<div class="entry-content"> <h3>Abstract</h3> <p>This paper aims at questioning the conditions that should be met before the end of the book is to be announced. The point is not to examine the issues raised by the development of electronic books or of the hypertext; the first step is to pay attention to Derrida&rsquo;s analysis of the the <em>idea of ​​the book</em> and to his elaboration of the idea of <em>writing</em>, so as to measure the extent to which the book is the name of a requirement. Subsequently, in order to examine more concretely what happens to a text when it challenges the idea of the book, I propose to pay attention to Robbe-Grillet&rsquo;s novel, <em>La Reprise</em>. Observing what happens in a text that intents to make the recollection of meaning impossible will enable us to question, more particularly, the experience of reading. In particular, this paper aims at assessing that it is the reader himself, as long as he is driven by the project of determining a meaning, that involves, in his relation to the text, the idea of the book.</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p class="meta-tags">book, writing, footnote, deconstruction</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">Que devrait-il advenir pour que l&rsquo;on puisse annoncer la fin du livre&nbsp;? Et, d&rsquo;abord, peut-on entendre, dans cette question, la seule disparition de ce que nous appelons, maintenant, le &laquo;&nbsp;livre-papier&nbsp;&raquo;&nbsp;? Dans un entretien intitul&eacute; &laquo;&nbsp;&ldquo;Le papier ou moi, vous savez&hellip; &rdquo;&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>&nbsp;&raquo;, Derrida remarque que le papier d&eacute;limite &laquo;&nbsp;une &eacute;poque dans l&rsquo;histoire de la technique et une &eacute;poque dans l&rsquo;histoire de l&rsquo;humanit&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>&nbsp;&raquo;. Devons-nous aujourd&rsquo;hui consid&eacute;rer que cette &eacute;poque est close ou en voie de cl&ocirc;ture&nbsp;? La question est celle de savoir si nous pouvons penser le livre sans penser&nbsp;&ndash;&nbsp;en m&ecirc;me temps, et m&ecirc;me en creux&nbsp;&ndash;&nbsp;le papier. Penser le livre, aujourd&rsquo;hui, c&rsquo;est penser quelque chose qui ne poss&egrave;de pas comme propri&eacute;t&eacute; essentielle d&rsquo;&ecirc;tre imprim&eacute; sur des pages de papier. Mais, en parlant de &laquo;&nbsp;livre num&eacute;rique&nbsp;&raquo;, disons-nous quelque chose d&rsquo;impossible ou sommes-nous en mesure d&rsquo;apercevoir que le<em> livre</em>, essentiellement, ce n&rsquo;est pas l&rsquo;objet-livre comme livre de papier&nbsp;? Si un livre num&eacute;rique est tout autant un livre qu&rsquo;un livre-papier, qu&rsquo;est-ce qui fait la communaut&eacute; de <em>forme </em>de ces deux objets&nbsp;? En demandant ce qu&rsquo;est le livre, en questionnant l&rsquo;id&eacute;e du livre, nous nous mettrons peut-&ecirc;tre en mesure d&rsquo;apercevoir ce que pourrait signifier la fin du livre.</p> <p style="text-align: justify;">Dans cet article, nous proposons tout d&rsquo;abord de revenir sur la mani&egrave;re dont Derrida fait un th&egrave;me de l&rsquo;<em>id&eacute;e du livre</em> pour penser, <em>a contrario</em>, l&rsquo;&eacute;criture, avant de pr&ecirc;ter attention &agrave; <em>La Reprise</em> de Robbe-Grillet, paru en 2001, pour y examiner l&rsquo;usage des notes comme enjeu d&rsquo;une tension entre l&rsquo;id&eacute;e du livre et l&rsquo;&eacute;criture. &Agrave; l&rsquo;issue de ce parcours, nous pourrons demander &agrave; nouveau <em>ce qui fait </em>d&rsquo;un livre un livre&nbsp;: ce qui accorde &agrave; un texte la <em>forme </em>du livre.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="1_Le_livre_et_son_idee">1.&nbsp;&nbsp;&nbsp; Le livre et son <em>id&eacute;e</em></span><br /> &nbsp;</h2> <h3 style="text-align: justify;"><span id="11_Lidee_du_livre_et_le_discours">1.1. L&rsquo;id&eacute;e du livre et le discours</span></h3> <p style="text-align: justify;">Dans les premiers ouvrages de Derrida, le th&egrave;me de la fin du livre se joue &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;un probl&egrave;me, qui articule, &agrave; une r&eacute;flexion sur l&rsquo;<em>id&eacute;e</em> du livre, la formation de la notion d&rsquo;<em>&eacute;criture</em>. Donner &agrave; penser &laquo;&nbsp;la fin du livre et l&rsquo;av&egrave;nement de l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash;&nbsp;comme le propose le titre du premier chapitre de <em>De la grammatologie</em>&nbsp;&ndash;, cela ne consiste pas imm&eacute;diatement &agrave; annoncer la disparition d&rsquo;un certain support pour les textes. Il ne s&rsquo;agit pas non plus de penser exclusivement le passage d&rsquo;un r&eacute;gime de discours &agrave; un autre, donc de penser une nouvelle mani&egrave;re de tramer des textes. Bien plus, l&rsquo;enjeu est de rendre pensable cela que le <em>livre</em> a toujours-d&eacute;j&agrave; recouvert <em>l&rsquo;&eacute;criture</em> en m&ecirc;me temps que l&rsquo;&eacute;criture a toujours-d&eacute;j&agrave; travaill&eacute; le livre. L&rsquo;enjeu est d&rsquo;apercevoir que la tension entre <em>id&eacute;e du livre</em> et <em>travail de l&rsquo;&eacute;criture </em>est &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans tous les textes que nous rencontrons.</p> <p style="text-align: justify;">En quoi, alors, consiste l&rsquo;id&eacute;e du livre&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;id&eacute;e du livre, c&rsquo;est l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une totalit&eacute;, finie ou infinie, du signifiant&nbsp;: cette totalit&eacute; du signifiant ne peut &ecirc;tre ce qu&rsquo;elle est, une totalit&eacute;, que si une totalit&eacute; constitu&eacute;e du signifi&eacute; lui pr&eacute;existe, surveille son inscription et ses signes, en est ind&eacute;pendante dans son id&eacute;alit&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;<em>id&eacute;e</em> du livre ne renvoie donc pas imm&eacute;diatement au livre-objet, au <em>codex</em>, mais au texte. Elle est l&rsquo;id&eacute;e du texte comme totalit&eacute;, id&eacute;e d&rsquo;un discours clos, achev&eacute;. Plus pr&eacute;cis&eacute;ment, elle est l&rsquo;id&eacute;e de l&rsquo;inscription compl&egrave;te, sans faille et sans reste, d&rsquo;un contenu de pens&eacute;e, d&rsquo;un signifi&eacute; pleinement constitu&eacute;. En disant ce dernier &laquo;&nbsp;id&eacute;alit&eacute;&nbsp;&raquo;, il s&rsquo;agit pour Derrida d&rsquo;indiquer la pr&eacute;s&eacute;ance du contenu constitu&eacute; sur son inscription, en m&ecirc;me temps qu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;affirmer que, selon l&rsquo;id&eacute;e du livre, l&rsquo;&eacute;criture ne se pense pas elle-m&ecirc;me comme constitution du sens, mais comme plate <em>inscription</em>. Le sens, selon l&rsquo;id&eacute;e du livre, constitu&eacute; avant son inscription, la pr&eacute;c&egrave;de&nbsp;: il est pleinement actuel ou disponible avant sa manifestation, sa lisibilit&eacute; dans la forme du texte. L&rsquo;<em>id&eacute;e du livre</em>, donc, c&rsquo;est l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un texte qui accueille, en de&ccedil;&agrave; de toute production de sens, une id&eacute;alit&eacute; elle-m&ecirc;me ind&eacute;pendante, dans sa constitution, de l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;: id&eacute;e, donc, d&rsquo;une pens&eacute;e pleine, pens&eacute;e sans travail, que les mots recueilleraient sans jamais la provoquer.</p> <p style="text-align: justify;">Si l&rsquo;<em>id&eacute;e du livre</em>, dit, en fait, ce que <em>doit &ecirc;tre </em>un texte, elle invite &agrave; une certaine modalit&eacute; de l&rsquo;&eacute;criture en la pr&eacute;sentant, indissociablement, comme possible. L&rsquo;id&eacute;e du livre, comme id&eacute;e d&rsquo;un texte coh&eacute;rent et achev&eacute;, d&rsquo;un tout organis&eacute; de signifiants par lequel devient accessible un signifi&eacute;, un sens lui-m&ecirc;me unitaire et coh&eacute;rent, sans reste ni lacunes, est ainsi, indissociablement, id&eacute;e d&rsquo;une &laquo;&nbsp;bonne &eacute;criture&nbsp;&raquo;&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">La bonne &eacute;criture&nbsp;a [&hellip;] toujours &eacute;t&eacute; <em>comprise</em>. [&hellip;] Comprise, donc, &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;une totalit&eacute; et envelopp&eacute;e dans un volume ou un livre&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Pourtant, l&rsquo;&eacute;criture, bonne ou mauvaise, c&rsquo;est aussi toujours l&rsquo;espace dans lequel un sens, parce qu&rsquo;il est inscrit, ne se donne pas d&rsquo;un coup. L&rsquo;&eacute;criture dit la temporalit&eacute; ou le processus, tant du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;inscription que de la lecture. La &laquo;&nbsp;bonne &eacute;criture&nbsp;&raquo;, d&egrave;s lors, si elle doit faire tenir le sens, doit aussi faire tenir sa temporalit&eacute;. En cela, elle ne signifie pas seulement unit&eacute; et coh&eacute;rence, mais aussi <em>lin&eacute;arit&eacute;.