<div class="entry-content"> <h3>Abstract</h3> <p>In <em>Films du monde</em>, Frank Smith addresses the conditions of possibility of a poetical expression in a digital media environment that seems to refuse it. This article aims to expose the gesture operating in this cinematographic and poetical serie. Poetry takes the form of both words and images. As an editing gesture this specific poetry consists in radically enhancing images found on streaming platforms like <em>YouTube</em> and transforms them in a genuine expression of the possibility of an event.</p> <h3>Keywords</h3> <p class="meta-tags">poetry, information, series, montage, event, <em>Les Films du monde</em>, Frank Smith</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">Comment concilier le caract&egrave;re libre et gratuit selon lequel se d&eacute;ploie spontan&eacute;ment l&rsquo;activit&eacute; po&eacute;tique, avec la dimension programmatique et s&eacute;quentielle des technologies num&eacute;riques, o&ugrave; rien ne peut advenir que ce &agrave; quoi les machines auront &eacute;t&eacute; pr&eacute;alablement accord&eacute;es&nbsp;? Po&eacute;sie et technologies num&eacute;riques ne sont-ils pas deux r&eacute;gimes d&rsquo;expression ou de reprise du r&eacute;el au plus loin l&rsquo;un de l&rsquo;autre&nbsp;? R&eacute;pondre par l&rsquo;affirmative &agrave; la question proc&egrave;de peut-&ecirc;tre d&rsquo;une m&eacute;compr&eacute;hension ou d&rsquo;une surd&eacute;termination de ce que l&rsquo;on appelle commun&eacute;ment &laquo;&nbsp;le num&eacute;rique&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;">Dans un article au titre volontairement provocateur&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;art num&eacute;rique n&rsquo;a pas eu lieu&nbsp;&raquo;, Patrice Maniglier cherche &agrave; d&eacute;faire une &eacute;quivoque, qui consiste &agrave; consid&eacute;rer le num&eacute;rique comme un espace technique particulier, lequel permettrait de distinguer parmi les pratiques artistiques celles qui rel&egrave;vent du num&eacute;rique et celles qui lui sont &eacute;trang&egrave;res. Toute pratique est potentiellement num&eacute;rique, donne &agrave; penser l&rsquo;auteur, car le num&eacute;rique est devenu un horizon possible de toute r&eacute;alit&eacute;&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Le num&eacute;rique n&rsquo;est pas une r&eacute;gion particuli&egrave;re de la r&eacute;alit&eacute;&nbsp;: c&rsquo;est l&rsquo;horizon dans lequel toute la r&eacute;alit&eacute; peut &ecirc;tre r&eacute;interpr&eacute;t&eacute;e. Ce n&rsquo;est pas une sous-partie de l&rsquo;&eacute;tant, mais une proposition d&rsquo;&ecirc;tre [&hellip;]. Rien n&rsquo;est en soi num&eacute;rique, mais tout peut le devenir &ndash; ou, du moins, il est impossible de dire a priori que quelque chose ne peut pas le devenir&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Et rien n&rsquo;emp&ecirc;che de penser la po&eacute;sie comme geste &agrave; m&ecirc;me de se d&eacute;ployer dans un tel horizon.</p> <p style="text-align: justify;">Mais ceci &eacute;tant pos&eacute;, il convient de pr&eacute;ciser ce que devient le geste po&eacute;tique quand il s&rsquo;inscrit dans une telle dimension &laquo;&nbsp;virtuellement toujours ouverte&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>&nbsp;&raquo;, comme y invite encore Patrice Maniglier. Envisager une po&eacute;sie num&eacute;rique, c&rsquo;est donc r&eacute;interroger le comment du geste po&eacute;tique en contexte contemporain. Qu&rsquo;arrive-t-il &agrave; la po&eacute;sie, mais aussi que nous arrive-t-il par la po&eacute;sie, quand celle-ci veut se traduire dans l&rsquo;horizon du num&eacute;rique&nbsp;? Avec <em>Les Films du monde</em>, Frank Smith tente une r&eacute;ponse en acte &agrave; cette question vertigineuse. Le num&eacute;rique est pr&eacute;sent &agrave; l&rsquo;&eacute;criture qui s&rsquo;y d&eacute;ploie, non seulement comme outil, mais aussi comme moyen pour elle d&rsquo;acc&eacute;der au monde qu&rsquo;elle cherche &agrave; dire.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="1_Retrouver_le_sens_de_la_felure">1. Retrouver le sens de la f&ecirc;lure</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;"><em>Les Films du monde</em> est une s&eacute;rie de cin&eacute;tracts (au nombre de 50 + 1) r&eacute;alis&eacute;s suivant un dispositif syst&eacute;matique&nbsp;: un num&eacute;ro, une date et un lieu&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a> marquent un &eacute;pisode, sinon un &eacute;v&eacute;nement, qu&rsquo;une s&eacute;quence vid&eacute;o de quelques minutes et de courts textes entrant en collision avec elle cherchent &agrave; circonscrire. &laquo;&nbsp;Un &eacute;v&eacute;nement est ce qui vient de se passer / et ce qui va se passer / jamais ce qui passe&nbsp;&raquo; dit Frank Smith&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. Si l&rsquo;image ne peut venir qu&rsquo;apr&egrave;s coup documenter une situation, un &eacute;v&eacute;nement qui vient de se passer, l&rsquo;&eacute;criture peut quant &agrave; elle tenter de dire ce qui n&rsquo;est pas encore arriv&eacute;, ou ce qui ne s&rsquo;est pas encore manifest&eacute; dans ce qui est arriv&eacute;. &Eacute;crites sur un &eacute;cran noir ou lues en <em>off</em>, parfois selon un principe de redoublement de la voix par l&rsquo;&eacute;crit&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>, les phrases sont n&eacute;cessaires pour donner &agrave; voir ce qui, dans les &eacute;v&eacute;nements et ruptures qui &eacute;maillent la s&eacute;rie des <em>Films du monde</em>, n&rsquo;a pas encore eu lieu, ou dont le sens intime reste attach&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement, mais y demeure &agrave; l&rsquo;&eacute;tat latent. &laquo;&nbsp;L&rsquo;&eacute;v&eacute;nement n&rsquo;est pas ce qui arrive (accident)&nbsp;&raquo;, &eacute;crit en ce sens Gilles Deleuze, &laquo;&nbsp;il est dans ce qui arrive le pur exprim&eacute; qui nous fait signe et nous attend&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>&nbsp;&raquo;. Comme le nom propre de ce jeune homme, Pateh Sabally, que rappelle le cin&eacute;tract 24, suicid&eacute; par noyade dans la lagune de Venise le 22 janvier 2017, sous le regard indiff&eacute;rent, les plaisanteries et les insultes racistes de touristes italiens&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>.