<div class="entry-content"> <h3>Abstract</h3> <p>In this radio work, Michel Butor and Ren&eacute; Koering multiply the evocations of places, all around the planet. From an ecopoetic perspective, the article examines how they use the means of radio and music to make literature an art of space, to reinvent the links between place and language. It first examines how the text cites a range of works that reflect the ways in which literature and radio have attempted to account for place. It then shows how the use of noise and the musical treatment of language through electro-acoustic means or singing allows language to be installed in space.</p> <h2>Keywords<br /> &nbsp;</h2> <p class="meta-tags">France Culture, Michel Butor, Ren&eacute; Koering, ecopoetics,&nbsp;radio work, contemporary music, electro-acoustic music, RTB,&nbsp;listening centre</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><em>Centre d&rsquo;&eacute;coute </em>a &eacute;t&eacute; diffus&eacute; pour la premi&egrave;re fois dimanche 9 juillet 1972 simultan&eacute;ment dans l&rsquo;Atelier de cr&eacute;ation radiophonique de France Culture (num&eacute;ro &laquo; &Eacute;cho ‒ &Eacute;coutes &raquo;) et sur le troisi&egrave;me programme de la RTB, puis rediffus&eacute; dans l&rsquo;Atelier de cr&eacute;ation radiophonique du 2 janvier 1973 (num&eacute;ro &laquo; R&eacute;seau 5 modulations &raquo;), &agrave; la suite d&rsquo;&oelig;uvres radiophoniques de Claude Ollier et d&rsquo;Edgardo Cant&oacute;n. C&rsquo;est une co-cr&eacute;ation de Michel Butor, qui se charge du texte, et de Ren&eacute; Koering, qui compose la musique. Cependant, cette dichotomie ne refl&egrave;te pas la profondeur de leur collaboration, puisque Butor, toujours curieux des potentialit&eacute;s artistiques offertes par les compagnonnages avec d&rsquo;autres artistes, utilise le m&eacute;dia radiophonique et la musique de Koering pour inventer une forme po&eacute;tique et musicale utilisant, dit-il, &laquo; le fait radiophonique [&hellip;] dans toute sa profondeur&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;">La mani&egrave;re de faire a sch&eacute;matiquement &eacute;t&eacute; la suivante : Koering a d&rsquo;abord fait entendre &agrave; l&rsquo;&eacute;crivain l&rsquo;ensemble des mat&eacute;riaux sonores, d&eacute;j&agrave; largement travaill&eacute;s, qu&rsquo;il avait d&eacute;cid&eacute; d&rsquo;utiliser ; Butor a ensuite produit un texte compos&eacute; de quinze &laquo; cartes postales&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a> &raquo;, dont le compositeur a suivi l&rsquo;articulation pour structurer son &oelig;uvre musicale.</p> <p style="text-align: justify;">Dans une perspective &eacute;copo&eacute;tique, je montrerai ici que l&rsquo;&eacute;crivain utilise les moyens du m&eacute;dia radiophonique pour faire de la litt&eacute;rature un art de l&rsquo;espace, pour r&eacute;inventer les liens entre le &laquo; lieu &raquo; et le langage. Il s&rsquo;agira d&rsquo;abord de voir comment, par le jeu des citations notamment, <em>Centre d&rsquo;&eacute;coute</em> devient une somme des relations qu&rsquo;entretiennent litt&eacute;rature et musique avec le &laquo; lieu &raquo;. Puis d&rsquo;&eacute;tudier comment le m&eacute;dia radiophonique d&eacute;multiplie les potentialit&eacute;s de la langue et de la musique pour offrir de nouvelles possibilit&eacute;s d&rsquo;&eacute;criture. &nbsp;</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="1_Dire_et_jouer_le_lieu">1. Dire et jouer le lieu</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Le m&eacute;dia radiophonique appara&icirc;t d&rsquo;abord &agrave; Michel Butor comme un outil technique permettant de communiquer imm&eacute;diatement avec les quatre coins du globe. Il d&eacute;clare ainsi&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;important &eacute;tait de r&eacute;ussir &agrave; passer d&rsquo;un lieu &agrave; l&rsquo;autre dans le texte aussi ais&eacute;ment que l&rsquo;on peut le faire dans une station d&rsquo;&eacute;coute en changeant un simple r&eacute;glage&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>.&nbsp;&raquo; Pour parvenir &agrave; cette fluidit&eacute; spatiale, l&rsquo;&eacute;crivain utilise plusieurs proc&eacute;d&eacute;s dans la construction m&ecirc;me de son texte.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="11_Recits_de_voyage">1.1 R&eacute;cits de voyage</span></h3> <p style="text-align: justify;">D&rsquo;abord, comme souvent, il invite d&rsquo;autres &eacute;crivains par l&rsquo;usage des citations. Il choisit ceux qu&rsquo;il appelle &laquo;&nbsp;d&rsquo;illustres descripteurs, Marco Polo, Nerval, Chateaubriand et d&rsquo;autres&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>&nbsp;&raquo;, parce que ceux-ci sont capables de &laquo;&nbsp;donner voix &agrave; des r&eacute;gions tr&egrave;s distantes les unes des autres&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]&nbsp;</a>&raquo;. Si l&rsquo;on regarde le d&eacute;tail des textes cit&eacute;s, on se rend compte que Michel Butor d&eacute;ploie une large palette de relations entre litt&eacute;rature et voyage&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Dans la premi&egrave;re carte postale, Butor choisit des textes qui invitent au voyage&nbsp;: il s&rsquo;agit plut&ocirc;t de r&ecirc;ver d&rsquo;ailleurs que de d&eacute;crire des pays lointains. Un premier extrait du <em>Roi-Lune </em>d&rsquo;Apollinaire d&eacute;crit un voyage dans un registre merveilleux. Puis vient une lettre de Descartes &agrave; Jean-Louis G. dit Balzac, dans laquelle le philosophe invite son correspondant &agrave; le rejoindre &agrave; Amsterdam, ville ouverte sur le monde par son port, plut&ocirc;t que d&rsquo;aller &agrave; la campagne. Ce texte en am&egrave;ne un autre, notamment par l&rsquo;interm&eacute;diaire du mot &laquo;&nbsp;vaisseaux&nbsp;&raquo;&nbsp;: c&rsquo;est l&rsquo;invitation au voyage de Baudelaire. Le voyage n&rsquo;y est que sugg&eacute;r&eacute;, contempl&eacute; depuis un &laquo;&nbsp;ici&nbsp;&raquo; langoureux ou confortable. Au contraire, un peu