<div class="entry-content"> <h3>Abstract</h3> <p>In June 1926, Blaise Cendrars did everything in his power to ensure the success of a painting exhibition in Paris by Oswald de Andrade&#39;s friend Tarsila do Amaral. He even wrote poems as a preface to the exhibition catalog. We were surprised to discover that one of these poems, not included in the catalog, was also missing from Cendrars&#39; Po&eacute;sies compl&egrave;tes.</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p>Blaise Cendrars, Tarsila do Amaral, Oswald de Andrade, unpublished poem, morning walk</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">Blaise Cendrars fit tout son possible pour assurer un plein succ&egrave;s &agrave; Paris, en juin 1926, &agrave; l&rsquo;exposition de peinture de Tarsila do Amaral&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, l&rsquo;amie d&rsquo;Oswald de Andrade&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Il composa m&ecirc;me des po&eacute;sies en guise de pr&eacute;face au Catalogue de l&rsquo;exposition. Grande a &eacute;t&eacute; notre surprise lorsque nous avons constat&eacute; que l&rsquo;un de ces po&egrave;mes, non retenus pour le catalogue, &eacute;tait &eacute;galement absent des <em>Po&eacute;sies compl&egrave;tes</em> de Cendrars&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Situons tout d&rsquo;abord l&rsquo;organisation de cette exposition dans les relations de Blaise avec le couple Tarsila-Oswald, Tarsival, selon l&rsquo;heureuse expression de Mario de Andrade.</p> <p style="text-align: justify;">Depuis leur premi&egrave;re visite au domicile de Raymone, rue du Mont-Dore, le 23 mai 1923, Tarsila et Oswald &eacute;taient devenus de grands amis de Cendrars. Pendant plusieurs ann&eacute;es leurs trois existences seront intimement li&eacute;es et leurs activit&eacute;s artistiques d&eacute;pendront &eacute;troitement les unes des autres&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. En effet, c&rsquo;est &agrave; la suggestion d&rsquo;Oswald que Cendrars fut invit&eacute; au Br&eacute;sil par Paulo Prado de janvier &agrave; septembre 1924. A l&rsquo;aller, il &eacute;crit des po&egrave;mes sur le vapeur <em>Le Formose</em> dont le nom donnera le sous-titre de la premi&egrave;re livraison de <em>Feuilles de route</em>. Tarsila et Oswald font partie du groupe qui accompagne Cendrars &laquo;&nbsp;&agrave; la d&eacute;couverte du Br&eacute;sil&nbsp;&raquo;&nbsp;: Carnaval de Rio et voyage aux villes historiques de la province de Minas Gerais.</p> <p style="text-align: justify;">Au cours du voyage, Oswald publie, en mars 1924, le manifeste <em>Pau Brasil</em>, au Sans Pareil, l&rsquo;&eacute;diteur de Cendrars. Tarsila fait de nombreux croquis. D&egrave;s son retour &agrave; Paris, Cendrars publie <em>Feuilles de route I, Le Formose</em>, avec des dessins de Tarsila (d&eacute;cembre 1924)&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a> Il est enchant&eacute; de ces illustrations. C&rsquo;est lui qui pr&eacute;senta l&rsquo;&eacute;l&eacute;gante Br&eacute;silienne &agrave; M. Level, le propri&eacute;taire de la galerie Percier, qui accepta d&rsquo;organiser une exposition des &oelig;uvres de Tarsila.</p> <p style="text-align: justify;">Cendrars repart au Br&eacute;sil pour un deuxi&egrave;me voyage, de janvier &agrave; juin 1926. De Lisbonne, &agrave; bord du Flandria, il envoie une carte postale &agrave; Tarsila&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;en vous souhaitant de beaucoup travailler&nbsp;&raquo;. De Las Palmas, il lui adresse des po&egrave;mes&hellip; qui se sont perdus, comme il appara&icirc;t d&rsquo;apr&egrave;s une lettre de S&atilde;o Paulo, dat&eacute;e du 1<sup>er</sup> avril 1926&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Dommage que vous n&rsquo;ayez pas re&ccedil;u les po&egrave;mes que je vous ai adress&eacute;s de Las Palmas. Ils seront perdus. Je vais vous en faire d&rsquo;autres que vous recevrez par le prochain courrier.