</em> Le livre comme id&eacute;e, &laquo;&nbsp;id&eacute;e d&rsquo;une totalit&eacute;&nbsp;&raquo;, est tout autant id&eacute;e d&rsquo;un parcours balis&eacute;, r&eacute;-effectuable &agrave; loisir. Derrida insiste sur ce point, en notant que l&rsquo;id&eacute;e du livre se confond avec ce qu&rsquo;il nomme un &laquo;&nbsp;mod&egrave;le &eacute;pique&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>&nbsp;&raquo; d&rsquo;&eacute;criture et de lecture. Pour poss&eacute;der un sens univoque et coh&eacute;rent, parfaitement ressaisissable, le texte conforme &agrave; l&rsquo;id&eacute;e du livre, ou &agrave; la loi de la bonne &eacute;criture&nbsp;&ndash;&nbsp;de l&rsquo;&eacute;criture disciplin&eacute;e par l&rsquo;id&eacute;e du livre&nbsp;&ndash;&nbsp;doit se d&eacute;ployer selon une ligne. Le d&eacute;veloppement du sens, son exposition progressive dans le texte devant se jouer, alors, comme succession d&rsquo;&eacute;tapes, arguments ou p&eacute;rip&eacute;ties, qui s&rsquo;encha&icirc;nent jusqu&rsquo;&agrave; leur r&eacute;solution.</p> <p style="text-align: justify;">D&egrave;s lors, la bonne &eacute;criture ou l&rsquo;&eacute;criture selon l&rsquo;id&eacute;e du livre c&rsquo;est, <em>in fine</em>, une certaine conception du discours calqu&eacute;e sur la parole vive. Comme le souligne Christian Vandendorpe, dans <em>Du papyrus &agrave; l&rsquo;hypertexte</em>, suivant en cela Derrida, l&rsquo;id&eacute;e du livre, c&rsquo;est d&rsquo;abord l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une inscription de la parole&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>. Or, l&rsquo;auditeur d&rsquo;un discours n&rsquo;a jamais d&rsquo;autre choix que de <em>suivre</em> le discours propos&eacute; par l&rsquo;autre &agrave; mesure de sa prof&eacute;ration, de telle sorte qu&rsquo;il doit se soumettre &agrave; l&rsquo;autorit&eacute; de celui qui parle, se modeler selon la contrainte de son discours. L&rsquo;id&eacute;e du livre, au regard de cela, ou l&rsquo;id&eacute;e de la &laquo;&nbsp;bonne &eacute;criture&nbsp;&raquo;, comme inscription lin&eacute;aire du discours, c&rsquo;est l&rsquo;id&eacute;e, donc, d&rsquo;un discours qui se tient et qui poss&egrave;de une coh&eacute;rence endog&egrave;ne, &agrave; laquelle quiconque viendra &agrave; lui pourra acc&eacute;der, &agrave; laquelle, aussi, quiconque viendra &agrave; lui sera invit&eacute; &agrave; se soumettre. Le livre ou la bonne &eacute;criture sont pens&eacute;s <em>en miroir</em> d&rsquo;un dehors&nbsp;&ndash;&nbsp;la parole&nbsp;&ndash;&nbsp;qui, pourtant, sera &agrave; m&ecirc;me de s&rsquo;installer au c&oelig;ur de l&rsquo;&eacute;criture pour lui donner sa loi. Il faut donc d&rsquo;abord d&eacute;finir l&rsquo;&eacute;criture, le langage dans son effectuation graphique, comme l&rsquo;autre de la parole vive (comme cela se joue dans le <em>Ph&egrave;dre</em> de Platon) pour concevoir de faire des modalit&eacute;s de la parole ce qui s&rsquo;impose, comme une loi, &agrave; l&rsquo;&eacute;criture. Geste qui permet alors un partage&nbsp;: celui de la bonne et de la mauvaise &eacute;criture, de l&rsquo;&eacute;criture qui <em>mime</em> la parole, son apparente lin&eacute;arit&eacute; et son attribution, apparemment ais&eacute;e, &agrave; un orateur identifiable, et d&rsquo;une &eacute;criture qui jouerait un autre jeu.</p> <p style="text-align: justify;">Dans l&rsquo;approche que propose Derrida, l&rsquo;<em>id&eacute;e du livre </em>n&rsquo;est donc pas tant probl&eacute;matis&eacute;e pour d&eacute;terminer <em>ce qu&rsquo;est</em> le livre que pour apercevoir comment nous pensons ce qu&rsquo;est un texte&nbsp;&ndash;&nbsp;un bon texte. L&rsquo;id&eacute;e du livre dit moins <em>ce qui est</em> que <em>ce qui est prescrit</em>, et nous fait entrer dans l&rsquo;espace des textes comme espace norm&eacute; et hi&eacute;rarchis&eacute;, tenu par la question de la valeur et de la loi. Parler de prescription, c&rsquo;est en effet insister sur cela que l&rsquo;<em>id&eacute;e </em>s&rsquo;entend en deux sens toujours conjoints&nbsp;: l&rsquo;id&eacute;e est duplice. D&rsquo;une part, parler d&rsquo;id&eacute;e, c&rsquo;est parler d&rsquo;une<em> id&eacute;alit&eacute;</em>, c&rsquo;est-&agrave;-dire d&rsquo;une <em>institution de sens</em> qui op&egrave;re un d&eacute;crochage eu &eacute;gard aux livres ou textes r&eacute;els, existants, pour penser le livre <em>lui-m&ecirc;me</em>, comme hors de ses exemples ou ind&eacute;pendamment d&rsquo;eux. Cependant, si l&rsquo;id&eacute;e, ici, ne dit pas ce qui est, elle proc&egrave;de &agrave; une id&eacute;alisation de l&rsquo;&eacute;criture, qui ne peut jamais &ecirc;tre rencontr&eacute;e, dans la r&eacute;alit&eacute;, sans m&eacute;lange. Nous sommes convoqu&eacute;s &agrave; penser, alors, qu&rsquo;il y a seulement quelque chose du livre dans les livres&nbsp;&ndash;&nbsp;mais pas seulement. Ce qui signifie imm&eacute;diatement que la &laquo;&nbsp;bonne &eacute;criture&nbsp;&raquo;, l&rsquo;&eacute;criture selon l&rsquo;id&eacute;e du livre, est elle-m&ecirc;me une id&eacute;e en ce sens-l&agrave;. N&eacute;anmoins, il n&rsquo;est pas question d&rsquo;identifier cette id&eacute;alisation &agrave; une illusion. C&rsquo;est ainsi que, d&rsquo;autre part, l&rsquo;id&eacute;alisation, qui m&eacute;diatise la rencontre avec le singulier, est <em>op&eacute;rante</em>&nbsp;; elle travaille nos pratiques d&rsquo;&eacute;criture comme de lecture. L&rsquo;id&eacute;e du livre, pour autant qu&rsquo;elle est une id&eacute;alisation, est aussi une <em>id&eacute;e directrice</em>&nbsp;: rencontrer le texte, &agrave; lire ou &agrave; &eacute;crire, selon l&rsquo;id&eacute;e du livre, c&rsquo;est l&rsquo;aborder avec certaines attentes, nourrir un certain projet, bref, c&rsquo;est venir aux livres en &eacute;tant soi-m&ecirc;me inform&eacute; d&rsquo;une certaine mani&egrave;re par l&rsquo;id&eacute;e. L&rsquo;id&eacute;e, ainsi, est instituante de pratiques<em>&nbsp;</em>: elle invite &agrave; une pratique de la pens&eacute;e&nbsp;&ndash;&nbsp;de l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;&ndash;&nbsp;plac&eacute;e sous l&rsquo;exigence de la coh&eacute;rence, de la lin&eacute;arit&eacute;, de l&rsquo;unit&eacute;. Elle impose des limites.</p> <p style="text-align: justify;">Ce qui impose, imm&eacute;diatement, de demander ce qui se trouve ainsi <em>limit&eacute;</em>.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="12_Commencement_ou_exhibition_de_lecriture">1.2. Commencement ou exhibition de l&rsquo;&eacute;criture</span></h3> <p style="text-align: justify;">&Eacute;crit-on ou lit-on exclusivement selon l&rsquo;id&eacute;e du livre&nbsp;? Dans <em>De la grammatologie</em>, r&eacute;pondant &agrave; cette question, Derrida affirme que &laquo;&nbsp;l&rsquo;id&eacute;e du livre, qui renvoie toujours &agrave; une totalit&eacute; naturelle, est profond&eacute;ment &eacute;trang&egrave;re au sens de l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>&nbsp;&raquo;. &Agrave; l&rsquo;id&eacute;e du livre, il faudrait opposer le travail de l&rsquo;&eacute;criture, qui ne d&eacute;signe pas seulement ce qui r&eacute;siste &agrave; l&rsquo;id&eacute;e ou ne parvient pas &agrave; y satisfaire&nbsp;&ndash;&nbsp;quelque chose comme une mati&egrave;re de l&rsquo;&eacute;criture r&eacute;tive &agrave; la forme impos&eacute;e par l&rsquo;id&eacute;e du livre, un reste informe ou in-informable&nbsp;&ndash;, mais un contre-mouvement, une <em>information</em> contraire. <em>Travail</em> de l&rsquo;&eacute;criture, alors, et non id&eacute;e, parce qu&rsquo;il s&rsquo;agit l&agrave; de penser et de ressaisir de<em> ce qui se passe</em> effectivement, dans les textes. L&rsquo;&eacute;criture est le nom donn&eacute; aux mouvements du sens qui se cherche, d&rsquo;un sens qui n&rsquo;est pas disponible par avance, avant le texte, mais se noue et ne cesse de se d&eacute;nouer en lui, en m&ecirc;me temps que ce sens n&rsquo;est pas plus disponible apr&egrave;s le texte, s&rsquo;il ne se laisse pas fixer ou recueillir&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>. Tourner le regard vers l&rsquo;&eacute;criture, c&rsquo;est apercevoir, &agrave; m&ecirc;me l&rsquo;&eacute;criture et la lecture, la <em>formation</em> jamais pleinement accomplie d&rsquo;un sens.