plus loin, Butor nous offre des extraits de r&eacute;cits de voyage qui mettent en avant le d&eacute;paysement. On trouve ainsi un extrait du <em>Voyage en Orient </em>de G&eacute;rard de Nerval&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;aurore, en &Eacute;gypte, n&rsquo;a pas ces belles teintes vermeilles qu&rsquo;on admire dans les Cyclades ou sur les c&ocirc;tes de Candie&nbsp;; le soleil &eacute;clate tout &agrave; coup au bord du ciel, pr&eacute;c&eacute;d&eacute; seulement d&rsquo;une vague lueur blanche&nbsp;; quelquefois il semble avoir peine &agrave; soulever les longs plis d&rsquo;un linceul gris&acirc;tre, et nous appara&icirc;t p&acirc;le et priv&eacute; de rayons, comme l&rsquo;Osiris souterrain&nbsp;; son empreinte d&eacute;color&eacute;e attriste encore le ciel aride, qui ressemble alors, &agrave; s&rsquo;y m&eacute;prendre, au ciel couvert de notre Europe, mais qui, loin d&rsquo;amener la pluie, absorbe toute humidit&eacute;. Cette poudre &eacute;paisse qui charge l&rsquo;horizon ne se d&eacute;coupe jamais en frais nuages comme nos brouillards&nbsp;: &agrave; peine le soleil, au plus haut point de sa force, parvient-il &agrave; percer l&rsquo;atmosph&egrave;re cendreuse sous la forme d&rsquo;un disque rouge, qu&rsquo;on croirait sorti des forges libyques du dieu Phtha.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Cet extrait, comme les autres qu&rsquo;on trouve dans <em>Centre d&rsquo;&eacute;coute</em>, fait entendre la fascination du voyageur ; si la description porte bien sur le pays &eacute;tranger, on per&ccedil;oit aussi le regard occidental &eacute;tonn&eacute; et &eacute;bloui, notamment dans l&rsquo;&eacute;vocation du &laquo; ciel couvert de notre Europe &raquo; ou &laquo; nos brouillards &raquo;, qui fait du &laquo; ici &raquo; de l&rsquo;Occident le point de r&eacute;f&eacute;rence. Par ailleurs, l&rsquo;&eacute;vocation d&rsquo;Osiris, du dieu Phtha et des forges libyques soulignent la fascination de Nerval pour la culture &eacute;gyptienne : on y sent l&rsquo;orientalisme en vogue chez les &eacute;crivains du XIX<sup>e</sup> si&egrave;cle, et chez Nerval en particulier&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>. On entend ensuit un extrait des <em>Enfants du Capitaine Grant </em>de Jules Verne, dans lequel est d&eacute;crite l&rsquo;Australie comme une &laquo;&nbsp;contr&eacute;e bizarre, illogique, s&rsquo;il en f&ucirc;t jamais, terre paradoxale et form&eacute;e contre-nature&nbsp;&raquo;&nbsp;: la projection du regard occidental, qui prend pour r&eacute;f&eacute;rent ce qu&rsquo;il conna&icirc;t, est ici &agrave; son comble.</p> <p style="text-align: justify;">On per&ccedil;oit ensuite des extraits de documentaires radiophoniques, d&eacute;crivant divers lieux, notamment des villes lointaines&nbsp;; on comprend ainsi comment le d&eacute;sir d&rsquo;ailleurs et les fantasmes occidentaux accompagnent le propos, y compris dans ces documentaires. &nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">Dans les derni&egrave;res &laquo;&nbsp;cartes postales&nbsp;&raquo;, sont cit&eacute;s des textes dans lesquels le narrateur europ&eacute;en se fait plus discret, laissant toute la place &agrave; l&rsquo;enregistrement des sons et des voix &eacute;trang&egrave;res. On trouve ainsi un extrait de <em>Mobile,</em> &oelig;uvre de 1962 dans laquelle Butor met en repr&eacute;sentation les &Eacute;tats-Unis. L&rsquo;extrait fait entendre un dialogue de rue dans lequel s&rsquo;invitent des extraits publicitaires, dont on peut penser qu&rsquo;ils peuplent l&rsquo;inconscient des personnages &ndash; si on peut encore les appeler ainsi. Bien qu&rsquo;&eacute;crit en fran&ccedil;ais, l&rsquo;extrait semble donc offrir la pens&eacute;e de deux am&eacute;ricain&middot;es :</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;"><strong>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </strong>Mademoiselle&nbsp;!</p> <p style="text-align: justify;">Fumez&hellip;</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Ce n&rsquo;est pas &agrave; vous&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">Buvez&hellip;</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Oh, merci&hellip;</p> <p style="text-align: justify;">Mangez&hellip;</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Vous vous sentez mal&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">Rentrer,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Rentrez,</p> <p style="text-align: justify;">Dormez,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Dormir,</p> <p style="text-align: justify;">Avez-vous pens&eacute; &agrave; acheter vos kleenex&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Si vous pensez que toutes les soupes concentr&eacute;es&hellip;</p> <p style="text-align: justify;">Avez-vous pens&eacute;&hellip;</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Si vous pensez&hellip;</p> <p style="text-align: justify;">Uiie,&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">uuiiie,</p> <p style="text-align: justify;">vez-vous pens&eacute;,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; vous pens&eacute;,</p> <p style="text-align: justify;">olez,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; umez,</p> <p style="text-align: justify;">cacola,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; cicola,</p> <p style="text-align: justify;">clic,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; clac,</p> <p style="text-align: justify;">qu&rsquo;est-ce que c&rsquo;est&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; ce n&rsquo;est rien,</p> <p style="text-align: justify;">vraiment rien,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; rien,</p> <p style="text-align: justify;">uvez,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; angez,</p> <p style="text-align: justify;">mal&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; merci,</p> <p style="text-align: justify;">c&rsquo;est l&agrave;,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; bonsoir,</p> <p style="text-align: justify;">je