp;&raquo; fait bon m&eacute;nage avec &laquo;&nbsp;L&rsquo;&eacute;migrant de Lander Road&nbsp;&raquo;. Seuls sont &eacute;cart&eacute;s les symbolistes, Fran&ccedil;ois Copp&eacute;e ou Sully Prudhomme, dont Poiret et Serrault font des parodies humoristiques. Et quand Soupault, dans <em>Faites vous-m&ecirc;me votre anthologie</em>, sollicite la participation des auditeurs ‒&nbsp;concept dont les heures de gloire ne sont pas termin&eacute;es&nbsp;‒ on est surpris par le r&eacute;sultat&nbsp;: un po&egrave;te surr&eacute;aliste r&eacute;alise cinquante et une &eacute;missions de 25 minutes o&ugrave; Ronsard, La Fontaine, Verlaine ou Hugo tiennent le haut du pav&eacute;. Le principe est le m&ecirc;me pour la s&eacute;rie <em>Comptines</em> dans laquelle Soupault, qui pr&eacute;sente l&rsquo;&eacute;mission, fait appel &agrave; des auditeurs de toute la France.</p> <p style="text-align: justify;">La pr&eacute;sence de Soupault dans ces &eacute;missions dont il est le producteur est variable. Il ne prend pas le micro dans <em>Prenez garde &agrave; la po&eacute;sie</em>, pr&eacute;sente la s&eacute;rie <em>Comptines</em>. Dans <em>Po&egrave;tes &agrave; vos luths</em>, il se pr&ecirc;te parfois &agrave; l&rsquo;exercice de l&rsquo;entretien: dans l&rsquo;&eacute;mission diffus&eacute;e le 30 octobre 1956 par exemple, il r&eacute;pond &agrave; un jet de questions tr&egrave;s vari&eacute;es pos&eacute;es par Andr&eacute; Fr&eacute;d&eacute;rique et en profite pour faire une parodie ‒&nbsp;assez inqui&eacute;tante pour nous&nbsp;‒ de la critique universitaire qui l&rsquo;agace prodigieusement. De mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale, il se fait le chantre d&rsquo;une po&eacute;sie spontan&eacute;e, &agrave; l&rsquo;&eacute;coute du merveilleux, proche de l&rsquo;oralit&eacute;, et surtout en dehors des conventions. L&rsquo;anticonformisme, la recherche d&rsquo;une forme de libert&eacute; le conduisent &agrave; n&rsquo;exclure aucune forme de talent. Pour lui, qui est &laquo;&nbsp;n&eacute; pour &ecirc;tre po&egrave;te&nbsp;&raquo;, la po&eacute;sie est un mode de vie, une fa&ccedil;on d&rsquo;&ecirc;tre au monde, le souffle m&ecirc;me de la vie.</p> <p style="text-align: justify;">Je voudrais maintenant envisager le r&ocirc;le de la radio dans l&rsquo;&eacute;volution de sa propre &oelig;uvre&nbsp;: comment la radio lui permet-elle de tisser de nouveaux chemins dans sa propre cr&eacute;ation&nbsp;?</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="3_Les_nouveaux_chemins_de_la_creation">3. Les nouveaux chemins de la cr&eacute;ation</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;&oelig;uvre de Soupault est mise en ondes de fa&ccedil;on multiple et diverse. Adaptations th&eacute;&acirc;trales, adaptations musicales de ses po&egrave;mes, lectures, commentaires foisonnent entre les ann&eacute;es 1950 et 1965. Je prendrai pour exemple de la cr&eacute;ativit&eacute; du po&egrave;te &agrave; la radio les &eacute;missions consacr&eacute;es aux <em>Chansons</em>.</p> <p style="text-align: justify;">Ces six &eacute;missions de 20 minutes diffus&eacute;es du 30 mars au 4 mai 1952 sont produites par Chouquet au Club d&rsquo;Essai sur une suggestion de Tardieu. Elles sont enregistr&eacute;es en studio. Chose rare, l&rsquo;&eacute;mission est vraiment centr&eacute;e sur la po&eacute;sie de Soupault, et sans l&rsquo;interm&eacute;diaire d&rsquo;un journaliste qui, comme &agrave; l&rsquo;accoutum&eacute;e, viendrait demander &agrave; Soupault son point de vue sur le Surr&eacute;alisme&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. Dans &laquo;&nbsp;Chansons d&rsquo;&eacute;crivains&nbsp;&raquo;, Soupault est seul face au micro et se pose/s&rsquo;expose en individu et en po&egrave;te. &laquo;&nbsp;Je m&rsquo;appelle Philippe Soupault&nbsp;&raquo; d&eacute;clare-t-il pour introduire