</p> <p style="text-align: justify;">Ceci &eacute;tant, parler de la fin de l&rsquo;id&eacute;e du livre, c&rsquo;est-&agrave;-dire de l&rsquo;amenuisement de sa dimension prescriptive, ce n&rsquo;est pas imm&eacute;diatement parler de la fin du livre comme livre-objet. Derrida souligne, dans <em>L&rsquo;&eacute;criture et la diff&eacute;rence</em>, que le volume, le <em>codex</em>, en m&ecirc;me temps qu&rsquo;il manifeste la cl&ocirc;ture, manifeste tout autant l&rsquo;&eacute;paisseur du sens ou sa profondeur&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>. La coexistence des pages, leur simultan&eacute;it&eacute; dans le livre, manifeste pr&eacute;cis&eacute;ment qu&rsquo;il y a l&agrave; <em>espace </em>et pas exclusivement <em>ligne</em>, et donc la place pour un autre jeu que celui de la bonne &eacute;criture. Le livre-objet, pour autant qu&rsquo;il met en fonction l&rsquo;id&eacute;e du livre, est tout autant ce qui peut accueillir&nbsp;&ndash;&nbsp;parce qu&rsquo;il l&rsquo;accueille toujours d&eacute;j&agrave;&nbsp;&ndash;&nbsp;le travail de l&rsquo;&eacute;criture. Voire il faut qu&rsquo;il y ait le livre-objet comme espace limit&eacute; pour que la tension soit palpable et effective entre l&rsquo;id&eacute;e du livre et l&rsquo;&eacute;criture. Derrida vise &agrave; mettre l&rsquo;accent sur le texte, contenu dans les bornes mat&eacute;rielles d&rsquo;un objet, comme lieu d&rsquo;une tension sans repos entre l&rsquo;id&eacute;e du livre&nbsp;&ndash;&nbsp;id&eacute;e d&rsquo;un sens qui se tient ou qui s&rsquo;harmonise, d&rsquo;une &oelig;uvre achev&eacute;e et identifiable&nbsp;&ndash;&nbsp;et l&rsquo;&eacute;criture comme travail infini du sens qui ne se recueille jamais, ne se boucle jamais sur lui-m&ecirc;me&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">[&hellip;]&nbsp;aujourd&rsquo;hui encore, c&rsquo;est dans la forme du livre que se laissent tant bien que mal engainer de nouvelles &eacute;critures, qu&rsquo;elles soient litt&eacute;raires ou th&eacute;oriques. Il s&rsquo;agit d&rsquo;ailleurs moins de confier &agrave; l&rsquo;enveloppe du livre des &eacute;critures in&eacute;dites que de lire enfin ce qui, dans les volumes, s&rsquo;&eacute;crivait d&eacute;j&agrave; entre les lignes&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Par la mention, ici, des &laquo;&nbsp;nouvelles &eacute;critures&nbsp;&raquo;, ou des &laquo;&nbsp;&eacute;critures in&eacute;dites&nbsp;&raquo;, s&rsquo;indique cependant un renversement, dans lequel l&rsquo;&eacute;criture elle-m&ecirc;me semble devenir une <em>id&eacute;e&nbsp;</em>: l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une impossible r&eacute;collection du sens qu&rsquo;il s&rsquo;agirait de manifester pour elle-m&ecirc;me, en m&ecirc;me temps que l&rsquo;id&eacute;e du livre ne peut qu&rsquo;&ecirc;tre maintenue par ce qui la sollicite comme son contraire. Ainsi, annoncer, comme le fait le titre du premier chapitre de <em>De la grammatologie</em>, &laquo;&nbsp;la fin du livre et le commencement de l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;&raquo;, ce n&rsquo;est pas annoncer la mort de l&rsquo;id&eacute;e du livre, l&rsquo;abrogation de la loi, mais bien plus remarquer sa confirmation par ce qui mine de l&rsquo;int&eacute;rieur son application, et ainsi op&eacute;rer subrepticement son renforcement. Parler du commencement de l&rsquo;&eacute;criture, c&rsquo;est donc bien plus parler d&rsquo;un <em>renversement de pouvoir</em>, dans lequel il faut maintenir le pouvoir de la loi pour que sa subversion ait un sens. L&rsquo;<em>apr&egrave;s</em> du livre selon son id&eacute;e, c&rsquo;est le commencement du livre selon l&rsquo;&eacute;criture, o&ugrave; la loi est reconduite dans le jeu qu&rsquo;elle rend possible. Il s&rsquo;agit d&eacute;sormais de jouer de l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute; de la tension&nbsp;: du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;&eacute;criture, de l&rsquo;ouverture, de la diss&eacute;mination, en exhibant moins, dans le texte, un sens effectivement et d&eacute;finitivement produit que le travail du sens lui-m&ecirc;me. Comme Derrida l&rsquo;&eacute;crit, l&rsquo;id&eacute;e de la mort du livre</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">n&rsquo;annonce sans doute (et d&rsquo;une certaine mani&egrave;re depuis toujours) qu&rsquo;une mort de la parole (d&rsquo;une parole <em>soi-disant </em>pleine) et une nouvelle mutation dans l&rsquo;histoire de l&rsquo;&eacute;criture, dans l&rsquo;histoire comme &eacute;criture&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Envisager <em>l&rsquo;id&eacute;e du livre</em> comme probl&egrave;me, en examinant les enjeux de la fin de cette id&eacute;e comme directrice pour la pens&eacute;e et la production des textes, c&rsquo;est donc apercevoir une tension qui reste ouverte, celle o&ugrave; nous nous tenons pour produire du sens, dans l&rsquo;inscription ou la lecture. Le passage du livre &agrave; l&rsquo;&eacute;criture, le renversement de pouvoir, porte l&rsquo;insistance sur le <em>sens en train de se faire </em>plus que sur le sens constitu&eacute;, et porte l&rsquo;accent, dans la pratique sur la pluralit&eacute; des parcours que les textes rendent possibles. Ce renversement, pour autant, ne signifie pas un saut tel que nous serions, effectivement, <em>dans </em>l&rsquo;apr&egrave;s-livre.</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;enjeu est donc de prendre acte d&rsquo;une tension qui se maintient, dans les pratiques d&rsquo;&eacute;criture et de lecture. Nous proposons, ici, d&rsquo;approcher cette tension dans un texte qui la rend manifeste<em>&nbsp;</em>: <em>La Reprise </em>de Robbe-Grillet, publi&eacute; en 2001, qui, par sa pratique de la note, permet d&rsquo;interroger la non-lin&eacute;arit&eacute; du discours, ses d&eacute;crochages, tout autant que la discontinuit&eacute; de la lecture qu&rsquo;elle appelle. Si, comme l&rsquo;&eacute;crit Derrida dans <em>La diss&eacute;mination</em>, &eacute;crire veut dire &laquo;&nbsp;greffer&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est en pr&ecirc;tant attention aux greffes, &agrave; la duplicit&eacute; d&rsquo;un texte dont le corps d&eacute;borde, que nous interrogerons encore la fin de l&rsquo;id&eacute;e du livre.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="2_Usage_litteraire_de_la_note_de_bas_de_page_La_Reprise">2. Usage litt&eacute;raire de la note de bas de page&nbsp;: <em>La Reprise</em></span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Que fait habituellement la note de bas de page, notamment dans son usage acad&eacute;mique&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;"><em>Stricto sensu</em>, le statut de la note infrapaginale implique une distribution dans l&rsquo;espace normalis&eacute;e, l&eacute;galis&eacute;e, et l&eacute;gitim&eacute;e, une spatialisation qui cr&eacute;e des relations hi&eacute;rarchiques : des relations d&rsquo;autorit&eacute; entre le texte dit principal, porteur des notes infrapaginales, qui se trouve plac&eacute; au-dessus (&agrave; la fois dans l&rsquo;espace et symboliquement) du texte des notes infrapaginales, qui se trouve, lui, plus bas, dans ce que l&rsquo;on pourrait appeler une marge inf&eacute;rieure.[&hellip;] Bien entendu, &ndash; comme toujours d&egrave;s qu&rsquo;une loi, la loi, existe &ndash; toute tromperie, toute transgression, toute subversion devient possible [&hellip;]. L&rsquo;auteur du texte qui semble occuper la position principale et sup&eacute;rieure a le pouvoir d&rsquo;inverser ou de renverser les positions lui-m&ecirc;me, ou bien il peut lui-m&ecirc;me &ecirc;tre d&eacute;plac&eacute; par l&rsquo;annotateur et par le jeu de la note infrapaginale&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">La note de bas de page est enjeu d&rsquo;autorit&eacute;. En elle s&rsquo;inscrivent les r&eacute;f&eacute;rences de l&rsquo;auteur, la tradition sur laquelle il s&rsquo;appuie&nbsp;: l&rsquo;auteur, en note, tient son autorit&eacute; &agrave; inscrire un discours de l&rsquo;autorit&eacute; de ceux qu&rsquo;il a lus. Dans les pratiques acad&eacute;miques d&rsquo;&eacute;criture, le corps du texte, d&eacute;ployant un raisonnement qui se veut coh&eacute;rent, unitaire, progressif, pleinement suffisant, doit pourtant <em>se doubler</em> de notes dans lesquelles l&rsquo;auteur peut intervenir pour reprendre son discours&nbsp;: nuancer une affirmation, envisager des hypoth&egrave;ses suppl&eacute;mentaires, des chemins qui bifurquent, anticiper une objection. La note, tout en &eacute;tant ajout, greffe op&eacute;r&eacute;e sur le corps de texte, est en m&ecirc;me temps le lieu o&ugrave; l&rsquo;auteur intervient pour montrer qu&rsquo;il tient les directions de sa pens&eacute;e. Comme si celui-ci ne pouvait s&rsquo;affirmer qu&rsquo;&agrave; se d&eacute;doubler, ou qu&rsquo;&agrave; redoubler son discours&nbsp;: il ne suffit pas d&rsquo;inscrire un discours, il faut aussi <em>le r&eacute;fl&eacute;chir</em>, en note. De telle sorte que la note est le lieu d&rsquo;un dialogisme &eacute;rudit, mais aussi proprement th&eacute;orique, celui d&rsquo;une &acirc;me avec elle-m&ecirc;me.