<div class="entry-content"> <h3>Abstract</h3> <p><em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em>&nbsp;is a poem by Michel Butor that has undergone several editorial and media states. In 1970, it was broadcast at the Atelier de cr&eacute;ation radiophonique, for which Butor contributed his own voice. With this new artistic collaboration, which temporarily diverts Butor from his dialogue with the engraver Gregory Masurovsky, the poet pursues a reflection on the expressive possibilities of the radio medium, on musical imitation in poetry, and on the functioning of human memory. This radio version of the text, the score of which was published in 1972 by Lettera amorosa, is in itself a rare poetic study of the undulatory movement of words, of the minute variations produced by the interchangeability of words as much as by the effects of diction.</p> <h2>Keywords<br /> &nbsp;</h2> <p>Michel Butor,&nbsp;<em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em>, waves, diction, poetry and music,&nbsp;rhythm,&nbsp;poetry&nbsp;and radio, variations</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em> est un objet textuel d&eacute;routant. Michel Butor le range dans la cat&eacute;gorie des &laquo; textes liquides &raquo;, une appellation qui sonne pour le lecteur comme un d&eacute;fi : comment comprendre ou retenir ce qui s&rsquo;&eacute;coule ? Insaisissable, ce po&egrave;me l&rsquo;est d&rsquo;abord en raison de ses mutations successives. Le texte conna&icirc;t en effet plusieurs &eacute;tats, grossissant au fur et &agrave; mesure de ses r&eacute;&eacute;critures et &eacute;ditions successives : d&rsquo;abord publi&eacute; sous forme de po&egrave;mes manuscrits au crayon, accompagnant une pointe s&egrave;che de Gregory Masurovsky et diff&eacute;rant sur chacun des 35 exemplaires <a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, le texte est ensuite recompos&eacute; pour para&icirc;tre en un mince volume aux &eacute;ditions Lettera amorosa en 1972 <a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Puis Butor le reprend de nouveau, en l&rsquo;augmentant d&rsquo;autres &eacute;l&eacute;ments textuels, pour l&rsquo;ins&eacute;rer dans son recueil <em>Illustrations IV </em>en 1976. Or &agrave; c&ocirc;t&eacute; de ces trois principales &eacute;ditions imprim&eacute;es&nbsp;existe un autre &eacute;tat du po&egrave;me : il s&rsquo;agit d&rsquo;une version radiophonique de 1970, conserv&eacute;e dans les archives de l&rsquo;INA et dont l&rsquo;&eacute;coute permet de restituer au livre de 1972 le statut de partition ou de trace typographi&eacute;e de cette version sonore&nbsp;&ndash;&nbsp;quoiqu&rsquo;aucune mention explicite de l&rsquo;&eacute;mission radiophonique ne figure dans ce livre, pas plus que dans les suivants <a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>.</p> <p style="text-align: justify;"><em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses </em>a en effet constitu&eacute; la premi&egrave;re partie d&rsquo;un <em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em> (<em>ACR</em>) de novembre 1970 intitul&eacute; &laquo;&nbsp;R&eacute;seau Un&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash;&nbsp;un titre qui place l&rsquo;auteur de <em>R&eacute;seau a&eacute;rien</em> en figure tut&eacute;laire du programme <a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. Ce num&eacute;ro de l&rsquo;<em>ACR</em> se composait, outre le &laquo;&nbsp;po&egrave;me&nbsp;&raquo; de Michel Butor (c&rsquo;est ainsi que son texte &eacute;tait d&eacute;sign&eacute;), d&rsquo;une &oelig;uvre musicale d&rsquo;Ivo Malec (&laquo;&nbsp;lied pour cordes et voix&nbsp;&raquo;), d&rsquo;un radiodrame de Paule Bergeret (<em>Abdication</em>) et de quatre &laquo;&nbsp;r&eacute;ponses&nbsp;&raquo; de Jacques Lacan aux sept &laquo;&nbsp;questions&nbsp;&raquo; diffus&eacute;es par la RTB et l&rsquo;ORTF en juin 1970, et publi&eacute;es sous le titre <em>Radiophonie </em>la m&ecirc;me ann&eacute;e <a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. En novembre 1970, l&rsquo;<em>ACR</em> en est encore &agrave; ses d&eacute;buts <a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>&nbsp;: aussi ce num&eacute;ro appara&icirc;t-il comme la mise en vitrine de diff&eacute;rentes &laquo;&nbsp;disciplines radiophoniques <a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a> &raquo;, avec l&rsquo;id&eacute;e de produire dans l&rsquo;esprit des auditeurs une circulation d&eacute;cloisonn&eacute;e de diff&eacute;rentes formes de la parole humaine &ndash; ici la po&eacute;sie, la musique vocale, le drame et la th&eacute;orie psychanalytique&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Cette version radiophonique de <em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em> n&rsquo;est pas une pure et simple adaptation du texte recompos&eacute; par Butor&nbsp;: d&rsquo;abord parce que cette publication sur les ondes de la radio nationale fait entendre une version encore in&eacute;dite du po&egrave;me, ensuite parce que l&rsquo;auteur y contribue personnellement, envoyant &agrave; Alain Trutat, depuis Albuquerque au Nouveau-Mexique o&ugrave; il se trouve encore (sans doute donc au d&eacute;but de l&rsquo;ann&eacute;e 1970), l&rsquo;enregistrement sonore int&eacute;gral de son texte, dit par lui-m&ecirc;me <a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>. La mise en ondes a &eacute;t&eacute; r&eacute;alis&eacute;e par Claude Roland-Manuel&nbsp;: ce dernier a conserv&eacute; int&eacute;gralement au montage la voix de Butor et y a superpos&eacute; deux voix f&eacute;minines et une voix masculine, constituant ainsi, &agrave; partir de l&rsquo;enregistrement de l&rsquo;auteur, un quatuor de voix parl&eacute;es <a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>. Cette &eacute;tape interm&eacute;diaire du po&egrave;me, purement sonore et d&eacute;laissant pour un temps Masurovsky, reste bien une &oelig;uvre en collaboration&nbsp;: non plus cette fois avec un graveur, mais avec des professionnels de la radio. Il s&rsquo;agira donc ici d&rsquo;entendre <em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses </em>comme un v&eacute;ritable po&egrave;me d&rsquo;ondes &ndash; les flots marins du po&egrave;me se pr&ecirc;tant ais&eacute;ment, par m&eacute;taphore, &agrave; ce d&eacute;placement m&eacute;diatique. Sans Masurovsky, le d&eacute;fi de &laquo; peindre une vague&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]&nbsp;</a>&raquo; devient celui du po&egrave;te, mais aussi celui du metteur en ondes. Il me semble cependant que l&rsquo;exp&eacute;rimentation que m&egrave;ne Butor &agrave; travers cette collaboration radiophonique va au-del&agrave; de l&rsquo;effort mim&eacute;tique de &laquo;&nbsp;peindre une vague&nbsp;&raquo;. Je m&rsquo;attacherai donc d&rsquo;abord &agrave; montrer la mani&egrave;re dont Butor &eacute;labore son nouveau texte, selon le mod&egrave;le musical d&rsquo;un th&egrave;me et variations. Puis, en m&rsquo;appuyant sur une &eacute;coute attentive de la r&eacute;alisation radiophonique, je mettrai en lumi&egrave;re les questionnements litt&eacute;raires que Butor cherche &agrave; creuser par l&rsquo;usage m&ecirc;me de la radiophonie.