</p> <p style="text-align: justify;">Il me faut quelques jours pour en faire d&rsquo;autres et St Paul ne m&rsquo;inspire pas cette fois que vous n&rsquo;y &ecirc;tes pas, ni vous, ni Oswald.</p> <p style="text-align: justify;">Je pense rentrer prochainement. Donnez-moi tout de m&ecirc;me de vos nouvelles.</p> <p style="text-align: justify;">Je suis s&ucirc;r de votre succ&egrave;s et je vous souhaite beaucoup, beaucoup de joie.</p> <p style="text-align: justify;">Ma main amie</p> <p style="text-align: justify;">Blaise</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Dans une lettre jointe, adress&eacute;e &agrave; Oswald, il lui donne des conseils pr&eacute;cis pour l&rsquo;organisation de l&rsquo;exposition et confirme&nbsp; le nouvel envoi de po&egrave;mes&nbsp;: &laquo;&nbsp;Tarsila recevra mes po&egrave;mes dans quelques jours, ils arriveront &agrave; temps&hellip;&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: justify;">La promesse fut tenue. Le 25 avril 1926, dans une m&ecirc;me enveloppe, quatre feuilles dactylographi&eacute;es&nbsp;: sur une feuille, une lettre pour Tarsila suivie d&rsquo;une lettre pour Oswald et sur les trois autres feuilles, les po&egrave;mes promis&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>. Voici la transcription des deux lettres&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Ma ch&egrave;re Tarsila</p> <p style="text-align: justify;">Ci-joints les quelques po&egrave;mes promis pour le catalogue de votre exposition. Publiez-les tous ou deux ou trois, &agrave; votre choix. Ce que vous ferez sera bien. En vous souhaitant tout le succ&egrave;s que vous m&eacute;ritez et que je vous donne.</p> <p style="text-align: justify;">Ma main amie</p> <p style="text-align: justify;">Blaise</p> </blockquote> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Mon cher Oswald</p> <p style="text-align: justify;">J&rsquo;aurais pu en faire une pr&eacute;face pour le catalogue de Tarsila. Voici quelques po&egrave;mes. Fais-en d&rsquo;autres et signe-les (de mon nom) si ceux-ci ne conviennent pas. Tout ce que vous ferez sera bien.</p> <p style="text-align: justify;">Je n&rsquo;ai pas fait de pr&eacute;face me r&eacute;servant &agrave; mon retour d&rsquo;ENGUEULER tout le monde si tout Paris n&rsquo;a pas dit que Tarsila a du g&eacute;nie, qu&rsquo;elle est la plus belle et le plus grand peintre d&rsquo;aujourd&rsquo;hui. QUI T&rsquo;AIME DOIT AIMER TARSILA DO AMARAL.</p> <p style="text-align: justify;">(Tu parles d&rsquo;un sonnet&nbsp;! Fais-le)</p> <p style="text-align: justify;">Je t&rsquo;embrasse</p> <p style="text-align: justify;">Blaise</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Sur la premi&egrave;re feuille de po&egrave;mes, il y avait les six compositions intitul&eacute;es&nbsp;: &laquo;&nbsp;Debout&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;La ville se r&eacute;veille&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Klaxons &eacute;lectriques&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;Menu fretin&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Paysage&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Saint-Paul&nbsp;&raquo;&nbsp;; en haut le titre g&eacute;n&eacute;ral S&atilde;o Paulo. Sur la deuxi&egrave;me feuille, il y avait un seul po&egrave;me&nbsp;: &laquo;&nbsp;Promenade matinale&nbsp;&raquo;. Sur la troisi&egrave;me feuille, il y en avait trois&nbsp;: &laquo;&nbsp;Promenade nocturne&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Bahia&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Pernambuco&nbsp;&raquo;. Soit dix po&egrave;mes EN TOUT. Quel fut le choix du couple Tarsival&nbsp;? Seuls furent retenus pour