et signer l&rsquo;&eacute;mission. L&rsquo;ouverture de l&rsquo;&eacute;mission nous rappelle &eacute;trangement la cl&ocirc;ture du grand po&egrave;me &laquo;&nbsp;Westwego&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>&nbsp;&raquo;, po&egrave;me de l&rsquo;affirmation de l&rsquo;identit&eacute;&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">et moi le premier ce matin<br /> je dis quand m&ecirc;me<br /> Bonjour<br /> Philippe Soupault</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Il n&rsquo;&eacute;voquera le Surr&eacute;alisme qu&rsquo;&agrave; la toute fin de la derni&egrave;re &eacute;mission avec sa fausse modestie coutumi&egrave;re&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je ne veux pas de ce mot pour excuser mes chansons.&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: justify;">&Agrave; travers le fil biographique, il &eacute;voque son imaginaire d&rsquo;enfant, qui, on le sait, est &agrave; l&rsquo;origine de nombreuses comptines, puis dans la deuxi&egrave;me &eacute;mission les interdits d&rsquo;une enfance bourgeoise, la rigidit&eacute; d&rsquo;une famille qui voit d&rsquo;un mauvais &oelig;il sa vocation de po&egrave;te. Dans la troisi&egrave;me &eacute;mission, son amour des femmes, tiss&eacute; de bonheurs et de regrets. Dans la derni&egrave;re &eacute;mission o&ugrave; il est &laquo;&nbsp;arriv&eacute; au bout de son rouleau&nbsp;&raquo; (dit-il non sans malice), il fait un bilan de sa vie o&ugrave; se m&ecirc;lent la tendresse, la m&eacute;lancolie, et la r&eacute;volte. Cette biographie int&eacute;rieure accorde peu de place &agrave; des analyses circonstancielles. C&rsquo;est le chemin d&rsquo;un homme qui avec lucidit&eacute;, humour et une certaine forme de m&eacute;lancolie entreprend de retourner sur ses pas.</p> <p style="text-align: justify;">Deux choses sont tout &agrave; fait surprenantes&nbsp;: premi&egrave;rement la lecture des po&egrave;mes ou leur mise en musique sont ins&eacute;r&eacute;es dans un discours explicatif, presque illustratif dans lequel Soupault explique la gen&egrave;se de ses po&egrave;mes. Le commentaire est fait d&rsquo;une voix s&eacute;rieuse, sobre et claire, parfois passionn&eacute;e et lyrique. L&rsquo;ensemble prend la forme d&rsquo;un journal int&eacute;rieur &agrave; rebours. D&rsquo;autre part, c&rsquo;est un recueil diff&eacute;rent qui se recompose, non pas sous nos yeux, mais &agrave; nos oreilles. En effet le volume <em>Chansons</em> est class&eacute; par p&eacute;riodes et suit la chronologie de l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;: <em>Premi&egrave;res chansons</em> (1920), <em>Chansons des buses et des rois</em> (1921-1937), <em>L&rsquo;arme secr&egrave;te</em> (1942-1944), <em>Chansons du jour et de la nuit</em> (1947), <em>Chansons v&eacute;cues</em> (1948-1949). Mais dans sa pr&eacute;sentation radiophonique, Soupault d&eacute;place les po&egrave;mes, ins&eacute;rant par exemple dans l&rsquo;&eacute;vocation de l&rsquo;enfance un po&egrave;me datant de 1942, ou m&ecirc;me l&rsquo;un de ses derniers po&egrave;mes. De m&ecirc;me le po&egrave;me &laquo;&nbsp;Georgia&nbsp;&raquo;, qui est le deuxi&egrave;me po&egrave;me du recueil &eacute;crit, ferme l&rsquo;&eacute;mission&nbsp;; les exemples de d&eacute;placement sont multiples. Je n&rsquo;en ferai ici ni le relev&eacute; ni l&rsquo;analyse, mais simplement soulignerai que l&rsquo;&eacute;mission de radio offre quasiment &agrave; Soupault l&rsquo;occasion d&rsquo;une composition nouvelle. Il rassemble les po&egrave;mes par th&egrave;me biographique (l&rsquo;enfant, l&rsquo;adolescent, les femmes), alors qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;accoutum&eacute;e, ses recueils tracent plut&ocirc;t les oscillations int&eacute;rieures du po&egrave;te sans souci de lien th&eacute;matique et encore moins de composition d&rsquo;ensemble.