t&rsquo;aime,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; entrez,</p> <p style="text-align: justify;">ormez,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; ormir,</p> <p style="text-align: justify;">respirer,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; respirez,</p> <p style="text-align: justify;">spirez,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; pirez,</p> <p style="text-align: justify;">irez,</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; les bruits de la nuit&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><strong>&nbsp;</strong>Il s&rsquo;agit d&rsquo;un &eacute;change entre un homme noir et une femme blanche. L&rsquo;homme interpelle la femme, qui a peur d&rsquo;&ecirc;tre agress&eacute;e et est travers&eacute;e par des pens&eacute;es racistes. L&rsquo;homme finit par lui dire qu&rsquo;il a ramass&eacute; quelque chose qu&rsquo;elle avait laiss&eacute; tomber. S&rsquo;ensuivent des d&eacute;clarations d&rsquo;amour dont on ne sait qui les dit. Le dialogue refl&egrave;te le racisme et l&rsquo;ambivalence du rapport des Am&eacute;ricains blancs aux Am&eacute;ricains noirs, largement soulign&eacute;s par <em>Mobile</em>. S&rsquo;y entrem&ecirc;lent des extraits publicitaires sugg&eacute;rant la pr&eacute;gnance de la publicit&eacute;, et plus largement de la consommation de masse dans la culture am&eacute;ricaine. Il s&rsquo;agit de donner &agrave; sentir ce que Butor appelle &laquo;&nbsp;le g&eacute;nie du lieu &raquo;, li&eacute; ici &agrave; un certain type de mentalit&eacute; et de hantises. Remarquons au passage &ndash; j&rsquo;y reviendrai &ndash; la fa&ccedil;on dont le dialogue se m&ecirc;le aux bruits de pluie et au son d&rsquo;un saxophone, chaque strate sonore prenant par instant le dessus.</p> <p style="text-align: justify;">Du d&eacute;sir d&rsquo;ailleurs &agrave; la description lyrique d&rsquo;un territoire largement fantasm&eacute;, &agrave; l&rsquo;&eacute;criture des mentalit&eacute;s, les citations litt&eacute;raires explorent donc les diff&eacute;rents rapports entretenus par la litt&eacute;rature et les lieux.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="12_Communiquer_a_travers_le_monde">1.2. Communiquer &agrave; travers le monde</span></h3> <p style="text-align: justify;">Le texte de <em>Centre d&rsquo;&eacute;coute </em>est aussi compos&eacute; de trois s&eacute;ries. La premi&egrave;re, issue du po&egrave;me en prose de Butor &laquo; Je hais Paris &raquo;, se construit sur le mod&egrave;le &laquo; all&ocirc; Paris &raquo; + adjectifs nominalis&eacute;s au f&eacute;minin, avec certaines variations. Ce sont parfois d&rsquo;autres villes qui viennent remplacer la capitale fran&ccedil;aise, et &laquo; Paris &raquo; est parfois sous-entendu. Voici certains extraits de cette s&eacute;rie de formules&nbsp;:</p> <ol style="text-align: justify;"> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc; Paris la cligneuse&nbsp;&raquo;</li> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc; Paris la vant&eacute;e, Paris la chant&eacute;e&nbsp;&raquo;</li> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc; Paris gueuse la charmeuse, la menteuse la hargneuse la baveuse bavasseuse&nbsp;&raquo;</li> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc; Paris paresse, purin pur&eacute;e, carie caresse, caveau cur&eacute;e, vous qui n&rsquo;&ecirc;tes pas de Berlin, venez &agrave; Berlin, car Berlin vaut bien le voyage et vous pourrez y voir les gens qui viennent &agrave; Berlin [&hellip;] all&ocirc;, ici Stockholm, &raquo;</li> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc; la voleuse venimeuse, la cagneuse caqueteuse, la v&eacute;reuse vaniteuse&nbsp;&raquo;</li> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc; des cliques des claques, du fric des flaques, des briques qui craquent, des ploucs qui plaquent, la trique la traque, all&ocirc;&nbsp;; ici Dakar [&hellip;], all&ocirc;, ici Moscou&nbsp;&raquo;</li> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc; Paris ch&eacute;rie, crassie rancie, marrie tarrie, Paris pourrie, all&ocirc;, ici Caracas&nbsp;&raquo;</li> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc; Paris mangeaille, mitron mitraille, rupins ripailles, frichti flicaille, all&ocirc;, ici Hang-Tch&eacute;ou, [&hellip;], all&ocirc; Paris Beaux-Arts, chicards roublards, gueulards tocards, cafards vantards, all&ocirc; ici Lagos&nbsp;&raquo;</li> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc; Paris palace, velours vinasse, mamours m&eacute;lasse, virus vivaces, all&ocirc; ici Oulan-Bator&nbsp;&raquo;</li> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc; Paris pouilleuse glaneuse, la rieuse soucieuse, malicieuse, malheureuse&nbsp;&raquo;</li> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc;, nous voici &agrave; New-York o&ugrave; chantent les vaisseaux sur l&rsquo;Hudson, all&ocirc; Paris la nuit, la rue la glu, Paris la pluie, la suie le pus&nbsp;&raquo;</li> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc; la brumeuse t&eacute;n&eacute;breuse, la r&ecirc;veuse merveilleuse, la dormeuse matineuse&nbsp;&raquo;</li> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc; Paris l&rsquo;us&eacute;e, Paris rus&eacute;e&nbsp;&raquo;</li> <li>&laquo;&nbsp;all&ocirc; Paris la m&eacute;lancolieuse&nbsp;&raquo;.</li> </ol> <p style="text-align: justify;">Cette s&eacute;rie permet &agrave; la fois d&rsquo;ancrer l&rsquo;auditeur &agrave; Paris, le nom de la ville revenant comme un refrain, et d&rsquo;ouvrir Paris &agrave; toutes sortes de r&eacute;gions du monde&nbsp;: c&rsquo;est bien la fonction des stations d&rsquo;&eacute;coute &laquo;&nbsp;en changeant un simple r&eacute;glage&nbsp;&raquo;, comme le dit Michel Butor dans sa pr&eacute;sentation. La s&eacute;rie des &laquo;&nbsp;all&ocirc;&nbsp;&raquo; introduit dans le texte cette fluidit&eacute; des parcours dans le monde.