le catalogue&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a> les six po&egrave;mes de la premi&egrave;re feuille, en bloc, dans l&rsquo;ordre o&ugrave; les avait pr&eacute;sent&eacute;s Cendrars et avec le titre g&eacute;n&eacute;ral qu&rsquo;il leur avait donn&eacute;,&nbsp; S&atilde;o Paulo. Ce choix para&icirc;t judicieux. Les six po&egrave;mes retenus, compos&eacute;s &agrave; S&atilde;o Paulo, constituent un tout&nbsp;: les cinq premiers &eacute;voquent des aspects particuliers de la ville, le dernier en donne une vision synth&eacute;tique. Ils sont en parfaite corr&eacute;lation avec les tableaux expos&eacute;s, peints par Tarsila, peintre de S&atilde;o Paulo. Les po&egrave;mes de Cendrars pr&eacute;sentent donc les tableaux avec pertinence et originalit&eacute;.</p> <p style="text-align: justify;">Dans les &eacute;ditions post&eacute;rieures des <em>Po&eacute;sies</em> de Cendrars les six po&egrave;mes du catalogue ont &eacute;t&eacute; republi&eacute;s, dans le m&ecirc;me ordre, avec le titre commun. Ils forment la totalit&eacute; de <em>Feuilles de route S&atilde;o Paulo</em>. En d&rsquo;autres termes le catalogue constitue l&rsquo;&eacute;dition originale de ce recueil.</p> <p style="text-align: justify;">Mais que sont devenues les autres po&eacute;sies &eacute;crites pour Tarsila et non imprim&eacute;es dans le catalogue&nbsp;? Nous avons proc&eacute;d&eacute; &agrave; l&rsquo;examen des diverses &eacute;ditions des <em>Po&eacute;sies compl&egrave;tes</em> de Cendrars ainsi que des pr&eacute;-publications de ses po&egrave;mes. Des trois compositions de la 3<sup>e</sup> feuille originale, deux ont &eacute;t&eacute; publi&eacute;es avec quelques variantes, dans le 3<sup>e</sup> cahier de <em>Feuilles de route</em>, &laquo;&nbsp;Bahia&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;Pernambuco &raquo;&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>, et l&rsquo;autre &laquo;&nbsp;Promenade nocturne&nbsp;&raquo;, dans <em>Sud-Am&eacute;ricaines</em> dont elle constitue la premi&egrave;re po&eacute;sie, sans titre. Quant au po&egrave;me intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Promenade matinale&nbsp;&raquo;, dactylographi&eacute; sur la 2<sup>e</sup> feuille originale, nous ne l&rsquo;avons retrouv&eacute; dans aucune des &eacute;ditions ou publications examin&eacute;es&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>.</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Promenade matinale</p> <p style="text-align: justify;">Pirituba est un passage &agrave; niveau</p> <p style="text-align: justify;">D&eacute;file un train se composant exclusivement de wagons blancs avec cette inscription</p> <p style="text-align: justify;">Soracoba Soracoba Soracoba Soracoba Soracoba Soracoba Soracoba</p> <p style="text-align: justify;">Le train pass&eacute; il y a une petite hutte en pis&eacute;</p> <p style="text-align: justify;">Et sur le seuil</p> <p style="text-align: justify;">Une femme enceinte jaune ravag&eacute;e</p> <p style="text-align: justify;">Deux gosses</p> <p style="text-align: justify;">Et un chien &agrave; longs poils brun&acirc;tres</p> <p style="text-align: justify;">Le chien est typique me dit mon ami quand vous voyagerez</p> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">&agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur vous rencontrerez des milliers de huttes</p> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">semblables et toujours un chien similaire devant la porte</p> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">quand il y a une porte</p> <p style="text-align: justify;">Et ce chien n&rsquo;a pas de race</p> <p style="text-align: justify;">Ces huttes sont fort petites extr&ecirc;mement basses obscures b&acirc;ties avec de</p> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">la