</p> <p style="text-align: justify;">La note de bas de page est ainsi cette modalit&eacute; de l&rsquo;&eacute;criture qui manifeste l&rsquo;ambivalence du texte, sa tension, non r&eacute;solue, entre l&rsquo;id&eacute;e du livre et le travail de l&rsquo;&eacute;criture. Elle manifeste l&rsquo;impossible pr&eacute;sentation lin&eacute;aire de la pens&eacute;e, son fonctionnement par bifurcations ou par reprises, dans l&rsquo;inscription, sur la page, d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments tangents &agrave; ce qui s&rsquo;y inscrit principalement. Mais, en m&ecirc;me temps qu&rsquo;elle d&eacute;veloppe marginalement un cheminement de pens&eacute;e, pour lui &eacute;viter de venir rompre le fil qui, apparemment, se d&eacute;vide dans le corps du texte, la note de bas de page, signalant la pratique non-lin&eacute;aire de l&rsquo;&eacute;criture et invitant &agrave; une pratique non-lin&eacute;aire de la lecture, d&eacute;fait ce qu&rsquo;elle tente de pr&eacute;server.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="21_Un_corps_coupe_en_deux_ou_la_cicatrice_se_voit">2.1. Un corps coup&eacute; en deux, o&ugrave; la cicatrice se voit</span></h3> <p style="text-align: justify;">Au premier abord, pour le lecteur assur&eacute; de se lancer dans un roman, <em>La Reprise&nbsp;</em><a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a> met en sc&egrave;ne une intrigue d&rsquo;espionnage, dans le Berlin occup&eacute; par les Alli&eacute;s, &agrave; la fin de la Seconde Guerre. Nous lisons le rapport de mission d&rsquo;Henri Robin, qui se fait aussi appeler Ascher, Robin Wallon, etc. Si le narrateur poss&egrave;de des identit&eacute;s d&rsquo;&eacute;tat-civil multiples, dans le texte, c&rsquo;est lui qui parle et qui se pose, dans les premi&egrave;res pages, comme le foyer unique de l&rsquo;&eacute;nonciation.</p> <p style="text-align: justify;">Cependant, &agrave; la page 29, une premi&egrave;re note intervient, qui &eacute;branle la confiance jusque-l&agrave; plac&eacute;e dans le texte. Dans cette note, le narrateur, Henri Robin, est d&eacute;sign&eacute; par un narrateur second, anonyme, comme non fiable. Le lecteur apprend qu&rsquo;il ne lisait pas, simplement, un compte rendu, mais un rapport augment&eacute; de notes, donc <em>d&eacute;j&agrave; lu </em>et r&eacute;&eacute;crit. Il d&eacute;couvre que le texte lu est un texte repris&eacute; et que le texte originel est &agrave; jamais hors d&rsquo;atteinte. D&egrave;s lors, dans le m&ecirc;me mouvement o&ugrave; il apprend qu&rsquo;un narrateur second lui met le texte, tel qu&rsquo;il est, entre les mains, le lecteur se doit de consid&eacute;rer ce narrateur suppl&eacute;mentaire comme &eacute;tant, s&ucirc;rement, le responsable du texte, le d&eacute;positaire de l&rsquo;autorit&eacute;. Henri Robin se trouve, en un instant, destitu&eacute;.</p> <p style="text-align: justify;">Dans la premi&egrave;re note se dit ainsi qu&rsquo;il y a une lutte de pouvoir entre deux narrateurs. Mais la violence de cette lutte est pleinement manifeste dans l&rsquo;<em>inscription</em> des notes, &agrave; savoir dans la mani&egrave;re dont, graphiquement, elles prennent leur place <em>dans</em> un texte qui ne les appelle pas lui-m&ecirc;me. Que le narrateur second n&rsquo;intervienne pas pour &ecirc;tre, seulement, une seconde voix, est <em>visible</em> dans la mani&egrave;re dont les notes de la <em>Reprise</em> ne respectent pas les r&egrave;gles habituelles de l&rsquo;insertion de notes de bas de page.</p> <p style="text-align: justify;">1) L&rsquo;appel de note, qui appara&icirc;t dans le texte principal, ne donne pas lieu &agrave; un renvoi de note, dans la marge basse, qui serait son d&eacute;calque. Par exemple, &agrave; partir de l&rsquo;appel de note, le lecteur trouve, apr&egrave;s un trait de s&eacute;paration, &agrave; la place d&rsquo;un renvoi de note, l&rsquo;inscription &laquo;&nbsp;Note 1&nbsp;&raquo;&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">2) De plus, si la note 1 peut d&rsquo;abord faire croire que les notes seront bien des notes de bas de page, il appara&icirc;t, d&egrave;s la note 2, que les ajouts interviennent, en fait, &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du corps du texte&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>. Ce ne sont pas des ajouts en marge, mais des greffes &agrave; m&ecirc;me le corps du texte, des <em>reprises</em> sur la trame, enflure, boursouflure. Comme le remarque Andreas Pfersmann, si &laquo;&nbsp;apr&egrave;s la Seconde Guerre mondiale, l&rsquo;&eacute;criture marginale redevient progressivement un ph&eacute;nom&egrave;ne massif&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>&nbsp;&raquo;, &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de ces usages litt&eacute;raires de la note, <em>La Reprise </em>manifeste le plus radicalement la dimension usurpatrice de la note. Les notes 11 et 13 occupent en effet 38 pages, ou court-circuitent le texte principal pendant 38 pages. Le lecteur, ainsi, n&rsquo;a pas, comme il l&rsquo;a habituellement, le choix de lire ou ne pas lire les notes. Parce qu&rsquo;elles sont inscrites <em>dans</em> la page et non en marge, le geste de ne pas les lire serait le m&ecirc;me que celui de sauter une digression&nbsp;: ce ne serait pas s&rsquo;en tenir au texte principal, mais paradoxalement, sauter un de ses d&eacute;veloppements, faire un saut dans la lin&eacute;arit&eacute; de ce qui est imprim&eacute;.</p> <p style="text-align: justify;">3) Les notes ins&eacute;r&eacute;es dans le texte s&rsquo;inscrivent, sur la page, dans la m&ecirc;me police, selon la m&ecirc;me taille&nbsp;: non seulement les notes ne sont pas tenues dans les marges, mais elles revendiquent aussi, graphiquement, la m&ecirc;me importance, la m&ecirc;me valeur que le texte qui semblait d&rsquo;abord principal. Parce que le corps de la lettre des notes n&rsquo;est pas moindre que le corps du texte principal, le texte ajout&eacute; intervient violemment dans le premier. Les notes, bien qu&rsquo;elles se signalent comme ajouts, se donnent dans une apparence telle que rien ne les distingue, comme autre texte, du texte principal. Elles sont un reflet en miroir, un double &ndash;&nbsp;qui n&rsquo;est distingu&eacute; de l&rsquo;original qu&rsquo;&agrave; s&rsquo;annoncer.</p> <p style="text-align: justify;">4) Les notes n&rsquo;accueillent pas simplement des compl&eacute;ments, des commentaires, propos&eacute;s par le narrateur second, mais aussi, pour certaines d&rsquo;entre-elles, un r&eacute;cit concurrent des m&ecirc;mes &eacute;v&eacute;nements. Ainsi, le sens du texte principal se d&eacute;lite &agrave; mesure que les notes s&rsquo;y greffent. Celles-ci n&rsquo;ajoutent qu&rsquo;en surface&nbsp;; en fait, elles d&eacute;font la coh&eacute;rence. Elles font intervenir une voix contraire, un second narrateur qui fait sa place dans le texte de l&rsquo;autre, envahit son corps pour mettre en question son r&eacute;cit. Second narrateur qui, nous l&rsquo;apprendrons, dit &ecirc;tre le jumeau ou le double du narrateur premier.</p> <p style="text-align: justify;">D&egrave;s lors, que lisons-nous&nbsp;? Avons-nous affaire &agrave; deux textes, &agrave; deux corps sutur&eacute;s, o&ugrave; l&rsquo;un ferait violence &agrave; l&rsquo;autre, en s&rsquo;y greffant tout en partageant avec lui la m&ecirc;me apparence&nbsp;? Ou les apparences indiquent-elles que nous avons bien affaire au m&ecirc;me, &agrave; un seul texte, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; un seul corps, seulement d&eacute;chir&eacute; entre deux voix&nbsp;?</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="22_Suture_dedoublement_ou_duplicite">2.2. Suture, d&eacute;doublement, ou duplicit&eacute;&nbsp;?</span></h3> <p style="text-align: justify;">&Agrave; rebours de l&rsquo;effraction des premi&egrave;res notes, se signale l&rsquo;&eacute;tranget&eacute; du texte, rapport doubl&eacute; de l&rsquo;inscription de sa lecture par un narrateur second. Le lecteur, pris entre deux narrateurs, entre un rapport et sa lecture, ne sait plus &agrave; qui faire confiance. Et il sait que l&rsquo;<em>original du texte,</em> si l&rsquo;on peut envisager qu&rsquo;il ait exist&eacute;, est &agrave; jamais perdu, du moins pour lui. Surtout, au moment o&ugrave; l&rsquo;on ne sait plus &agrave; qui se fier, quelle voix &eacute;couter, c&rsquo;est le sens qui &eacute;chappe en m&ecirc;me temps que l&rsquo;intrigue est d&eacute;plac&eacute;e&nbsp;: ce qui se passe dans le compte rendu d&rsquo;Henri Robin compte moins que ce qui se passe entre ce r&eacute;cit et sa reprise. Les notes, visant &agrave; provoquer la suspicion du lecteur &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de celui auquel, d&rsquo;abord, il pouvait faire confiance, font un accroc dans la trame, en m&ecirc;me temps qu&rsquo;elles se signalent comme autant de broderies parasitaires. Ajoutant du texte sur le texte, elles d&eacute;doublent son corps, le font &eacute;clater plus qu&rsquo;elles ne le compl&egrave;tent. En cela, elles ne provoquent pas un d&eacute;placement de la confiance vers le narrateur second&nbsp;: celle-ci est irr&eacute;m&eacute;diablement rompue.