<div class="entry-content"> <p style="text-align: justify;"><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">Christophe Deleu, Fins du monde podcast, Marien Ang&eacute;, radio formats, short audio dramas</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="1_Ecriture">1. &Eacute;criture</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">&Agrave; l&rsquo;origine de cette s&eacute;rie en 24 &eacute;pisodes produite en 2016 (saison 1; une saison 2 arrive), il y a la volont&eacute; d&rsquo;&eacute;crire des fictions audio courtes, sur le mod&egrave;le de la chanson. Certaines d&rsquo;entre elles racontent en effet une histoire en moins de deux minutes, avec un sens &eacute;vident de la formule et du r&eacute;cit. Les artistes-po&egrave;tes de la vari&eacute;t&eacute;, du &laquo; spoken word &raquo;, du rap et encore du slam se sont eux aussi rapproch&eacute;s de la fiction audio d&rsquo;une certaine mani&egrave;re (par exemple Serge Gainsbourg, Fauve&hellip;). Chaque chanson raconte une histoire, un t&eacute;moignage, parfois regroup&eacute;s dans des <em>concept album</em>, o&ugrave; l&rsquo;on suit un personnage, du d&eacute;but &agrave; la fin, par l&rsquo;entremise de morceaux oscillant entre 2 et 5 minutes. Ces cr&eacute;ations se rapprochent de la tradition orale et de la chanson populaire, transmettant des histoires<em> via</em> des chansons ou des po&egrave;mes, mais dans un format court correspondant aux moyens de diffusion actuels : la radio il y a quelque temps, et maintenant internet, avec un temps moyen d&rsquo;attention du public de plus en plus court. Au cin&eacute;ma, la forme courte est connue aussi (le court-m&eacute;trage). Mais nous avons surtout pens&eacute; &agrave; des films comme <em>Short Cuts</em> de Robert Altman (1993), d&rsquo;apr&egrave;s les nouvelles de Raymond Carver (qui s&rsquo;y conna&icirc;t en histoire courtes), film qui avait rencontr&eacute; un certain succ&egrave;s. L&rsquo;on suivait plusieurs histoires qui n&rsquo;avaient pas de lien apparent entre elle.</p> <p style="text-align: justify;">La forme courte est un d&eacute;fi en soi. En cela, la s&eacute;rie s&rsquo;est inscrite contre un discours ambiant privil&eacute;giant les formats longs et une certaine forme de lenteur, dont nous sommes par ailleurs proches. Comment raconter une histoire en peu de temps&nbsp;? Paradoxalement, ce d&eacute;fi permettait de raconter des histoires qu&rsquo;on n&rsquo;aurait pas pris la peine de raconter dans une fiction plus longue. Parce qu&rsquo;il aurait fallu plus de mati&egrave;re, ou qu&rsquo;il aurait fallu d&eacute;velopper les personnages. Dans <em>Fins du monde</em>, on accueille au contraire ces micro-r&eacute;cits avec bienveillance. La frustration est inh&eacute;rente au projet lui-m&ecirc;me. On se sait pas ce qui s&rsquo;est pass&eacute; avant que ne commence l&rsquo;&eacute;pisode, et on n&rsquo;en saura pas davantage sur la suite de l&rsquo;histoire. L&rsquo;intention est d&rsquo;arriver directement dans le moment-cl&eacute;, le climax, sans avoir eu l&rsquo;avant. Comme si un micro avait &eacute;t&eacute; t&eacute;moin de la sc&egrave;ne. Des fins du monde se produisent chaque jour sans qu&rsquo;on en soit les t&eacute;moins.