</p> <p style="text-align: justify;">&Agrave; cela s&rsquo;ajoute &ndash; deuxi&egrave;me s&eacute;rie &ndash; des &laquo; avez-vous rencontr&eacute; &raquo; + nom de la compagne ou de l&rsquo;une des filles de Butor, qui am&egrave;nent de l&rsquo;intime dans le texte : comme le retour du nom de la ville de Paris, ces pr&eacute;noms donnent un foyer &agrave; l&rsquo;auditeur. Le mot est de l&rsquo;&eacute;crivain, qui pr&eacute;sente ainsi la r&eacute;currence des mentions &agrave; Paris : &laquo; avec une r&eacute;f&eacute;rence r&eacute;guli&egrave;re &agrave; Paris, un refrain, pour leur donner un foyer&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]&nbsp;</a>&raquo;. Ces voyages de par le monde ne sont pas un &eacute;clatement ou une dispersion, mais plut&ocirc;t une ouverture&nbsp;: depuis son foyer, vers les quatre coins du monde, ce qui peut s&rsquo;entendre comme une autre m&eacute;taphore de l&rsquo;&eacute;coute radiophonique, ou de la lecture.</p> <p style="text-align: justify;">Une troisi&egrave;me s&eacute;rie int&egrave;gre des personnages issus de la culture mondiale : on trouve ainsi : &laquo; avez-vous des nouvelles de l&rsquo;inventeur de la g&eacute;om&eacute;trie analytique et de l&rsquo;amant de Jeanne&nbsp;? &raquo; (allusion &agrave; Ren&eacute; Descartes et &agrave; son &eacute;pouse Jeanne Morin, juste apr&egrave;s une allusion &agrave; Stockholm o&ugrave; le philosophe a s&eacute;journ&eacute; aupr&egrave;s de la reine Christine) ; &laquo; avez-vous des nouvelles du marchand de Venise ? &raquo; (titre d&rsquo;une com&eacute;die de Shakespeare) ; &laquo; avez-vous des nouvelles du Prince d&rsquo;Aquitaine ? &raquo; (allusion au po&egrave;me &laquo; El Desdichado &raquo; de Nerval) ; &laquo; avez-vous des nouvelles des enfants du capitaine Grant ? &raquo; (titre d&rsquo;un roman de Jules Vernes).</p> <p style="text-align: justify;">Ces trois s&eacute;ries pr&eacute;sentent diverses modalit&eacute;s de circulation des discours par-del&agrave; les fronti&egrave;res et les mers, des plus publiques aux plus intimes. Le texte inscrit ainsi les potentialit&eacute;s qu&rsquo;offre la radio dans l&rsquo;histoire des communications mondiales.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="13_Musiques_folkloriques_et_bruits_enregistres">1.3. Musiques folkloriques et bruits enregistr&eacute;s</span></h3> <p style="text-align: justify;">Ren&eacute; Koering a compos&eacute; la musique &agrave; partir de mat&eacute;riaux musicaux divers, qu&rsquo;il d&eacute;crit ainsi&nbsp;:</p> <p style="text-align: justify;">&ndash; &nbsp;des ondes courtes capt&eacute;es sur des gammes courtes, essentiellement la nuit et allant de messages personnels &agrave; des &eacute;missions musicales en passant par des messages cod&eacute;s militaires ou commerciaux, provenant des quatre coins du monde et de l&rsquo;espace&nbsp;;</p> <p style="text-align: justify;">&ndash; &nbsp;des fragments pr&eacute;existants de musique instrumentale, provenant de partitions ant&eacute;rieures : &laquo; Images du couloir &raquo;, pour violon et orchestre, Pi&egrave;ce pour clarinette et deux pianos, jou&eacute;e par Michel Portal et Katia et Marielle Lab&egrave;que (qui jouent la transcription du Mahler final) ;</p> <p style="text-align: justify;">&ndash; &nbsp;une voix chant&eacute;e, tr&egrave;s sp&eacute;ciale, utilisant essentiellement les possibilit&eacute;s insoup&ccedil;onn&eacute;es du gosier et de la respiration, r&eacute;alis&eacute;e par l&rsquo;incroyable Tamia&nbsp;;</p> <p style="text-align: justify;">&ndash; &nbsp;le texte de Butor, dit par lui-m&ecirc;me et par la com&eacute;dienne Thalie Fruges&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Le premier type de mat&eacute;riau m&rsquo;int&eacute;resse tout particuli&egrave;rement. D&rsquo;abord, il montre que <em>Centre d&rsquo;&eacute;coute</em>, dans sa composition musicale, est aussi une r&eacute;flexion et un hommage &agrave; l&rsquo;art radiophonique : le mat&eacute;riau principal provient d&rsquo;&eacute;missions radiophoniques, retravaill&eacute;es pour s&rsquo;inscrire dans la composition de Ren&eacute; Koering. De plus, dans le choix des &eacute;l&eacute;ments, le compositeur balaie le spectre des &eacute;changes radiophoniques, du message intime au message commercial, militaire ou musical : cette &oelig;uvre radiophonique se veut ainsi, par le jeu des citations, une &oelig;uvre-somme, r&eacute;sumant les potentialit&eacute;s de la radio.</p> <p style="text-align: justify;">Ces extraits radiophoniques impliquent la pr&eacute;sence de citations musicales ou textuelles, dans toutes sortes de langue. Ces citations musicales s&rsquo;articulent avec le texte pour &eacute;voquer des lieux. Certains types de musiques font en effet penser &agrave; des villes ou &agrave; des nationalit&eacute;s&nbsp;: ainsi, &agrave; 22h48, on entend du jazz, et &agrave; 22h51, le texte &eacute;voque Chicago. Les enregistrements de bruit permettent d&rsquo;entendre, litt&eacute;ralement, les endroits dont il est question dans le texte&nbsp;: la douzi&egrave;me carte postale, qui comporte un extrait de <em>Mobile </em>de Michel Butor, int&egrave;gre les enregistrements de bruits r&eacute;alis&eacute;s par l&rsquo;auteur durant son voyage aux &Eacute;tats-Unis. La pr&eacute;sence de messages cod&eacute;s militaires ou commerciaux, parfois fortement d&eacute;form&eacute;s, est aussi &agrave; rapprocher des fragments de discours publicitaires contenus dans <em>Mobile</em>&nbsp;: on peut estimer que ces messages nous donnent &agrave; entendre une partie de la mentalit&eacute; d&rsquo;un pays.