</p> <p style="text-align: justify;">Elle l&rsquo;est d&rsquo;autant plus lorsque, dans la note 3, le lecteur apprend que le narrateur second n&rsquo;est pas seulement <em>lecteur et correcteur</em> du rapport &eacute;crit par Henri Robin, mais qu&rsquo;il est lui-m&ecirc;me <em>acteur</em> dans l&rsquo;intrigue o&ugrave; ce dernier est plac&eacute;, sans qu&rsquo;il puisse soup&ccedil;onner ses agissements. Le narrateur second se signale donc comme &eacute;tant lui-m&ecirc;me, tr&egrave;s s&ucirc;rement, un narrateur non fiable&nbsp;: son commentaire n&rsquo;intervient peut-&ecirc;tre pas tant pour r&eacute;tablir la v&eacute;rit&eacute; que pour inscrire sa version des faits, reprendre l&rsquo;autorit&eacute; de la narration et manipuler le lecteur de la m&ecirc;me mani&egrave;re qu&rsquo;il manipule, sur le terrain, Henri Robin. Parce que les narrateurs sont tous deux, aussi, des personnages, dont les int&eacute;r&ecirc;ts sont concurrents dans l&rsquo;affaire d&rsquo;espionnage qui les occupe, le lecteur ne peut se fier &agrave; personne. Condamn&eacute; &agrave; une lecture parano&iuml;aque, l&rsquo;intrigue lui glisse entre les doigts parce qu&rsquo;elle se d&eacute;double, et la v&eacute;rit&eacute; se d&eacute;robe d&eacute;finitivement.</p> <p style="text-align: justify;">Ceci &eacute;tant, pourquoi le narrateur second manifesterait-il ainsi qu&rsquo;il ne poss&egrave;de pas le point de vue surplombant que le lecteur &eacute;tait pr&ecirc;t &agrave; lui accorder&nbsp;? Pourquoi dire implicitement que le discours greff&eacute; n&rsquo;est pas seulement interruption du discours premier, et reprise d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments &agrave; corriger, mais possible subreption&nbsp;? Si le narrateur second a eu acc&egrave;s au rapport du narrateur premier, le lecteur ne peut tenir strictement pour acquis que celui-ci intervient dans le corps du texte et que l&rsquo;autre intervient exclusivement dans les notes. Si le narrateur second a pu <em>ajouter</em> au texte, parce qu&rsquo;il l&rsquo;a eu en main apr&egrave;s son &eacute;criture originelle, il a aussi pu le modifier de l&rsquo;int&eacute;rieur ou le caviarder. Son &eacute;criture pourrait essentiellement &ecirc;tre duplice.</p> <p style="text-align: justify;">Plus inqui&eacute;tant encore, d&egrave;s le d&eacute;but de l&rsquo;intrigue, avant l&rsquo;intervention de la moindre note&nbsp;&ndash;&nbsp;donc avant que le lecteur ne sache avoir affaire &agrave; un texte repris&eacute;&nbsp;&ndash;, Henri Robin dit &ecirc;tre hant&eacute; par un <em>double</em>. Ce double, il dit l&rsquo;apercevoir, d&egrave;s le prologue du roman, dans le train qui le m&egrave;ne &agrave; Berlin et confie qu&rsquo;il en est ainsi depuis son enfance. Plus tard, le lecteur apprendra &ndash;&nbsp;ou croira apprendre&nbsp;&ndash;&nbsp;que ce &laquo;&nbsp;double&nbsp;&raquo; n&rsquo;est autre que le narrateur second, qui est en fait le jumeau d&rsquo;Henri Robin&nbsp;: celui qui poss&egrave;de la m&ecirc;me apparence, de m&ecirc;me que les notes poss&egrave;dent la m&ecirc;me apparence que le discours d&rsquo;Henri Robin. &Agrave; ce point, le roman semble bien s&rsquo;articuler fermement autour de la matrice du double&nbsp;: texte d&eacute;doubl&eacute; ou corps double du texte, d&eacute;doublement du narrateur, du personnage, du lecteur scind&eacute; entre sa lecture et sa reprise incessante &agrave; l&rsquo;aune des greffes qui reprennent le discours premier.</p> <p style="text-align: justify;">Cependant, les choses ne sont pas si simples. Si les notes peuvent laisser penser &agrave; un d&eacute;doublement, que la mention d&rsquo;un jumeau expliciterait comme existence effective d&rsquo;un double, d&rsquo;autres &eacute;l&eacute;ments laissent penser que ce qui est en jeu serait plut&ocirc;t de l&rsquo;ordre d&rsquo;un d&eacute;doublement du narrateur, pathologiquement coup&eacute; en deux. Dans la note 13, le narrateur second &ndash; donc peut-&ecirc;tre le jumeau, le double&nbsp;&ndash;&nbsp;&eacute;crit la chose suivante&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Le r&eacute;cit de notre agent sp&eacute;cial psychotique devient tout &agrave; fait d&eacute;lirant, et n&eacute;cessite une r&eacute;daction enti&egrave;rement nouvelle, non plus seulement rectifi&eacute;e sur quelques points de d&eacute;tail, mais reprise dans son ensemble d&rsquo;une fa&ccedil;on plus objective [&hellip;].</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Ici, de m&ecirc;me que dans la note 3, la note se d&eacute;fait de l&rsquo;int&eacute;rieur&nbsp;: elle provoque l&rsquo;effondrement du texte sur lequel elle se greffe et celui de son propre corps. La note 13, en effet, plus que d&rsquo;inscrire un autre narrateur, un concurrent, laisse entendre que le narrateur premier, &laquo;&nbsp;psychotique&nbsp;&raquo;, est d&eacute;lirant. Or, o&ugrave; placer la fronti&egrave;re du d&eacute;lire&nbsp;? Le narrateur, s&rsquo;il est d&eacute;lirant, pourrait tout autant d&eacute;lirer quand il dit apercevoir son double. Autrement dit, le jumeau en question, qui serait aussi l&rsquo;auteur des notes, n&rsquo;est-il qu&rsquo;une projection d&eacute;lirante&nbsp;? Faire cette hypoth&egrave;se-l&agrave;, c&rsquo;est envisager, un instant, qu&rsquo;Henri Robin aurait aussi bien pu, dans le d&eacute;lire, <em>reprendre</em> lui-m&ecirc;me son compte rendu, pour faire intervenir les notes qui le d&eacute;signent comme la victime d&rsquo;un jumeau pers&eacute;cuteur ou pour s&rsquo;observer du dehors comme un autre qu&rsquo;il pers&eacute;cute. Le texte alors, ce corps greff&eacute; d&rsquo;excroissances qui ne l&rsquo;augmentent pas mais le trouent, manifesterait la folie d&rsquo;une subjectivit&eacute; qui ne se tient pas&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>. Dans le corps du texte, d&rsquo;ailleurs &ndash;&nbsp;ou du moins, hors de notes rendues manifestes comme telles&nbsp;&ndash;, intervient la mention du &laquo;&nbsp;voyageur&nbsp;&raquo;&nbsp;: terme par lequel Henri Robin semble se d&eacute;signer lui-m&ecirc;me alors m&ecirc;me que, dans le prologue, il l&rsquo;avait r&eacute;serv&eacute;, apparemment, pour d&eacute;signer son double. Si la typographie indique ainsi la fronti&egrave;re d&rsquo;un texte premier et d&rsquo;un texte second, d&rsquo;une voix premi&egrave;re et d&rsquo;une autre voix, parce que le corps premier et le corps greff&eacute; sont en apparence indiscernables, il est possible qu&rsquo;Henri Robin et son double soient le m&ecirc;me&nbsp;: le m&ecirc;me scind&eacute; de l&rsquo;int&eacute;rieur, le m&ecirc;me pathologiquement coup&eacute; en deux. Seul le nom de &laquo;&nbsp;note&nbsp;&raquo; et les lignes de sutures indiquent en effet, dans le texte, la limite entre les corps, de m&ecirc;me que seuls leurs noms distinguent lesdits jumeaux. Mais peut-on encore, ici, se fier aux mots&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">Si le narrateur est d&eacute;lirant, le lecteur, on l&rsquo;aper&ccedil;oit, le devient aussi. La machine que met en place Robbe-Grillet, interrompant le corps du texte de notes qui viennent reprendre tout autant que d&eacute;faire le sens que le lecteur avait constitu&eacute;, le plonge dans une inqui&eacute;tude sans fond. S&rsquo;il veut d&eacute;m&ecirc;ler le sens, il doit se m&eacute;fier de tout&nbsp;; s&rsquo;il construit un sens qui se tient, ce sera seulement de mani&egrave;re folle. Le lecteur, qui est pris dans un texte ne se donnant pas comme <em>le </em>texte, comme un original intouch&eacute;, mais comme un texte repris&eacute; &ndash;&nbsp;sans que les coutures ne soient si visibles qu&rsquo;elles ne veulent le signaler&nbsp;&ndash;, est pris dans l&rsquo;&eacute;criture voire, bien plus, dans l&rsquo;<em>exhibition</em> de l&rsquo;&eacute;criture. Il est indissociablement forc&eacute; &agrave; effectuer une lecture r&eacute;flexive qui, dans un d&eacute;lire sp&eacute;culaire, se reprend sans cesse, s&rsquo;examine, tente de se d&eacute;jouer elle-m&ecirc;me, de ne pas co&iuml;ncider avec elle-m&ecirc;me&nbsp;&ndash;&nbsp;au risque de tomber dans le pi&egrave;ge d&rsquo;un sens qui se tiendrait trop bien.</p> <p style="text-align: justify;">Il est manifeste ici que l&rsquo;impossibilit&eacute; de configurer un sens coh&eacute;rent tient &eacute;minemment &agrave; l&rsquo;impossibilit&eacute; d&rsquo;identifier la source du discours&nbsp;: il y a peut-&ecirc;tre deux narrateurs, sans que l&rsquo;on sache, dans cette hypoth&egrave;se, lequel est fiable&nbsp;: Henri Robin est peut-&ecirc;tre fou&nbsp;; ou son fr&egrave;re, s&rsquo;il existe, est peut-&ecirc;tre un faussaire, inscrivant des notes qui ne r&eacute;tablissent rien mais contaminent tout. Traverser ce roman nous laisse penser que c&rsquo;est peut-&ecirc;tre lorsque l&rsquo;&eacute;criture s&rsquo;exhibe comme telle qu&rsquo;elle invite &agrave; la sp&eacute;culation&nbsp;: for&ccedil;ant le lecteur &agrave; nouer le contrat de la prolif&eacute;ration du sens &agrave; partir d&rsquo;un texte ou de sutures de textes dont la valeur de v&eacute;rit&eacute; est ind&eacute;cidable.