</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;id&eacute;e est de s&rsquo;attarder sur des moments-cl&eacute;s de la vie de personnages, des fins du monde subjectives, chacun ayant sa propre repr&eacute;sentation de la fin du monde. Qu&rsquo;est-ce qu&rsquo;une fin du monde pour quelqu&rsquo;un ? Dans une p&eacute;riode marqu&eacute;e par les dystopies et les humeurs maussades, pr&eacute;cisons qu&rsquo;il ne s&rsquo;agit pas d&rsquo;une fin du monde r&eacute;elle, biblique ou autre, mais bel et bien d&rsquo;une repr&eacute;sentation personnelle de la fin du monde, &agrave; toutes les &eacute;tapes de la vie. Il y a les vrais drames, et les noyades dans un verre d&rsquo;eau. Il y a des accident&eacute;s (<em>Accident du travail</em>), des morts (<em>La bicyclette</em>), des fant&ocirc;mes (<em>Retour</em>). Mais il y a aussi des h&eacute;ros qui ont peur d&rsquo;aller &agrave; un rendez-vous amoureux (<em>Nouvelle Vague</em>). Le grand &eacute;cart des mis&egrave;res humaines est assum&eacute;. De nombreux romans am&eacute;ricains ont &eacute;t&eacute; une source d&rsquo;inspiration. Parmi eux, <em>Herzog</em> de Saul Bellow regorge d&rsquo;exemples de toutes les m&eacute;saventures qui peuvent s&rsquo;abattre sur un &ecirc;tre humain. Dans ces moments-l&agrave;, les personnages sont dans un grand d&eacute;sarroi et dans une grande solitude, m&ecirc;me s&rsquo;ils sont avec d&rsquo;autres personnages. Une large place est donc accord&eacute;e &agrave; la subjectivit&eacute;, mais, en m&ecirc;me temps, la forme est dialogale, il n&rsquo;y a aucune voix int&eacute;rieure, ou voix off, dans la s&eacute;rie, qui serait l&rsquo;expression des pens&eacute;es intimes d&rsquo;un personnage. Cette solitude dans l&rsquo;&eacute;preuve est donc exprim&eacute;e &agrave; travers une s&eacute;quence qui met souvent deux personnages en sc&egrave;ne, voire plusieurs. Il y a beaucoup d&rsquo;humour aussi, de l&rsquo;absurde, <em>Fins du monde s</em>e tient &agrave; distance du pathos. Le projet est plut&ocirc;t de rire de toutes ces situations dramatiques. Avec des paradoxes parfois, comme dans <em>Writing room</em>&nbsp;: une sc&eacute;nariste pense avoir la meilleure id&eacute;e du si&egrave;cle, et, pourtant, ses propos suscitent l&rsquo;effroi, et provoquent son renvoi.</p> <p style="text-align: justify;">Dans <em>Bangkok</em>, une patiente s&rsquo;est endormie dans une salle d&rsquo;attente, et a rat&eacute; son rendez-vous m&eacute;dical. Le lendemain, elle se r&eacute;veille, et se rend compte qu&rsquo;elle a pass&eacute; la nuit-l&agrave;. C&rsquo;est une secr&eacute;taire ayant la voix d&rsquo;un robot (incarn&eacute;e par Marine Ang&eacute;) qui l&rsquo;interroge, et lui annonce qu&rsquo;elle va devoir attendre trois mois pour un nouveau rendez-vous. Cet &eacute;pisode illustre la d&eacute;shumanisation de notre soci&eacute;t&eacute;&nbsp;: les outils n&rsquo;ont jamais &eacute;t&eacute; aussi performants, mais en raison de l&rsquo;absence de personnel on peut mourir sans avoir eu le temps d&rsquo;&ecirc;tre pris en charge&nbsp;! Des &eacute;pisodes comme celui-ci ont une dimension plus politique, comme <em>Accident du travail</em> qui raconte comment deux salari&eacute;s d&rsquo;une grande entreprise tentent de se d&eacute;barrasser d&rsquo;un ouvrier clandestin, accident&eacute; sur un de leurs chantiers. Avec une certaine grandeur d&rsquo;&acirc;me puisqu&rsquo;ils le d&eacute;posent pr&egrave;s d&rsquo;un h&ocirc;pital avant de s&rsquo;enfuir ! D&rsquo;autres &eacute;pisodes ont une veine plus intimiste, ou rel&egrave;vent d&rsquo;une sph&egrave;re plus personnelle&nbsp;: <em>La</em> <em>conf&eacute;rence</em> met en sc&egrave;ne un homme dont l&rsquo;avenir professionnel est menac&eacute; suite &agrave; la fuite d&rsquo;un stylo&hellip; <em>Le l&eacute;zard</em> montre la dislocation d&rsquo;un couple provoqu&eacute;e par l&rsquo;assassinat d&rsquo;un l&eacute;zard. La folie est sous-jacente dans certains &eacute;pisodes. Un homme raconte comment il se sent invincible quand il sort d&rsquo;un cin&eacute;ma qui a diffus&eacute; un film de super-h&eacute;ros (<em>Le sabre)</em>. Mais malheureusement cette &eacute;nergie dispara&icirc;t trop vite, et ne lui permet pas de r&eacute;ussir son entretien d&rsquo;embauche.