</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;&eacute;mission de radio donne alors &agrave; sa po&eacute;sie quelque chose de r&eacute;gl&eacute; et de presque rigoureux qui &eacute;tonne. Un sens de lecture est propos&eacute;&nbsp;; non seulement cette direction biographique, mais aussi le sens d&eacute;j&agrave; d&rsquo;un bilan. C&rsquo;est donc &agrave; la fois une cr&eacute;ation neuve mais aussi une &oelig;uvre moins ouverte, recompos&eacute;e pour l&rsquo;imp&eacute;ratif de la transmission radiophonique et pass&eacute;e par le filtre organisateur d&rsquo;une conscience qui revient sur elle-m&ecirc;me.</p> <p style="text-align: justify;">Les musiques sont compos&eacute;es par Andr&eacute; Popp, Pierre Devevey, Christiane Verger, Jean Wiener et Pierre Billard. &laquo;&nbsp;Les po&egrave;mes de Philippe &eacute;pous&egrave;rent les rythmes musicaux de l&rsquo;&eacute;poque&nbsp;&raquo; dit Jean Chouquet dans les <em>Cahiers Philippe Soupault&nbsp;</em><a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>. La lecture ou la mise en musique des po&egrave;mes mettent en valeur les sons et les rythmes, en rehaussant un aspect essentiel de sa po&eacute;tique. Soupault en effet n&rsquo;a de cesse de r&eacute;p&eacute;ter que le po&egrave;me s&rsquo;impose &agrave; lui d&rsquo;abord par un rythme. Il le rappelle d&rsquo;ailleurs dans l&rsquo;avertissement du recueil <em>Chansons</em>&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">Je me r&eacute;veillais chaque nuit vers trois heures du matin, quelquefois un peu plus tard. Si j&rsquo;en avais le go&ucirc;t et le courage (ce qui d&eacute;pendait, je crois, de ma fatigue) je pouvais noter ce que je consid&egrave;re comme une chanson que j&rsquo;entendais assez distinctement m&rsquo;&ecirc;tre dict&eacute;e&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Et dans <em>Essai sur la po&eacute;sie</em>&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ce qu&rsquo;il importe de noter, ce n&rsquo;est pas la valeur po&eacute;tique plus ou moins grande des chansons mais leur tonalit&eacute;, leur allure&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>.&nbsp;&raquo; La mise en musique des po&egrave;mes rehausse leur m&eacute;lancolie, leur caract&egrave;re insolite ou leur gaiet&eacute; et elle donne incontestablement de la force aux po&egrave;mes. Ces po&egrave;mes de Soupault qui sont parfois murmures ou caresses, qui coulent et jouent de leur propre effacement, s&rsquo;ancrent dans la musique avec des interpr&egrave;tes aux voix rauques, puissantes ou chaleureuses. La po&eacute;sie de Soupault prend corps, elle se densifie, prend m&ecirc;me parfois une certaine pesanteur dans les voix de Mouloudji, de Catherine Sauvage ou de Denise Beno&icirc;t.</p> <p style="text-align: justify;">Pourtant ces po&egrave;mes ne sont pas toujours ais&eacute;s &agrave; mettre en musique. L&rsquo;identit&eacute; g&eacute;n&eacute;rique est mise &agrave; mal chez Soupault&nbsp;: po&egrave;mes, po&eacute;sies, chansons&nbsp;? Je voudrais rapprocher ici deux remarques; l&rsquo;une de Laurent Flieder prise dans la conclusion d&rsquo;une intervention au colloque de Cerisy-la-Salle consacr&eacute; &agrave; Soupault en 1997&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">De la chanson, Soupault reprend l&rsquo;apparence, le v&ecirc;tement. Certainement pas les codes, puisqu&rsquo;il y exerce au contraire tous les d&eacute;rapages&nbsp;: surplus d&rsquo;images, absence de r&eacute;gularit&eacute; strophique et rimique, h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; des tons, des niveaux de langue, des univers et des r&eacute;f&eacute;rences. Il ne respecte aucun des crit&egrave;res &laquo;&nbsp;p&eacute;dagogiques&nbsp;&raquo; auxquels le genre doit son universel succ&egrave;s&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;autre est de Jean Chouquet dans les <em>Cahiers Philippe Soupault</em>&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">Les musiciens prirent un temps tr&egrave;s long pour composer, plusieurs mois souvent. Ils n&rsquo;&eacute;taient pas d&rsquo;accord pour &laquo;&nbsp;musiquer&nbsp;&raquo; les textes que Philippe et moi leur avions confi&eacute;s. Ils ne les inspiraient pas. Alors, ou bien ils s&rsquo;&eacute;changeaient leurs textes, ou bien ils nous en demandaient d&rsquo;autres&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>&nbsp;!