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="23_La_fiction_ou_la_fausse_monnaie">2.3. La fiction ou la fausse monnaie</span></h3> <p style="text-align: justify;">Dans <em>Donner le temps. 1. La fausse monnaie</em>, Derrida lit &laquo;&nbsp;La fausse monnaie&nbsp;&raquo; de Baudelaire, comme le lieu propos&eacute; par le po&egrave;te o&ugrave; les <em>effets</em> provoqu&eacute;s par la circulation de la fausse monnaie peuvent &ecirc;tre observ&eacute;s&nbsp;: le narrateur, dont l&rsquo;ami avoue avoir donn&eacute; au mendiant une pi&egrave;ce fausse, multiplie les conjectures et hypoth&egrave;ses sur les <em>intentions</em> de son ami et les cons&eacute;quences de ce geste. La monnaie, lorsqu&rsquo;elle est dite fausse, met en mouvement la &laquo;&nbsp;fantaisie&nbsp;&raquo; du narrateur et l&rsquo;incite &agrave; tirer &laquo;&nbsp;toutes les d&eacute;ductions possibles de toutes les hypoth&egrave;ses possibles&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>. Certes, la fausse monnaie, la pi&egrave;ce fausse, est mise en circulation, mais la fausse monnaie circule, surtout, dans le discours&nbsp;: les sp&eacute;culations du narrateur naissent de l&rsquo;aveu&nbsp;&ndash;&nbsp;il a fallu dire qu&rsquo;il y avait fausse monnaie&nbsp;&ndash;&nbsp;et donne lieu au r&eacute;cit du narrateur, et au commentaire de Derrida. Il est bien plus question, donc, de ce que fait au discours la fausse monnaie. Que se passe-t-il pour celui qui apprend qu&rsquo;a &eacute;t&eacute; mis en circulation un simulacre&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">Dans <em>La Reprise</em>, lorsque la premi&egrave;re note intervient, la confiance du lecteur dans la voix qui portait, jusque-l&agrave;, la narration est rompue. Le r&eacute;cit se trouve ainsi soudainement articul&eacute; &agrave; une origine d&eacute;doubl&eacute;e&nbsp;: &agrave; qui, d&eacute;sormais, faire confiance, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; quelle origine renvoyer <em>le </em>texte, c&rsquo;est-&agrave;-dire, aussi, &agrave; qui se r&eacute;f&eacute;rer, sur qui s&rsquo;appuyer pour constituer son sens&nbsp;? Le lecteur doit-il prendre au mot le narrateur second, et douter de ce qu&rsquo;il a lu, donc adopter ce point de vue-l&agrave; pour s&rsquo;orienter dans le texte et dans l&rsquo;intrigue&nbsp;? Ou doit-il se m&eacute;fier du narrateur second, qui intervient ouvertement pour d&eacute;faire la cr&eacute;dibilit&eacute; du premier, et tenir la ligne qui s&rsquo;&eacute;tait dessin&eacute;e jusque-l&agrave;&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">Si nous avons fait r&eacute;f&eacute;rence, ici, &agrave; la <em>Fausse monnaie</em>, et &agrave; la lecture qu&rsquo;en propose Derrida, c&rsquo;est parce que ce dernier souligne qu&rsquo;<em>il n&rsquo;y a </em>fausse monnaie que pour autant qu&rsquo;elle est &laquo;&nbsp;<em>prise </em>pour de la vraie monnaie et pour cela doit <em>se donner </em>pour de la monnaie convenablement titr&eacute;e&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>&nbsp;&raquo;. Or, dans <em>La Reprise</em>, si les notes <em>visent</em> bien &agrave; d&eacute;faire la confiance du lecteur dans le narrateur premier, elles pr&eacute;supposent que cette confiance a d&eacute;j&agrave; &eacute;t&eacute; donn&eacute;e, c&rsquo;est-&agrave;-dire que le texte lu jusque-l&agrave; a bien &eacute;t&eacute; pris au mot, accueilli comme disant ce qui est. Surtout, les notes ne se jouent pas pleinement comme r&eacute;v&eacute;lation qu&rsquo;il y a eu, dans le texte soudainement devenu principal, exclusivement fausse monnaie, en m&ecirc;me temps qu&rsquo;elles peuvent &ecirc;tre re&ccedil;ues comme la tentative de faire passer le vrai pour du faux. Il y a, s&ucirc;rement, dans ce qui nous est donn&eacute; &agrave; lire, de la fausse monnaie, mais on ne sait pas o&ugrave;&nbsp;: c&rsquo;est-&agrave;-dire, pr&eacute;cis&eacute;ment, qu&rsquo;il y a de la fausse monnaie&nbsp;&ndash;&nbsp;suspicion de fausse monnaie&nbsp;&ndash;&nbsp;et que celle-ci d&eacute;ploie ses effets en invitant, <em>in fine</em>, le lecteur &agrave; multiplier les conjectures.</p> <p style="text-align: justify;">D&egrave;s lors que le discours se d&eacute;double ou affiche sa duplicit&eacute;, que le corps du texte se multiple ou est coup&eacute; en deux, la ligne de l&rsquo;intrigue est bris&eacute;e, en m&ecirc;me temps que l&rsquo;enjeu de suivre l&rsquo;intrigue&nbsp;&ndash;&nbsp;qui pouvait faire l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t premier de la lecture&nbsp;&ndash;&nbsp;est d&eacute;fait. Le texte appara&icirc;t soudainement comme un espace dans lequel circulent, sans que leurs places soient assignables, la vraie et la fausse monnaie. Si le lecteur n&rsquo;est plus pris dans l&rsquo;intrigue premi&egrave;re, il est pris dans une intrigue seconde&nbsp;: celle de la lutte de pouvoir qui fait s&rsquo;affronter les deux narrateurs ind&eacute;m&ecirc;lable de l&rsquo;intrigue de <em>sa </em>lecture. Par l&rsquo;insertion des notes, c&rsquo;est en effet autant l&rsquo;&eacute;criture qui est r&eacute;fl&eacute;chie que la lecture qui est amen&eacute;e &agrave; s&rsquo;observer. Le lecteur est lui-m&ecirc;me pris dans le jeu annonc&eacute; par le titre, par lequel il doit <em>reprendre</em> sa lecture et, ce faisant, douter de sa propre capacit&eacute; &agrave; configurer le sens, si celui-ci se d&eacute;robe incessamment. De ce qu&rsquo;il a compris, &agrave; quoi le lecteur peut-il encore tenir&nbsp;? De ce qu&rsquo;il a saisi jusque-l&agrave;, que peut-il encore reprendre&nbsp;? Le lecteur ne peut plus savoir si ce qu&rsquo;il comprend, ce qu&rsquo;il se donne comme sens, est valable ou alimente la circulation d&rsquo;une fausse monnaie illocalisable. Plus que d&rsquo;affirmer quoi que ce soit, plus que d&rsquo;infirmer, simplement, les dires du narrateur premier, les notes ont l&rsquo;efficace d&rsquo;un <em>geste</em> qui ouvre &agrave; une lecture sans repos.</p> <p style="text-align: justify;">Le texte, par l&rsquo;ajout de ces notes qui interviennent comme autant de greffes, d&eacute;formant un texte originel jamais effectivement lu, donne<em> trop</em> &agrave; lire, en m&ecirc;me temps que cet exc&egrave;s, au moment m&ecirc;me o&ugrave; voue la lecture &agrave; l&rsquo;&eacute;chec, lui donne tout son poids et nourrit son mouvement. L&agrave;, le <em>texte </em>en tant que tel devient visible, comme ce pi&egrave;ge tendu au lecteur dans la forme du livre, en m&ecirc;me temps que l&rsquo;intrigue et son fin mot sont &agrave; jamais hors d&rsquo;atteinte. Jouer avec le livre, pour y inscrire autre chose que ce qui convient &agrave; son id&eacute;e, soit celle d&rsquo;un discours qui se d&eacute;ploie selon la ligne, c&rsquo;est donc jouer avec la page dans sa spatialit&eacute;. Et le r&eacute;cit devient alors illisible, si son sens &eacute;chappe irr&eacute;m&eacute;diablement au moment o&ugrave; le texte exhibe, pour reprendre les mots de Derrida sur la nouvelle de Baudelaire, &laquo;&nbsp;l&rsquo;inaccessibilit&eacute; d&rsquo;un certain sens intentionnel, d&rsquo;un certain vouloir-dire dans la conscience des personnages&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>&nbsp;&raquo;. Du narrateur ou de son fr&egrave;re, de ces doubles qui ne sont peut-&ecirc;tre que le d&eacute;doublement schizo&iuml;de de l&rsquo;un d&rsquo;entre eux, nous ne saurons jamais qui parle et pour dire <em>quoi.</em></p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="3_Conclusion">3. Conclusion</span><br /> &nbsp;</h2> <h3 style="text-align: justify;"><span id="31_Jouer_avec_lidee_du_livre">3.1. Jouer avec l&rsquo;id&eacute;e du livre</span></h3> <p style="text-align: justify;">Exhibant l&rsquo;&eacute;criture, le roman de Robbe-Grillet se joue de l&rsquo;id&eacute;e du livre, comme totalit&eacute; d&rsquo;un sens ressaisissable, mais il ne peut le faire qu&rsquo;en mettant en mouvement l&rsquo;errance du sens dans des limites finies, celles d&rsquo;un espace textuel clos&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>. Dans <em>La Reprise</em>, l&rsquo;exc&egrave;s des notes &agrave; m&ecirc;me le corps du texte manifeste la productivit&eacute; de l&rsquo;&eacute;criture, en m&ecirc;me temps que celles-ci indiquent qu&rsquo;il y a du sens qui circule ill&eacute;gitimement, du mensonge ou de la folie. L&rsquo;enjeu, d&egrave;s lors, ne peut plus consister, pour le lecteur, &agrave; se prendre &agrave; l&rsquo;illusion romanesque que le texte premier semblait promettre, mais de pr&ecirc;ter attention &agrave; l&rsquo;ind&eacute;cidabilit&eacute; du sens du texte, de ce corps &eacute;clat&eacute; ou exc&eacute;dentaire.