</p> <p style="text-align: justify;">Tous les &eacute;pisodes respectent-ils ce principe&nbsp;? Il y a un &eacute;pisode &eacute;trange, <em>La fille</em>, qui raconte l&rsquo;entretien entre une fugueuse et une polici&egrave;re qui l&rsquo;a retrouv&eacute;e. Celui-ci ressemble presque davantage &agrave; une s&eacute;quence de documentaire o&ugrave; l&rsquo;on apprendrait qui est un personnage, ou un extrait d&rsquo;une fiction. La fin du monde, dans <em>La fille</em>, c&rsquo;est le parcours de cette fugueuse lui-m&ecirc;me, et non pas une situation dramatique (la fugue est termin&eacute;e). Il n&rsquo;y a pas de climax, juste un coup de pinceau sonore, et la volont&eacute; de faire d&eacute;couvrir quelqu&rsquo;un. C&rsquo;est peut-&ecirc;tre l&rsquo;&eacute;pisode qui d&eacute;tonne dans la s&eacute;rie. C&rsquo;est comme si on n&rsquo;avait pas vu passer la fin du monde&hellip;</p> <p style="text-align: justify;">Y-a-t-il une unit&eacute; dans la s&eacute;rie ? C&rsquo;est une question qu&rsquo;on retrouve beaucoup dans l&rsquo;univers du podcast. La plupart des podcasts de fiction qui ont marqu&eacute; les esprits ces derni&egrave;res ann&eacute;es aux &Eacute;tats-Unis rel&egrave;vent plut&ocirc;t du genre feuilletonnesque, m&ecirc;me si le terme n&rsquo;est plus &agrave; la mode. On retrouve les m&ecirc;mes personnages et la m&ecirc;me intrigue dans chaque &eacute;pisode, afin de suivre une continuit&eacute; sc&eacute;naristique (<em>Homecoming</em>). En cela, <em>Fins du monde</em> s&rsquo;&eacute;carte de ce sch&eacute;ma. <em>The Truth</em> de Jonathan Mitchell, &agrave; l&rsquo;inverse, propose, comme <em>Fins du monde</em>, des &eacute;pisodes unitaires, m&ecirc;me si on y retrouve aussi quelques &laquo;&nbsp;feuilletons&nbsp;&raquo;. Dans <em>Fins du monde</em>, ce qui garantit l&rsquo;unit&eacute;, c&rsquo;est la r&eacute;p&eacute;tition d&rsquo;une situation d&eacute;licate dans laquelle sont pris les h&eacute;ros. Pour l&rsquo;auditeur, il n&rsquo;y a donc pas ce plaisir qui consiste &agrave; retrouver les h&eacute;ros, et voir &eacute;voluer une intrigue. En revanche, il y a la surprise, renouvel&eacute;e &agrave; chaque &eacute;pisode, de d&eacute;couvrir un monde nouveau, un dispositif diff&eacute;rent, et une probl&eacute;matique originale. C&rsquo;est davantage l&rsquo;esprit qu&rsquo;on retrouve que des protagonistes ou un r&eacute;cit. Il n&rsquo;y a pas d&rsquo;antagonisme dans ces deux types de conceptions de podcast de fiction. Plut&ocirc;t une compl&eacute;mentarit&eacute;.</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;id&eacute;e de <em>Fins du monde</em> s&rsquo;est cristallis&eacute;e dans un h&ocirc;tel &agrave; Neuch&acirc;tel, en Suisse, lors d&rsquo;une journ&eacute;e consacr&eacute;e &agrave; la radio. Les id&eacute;es viennent souvent quand on se d&eacute;place, l&rsquo;imaginaire se d&eacute;ploie mieux quand le corps est en mouvement. Le processus d&rsquo;&eacute;criture a &eacute;t&eacute; le suivant&nbsp;: pr&egrave;s d&rsquo;une centaine d&rsquo;histoires courtes ont &eacute;t&eacute; &eacute;crites. Une par jour &agrave; peu pr&egrave;s, pendant plus de trois mois. Il est assez stimulant de commencer la journ&eacute;e par la question&nbsp;: quelle fin du monde pour aujourd&rsquo;hui&nbsp;? Il est assez amusant (et rassurant) de constater qu&rsquo;une fois le processus enclench&eacute; il fonctionne &agrave; merveille. Des <em>Fins du monde</em> ont m&ecirc;me &eacute;t&eacute; mises en concurrence certains jours, certaines ont d&ucirc; patienter pour &ecirc;tre couch&eacute;es sur le papier. Cette dur&eacute;e impose aussi certaines contraintes, l&rsquo;&eacute;criture doit rapidement indiquer quel est le