</p> <p style="text-align: justify;"><img alt="Doc. 1 – Les Films du monde, Franck Smith, cinétract 24" class="alignnone size-medium wp-image-2082" loading="lazy" sizes="(max-width: 300px) 100vw, 300px" src="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_1Olcèse-300x169.jpeg" srcset="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_1Olcèse-300x169.jpeg 300w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_1Olcèse-810x456.jpeg 810w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_1Olcèse.jpeg 853w" style="width: 300px; height: 169px;" /></p> <p style="text-align: justify;"><a class="fancybox image" href="#_ftn"><img alt="Doc. 2 – Les Films du monde, Franck Smith, cinétract 24" class="alignnone size-medium wp-image-2083" loading="lazy" sizes="(max-width: 300px) 100vw, 300px" src="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_2Olcèse-300x169.jpeg" srcset="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_2Olcèse-300x169.jpeg 300w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_2Olcèse-810x456.jpeg 810w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_2Olcèse.jpeg 853w" style="width: 300px; height: 169px;" /></a></p> <p style="text-align: justify;"><small>Doc. 1 et 2 &ndash; <em>Les Films du monde</em>, Franck Smith, cin&eacute;tract 24</small></p> <p style="text-align: justify;"><em>Les Films du monde</em> d&eacute;plient ainsi une s&eacute;rie de textes po&eacute;tiques pour approcher quelque chose que des images num&eacute;riques trouv&eacute;es ici et l&agrave; sur les r&eacute;seaux sociaux ont imprim&eacute;, mais qui peine pourtant &agrave; se manifester. Par cette &eacute;criture multim&eacute;diale qui fraie &agrave; travers la masse &eacute;touffante d&rsquo;informations que proposent les plateformes comme <em>YouTube</em>, il s&rsquo;agit de retrouver la possibilit&eacute; d&rsquo;une sid&eacute;ration. Il appartient &agrave; la po&eacute;sie d&rsquo;op&eacute;rer des fouilles dans cette mati&egrave;re visuelle qui nous inonde quotidiennement, selon une fr&eacute;quence telle que nous finissons par ne plus la voir et par ne plus entendre la violence pourtant inh&eacute;rente aux situations qu&rsquo;elle documente souvent. Les images sont celles d&rsquo;un monde en ruines, qui appelle une arch&eacute;ologie malgr&eacute; son caract&egrave;re extr&ecirc;mement contemporain&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Chercher concerne essentiellement les signes. Chercher, c&rsquo;est d&rsquo;abord consid&eacute;rer une mati&egrave;re, un objet, un &ecirc;tre, comme s&rsquo;ils &eacute;mettaient des signes &agrave; d&eacute;chiffrer, &agrave; interpr&eacute;ter. Il n&rsquo;y a pas d&rsquo;enqu&ecirc;teur qui ne soit l&rsquo;&eacute;gyptologue de quelque chose&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Ce quelque chose que cherche &agrave; d&eacute;chiffrer Frank Smith, c&rsquo;est un monde disparu dans l&rsquo;exc&egrave;s m&ecirc;me de ses manifestations num&eacute;riques et m&eacute;diatiques, o&ugrave; les images s&rsquo;effacent ou se chassent constamment les unes les autres. Cette &laquo;&nbsp;mati&egrave;re naufrag&eacute;e&nbsp;&raquo;, comme l&rsquo;&eacute;crit Walter Benjamin &agrave; propos des objets de collection<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>, appelle notre consid&eacute;ration, c&rsquo;est-&agrave;-dire notre attention, mais aussi, d&rsquo;une certaine mani&egrave;re, notre estime. Comment rendre les images de migrants naufrag&eacute;s ou de terres d&eacute;truites par des op&eacute;rations militaires et des cataclysmes naturels, &agrave; la d&eacute;mesure qu&rsquo;elles portent ou dont elles proc&egrave;dent&nbsp;? Comment r&eacute;inscrire ces images dans le champ du visible, qui sont les signes de tant de drames v&eacute;cus&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">La rencontre du verbe po&eacute;tique et de la brutalit&eacute; m&eacute;diatique des images r&eacute;employ&eacute;es op&egrave;re une distanciation qui manifeste clairement qu&rsquo;il ne s&rsquo;agit pas tant de documenter la capacit&eacute; d&rsquo;un monde globalis&eacute; &agrave; produire ses propres ruines, que de retrouver enfoui sous les d&eacute;combres le sens m&ecirc;me de la f&ecirc;lure que porte avec lui tout &eacute;v&eacute;nement.</p> <p style="text-align: justify;">&Eacute;voquant un propos de Schuler, arch&eacute;ologue allemand du d&eacute;but du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle, Walter Benjamin &eacute;crit en ouverture de la seconde s&eacute;rie des <em>Br&egrave;ves ombres</em>&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le d&eacute;cisif n&rsquo;est pas la progression de connaissances en connaissances, mais la f&ecirc;lure &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de chacune d&rsquo;elles&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>.&nbsp;&raquo; Ce sont ces f&ecirc;lures en effet qui peuvent dessiller nos paupi&egrave;res, comme la l&eacute;g&egrave;re irr&eacute;gularit&eacute; dans les motifs d&rsquo;un tapis, dit Walter Benjamin, marque &agrave; peine visible de l&rsquo;authenticit&eacute; d&rsquo;une fabrication artisanale. Dans les images que s&rsquo;associent <em>Les Films du monde</em>, les f&ecirc;lures sont certes consid&eacute;rables. Mais le contexte de m&eacute;diation num&eacute;rique (<em>YouTube</em>, <em>Facebook</em>, etc.) qui vit de les ressaisir&nbsp;‒&nbsp;et o&ugrave; Frank Smith va les chercher&nbsp;‒&nbsp;ne peut qu&rsquo;att&eacute;nuer leur puissance de renversement, la ma&icirc;triser et la contr&ocirc;ler, pour l&rsquo;accorder aux interfaces et aux &eacute;crans par lesquels ces images nous sont livr&eacute;es comme autant de repr&eacute;sentations du monde contemporain. Or c&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; cet endroit du contr&ocirc;le de l&rsquo;image que Frank Smith se situe. <em>Les Films du monde</em> veulent en effet interroger cette volont&eacute; de ma&icirc;triser ou d&rsquo;infl&eacute;chir les capacit&eacute;s de voir ‒&nbsp;au risque de les rendre impossibles&nbsp;‒ qui caract&eacute;rise le d&eacute;veloppement et l&rsquo;alimentation des plateformes de partage d&rsquo;informations visuelles. &laquo;&nbsp;Une image glisse sur une image&nbsp;&raquo; r&eacute;p&egrave;te inlassablement le cin&eacute;tract 36, et au fond de l&rsquo;image on ne trouve rien d&rsquo;autre qu&rsquo;un fond d&rsquo;image. C&rsquo;est &agrave; cette mati&egrave;re informationnelle que nous sommes essentiellement confront&eacute;s, c&rsquo;est &agrave; partir de cette m&ecirc;me mati&egrave;re que notre monde nous propose son horizon. La question essentielle, d&egrave;s lors, est de savoir comment nous pouvons nous-m&ecirc;mes nous glisser dans l&rsquo;image, comme le dit encore le cin&eacute;tract 29, pour ouvrir cet espace num&eacute;rique &agrave; une nouvelle dimension de sens.