terre battue et des b&acirc;tons entrecrois&eacute;s</p> <p style="text-align: justify;">Il n&rsquo;entre dans leur charpente ni tenons ni mortaises ni chevilles ni clous</p> <p style="text-align: justify;">Les fili&egrave;res &eacute;tant support&eacute;es par quatre poteaux termin&eacute;s par une fourche et toutes les pi&egrave;ces de bois sont attach&eacute;es avec des lianes</p> <p style="text-align: justify;">La route monte et descend</p> <p style="text-align: justify;">Terre rouge</p> <p style="text-align: justify;">Ciel bleu</p> <p style="text-align: justify;">Les agents voyers sont munis d&rsquo;un petit drapeau orang&eacute; ils nivellent</p> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">la route &agrave; l&rsquo;aide d&rsquo;un gros tronc tir&eacute; par deux taureaux z&eacute;bus</p> <p style="text-align: justify;">On traverse quelques rares hameaux</p> <p style="text-align: justify;">De toutes petites colonisations de petits colons italiens et des</p> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">plantations d&rsquo;arbres fruitiers minutieusement soign&eacute;es et</p> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">enfantinement entretenues qui appartiennent &agrave; des Japonais</p> <p style="text-align: justify;">Dans un virage c&rsquo;est tout &agrave; coup la for&ecirc;t vierge</p> <p style="text-align: justify;">Des arbres g&eacute;ants aux branches desquels pendent des lichens</p> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">blanch&acirc;tres qui ressemblent &agrave; la barbe des vieillards et que</p> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">la plus l&eacute;g&egrave;re brise balance</p> <p style="text-align: justify;">Barbe fleurie de Charlemagne</p> <p style="text-align: justify;">C&rsquo;est plein d&rsquo;arbrisseaux dont le fruit s&rsquo;appelle vulgairement</p> <p style="text-align: justify; padding-left: 30px;">camboui</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Par sa disposition typographique, le po&egrave;me, essentiellement descriptif et o&ugrave; pr&eacute;dominent les sensations visuelles, est divis&eacute; en trois grandes parties. Seule la partie centrale nettement s&eacute;par&eacute;e des deux autres d&eacute;veloppe un sujet unique&nbsp;: les huttes. Le reste est constitu&eacute; par une s&eacute;rie de &laquo;&nbsp;tableaux&nbsp;&raquo; qui se succ&egrave;dent tout au long du trajet en auto. L&rsquo;ordre de d&eacute;roulement du po&egrave;me correspond &agrave; la succession chronologique des choses vues. Nous pouvons donner des titres &agrave; ces divers &laquo;&nbsp;tableaux&nbsp;&raquo; en indiquant les principaux &eacute;l&eacute;ments constitutifs&nbsp;:</p> <ul style="text-align: justify;"> <li>passage &agrave; niveau</li> <li>huttes et personnages (femme enceinte, gosses, chien)</li> <li>huttes (ensemble, d&eacute;tails, murs, charpente)</li> <li>paysage (terre, ciel, route, hameaux, plantations)</li> <li>for&ecirc;t vierge (arbre &agrave; lichens, camboui)</li> </ul> <p style="text-align: justify;">Une correspondance s&rsquo;impose avec certains tableaux de Tarsila dont la liste est imprim&eacute;e sur la page int&eacute;rieure de la derni&egrave;re couverture du catalogue. Le premier &laquo;&nbsp;tableau&nbsp;&raquo; du po&egrave;me correspond parfaitement &agrave; la toile n&deg;3 &laquo;&nbsp;Passage &agrave; niveau&nbsp;&raquo;&nbsp;; les gosses du deuxi&egrave;me &eacute;voquent la toile n&deg; 16 &laquo;&nbsp;Les Enfants du sanctuaire&nbsp;&raquo; (As Meninas). Les divers paysages d&eacute;crits par Cendrars peuvent &ecirc;tre rapproch&eacute;s des trois tableaux de m&ecirc;me titre&nbsp;: 4&minus; Paysage n&deg;1, 5&minus; Paysage n&deg; 2 et 12&minus; Paysage n&deg;3. Cendrars accorde trois vers (6 lignes) au chien&nbsp;: c&rsquo;est qu&rsquo;il fait partie de la r&eacute;alit&eacute; br&eacute;silienne et que, les deux choses &eacute;tant une fois de plus li&eacute;es, Tarsila dessinait des chiens.