</p> <p style="text-align: justify;">Si les citations recensent et illustrent le pass&eacute;, radiophonique ou musical, la voix de la chanteuse Tamia inscrit la musique de Ren&eacute; Koering dans les avant-gardes musicales&nbsp;: la chanteuse ouvre ainsi les lieux cit&eacute;s &agrave; une exploration in&eacute;dite. Plus largement, le traitement &eacute;lectro-acoustique des voix invite &agrave; un d&eacute;passement du connu, ce que le texte de Michel Butor relaie lui aussi, puisque le dernier voyage &eacute;voqu&eacute; par l&rsquo;auteur est celui du mourant&nbsp;: &laquo;&nbsp;all&ocirc; je suis enferm&eacute;e, je suis immobilis&eacute;e dans mon lit, le bombardement continue, je suis mur&eacute;e, je respire encore, pour longtemps&nbsp;&raquo;, entend-t-on. Lorsque la com&eacute;dienne r&eacute;cite ce texte, sa voix est modifi&eacute;e&nbsp;: &laquo;&nbsp;Un autre proc&eacute;d&eacute; utilis&eacute; a &eacute;t&eacute; celui, dans les graves moments d&rsquo;anxi&eacute;t&eacute; de la fille, de transcrire le texte en r&eacute;currence, de l&rsquo;enregistrer ainsi et de le mixer dans le sens normal&nbsp;: le r&eacute;sultat est une &eacute;mission difficile et pleine de heurts&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>. &raquo; Ces proc&eacute;d&eacute;s &eacute;lectro-acoustiques ont bien s&ucirc;r une fonction expressive, soulignant l&rsquo;anxi&eacute;t&eacute; et l&rsquo;agonie du personnage : ils produisent aussi une voix post-humaine, modifi&eacute;e par la machine. Le texte se termine sur l&rsquo;apaisement subi de la jeune fille &agrave; la d&eacute;couverte de son &laquo;&nbsp;immortalit&eacute; spatiale &raquo;, le voyage se faisant plan&eacute;taire et s&rsquo;offrant l&rsquo;espace. On entend &agrave; ce moment-l&agrave; la fin du <em>Chant de la Terre</em> (<em>Das Lied von Erde</em>) de Gustav Malher transcrit pour piano, choisi par le compositeur parce qu&rsquo;il raconte lui aussi un apaisement face &agrave; la mort et se conclut sur la double r&eacute;p&eacute;tition de &laquo;&nbsp;ewig&nbsp;&raquo; (&laquo;&nbsp;&eacute;ternellement&nbsp;&raquo;), quand Butor r&eacute;p&egrave;te, lui, &laquo;&nbsp;longtemps, longtemps&nbsp;&raquo;&nbsp;: musique et texte se rejoignent pour ouvrir le voyage sur l&rsquo;inconnu de l&rsquo;espace et de la mort.</p> <h2><span id="2_Un_texte_ecrit_pour_loreille_langage_et_musique">2. Un texte &eacute;crit pour l&rsquo;oreille : langage et musique</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Le fait que le mat&eacute;riau musical lui-m&ecirc;me int&egrave;gre du langage, mais dans des langues <em>a priori </em>non ma&icirc;tris&eacute;es par l&rsquo;auditeur francophone, brouille les limites entre musique et langage. On est ainsi invit&eacute; &agrave; &eacute;couter les mots uniquement pour leurs caract&eacute;ristiques sonores, ce qui est la vertu principale de l&rsquo;&eacute;coute radiophonique, d&rsquo;apr&egrave;s Michel Butor&nbsp;:&nbsp;</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Lorsque j&rsquo;&eacute;cris pour l&rsquo;oreille, sp&eacute;cialement pour l&rsquo;oreille, je traite &eacute;videmment les mots comme des ph&eacute;nom&egrave;nes auditifs, c&rsquo;est-&agrave;-dire que si on veut j&rsquo;&eacute;cris dans la musique avec les mots, mais d&rsquo;une mani&egrave;re tout &agrave; fait diff&eacute;rente de la fa&ccedil;on dont on pouvait entendre de telles expressions &agrave; l&rsquo;&eacute;poque symboliste. La radio a cet avantage consid&eacute;rable qu&rsquo;elle nous rend aveugle &agrave; volont&eacute;. Lorsque j&rsquo;&eacute;coute quelque chose &agrave; la radio (c&rsquo;est la m&ecirc;me chose avec un magn&eacute;tophone ou un disque), il y a une s&eacute;paration compl&egrave;te entre ce que j&rsquo;entends et ce que je vois, ce qui n&rsquo;existe pas par exemple lorsque je parle avec quelqu&rsquo;un dont je vois les attitudes, les gestes. Dans le travail pour la radio, le mot manifeste compl&egrave;tement ses qualit&eacute;s d&rsquo;&eacute;v&eacute;nement sonore.</p> <p style="text-align: justify;">Un premier point donc&nbsp;: les textes en question sont des textes faits pour l&rsquo;oreille et donc qui se pr&ecirc;tent d&rsquo;eux-m&ecirc;mes &agrave; la musique&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Nous privant du mot &eacute;crit comme de la vision du r&eacute;f&eacute;rent, la radio concentre notre attention sur les sonorit&eacute;s des mots. Le choix de l&rsquo;&eacute;crivain se fait donc en fonction de celles-ci. Cependant, Butor prend soin de diff&eacute;rencier sa pratique de l&rsquo;&eacute;criture radiophonique des tentatives symbolistes pour faire de la musique avec les mots : il pense sans doute ici au c&eacute;l&egrave;bre &laquo; Art po&eacute;tique &raquo; de Verlaine (&laquo; De la musique avant toute chose, // Et pour cela pr&eacute;f&egrave;re l&rsquo;impair &raquo;&hellip;). Les sonorit&eacute;s travaill&eacute;es par lui ne concernent pas le nombre de syllabes ou la prosodie en g&eacute;n&eacute;ral. Il ne s&rsquo;agit pas non plus exactement de rimes. Les mots se font mati&egrave;re sonore, de fa&ccedil;on &agrave; s&rsquo;int&eacute;grer &agrave; l&rsquo;ensemble musical qu&rsquo;est l&rsquo;&eacute;mission radiophonique. La musique n&rsquo;est pas le mod&egrave;le selon lequel s&rsquo;&eacute;crit la po&eacute;sie ; c&rsquo;est dans leurs caract&eacute;ristiques sonores intrins&egrave;ques que les mots puisent leur accointance naturelle avec la musique.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="21_Musique_bruitiste">2.1. Musique bruitiste</span></h3> <p style="text-align: justify;">D&rsquo;abord, les mots deviennent des bruits, au sens o&ugrave; pouvaient l&rsquo;entendre les praticiens de la musique bruitiste. C&rsquo;est surtout le cas dans les interventions de la chanteuse Tamia. Les sons &eacute;mis par sa voix se fondent dans la musique &eacute;lectro-acoustique, jouant sur des timbres peu usit&eacute;s&nbsp;: la voix, comme les sons &eacute;lectro-acoustiques, explorent les potentialit&eacute;s des bruits et transcendent largement les sons traditionnellement associ&eacute;s &agrave; la musique.