sujet, quelle est la situation et quels sont les personnages. Il y a certes des &eacute;nigmes dans <em>Fins du monde</em>, et tout n&rsquo;est pas explicite, mais la compr&eacute;hension de la s&eacute;quence est souvent imm&eacute;diate, et l&rsquo;on saisit assez rapidement tous les enjeux. L&rsquo;on assiste parfois &agrave; la fin du monde en direct (<em>La conf&eacute;renc</em>e, <em>Accident du travail, Changement de pneu</em>), et dans ce cas l&rsquo;immersion dans un univers est assez forte. Dans de nombreux &eacute;pisodes, on arrive apr&egrave;s la &laquo;&nbsp;catastrophe &raquo; (<em>Le sabre</em>, <em>F&ecirc;te foraine</em>). L&agrave;, les personnages mesurent les cons&eacute;quences de tel ou tel &eacute;v&eacute;nement. Plus rarement la fin du monde n&rsquo;arrive qu&rsquo;&agrave; la fin, comme dans <em>Inadmissible</em>, qui met en sc&egrave;ne un couple qui pr&eacute;pare une f&ecirc;te pour c&eacute;l&eacute;brer un succ&egrave;s &agrave; un examen. La fin de l&rsquo;&eacute;pisode r&eacute;v&egrave;le qu&rsquo;il y a une erreur, et que l&rsquo;h&eacute;ro&iuml;ne n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; admise du tout &agrave; son examen. La brutalit&eacute; de la fin contraste avec la banalit&eacute; de l&rsquo;&eacute;pisode. De par la dur&eacute;e tr&egrave;s courte, nous avons aussi l&rsquo;impression que chaque &eacute;l&eacute;ment a plus une grande importance que dans les formes longues, chaque r&eacute;plique, chaque son, chaque musique. Comme tout va vite, c&rsquo;est comme si chaque part &eacute;tait d&eacute;terminante, et connotait l&rsquo;&eacute;pisode. Toutes ces histoires de deux minutes sont des plans s&eacute;quences&nbsp;: deux minutes de temps r&eacute;el (&agrave; une exception pr&egrave;s, <em>Les 150</em>, o&ugrave; il y a une ellipse). Montage interdit&hellip;</p> <p style="text-align: justify;">La s&eacute;rie a certes un aspect autobiographique, mais pas dans le sens o&ugrave; les histoires qui la composent seraient n&eacute;cessairement arriv&eacute;es aux auteurs. Ce sont souvent des r&eacute;cits inspir&eacute;s de faits r&eacute;els, comme pr&eacute;viennent parfois certaines &oelig;uvres de fiction quand elles choisissent de rester impr&eacute;cises sur l&rsquo;origine d&rsquo;une id&eacute;e. Disons que les histoires sont arriv&eacute;es jusqu&rsquo;aux oreilles des auteurs de la s&eacute;rie. Mais la v&eacute;rit&eacute; oblige aussi &agrave; dire que certains personnages sont inspir&eacute;s de personnages de fiction. Aussi, pour certains &eacute;pisodes, c&rsquo;est la mention &laquo; inspir&eacute;s de faits fictifs &raquo; qui aurait pu figurer dans le g&eacute;n&eacute;rique. Les &eacute;pisodes dans lesquels un couple se d&eacute;sint&egrave;gre lors d&rsquo;une &eacute;mission de radio en direct rel&egrave;vent des deux cat&eacute;gories, celle du r&eacute;el, et celle de la fiction. Le couple ressemble &agrave; celui qui pr&eacute;sente les &eacute;missions de jazz diffus&eacute;es tous les soirs sur la radio Fip. La question qui se pose souvent, c&rsquo;est : qu&rsquo;est-ce qui peut bien se passer quand le couple d&rsquo;animateurs n&rsquo;est pas &agrave; l&rsquo;antenne, et que les disques d&eacute;filent ? De quoi est constitu&eacute; ce hors-champ radiophonique ? Il y a un creux, qui permet &agrave; l&rsquo;imaginaire de se mettre au travail. Souvenir amusant aussi qui a eu son influence : une pr&eacute;sentatrice de Fip ne s&rsquo;&eacute;tait pas rendu compte un jour que son micro &eacute;tait rest&eacute; allum&eacute; alors qu&rsquo;elle t&eacute;l&eacute;phonait &agrave; quelqu&rsquo;un. Les auditeurs pouvaient ainsi avoir acc&egrave;s &agrave; tout un pan de sa vie priv&eacute;e. &Ccedil;a, c&rsquo;est pour le r&eacute;el. Mais le personnage masculin, lui, est inspir&eacute; de Waldo Lydecker, le chroniqueur radiophonique amoureux et d&eacute;laiss&eacute; du film <em>Laura</em> d&rsquo;Otto Preminger (1944). Lydecker, par d&eacute;pit, se suicide par arme &agrave; feu juste apr&egrave;s sa derni&egrave;re prestation &agrave; la radio. &Ccedil;a, c&rsquo;est pour la fiction. C&rsquo;est un exemple parmi d&rsquo;autres, et qui n&rsquo;est bien s&ucirc;r pas repr&eacute;sentatif.