</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Ainsi, l&rsquo;indistinction g&eacute;n&eacute;rique semble &ecirc;tre un obstacle &agrave; la composition musicale et surtout elle laisse &agrave; Soupault le statut d&rsquo;inclassable qui est, pour lui, le meilleur envers de la gloire.</p> <p style="text-align: justify;">N&eacute;anmoins, la radio offre &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre po&eacute;tique de Soupault la possibilit&eacute; de s&rsquo;exposer &agrave; un public d&rsquo;amateurs avertis. Dans de tr&egrave;s nombreuses &eacute;missions, sa po&eacute;sie est reprise, mise en musique, chant&eacute;e, multipli&eacute;e par les voix d&rsquo;interpr&egrave;tes talentueux, jusqu&rsquo;&agrave; des p&eacute;riodes r&eacute;centes puisque France Culture, dans ses<em> Nuits</em>, a repris certaines parties de ces contributions. L&rsquo;&oelig;uvre est consid&eacute;r&eacute;e pour elle-m&ecirc;me, diffus&eacute;e, fredonn&eacute;e et quelques &eacute;missions de t&eacute;l&eacute;vision de haute qualit&eacute; poursuivront ce travail. Je pense en particulier &agrave; l&rsquo;&eacute;mission &laquo;&nbsp;Plain Chant&nbsp;&raquo; qu&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Martin consacre le 3 d&eacute;cembre 1972 aux <em>Chansons</em>.</p> <p style="text-align: justify;">Pour conclure ce volet, on peut sugg&eacute;rer que la mise en voix radiophonique offre &agrave; la po&eacute;sie de Soupault un ancrage dans la mati&egrave;re, une forme de solidification du mouvement incessant du verbe po&eacute;tique, et donc un chemin un peu diff&eacute;rent de celui du stylo, moins gambadant sans doute, moins a&eacute;rien, mais plus trac&eacute;, avec des marques de peinture pour guider l&rsquo;auditeur.</p> <p style="text-align: justify;">En revanche, les nombreux entretiens qu&rsquo;il a accord&eacute;s sont loin de jouer le m&ecirc;me r&ocirc;le&nbsp;: en un mot Soupault est-il une victime consentante d&rsquo;une momification dans le r&ocirc;le de t&eacute;moin du Surr&eacute;alisme&nbsp;?</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="4_Seductions_et_malices_de_lage">4. S&eacute;ductions et malices de l&rsquo;&acirc;ge</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Soupault reste dans les entretiens un merveilleux passeur de po&eacute;sie. J&rsquo;en prends pour exemple un dialogue tout &agrave; fait &eacute;tonnant avec Ribemont-Dessaignes, dans deux &eacute;missions de la RTF, l&rsquo;une du 14 avril 1958 (&eacute;mission &laquo;&nbsp;Les pouvoirs de la connaissance&nbsp;&raquo;), l&rsquo;autre du 29 mai 1961 (&eacute;mission &laquo;&nbsp;Culture et destin&nbsp;&raquo;). Ribemont-Dessaignes f&eacute;licite Soupault d&rsquo;avoir su utiliser la radio comme nouveau moyen de d&eacute;tection de la po&eacute;sie. Face &agrave; son intervieweur accabl&eacute; qui constate la mort d&eacute;finitive de l&rsquo;esprit dada et l&rsquo;effondrement de l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t pour la po&eacute;sie, le po&egrave;te s&rsquo;engage dans un credo enthousiaste c&eacute;l&eacute;brant ses possibilit&eacute;s vertigineuses. &Aacute; son ami qui traite la po&eacute;sie contemporaine de &laquo;&nbsp;paravent transparent&nbsp;&raquo;, Soupault r&eacute;torque d&rsquo;une