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="2_Presence_malgre_tout">2. Pr&eacute;sence malgr&eacute; tout</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;inscription des textes &agrave; m&ecirc;me les images, et partant, sur les &eacute;crans qui les affichent, est essentielle &agrave; cette po&eacute;sie, et c&rsquo;est en quoi l&rsquo;&eacute;criture de Frank Smith, ici, est &agrave; proprement parler une po&eacute;sie num&eacute;rique. En ce sens, une caract&eacute;ristique de la po&eacute;sie num&eacute;rique serait sa capacit&eacute;, non pas seulement &agrave; exprimer dans une langue qui lui est propre une part de r&eacute;el qu&rsquo;elle veut nous adresser, mais &agrave; transformer cette mati&egrave;re m&ecirc;me dans sa formulation m&ecirc;me. Le tramage du voir et du parler, de la vue et de l&rsquo;&eacute;nonc&eacute;, induit une mutation compl&egrave;te de l&rsquo;image d&rsquo;origine en regard de laquelle la parole po&eacute;tique se l&egrave;ve. Jacques Ranci&egrave;re nous donne les moyens de le mettre particuli&egrave;rement en &eacute;vidence. La phrase-image, &eacute;crit Jacques Ranci&egrave;re dans <em>Le destin des images</em>, est &laquo;&nbsp;l&rsquo;union de deux fonctions &agrave; d&eacute;finir esth&eacute;tiquement, c&rsquo;est-&agrave;-dire par la mani&egrave;re dont elles d&eacute;font le rapport repr&eacute;sentatif du texte &agrave; l&rsquo;image&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>&nbsp;&raquo;. La phrase-image se d&eacute;finit ainsi par ses actes, ses effets sur le repr&eacute;sentatif. Ceci &eacute;tant pos&eacute;, Jacques Ranci&egrave;re poursuit&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Dans le sch&eacute;ma repr&eacute;sentatif, la part du texte &eacute;tait celle de l&rsquo;encha&icirc;nement id&eacute;el des actions, la part de l&rsquo;image celle du suppl&eacute;ment de pr&eacute;sence qui lui donne chair et consistance. La phrase-image bouleverse cette logique. La fonction-phrase y est toujours celle de l&rsquo;encha&icirc;nement. Mais la phrase encha&icirc;ne d&eacute;sormais pour autant qu&rsquo;elle est ce qui donne chair. Et cette chair ou cette consistance est, paradoxalement, celle de la grande passivit&eacute; des choses sans raison. L&rsquo;image, elle, est devenue la puissance active, disruptive, du saut, celle du changement de r&eacute;gime entre deux ordres sensoriels&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">La composition du texte par l&rsquo;image&nbsp;‒&nbsp;et r&eacute;ciproquement de l&rsquo;image par le texte&nbsp;‒&nbsp;vise donc &agrave; introduire &agrave; une d&eacute;faite de la repr&eacute;sentation par un surcro&icirc;t de pr&eacute;sence, &agrave; introduire dans l&rsquo;acte de voir une dimension charnelle que les images op&egrave;rent tout en la refusant. L&rsquo;enjeu de la po&eacute;sie num&eacute;rique d&eacute;velopp&eacute;e dans <em>Les Films du monde</em> est donc de dire, par le remploi de s&eacute;quences vid&eacute;os le plus souvent sans auteur assignable, la possibilit&eacute; insistante d&rsquo;une chair qui exc&egrave;de radicalement les outils m&eacute;diatiques o&ugrave; ces images auront commenc&eacute; par circuler. La part active de telles images tient aux effets de rupture qu&rsquo;elles induisent, et qui amorcent, contre l&rsquo;environnement informationnel et l&rsquo;espace de contr&ocirc;le auxquels elles sont arrach&eacute;es, cette dimension de pr&eacute;sence toujours en exc&egrave;s sur sa repr&eacute;sentation.</p> <p style="text-align: justify;">Il est significatif &agrave; cet &eacute;gard que Frank Smith, dans cette arch&eacute;ologie du naufrage &agrave; laquelle s&rsquo;abandonne sa recherche, pr&ecirc;te une attention particuli&egrave;re &agrave; des modes de capture du r&eacute;el qui ne laissent aucune place &agrave; l&rsquo;inscription d&rsquo;une singularit&eacute; dans le cadre, ou plut&ocirc;t dans le non-cadre, de l&rsquo;image. Les &eacute;pisodes r&eacute;alis&eacute;s &agrave; partir de vues tourn&eacute;es depuis des satellites, des drones ou autres appareils permettant des prises de vue a&eacute;riennes, introduisent, entre le regard et la chose vue, une distance radicale. Ce faisant, ils produisent une s&eacute;paration qui ouvre par anticipation &agrave; la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;un dire, dans lequel pourra se signaler quelque chose de cette chair qu&rsquo;&eacute;voque Jacques Ranci&egrave;re, celle-ci d&ucirc;t-elle n&rsquo;&ecirc;tre &eacute;voqu&eacute;e que sur le mode de la perte et de la disparition. Ainsi, le cin&eacute;tract 6 &eacute;voque l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement d&rsquo;un naufrage qui a eu lieu le 26 novembre 2013 au large des C&ocirc;tes de Staniel Cay (Bahamas). Le noir et blanc, les effets de compression, les informations temporelles et g&eacute;ographiques inscrites dans le cadre de l&rsquo;image, permettent de distinguer l&rsquo;embarcation en difficult&eacute; et d&rsquo;imaginer des corps en d&eacute;tresse, mais emp&ecirc;chent litt&eacute;ralement de distinguer la moindre figure humaine. Le naufrage n&rsquo;est pas encore accompli que d&eacute;j&agrave; &laquo;&nbsp;le territoire de perte&nbsp;&raquo; &eacute;voqu&eacute; par Frank Smith en <em>off</em> est palpable.</p> <p style="text-align: justify;"><a class="fancybox image" href="#_ftn"><img alt="Doc. 3 ‒ Frank Smith, Les Films du monde, cinétract 6" class="alignnone size-medium wp-image-2084" loading="lazy" sizes="(max-width: 300px) 100vw, 300px" src="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_3Olcèse-300x169.jpeg" srcset="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_3Olcèse-300x169.jpeg 300w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_3Olcèse-810x456.jpeg 810w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_3Olcèse.jpeg 853w" style="width: 300px; height: 169px;" /></a></p> <p style="text-align: justify;"><small>Doc. 3 ‒ Frank Smith, <em>Les Films du monde</em>, cin&eacute;tract 6</small></p> <p style="text-align: justify;">Le cin&eacute;tract 18, r&eacute;alis&eacute; autour de l&rsquo;arrestation et de l&rsquo;ex&eacute;cution de Robert LaVoy Finicum film&eacute;es par le FBI le 26 janvier 2016, repose sur une m&ecirc;me nature d&rsquo;images sans vis-&agrave;-vis (au principe de la vid&eacute;o-surveillance) et que radicalisent d&rsquo;une certaine mani&egrave;re les s&eacute;quences r&eacute;alis&eacute;es &agrave; partir d&rsquo;images tourn&eacute;es &agrave; l&rsquo;aide de drones. Les quelques cin&eacute;tracts&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a> compos&eacute;s par de telles vid&eacute;os montrent des territoires d&eacute;vast&eacute;s par la guerre, les s&eacute;ismes ou glissements de terrains. Il est particuli&egrave;rement manifeste ici qu&rsquo;il n&rsquo;y a plus m&ecirc;me d&rsquo;humanit&eacute; derri&egrave;re le dispositif de prises de vues. Les s&eacute;quences vid&eacute;os que mobilisent ces &eacute;pisodes proc&egrave;dent pourtant d&rsquo;une dimension esth&eacute;tique &eacute;vidente et clairement affich&eacute;e, ce qui les rend scandaleuses. Cette esth&eacute;tique de la destruction est &eacute;galement paradoxale au plus haut point, dans la mesure o&ugrave; elle t&eacute;moigne d&rsquo;un monde o&ugrave; toute sensation&nbsp;‒&nbsp;ce que