</p> <p style="text-align: justify;">Ce qui est commun &agrave; tous les r&eacute;cits c&rsquo;est la volont&eacute; de &laquo; jouer &raquo; avec sa propre histoire ‒ et celles des autres ‒ plus que d&rsquo;&ecirc;tre soi-m&ecirc;me &laquo; jou&eacute; &raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire d&rsquo;&ecirc;tre condamn&eacute; &agrave; la vivre sans prise de distance ni recul comme si on &eacute;tait une marionnette prisonni&egrave;re du jeu d&rsquo;un autre. Un jour, dans <em>Le Monde</em>, Vincent Lindon a r&eacute;v&eacute;l&eacute; qu&rsquo;il pensait qu&rsquo;un grand nombre de personnages &eacute;tait t&eacute;moins de ce qu&rsquo;il faisait chaque jour. En permanence. Syndrome de l&rsquo;acteur&nbsp;? De ces quelques lignes d&rsquo;interview, et de cette id&eacute;e proche de l&rsquo;univers de Pirandello, est n&eacute; l&rsquo;&eacute;pisode <em>Les 150</em>, qui raconte comment un personnage se retrouve d&eacute;contenanc&eacute; quand tous les spectateurs de sa propre vie se sont &eacute;vanouis du jour au lendemain. Affranchissement du regard d&rsquo;autrui ou condamnation &agrave; vivre seul et d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;&nbsp;? Ce personnage est tellement enferm&eacute; dans son propre d&eacute;sarroi qu&rsquo;il n&eacute;glige la fan enamour&eacute;e &agrave; qui il raconte son histoire. Dans <em>Fins du monde</em>, les obsessions se payent souvent assez cher.</p> <p style="text-align: justify;">S&rsquo;il n&rsquo;y a pas n&eacute;cessairement de lien entre toutes les histoires, il y quand m&ecirc;me une sorte de chronologie. &Ccedil;a se passe de plus en plus mal, m&ecirc;me si la tonalit&eacute; des &eacute;pisodes n&rsquo;est pas tragique. Dans les derniers &eacute;pisodes, le couple de Jazz se disloque d&eacute;finitivement, les h&eacute;ros meurent (<em>F&ecirc;te foraine</em>) ou sont d&eacute;j&agrave; morts (<em>Fins du monde</em>). Et il y a m&ecirc;me un fant&ocirc;me (<em>Retour</em>).</p> <p style="text-align: justify;">Une autre histoire, <em>T&rsquo;as pas d&rsquo;vie</em>, est inspir&eacute;e d&rsquo;une sc&egrave;ne de tram. Un homme y insultait une femme au t&eacute;l&eacute;phone en lui donnant des conseils tr&egrave;s directifs. Ce qui &eacute;tait &eacute;tonnant, pour les passagers-spectateurs, outre la violence des propos et l&rsquo;indiff&eacute;rence de cet homme vis-&agrave;-vis des autres voyageurs, c&rsquo;est de ne pas entendre cette femme &agrave; l&rsquo;autre bout du fil&nbsp;: que pouvait-elle bien r&eacute;pondre &agrave; cette succession d&rsquo;injonctions et d&rsquo;injures&nbsp;? Nous n&rsquo;avons pris aucune note sur le moment, mais l&rsquo;histoire a &eacute;t&eacute; &eacute;crite quelques heures plus tard, et mise en ondes quelques jours apr&egrave;s. <em>Dans Fins du monde</em>, il y a cette libert&eacute;-l&agrave;&nbsp;: de nouvelles histoires peuvent surgir pendant le tournage, et prendre la place d&rsquo;autres histoires pourtant &eacute;crites plusieurs mois auparavant.