</p> <p style="text-align: justify;">Ainsi, <em>La Reprise</em>, pastiche de roman policier<em>,</em> reprend au genre sa &laquo; particularit&eacute;&nbsp;&raquo;, telle qu&rsquo;elle est d&eacute;finie par Pierre Bayard&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>emp&ecirc;cher qu&rsquo;une id&eacute;e ne se forme&nbsp;</em><a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>&nbsp;&raquo;, emp&ecirc;cher &laquo;&nbsp;de penser&nbsp;&raquo; en permettant la prolif&eacute;ration des conjectures. Mais ce faisant, elle sollicite aussi le lecteur comme une enqu&ecirc;te ou une &eacute;nigme le sollicite&nbsp;: l&rsquo;ind&eacute;cidabilit&eacute; est fermement articul&eacute;e &agrave; l&rsquo;<em>id&eacute;e</em> qu&rsquo;il y a quelque chose comme la v&eacute;rit&eacute;. &Agrave; la lecture du roman de Robbe-Grillet, le seul soup&ccedil;on que le texte premier ait pu &ecirc;tre caviard&eacute;, ou qu&rsquo;il soit le lieu d&rsquo;un discours mensonger, implique que le lecteur r&eacute;tro-projette, dans un en de&ccedil;&agrave; inaccessible, <em>le </em>texte <em>vrai</em>, un texte originel, un compte rendu v&eacute;ridique. Ce dernier, qu&rsquo;il ne lira jamais, est n&eacute;cessairement <em>mis en fonction</em> dans sa lecture si elle se joue comme lecture suspicieuse. En d&rsquo;autres termes, l&rsquo;id&eacute;e du livre ou d&rsquo;un texte qui ne trahit rien de ce qu&rsquo;il dit est &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre et motive incessamment la reconfiguration du sens. Ce qui, d&rsquo;ailleurs, est indiqu&eacute; d&egrave;s l&rsquo;exergue du roman, par une citation de Kierkegaard&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Reprise et ressouvenir sont un m&ecirc;me mouvement, mais dans des directions oppos&eacute;es&nbsp;; car ce dont on a ressouvenir, cela a &eacute;t&eacute;&nbsp;: il s&rsquo;agit donc d&rsquo;une r&eacute;p&eacute;tition tourn&eacute;e vers l&rsquo;arri&egrave;re&nbsp;; alors que la reprise proprement dite serait un ressouvenir tourn&eacute; vers l&rsquo;avant.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Repriser le texte pour inviter le lecteur lui-m&ecirc;me &agrave; la reprise, c&rsquo;est rendre impossible la s&eacute;dimentation du pass&eacute; de la lecture, et remettre &agrave; chaque fois en mouvement ce qui a &eacute;t&eacute; lu, le retourner vers l&rsquo;avant, en diff&eacute;rant &agrave; jamais la promesse d&rsquo;une &eacute;lucidation. Robbe-Grillet, ainsi, laisse son lecteur &agrave; l&rsquo;impossibilit&eacute; d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; un sens pleinement constitu&eacute;, mais il ne peut le faire qu&rsquo;en permettant une lecture qui se nourrit de l&rsquo;id&eacute;e du livre ou de l&rsquo;id&eacute;e de la v&eacute;rit&eacute;. L&rsquo;&eacute;criture, ce faisant, met en fonction la loi.</p> <p style="text-align: justify;">Si nous apercevons, ici, comment penser, peut-&ecirc;tre, la fin de l&rsquo;<em>id&eacute;e du livre</em> comme subversion de l&rsquo;id&eacute;e du livre, &agrave; m&ecirc;me sa mise en fonction, en quoi pourrait consister la fin<em> du livre&nbsp;</em>?</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="32_Peut-on_penser_la_fin_du_livre">3.2. Peut-on penser la fin du livre&nbsp;?</span></h3> <p style="text-align: justify;">Comme le remarque C. Vandendorpe, m&ecirc;me des textes fragmentaires, une fois r&eacute;unis en un recueil, &laquo;&nbsp;ne peuvent plus &ecirc;tre lus comme des morceaux d&eacute;tach&eacute;s&nbsp;<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>&nbsp;&nbsp;&raquo;&nbsp;: ce qui, dans le volume, est donn&eacute; ensemble, ne peut plus &ecirc;tre con&ccedil;u comme juxtapos&eacute;, mais se laisse appr&eacute;hender, in&eacute;vitablement, comme configur&eacute; m&ecirc;me si la saisie de la configuration &eacute;chappe. Ou encore la forme<em> mat&eacute;rielle</em> du livre devient la forme par laquelle les textes sont articul&eacute;s entre eux et participent d&rsquo;une m&ecirc;me entit&eacute;. &Agrave; remarquer cela, on cerne l&rsquo;indistinction de l&rsquo;id&eacute;e du livre et de la forme mat&eacute;rielle du livre, de l&rsquo;objet o&ugrave; elle s&rsquo;installe. D&rsquo;ailleurs, dans <em>De la grammatologie</em>, Derrida indique bien que l&rsquo;id&eacute;e du livre, ou de la bonne &eacute;criture, ne fait qu&rsquo;un avec l&rsquo;objet-livre, avec le volume qui comprend et enclot le texte et son sens dans des bornes et, ainsi, le recueille. Ce qui est une mani&egrave;re de dire que le livre est une mani&egrave;re d&rsquo;&ecirc;tre qui ne peut se d&eacute;ployer qu&rsquo;&agrave; trouver un ancrage dans des formes mat&eacute;rielles. La <em>forme </em>de la pens&eacute;e, dans l&rsquo;&eacute;criture ou la lecture, requiert, pour s&rsquo;accomplir, d&rsquo;&ecirc;tre en relation avec certains objets. Or, &ecirc;tre en relation avec l&rsquo;objet-livre, cela ne consiste plus n&eacute;cessairement &agrave; tenir dans les mains un livre-papier. Dans l&rsquo;entretien intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Le papier ou moi, vous savez&hellip;&nbsp;&raquo;, Derrida souligne que la fin du livre-papier, si elle devait advenir, ne signifierait pas pour autant la fin du livre &ndash; pour autant que son id&eacute;e trouve &agrave; s&rsquo;investir dans d&rsquo;autres objets&nbsp;&ndash;, de m&ecirc;me que la fin de l&rsquo;id&eacute;e du livre ne signifie pas la fin de la page. Comme il l&rsquo;indique, la page est toujours d&eacute;j&agrave; &laquo;&nbsp;&eacute;cran&nbsp;<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>&nbsp;&raquo;, ce qui signifie imm&eacute;diatement que l&rsquo;&eacute;cran d&rsquo;ordinateur est lui-m&ecirc;me &laquo;&nbsp;hant&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>&nbsp;&nbsp;&raquo; par la page, par l&rsquo;&eacute;cran qui, d&rsquo;abord, a &eacute;t&eacute; install&eacute; dans le livre-papier.</p> <p style="text-align: justify;">Penser la fin du livre impliquerait alors de penser, indissociablement, l&rsquo;<em>absence </em>de l&rsquo;id&eacute;e du livre&nbsp;&ndash;&nbsp;et non sa subversion &ndash; en m&ecirc;me temps que l&rsquo;absence radicale de l&rsquo;objet-livre ou de la page. En quoi pourrait consister une relation &agrave; l&rsquo;&eacute;crit qui ne jouerait plus du tout selon la forme du livre&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">Dans le parcours trac&eacute; ici, poser ces questions, c&rsquo;est tenter de concevoir un texte qui ne s&rsquo;engendre plus dans la tension entre l&rsquo;id&eacute;e du livre et l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;: un texte, peut-&ecirc;tre, qui serait pure &eacute;criture. Or, lorsqu&rsquo;il parle de la lecture hypertextuelle, Christian Vandendorpe indique que, l&agrave;, manque &laquo;&nbsp;le concept de livre&nbsp;<a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;.</p> <p style="text-align: justify;">Si le livre a d&rsquo;embl&eacute;e une fonction totalisante et vise &agrave; saturer un domaine de connaissance, l&rsquo;hypertexte, au contraire, invite &agrave; la multiplication des hyperliens, dans une volont&eacute; de saturer les associations d&rsquo;id&eacute;es, de &ldquo;faire tache d&rsquo;huile&rdquo; plut&ocirc;t que de creuser, dans l&rsquo;espoir de retenir un lecteur dont les int&eacute;r&ecirc;ts sont mobiles et en d&eacute;rive associative constante&nbsp;<a href="#_ftn29" name="_ftnref29">[29]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Le principe de l&rsquo;hypertexte pouss&eacute; &agrave; sa limite, ce serait la diss&eacute;mination&nbsp;: diss&eacute;mination sauvage, m&ecirc;me plus reprise dans une forme qui, sans clore le sens, se proposerait de clore le lieu o&ugrave; le sens se cherche et pourra &ecirc;tre cherch&eacute;. L&rsquo;hypertexte, qu&rsquo;on a pu comparer &agrave; un &laquo;&nbsp;syst&egrave;me g&eacute;n&eacute;ralis&eacute; d&rsquo;appels de note&nbsp;<a href="#_ftn30" name="_ftnref30">[30]</a>&nbsp;&raquo;, devrait permettre l&rsquo;errance du lecteur, d&rsquo;association en association, de lien en lien, sans aucune succession trac&eacute;e d&rsquo;avance, sans que l&rsquo;on sache o&ugrave; est l&rsquo;appel et le renvoi, donc sans qu&rsquo;aucune temporalit&eacute; ne s&rsquo;indique. Il faudrait penser &agrave; la fois la disparition du livre-objet, qu&rsquo;il soit livre-papier ou num&eacute;rique, soit la disparition d&rsquo;un espace d&eacute;limit&eacute;, bord&eacute;, d&rsquo;un lieu o&ugrave; est rassembl&eacute; ce qui doit &ecirc;tre tenu ensemble pour qu&rsquo;un sens soit recherch&eacute;. Il faudrait penser, aussi, l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;une &eacute;criture qui ne se trame plus en tension avec l&rsquo;id&eacute;e du livre&nbsp;: &eacute;criture sans d&eacute;but ni fin, sans r&eacute;solution, voire sans th&egrave;me. Enfin, il faudrait penser l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;une lecture purement aventureuse, &eacute;trang&egrave;re &agrave; l&rsquo;<em>information</em>, m&ecirc;me diff&eacute;r&eacute;e, d&rsquo;un sens. Ainsi, <em>in fine</em>, pour penser la fin du livre, dans la perspective o&ugrave; nous l&rsquo;avons interrog&eacute;e ici, il faudrait parvenir &agrave; concevoir une pratique de l&rsquo;hypertexte qui renonce au <em>site </em>dans les limites desquelles les textes sont mis en relation et rassembl&eacute;s, <em>en m&ecirc;me temps</em> qu&rsquo;une pratique de la lecture qui, dans la d&eacute;rive de ses associations, renonce &agrave; la simple configuration <em>&agrave; rebours</em> d&rsquo;une coh&eacute;rence. Soit une lecture dans laquelle le pass&eacute; de la lecture ne serait plus <em>repris</em> comme pass&eacute; pour &ecirc;tre articul&eacute; &agrave; un certain sens en devenir.