<div class="entry-content"> <h3>Abstract</h3> <p>Replacing Blaise Cendrars&rsquo;s epistolary practices within the modernist context, several articles also examine letters by artists to whom he was close: Apollinaire, Le Corbusier, Cocteau, and for comparative purposes, Segalen, also a poet and world traveler, whose letters retrace his journey through World War 1.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">&Agrave; l&rsquo;heure de l&rsquo;ouverture des archives de nombreux &eacute;crivains du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle, de la publication des correspondances en ligne ou sur papier, la r&eacute;flexion sur les pratiques &eacute;pistolaires mais aussi sur les m&eacute;thodes et la d&eacute;ontologie &eacute;ditoriales, fort avanc&eacute;e en ce qui concerne les &eacute;crivains du XIX<sup>e</sup> si&egrave;cle, est &agrave; compl&eacute;ter pour ceux dont les lettres sont plus r&eacute;cemment sorties au grand jour&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. Dans le cadre d&rsquo;une s&eacute;rie de journ&eacute;es d&rsquo;&eacute;tude consacr&eacute;es &agrave; l&rsquo;&eacute;dition des correspondances des po&egrave;tes des avant-gardes du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle, une premi&egrave;re rencontre s&rsquo;est organis&eacute;e autour des correspondances de Blaise Cendrars&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>, avec une contextualisation &eacute;largie aux pratiques &eacute;pistolaires de trois de ses contemporains&nbsp;: Cocteau et Apollinaire, ses amis et rivaux, et Segalen. &Agrave; la diff&eacute;rence de Cendrars, Segalen, comme Apollinaire, fait partie de ces &eacute;crivains qui &eacute;crivent abondamment pendant la guerre. Victor Segalen vient ici fournir l&rsquo;exemple d&rsquo;un po&egrave;te qui, loin du petit milieu des modernistes parisiens, partage avec Cendrars l&rsquo;exp&eacute;rience du voyage et celle de la premi&egrave;re guerre. Il t&eacute;moigne du passage entre deux mondes&nbsp;: ses voyages de m&eacute;decin dans la marine coloniale s&rsquo;engagent encore sous le signe de l&rsquo;exotisme finissant mais l&rsquo;am&egrave;nent &agrave; formuler une th&eacute;orie de la diversit&eacute; comme valeur &minus;&nbsp;pens&eacute;e pour le moins in&eacute;dite dans le monde colonial. Cendrars, lui, &laquo;&nbsp;part pour partir&nbsp;&raquo;, sans entretenir ce qu&rsquo;on pourrait appeler une &laquo;&nbsp;correspondance de voyageur&nbsp;&raquo;. &Agrave; travers ces &eacute;changes, nous avons d&rsquo;abord souhait&eacute; faire appara&icirc;tre, au-del&agrave; des r&eacute;v&eacute;lations priv&eacute;es qui attirent autant le lecteur que le chercheur vers les correspondances d&rsquo;&eacute;crivains, la sp&eacute;cificit&eacute; de l&rsquo;&eacute;criture &eacute;pistolaire de Blaise Cendrars et la contextualiser.</p> <p style="text-align: justify;">Le &laquo;&nbsp;nomadisme&nbsp;&raquo;, consubstantiel &agrave; la lettre comme l&rsquo;a soulign&eacute; Brigitte Diaz, convient au mieux &agrave; la pens&eacute;e bourlingueuse de Cendrars. Les lettres de Cendrars, parfois anodines, factuelles, laconiques et parfois truculentes dans leurs jugements sur le champ litt&eacute;raire contemporain, riches de commentaires sur les &eacute;crits en cours, s&rsquo;imposaient aussi &agrave; notre attention par les questions m&eacute;thodologiques qu&rsquo;elles permettent de poser&nbsp;; Cendrars est connu du grand public pour ses autoportraits de bourlingueur, ses coups de gueule et ses r&eacute;cits emport&eacute;s qui sont comme tous les masques &agrave; la fois r&eacute;v&eacute;lateurs et protecteurs des secrets de l&rsquo;&ecirc;tre. Le po&egrave;te pratique dans ses correspondances le cloisonnement, joue du d&eacute;placement et de la transposition, r&eacute;partit entre ses destinataires des v&eacute;rit&eacute;s fragment&eacute;es ; les &eacute;laborations mythiques autour de la gen&egrave;se des &oelig;uvres et les histoires, fabuleuses ou non, des manuscrits perdus ou pill&eacute;s, des malles vol&eacute;es, brouillent les pistes &agrave; dessein et laissent de multiples incertitudes. Les mythes d&rsquo;&eacute;criture qui se constituent et se transmettent tant au fil des lettres que dans les r&eacute;cits forment ainsi un &laquo;&nbsp;&eacute;pitexte public&nbsp;&raquo;, selon la terminologie de Genette, qu&rsquo;on aurait tort d&rsquo;utiliser au premier degr&eacute; comme un document pour &eacute;crire l&rsquo;histoire, mais tort aussi de minorer. Si les correspondances sont des &eacute;crits &laquo;&nbsp;destin&eacute;s&nbsp;&raquo; et