</p> <p style="text-align: justify;">D&rsquo;apr&egrave;s l&rsquo;&eacute;crivain, les cartes postales poss&egrave;dent des &laquo;&nbsp;timbres&nbsp;&raquo; diff&eacute;rents, pour s&rsquo;accorder &agrave; la musique&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">[&hellip;] le texte de <em>Centre d&rsquo;&eacute;coute </em>fait se succ&eacute;der des couleurs ou des timbres de textes diff&eacute;rents, c&rsquo;est-&agrave;-dire que l&rsquo;articulation n&rsquo;est pas une articulation grammaticale normale, c&rsquo;est une articulation qu&rsquo;on pourrait appeler hyper-grammaticale entre des timbres de phrases, entre des timbres de textes diff&eacute;rents&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><strong>&nbsp;</strong>Le mot &laquo; timbre &raquo; d&eacute;crit la qualit&eacute; sonore sp&eacute;cifique &agrave; chaque instrument ou &agrave; chaque voix humaine. Consid&eacute;rer que la qualit&eacute; sonore du mot est un timbre ne va pas de soi :&nbsp; c&rsquo;est assimiler le mot &agrave; une mati&egrave;re sonore. &Agrave; l&rsquo;&eacute;coute de l&rsquo;&oelig;uvre , on peut penser que ce timbre est constitu&eacute; de plusieurs param&egrave;tres :</p> <p style="text-align: justify;">&ndash; &nbsp;les sonorit&eacute;s choisies, notamment dans les adjectifs nominalis&eacute;s appliqu&eacute;s &agrave; Paris&nbsp;: certaines cartes postales privil&eacute;gient les assonances et les mots de deux syllabes, produisant une impression de douceur voire de lenteur (&laquo;&nbsp;all&ocirc; Paris gueuse la charmeuse, la menteuse la hargneuse la baveuse bavasseuse&nbsp;&raquo;), tandis que d&rsquo;autres multiplient les allit&eacute;rations et les mots monosyllabiques, cr&eacute;ant un timbre plus brutal&nbsp; (&laquo;&nbsp;all&ocirc; des cliques des claques, du fric des flaques, des briques qui craquent, les ploucs qui plaquent, la trique la traque&nbsp;&raquo;)&nbsp;;</p> <p style="text-align: justify;">&ndash; &nbsp;les r&eacute;f&eacute;rents &eacute;voqu&eacute;s&nbsp;: si on reprend les deux exemples ci-dessous, la douceur du timbre du premier vient aussi du fait que Paris y est personnifi&eacute;e en femme&nbsp;; au contraire le deuxi&egrave;me exemple renvoie &agrave; un univers crapuleux et sordide&nbsp;;</p> <p style="text-align: justify;">&ndash; &nbsp;les intonations de la com&eacute;dienne et la modification des voix par des moyens &eacute;lectro-acoustiques, qui s&rsquo;accordent avec la dimension psychologique de son message.</p> <p style="text-align: justify;">On comprend ainsi que le &laquo;&nbsp;timbre&nbsp;&raquo; du mot, s&rsquo;il est d&rsquo;abord d&eacute;fini par les caract&eacute;ristiques purement sonores du mot, englobe aussi le r&eacute;f&eacute;rent auquel il renvoie. Ren&eacute; Koering insiste d&rsquo;ailleurs, dans sa participation au colloque de Cerisy, sur les qualit&eacute;s &laquo;&nbsp;expressionnistes&nbsp;&raquo; du texte butorien et de sa musique&nbsp;: la citation de Mahler &agrave; la fin permet, selon lui, d&rsquo;assumer cette part d&rsquo;expressivit&eacute; affective comprise par le texte et la musique, loin des id&eacute;es re&ccedil;ues sur l&rsquo;&eacute;criture du Nouveau Roman ou de la musique contemporaine atonale. Cette expressivit&eacute; r&eacute;v&eacute;l&eacute;e du langage est aussi un moyen de rendre les mots capables de traduire l&rsquo;atmosph&egrave;re d&rsquo;un endroit, de d&eacute;peindre un lieu&nbsp;: les exemples ci-dessus d&eacute;crivent par exemple une Paris ville de l&rsquo;amour, puis une Paris mafieuse et crapuleuse.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="22_Musique_electro-acoustique_spatialiser_les_voix">2.2. Musique &eacute;lectro-acoustique&nbsp;: spatialiser les voix</span></h3> <p style="text-align: justify;"><em>Centre d&rsquo;&eacute;coute </em>fait du langage un &eacute;l&eacute;ment musical qui peut &ecirc;tre trait&eacute; de la m&ecirc;me mani&egrave;re que les autres mat&eacute;riaux sonores utilis&eacute;s par le compositeur, par un jeu sur les canaux et les volumes donnant l&rsquo;impression que la voix vient de droite ou de gauche, de pr&egrave;s ou de loin, ou par des modulations de hauteurs et de d&eacute;bits. Ce travail se concentre principalement dans la douzi&egrave;me carte postale. Voici comment Ren&eacute; Koering la d&eacute;crit&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Une petite note en d&eacute;but de texte indique la volont&eacute; de l&rsquo;auteur selon laquelle ce dialogue doit &ecirc;tre lu par une seule voix. J&rsquo;ai donc pris le plaisir de travailler cette voix (celle de Butor), ce monologue, et les caprices imagin&eacute;s de la retransmission et de la r&eacute;ception aidant, d&rsquo;en faire une sorte de ballet ironique sur le timbre de la voix, en appliquant &agrave; l&rsquo;enregistrement un son de violoncelle et surtout une s&eacute;rie de masques &agrave; l&rsquo;aide d&rsquo;un tempophone (machine permettant d&rsquo;acc&eacute;l&eacute;rer le d&eacute;bit sans en changer la hauteur, et l&rsquo;inverse). Un autre proc&eacute;d&eacute; utilis&eacute; a &eacute;t&eacute; celui, dans les graves moments d&rsquo;anxi&eacute;t&eacute; de la fille, de transcrire le texte en r&eacute;currence, de l&rsquo;enregistrer ainsi et de le mixer dans le sens normal&nbsp;: le r&eacute;sultat est une &eacute;mission difficile et pleine de heurts&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Le choix de Butor de faire lire le dialogue par une seule voix est une invitation, bien comprise par le compositeur, &agrave; faire entendre une pluralit&eacute; de timbres dans cette m&ecirc;me voix par des moyens &eacute;lectro-acoustiques. M&rsquo;int&eacute;resse ici la fa&ccedil;on dont Ren&eacute; Koering traite le langage comme un &eacute;l&eacute;ment sonore lui aussi, lui appliquant les m&ecirc;mes m&eacute;thodes de modification. Cependant, il conserve toujours au langage ses capacit&eacute;s signifiantes et affectives&nbsp;: son travail vise &agrave; faire entendre le dialogue, et &nbsp;m&ecirc;me &agrave; le d&eacute;multiplier pour l&rsquo;installer dans l&rsquo;espace, donnant l&rsquo;impression que diff&eacute;rents interlocuteurs, situ&eacute;s &agrave; diff&eacute;rents endroits du monde, communiquent. Reprenons l&rsquo;extrait d&eacute;j&agrave; entendu dans lequel Michel Butor fait entendre le texte de <em>Mobile. </em>On entend d&rsquo;abord une voix d&rsquo;homme (Mademoiselle&nbsp;! Ce n&rsquo;est pas &agrave; vous&nbsp;?&nbsp; Vous vous sentez mal&nbsp;?