</p> <h3 style="margin: 0cm 0cm 0.0001pt;"><span style="color: #333333;">Notes</span><br /> &nbsp;</h3> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Jacques Derrida et Daniel Bougnoux, &laquo; &ldquo;Le papier ou moi, vous savez&hellip;&rdquo; (<em>nouvelles sp&eacute;culations sur un luxe des pauvres</em>)&nbsp;&raquo;, <em>Les Cahiers de m&eacute;diologie</em>, 1997/2,&nbsp;n&deg;4, p. 33-57.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a><em> Id</em>., p. 33.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Jacques Derrida, <em>De la grammatologie</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1967, p. 15.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> <em>Id</em>., p. 30.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> <em>Id</em>., p. 30.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a><em> Id</em>., p. 130.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> Christian Vandendorpe, <em>Du papyrus &agrave; l&rsquo;hypertexte</em>, Paris, La D&eacute;couverte, 1999, p. 15 et p. 42.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> Jacques Derrida, <em>De la grammatologie</em>, <em>op. cit</em>., p. 30.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> Notons, &agrave; ce propos, que le &laquo;&nbsp;travail de l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;&raquo;, cette notion propos&eacute;e par Derrida, est &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre, tout autant, dans l&rsquo;inscription d&rsquo;un texte que dans sa lecture. Elle d&eacute;signe bien le travail du sens.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a> Jacques Derrida, <em>L&rsquo;&Eacute;criture et la diff&eacute;rence</em>, Paris, Seuil, 1967, p. 42.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a> Jacques Derrida, <em>De la grammatologie</em>, <em>op. cit</em>., p. 35.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a><em> Id</em>., p. 18.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a> Jacques Derrida, <em>La Diss&eacute;mination</em>, Paris, Seuil, 1972, p. 431.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a> Jacques Derrida, &laquo; Ceci n&rsquo;est pas une note infrapaginale orale &raquo;, <em>La Licorne</em>, XIX, 67, 2004, p. 8-9.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a> Alain Robbe-Grillet, <em>La Reprise</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 2011.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a> <em>Id</em>., p. 29.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a><em> Id</em>., p. 32.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a> Andreas Pfersmann, <em>S&eacute;ditions infrapaginales&nbsp;: po&eacute;tique historique de l&rsquo;annotation litt&eacute;raire (XVII<sup>e</sup>-XXI<sup>e</sup> si&egrave;cles)</em>, Gen&egrave;ve, Droz, 2011, p. 336. Il renvoie notamment &agrave;&nbsp;&laquo;&nbsp;Doderer, Aragon, Beckett, Butor, Arno Schmidt, Nabokov, Roa Bastos, Robbe-Grillet, Alexander Kluge (n&eacute; en 1932), Uwe Dick (n&eacute; en 1942), Jean-Jacques Schuhl, David Foster Wallace (n&eacute; en 1962), Jenny Bouilly (n&eacute;e en 1976), Chamoiseau ou&hellip; San Antonio.&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a> Dans le cours de la lecture, le fil principal semble n&eacute;anmoins demeurer celui du narrateur premier. Cela est peut-&ecirc;tre d&ucirc; au fait qu&rsquo;il s&rsquo;agit l&agrave; de la premi&egrave;re voix que le lecteur a rencontr&eacute;e, &agrave; laquelle il continuerait de tenir comme &agrave; un point fixe dans un monde de plus en plus inqui&eacute;tant, ou &agrave; une affinit&eacute; de situation, si lecteur et narrateur premier sont en danger d&rsquo;&ecirc;tre flou&eacute;s par le narrateur second &ndash; pour autant que les deux narrateurs renvoient bien &agrave; deux personnes.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a> C. Baudelaire, <em>La fausse monnaie</em>, cit&eacute; par J. Derrida, <em>Donner le temps. 1. La fausse monnaie</em>, Paris, Galil&eacute;e, 1991, p.&nbsp;48.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a><em> Id</em>., p. 110.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a> <em>Id</em>., p. 193.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a> D&egrave;s lors, l&rsquo;&eacute;criture comme la lecture peuvent &ecirc;tre interrog&eacute;es au regard de cette tension, qui d&eacute;signe le livre comme enjeu d&rsquo;un conflit qui rend le texte possible. Le texte achev&eacute;, l&rsquo;ouvrage, ne peut advenir que si l&rsquo;&eacute;criture a rencontr&eacute; l&rsquo;id&eacute;e du livre, d&rsquo;un texte qui accepte de se tenir dans les limites d&rsquo;une premi&egrave;re et d&rsquo;une quatri&egrave;me de couverture.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a> Pierre Bayard, <em>Qui a tu&eacute; Roger Ackroyd&nbsp;?</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1998, p. 45.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a> Christian Vandendorpe, <em>Du papyrus &agrave; l&rsquo;hypertexte</em>, <em>op. cit</em>., p. 241.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a> J. Derrida et D. Bougnoux, &laquo; Le papier ou moi, vous savez&hellip; &raquo;, <em>art. cit.</em>, p. 37.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a> <em>Id.</em>, p. 38&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;ordre de la page, f&ucirc;t-ce au titre de la survivance, prolongera donc la survie du papier &ndash; bien au-del&agrave; de sa disparition ou de son retrait. Je pr&eacute;f&egrave;re toujours dire son <em>retrait</em> ; car celui-ci peut marquer la limite d&rsquo;une h&eacute;g&eacute;monie structurelle, voire structurante, mod&eacute;lisante, sans qu&rsquo;il y ait l&agrave; une mort du papier, seulement une <em>r&eacute;duction</em>.&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref28" name="_ftn28">[28]</a> C. Vandendorpe, <em>Du papyrus &agrave; l&rsquo;hypertexte</em>, <em>op. cit</em>., p. 241.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref29" name="_ftn29">[29]</a> <em>Id</em>., p. 10.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref30" name="_ftn30">[30]</a><em> Id</em>., p. 167.</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <h3 style="text-align: justify;">Bibliographie<br /> &nbsp;</h3> <p style="text-align: justify;">BAYARD Pierre, <em>Qui a tu&eacute; Roger Ackroyd&nbsp;?</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1998.</p> <p style="text-align: justify;">DERRIDA Jacques, <em>De la grammatologie</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1967.</p> <p style="text-align: justify;">&mdash;, <em>L&rsquo;</em><em>&Eacute;criture et la diff&eacute;rence</em>, Paris, Le Seuil, 1967.</p> <p style="text-align: justify;">&mdash;,&nbsp; <em>La Diss&eacute;mination</em>, Paris, Le Seuil, 1972.</p> <p style="text-align: justify;">&mdash;, <em>Donner le temps. 1. La fausse monnaie</em>, Paris, Galil&eacute;e, 1991.</p> <p style="text-align: justify;">&mdash;, &laquo; &ldquo;Le papier ou moi, vous savez&hellip;&rdquo; (<em>nouvelles sp&eacute;culations sur un luxe des pauvres</em>)&nbsp;&raquo;, <em>Les Cahiers de m&eacute;diologie</em>, 1997/2,&nbsp;n&deg;4, p. 33-57.</p> <p style="text-align: justify;">&mdash;, &laquo; Ceci n&rsquo;est pas une note infrapaginale orale &raquo;, <em>La Licorne</em>, xix, 67, 2004, p. 7-20.</p> <p style="text-align: justify;">PFERSMANN Andr&eacute;as, <em>S&eacute;ditions infrapaginales&nbsp;: po&eacute;tique historique de l&rsquo;annotation litt&eacute;raire (xvii<sup>e</sup>-xxi<sup>e</sup> si&egrave;cles),</em> Gen&egrave;ve, Droz, 2011.</p> <p style="text-align: justify;">ROBBE-GRILLET Alain, La<em> Reprise</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 2011.</p> <p style="text-align: justify;">VANDENDORPE Christian, <em>Du papyrus &agrave; l&rsquo;hypertexte</em>, Paris, La D&eacute;couverte, 1999.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="Auteur">Autrice</span></h3> <p style="text-align: justify;"><strong>Anne Coignard </strong>est ATER au d&eacute;partement de Philosophie de l&rsquo;Universit&eacute; Toulouse Jean-Jaur&egrave;s, Docteur de l&rsquo;&Eacute;cole Polytechnique sp&eacute;cialit&eacute; Humanit&eacute;s et Sciences sociales (Philosophie). Elle est membre de l&rsquo;&Eacute;quipe de Recherche sur les Rationalit&eacute;s Philosophiques et les Savoirs (ERRaPhiS). Elle travaille sur la ph&eacute;nom&eacute;nologie fran&ccedil;aise contemporaine, sur la didactique de la lecture.</p> </div>