servent aussi bien &agrave; dissimuler qu&rsquo;&agrave; informer, elles permettent des recoupements, des v&eacute;rifications de date, de lieu qui infirment ou confirment&nbsp;; elles montrent sur le vif le processus d&rsquo;&eacute;laboration des figures de l&rsquo;auteur. Enfin et surtout, les lettres aux &eacute;diteurs, &agrave; Jacques-Henry L&eacute;vesque, &agrave; quelques amis &eacute;crivains (Miller, Poulaille, t&rsquo;Serstevens) et directeurs de revue sont f&eacute;condes en r&eacute;flexions m&eacute;tapo&eacute;tiques, &eacute;clairant le lecteur sur l&rsquo;art po&eacute;tique, les techniques narratives, les principes de composition, les strat&eacute;gies &eacute;ditoriales. Brigitte Diaz r&eacute;sume ainsi les trois principales fonctions des correspondances auxquelles celles de Cendrars ne se d&eacute;robe pas : &laquo;&nbsp;la fonction g&eacute;n&eacute;tique, la fonction m&eacute;diatique, la fonction critique. La synergie de ces trois fonctions dote la correspondance d&rsquo;une valeur litt&eacute;raire, qui la fait participer activement et pleinement &agrave; la cr&eacute;ation et &agrave; la vie de l&rsquo;&oelig;uvre&nbsp;&raquo;. Celles de Cendrars sont des objets litt&eacute;raires &agrave; part enti&egrave;re&nbsp;; que l&rsquo;&eacute;crivain ait ou non <strong>l&rsquo;intention</strong> d&rsquo;en faire une vitrine du style, un mausol&eacute;e ou un addendum posthume &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre ne d&eacute;cide pas du statut litt&eacute;raire d&rsquo;une correspondance.</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; On ne s&rsquo;est pas attard&eacute; sur ces deux questions pr&eacute;alables que suscitent in&eacute;vitablement les publications des lettres priv&eacute;es des &eacute;crivains et des artistes en g&eacute;n&eacute;ral: est-il l&eacute;gitime de s&rsquo;int&eacute;resser aux correspondances&nbsp;et, comme le demandait Hughes Richard &agrave; Cendrars, &laquo;&nbsp;a-t-on le droit de publier les &eacute;crivains morts sans les consulter&nbsp;?&nbsp;&raquo; ― ces deux questions de principe se posent &agrave; tout &eacute;diteur /lecteur de correspondance et n&rsquo;ont rien de sp&eacute;cifique &agrave; Cendrars qui, d&rsquo;ailleurs, a r&eacute;pondu &agrave; la deuxi&egrave;me&nbsp;: &laquo;&nbsp;Cela m&rsquo;est bien &eacute;gal de savoir le sort futur de mes manuscrits. Corbeille &agrave; papier ou &eacute;diteur&nbsp;? Le sort en d&eacute;cidera. &raquo; Sans doute ne pensait-il pas seulement &agrave; ses lettres et par ailleurs n&rsquo;&eacute;tait-il pas aussi indiff&eacute;rent qu&rsquo;il le dit au sort des milliers de feuillets qu&rsquo;il laissait derri&egrave;re lui&nbsp;: sa correspondance montre son souci de la transmission de l&rsquo;&oelig;uvre, sans f&eacute;tichisme des manuscrits qu&rsquo;il conserve toutefois quand il le peut&hellip; &agrave; moins qu&rsquo;il ne se serve des versions inabouties et du verso des brouillons comme papier &agrave; lettres, ce qui est une autre mani&egrave;re d&rsquo;assurer leur survie. Pour sa part, il d&eacute;truit sauf rares exceptions les lettres re&ccedil;ues et demande parfois (rarement) &agrave; Raymone de br&ucirc;ler celles qu&rsquo;il laisse derri&egrave;re lui. &Agrave; la question portant sur l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t et la l&eacute;gitimit&eacute; de la lecture des correspondances, Cendrars a d&eacute;l&eacute;gu&eacute; &agrave; Th&eacute;r&egrave;se, un des personnages de <em>Emm&egrave;ne-moi au bout du monde&nbsp;!&hellip; </em>sa r&eacute;ponse&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Il y a quelques ann&eacute;es, j&rsquo;ai vendu toutes les lettres qu&rsquo;il [son mari Maurice Strauss alias Marcel Schwob] m&rsquo;avait adress&eacute;es &agrave; son meilleur ami, un &eacute;diteur, qui les a publi&eacute;es, ce que Kramer [personnage de critique litt&eacute;raire et dramatique], qui est en train de bouder au fond du corridor et qui fait une dr&ocirc;le de bobine, ne m&rsquo;a jamais pardonn&eacute;. Je me demande pourquoi? J&rsquo;adore conna&icirc;tre la v&eacute;rit&eacute; sur les gens et je comprends tr&egrave;s bien qu&rsquo;il y ait un public pour ce genre d&rsquo;ouvrages. Bien s&ucirc;r, la famille du mort n&rsquo;est pas contente &agrave; cause des indiscr&eacute;tions et ses amis les plus intimes crient au scandale. Alors, pourquoi le fr&eacute;quentaient-ils de son vivant? On sait bien qu&rsquo;on n&rsquo;est pas des saints sur terre et je pr&eacute;f&egrave;re un pr&eacute;sident de la R&eacute;publique qui passe de vie &agrave; tr&eacute;pas dans les bras d&rsquo;une gourgandine &agrave; un g&eacute;n&eacute;ral qui meurt dans son lit&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Mais cette r&eacute;ponse qui plaide pour la divulgation posthume des secrets d&rsquo;alc&ocirc;ve et la puissance de scandale d&rsquo;une vie semble cantonner ce type d&rsquo;&eacute;crit intime dans un int&eacute;r&ecirc;t anecdotique et voyeuriste. Elle laisse de c&ocirc;t&eacute; &laquo;&nbsp;l&rsquo;invention du sujet&nbsp;&raquo; qui passe par l&rsquo;expression &eacute;pistolaire et la construction du moi, comme les informations de g&eacute;n&eacute;tique textuelle. G&eacute;rard Genette y voit un <em>seuil</em> de l&rsquo;&oelig;uvre et le d&eacute;fend &agrave; une &eacute;poque o&ugrave; &laquo;&nbsp;la mort de l&rsquo;auteur&nbsp;&raquo; a balay&eacute; les sources biographiques &ndash;&nbsp;pour le meilleur et le pire largement r&eacute;habilit&eacute;es au XXI<sup>e</sup> si&egrave;cle; il place les correspondances parmi les &eacute;pitextes priv&eacute;s, en opposition aux &eacute;pitextes publics, comme les entretiens. Et il pr&eacute;cise ainsi la curieuse position d&rsquo;indiscret tol&eacute;r&eacute; qui est celle du lecteur&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Dans l&rsquo;&eacute;pitexte public, l&rsquo;auteur s&rsquo;adresse au public, &eacute;ventuellement &agrave; travers un m&eacute;diateur, dans l&rsquo;&eacute;pitexte priv&eacute; il s&rsquo;adresse d&rsquo;abord &agrave; un confident r&eacute;el, per&ccedil;u comme tel, et dont la personnalit&eacute; importe &agrave; cette communication jusqu&rsquo;&agrave; en infl&eacute;chir la forme et la teneur. Si bien qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;autre bout de la cha&icirc;ne le public finalement admis dans cette confidence ou cette intimit&eacute;, &laquo;&nbsp;prend connaissance&nbsp;&raquo;, d&rsquo;une mani&egrave;re toujours diff&eacute;r&eacute;e, d&rsquo;un message qui ne lui est pas adress&eacute; au premier chef, &laquo;&nbsp;par-dessus l&rsquo;&eacute;paule&nbsp;&raquo; d&rsquo;un tiers authentiquement trait&eacute; comme une personne singuli&egrave;re [&hellip;]&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a></p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Cette lecture oblique &agrave; laquelle convie la lettre sortie de l&rsquo;espace priv&eacute; implique un travail d&rsquo;&eacute;dition particulier&nbsp;: la connivence, l&rsquo;allusion qui recr&eacute;ent dans la lettre l&rsquo;espace commun implicite des deux locuteurs en conversation sont insaisissables pour le lecteur qui s&rsquo;introduit en tiers &ndash;&nbsp;l&rsquo;appareil des pr&eacute;faces, annexes documentaires, notes de fin ou de bas de page, plus ou moins digeste, tente en g&eacute;n&eacute;ral d&rsquo;y rem&eacute;dier&nbsp;: se contentera-t-on d&rsquo;&eacute;lucider les r&eacute;f&eacute;rences &agrave; des hommes, &eacute;v&eacute;nements, ouvrages oubli&eacute;s, de pallier les effets du temps, ou ira-t-on plus loin dans les &eacute;l&eacute;ments de contextualisation pour replacer tel jugement, telle analyse en perspective dans l&rsquo;histoire des ann&eacute;es trente ou de l&rsquo;Occupation&nbsp;? L&rsquo;&eacute;diteur in&eacute;vitablement s&eacute;lectionne par ces choix les lecteurs d&rsquo;une correspondance.</p> <p style="text-align: justify;">Que pouvons-nous attendre de la publication des correspondances d&rsquo;&eacute;crivain? &laquo;&nbsp;Ces&nbsp;lettres sans litt&eacute;rature, &eacute;crites avec une rapidit&eacute; f&eacute;brile, sont souvent sublimes de concentration, d&rsquo;intensit&eacute;, et d&rsquo;un cri rattach&eacute; par une fibre musicale &agrave; quelque chose d&rsquo;immortel&nbsp;&raquo; &eacute;crivait Thibaudet dans la <em>NRF</em> en janvier 1925. Mais ces lettres ne sont jamais tout &agrave; fait sans litt&eacute;rature &ndash;&nbsp;d&egrave;s lors qu&rsquo;on se fait de la litt&eacute;rature une conception moins classique que celle de Thibaudet&nbsp;; elles engagent <strong>n&eacute;cessairement</strong> une d&eacute;finition de la litt&eacute;rature et de ses enjeux vitaux.