</p> <h2><span id="1_Variations_sur_un_theme">1. Variations sur un th&egrave;me</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">En d&eacute;pla&ccedil;ant <em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em> dans l&rsquo;espace radiophonique, Butor red&eacute;finit la &laquo; mobilit&eacute; &raquo; de son po&egrave;me, laquelle ne r&eacute;side plus dans la variation textuelle et la d&eacute;multiplication des supports, mais s&rsquo;&eacute;prouve d&eacute;sormais &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;un flux sonore. La mobilit&eacute; mat&eacute;rielle s&rsquo;est mu&eacute;e en mobilit&eacute; musicale et rythmique. Or au moment o&ugrave; Butor r&eacute;&eacute;crit son po&egrave;me, il est plus que jamais occup&eacute; par la question de la r&eacute;p&eacute;tition en musique, et plus pr&eacute;cis&eacute;ment par le rapport entre r&eacute;p&eacute;tition et variation : &agrave; la fois parce que certains rituels du Nouveau Mexique lui ont r&eacute;v&eacute;l&eacute; l&rsquo;importance d&rsquo;un fond r&eacute;p&eacute;titif pour que surgisse la variation en tant qu&rsquo;&eacute;v&eacute;nement&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a> et parce qu&rsquo;il travaille dans le m&ecirc;me temps &agrave; son <em>Dialogue avec 33 variations de Ludwig van Beethoven&nbsp;</em><a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>.</p> <p style="text-align: justify;"><em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em>, dans sa version radiophonique, appara&icirc;t construit selon le mod&egrave;le musical d&rsquo;un th&egrave;me et variations. Le th&egrave;me se d&eacute;couvre &agrave; partir d&rsquo;un intertexte po&eacute;tique diffract&eacute;, surgissant par brefs &eacute;clats aussi bien dans le po&egrave;me que dans la m&eacute;moire de l&rsquo;auditeur, et bien reconnaissable pour tout lecteur de po&eacute;sie&nbsp;: il s&rsquo;agit du po&egrave;me &laquo;&nbsp;Marine&nbsp;&raquo; des <em>Illuminations </em>de Rimbaud&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>. Il n&rsquo;est sans doute pas inutile de l&rsquo;exposer ici dans son entier avant d&rsquo;en montrer les diff&eacute;rents types de r&eacute;surgences dans <em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em>&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Les chars d&rsquo;argent et de cuivre &mdash;<br /> Les proues d&rsquo;acier et d&rsquo;argent &mdash;<br /> Battent l&rsquo;&eacute;cume, &mdash;<br /> Soul&egrave;vent les souches des ronces.<br /> Les courants de la lande,&nbsp;<br /> Et les orni&egrave;res immenses du reflux<br /> Filent circulairement vers l&rsquo;est,&nbsp;<br /> Vers les piliers de la for&ecirc;t, &mdash;<br /> Vers les f&ucirc;ts de la jet&eacute;e,&nbsp;<br /> Dont l&rsquo;angle est heurt&eacute; par des tourbillons de lumi&egrave;re.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">De fa&ccedil;on g&eacute;n&eacute;rale, Butor emprunte &agrave; Rimbaud la m&eacute;taphore de la plaine marine : les correspondances entre la terre et la mer, les champs et les vagues, la superposition d&rsquo;un paysage marin &agrave; un paysage terrestre et rustique. Le mot &laquo;&nbsp;champs&nbsp;&raquo; appara&icirc;t ainsi d&egrave;s le deuxi&egrave;me vers de <em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em>, puis des expressions comme &laquo;&nbsp;soupirs des spores taches des bl&eacute;s&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;paturins d&rsquo;aluminium&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;barbouillages des sillons&nbsp;&raquo; filent la m&eacute;taphore. Ensuite, au niveau lexical, Butor fait entrer dans son texte, &agrave; l&rsquo;exemple de Rimbaud, plusieurs noms de m&eacute;taux&nbsp;: &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;tain&nbsp;&raquo; (premier mot), puis &laquo;&nbsp;l&rsquo;acier&nbsp;&raquo; comme chez Rimbaud, puis d&rsquo;autres encore. C&rsquo;est &eacute;galement le rythme de &laquo;&nbsp;Marine&nbsp;&raquo; qui s&rsquo;entend dans<em> L&rsquo;&OElig;il des Sargasses&nbsp;</em>: Butor reprend le principe des longueurs variables et de la mobilit&eacute; accentuelle des vers (chez Rimbaud on a des vers libres &agrave; trois, deux ou quatre accents&nbsp;; chez Butor, les vers comptent soit quatre accents, soit deux soit un seul), les verbes conjugu&eacute;s plac&eacute;s en d&eacute;but de vers pour modifier l&rsquo;impulsion accentuelle (par exemple &laquo;&nbsp;tournent les paturins d&rsquo;aluminium&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;se r&eacute;pandent rayons chants d&rsquo;horizons&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;battent les miroitements d&rsquo;all&eacute;gresse et de frissons&nbsp;&raquo;) ou encore le principe m&ecirc;me de r&eacute;p&eacute;tition des mots, tr&egrave;s frappante aux vers 1 et 2 de &laquo;&nbsp;Marine&nbsp;&raquo;. Enfin, c&rsquo;est toute la structure de ce po&egrave;me des <em>Illuminations</em> qui est r&eacute;activ&eacute;e : comme Rimbaud, Butor construit son texte sur deux mouvements contraires &ndash; la progression et le recul, le flux et le reflux &ndash; conduisant aux &laquo; tourbillons &raquo; du dernier vers : les verbes &laquo; continuer &raquo;, &laquo; revenir &raquo;, puis &laquo; tournent &raquo; en sont chez lui les premiers marqueurs lexicaux. Notons encore les &laquo; chars &raquo; et les &laquo; proues &raquo; de Rimbaud qui deviennent chez Butor &laquo; caravelles &raquo; (mot dans lequel, par une &eacute;tymologie sauvage, on est tent&eacute; d&rsquo;entendre le mot &laquo; char &raquo;) ; tandis que le &laquo; Battent l&rsquo;&eacute;cume &raquo; de Rimbaud ressurgit dans les &laquo; lessives &raquo; du po&egrave;me de Butor, plus loin dans l&rsquo;expression &laquo;&nbsp;rames et fouets &raquo;, puis plus directement encore dans le vers &laquo; Battent les miroitements d&rsquo;all&eacute;gresse et de frissons &raquo;.</p> <p style="text-align: justify;">La pr&eacute;sence fragmentaire et comme disloqu&eacute;e de cet intertexte po&eacute;tique fait donc figure d&rsquo;exposition du th&egrave;me&nbsp;; mais il s&rsquo;y joue &eacute;galement une r&eacute;flexion de l&rsquo;auteur sur le resurgissement dans l&rsquo;&eacute;criture d&rsquo;une m&eacute;moire des textes litt&eacute;raires (et canoniques). De ce point de vue, les flots marins, avec les &eacute;paves remontant &agrave; la surface, &laquo;&nbsp;tr&eacute;sors&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;secrets&nbsp;&raquo; apparaissant &ccedil;&agrave; et l&agrave; dans le flux po&eacute;tique (en capitales d&rsquo;imprimerie sur la page, &agrave; l&rsquo;oral dits &agrave; l&rsquo;unisson et de mani&egrave;re d&eacute;tach&eacute;e), se pr&eacute;sentent comme les supports imag&eacute;s d&rsquo;une r&ecirc;verie m&eacute;talitt&eacute;raire.