</p> <p style="text-align: justify;">D&egrave;s le d&eacute;but du po&egrave;me, les noms propres Pirituba et Soracoba plongent le lecteur dans la r&eacute;alit&eacute; br&eacute;silienne. Ils d&eacute;signent des lieux r&eacute;els&nbsp;: Pirituba &eacute;tait, en 1926, un passage &agrave; niveau o&ugrave; la route traversait la voie ferr&eacute;e reliant S&atilde;o Paulo &agrave; Soracoba, localit&eacute; &agrave; l&rsquo;Ouest de S&atilde;o Paulo, aujourd&rsquo;hui int&eacute;gr&eacute;e &agrave; la grande m&eacute;tropole. D&eacute;paysement encore par les sonorit&eacute;s exotiques de ces noms provenant de la langue primitive tupi-guarani. La r&eacute;it&eacute;ration, sept fois, de Soracoba amplifie l&rsquo;effet phonique. Elle cr&eacute;e une onomatop&eacute;e reproduisant le bruit rythm&eacute; des wagons qui passent devant l&rsquo;observateur. C&rsquo;est aussi une fa&ccedil;on de concr&eacute;tiser le mouvement du train et la dur&eacute;e du passage du convoi. Enfin, la vision globale du vers, dispos&eacute; sur une seule ligne, form&eacute; de la juxtaposition de sept substantifs identiques, restitue l&rsquo;image lin&eacute;aire du train compos&eacute; de sept wagons semblables. Cette r&eacute;ussite&nbsp; ne nous surprend gu&egrave;re de la part du po&egrave;te de la <em>Prose du Transsib&eacute;rien</em> et du co-sc&eacute;nariste de <em>La Roue </em>de son ami Abel Gance.</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;utilisation des couleurs appartient &eacute;galement &agrave; l&rsquo;art du peintre&nbsp;: les rectangles d&rsquo;un blanc cru des wagons, le rouge et le bleu, fr&eacute;quents dans les tableaux de Tarsila comme dans le paysage br&eacute;silien. Le parall&egrave;le &laquo;&nbsp;Terre rouge/ciel bleu&nbsp;&raquo; [substantif (&eacute;l&eacute;ment)/adjectif (couleur)] &eacute;voque l&rsquo;automatisme du geste de va-et-vient du peintre portant la couleur de la palette au tableau. La r&eacute;alit&eacute; br&eacute;silienne est transcrite avec fid&eacute;lit&eacute; et minutie, jusqu&rsquo;au &laquo;&nbsp;petit drapeau orang&eacute;&nbsp;&raquo; digne de la technique d&rsquo;un peintre na&iuml;f qui n&rsquo;oublie pas non plus la bosse des &laquo;&nbsp;taureaux z&eacute;bus&nbsp;&raquo;. La pr&eacute;sence des Italiens et des Japonais s&rsquo;adonnant &agrave; l&rsquo;agriculture est &eacute;galement&nbsp; conforme &agrave; la r&eacute;alit&eacute; br&eacute;silienne, surtout dans la r&eacute;gion de S&atilde;o Paulo, o&ugrave; l&rsquo;immigration d&rsquo;&eacute;trangers de ces deux&nbsp; nationalit&eacute;s a &eacute;t&eacute; tr&egrave;s importante.</p> <p style="text-align: justify;">Et la for&ecirc;t vierge&nbsp;? Bien s&ucirc;r, depuis S&atilde;o Paulo une &laquo;&nbsp;promenade matinale&nbsp;&raquo;, serait-ce dans l&rsquo;Alfa Romeo de Cendrars ou dans la Cadillac d&eacute;couverte d&rsquo;Oswald, ne permet pas de l&rsquo;atteindre&nbsp;! On ne peut la rencontrer, inopin&eacute;ment&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>, au d&eacute;tour de la route entre S&atilde;o Paulo et Soracoba&nbsp;! Mais elle faisait d&eacute;j&agrave; partie du paysage int&eacute;rieur br&eacute;silien de Blaise Cendrars et il a voulu lui faire sa place, &agrave; la fin du po&egrave;me. Tarsila a d&rsquo;ailleurs peint un tableau intitul&eacute; <em>Floresta </em>(For&ecirc;t).</p> <p style="text-align: justify;">Le Br&eacute;sil,&nbsp; c&rsquo;est &eacute;galement les fruits exotiques, comme ceux repr&eacute;sent&eacute;s dans le tableau n&deg;13 de l&rsquo;exposition de Tarsila, &laquo;&nbsp;Marchand de fruits&nbsp;&raquo;. Le substantif final &laquo;&nbsp;camboui&nbsp;&raquo;, cr&eacute;e un calembour inattendu par son homonymie avec cambouis, mais c&rsquo;est aussi la transcription phon&eacute;tique du nom &laquo;&nbsp;cambui&nbsp;&raquo;, d&eacute;signant divers arbustes de la flore br&eacute;silienne et leurs fruits.