&raquo;) &agrave; laquelle r&eacute;pond une voix de femme (&laquo;&nbsp;Oh, merci&hellip;&nbsp;&raquo;). Une autre voix r&eacute;cite les imp&eacute;ratifs, d&rsquo;abord tr&egrave;s doucement (&laquo;&nbsp;Fumez&nbsp;&raquo;) puis &agrave; &eacute;galit&eacute; avec les voix des personnages (&laquo;&nbsp;Buvez&nbsp;&raquo;) puis couvrant les mots des personnages (&laquo;&nbsp;Mangez&nbsp;&raquo;), donnant l&rsquo;impression que la publicit&eacute; vient &eacute;craser la voix de l&rsquo;homme et la rendre imperceptible. Cette troisi&egrave;me voix, celle de la publicit&eacute;, s&rsquo;affirme tant et plus et se fait m&eacute;canique, heurt&eacute;e, r&eacute;v&eacute;lant la fa&ccedil;on dont elle r&eacute;ifie les &eacute;changes humains. La fin de l&rsquo;extrait, qui ne contient plus de mots existants, mais seulement des fragments ou des onomatop&eacute;es (Uiie, umez, clic), t&eacute;moigne de ce processus de r&eacute;ification qui transforme l&rsquo;homme en machine et vide le langage de son sens.</p> <p style="text-align: justify;">De m&ecirc;me, les modifications du texte de la com&eacute;dienne soulignent l&rsquo;anxi&eacute;t&eacute; dont le texte t&eacute;moigne et donne l&rsquo;impression que ses mots nous parviennent avec difficult&eacute;, ce qui rend sa situation inqui&eacute;tante. La voix est d&rsquo;abord lyrique, fluide, puis se fait hach&eacute;e sur &laquo;&nbsp;je respire moins haut&nbsp;&raquo;, sugg&eacute;rant une asphyxie.</p> <p style="text-align: justify;">Une autre preuve que les moyens &eacute;lectro-acoustiques sont ici mis au service de l&rsquo;expressivit&eacute; du langage est que Michel Butor a dirig&eacute; ces op&eacute;rations : &laquo;&nbsp;Tous ces &eacute;l&eacute;ments ont &eacute;t&eacute; trait&eacute;s, manipul&eacute;s et r&eacute;alis&eacute;s par les soins de Bernard Lerouoc et ses assistants Michel LaCaille et Alain M&eacute;d&eacute;lec sous la direction de l&rsquo;auteur&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>.&nbsp;&raquo; Ainsi le langage devient un &eacute;l&eacute;ment concret, capable de remplir l&rsquo;espace et de t&eacute;moigner de l&rsquo;&eacute;loignement ou du rapprochement des &eacute;metteurs.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="23_Hybridite_musicale_et_textuelle">2.3. Hybridit&eacute; musicale et textuelle</span></h3> <p style="text-align: justify;">Au bout du compte, ce travail musical de la langue rejoint la modification de la musique en fonction du texte&nbsp;: le texte et la musique se confondent dans le sens o&ugrave; ils construisent une structure commune. L&rsquo;ordre de composition, qui fait alterner le travail du musicien et celui de l&rsquo;&eacute;crivain, est &agrave; ce titre r&eacute;v&eacute;lateur.</p> <p style="text-align: justify;">Butor revient, dans la discussion qui suit l&rsquo;intervention de Ren&eacute; Koering au colloque de Cerisy, sur ce que signifie pour lui le fait d&rsquo;&eacute;crire en fonction d&rsquo;une musique d&eacute;j&agrave; partiellement &eacute;tablie, &agrave; propos du dialogue issu de <em>Mobile</em> ins&eacute;r&eacute; dans <em>Centre d&rsquo;&eacute;coute</em>&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Est lu par <em>une voix </em>et passe dans <em>une phrase </em>ce qui habituellement est lu par deux voix ou passe dans deux phrases ou plusieurs phrases, ce qui trouve son application dans ce <em>dialogue</em> lu par une seule voix. Le traitement musical, le placement dans l&rsquo;espace sonore va permettre de restituer &agrave; ce monologue toutes ses possibilit&eacute;s de dialogue et m&ecirc;me de les amplifier, c&rsquo;est-&agrave;-dire que le traitement &eacute;lectro-acoustique, le placement musical fait sortir du texte un dialogue, des potentialit&eacute;s qui n&rsquo;apparaissent pas autrement&nbsp;; ces potentialit&eacute;s sortent du fait que les diff&eacute;rentes transformations de la mati&egrave;re sonore vont mettre en &eacute;vidence des aspects tr&egrave;s t&eacute;nus de la mati&egrave;re verbale&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Les moyens &eacute;lectro-acoustiques nous rendent &eacute;videmment sensibles aux d&eacute;bits et aux hauteurs des paroles, puisqu&rsquo;ils les font varier. La musique r&eacute;v&egrave;le aussi des param&egrave;tres sonores du mots souvent oubli&eacute;s : on peut notamment penser &agrave; la sonorit&eacute; du souffle, plus ou moins ample, ou &agrave; la qualit&eacute; de l&rsquo;articulation, laquelle peut &ecirc;tre soulign&eacute;e par l&rsquo;articulation musicale. De m&ecirc;me, Koering conclut son intervention au colloque de Cerisy par des consid&eacute;rations sur l&rsquo;enfermement de la musique contemporaine et sur l&rsquo;ouverture que peut apporter la collaboration butorienne :</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Pour moi la possibilit&eacute; nouvelle de construire une forme en dehors des obligations du texte soumis. La musique tendant depuis quelques temps &agrave; r&eacute;duire sensiblement (malgr&eacute; toutes les fallacieuses impressions d&rsquo;&eacute;largissement) son ambitus potentiel, et par l&agrave; risquant dans un proche avenir, d&rsquo;&ecirc;tre accul&eacute;e &agrave; une minimisation du faisceau des possibles, j&rsquo;ai la conviction que l&rsquo;&eacute;largissement des tendances expressionnistes rendra au param&egrave;tre &laquo;&nbsp;hauteur&nbsp;&raquo;, par exemple, r&eacute;duit aujourd&rsquo;hui &agrave; l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;assaisonnement quasi superflu, un r&ocirc;le et un impact singuli&egrave;rement r&eacute;g&eacute;n&eacute;rateur. C&rsquo;est aussi cet aspect, transpos&eacute; dans l&rsquo;&oelig;uvre de Butor, qui me fait d&eacute;couvrir chaque fois les &eacute;l&eacute;ments du plaisir de notre collaboration&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Pour le compositeur, le texte de Butor rend &agrave; la musique ses capacit&eacute;s expressives&nbsp;; peut-&ecirc;tre faut-il entendre par l&agrave; ses capacit&eacute;s descriptives, Butor &eacute;tant convaincu que la musique est capable de d&eacute;crire le monde&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>, et de faire imaginer des lieux, ce qui se ressent tout particuli&egrave;rement dans <em>Centre d&rsquo;&eacute;coute. </em>Koering prend pour exemple de param&egrave;tre musical revaloris&eacute; par le langage celui de la hauteur, ce qui est apparemment surprenant puisque la hauteur, si elle est marqu&eacute;e par la notation musicale, ne l&rsquo;est pas par l&rsquo;&eacute;criture. Cependant, les modifications des voix que nous pouvons entendre dans l&rsquo;&oelig;uvre rendent effectivement primordiale les questions de hauteur&nbsp;: parce que les modifications &eacute;lectro-acoustiques am&egrave;nent la voix dans des ambitus qui ne lui sont pas naturellement accessibles, la hauteur devient tr&egrave;s sensible &agrave; l&rsquo;auditeur.