</p> <p style="text-align: justify;">Conjointement &agrave; cette exposition du th&egrave;me, Butor entame un travail de variations en proc&eacute;dant &agrave; l&rsquo;entrelacement de s&eacute;ries lexicales. Inspir&eacute; par la pr&eacute;sence et la r&eacute;p&eacute;tition de noms de m&eacute;taux chez Rimbaud (&laquo;&nbsp;cuivre&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;acier&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;argent&nbsp;&raquo;, lequel revient deux fois), Butor travaille &agrave; &eacute;tendre et &agrave; d&eacute;velopper cet embryon de liste, qu&rsquo;il d&eacute;roule et r&eacute;p&egrave;te de mani&egrave;re al&eacute;atoire, mot par mot, tout au long du po&egrave;me. En voici les &eacute;l&eacute;ments&nbsp;: &laquo;&nbsp;&eacute;tain&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;acier&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;aluminium&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;chrome&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;nickel&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;platine&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;mercure&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;cadmium&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;titane&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;t&ocirc;le&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;bronze&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;plomb&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;mangan&egrave;se&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;magn&eacute;sium&nbsp;&raquo;. &Agrave; cette liste de m&eacute;taux, Butor m&ecirc;le une s&eacute;rie de plantes (d&rsquo;eau ou de terre). Outre les &laquo;&nbsp;sargasses&nbsp;&raquo; du titre, se voient ainsi diss&eacute;min&eacute;s dans le texte toutes sortes de mots rares et pr&eacute;cieux d&eacute;signant des plantes&nbsp;(&laquo;&nbsp;f&eacute;tuques&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;paturins&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;algues&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;cynodons&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;glyc&eacute;ries&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;fl&eacute;oles&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;vulpin&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;&eacute;lyme&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;bromes&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;phalaris&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;agrostide&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;houlques&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;&eacute;pilobe&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;flouves&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;oxalide&nbsp;&raquo;) dont la plupart sont r&eacute;p&eacute;t&eacute;s eux aussi au fil du texte. Une troisi&egrave;me s&eacute;rie importante rassemble des noms de poissons et d&rsquo;autres &ecirc;tres marins&nbsp;(un lexique absent du po&egrave;me de Rimbaud)&nbsp;: d&rsquo;abord des parties (&laquo;&nbsp;&eacute;cailles&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;ou&iuml;es&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;nageoires&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;ar&ecirc;tes&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;queues&nbsp;&raquo;), puis les animaux eux-m&ecirc;mes, toujours au pluriel (&laquo;&nbsp;thons&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;merlans&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;lottes&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;soles&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;anguilles&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;dauphins&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;squales&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;&eacute;ponges&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;soles&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;&eacute;perlans&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;poulpes&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;alevins&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;saumons&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;bonites&nbsp;&raquo;), avant que les deux ne se m&ecirc;lent (&laquo;&nbsp;branchies&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;nageoires&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;morues&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;dorades&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;grondins&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;soles&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;queues&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;harengs&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;alevins&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;anguilles&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;&eacute;caille&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;saumons&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;ou&iuml;es&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;bonites&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;nageoires&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;morues&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;ar&ecirc;tes&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;raies&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;gueules&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;queues&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;harengs&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;poulpes&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;thons&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;merlans&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;soles&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;alevins&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;anguilles&nbsp;&raquo;).</p> <p style="text-align: justify;">Il y aurait encore plusieurs s&eacute;ries &agrave; d&eacute;m&ecirc;ler ici, notamment celles &eacute;voquant des &eacute;l&eacute;ments renvoyant &agrave; une pr&eacute;sence humaine&nbsp;: liste d&rsquo;objets (&eacute;l&eacute;ments li&eacute;s aux navires ou &agrave; la vie des marins, mais aussi bijoux et accessoires), liste de parties corporelles dont les termes sont souvent utilis&eacute;s deux &agrave; deux dans le po&egrave;me (&laquo;&nbsp;talons et tempes&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;cuisses et coudes&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;croupes et fronts&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;hanches et cils&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;seins et paumes&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;&eacute;paules et boucles&nbsp;&raquo;, etc.). De fa&ccedil;on remarquable, ces &eacute;l&eacute;ments humains sont mis sur le m&ecirc;me plan que les autres (v&eacute;g&eacute;taux, min&eacute;raux, animaux)&nbsp;: tous participent &agrave; &eacute;galit&eacute; d&rsquo;une m&ecirc;me p&acirc;te lexicale et rythmique. On peut ainsi voir <em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em>&nbsp;comme un essai de po&eacute;sie cosmique o&ugrave; l&rsquo;humain ne vaut pas plus que l&rsquo;algue. C&rsquo;est aussi un essai de po&eacute;sie &eacute;l&eacute;mentaire o&ugrave; chaque fragment lexical&nbsp;&ndash;&nbsp;l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment premier &eacute;tant ici le mot et non des masses textuelles comme dans les autres essais radiophoniques de Butor&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>&nbsp;&ndash;&nbsp;se combine avec d&rsquo;autres pour faire surgir de l&rsquo;inou&iuml; &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;une relative monotonie r&eacute;p&eacute;titive.