voix vibrante que la po&eacute;sie est notre seule fa&ccedil;on de nous lib&eacute;rer du quotidien, de nous &eacute;chapper&nbsp;; il fait la distinction entre la superstition religieuse qu&rsquo;il juge dangereuse et la po&eacute;sie qui comble notre soif &eacute;perdue d&rsquo;irrationnel. Il &eacute;voque m&ecirc;me Lourdes&nbsp;: en quelque sorte, c&rsquo;est Lourdes ou la po&eacute;sie&nbsp;! Je cite un Soupault lyrique&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">Je ne crois pas que l&rsquo;humanit&eacute; puisse se passer de la po&eacute;sie. La po&eacute;sie est un pouvoir. La po&eacute;sie est sublimation; c&rsquo;est le v&eacute;ritable pouvoir de la connaissance et la possibilit&eacute; de sortir de la facilit&eacute; de la logique.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">&Ecirc;tre po&egrave;te est donc pour lui acc&eacute;der &agrave; un autre niveau de la connaissance et l&rsquo;on peut associer po&eacute;sie et science dans la recherche de l&rsquo;inconnu. Une des erreurs du Surr&eacute;alisme, dit-il, a &eacute;t&eacute; de se d&eacute;tourner de l&rsquo;esprit de recherche par la moralisation et la politisation du mouvement. &Aacute; un Ribemont-Dessaignes quasi d&eacute;sesp&eacute;r&eacute; qui se lamente sur l&rsquo;&eacute;tat de la culture&nbsp;(&laquo;&nbsp;[&hellip;] ne restent que le vide, le n&eacute;ant dont se gargarise la culture moderne&nbsp;&raquo;), il oppose la po&eacute;sie comme mode de vie et d&rsquo;&ecirc;tre au monde. C&rsquo;est une attitude g&eacute;n&eacute;reuse, sans doute id&eacute;aliste, dont jamais il ne se d&eacute;partira dans ses entretiens. La voix de Soupault va s&rsquo;&eacute;railler au fil des ann&eacute;es, mais le discours ne vieillira pas.</p> <p style="text-align: justify;">Cependant, si l&rsquo;on compare les grands entretiens accord&eacute; jusqu&rsquo;en 1965 &agrave; ceux de la derni&egrave;re p&eacute;riode, disons 1970-1990, on se rend compte que Soupault s&rsquo;enferme dans le r&ocirc;le de t&eacute;moin de Dada et du Surr&eacute;alisme et dans la r&eacute;it&eacute;ration du geste autobiographique.</p> <p style="text-align: justify;">Du 22 octobre 1963 au 30 juin 1964, Luc B&eacute;rimont r&eacute;alise avec lui sur France Inter une s&eacute;rie de 35 &eacute;missions&nbsp;: &laquo;&nbsp;Nos quatre cents coups&nbsp;: entretiens avec Philippe Soupault&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est l&rsquo;occasion pour Soupault d&rsquo;&eacute;voquer son esprit de r&eacute;volte, son insoumission &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, sa fiert&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre un cancre, son refus visc&eacute;ral de la r&eacute;ussite sociale, et bien s&ucirc;r de mettre en valeur l&rsquo;&eacute;vidence de sa rencontre avec Dada et le Surr&eacute;alisme. Son discours est truff&eacute; d&rsquo;anecdotes et de portraits ‒&nbsp;Apollinaire, Reverdy, Rigaut, Roussel, Breton&nbsp;‒, faisant rena&icirc;tre la vie litt&eacute;raire de l&rsquo;&eacute;poque dans un souci m&eacute;moriel.</p> <p style="text-align: justify;">Soupault est un remarquable conteur. Usant de fa&ccedil;on naturelle, des modes de th&eacute;&acirc;tralisation et de dramatisation du r&eacute;cit, il annonce son anecdote par une mise en bouche&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je vais vous raconter quelque chose&nbsp;&raquo; ou bien il retarde l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment important pour mieux le faire savourer (par exemple le nom de Tzara, avant d&rsquo;indiquer qu&rsquo;il est le plus habile pour provoquer le scandale). Il pars&egrave;me le discours de formules pour relancer le r&eacute;cit&nbsp;(&laquo;&nbsp;Vous ne perdez rien pour attendre&nbsp;&raquo;), ou de superlatifs pour marquer son assentiment et donner de la force aux propos&nbsp;: &laquo;&nbsp;remarquable, le plus effroyable, une id&eacute;e de g&eacute;nie, un r&eacute;pertoire incroyable, un sens de l&rsquo;humour extraordinaire, un jeu diabolique, des questions terriblement indiscr&egrave;tes&nbsp;&raquo;&hellip; Il s&rsquo;exprime avec &eacute;l&eacute;gance, raffinement et courtoisie. Sa voix suit les m&eacute;andres de l&rsquo;expression des sentiments, tant&ocirc;t nostalgique, tant&ocirc;t r&eacute;volt&eacute;e.