d&eacute;signe pr&eacute;cis&eacute;ment le terme grec d&rsquo;<em>aesthesis</em>&nbsp;‒&nbsp;est frapp&eacute;e d&rsquo;interdit. Quand il n&rsquo;y a plus d&rsquo;homme &agrave; la cam&eacute;ra, mais un simple &oelig;il m&eacute;canique qui enregistre des terres d&eacute;vast&eacute;es ou, de loin, des corps en p&eacute;ril, sans que rien dans ces situations n&rsquo;infl&eacute;chisse ou n&rsquo;interdise la fabrique de l&rsquo;image, la perte est tout de suite l&agrave;. Et il y va d&rsquo;une perte &agrave; la seconde puissance, puisque ce qui se perd alors, c&rsquo;est aussi le sens de cette perte. &Agrave; propos du film <em>&Agrave; l&rsquo;ouest des rails</em> de Wang Bing, Jean-Louis Comolli fait ce constat s&eacute;v&egrave;re, qui pourrait s&rsquo;appliquer plus justement &agrave; la mati&egrave;re d&rsquo;images que r&eacute;emploie Frank Smith dans <em>Les Films du monde</em> :</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">M&eacute;canisation du regard, m&eacute;canisation du cin&eacute;ma, disparition de la part &laquo;&nbsp;d&rsquo;homme&nbsp;&raquo; dont on disait qu&rsquo;elle &eacute;tait &laquo;&nbsp;derri&egrave;re la cam&eacute;ra&nbsp;&raquo;&nbsp;: qu&rsquo;y a-t-il derri&egrave;re la cam&eacute;ra&nbsp;? un jeune homme&nbsp;? mais avant tout pens&eacute; comme un instrument [&hellip;].</p> <p style="text-align: justify;">Il s&rsquo;agit de confronter des hommes en voie de disparition &agrave; un cin&eacute;ma qui n&rsquo;est plus qu&rsquo;une machine &agrave; enregistrer cette disparition interminable et toujours termin&eacute;e&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Mais pr&eacute;cis&eacute;ment, quoi faire de cette image&nbsp;‒&nbsp;et devant cette image&nbsp;‒&nbsp;de la disparition, sinon d&eacute;signer cette perte, et par ce tr&egrave;s peu, continuer de faire r&eacute;sonner, envers et contre tout, quelque chose de cette humanit&eacute; m&ecirc;me qui s&rsquo;est perdue dans l&rsquo;image&nbsp;? C&rsquo;est la question que nous invitent &agrave; poser <em>Les Films du monde</em> de Frank Smith, qui cherchent dans le langage une issue que les dispositifs num&eacute;riques de repr&eacute;sentation du monde ne cessent de boucher, l&agrave; m&ecirc;me o&ugrave; ils pensent l&rsquo;ouvrir de fond en comble en permettant &agrave; chacun de les alimenter. Face &agrave; cette logique de m&eacute;canisation du regard, il est certain que c&rsquo;est au dire po&eacute;tique qu&rsquo;il revient de mettre une part de souffle et de pr&eacute;sence, pour que ces images ne restent pas de pures effectuations d&rsquo;un monde d&eacute;ploy&eacute; dans l&rsquo;horizon fix&eacute; par les technologies num&eacute;riques, o&ugrave; toute vie se signale sous le signe de sa propre d&eacute;fection.</p> <p style="text-align: justify;"><a class="fancybox image" href="#_ftn"><img alt="Doc. 4 – Les Films du monde, Frank Smith, cinétract 31" class="alignnone size-medium wp-image-2085" loading="lazy" sizes="(max-width: 300px) 100vw, 300px" src="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_4Olcèse-300x169.jpeg" srcset="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_4Olcèse-300x169.jpeg 300w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_4Olcèse-810x456.jpeg 810w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_4Olcèse.jpeg 853w" style="width: 300px; height: 169px;" /></a></p> <p style="text-align: justify;"><small>Doc. 4 &ndash; <em>Les Films du monde</em>, Frank Smith, cin&eacute;tract 31</small></p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="3_Phrase_et_montage">3. Phrase et montage</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Les diff&eacute;rents &eacute;pisodes des <em>Films du monde </em>t&eacute;moignent tous, chacun en son lieu, de l&rsquo;impossibilit&eacute; o&ugrave; nous sommes de raconter l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement, qui d&eacute;vaste jusqu&rsquo;&agrave; la possibilit&eacute; m&ecirc;me de son propre r&eacute;cit. Nous sommes encore sous le coup de cette pauvret&eacute; en exp&eacute;riences communicables qu&rsquo;&eacute;voque Walter Benjamin dans <em>Exp&eacute;rience et pauvret&eacute;</em>, quand il d&eacute;crit une situation historique dont nous ne sommes pas encore sortis. Les exp&eacute;riences v&eacute;cues par l&rsquo;humanit&eacute; sont si effroyables, dit-il en songeant notamment &agrave; la guerre 1914-1918, qu&rsquo;elles interdisent d&rsquo;embl&eacute;e, moralement (quand ce n&rsquo;est pas physiquement), toute forme de transmission. Une exp&eacute;rience, dit-il, est quelque chose qui doit pouvoir se communiquer de bouche &agrave; oreille. Est-il seulement possible d&rsquo;accueillir les t&eacute;moignages de toute une g&eacute;n&eacute;ration d&rsquo;hommes et de femmes qui se tient &laquo;&nbsp;&agrave; d&eacute;couvert dans un paysage o&ugrave; plus rien n&rsquo;[est] reconnaissable, hormis les nuages et, au milieu du champ de forces travers&eacute; de tensions et d&rsquo;explosions destructrices, le minuscule corps humain&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;? Les exp&eacute;riences auxquelles &laquo;&nbsp;cet effroyable d&eacute;ploiement de la technique&nbsp;&raquo; nous expose ne peuvent pr&eacute;cis&eacute;ment pas se dire au creux de l&rsquo;oreille. Elles ne se communiquent, ni ne se transmettent, car elles ne sont les op&eacute;rateurs d&rsquo;aucune communaut&eacute; visible. Le cours de l&rsquo;exp&eacute;rience a chut&eacute; par exc&egrave;s, et c&rsquo;est ce qui rend la t&acirc;che du narrateur impossible&nbsp;: ce qu&rsquo;il pourrait vouloir dire de telles situations, nul ne saurait le reprendre dans l&rsquo;&eacute;laboration de son propre chemin d&rsquo;existence. Et pourtant, au sein de cette irr&eacute;versible d&eacute;crue de l&rsquo;exp&eacute;rience, le geste po&eacute;tique doit pouvoir s&rsquo;ex&eacute;cuter.