</p> <p style="text-align: justify;">Cet entrem&ecirc;lement de s&eacute;ries lexicales aboutissant &agrave; une p&acirc;te po&eacute;tique ondulatoire est int&eacute;ressant &agrave; observer dans le d&eacute;tail. On remarque par exemple un travail sur les &eacute;quivalences et l&rsquo;interchangeabilit&eacute; lexicale qui permet &agrave; Butor d&rsquo;exp&eacute;rimenter l&rsquo;expression du m&ecirc;me avec des mots diff&eacute;rents&nbsp;: ainsi les &laquo;&nbsp;f&eacute;tuques d&rsquo;acier&nbsp;&raquo; se muent en &laquo;&nbsp;paturins d&rsquo;aluminium&nbsp;&raquo;, les &laquo;&nbsp;vagues de vulpin&nbsp;&raquo; en &laquo;&nbsp;flots d&rsquo;&eacute;lyme&nbsp;&raquo;, les &laquo;&nbsp;brumes de fl&eacute;oles&nbsp;&raquo; en &laquo;&nbsp;vapeurs d&rsquo;agrostide et de t&ocirc;le&nbsp;&raquo;, en &laquo;&nbsp;vapeurs de plomb&nbsp;&raquo; puis en &laquo;&nbsp;brumes du magn&eacute;sium froid&nbsp;&raquo;, en &laquo;&nbsp;gouttes de phalaris et de titane&nbsp;&raquo;, etc. Il y a l&agrave; une mani&egrave;re de traduire dans l&rsquo;ordre de la langue le paradoxe d&rsquo;une permanence mobile ou, &agrave; l&rsquo;inverse, d&rsquo;un mouvement perp&eacute;tuel&nbsp;: de cr&eacute;er po&eacute;tiquement des &laquo;&nbsp;vagues&nbsp;&raquo;, semblables en surface mais intrins&egrave;quement diff&eacute;rentes.</p> <p style="text-align: justify;">Ces imbrications de listes lexicales font en outre surgir des sortes de chim&egrave;res po&eacute;tiques rappelant certaines images surr&eacute;alistes&nbsp;: ainsi de ces &laquo;&nbsp;flouves en bancs&nbsp;&raquo; ou de ces &laquo;&nbsp;houlques en branchies&nbsp;&raquo;. Mais il me semble que chez Butor ces images ne sont pas recherch&eacute;es pour elles-m&ecirc;mes&nbsp;; elles d&eacute;coulent plut&ocirc;t d&rsquo;un ordre math&eacute;matique, du moins d&rsquo;un syst&egrave;me de m&eacute;langes, de combinaisons, de permutations&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>, qui ne cherchent pas tant &agrave; exprimer un monde nouveau qu&rsquo;&agrave; faire jouer les mots-mati&egrave;res entre eux, tant au niveau de leurs significations que de leurs sonorit&eacute;s, &agrave; les faire &laquo;&nbsp;miroiter&nbsp;&raquo; dans le flux po&eacute;tique (si l&rsquo;on adopte la logique m&eacute;taphorique et m&eacute;tapo&eacute;tique du texte).</p> <p style="text-align: justify;">Les variations et miroitements du po&egrave;me sont &eacute;galement assur&eacute;s par l&rsquo;usage de verbes conjugu&eacute;s, eux aussi en nombre limit&eacute; (on pourrait en dresser la liste) repris tout au long du po&egrave;me, distribu&eacute;s de mani&egrave;re &agrave; articuler les &eacute;l&eacute;ments des listes en de multiples combinaisons. Ainsi de ces vers o&ugrave; Butor travaille &agrave; partir des verbes &laquo;&nbsp;cro&icirc;tre&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;m&ucirc;rir&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;mourir&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;rena&icirc;tre&nbsp;&raquo;, les deux premiers &eacute;voquant la vie v&eacute;g&eacute;tale et l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un d&eacute;veloppement vertical (mais appliqu&eacute;s ici &agrave; d&rsquo;autres types de sujets), les deux autres sugg&eacute;rant des mouvements contraires d&rsquo;affaissement et de surgissement :</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">des aliz&eacute;s croissent les for&ecirc;ts m&ucirc;rissent<br /> [&hellip;]<br /> s&rsquo;enfoncent meurent les dauphins dans les aur&eacute;oles<br /> [&hellip;]<br /> croissent filent m&ucirc;rissent les squales<br /> [&hellip;]<br /> les r&eacute;verb&eacute;rations et les douceurs des trombes meurent<br /> en dunes renaissent rient croissent</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Au niveau de la structure globale du po&egrave;me, il est difficile de rep&eacute;rer strictement des parties. S&rsquo;il y en a, elles ob&eacute;issent au principe d&rsquo;interp&eacute;n&eacute;tration et de liquidit&eacute; qui fait que Butor &eacute;vite tout marqueur de fronti&egrave;res &eacute;tanches. Mais on observe bien n&eacute;anmoins, comme en un drame, un d&eacute;but, un milieu et une fin : la fin r&eacute;p&eacute;tant avec des variantes le d&eacute;but, &agrave; l&rsquo;envers&nbsp;; le milieu &eacute;tant quant &agrave; lui marqu&eacute; par le surgissement d&rsquo;un &laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo; sujet d&rsquo;actions dessinant une trajectoire, un mouvement&nbsp;: &laquo;&nbsp;je descends [&hellip;] je descends je sombre&nbsp;&raquo; puis &laquo;&nbsp;je gravis remonte [&hellip;] je gravis [&hellip;] je gravis&nbsp;&raquo;. Avec ce &laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo; &eacute;nigmatique (humain, plante ou animal&nbsp;?) surgit comme un embryon de drame noy&eacute; au c&oelig;ur du po&egrave;me. D&rsquo;autant que ce &laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo; a deux fois la parole, &agrave; travers deux questions&nbsp;: &laquo;&nbsp;qui m&rsquo;appelle&nbsp;?&nbsp;&raquo; puis &laquo;&nbsp;qui me poursuit&nbsp;? Cette &eacute;nigme centrale s&rsquo;entend comme la formulation m&ecirc;me du d&eacute;fi d&rsquo;&eacute;coute que tente au fond Butor avec cet essai radiophonique.