</p> <p style="text-align: center;">*</p> <p style="text-align: justify;">Le m&eacute;dia radiophonique est, dans <em>Centre d&rsquo;&eacute;coute</em>, l&rsquo;occasion et le moyen d&rsquo;un travail sur les potentialit&eacute;s de la musique et du langage &agrave; partir d&rsquo;une question centrale, celle de l&rsquo;expression du lieu et de l&rsquo;espace. Ce n&rsquo;est ni la premi&egrave;re ni la derni&egrave;re fois que les &oelig;uvres radiophoniques sont pour l&rsquo;&eacute;crivain l&rsquo;occasion d&rsquo;une r&eacute;flexion sur le voyage&nbsp;: <em>Mobile, </em>cit&eacute; dans <em>Centre d&rsquo;&eacute;coute</em>, se veut une &laquo; &eacute;tude pour une&nbsp;repr&eacute;sentation des &Eacute;tats-Unis&nbsp;&raquo; et s&rsquo;ouvre, dans sa version &eacute;crite, sur une carte des &Eacute;tats-Unis&nbsp;; <em>R&eacute;seau a&eacute;rien </em>raconte les parcours des avions autour du globe&nbsp;; <em>Description de San Marco</em> fait entendre les diff&eacute;rentes langues des touristes visitant Venise, faisant de cette ville une sorte de nouvelle Babel. S&rsquo;il y a une particularit&eacute; de <em>Centre d&rsquo;&eacute;coute</em>, elle vient de la collaboration musicale qui permet de travailler, dans la mati&egrave;re sonore m&ecirc;me du mot, sa capacit&eacute; &agrave; se d&eacute;ployer dans l&rsquo;espace.</p> <h2><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Michel Butor, texte de pr&eacute;sentation de 1972, cit&eacute; par Ren&eacute; Koering, &laquo;&nbsp;Une information&nbsp;: &ecirc;tre musicien et collaborer avec Butor&nbsp;&raquo;, in <em>Butor. Colloque de Cerisy, </em>George Raillard (dir.), Paris, Union g&eacute;n&eacute;rale d&rsquo;&eacute;ditions, 1974, p.&nbsp;299-315, p.&nbsp;299.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Expression de Ren&eacute; Koering, <em>ibid.</em></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> <em>Ibid. </em></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> <em>Ibid.</em></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> <em>Ibid.</em></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> V. <a href="https://journals.openedition.org/trans/4259">le dossier</a> de la revue en ligne <em>Trans&ndash; Revue de litt&eacute;rature g&eacute;n&eacute;rale et compar&eacute;e</em>, n&deg;26, mars 2021, Chlo&eacute; Chaudet, Muriel D&eacute;trie, Claudine Le Blanc,&nbsp;Sarga Moussa&nbsp;(dir.)&nbsp;: &laquo;<em>&nbsp;</em><em>Hors fronti&egrave;res. &Eacute;critures du d&eacute;placement dans une perspective mondiale [Beyond Borders&nbsp;: Displacement Writing from a Global Perspective]</em><em>&nbsp;</em>&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> V. <em>Revue Nerval</em>, n&deg;4, 2020, Sarga Moussa&nbsp;(dir.)&nbsp;: &laquo;&nbsp;R&eacute;sonances. Autour de l&rsquo;Orient nervalien&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> Michel Butor<em> Mobile </em>[1962]<em>, </em>in <em>&OElig;uvres compl&egrave;tes de Michel Butor, </em>Paris, La Diff&eacute;rence, vol. 5, <em>Le G&eacute;nie du lieu 1,</em> 2007, p. 408-409.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> Michel Butor, texte de pr&eacute;sentation de 1972, cit&eacute; par Ren&eacute; Koering in<em> Butor, </em><em>op.cit.</em>, p.&nbsp;299.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a> Ren&eacute; Koering, &laquo;&nbsp;Une information&nbsp;: &ecirc;tre musicien et collaborer avec Butor&nbsp;&raquo;<em>, </em><em>ibid.</em>, p. 300.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a> <em>Ibid.</em>, p.&nbsp;304.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a> Discussion &agrave; la suite de la communication de Ren&eacute; Koering, <em>ibid.</em>, p.&nbsp;312-313.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a> <em>Ibid.</em>, p.&nbsp;314.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a> <em>Ibid.</em>, p.&nbsp;304.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a> <em>Ibid.</em>, p. 300.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a> Michel Butor, discussion &agrave; la suite de la communication de Ren&eacute; Koering, <em>ibid.</em>, p.&nbsp;315.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a> <em>Id.</em>, p. 305.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a> Michel Butor, &laquo;&nbsp;La musique, art r&eacute;aliste &raquo; [1960], in <em>&OElig;uvres compl&egrave;tes de Michel Butor,</em> Paris, La Diff&eacute;rence, vol. 2, <em>R&eacute;pertoire 1,</em> 2006, p.&nbsp;387-398.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="Auteur">Auteur</span></h3> <p style="text-align: justify;"><strong>Marion Coste</strong>&nbsp;est PRAG &agrave; l&rsquo;IUT de Neuville-sur-Oise. Elle a fait une th&egrave;se sur les rapports entre litt&eacute;rature et musique dans l&rsquo;&oelig;uvre de Michel Butor, sous la direction de Mireille Calle-Gruber&nbsp;; th&egrave;se partiellement publi&eacute;e en 2017 aux Presses Sorbonne nouvelle&nbsp;sous le titre <em>Une le&ccedil;on de musique donn&eacute;e aux mots. Les collaborations de Michel Butor avec Ludwig van Beethoven et Henri Pousseur</em>. Ses recherches concernent les rapports entre musique et litt&eacute;rature aux XXe et XXIe si&egrave;cles dans les litt&eacute;ratures fran&ccedil;aises et francophones.&nbsp;</p> <h3 style="text-align: justify;">Copyright</h3> <p style="text-align: justify;">Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p> </div>