</p> <p style="text-align: justify;">Il est donc permis d&rsquo;avoir une pens&eacute;e pour toutes les histoires qui n&rsquo;ont pas r&eacute;alis&eacute;es. Dans l&rsquo;une d&rsquo;entre elles, on suivait Alfred Hitchcock vieillissant se rendre &agrave; son bureau pour faire la sieste, et d&rsquo;autres personnes dans l&rsquo;attente de la nouvelle id&eacute;e de g&eacute;nie du metteur en sc&egrave;ne. Il s&rsquo;endormait, et l&rsquo;&eacute;pisode s&rsquo;arr&ecirc;tait l&agrave;&hellip; Dans une autre, l&rsquo;ancien directeur du festival de Cannes, Gilles Jacob, se mettait en col&egrave;re parce qu&rsquo;il ne voulait pas monter les marches du Palais en compagnie de la r&eacute;alisatrice Jane Campion avec &hellip; une canne. Sa coquetterie et son souci de son image &eacute;tait au centre de l&rsquo;&eacute;pisode. Il y aussi ces incendies que nous n&rsquo;avons pas provoqu&eacute;s, ces larmes que nous n&rsquo;avons pas enregistr&eacute;es, ces Ferrari qui n&rsquo;ont pas &eacute;t&eacute; vol&eacute;es. Peut-&ecirc;tre ces histoires ressurgiront-elles un jour.</p> <p style="text-align: justify;">Une fois la s&eacute;rie &eacute;crite, elle a &eacute;t&eacute; propos&eacute;e &agrave; France Culture, mais la radio n&rsquo;avait pas de format de 2 mn. Comme la s&eacute;rie avait re&ccedil;u le soutien du Fonds Gulliver, il a quand m&ecirc;me &eacute;t&eacute; possible de r&eacute;aliser les &eacute;pisodes, qui ont &eacute;t&eacute; diffus&eacute;s dans l&rsquo;&eacute;mission <em>Par Ou&iuml;-dire</em> de Pascale Tison, sur la RTBF, en Belgique, et sur des radios associatives. La s&eacute;rie est aussi en acc&egrave;s libre sur le site sonyapodcast.com, site de podcast de fiction audio cr&eacute;&eacute; en ao&ucirc;t 2021, ainsi que sur la plupart des applications podcasts. Elle a aussi &eacute;t&eacute; diffus&eacute;e par le site Magneto, au Qu&eacute;bec.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="2_Tournage">2. Tournage</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Durant les tournages, nous sommes pr&eacute;sents tous les deux. Chacun a son propre r&ocirc;le (Marine est plut&ocirc;t la r&eacute;alisatrice, Christophe l&rsquo;&eacute;crivain-sc&eacute;nariste), mais chacun peut aussi avoir plusieurs r&ocirc;les : ex, direction d&rsquo;acteurs, ou casting. Marine Ang&eacute; est en plus musicienne, ce qui apporte beaucoup &agrave; la s&eacute;rie.</p> <p style="text-align: justify;">Comme il y avait un processus d&rsquo;&eacute;criture, il y a eu un processus de tournage. En principe, l&rsquo;id&eacute;e &eacute;tait de consacrer une demi-journ&eacute;e &agrave; chaque fiction. On ne pouvait pas, sauf exception, en tourner plus d&rsquo;une par demi-journ&eacute;e. Car chaque fiction a ses propres personnages, et son propre d&eacute;cor. Ce n&rsquo;est pas une s&eacute;rie rentable (2 mn de temps utile par demi-journ&eacute;e&nbsp;!).</p> <p style="text-align: justify;">Le tournage, c&rsquo;est faire plusieurs choix&nbsp;: le lieu, le moment, et bien s&ucirc;r les acteurs. Nous avons eu la volont&eacute; de tourner dans des d&eacute;cors r&eacute;els, il n&rsquo;y a pas de studio. Sauf une exception (<em>Jazz</em>, parce que &ccedil;a se passe &agrave; la radio). Tous les &eacute;pisodes ont &eacute;t&eacute; tourn&eacute;s &agrave; Strasbourg ou dans les environs. Volont&eacute; de tourner dans un territoire local, m&ecirc;me si les fictions ne sont pas situ&eacute;es g&eacute;ographiquement. Choisir un lieu rel&egrave;ve parfois de l&rsquo;&eacute;vidence. <em>T&rsquo;as pas d&rsquo;vie</em>, qui est inspir&eacute;e d&rsquo;une v&eacute;ritable histoire, a &eacute;t&eacute; enregistr&eacute; dans un tram, comme les faits r&eacute;els qui l&rsquo;ont inspir&eacute;. Ce qui &eacute;tait amusant, c&rsquo;est de voir les passagers surpris de voir l&rsquo;acteur se mettre en col&egrave;re, car le tournage change le r&eacute;el. En tournant &laquo;&nbsp;dehors &raquo;, nous injectons de la fiction dans l&rsquo;espace public. Certains passants ou &eacute;v&egrave;nements interagissent avec le micro d&eacute;lib&eacute;r&eacute;ment ou non, et transforment irr&eacute;m&eacute;diablement l&rsquo;&eacute;pisode, en changeant presque du tout au tout son ambiance, et l&rsquo;incarnation qu&rsquo;en font les com&eacute;diens &hellip; pour le meilleur ou pour le pire.