</p> <p style="text-align: justify;">On trouve encore dans le po&egrave;me deux s&eacute;ries lexicales tr&egrave;s importantes : l&rsquo;une ayant trait aux &eacute;l&eacute;ments du langage (&laquo;&nbsp;voyelles&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;consonnes&nbsp;&raquo;), aux signes &eacute;crits&nbsp;(&laquo;&nbsp;c&eacute;dilles&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;ast&eacute;risques&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;tildes&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;guillemets&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;barres&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;accents&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;tr&eacute;mas&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;accolades&nbsp;&raquo;), aux &eacute;l&eacute;ments de grammaire et de prosodie (&laquo;&nbsp;phrases&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;dactyles&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;questions&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;listes&nbsp;&raquo;)&nbsp;; l&rsquo;autre faisant &eacute;merger un champ lexical du brouillon, de l&rsquo;essai&nbsp;(&laquo;&nbsp;brouillon&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;ratures&nbsp;&raquo; d&egrave;s le deuxi&egrave;me vers&nbsp;; puis &laquo;&nbsp;esquisses&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;bavures&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;rayures&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;barbouillages&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;embrouillaminis&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;balbutiements&nbsp;&raquo;), &eacute;l&eacute;ments amalgam&eacute;s de mani&egrave;re particuli&egrave;rement dense &agrave; la fin du po&egrave;me&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">qui battent bavures essais question<br /> [&hellip;]<br /> tr&eacute;mas des dactyles barbouillages et accolades<br /> les merlans oscillent sur le cadmium listes<br /> [&hellip;]<br /> h&eacute;sitations-fourmillements br&ucirc;lant dans les for&ecirc;ts<br /> d&rsquo;indications de c&eacute;dilles lin&eacute;aments de frai<br /> [&hellip;]<br /> embrouillaminis de soles brouillons de bronze<br /> ratures h&eacute;sitations-moirures caressantes</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Par cette s&eacute;rie, Butor d&eacute;signe explicitement son po&egrave;me comme un &laquo;&nbsp;essai<strong>&nbsp;&raquo;</strong>, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; la fois comme une tentative, une exp&eacute;rimentation et comme un &laquo;&nbsp;brouillon&nbsp;&raquo;, une production &eacute;ph&eacute;m&egrave;re. La radio ne serait-elle que le brouillon du livre en pr&eacute;paration, un &eacute;tat transitoire&nbsp;? Il me semble que l&rsquo;exp&eacute;rimentation de Butor va plus loin.</p> <h2><span id="2_Etude_pour_ondes_hertziennes">2. &Eacute;tude pour ondes hertziennes</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">&Agrave; la radio, l&rsquo;appellation d&rsquo;&laquo;&nbsp;essai radiophonique&nbsp;&raquo; est relativement courante (209 notices mentionnent cette formule dans les archives de l&rsquo;INA) et s&rsquo;applique notamment &agrave; des recherches d&rsquo;ordre po&eacute;tique&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>. Butor lui-m&ecirc;me a d&eacute;j&agrave; con&ccedil;u et pratiqu&eacute; la radio comme un lieu d&rsquo;exp&eacute;rimentation litt&eacute;raire possible&nbsp;: ainsi <em>6 810 000 litres d&rsquo;eau par seconde </em>est une &laquo;&nbsp;&eacute;tude st&eacute;r&eacute;ophonique&nbsp;&raquo;, o&ugrave; le terme d&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;tude&nbsp;&raquo; doit aussi s&rsquo;entendre au sens musical. Butor y a notamment travaill&eacute; la forme du canon, s&rsquo;int&eacute;ressant en particulier aux effets textuels produits par la surimpression de deux lectures l&eacute;g&egrave;rement d&eacute;cal&eacute;es&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">La forme qu&rsquo;il exp&eacute;rimente avec <em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em> est diff&eacute;rente de ce qu&rsquo;il a tent&eacute; jusque-l&agrave; pour la radio&nbsp;: c&rsquo;est une forme plus courte, d&eacute;nu&eacute;e de toute intrigue, de tout &eacute;l&eacute;ment documentaire ou romanesque, sinon de mani&egrave;re tr&egrave;s embryonnaire, comme nous l&rsquo;avons vu plus haut. De plus, le texte n&rsquo;int&egrave;gre aucune indication de d&eacute;bit ou de ton (contrairement &agrave; la st&eacute;r&eacute;ophonie du Niagara o&ugrave; l&rsquo;auteur guide tr&egrave;s pr&eacute;cis&eacute;ment le travail de diction des acteurs). Pour autant Butor ne laisse pas le metteur en ondes compl&egrave;tement libre, son propre enregistrement sonore du texte valant en effet comme mod&egrave;le. De plus, la mise en page du texte, publi&eacute;e ensuite par Lettera Amorosa, concorde parfaitement avec sa diction, si bien qu&rsquo;elle a d&ucirc; servir de v&eacute;ritable partition aux com&eacute;diens et que Butor l&rsquo;avait sans doute pens&eacute;e comme telle&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>. En effet, non seulement Butor respecte scrupuleusement &agrave; l&rsquo;oral, par une br&egrave;ve pause, la fin des vers, mais il fait aussi entendre, par un jeu subtil d&rsquo;intonations montantes et descendantes, les assemblages de vers (distiques sur la page), les vers en retrait (isol&eacute;s sur la page par des blancs typographiques tout autour d&rsquo;eux) ou encore les mots-vers transcrits par des capitales d&rsquo;imprimerie, qu&rsquo;il articule et d&eacute;tache au moyen d&rsquo;une hauteur intonative l&eacute;g&egrave;rement sup&eacute;rieure sur la premi&egrave;re syllabe.</p> <p style="text-align: justify;">La r&eacute;alisation radiophonique de Claude Roland-Manuel r&eacute;partit le texte entre voix masculines et voix f&eacute;minines tout en travaillant &agrave; des r&eacute;p&eacute;titions et &agrave; des superpositions de vers prononc&eacute;s par les diff&eacute;rentes voix. Cela cr&eacute;e &eacute;videmment un effet de tuilage &eacute;voquant des &laquo;&nbsp;vagues&nbsp;&raquo; sonores, tandis que le rythme, produit &agrave; la fois par les s&eacute;ries accentuelles et par les mouvements intonatifs montants et descendants, forme un roulis imitant lui aussi la mobilit&eacute; des flots marins. De m&ecirc;me que dans <em>6 810 000 litres d&rsquo;eau par seconde </em>Butor travaille &agrave; cr&eacute;er avec les citations de Chateaubriand en canon une &laquo;&nbsp;esp&egrave;ce de fond&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>&nbsp;&raquo; devant lequel viennent se d&eacute;tacher &agrave; la fois les paroles d&rsquo;un narrateur et les conversations des visiteurs, de m&ecirc;me ici s&rsquo;&eacute;labore un fond rythmique, une &laquo;&nbsp;basse marine&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>&nbsp;&raquo; sur laquelle surgissent de loin en loin quelques apparitions mentales, projet&eacute;es dans l&rsquo;espace sonore par les fameux mots-vers dits &agrave; l&rsquo;unisson (not&eacute;s dans la partition par les capitales d&rsquo;imprimerie)&nbsp;: &laquo;&nbsp;CARAVELLES&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;SOUVENIRS&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;INDES&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;L&rsquo;IMAGE DE LA REINE&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;SAUVAGES&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;TR&Eacute;SORS&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;SECRETS&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;MONSTRES&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;ASTROLABES&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;RADEAUX&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;NUITS&nbsp;&raquo;, etc. Autant de mots &eacute;voquant pour l&rsquo;auditeur des voyages d&rsquo;aventure, d&rsquo;exploration et en particulier l&rsquo;exp&eacute;dition de Christophe Colomb aux Am&eacute;riques. Mais ce sont des &eacute;vocations fugaces, non d&eacute;velopp&eacute;es en r&eacute;cit, des mirages sonores plut&ocirc;t que des images r&eacute;elles, des reflets insaisissables que l&rsquo;esprit ne retient qu&rsquo;un instant (&laquo;&nbsp;LA LUNE&nbsp;/ ET SON DOUBLE&nbsp;&raquo; &eacute;crit ainsi Butor).