</p> <p style="text-align: center;">*</p> <p style="text-align: justify;">Cendrars (1887-1961) a toujours fait partie des &eacute;crivains qui jouent de leur image publique, se fabriquant une identit&eacute; au fil des ann&eacute;es et des interlocuteurs. La figure du bourlingueur, aventurier et raconteur d&rsquo;histoires qu&rsquo;il s&rsquo;est construite, anti-acad&eacute;mique, a sans doute longtemps diff&eacute;r&eacute; la reconnaissance litt&eacute;raire de cette &oelig;uvre majeure de la modernit&eacute; du XXe si&egrave;cle. La publication des correspondances de Cendrars, confort&eacute;e par l&rsquo;entr&eacute;e de l&rsquo;&eacute;crivain dans la Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade &agrave; partir de 2013&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a> et les multiples &eacute;ditions et r&eacute;&eacute;ditions en poche, permet de d&eacute;couvrir sinon un &laquo;&nbsp;autre Cendrars&nbsp;&raquo;, qui serait &laquo;&nbsp;le Cendrars priv&eacute;&nbsp;&raquo; ou le &laquo;&nbsp;vrai Cendrars&nbsp;&raquo;, plusieurs Cendrars qui ont pour d&eacute;nominateur commun de s&rsquo;ajuster &agrave; l&rsquo;image qu&rsquo;ont de lui chacun de ses destinataires&nbsp;: selon les interlocuteurs et les rapports de force, on le voit bourru, tendre, f&eacute;roce, misanthrope, tant&ocirc;t superstitieux, tant&ocirc;t mystique sans foi, d&rsquo;une lucidit&eacute; sans compromis, vitup&eacute;rateur de son temps, asc&egrave;te r&eacute;sign&eacute; au pire, n&eacute;gociateur retors, ami &agrave; la dent dure ou chevalier servant. Cendrars se place en rupture avec le milieu litt&eacute;raire qui acc&egrave;de &agrave; la notori&eacute;t&eacute; dans les ann&eacute;es trente et au statut de gloire nationale apr&egrave;s la guerre &ndash;&nbsp;de Gide &agrave; Eluard ou Aragon&nbsp;&ndash;, mais il communique avec Henry Miller, Henry Poulaille, Robert Guiette, t&rsquo;Serstevens, de nombreux &eacute;crivains, et &eacute;diteurs&nbsp;: c&rsquo;est dire qu&rsquo;avec lui se d&eacute;couvre un curieux paradoxe, sp&eacute;cifique des avant-gardes, celui d&rsquo;&eacute;crivains en rupture de clan, qui revendiquent leur marginalit&eacute;, d&eacute;noncent les processus de l&eacute;gitimation traditionnels et m&ecirc;me l&rsquo;activit&eacute; litt&eacute;raire qu&rsquo;ils opposent &agrave; la vie et &agrave; l&rsquo;action, non sans envoyer tous azimuts d&rsquo;innombrables missives. On le d&eacute;couvre &agrave; la fois grand m&eacute;cr&eacute;ant devant l&rsquo;Histoire et d&eacute;mystificateur du champ litt&eacute;raire, pourfendeur de la critique mais extr&ecirc;mement attentif &agrave; son accueil et bless&eacute; de ses silences. La publication progressive des correspondances dans de nombreux num&eacute;ros des revues cendrarsiennes (<em>Continent Cendrars</em> et <em>Feuille de routes</em>, <em>Constellation Cendrars</em>), dans les <em>Cahiers du centre de recherches intertextuelles</em>, puis dans <em>Ritm</em>, revues du Centre de recherches de l&rsquo;Universit&eacute; de de Nanterre et, depuis 2013, dans la collection &laquo;&nbsp;Cendrars en toutes lettres<strong>&nbsp;&raquo; </strong>que dirige Christine Le Quellec Cottier&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a> aux &Eacute;ditions Zo&eacute;, &agrave; Gen&egrave;ve, permet d&eacute;sormais d&rsquo;envisager les figures multiples et mobiles de l&rsquo;&eacute;crivain, dans la communication priv&eacute;e, en situation de confidence et d&rsquo;amiti&eacute;, de demande, de n&eacute;gociation ou de discussion entre pairs. L&rsquo;auteur y &eacute;voque avec prudence sa situation personnelle, son regard sur son temps, commente le travail en cours, expose ses projets d&rsquo;&eacute;criture : nous assistons &agrave; la &laquo;&nbsp;fabrique du texte&nbsp;&raquo;, d&eacute;couvrons ses affinit&eacute;s, ses sources, ses jugements. Selon l&rsquo;expression un peu galvaud&eacute;e, la correspondance de Cendrars nous ouvre donc ce &laquo;&nbsp;laboratoire de l&rsquo;&oelig;uvre&nbsp;&raquo;, o&ugrave; un art po&eacute;tique prend conscience de lui-m&ecirc;me et trouve &agrave; se formuler. Les lettres &agrave; Jacques-Henry L&eacute;vesque donnent des renseignements pr&eacute;cieux sur l&rsquo;&oelig;uvre en cours d&rsquo;&eacute;laboration, l&rsquo;abandon, la reprise des projets d&rsquo;&eacute;criture &ndash;&nbsp;ainsi de ce fantomatique <em>John Paul Jones</em> qui hante Cendrars au long des ann&eacute;es trente pour s&rsquo;effacer&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a> devant la t&eacute;tralogie. Elles constituent le banc d&rsquo;essai de certaines sc&egrave;nes romanesques, risquent des id&eacute;es techniques novatrices, et donnent des indications sur les lectures et les sources livresques&nbsp;; elles permettent au premier &eacute;diteur des <em>Po&eacute;sies compl&egrave;tes</em>, Jacques-Henry L&eacute;vesque, de comprendre l&rsquo;architecture d&rsquo;un recueil comme <em>Feuilles de route</em> et l&rsquo;&eacute;volution d&rsquo;un projet inachev&eacute; <em>Au