</p> <p style="text-align: justify;">Les entretiens sont organis&eacute;s avec rigueur, sans beaucoup de fantaisie. Les questions de B&eacute;rimont servent &agrave; relancer un dialogue visiblement pr&eacute;par&eacute; &agrave; l&rsquo;avance ou &agrave; remettre parfois dans les rails un Soupault fac&eacute;tieux qui s&rsquo;&eacute;gare parfois. Il &eacute;voque avec une voix malicieuse les scandales de Dada&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je vous jure, Luc B&eacute;rimont, un beefsteak sur la figure, &ccedil;a fait tr&egrave;s mal&nbsp;!&nbsp;&raquo; Il rit quand il &eacute;voque Raymond Roussel qui ach&egrave;te une paire de chaussettes neuves chaque jour pour ne jamais porter deux fois la m&ecirc;me et c&rsquo;est B&eacute;rimont qui essaie de le ramener &agrave; plus de s&eacute;rieux&nbsp;: &laquo;&nbsp;Parlez-moi de l&rsquo;&oelig;uvre litt&eacute;raire de Raymond Roussel.&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: justify;">Les emplois du <em>je</em> et du <em>nous</em> s&rsquo;entrem&ecirc;lent constamment, abolissant les fronti&egrave;res mal d&eacute;finies entre la rem&eacute;moration personnelle et la conscience du groupe&nbsp;: m&eacute;moire d&rsquo;un homme, m&eacute;moire d&rsquo;une g&eacute;n&eacute;ration, m&eacute;moire d&rsquo;une aventure collective, m&eacute;moire d&rsquo;un po&egrave;te, l&rsquo;entretien charrie sans distinction g&eacute;n&eacute;rique les souvenirs de Soupault.</p> <p style="text-align: justify;">Cette ind&eacute;termination va jouer en sa d&eacute;faveur&nbsp;: au fil des ann&eacute;es, la voix de Soupault sur les ondes deviendra celle du t&eacute;moin des grandes heures du Surr&eacute;alisme, recouvrant celle du po&egrave;te et du cr&eacute;ateur. La publication des <em>M&eacute;moires de l&rsquo;oubli</em> en 1981 et 1986&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a> et la disparition progressive des grands acteurs du Surr&eacute;alisme encouragent ce d&eacute;placement de la cr&eacute;ation &agrave; la r&eacute;it&eacute;ration du geste testimonial. Inlassablement, on assiste au retour des anecdotes qui ont fond&eacute; le Surr&eacute;alisme et qui vont g&eacute;n&eacute;rer la propre mythologie de Soupault&nbsp;: la d&eacute;couverte de Lautr&eacute;amont, la rencontre d&eacute;cisive avec Apollinaire, les folles ann&eacute;es de Dada, l&rsquo;exclusion du mouvement surr&eacute;aliste, l&rsquo;animosit&eacute; envers Cocteau, etc&hellip; Le mythe se solidifie et s&rsquo;enkyste, au point qu&rsquo;il faudra des &eacute;missions pour sortir l&rsquo;&oelig;uvre de l&rsquo;oubli.</p> <p style="text-align: justify;">D&egrave;s 1975, les entretiens avec Bernard Delvaille, cinq &eacute;missions de 28mn diffus&eacute;es sur France Culture, s&rsquo;ouvrent sur le rappel des propos d&rsquo;Aragon dans <em>Les Lettres fran&ccedil;aises</em> en 1968&nbsp;: &laquo;&nbsp;Qui se souvient de ce po&egrave;te appel&eacute; Philippe Soupault qui a tout fait pour se faire oublier comme d&rsquo;autres se font pardonner&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>&nbsp;?