</p> <p style="text-align: justify;">Il me semble que ce qui int&eacute;resse ici Butor, ce sont les conditions de surgissement de ces images mentales, fragment&eacute;es et prises dans un flux sonore dont il ne reste &agrave; la radio aucune autre trace, apr&egrave;s l&rsquo;&eacute;mission proprement dite, que des impressions / &eacute;motions propres &agrave; chaque auditeur. Et en effet, apr&egrave;s l&rsquo;&eacute;coute de ce po&egrave;me d&rsquo;ondes d&eacute;ploy&eacute; &agrave; quatre voix, qu&rsquo;est-ce qui surnage, que reste-t-il dans notre m&eacute;moire&nbsp;? Quelles visions se forment-elles dans notre imagination ? L&rsquo;esprit de l&rsquo;auditeur peut-il &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; comme une sc&egrave;ne&nbsp;? Ce sont l&agrave; des questionnements qui agitent &agrave; cette &eacute;poque d&rsquo;autres &eacute;crivains travaillant pour le m&eacute;dium radiophonique, comme l&rsquo;Italien Edoardo Sanguineti qui &oelig;uvre &agrave; un &laquo;&nbsp;th&eacute;&acirc;tre de la parole&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>&nbsp;&raquo; ou encore Jean Tardieu lui-m&ecirc;me, po&egrave;te et homme de radio qui, comme Butor, cherche depuis longtemps &agrave; &eacute;laborer un langage s&rsquo;apparentant &agrave; la musique&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Ce que retient en premier lieu l&rsquo;auditeur plac&eacute; dans les conditions de l&rsquo;&eacute;coute radiophonique de l&rsquo;&eacute;poque, c&rsquo;est-&agrave;-dire apr&egrave;s une &eacute;coute unique, c&rsquo;est un mot, constamment r&eacute;p&eacute;t&eacute;, comme un refrain. Il s&rsquo;agit du mot &laquo;&nbsp;solitude&nbsp;&raquo;, le plus souvent accompagn&eacute; de son d&eacute;terminant mais souvent aussi de compl&eacute;ments du nom comme&nbsp;: &laquo;&nbsp;la solitude en larmes&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;la solitude au guet&nbsp;/ la solitude &raquo;, &laquo; la solitude haletante&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;la solitude &eacute;touffante&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;la solitude / la solitude au milieu des cris&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;solitude au milieu des ronflements / la solitude&nbsp;&raquo;, etc. Butor op&egrave;re autour de ce mot non seulement un travail musical et rythmique de r&eacute;p&eacute;tition et de variation, mais il cr&eacute;e aussi une tension, une attente dramatique se d&eacute;ployant hors de toute narration et rendue possible par les seules connotations du mot.</p> <p style="text-align: justify;">Or la diction de Butor et des com&eacute;diens joue ici un r&ocirc;le majeur&nbsp;: si elle reste globalement, tout au long eu po&egrave;me, rythmique, as&eacute;mantique, non expressive, suivant le mod&egrave;le fourni par l&rsquo;auteur, on entend pourtant sur certains mots, et notamment ce mot de &laquo;&nbsp;solitude&nbsp;&raquo;, des aplanissements d&rsquo;accent produisant un d&eacute;but d&rsquo;expressivit&eacute;, esquissant des aventures latentes ou englouties. La seule diction permet en outre de faire miroiter les diff&eacute;rents sens du mot&nbsp;: lorsque Butor prononce &laquo;&nbsp;solitude&nbsp;&raquo; au d&eacute;but, on l&rsquo;entend au sens d&rsquo;espace d&eacute;peupl&eacute; ou d&eacute;sert (il d&eacute;signe alors la mer comme &eacute;tendue inhabit&eacute;e tout autant que la page blanche &agrave; remplir de signes)&nbsp;; on y entend aussi l&rsquo;&eacute;tat de solitude, mais sans effet psychologique particulier. Lorsque les com&eacute;diens le prononcent au contraire, le mot se charge d&rsquo;&eacute;motion, la diction le transforme en &eacute;l&eacute;ment dramatique.</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;exp&eacute;rience po&eacute;tique nouvelle que tente ici Butor via la radio consiste donc en ceci&nbsp;: cr&eacute;er une mati&egrave;re verbale mouvante, ondulatoire, o&ugrave; le langage d&eacute;sarticul&eacute; dans sa grammaire cherche tout de m&ecirc;me &agrave; retenir l&rsquo;attention de l&rsquo;auditeur par des points de fixit&eacute;, des rep&egrave;res &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du flux sonore, des rep&egrave;res valant parfois comme aiguillons dramatiques ou aiguillons &agrave; souvenirs personnels. De ce point de vue, les questions qui surgissent au centre de <em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em>, &laquo;&nbsp;qui m&rsquo;appelle&nbsp;?&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;qui me poursuit&nbsp;?&nbsp;&raquo;, peuvent s&rsquo;entendre comme une projection de l&rsquo;auditeur sur la sc&egrave;ne du po&egrave;me&nbsp;: car c&rsquo;est bien lui le promeneur de ce voyage sur les ondes, c&rsquo;est lui le h&eacute;ros de cette aventure sonore construite pi&egrave;ce &agrave; pi&egrave;ce par un auteur &eacute;prouvant les capacit&eacute;s imaginatives et interpr&eacute;tatives de son public. &laquo;&nbsp;Je publie mes livres comme des questions&nbsp;: qu&rsquo;est-ce que vous pouvez me dire qui m&rsquo;int&eacute;ressera &agrave; propos de ces ouvrages que j&rsquo;ai faits&nbsp;?&nbsp;&raquo;, d&eacute;clarait ainsi Butor dans ses <em>Entretiens&nbsp;</em><a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>.</p> <p style="text-align: center;">*</p> <p style="text-align: justify;">On peut consid&eacute;rer <em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em> comme une quatri&egrave;me pi&egrave;ce ajout&eacute;e &agrave; la trilogie &eacute;voqu&eacute;e par Butor aupr&egrave;s de Georges Charbonnier&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>Mobile </em>est une &eacute;tude sur la mobilit&eacute;. <em>Description de San Marco </em>est au contraire une &eacute;tude sur un monument, sur quelque chose de stable, et, dans <em>6&nbsp;810&nbsp;000 litres d&rsquo;eau par seconde</em>, il y a une sorte de monument liquide, de monument qui est en perp&eacute;tuel mouvement&nbsp;<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>&raquo;. <em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em> travaille quant &agrave; lui &agrave; partir de monuments fragment&eacute;s (le voyage de Colomb aussi bien que &laquo;&nbsp;Marine&nbsp;&raquo; de Rimbaud), pr&eacute;sents &agrave; l&rsquo;&eacute;tat de souvenirs, de r&eacute;miniscences. Il ne s&rsquo;agit finalement pas tant de &laquo;&nbsp;peindre une vague&nbsp;&raquo; sonore, entre musique et langage, que de mettre en jeu le fonctionnement de la m&eacute;moire humaine, de susciter et de ressusciter des souvenirs eux-m&ecirc;mes fugaces, pris dans le mouvement de l&rsquo;apparition et de la disparition, de la naissance et de la mort&nbsp;&ndash;&nbsp;de l&rsquo;&eacute;mission et du retour au silence.