c&oelig;ur du monde&nbsp;</em>; elles ont permis de retrouver trace d&rsquo;un po&egrave;me oubli&eacute;, comme celui qui fut envoy&eacute; avec d&rsquo;autres &agrave; Tarsila do Amaral pour accompagner son exposition &agrave; Paris, mais ne fut pas repris dans son catalogue et &eacute;chappa ainsi aux premi&egrave;res &eacute;ditions de <em>Po&eacute;sies </em>(presque) <em>compl&egrave;tes</em> ; elles montrent sans fard comment l&rsquo;auteur n&eacute;gocie avec ses &eacute;diteurs. Elles d&eacute;finissent, comme l&rsquo;&eacute;crit Brigitte Diaz, le lieu de &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;laboration d&rsquo;une pens&eacute;e critique de la litt&eacute;rature. L&rsquo;&eacute;change &eacute;pistolaire d&eacute;finit un espace critique priv&eacute; &agrave; l&rsquo;oppos&eacute; de l&rsquo;espace public de la presse, et c&rsquo;est dans ce d&eacute;bat ouvert par et dans la correspondance que se forgent des valeurs esth&eacute;tiques et que s&rsquo;&eacute;labore une po&eacute;tique&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;&eacute;tude de quelques-unes de ces correspondances de Blaise Cendrars montre qu&rsquo;en toute coh&eacute;rence avec son apologie de l&rsquo;utile et sa conception de la communication moderne, qu&rsquo;illustrent parfaitement ses &eacute;changes avec Le Corbusier, le po&egrave;te, &agrave; la diff&eacute;rence de nombre de grands &eacute;crivains depuis le XVIII<sup>e</sup> si&egrave;cle, ne cultive pas &agrave; travers ses lettres une autre modalit&eacute; des Belles Lettres. La lettre n&rsquo;est pas chez lui, &eacute;crite en toute conscience pour passer &agrave; la post&eacute;rit&eacute; dans un volume posthume &ndash;&nbsp;m&ecirc;me si, comme on l&rsquo;a vu, cette possible issue lui est indiff&eacute;rente puisqu&rsquo;il appartient selon lui &agrave; chacun d&rsquo;effacer les traces qu&rsquo;il juge inopportunes, en temps voulu. Les courriers de Cendrars souvent brefs, sans fioriture, vont droit au but&nbsp;; les marques visuelles et signes d&rsquo;&eacute;nonciation disent l&rsquo;impatience, l&rsquo;euphorie du retour &agrave; la cr&eacute;ation, la col&egrave;re, soulignent &agrave; triple ou quadruple traits l&rsquo;essentiel, conservent la trace du geste &ndash;&nbsp;tirets de toutes tailles, parenth&egrave;ses, points d&rsquo;exclamation multipli&eacute;s. Parmi les lettres &eacute;crites &agrave; Jacques-Henry L&eacute;vesque celles envoy&eacute;es du haras d&rsquo;&Eacute;lisabeth Pr&eacute;vost dans les Ardennes&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>, avec leurs descriptions de for&ecirc;ts d&rsquo;automne et les sc&egrave;nes villageoises croqu&eacute;es sur le vif, forment sur quelques mois, en 1939, un ensemble exceptionnel par leur longueur et la qualit&eacute; des m&eacute;taphores, les trouvailles expressives, une recherche stylistique des bonheurs d&rsquo;&eacute;criture. On a privil&eacute;gi&eacute; ici les correspondances majeures avec Raymone, avec Jacques-Henry L&eacute;vesque, qui couvrent une grande partie de la vie du po&egrave;te et sont en partie crois&eacute;es. Blaise Cendrars d&eacute;truisant les lettres re&ccedil;ues, ayant perdu pendant la guerre celles qu&rsquo;il avait malgr&eacute; tout conserv&eacute;es, les r&eacute;ponses des destinataires sont rares et erratiques. Les &eacute;tudes qui suivent illustrent les principales fonctions de ces &eacute;changes&nbsp;: maintenir pr&eacute;sents au c&oelig;ur de l&rsquo;absence les liens amoureux, amicaux, sociaux, donner des nouvelles de la sant&eacute; des uns et des autres, de celle du monde : quand les journaux se taisent en temps de guerre, la poste, bien que capricieuse et soumise &agrave; la censure, reste le seul moyen d&rsquo;avoir des informations sur les remaniements &agrave; Vichy, les d&eacute;barquements, en Provence et en Normandie, de faire l&rsquo;&eacute;tat du ravitaillement ou simplement de savoir si les proches ont surv&eacute;cu au dernier bombardement. Elles sont aussi les supports d&rsquo;&acirc;pres n&eacute;gociations entre Cendrars et ses &eacute;diteurs (comme Tosi) et montrent comment peu &agrave; peu le combat s&rsquo;instaure entre le po&egrave;te et celui qui bon an mal an, doit s&rsquo;il veut vivre de sa plume, exercer le &laquo;&nbsp;m&eacute;tier d&rsquo;homme de lettres&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;">Ces &eacute;crits p&eacute;riph&eacute;riques au statut litt&eacute;raire ambigu que sont les correspondances sont porteurs de pr&eacute;suppos&eacute;s critiques et th&eacute;oriques majeurs. Cendrars, Breton dans &laquo;&nbsp;Clairement&nbsp;&raquo; (texte repris dans <em>Les Pas perdus</em>), et plus largement les &eacute;crivains d&rsquo;avant-garde d&eacute;fendent tous le crit&egrave;re de la vie comme pierre de touche de la valeur litt&eacute;raire&nbsp;; cette conception de l&rsquo;&oelig;uvre-vie, v&eacute;rifi&eacute;e, valid&eacute;e, l&eacute;gitim&eacute;e par la vie v&eacute;cue, a autoris&eacute; un regard nouveau sur la relation entre la biographie et l&rsquo;&oelig;uvre, qui conf&egrave;re aux correspondances une valeur accrue. Si la correspondance est, comme on s&rsquo;y attend, une fen&ecirc;tre ouverte sur l&rsquo;homme complexe, extr&ecirc;me, qu&rsquo;est Cendrars, sur son regard sur la p&eacute;riode d&rsquo;Occupation et l&rsquo;apr&egrave;s-guerre, si elle nous confirme l&rsquo;impatience du voyageur retenu au port, elle corrige aussi l&rsquo;image physique du bourlingueur &minus;&nbsp;qui appara&icirc;t d&rsquo;une sant&eacute; fragile, comme une plante sensitive toujours en alerte, neurasth&eacute;nique et conscient de l&rsquo;&ecirc;tre&nbsp;&minus;, et nous d&eacute;couvre sous le r&acirc;leur bourru et misanthrope, une humanit&eacute; g&eacute;n&eacute;reuse et rugueuse. L&rsquo;aventurier, flambeur et grand conteur qui d&eacute;testait parler de litt&eacute;rature &laquo;&nbsp;parce qu&rsquo;un homme de lettres pourrait manquer la vraie vie&nbsp;&raquo;, se r&ecirc;ve aussi en asc&egrave;te, en &laquo;&nbsp;stylite bien &eacute;veill&eacute;&nbsp;&raquo;, sacrifiant sa vie &agrave; l&rsquo;&eacute;criture de la vie, l&rsquo;espace et le mouvement &agrave; l&rsquo;invention de la &laquo;&nbsp;fragmentation du temps&nbsp;&raquo;. La complexit&eacute;, la mobilit&eacute; de Blaise Cendrars que manifestent les correspondances enrichit consid&eacute;rablement la figure &eacute;labor&eacute;e dans l&rsquo;&oelig;uvre, ne serait-ce qu&rsquo;en r&eacute;v&eacute;lant justement cette part construite d&rsquo;un mythe de soi dont on arpente le chantier avec ses &eacute;chafaudages, ses mat&eacute;riaux, ses extensions abandonn&eacute;es, pour v&eacute;rifier finalement ce que l&rsquo;on devinait, mais sans soup&ccedil;onner &agrave; quel point&nbsp;: que l&rsquo;&oelig;uvre avait produit derri&egrave;re ce nom un &ecirc;tre, Blaise Cendrars, somme de ses avatars, habit&eacute; par l&rsquo;&eacute;criture, &agrave; chaque instant rong&eacute; et sauv&eacute; par elle&nbsp;: l&rsquo;&oelig;uvre &eacute;tait le sujet, le sujet &eacute;tait l&rsquo;&oelig;uvre.</p> <p style="text-align: justify;">La r&eacute;flexion sur ces correspondances priv&eacute;es, adress&eacute;es &agrave; des correspondants tr&egrave;s divers, leur contextualisation, gr&acirc;ce aux chercheurs qui ont travaill&eacute; sur les lettres d&rsquo;autres grands contemporains (Apollinaire, Le Corbusier, Cocteau, Segalen) permettront de se demander quel r&ocirc;le joue une correspondance quant &agrave; la lecture de l&rsquo;&oelig;uvre, quant &agrave; la r&eacute;ception de l&rsquo;&eacute;crivain&nbsp;: l&rsquo;&eacute;diteur doit-il tout publier&nbsp;? Qui sont les lecteurs de correspondances ? Comment rendre lisibles ces &eacute;changes souvent charg&eacute;s d&rsquo;allusions et d&rsquo;implicites &ndash; notamment quand on n&rsquo;a pas en main une &laquo;&nbsp;correspondance crois&eacute;e&nbsp;&raquo;&nbsp;? Par quels moyens conserver l&rsquo;&eacute;motion attach&eacute;e &agrave; la graphie, aux supports&nbsp;? Quel statut accorder &agrave; la lettre parmi les &laquo;&nbsp;p&eacute;ritextes&nbsp;&raquo; de l&rsquo;&oelig;uvre&nbsp;? Ce sont l&agrave; quelques-unes des questions pr&eacute;alables qui se posent &agrave; tout &eacute;diteur de correspondance, mais les communications qui suivent en se concentrant sur Cendrars et ses contemporains ouvrent sur des questions plus sp&eacute;cifiques du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle.</p> <p style="text-align: justify;">Plus largement, nous avons souhait&eacute; au cours d&rsquo;une s&eacute;rie de journ&eacute;es d&rsquo;&eacute;tude recenser les questions m&eacute;thodologiques, morales, id&eacute;ologiques, voire juridiques que soul&egrave;ve au XX<sup>e</sup> si&egrave;cle l&rsquo;&eacute;dition des correspondances et confronter les r&eacute;ponses que leur apportent les &eacute;crivains et leurs &eacute;diteurs. Est-il dans les correspondances des modernistes et des avant-gardistes des traits qui les distinguent&nbsp;? Dans quelle mesure les rapports qu&rsquo;entretiennent la po&eacute;sie avec la litt&eacute;rature, l&rsquo;&eacute;criture avec la vie, l&rsquo;&eacute;crivain avec la