&nbsp;&raquo; Le ton est donn&eacute;&nbsp;: d&eacute;sormais on assiste &agrave; une entreprise de &laquo;&nbsp;d&eacute;potage&nbsp;&raquo; de l&rsquo;&oelig;uvre ‒&nbsp;pour emprunter une m&eacute;taphore jardini&egrave;re. Quand, par exemple, l&rsquo;&eacute;mission &laquo;&nbsp;Nos quatre cents coups&nbsp;&raquo; est rediffus&eacute;e en 1997 sur France Culture dans la s&eacute;rie <em>Grands entretiens</em>, le sous-titre est r&eacute;v&eacute;lateur&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;&oelig;uvre oubli&eacute;e sous le nom&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;">Quel est le r&ocirc;le de Soupault dans cette &laquo;&nbsp;mythification&nbsp;&raquo;&nbsp;? Soupault le rat&eacute;, Soupault le faux modeste et le vrai orgueilleux, Soupault le plus pur des surr&eacute;alistes&nbsp;: il endosse avec bonne gr&acirc;ce les images qu&rsquo;on lui accroche et joue parfaitement son r&ocirc;le. Mais ne soyons pas dupes&nbsp;! Par sa malice constante, par la s&eacute;duction qu&rsquo;il exerce sur l&rsquo;auditeur ou le spectateur (je pense en particulier aux entretiens t&eacute;l&eacute;vis&eacute;s de Bertrand Tavernier&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>), il retourne le gant et fait un pied de nez &agrave; ceux qui veulent le cantonner dans l&rsquo;image du grand po&egrave;te dont il faut d&eacute;terrer l&rsquo;&oelig;uvre avant m&ecirc;me que le po&egrave;te ne soit enterr&eacute;. Il refuse d&rsquo;&ecirc;tre statufi&eacute; de son vivant et d&eacute;sagr&egrave;ge avant sa mort la statue qu&rsquo;on veut lui &eacute;riger pour le faire rentrer dans le rang des conformismes. &laquo;&nbsp;Rira bien qui rira le dernier&nbsp;&raquo;&nbsp;!</p> <p style="text-align: justify;">Ainsi, l&rsquo;&oelig;uvre radiophonique s&rsquo;inscrit dans la continuit&eacute; qui s&rsquo;exerce entre po&eacute;sie, critique et romans. L&rsquo;activit&eacute; radiophonique me semble un prolongement de l&rsquo;&oelig;uvre dans ses fulgurances et dans ses pi&eacute;tinements, dans ses trouvailles libertaires et dans ses redites obsessionnelles. D&rsquo;une part, une forme d&rsquo;enkystement du souvenir, de retour sur des moments cl&eacute;s qui alourdissent la m&eacute;moire&nbsp;; d&rsquo;autre part une libert&eacute; absolue, une inventivit&eacute; ins&eacute;parable de la spontan&eacute;it&eacute;, une &eacute;vasion perp&eacute;tuelle du statut qu&rsquo;autrui voudrait lui assigner. La tentation du silence qui hante l&rsquo;&oelig;uvre et qui aurait pu faire taire sa voix s&rsquo;est finalement transmu&eacute;e en auto-ironie. Son passage &agrave; la radio &eacute;pouse son passage dans la litt&eacute;rature&nbsp;: celui d&rsquo;un cr&eacute;ateur qui peine &agrave; effacer la trace qu&rsquo;il laisse. Et c&rsquo;est un plaisir de pouvoir apporter une contestation aux propos de Soupault dans <em>M&eacute;moires de l&rsquo;oubli</em>&nbsp;: &laquo; Mais la radio ne laisse pas de traces. C&rsquo;est la voix des fant&ocirc;mes. Autant en emportent les ondes&hellip;&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>&nbsp;&raquo; Eh bien&nbsp;! si, Philippe Soupault, la radio laisse des traces&nbsp;!</p> <h3 class="section" id="license">Notes<br /> &nbsp;</h3> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> <em>Chansons</em>, Lausanne, Eynard, 1949, p.&nbsp;200.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Bernard Morlino, <em>Qui &ecirc;tes-vous Philippe Soupault&nbsp;?</em>, Paris, La Manufacture, 1987, p.&nbsp;205.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> B&eacute;atrice Mousli, <em>Philippe Soupault</em>, Paris, Flammarion, &laquo;&nbsp;Grandes biographies&nbsp;&raquo;, 2010, p.&nbsp;301.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> <em>Po&egrave;mes et Po&eacute;sies</em>, Paris, Grasset, &laquo;&nbsp;Les Cahiers rouges&nbsp;&raquo;, 1987, p.&nbsp;145. Po&egrave;me publi&eacute; en revue dans <em>Fontaine</em> en 1943.