</p> <h2><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> <em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em>, Paris, L&rsquo;Auteur et l&rsquo;Illustrateur, 1969.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Sur ces premi&egrave;res variantes, voir les &eacute;l&eacute;ments bibliographiques pr&eacute;sent&eacute;s de mani&egrave;re tr&egrave;s pr&eacute;cise dans <em>Obliques, num&eacute;ro sp&eacute;cial Butor-Masurovsky</em>, f&eacute;vrier 1976, p.&nbsp;156.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Dans l&rsquo;&laquo;&nbsp;Entretien&nbsp;&raquo; qui ouvre le num&eacute;ro sp&eacute;cial d&rsquo;<em>Obliques</em>, Butor, dialoguant avec Masurovsky, rappelle pr&eacute;cis&eacute;ment la gen&egrave;se de <em>L&rsquo;&OElig;il des sargasses</em>, mais sans mentionner l&rsquo;&eacute;tape radiophonique&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ensuite, j&rsquo;ai voulu reprendre ces textes, ces trente ou trente-six variantes pour en faire alors un seul texte qui varie successivement depuis le d&eacute;but jusqu&rsquo;&agrave; la fin. Cela a &eacute;t&eacute; assez compliqu&eacute; et apr&egrave;s bien des essais, j&rsquo;ai abouti &agrave; la solution suivante&nbsp;: non seulement une suite de variantes, de strophes qui correspondent chacune &agrave; une des gravures, mais deux qui se superposent, deux suites qui bougent diff&eacute;remment comme des &eacute;crans sur des moirures. Et entre ces deux couches, il y a des mots qui interviennent progressivement. Comme le texte est encore une fois marin, les mots qui se prom&egrave;nent sur lui ont &eacute;t&eacute; tout naturellement des termes de marine et c&rsquo;est ainsi que peu &agrave; peu, sur ce texte, s&rsquo;est impos&eacute; le th&egrave;me de la d&eacute;couverte de l&rsquo;Am&eacute;rique par Christophe Colomb, parce que c&rsquo;est une de mes obsessions. &Agrave; partir du texte fait depuis la gravure <em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em>, j&rsquo;ai fait un nouveau texte qui s&rsquo;appelle aussi <em>l&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em>, qui a &eacute;t&eacute; &eacute;dit&eacute; ensuite (tout cela a pris pas mal d&rsquo;ann&eacute;es) par Lettera Amorosa&nbsp;; pour cette &eacute;dition, tu as fait une nouvelle gravure, qui est en quelque sorte ce qui est arriv&eacute; &agrave; la premi&egrave;re par l&rsquo;interm&eacute;diaire de tout ce travail sur le texte&nbsp;&raquo; (<em>ibid.</em>, p. 3).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Didier Denis, Ren&eacute; Farabet, Robert Georgin, Claude Roland-Manuel, Jean-Jacques Vierne (r&eacute;al.), &laquo;&nbsp;R&eacute;seau Un&nbsp;: Bergeret, Butor, Lacan, Malec &raquo;, <em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>, ORTF, diff. 29/11/1970, 20h15, notice INA&nbsp;n&deg;&nbsp;PHF06017069.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> <a href="https://radiolacan.com/fr/podcast/radiophonie/2">https://radiolacan.com/fr/podcast/radiophonie/2</a></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> L&rsquo;<em>ACR</em> a &eacute;t&eacute; cr&eacute;&eacute; en 1969 par Alain Trutat dans la continuit&eacute; du laboratoire radiophonique qu&rsquo;&eacute;tait auparavant le Club d&rsquo;Essai dirig&eacute; par Jean Tardieu. Sur l&rsquo;<em>ACR</em> et ses rapports aux &eacute;crivains, voir Christophe Deleu, Pierre-Marie H&eacute;ron, Karine Le Bail (dir.), &laquo;&nbsp;<em>A</em><em>telier de cr&eacute;ation radiophonique</em> (1969-2001)&nbsp;: la part des &eacute;crivains&nbsp;&raquo;, <em>Komodo 21</em>, n&deg;&nbsp;10, 2019, [<a href="https://komodo21.numerev.com/numeros/1265-revue-10-atelier-de-creation-radiophonique-1969-2001-la-part-des-ecrivains">en ligne</a>].</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> Je reprends ici les mots d&rsquo;Alain Trutat. Voir la transcription d&rsquo;un entretien de Trutat avec Agathe Mella en 1987 dans <em>ibid.</em>, <a href="https://komodo21.numerev.com/articles/revue-10/3262-considerer-la-radio-comme-un-des-beaux-arts">https://komodo21.numerev.com/articles/revue-10/3262-considerer-la-radio-comme-un-des-beaux-arts</a></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> Plusieurs <em>ACR</em> intitul&eacute;s &laquo;&nbsp;R&eacute;seau&nbsp;&raquo;, num&eacute;rot&eacute;s de 1 &agrave; 7, sont ainsi diffus&eacute;s entre 1970 et 1974.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> Les archives de l&rsquo;INA conservent &agrave; part cet enregistrement de Butor, qui comprend une br&egrave;ve pr&eacute;sentation de son texte puis la lecture int&eacute;grale du po&egrave;me. Notice INA n&deg;&nbsp;PHD99213576.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a> Ce quatuor reconstitu&eacute; se composait donc de Michel Butor, Jean Topart, Nelly Borgeaud et V&eacute;ra Feyder.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a> Sous ce titre est repris en 1976, dans <em>Obliques</em>, <em>op. cit.</em> p. 17-18, un texte que Butor &eacute;crivit au d&eacute;part pour Masurovsky en 1960. Il commence ainsi&nbsp;: &laquo;&nbsp;Peindre une vague&nbsp;; comment peindre une vague&nbsp;?&nbsp;&raquo;, et se termine sur une g&eacute;n&eacute;reuse r&ecirc;verie artistique qui s&rsquo;entend r&eacute;trospectivement comme la matrice m&ecirc;me des exp&eacute;rimentations po&eacute;tiques men&eacute;es ensuite par Butor.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a> &laquo;&nbsp;J&rsquo;ai vu au Nouveau-Mexique des danses avec des chants et des batteries de tambours qui durent pendant des heures, pendant des journ&eacute;es enti&egrave;res, et c&rsquo;est extraordinaire parce que c&rsquo;est un peu comme la musique r&eacute;p&eacute;titive, on entend presque la m&ecirc;me chose pendant une heure, et tout d&rsquo;un coup cela change. Ce serait dommage de ne pas l&rsquo;avoir entendue si longtemps avant, parce que cette m&eacute;tamorphose est d&rsquo;importance&nbsp;&raquo; (Michel Butor, &laquo;&nbsp;J&rsquo;aurais r&ecirc;v&eacute; composer, mais je compose avec des mots&nbsp;&raquo;, entretien de 2001 reproduit int&eacute;gralement sur le site de <em>La Revue des deux mondes</em> lors de la mort de l&rsquo;&eacute;crivain&nbsp;: https://www.revuedesdeuxmondes.fr/michel-butor-jaurais-reve-composer-compose-mots/).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a> Le concert-conf&eacute;rence autour des <em>Variations</em> <em>Diabelli</em> pour lequel l&rsquo;a sollicit&eacute; Henri Pousseur est donn&eacute; &agrave; Li&egrave;ge en septembre 1970, soit deux mois avant la diffusion de l&rsquo;<em>ACR</em>.