soci&eacute;t&eacute; et le monde tels que les redessinent conflictuellement les avant-gardes d&eacute;finissent-ils des pratiques &eacute;pistolaires sp&eacute;cifiques&nbsp;? Il a paru l&eacute;gitime d&rsquo;ouvrir cette s&eacute;rie par Blaise Cendrars qui a voyag&eacute; en &eacute;criture plus encore que dans l&rsquo;espace, et dont les lettres, partiellement &eacute;dit&eacute;es, occupent un nombre de bo&icirc;tes impressionnant du fonds Cendrars de la Biblioth&egrave;que nationale de Berne. Qu&rsquo;elle soit ici remerci&eacute;e, ainsi que Miriam Cendrars, pour son accueil g&eacute;n&eacute;reux de nos projets. Une pens&eacute;e particuli&egrave;re, empreinte &agrave; la fois de reconnaissance et de tristesse, est ici d&eacute;di&eacute;e &agrave; celle qui nous a quitt&eacute; au printemps 2018, ainsi qu&rsquo;&agrave; Maurice Poccachard, Pr&eacute;sident de l&rsquo;Association des Etudes Internationales Blaise Cendrars, brutalement d&eacute;c&eacute;d&eacute; en septembre 2018. Il avait g&eacute;n&eacute;reusement ouvert pour nous sa collection de lettres de Guy Tosi, Blaise Cendrars et Henry Miller, dont les notes viennent ici comme un dernier signe d&rsquo;amiti&eacute;. &Agrave; tous deux nous d&eacute;dions cette publication.</p> <h2 style="text-align: justify;"><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Les travaux de G&eacute;rard Genette notamment dans <em>Seuils</em>, de Brigitte Diaz (<em>L&rsquo;&Eacute;pistolaire ou la pens&eacute;e nomade</em>, Paris, PUF, 2002<strong>, </strong><em>S</em><em>tendhal en sa correspondance ou l&rsquo;Histoire d&rsquo;un esprit</em>, Paris, Champion, 2003), de Fran&ccedil;oise Simonet-Tenant (<em>Journal personnel et correspondance (1785-1939) ou les affinit&eacute;s &eacute;lectives</em>, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, &laquo;&nbsp;Au c&oelig;ur des textes&nbsp;&raquo;,&nbsp;2009), chaque num&eacute;ro de la revue <em>L&rsquo;&Eacute;pistolaire</em>, publi&eacute;e par l&rsquo;A.I.R.E., ainsi que les nombreux volumes &eacute;dit&eacute;s par Claire Paulhan ont prouv&eacute; s&rsquo;il &eacute;tait besoin la l&eacute;gitimit&eacute; de la lecture des correspondances d&rsquo;&eacute;crivains&nbsp;; leur apport f&eacute;cond tient aussi, paradoxalement, &agrave; leur statut ambigu, entre document, journal de l&rsquo;&oelig;uvre en cours, invention de soi ou construction d&rsquo;une posture d&rsquo;&eacute;crivain. Voir aussi <em>L&rsquo;&Eacute;pistolarit&eacute; &agrave; travers les si&egrave;cles. Geste de communication et/ou d&rsquo;&eacute;criture</em>, M.&nbsp;Bossis et Ch.&nbsp;A.&nbsp;Porter (dir.), Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 1990 et Alain Tassel, <em>Valeurs et Correspondances</em>, Paris, L&rsquo;Harmattan, 2010.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Sous la direction de Marie-Paule Berranger et Christine Le Quellec-Cottier &agrave; l&rsquo;universit&eacute; Paris 3-Sorbonne nouvelle, le 27 janvier 2017.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> <em>Emm&egrave;ne-moi au bout du monde&nbsp;!&hellip;</em>, texte, notice et notes de Marie-Paule Berranger dans Blaise Cendrars, <em>&OElig;uvres romanesques</em>, &eacute;d. sous la direction de Claude Leroy, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade&nbsp;&raquo;, II, 2017.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> &laquo;&nbsp;Ce qui distingue l&rsquo;&eacute;pitexte priv&eacute; de l&rsquo;&eacute;pitexte public n&rsquo;est pas exactement l&rsquo;absence de vis&eacute;e du public et donc d&rsquo;intention de publication&nbsp;: bien des lettres, bien des pages de journal sont &eacute;crites dans une claire prescience de leur publication &agrave; venir, et l&rsquo;effet qu&rsquo;exerce sans doute cette prescience sur leur r&eacute;daction n&rsquo;entame pas leur caract&egrave;re priv&eacute; voire intime. Ce qui d&eacute;finira pour nous ce caract&egrave;re, c&rsquo;est la pr&eacute;sence interpos&eacute;e entre l&rsquo;auteur et l&rsquo;&eacute;ventuel public, d&rsquo;un destinataire premier (un correspondant, un confident, l&rsquo;auteur lui-m&ecirc;me) qui n&rsquo;est pas per&ccedil;u comme un simple m&eacute;diateur ou relais fonctionnellement transparent, une &laquo;&nbsp;non-personne&nbsp;&raquo; m&eacute;diatique, mais bien comme un destinataire &agrave; part enti&egrave;re, &agrave; qui l&rsquo;auteur s&rsquo;adresse pour lui-m&ecirc;me, f&ucirc;t-ce avec l&rsquo;arri&egrave;re-pens&eacute;e de prendre le public &agrave; t&eacute;moin de cette interlocution&nbsp;&raquo; (G&eacute;rard Genette, <em>Seuils,</em> Paris, Seuil, p.