</p> <p style="text-align: justify;">Le premier &eacute;pisode qui a &eacute;t&eacute; tourn&eacute; est <em>Les 150</em>. Dans le bar d&rsquo;une amicale de p&ecirc;cheurs, pr&egrave;s d&rsquo;un canal, en p&eacute;riph&eacute;rie de Strasbourg. C&rsquo;&eacute;tait extraordinaire d&rsquo;enregistrer un couple, avec tous les clients du bar. Il y aurait eu moyen de laisser plus de s&eacute;quences documentaires, avec des extraits de conversation dans le caf&eacute;. Mais deux minutes, &ccedil;a passe vite&nbsp;! Et il n&rsquo;y avait pas la place pour int&eacute;grer ces s&eacute;quences. Mais ce souvenir est important, c&rsquo;est l&agrave; que nous avons su que <em>Fins du monde </em>serait possible.</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;enregistrement, c&rsquo;est aussi un moment o&ugrave; l&rsquo;on tente de capter un climat, une atmosph&egrave;re.<em> Le</em> <em>l&eacute;zard </em>est cens&eacute; se d&eacute;rouler la nuit, dans une chambre d&rsquo;h&ocirc;tel. Nous n&rsquo;avons pas enregistr&eacute; la nuit, mais nous avons enregistr&eacute; dans la chambre d&rsquo;un appartement aux volets ferm&eacute;s. C&rsquo;&eacute;tait important pour les acteurs d&rsquo;&ecirc;tre dans la p&eacute;nombre, cela a cr&eacute;&eacute; une intimit&eacute; entre eux, ils se sont mis &agrave; parler tout bas. Idem pour <em>Quitter la nuit</em>. Pour <em>Accident du travail</em>, la s&eacute;quence se d&eacute;roule dans une voiture, il faut rapidement trouver un h&ocirc;pital car une personne est bless&eacute;e. Eh bien nous avons enregistr&eacute; dans une voiture, et roul&eacute; &agrave; une certaine vitesse, comme pour rendre compte de l&rsquo;urgence de la situation. Il a m&ecirc;me fallu faire un break car, avec l&rsquo;accumulation des prises, l&rsquo;actrice a eu des naus&eacute;es. Nous avons la volont&eacute; d&rsquo;enregistrer des com&eacute;diens en mouvement, m&ecirc;me si on ne les voit pas dans un podcast de fiction audio. Ce mouvement est tout de m&ecirc;me perceptible par les auditeurs<strong>, </strong>et nous permet d&rsquo;incarner diff&eacute;remment les fictions. Il permet aussi une certaine dose de &laquo;&nbsp;mise en danger&nbsp;&raquo;, qui nourrit diff&eacute;remment chacune des fictions et nous oblige &agrave; renouveler les strat&eacute;gies. Parfois, le lieu de l&rsquo;enregistrement ne correspond pas du tout &agrave; celui de la s&eacute;quence. <em>Bangkok</em> se situe dans la salle d&rsquo;attente d&rsquo;un h&ocirc;pital (d&eacute;cid&eacute;ment !) mais a &eacute;t&eacute; enregistr&eacute; dans un&hellip; ascenseur, bloqu&eacute; pour l&rsquo;occasion. L&rsquo;actrice a ainsi la d&eacute;sagr&eacute;able impression d&rsquo;&ecirc;tre prise au pi&egrave;ge, comme si elle souffrait de claustrophobie. C&rsquo;est ce qui est agr&eacute;able &agrave; la radio : gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;absence d&rsquo;image, on ne doit pas &ecirc;tre r&eacute;aliste. Ce qui est important, c&rsquo;est le d&eacute;cor int&eacute;rieur. Il est plus int&eacute;ressant de signifier la d&eacute;shumanisation du monde dans un ascenseur que dans une vraie salle d&rsquo;attente. <em>Retour</em>, une histoire de fant&ocirc;mes, qui doit se passer dans un vestiaire de piscine a en r&eacute;alit&eacute; &eacute;t&eacute; tourn&eacute; dans la&hellip; douche d&rsquo;un