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a> Comme beaucoup de po&egrave;tes, c&rsquo;est &agrave; Rimbaud que Butor doit en partie sa vocation d&rsquo;&eacute;crivain. Il ne cessa de le lire, de s&rsquo;en impr&eacute;gner et de l&rsquo;analyser. Il explique notamment que les<em> Illuminations</em> sont pour lui une &laquo;&nbsp;le&ccedil;on perp&eacute;tuelle&nbsp;&raquo;, un texte qu&rsquo;il cherche &agrave; &laquo;&nbsp;imiter&nbsp;&raquo; (citations issues d&rsquo;une archive radiophonique&nbsp;de l&rsquo;INA : &laquo;&nbsp;Michel Butor parle d&rsquo;Arthur Rimbaud&nbsp;&raquo;, dans Jean Couturier (r&eacute;al.), <em>Exercices d&rsquo;admiration</em>, France Culture, diff. 12/08/2002, 21h03).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a> Voir en particulier <em>6 810 000 litres d&rsquo;eau par seconde</em> (Gallimard, 1965) o&ugrave; les trombes d&rsquo;eau des Chutes du Niagara correspondent dans l&rsquo;ordre de la langue &agrave; un travail de reprise et de redistribution de longues citations litt&eacute;raires&nbsp;(en l&rsquo;occurrence deux versions d&rsquo;une description des Chutes par Chateaubriand).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a> J&rsquo;emploie &agrave; dessein ce terme de &laquo;&nbsp;permutation&nbsp;&raquo; qui fait r&eacute;f&eacute;rence, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque de cet <em>ACR</em>, &agrave; un proc&eacute;d&eacute; utilis&eacute; notamment par des po&egrave;tes composant avec des bandes magn&eacute;tiques. Je pense en particulier au po&egrave;te Brion Gysin dont les cut-up et les po&egrave;mes-permutations, comme &laquo;&nbsp;I am that I am&nbsp;&raquo;, avaient &eacute;t&eacute; bien relay&eacute;s en France dans les ann&eacute;es 1960 et repris d&eacute;j&agrave; par des &laquo;&nbsp;po&egrave;tes sonores&nbsp;&raquo; fran&ccedil;ais. Voir Cristina De Simone, <em>Prof&eacute;ractions&nbsp;!</em> <em>Po&eacute;sie en action &agrave; Paris (1946-1969)</em>, Dijon, Presses du r&eacute;el, 2018. Il me semble que le travail men&eacute; par Butor pour la version radiophonique de <em>L&rsquo;&OElig;il des Sargasses</em> n&rsquo;est pas &eacute;tranger &agrave; ces essais de po&eacute;sie sonore.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a> Voir C&eacute;line Pardo, <em>La Po&eacute;sie hors du livre (1945-1965). Le po&egrave;me &agrave; l&rsquo;&egrave;re de la radio et du disque</em>, Paris, PUPS, 2015.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a> G&eacute;rard Blanchard, &laquo;&nbsp;Le structuralisme de Michel Butor&nbsp;&raquo;, <em>Communication et langages</em>, n&deg;&nbsp;11, 1971, p. 14.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a> Michel Butor &eacute;voque l&rsquo;id&eacute;e du texte radiophonique comme &laquo;&nbsp;partition&nbsp;&raquo; dans un entretien avec Fr&eacute;d&eacute;ric-Yves Jeannet en 2000&nbsp;: &laquo;&nbsp;Quand on &eacute;crit pour la radio, on &eacute;crit en pensant avant tout &agrave; ce qu&rsquo;on va entendre. C&rsquo;est une &eacute;criture qui est dirig&eacute;e vers l&rsquo;auditif. Et donc c&rsquo;est quelque chose qui est tr&egrave;s proche d&rsquo;une &eacute;criture musicale. Au fond, on fait une partition. Et cette partition va &ecirc;tre ex&eacute;cut&eacute;e par des musiciens qui sont des acteurs donc des r&eacute;citants&nbsp;; et en utilisant d&rsquo;ailleurs un certain nombre de proc&eacute;d&eacute;s musicaux, parce qu&rsquo;il y a de la musique de temps en temps, il y a des silences et ainsi de suite&nbsp;&raquo; (Fr&eacute;d&eacute;ric-Yves Jeannet prod., <em>&Agrave; voix nue, grands entretiens d&rsquo;hier et d&rsquo;aujourd&rsquo;hui</em>, &eacute;mission du 28/11/2000, France Culture, 17h30, notice INA n&deg;&nbsp;20001128350000MF2).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a> Extrait d&rsquo;un entretien avec Georges Charbonnier, cit&eacute; dans G&eacute;rard Blanchard, art. cit., p. 15.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a> Expression que Butor emploie dans la br&egrave;ve pr&eacute;sentation enregistr&eacute;e qu&rsquo;il confie &agrave; Alain Trutat&nbsp;: &laquo;&nbsp;[&hellip;] j&rsquo;ai voulu faire vibrer les vagues du texte les unes avec les autres. Et c&rsquo;est au-dessus de cette basse marine que j&rsquo;ai dessin&eacute; quelques navires. Sur ce fond marin, on aper&ccedil;oit un voyage de d&eacute;couvertes et de mirages. J&rsquo;ai pens&eacute; en r&eacute;alisant cette version d&eacute;velopp&eacute;e au voyage de Christophe Colomb.&nbsp;&raquo;</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a> Les exp&eacute;riences de Sanguineti figurent par exemple dans &laquo;&nbsp;Neuf non neuf ou bis repetita placent&nbsp;&raquo;, <em>ACR</em> du 30/11/1969 (notice INA n&deg;&nbsp;PHD99214121), qui rapproche des r&eacute;flexions de Foucault sur le &laquo;&nbsp;langage en folie&nbsp;&raquo;, de Fran&ccedil;ois Billetdoux sur la radiodiffusion qui &laquo;&nbsp;reste &agrave; &ecirc;tre invent&eacute;e en tant que syst&egrave;me nerveux sonore&nbsp;&raquo;, de Schaeffer sur le devenir mat&eacute;riel du son, et diverses citations sonores d&rsquo;&oelig;uvres radiophoniques, th&eacute;&acirc;trales ou po&eacute;tiques.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a> Voir par exemple Claude Debon et Delphine Hautois (dir.),<em> Jean Tardieu</em><em>&nbsp;</em><em>:</em><em>&nbsp;</em><em>comment parler musique</em><em>&nbsp;</em><em>?</em> [Catalogue de l&rsquo;exposition pr&eacute;sent&eacute;e &agrave; la Biblioth&egrave;que historique de la Ville de Paris du 13 septembre au 9 novembre 2003], Paris, Paris biblioth&egrave;ques, 2003.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a> Citation donn&eacute;e par G&eacute;rard Blanchard, art. cit., p. 5.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a> <em>Ibid.</em>, p. 13.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="Auteur">Auteur</span></h3> <p style="text-align: justify;">Agr&eacute;g&eacute;e de lettres classiques et membre associ&eacute;e du Centre d&rsquo;&eacute;tude de la langue et des litt&eacute;ratures fran&ccedil;aises (Sorbonne Universit&eacute;), <strong>C&eacute;line Pardo</strong> partage ses recherches entre l&rsquo;&eacute;tude de la po&eacute;sie des XXe et XXIe si&egrave;cles et celle des relations entre litt&eacute;rature et radio. Elle a publi&eacute;&nbsp;<em>La Po&eacute;sie hors du livre (1945-1965). Le po&egrave;me &agrave; l&rsquo;&egrave;re de la radio et du disque</em>&nbsp;(PUPS, 2015) et co-dirig&eacute; plusieurs ouvrages portant sur les rapports entre po&eacute;sie et radio. Elle m&egrave;ne &eacute;galement une r&eacute;flexion sur l&rsquo;archivage audiovisuel de la po&eacute;sie : elle a co-dirig&eacute; r&eacute;cemment&nbsp;<em>Archives sonores de la po&eacute;sie</em>&nbsp;(Presses du r&eacute;el, 2020) et participe &agrave; la cr&eacute;ation d&rsquo;un site&nbsp;web qui se voudrait un &eacute;quivalent fran&ccedil;ais de&nbsp;Pennsound&nbsp;ou&nbsp;Ubuweb.</p> <h3 style="text-align: justify;"><strong>Copyright</strong></h3> <p style="text-align: justify;">Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p> </div>