&nbsp;341).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> <em>&OElig;uvres autobiographiques, </em>sous la direction de Claude Leroy avec la collaboration de Christine Le Quellec-Cottier, Jean-Carlo Fl&uuml;ckiger, Michelle Touret, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade&nbsp;&raquo;, 2013&nbsp;; <em>&OElig;uvres romanesques pr&eacute;c&eacute;d&eacute;es des Po&eacute;sies compl&egrave;tes</em>, sous la direction de Claude Leroy avec la collaboration de Marie-Paule Berranger, Myriam Boucharenc, Christine Le Quellec-Cottier, Jean-Carlo Fl&uuml;ckiger, Michelle Touret, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade&nbsp;&raquo;, 2017.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Plusieurs volumes ont d&eacute;j&agrave; paru&nbsp;:<em> Blaise Cendrars &ndash; Henry Miller, Correspondance 1934 &ndash; 1959, &laquo; Je travaille &agrave; pic pour descendre en profondeur &raquo;, </em>&eacute;dition critique de Jay Bochner, 2013&nbsp;;<em> Blaise Cendrars &ndash;Robert Guiette, Lettres 1920 &ndash; 1959, &laquo; Ne m&rsquo;appelez plus&hellip; ma&icirc;tre &raquo;</em>, &eacute;dition critique de Mich&egrave;le Touret, 2013&nbsp;; <em>Blaise Cendrars &ndash; Henry Poulaille, Correspondance 1925 &ndash; 1961, &laquo;&nbsp;Je travaille et commence &agrave; en avoir marre &raquo;, </em>&eacute;dition critique de Christine Le Quellec Cottier, 2014&nbsp;; <em>Cendrars &ndash; Raymone Duch&acirc;teau, Correspondance 1937 &ndash; 1954, &laquo; Sans ta carte je pourrais me croire sur une autre plan&egrave;te &raquo;, </em>&eacute;dition critique de Myriam Boucharenc, 2015, <em>Blaise Cendrars&ndash;Jacques-Henry L&eacute;vesque, </em><em>Correspondance 1922 &ndash; 1959, </em><em>&laquo; Et maintenant veillez au grain ! &raquo;, </em>&eacute;dition critique de Marie-Paule Berranger, 2017.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> &laquo;&nbsp;Ant&eacute;rieure &agrave; la naissance de l&rsquo;&oelig;uvre, la correspondance peut aussi t&eacute;moigner d&rsquo;une non-naissance&nbsp;: &oelig;uvres avort&eacute;es dont ne subsistent parfois que ces traces indirectes et quelques &eacute;bauches&nbsp;&raquo; (G&eacute;rard Genette, <em>op. cit.,&nbsp;</em>p.&nbsp;344). Parmi ces branches mortes que sont les projets abandonn&eacute;s, certains comme la <em>Vie de John Paul Jones</em> et <em>La Carissima</em>, pouss&eacute;s fort loin par des ann&eacute;es de recherche documentaire et d&rsquo;&eacute;criture, sont le terreau de nombre des r&eacute;cits majeurs&nbsp;; leur importance n&rsquo;est r&eacute;v&eacute;l&eacute;e que par les correspondances et les brouillons.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;Brigitte Diaz, <em>Correspondances d&rsquo;&eacute;crivains au XIXe si&egrave;cle : la valeur critique ajout&eacute;e</em>, consultable en ligne sur <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00757742">https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00757742</a>, janvier 2010.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> Les &eacute;changes avec &Eacute;lisabeth Pr&eacute;vost ont &eacute;t&eacute; pr&eacute;sent&eacute;s par Monique Chefdor dans <em>Madame mon copain. &Eacute;lisabeth Pr&eacute;vost et Blaise Cendrars : une amiti&eacute; rarissime, </em>Nantes, &eacute;d. joca seria, 1997.</p> <h3 style="text-align: justify;">Auteur</h3> <p style="text-align: justify;"><strong>Marie-Paule Berranger&nbsp;</strong>est professeur de litt&eacute;rature fran&ccedil;aise du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; Sorbonne nouvelle, au sein de l&rsquo;UMR Thalim. Ses travaux portent sur le surr&eacute;alisme (<em>D&eacute;paysement de l&rsquo;aphorisme</em>, Corti, 1988), la po&eacute;sie de Robert Desnos, Blaise Cendrars, Fr&eacute;d&eacute;ric Jacques Temple (<em>P&eacute;riples et parages, l&rsquo;&oelig;uvre de Fr&eacute;d&eacute;ric Jacques Temple</em>, actes du colloque de Cerisy en collaboration avec Pierre-Marie H&eacute;ron et Claude Leroy, Hermann, 2016), les genres dans la po&eacute;tique des avant-gardes et l&rsquo;histoire de la critique (<em>&Eacute;volutions/R&eacute;volutions des valeurs critiques</em>, Presses de la M&eacute;diterran&eacute;e, 2015). Elle a &eacute;dit&eacute; en 2017 le &nbsp;dernier roman de Blaise Cendrars <em>Emm&egrave;ne-moi au bout du monde&nbsp;!&hellip; </em>(Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade) et la correspondance Blaise Cendrars ‒ Jacques-Henry L&eacute;vesque aux &eacute;ditions Zo&eacute;.</p> <h3>Copyright</h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p> </div>