</p> <p style="text-align: justify;">C&rsquo;est &eacute;galement en r&eacute;ponse &agrave; cette n&eacute;cessit&eacute; que les collisions entre phrases et images doivent &ecirc;tre envisag&eacute;es&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">pas un trou</p> <p style="text-align: justify;">pas la moindre fissure</p> <p style="text-align: justify;">pas un visage qui ne soit l&eacute;zard&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a></p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">La saturation visuelle &agrave; laquelle nous sommes confront&eacute;s complexifie la question du montage, qui semble exclue d&rsquo;embl&eacute;e par les images qu&rsquo;utilise Frank Smith&nbsp;: photographies documentaires, s&eacute;quences film&eacute;es par des cam&eacute;ras de surveillance par d&eacute;finition aveugles &agrave; toute dimension de cadre ou &agrave; toute forme de mise en sc&egrave;ne, images tourn&eacute;es au t&eacute;l&eacute;phone portable dans l&rsquo;urgence d&rsquo;une catastrophe arriv&eacute;e&hellip; Les vues fixes ou mobiles encod&eacute;es num&eacute;riquement n&rsquo;ont pas &eacute;t&eacute; fix&eacute;es en fonction de leur association ult&eacute;rieure &agrave; d&rsquo;autres images. Ce sont, comme le souligne Jacques Aumont, de purs items d&eacute;li&eacute;s de toute relation. &Eacute;voquant <em>YouTube</em> comme &laquo;&nbsp;un monde d&rsquo;images irresponsables&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire qui ne r&eacute;pondent de rien, dans lesquelles personne ne parle et que nul n&rsquo;est tenu d&rsquo;&eacute;couter, l&rsquo;auteur poursuit :</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Dans tout cela, le montage devient un outil, sinon inutile, du moins souvent priv&eacute; d&rsquo;efficacit&eacute;&nbsp;: les images, en ce sens lib&eacute;r&eacute;es de tout lien, ne peuvent plus &ecirc;tre r&eacute;ellement reli&eacute;es entre elles, elles ne cherchent ni n&rsquo;obtiennent leur sens par rapport &agrave; une totalit&eacute; construite, mais par rapport &agrave; un chaos organis&eacute;, jamais mont&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;image qui nous vient par les r&eacute;seaux sociaux nous aveugle par sa propre mutit&eacute;, qui la donne comme un ab-solu, c&rsquo;est-&agrave;-dire comme quelque chose de d&eacute;li&eacute; et dont la tenue intrins&egrave;que reste ind&eacute;pendante de tout rapport &agrave; autre chose que soi. C&rsquo;est pour cette raison que les images qui se profilent dans cet environnement num&eacute;rique ne peuvent que glisser les unes sur les autres, se chasser les unes les autres. L&rsquo;horizon num&eacute;rique dans lequel elles s&rsquo;inscrivent n&rsquo;est pas &agrave; proprement parler un horizon de sens. Pour qu&rsquo;il le devienne, ces images doivent &ecirc;tre d&eacute;plac&eacute;es, s&rsquo;inscrire dans un nouvel environnement, o&ugrave; elles pourront appara&icirc;tre autrement, ouvertes enfin &agrave; un potentiel de sens.</p> <p style="text-align: justify;">Or c&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment la t&acirc;che de la phrase que de produire un tel d&eacute;placement. La phrase-image, telle que Jacques Ranci&egrave;re la donne &agrave; penser, r&eacute;-ouvre pour ces images la possibilit&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre mont&eacute;es, c&rsquo;est-&agrave;-dire tout simplement montr&eacute;es. En effet, la phrase-image, dans l&rsquo;analyse que Jacques Ranci&egrave;re en propose, est par nature parataxique&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>. La phrase introduit une fissure dans le plein de l&rsquo;image, qui de ce fait change de r&eacute;gime d&rsquo;expression. La saturation de l&rsquo;image et l&rsquo;h&eacute;b&eacute;tude &agrave; laquelle elle nous promettait, se transforment en son contraire&nbsp;: une syntaxe, c&rsquo;est-&agrave;-dire la possibilit&eacute; d&rsquo;une relation synth&eacute;tique. C&rsquo;est la raison pour laquelle Jacques Ranci&egrave;re &eacute;voque la phrase-image en termes de montage&nbsp;: &laquo;&nbsp;La vertu de la phrase-image juste est [&hellip;] celle d&rsquo;une syntaxe parataxique. Cette syntaxe, on pourrait l&rsquo;appeler <em>montage</em>, en &eacute;largissant la notion au-del&agrave; de sa signification cin&eacute;matographique restreinte&nbsp;&raquo; &eacute;crit-il avant de rappeler que ce sont les &eacute;crivains du XIX<sup>e</sup> si&egrave;cle qui ont invent&eacute; &laquo;&nbsp;le montage comme mesure du sans mesure ou discipline du chaos&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;">La po&eacute;sie num&eacute;rique que pratique Frank Smith consiste &agrave; changer le site d&rsquo;apparition des images, qui dans ce d&eacute;placement voient leur nature se transformer profond&eacute;ment&nbsp;: de vue satur&eacute;e qu&rsquo;elle &eacute;tait, ne tol&eacute;rant aucune relation &agrave; d&rsquo;autres s&eacute;quences visuelles, sinon sous la forme du glissement, de l&rsquo;effacement ou de l&rsquo;occultation r&eacute;ciproque, l&rsquo;image ouverte par la phrase devient montage avant toute op&eacute;ration de liaison &agrave; d&rsquo;autres images possibles. Comme si la phrase, par sa seule entr&eacute;e en collision avec l&rsquo;image, pouvait retrancher le trop plein de mati&egrave;re ou d&rsquo;information qu&rsquo;elle contient, introduire en elle une fissure, une coupure pr&eacute;alable &agrave; tout geste de montage, l&rsquo;arr&ecirc;ter en quelque sorte pour qu&rsquo;elle puisse se prolonger dans et par une autre image.</p> <p style="text-align: justify;">C&rsquo;est bien le r&ocirc;le de la phrase que d&rsquo;articuler l&rsquo;image &agrave; un sens potentiel. &Agrave; cet &eacute;gard, les &eacute;crans noirs, d&eacute;cisifs dans la po&eacute;sie num&eacute;rique de Frank Smith, apportent, en m&ecirc;me temps que la possibilit&eacute; d&rsquo;une parole &eacute;crite, cette part obscure sans laquelle aucune lumi&egrave;re ne pourrait &ecirc;tre re&ccedil;ue. Le cin&eacute;tract 32 l&rsquo;exprime de mani&egrave;re nette. L&rsquo;&eacute;cran noir, c&rsquo;est ce qui permet &agrave; l&rsquo;image de se livrer elle-m&ecirc;me. Sans cette obscurit&eacute; qui l&rsquo;environne, l&rsquo;image dispara&icirc;trait dans sa propre luminance. &laquo;&nbsp;S&rsquo;il n&rsquo;y avait pas l&rsquo;&eacute;cran noir, on ne percevrait rien&nbsp;&raquo;. Et Frank Smith de conclure ce court r&eacute;cit d&rsquo;ombre et de lumi&egrave;re&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;image, elle est dans les choses, et pour qu&rsquo;elle prenne, l&rsquo;image, il faut&nbsp;: nous, un &eacute;cran noir&nbsp;&raquo;. &laquo;&nbsp;Nous&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire cette &eacute;criture qui vient &agrave; la rencontre des images et ouvre l&rsquo;espace o&ugrave; leur sens possible pourra &eacute;clore et se r&eacute;v&eacute;ler.</p> <p style="text-align: justify;"><a class="fancybox image" href="#_ftn"><img alt="Doc. 5 ‒ Frank Smith, Les Films du monde, cinétract 32." class="alignnone size-medium wp-image-2086" loading="lazy" sizes="(max-width: 300px) 100vw, 300px" src="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_5Olcèse-300x169.jpeg" srcset="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_5Olcèse-300x169.jpeg 300w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_5Olcèse-810x456.jpeg 810w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/10/LES_FILMS_DU_MONDE_VISUEL_5Olcèse.jpeg 853w" style="width: 300px; height: 169px;" /></a></p> <p style="text-align: justify;"><small>Doc. 5 ‒ Frank Smith, <em>Les Films du monde</em>, cin&eacute;tract 32.