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> V. par exemple deux &eacute;missions de la m&ecirc;me &eacute;poque saluant la parution du recueil <em>Chansons</em> chez Eynard en 1949&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le go&ucirc;t des livres&nbsp;&raquo; d&rsquo;&Eacute;tienne Lalou (sans l&rsquo;auteur) et &laquo;&nbsp;Qui &ecirc;tes-vous Philippe Soupault&nbsp;&raquo; d&rsquo;Andr&eacute; Gillois (3 d&eacute;cembre 1950). &laquo;&nbsp;Philippe Soupault est-il pass&eacute; du Surr&eacute;alisme aux chansonnettes&nbsp;?&nbsp;&raquo; demande Lalou de fa&ccedil;on quelque peu ironique apr&egrave;s sa pr&eacute;sentation du recueil. &laquo;&nbsp;Philippe Soupault, signeriez-vous encore aujourd&rsquo;hui le <em>Manifeste du Surr&eacute;alisme</em>&nbsp;?&nbsp;&raquo; demande de son c&ocirc;t&eacute; Andr&eacute; Gillois.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> &laquo;&nbsp;Westwego&nbsp;&raquo; (1922),<em> Po&egrave;mes et Po&eacute;sies</em>, Paris, Grasset, 1987, &laquo;&nbsp;Les Cahiers rouges&nbsp;&raquo;, p.&nbsp;33.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> &laquo;&nbsp;Mes belles ann&eacute;es de Radio-Po&eacute;sie en compagnie de Philippe Soupault&nbsp;&raquo;<em>, </em><em>Cahiers Philippe Soupault</em>, n&deg;2, mars 1997, p.&nbsp;194.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> <em>Chansons</em>,<em> op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;20.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> <em>Essai sur la po&eacute;sie</em>, Lausanne, Eynard, 1950, r&eacute;&eacute;d. in <em>Po&egrave;mes retrouv&eacute;s</em>, Paris, Lachenal &amp; Ritter, 1982, p.&nbsp;117.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a> Laurent Flieder, &laquo;&nbsp;Chansons, po&egrave;mes, po&eacute;sies, le &ldquo;comme si&rdquo; et le &ldquo;pas tout &agrave; fait&rdquo;&nbsp;&raquo;, in <em>Pr&eacute;sence de Philippe Soupault</em>, Myriam Boucharenc et Claude Leroy (dir.), Caen, Presses Universitaires de Caen, 1999, p.&nbsp;64.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a> &laquo;&nbsp;Mes belles ann&eacute;es de Radio-Po&eacute;sie en compagnie de Philippe Soupault&nbsp;&raquo;<em>, </em><em>op.&nbsp;cit.,</em> p.&nbsp;195.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a> <em>M&eacute;moires de l&rsquo;oubli</em>, <em>1914-1923</em>, Paris, Lachenal &amp; Ritter, 1981&nbsp;; <em>M&eacute;moires de l&rsquo;oubli</em>, <em>1923-1926</em>, Paris, Lachenal &amp; Ritter, 1986&nbsp;; <em>M&eacute;moires de l&rsquo;oubli</em>, <em>1897-1927</em>, Paris, Lachenal &amp; Ritter, 1986.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a> Aragon, &laquo;&nbsp;L&rsquo;Homme coup&eacute; en deux, un commentaire d&rsquo;Aragon en marge des <em>Champs magn&eacute;tiques</em>&nbsp;&raquo;, <em>Les</em> <em>Lettres fran&ccedil;aises</em>, 9-14 mai 1968.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a> <em>Entretiens avec Philippe Soupault</em>, interrog&eacute; par Jean Aurenche, trois cassettes vid&eacute;o de Bertrand Tavernier, &laquo;&nbsp;T&eacute;moins&nbsp;&raquo;, 1984.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a> <em>M&eacute;moires de l&rsquo;oubli</em>, I,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit</em>.&nbsp;, p&nbsp;212.</p> <h3><span id="Auteur">Autrice</span></h3> <p style="text-align: justify;"><strong>Sylvie Cassayre</strong> a &eacute;t&eacute; professeur de Lettres classiques dans le secondaire et en classes pr&eacute;paratoires litt&eacute;raires &agrave; Annecy. Son activit&eacute; de recherche se poursuit dans le cadre de l&rsquo;Universit&eacute; de Savoie, au sein d&rsquo;un laboratoire issu des Centres de Recherche sur l&rsquo;Imaginaire, fond&eacute;s par Gilbert Durand. Elle est l&rsquo;auteur d&rsquo;une th&egrave;se parue chez Minard en 1997 : <em>Po&eacute;tique de l&rsquo;espace et Imaginaire dans l&rsquo;oeuvre de Philippe Soupault</em>.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Copyright</strong></p> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p> </div>