</p> <p style="text-align: justify;">Tarsila avait fait des dessins pour les po&egrave;mes de Cendrars qui composa des po&egrave;mes pour les tableaux de Tarsila. &laquo;&nbsp;Promenade matinale&nbsp;&raquo; aurait pu servir de pr&eacute;face au catalogue de l&rsquo;exposition&nbsp;; mais cette composition n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; retenue et elle est tomb&eacute;e dans l&rsquo;oubli&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>. Nous y trouvons un syncr&eacute;tisme frappant avec les tableaux de Tarsila&nbsp;: Cendrars les connaissait bien et c&rsquo;est sp&eacute;cialement pour eux qu&rsquo;il a compos&eacute; le po&egrave;me. Po&egrave;me et tableaux sont la manifestation d&rsquo;une m&ecirc;me r&eacute;alit&eacute; br&eacute;silienne par deux artistes qui ont su &eacute;tablir une sympathie jamais d&eacute;mentie dans leurs relations et une harmonie dans leurs arts respectifs, diff&eacute;rents mais compl&eacute;mentaires. Ce beau po&egrave;me compl&egrave;te et pr&eacute;cise la vision que Cendrars avait du Br&eacute;sil, pays cher &agrave; son c&oelig;ur au point qu&rsquo;il le consid&eacute;rait comme sa &laquo;&nbsp;deuxi&egrave;me patrie spirituelle&nbsp;&raquo;.</p> <h3 style="text-align: justify;"><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h3> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Voir Aracy A. Amaral, <em>Tarsila, sua obra e seu tempo, </em>S&atilde;o Paulo, Editoria Perspectiva, 2 vol., 1975.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Voir Adrien Roig, &laquo;&nbsp;Une nouvelle &ldquo;rencontre&rdquo;, Oswald de Andrade-Blaise Cendrars&nbsp;: interpr&eacute;tation du po&egrave;me &ldquo;Morro Azul&rdquo;, <em>Cahiers du Monde hispanique et luso-br&eacute;silien (Caravelle)</em> [Universit&eacute; Toulouse-Le Mirail], n&deg;33, 1979, p. 133-156.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Dans ce texte d&rsquo;abord donn&eacute; en avril 1981 dans le bulletin des &eacute;tudes cendrarsiennes <em>Feuille de routes </em>n&deg;5, repris dans <em>Feuille de routes </em>n&deg;42-43 en 2004, Adrien Roig publiait &laquo;&nbsp;Promenade matinale&nbsp;&raquo;, un po&egrave;me envoy&eacute; &agrave; Tarsila, qui a retrouv&eacute; depuis sa place dans les &eacute;ditions des <em>Po&eacute;sies</em> de Blaise Cendrars. En 2004, il ajoutait&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il s&rsquo;agit &eacute;videmment des &eacute;ditions ant&eacute;rieures &agrave; celle de la s&eacute;rie &ldquo;Tout Autour d&rsquo;Aujourd&rsquo;hui&rdquo;&nbsp;; ce po&egrave;me figure dans une version plus longue sous le titre &ldquo;Premi&egrave;re promenade matinale&rdquo;, &agrave; la page 259-260, sous la rubrique &ldquo;Po&egrave;mes in&eacute;dits de <em>Feuilles de route</em>&rdquo;&nbsp;&raquo; <em>(Note de l&rsquo;&eacute;diteur)</em>.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Voir A. Eul&aacute;lio, <em>A Aventura brasileira de Blaise Cendrars</em>, S&atilde;o Paulo, &eacute;d. Quiron/M.E.C., 1978&nbsp;; et la r&eacute;&eacute;dition de l&rsquo;ouvrage d&rsquo;Eul&aacute;lio par Carlos Augusto Calil, &eacute;dition revue et augment&eacute;e, Edisup, S&atilde;o Paulo, 2001.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> Ce sont ceux qui illustrent &agrave; pr&eacute;sent la nouvelle &eacute;dition Deno&euml;l (collection TADA).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Aracy Amaral, <em>op. cit.</em>, vol. 1, p. 196-197, donne la reproduction des deux lettres dactylographi&eacute;es.