</small></p> <p style="text-align: justify;">Le recours &agrave; l&rsquo;&eacute;cran noir permet donc &agrave; Frank Smith d&rsquo;introduire la fissure au c&oelig;ur de son dispositif d&rsquo;&eacute;criture, et de r&eacute;inventer la possibilit&eacute; du montage pour des images dont le site originel de fabrication et de circulation emp&ecirc;che litt&eacute;ralement cet exc&egrave;s de sens. Cette inscription de la possibilit&eacute; du montage dans des images a priori non faites pour &ecirc;tre mont&eacute;es est particuli&egrave;rement sensible dans les cin&eacute;tracts r&eacute;alis&eacute;s &agrave; partir de mat&eacute;riaux photographiques. Les cin&eacute;tracts 7 et 12 par exemple sont tous deux construits sur un principe de montage dans l&rsquo;image, et ob&eacute;issent &agrave; un proc&eacute;d&eacute; qui consiste &agrave; d&eacute;voiler progressivement le contenu d&rsquo;une photographie dans laquelle des fragments sont d&eacute;coup&eacute;s, laquelle photographie n&rsquo;est livr&eacute;e dans sa totalit&eacute; qu&rsquo;&agrave; la fin de la s&eacute;quence. Il n&rsquo;est pas anodin que dans ces deux exemples, ce qui introduit &agrave; l&rsquo;image, c&rsquo;est un texte. Dans le premier, ce qui se signale d&rsquo;embl&eacute;e, c&rsquo;est une possibilit&eacute; de dire nous, un nous qui se met en question au moment m&ecirc;me o&ugrave; il se glisse dans l&rsquo;image. Le cin&eacute;tract 7 dit en amorce&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">nous pass&acirc;mes de l&rsquo;euphorie</p> <p style="text-align: justify;">&agrave; une grande d&eacute;ception</p> <p style="text-align: justify;">&agrave; de profonds tourments</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Le cin&eacute;tract 12 pour sa part, r&eacute;alis&eacute; &agrave; partir d&rsquo;une photographie prise le 14 mai 2015 au large des c&ocirc;tes tha&iuml;landaises, est introduit par ces quelques mots&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">retour volontaire</p> <p style="text-align: justify;">migration circulaire</p> <p style="text-align: justify;">s&eacute;jour temporaire</p> <p style="text-align: justify;">r&eacute;gularisation</p> <p style="text-align: justify;">ces choses n&rsquo;ont ni commencement ni fin</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Dans les deux cas, les phrases inscrites sur un &eacute;cran noir ouvrent sur une vue de visages pris dans leur propre d&eacute;tresse, dont on comprendra au fil de la s&eacute;quence qu&rsquo;ils appartiennent &agrave; un paysage de souffrance plus vaste, saisi par une seule et m&ecirc;me photographie. Ce travail de d&eacute;coupe pr&eacute;alable, par quoi l&rsquo;image peut entrer en relation avec elle-m&ecirc;me, et r&eacute;v&eacute;ler progressivement, s&eacute;quentiellement, sa teneur d&rsquo;ensemble par cette op&eacute;ration de montage dans l&rsquo;image, c&rsquo;est l&rsquo;ouverture de sens inaugurale par le texte po&eacute;tique qui le permet. Si l&rsquo;image peut &ecirc;tre mont&eacute;e, c&rsquo;est parce que le texte a commenc&eacute; de la montrer sous un certain jour. Le texte, en posant d&rsquo;embl&eacute;e l&rsquo;image dans un certain sens, la soustrait d&rsquo;embl&eacute;e de son effet de saturation. C&rsquo;est aussi ce geste qui rend fondamentalement possible la succession des 50 +1 &eacute;pisodes des <em>Films du monde</em>, qui tous se ferment sur le m&ecirc;me signe de ponctuation, des points de suspension, qui sont d&rsquo;abord l&rsquo;expression d&rsquo;une parole qui touche &agrave; ses propres limites, mais aussi les marqueurs d&rsquo;une discontinuit&eacute; sans laquelle&nbsp; il n&rsquo;y aurait pas de montage possible.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="4Levenement_de_la_parole_poetique_dans_lhorizon_du_numerique">4.&nbsp;L&rsquo;&eacute;v&eacute;nement de la parole po&eacute;tique dans l&rsquo;horizon du num&eacute;rique</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Ce que r&eacute;alise la po&eacute;sie num&eacute;rique de Frank Smith tient techniquement &agrave; la possibilit&eacute; qu&rsquo;offrent les outils de cr&eacute;ation de faire coexister sur un m&ecirc;me plan d&rsquo;ex&eacute;cution, dans une m&ecirc;me application logicielle, des m&eacute;dias de sources vari&eacute;es&nbsp;: mots, images et sons. Mais le trait essentiel de cette po&eacute;tique n&rsquo;est pas son caract&egrave;re multim&eacute;dia, m&ecirc;me si celui-ci est tr&egrave;s pr&eacute;gnant. Si le geste artistique de Frank Smith peut op&eacute;rer les ouvertures que nous avons signal&eacute;es, c&rsquo;est bien plut&ocirc;t parce qu&rsquo;il est prioritairement un acte de parole.</p> <p style="text-align: justify;">La philosophie d&rsquo;Henri Maldiney, qui doit beaucoup &agrave; la linguistique de Gustave Guillaume dans ses d&eacute;veloppements sur le langage, est sur ce point particuli&egrave;rement &eacute;clairante. Pour Henri Maldiney, toute phrase implique un &eacute;v&eacute;nement d&rsquo;ouverture qui la rend possible. Mais une telle ouverture, la phrase elle-m&ecirc;me peut seule la produire. En ce sens, toute phrase, m&ecirc;me formul&eacute;e n&eacute;gativement, est toujours fondamentalement l&rsquo;expression d&rsquo;un oui face &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve du r&eacute;el&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Une phrase n&rsquo;existe qu&rsquo;&agrave; ouvrir sa propre possibilit&eacute; pour r&eacute;pondre &agrave; la condition du moment. La transition de la langue &agrave; la parole ne se fait pas par simple engrenage. Nous sommes v&eacute;ritablement parlant (et non parl&eacute;s) parce que l&rsquo;espace du dire auquel nous avons acc&egrave;s ne nous est pas conditionn&eacute; de l&rsquo;ext&eacute;rieur, mais que nous avons ouverture &agrave; lui &agrave; m&ecirc;me notre pouvoir, absolument propre, de prendre la parole&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Dans une telle pens&eacute;e, m&ecirc;me si ce vocabulaire n&rsquo;est pas exactement celui dans lequel elle se formule &agrave; proprement parler, la f&ecirc;lure, la fissure appartiennent &agrave; la possibilit&eacute; m&ecirc;me de la phrase en tant que telle, qui doit toujours faire irruption pour &laquo;&nbsp;r&eacute;pondre &agrave; la condition du moment&nbsp;&raquo;. La phrase est donc &agrave; elle-m&ecirc;me sa propre ouverture, elle doit trouver en elle-m&ecirc;me sa propre n&eacute;cessit&eacute; et les ressources de son propre surgissement. Produire une phrase, c&rsquo;est prendre la parole. Prendre la parole, c&rsquo;est cr&eacute;er les conditions de possibilit&eacute; de la phrase. La phrase commence donc toujours par op&eacute;rer l&rsquo;ouverture qui la rend possible. En ce sens, elle est toujours un &eacute;v&eacute;nement. Elle ne peut advenir sans faire &agrave; la fois l&rsquo;&eacute;preuve d&rsquo;une faille, entre le langage et la parole qui le fonde, et de son franchissement&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Nous sommes parlant d&egrave;s la langue. Si la langue parle c&rsquo;est qu&rsquo;il existe entre elle et la parole un accord de fond&nbsp;‒&nbsp;que la plupart des linguistes s&rsquo;accordent &agrave; occulter&nbsp;: la langue veut dire mais parce que la parole a d&eacute;j&agrave; ouvert le dire. C&rsquo;est pourquoi la faille qui est entre elles est ressentie comme une tension. Elle n&rsquo;existe qu&rsquo;&agrave; dessein de son franchissement&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">&Agrave; la diff&eacute;rence de l&rsquo;image, qui est toujours r&eacute;sultative, la phrase se tient donc n&eacute;cessairement au lieu de sa propre origine. Un autre texte d&rsquo;Henri Maldiney le formule dans des termes d&eacute;cisifs. Toute po&eacute;sie, rappelle-t-il, est son propre fondement. Pour autant, il faut bien qu&rsquo;elle prenne fond dans un langage d&rsquo;ores et d&eacute;j&agrave; constitu&eacute;. Cette situation d&rsquo;avoir &agrave; parler dans une langue qui existe d&eacute;j&agrave; peut sembler mettre en p&eacute;ril la capacit&eacute; de la po&eacute;sie &agrave; se tenir dans l&rsquo;espace de sa propre ouverture. Mais Henri Maldiney rappelle que ce n&rsquo;est pas la langue constitu&eacute;e qui est &agrave; l&rsquo;origine de la parole, mais la parole qui est &agrave; l&rsquo;origine de la langue. Les conditions de possibilit&eacute;s linguistiques, mat&eacute;rielles, sensibles ne pr&eacute;existent pas &agrave; l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement de la phrase, car c&rsquo;est cet &eacute;v&eacute;nement m&ecirc;me qui peut y ouvrir un acc&egrave;s. Autrement dit, la phrase po&eacute;tique ne se r&eacute;f&egrave;re pas &agrave; la langue dans laquelle elle &eacute;merge comme &agrave; son fondement, mais comme &agrave; la base ou le milieu de son appara&icirc;tre, qui ne devient disponible qu&rsquo;avec elle. Son fondement v&eacute;ritable, c&rsquo;est la parole, qui est une dimension de perp&eacute;tuelle ouverture au monde qui est &agrave; dire&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Entre ce que la langue permet de dire et ce qui est &agrave; dire, il n&rsquo;y a pas ad&eacute;quation. C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment cet &eacute;cart qui nous fait parlant. La propri&eacute;t&eacute; de la langue qui permet la parole c&rsquo;est son impropri&eacute;t&eacute;. Sans elle nous ne serions que des transcripteurs d&rsquo;informations programm&eacute;es, des terminaux d&rsquo;ordinateurs. La parole ne peut constituer des effets (phrases) qui soient accord&eacute;s aux potentialit&eacute;s de la situation, dont pr&eacute;cis&eacute;ment le dire d&eacute;cide, qu&rsquo;en r&eacute;actualisant dans un <em>je peux</em> les unit&eacute;s de puissance de la langue que sont les mots&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">R&eacute;actualiser les mots dans un<em> je peux</em>, c&rsquo;est les placer dans cet &eacute;tat d&rsquo;ouverture, c&rsquo;est les rendre disponibles &agrave; nouveau pour dire ce qui est <em>&agrave; dire</em>, cette n&eacute;cessit&eacute; fut-elle inscrite dans la d&eacute;mesure d&rsquo;une catastrophe imminente. Et le langage po&eacute;tique ne fait jamais que mettre en lumi&egrave;re cette impropri&eacute;t&eacute; de la langue, qui oblige toute parole po&eacute;tique &agrave; toujours franchir un &eacute;cart entre ce qui est <em>&agrave; dire</em> et les mots dont nous disposons pour le dire.</p> <p style="text-align: justify;">Ce qui est dit ici des conditions de possibilit&eacute;s linguistiques de la phrase peut &ecirc;tre appliqu&eacute;, par extension, au contexte num&eacute;rique d&rsquo;apparition de la po&eacute;sie de Frank Smith dans <em>Les Films du monde</em>. En effet, m&ecirc;me re&ccedil;ue dans un environnement de programmation ou d&rsquo;effectuation num&eacute;rique, la phrase ne peut appara&icirc;tre sans ouvrir radicalement l&rsquo;espace o&ugrave; elle se tient, sans apporter une forme au programme qui a pour t&acirc;che de la r&eacute;aliser, c&rsquo;est-&agrave;-dire de s&rsquo;informer. Le langage binaire offre peut-&ecirc;tre, de ce point de vue, l&rsquo;expression minimale de cet &eacute;tat d&rsquo;ouverture constante du langage par la parole qui fonde sa prise de forme, auquel la po&eacute;sie donne toute son amplitude existentielle. Une page au moins dans l&rsquo;&oelig;uvre d&rsquo;Henri Maldiney permet de le souligner&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">Ce qu&rsquo;on appelle binaire (de base 01) constitue en fait une structure, une contraposition de possibilit&eacute;s sym&eacute;triques oppos&eacute;es (ouvert/ferm&eacute;) &eacute;galement probables. Un ordinateur, dont le propre est pr&eacute;cis&eacute;ment d&rsquo;ordonner, ne peut le faire qu&rsquo;apr&egrave;s l&rsquo;imposition d&rsquo;une forme. Il est inform&eacute; par la programmation d&rsquo;une question dont l&rsquo;unit&eacute; de sens, v&eacute;ritable <em>logos</em> monadique, transpos&eacute; en constellation de signifiants constitue un foyer d&eacute;termin&eacute; et d&eacute;terminant qui introduit, pour parler et penser grec, un <em>pl&eacute;on</em> dans l&rsquo;<em>&aacute;peiron</em>, et, par l&agrave;, pour parler moderne, une courbure, un &eacute;tat de moindre probabilit&eacute;, dans l&rsquo;isomorphisme de la structure&nbsp;&ndash;&nbsp;en l&rsquo;articulant en syst&egrave;mes&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Le langage binaire lui-m&ecirc;me, qui est finalement la condition de possibilit&eacute; technique d&rsquo;une po&eacute;sie num&eacute;rique, n&rsquo;est donc pas &eacute;tranger &agrave; cette situation o&ugrave; se tient tout langage d&rsquo;avoir &agrave; d&eacute;couvrir une faille en la franchissant, ou encore d&rsquo;&eacute;prouver son ouverture &agrave; un illimit&eacute; (<em>&aacute;peiron</em>) devant lequel il se d&eacute;couvre en d&eacute;ployant des phrases qui d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on donnent forme &agrave; cet horizon.</p> <p style="text-align: justify;">Cet excursus par la pens&eacute;e d&rsquo;Henri Maldiney nous permet peut-&ecirc;tre de toucher du doigt ce qui traverse <em>Les Films du monde</em> de part en part. En s&rsquo;achevant sur une interrogation sibylline&nbsp;&ndash;&nbsp;&laquo;&nbsp;pourquoi arrive-t-il ceci plut&ocirc;t que cela&nbsp;?