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> Heureusement ces documents ont &eacute;t&eacute; conserv&eacute;s. Ils sont actuellement &agrave; S&atilde;o Paulo (Arquiva Oswaldo Estanislau do Amaral), v. Alexandre Eulalio, <em>A Aventura brasiliera de Blaise Cendrars, op.cit.</em>, &eacute;d. 2001, p. 309.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> Nous avons pu localiser deux exemplaires du catalogue. La couverture, orn&eacute;e de l&rsquo;autoportrait du peintre, porte les indications&nbsp;: &laquo;&nbsp;Tarsila/ du 7 au 23 juin 1926/38, rue de La Bo&euml;tie/ Paris&nbsp;&raquo;. Ils se trouvent l&rsquo;un au Museu de Arte Contempor&aacute;nea de l&rsquo;Universit&eacute; de S&atilde;o Paulo (cote 02414), l&rsquo;autre &agrave; Paris &agrave; la Biblioth&egrave;que litt&eacute;raire Jacques Doucet.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> La variante la plus importante est au dernier vers&nbsp;: &laquo;&nbsp;Du bagne de la chaleur et de la t&ocirc;le&nbsp;&raquo; qui a &eacute;t&eacute; &eacute;dulcor&eacute; en &laquo;&nbsp;Du soleil de la chaleur et de la t&ocirc;le ondul&eacute;e&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a> Outre les &eacute;ditions compl&egrave;tes disponibles au moment de sa recherche, Adrien Roig mentionne les pr&eacute;publications <em>Sud-Am&eacute;ricaines</em> dans <em>Les Feuilles libres, </em>Paris, n&deg;44, novembre-d&eacute;c. 1926, p. 81-84&nbsp;; <em>&laquo;&nbsp;Feuilles de route </em>in&eacute;dites de Blaise Cendrars&nbsp;&raquo; dans <em>Montparnasse, </em>n&deg;49, f&eacute;vrier-mars 1927 et n&deg;51, mai-juin 1928<em>, &laquo;&nbsp;Po&egrave;mes de </em>Feuilles de route <em>II&nbsp;&raquo;</em>. Ce po&egrave;me a d&eacute;sormais rejoint le recueil intitul&eacute; <em>Du Monde entier au c&oelig;ur du monde</em> en Po&eacute;sie Gallimard et <em>&OElig;uvres romanesques </em>&nbsp;pr&eacute;c&eacute;d&eacute;es des <em>&nbsp;Po&eacute;sies compl&egrave;tes</em>, vol. 1, &eacute;dition de Claude Leroy, Gallimard, &laquo;&nbsp;Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade&nbsp;&raquo;, 2017 <em>(Note de l&rsquo;&eacute;diteur)</em>.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a> Cendrars a traduit en fran&ccedil;ais, sous le titre <em>For&ecirc;t vierge, </em>le roman <em>A Selva </em>de Ferreira de Castro, livre que lui avait fait conna&icirc;tre Paulo Prado.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a> Rappelons que Aracy A. Amaral, la ni&egrave;ce de Tarsila, avait donn&eacute; une premi&egrave;re version de ce po&egrave;me en 1970 dans <em>&nbsp;Blaise Cendrars no Brasil e os modernistas</em>, S&atilde;o Paulo, Martins, 1970, p. 144 <em>(Note de l&rsquo;&eacute;diteur)</em>.</p> <h3 style="text-align: justify;">Auteur</h3> <p style="text-align: justify;"><strong>Adrien Roig</strong>, agr&eacute;g&eacute; d&rsquo;espagnol, est professeur &eacute;m&eacute;rite de litt&eacute;rature portugaise &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry Montpellier 3. Ses domaines de recherche sont les litt&eacute;rature du Portugal et de l&rsquo;Espagne au XVIe si&egrave;cle (Ant&oacute;nio Ferreira, Cam&otilde;es, S&aacute; de Miranda, Diogo Bernardes, Gil Vicente, Garcilaso) ; In&eacute;s de Castro, la Reine morte ; la &nbsp;litt&eacute;rature br&eacute;silienne du XXe si&egrave;cle (Manuel Bandeira, Oswald de Andrade, M&aacute;rio de Andrade, Ra&uacute;l Pompeia, Ferreira de Castro) et les artistes O Aleijadinho, Tarsila do Amaral ; Blaise Cendrars, en particulier ses rapports avec le Br&eacute;sil auxquels il s&rsquo;est attach&eacute; dans&nbsp; &laquo;&nbsp;Pr&eacute;sence de Blaise Cendrars &agrave; la Biblioth&egrave;que Municipale de S&atilde;o Paulo (manuscrits et imprim&eacute;s) &raquo;, <em>Quadrant</em> (1987), p. 93-113.</p> <h3>Copyright</h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p> </div>