&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash;&nbsp; ce vaste panorama du monde contemporain s&rsquo;ach&egrave;ve sur un acte double, qui consiste &agrave; d&eacute;signer un &eacute;v&eacute;nement qui garde une part d&rsquo;ind&eacute;termination et &agrave; faire surgir le possible sur lequel il tranche mais qu&rsquo;il n&rsquo;en finit pas de nous adresser en advenant. Tout l&rsquo;enjeu des <em>Films du monde</em> est ainsi d&rsquo;introduire, par un langage po&eacute;tique, des br&egrave;ches dans un environnement visuel satur&eacute;, qui semble au premier abord ne nous laisser aucune place, et ce faisant, de trouver les ressources qui permettent &agrave; une po&eacute;sie num&eacute;rique de se formuler dans une &eacute;preuve du monde&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;acte premier de l&rsquo;homme parlant qui fait se lever l&rsquo;aurore du langage, est d&rsquo;articuler, dans une forme, son &eacute;veil au monde et &agrave; soi, c&rsquo;est-&agrave;-dire sa pr&eacute;sence &agrave; cette d&eacute;chirure dans la trame de l&rsquo;&eacute;tant qu&rsquo;on appelle un &eacute;v&eacute;nement&nbsp;&ndash;&nbsp;d&eacute;chirure hors du jour de laquelle rien ne saurait se pro-duire&hellip; pas m&ecirc;me le Rien&nbsp;<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>.</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Ce que montrent <em>Les Films du monde</em> de Frank Smith, c&rsquo;est qu&rsquo;il est encore possible, dans un monde int&eacute;gralement arraisonn&eacute; par les technologies num&eacute;riques, de se tenir dans cet aurore du langage, &agrave; la crois&eacute;e de plusieurs r&eacute;gimes d&rsquo;expression, et d&rsquo;y provoquer des surrections d&rsquo;images au sommet desquelles la parole po&eacute;tique peut se dresser pour nous adresser les fragiles signaux de son propre engagement.</p> <p style="text-align: justify;"><small>Doc. 6 &ndash; <em><a href="https://vimeo.com/267202630">Teaser</a></em> des <em>Films du monde</em> de Franck Smith [https://vimeo.com/267202630]</small></p> <h2 style="text-align: justify;">Notes<br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Patrice Maniglier, &laquo;&nbsp;L&rsquo;art num&eacute;rique n&rsquo;a pas eu lieu&nbsp;&raquo;, <em>artpress 2</em>, n&deg;&nbsp;39, hiver 2015, &laquo;&nbsp;Les arts num&eacute;riques, anthologie et perspectives&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> <em>Ibid</em>.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> &Agrave; l&rsquo;exception notable de quelques cin&eacute;tracts, comme le 16, le 32 ou le 36, qui &eacute;voquent des situations qui ont lieu tout le temps et partout, ou le 11, dont le contenu est quant &agrave; lui index&eacute; de la mani&egrave;re suivante&nbsp;: &laquo;&nbsp;de nos jours sur la terre&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> &nbsp;<em>Les films du monde</em>, Cin&eacute;tract 24, 01:04:58.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> &nbsp;ex&nbsp;: 55&rsquo;52, faire que l&rsquo;image porte l&rsquo;&eacute;cho de la voix.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Gilles Deleuze, <em>Logique du sens</em>, Paris, Minuit, 1969, p.&nbsp;175.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> <em>Les films du monde</em>, Cin&eacute;tract 24, 01:04:46.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> <em>Les films du monde</em>, Cin&eacute;tract 23, 00:59:50.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> Walter Benjamin, <em>Paris, capitale du XIX<sup>e</sup> si&egrave;cle</em>, traduction de Jean Lacoste, Paris, Cerf, 2006, p.&nbsp;224.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a> Walter Benjamin, <em>Br&egrave;ves Ombres</em>, dans <em>&OElig;uvres II</em>, traduction de Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, Paris, Gallimard, 2000, p.&nbsp;349.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a> Jacques Ranci&egrave;re, <em>Le destin des images</em>, Paris, La Fabrique, 2003, p.&nbsp;56.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a> <em>&nbsp;Ibid.</em></p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a> Voir par exemple les cin&eacute;tracts 8 (images tourn&eacute;es &agrave; Gaza en Palestine), 20 (images tourn&eacute;es en &Eacute;quateur apr&egrave;s un s&eacute;isme), 31 (images tourn&eacute;es &agrave; Homs en Syrie).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a> Jean-Louis Comolli, <em>Corps et cadre. Cin&eacute;ma, &eacute;thique, politique</em>, Paris, Verdier, 2012, p.&nbsp;134</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a> Walter Benjamin, <em>Exp&eacute;rience et pauvret&eacute;</em>, dans <em>&OElig;uvres II</em>, <em>op. cit</em>., p.&nbsp;365.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a> &nbsp;Cin&eacute;tract 12, 00:35:15.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a> Jacques Aumont, <em>Le montage, &laquo;&nbsp;la seule invention du cin&eacute;ma&nbsp;&raquo;</em>, Paris, Vrin, 2015, p&nbsp;100.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a> La parataxe est un proc&eacute;d&eacute; syntaxique qui consiste &agrave; juxtaposer des propositions sans expliciter le sens de leur relation.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a> &nbsp;Jacques Ranci&egrave;re, <em>Le destin des images</em>, <em>op. cit.</em>, p.&nbsp;58.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a> Henri Maldiney, <em>Le vouloir dire de Francis Ponge</em>, Foug&egrave;res-La Versanne, Encre marine, 1993, p.&nbsp;115.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a> &nbsp;<em>Ibid</em>. p.&nbsp;116.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a> Henri Maldiney, &laquo;&nbsp;Espace et po&eacute;sie&nbsp;&raquo;, dans <em>L&rsquo;art, l&rsquo;&eacute;clair de l&rsquo;&ecirc;tre</em>, Seyssel, Comp&rsquo;act, 1993, p.&nbsp;142.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a> Henri Maldiney, <em>A&icirc;tres de la langue et demeures de la pens&eacute;e</em>, Paris, Seuil, 2012 (1975), p.&nbsp;400.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a> Henri Maldiney, &laquo;&nbsp;Espace et po&eacute;sie&nbsp;&raquo;, dans <em>L&rsquo;art, l&rsquo;&eacute;clair de l&rsquo;&ecirc;tre</em>, <em>op. cit.</em>, p.&nbsp;143.</p> <h3 style="text-align: justify;"><span id="Auteur">Auteur</span></h3> <p style="text-align: justify;">Rodolphe Olc&egrave;se, membre du Laboratoire CIEREC (universit&eacute; de Saint-&Eacute;tienne), a&nbsp;soutenu en novembre 2018&nbsp;une th&egrave;se men&eacute;e sous la direction de Dani&egrave;le M&eacute;aux, intitul&eacute;e&nbsp;<em>L&rsquo;archive, une puissance de nouveaut&eacute; dans la pratique contemporaine de l&rsquo;image en mouvement</em>. Apr&egrave;s des &eacute;tudes de philosophie, a d&eacute;velopp&eacute; des activit&eacute;s de r&eacute;alisation et de production cin&eacute;matographiques, ainsi qu&rsquo;une activit&eacute; d&rsquo;&eacute;criture autour du cin&eacute;ma,&nbsp;pour des revues comme&nbsp;<em>Bref magazine</em>,&nbsp;<em>artpress2</em>&nbsp;ou&nbsp;<em>Turbulence</em> Vid&eacute;o.<em>&nbsp;</em>Depuis 2013,&nbsp;co-anime&nbsp;<em>A bras le corps</em>, une plateforme &eacute;ditoriale consacr&eacute;e &agrave; la cr&eacute;ation contemporaine (http://www.abraslecorps.com).</p> <h3 style="text-align: justify;">Copyright</h3> <p style="text-align: justify;">Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p> </div>