appartement. <em>Le</em> <em>facilitateur</em>, avec son atmosph&egrave;re de film d&rsquo;espionnage, a &eacute;t&eacute; tourn&eacute; pr&egrave;s d&rsquo;un canal&hellip; Le choix d&rsquo;un lieu se fait aussi bien entendu en fonction de l&rsquo;espace cr&eacute;&eacute;, et &ecirc;tre dans une salle d&rsquo;attente ne produit pas les m&ecirc;mes sensations que d&rsquo;&ecirc;tre dans la cage d&rsquo;un ascenseur. Tourner dans des d&eacute;cors naturels n&rsquo;est parfois pas une sin&eacute;cure. <em>Nouvelle vague</em>, qui a &eacute;t&eacute; enregistr&eacute; dans un caf&eacute;, a sans doute &eacute;t&eacute; un des tournages les plus compliqu&eacute;s en raison des variations d&rsquo;ambiance d&rsquo;un moment &agrave; l&rsquo;autre. Et encore, le g&eacute;rant avait accept&eacute; de couper la musique.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="3_Acteurs">3. Acteurs</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Certains acteurs sont des professionnels, d&rsquo;autres ne sont pas com&eacute;diens. Il y a les deux configurations. Cela s&rsquo;est fait en fonction des rencontres. &Agrave; Strasbourg, il y a le Th&eacute;&acirc;tre National de Strasbourg, et sa tr&egrave;s bonne &eacute;cole. Plusieurs com&eacute;diens de <em>Fins du monde</em> en sont issus&nbsp;: Camille Dagen et Romain Darrieu, le couple qui se s&eacute;pare dans une &eacute;mission de radio, Eve-Chems de Brouwer, qui joue dans <em>Accident du travail</em> et <em>Quitter la nuit</em>. Les com&eacute;diens sont bien entendu plus dispos&eacute;s &agrave; improviser, et &agrave; jouer avec un texte. <em>Jazz </em>ne devait &ecirc;tre, &agrave; l&rsquo;origine, qu&rsquo;un &eacute;pisode de 2mn30 comme les autres. Le texte correspond &agrave; cette dur&eacute;e-l&agrave;. Mais Camille Dagen et Romain Darrieu ont commenc&eacute; &agrave; improviser, et n&rsquo;arr&ecirc;taient plus de se disputer ! C&rsquo;&eacute;tait formidable, et nous les avons laiss&eacute;s cr&eacute;er des r&eacute;pliques qui n&rsquo;existaient pas lors de l&rsquo;&eacute;criture. Lors du montage, cela a d&rsquo;ailleurs pos&eacute; probl&egrave;me : comment travailler ce mat&eacute;riau&nbsp;? Leur dialogue ne pouvait pas &ecirc;tre r&eacute;duit &agrave; deux petites minutes. Nous avons finalement choisi de r&eacute;aliser quatre &eacute;pisodes &agrave; partir de leur travail, et ces &eacute;pisodes sont devenus des fils rouges de la saison 1 (<em>Jazz</em>, <em>Train Bleu</em>, <em>Tendre est la nuit</em>, <em>It came out of blue</em>). Il nous est aussi arriv&eacute;, lors d&rsquo;une rencontre &agrave; la SACD, de diffuser les quatre &eacute;pisodes, qui sont chronologiques, &agrave; plusieurs moments, pour ponctuer la soir&eacute;e d&rsquo;&eacute;coute. Ces &eacute;pisodes sont une histoire autonome dans la s&eacute;rie. Il y donc quand m&ecirc;me des exceptions &agrave; ce d&eacute;sir d&rsquo;&eacute;clatement des &eacute;pisodes. <em>La fille</em> et <em>La copie</em> d&rsquo;une part, et <em>F&ecirc;te foraine</em> et <em>Retour </em>peuvent aussi &ecirc;tre pens&eacute;s comme une paire d&rsquo;&eacute;pisodes qui met en sc&egrave;ne les m&ecirc;mes personnages. Nous aurions voulu plus de correspondances encore entre les histoires, lors du tournage, mais la s&eacute;rie n&rsquo;avait pas &eacute;t&eacute; &eacute;crite dans cet esprit.</p> <p style="text-align: justify;">Parmi les non-professionnels, il y a tout un groupe d&rsquo;&eacute;tudiants du lyc&eacute;e Le Corbusier d&rsquo;Illkirch (BTS Design Graphique). Ce sont d&rsquo;ailleurs eux qui ont &eacute;t&eacute; les premi&egrave;res voix de <em>Fins du monde</em>. Bien avant que nous ne lancions les enregistrements de la saison 1, Ada Wojtowicz avait demand&eacute; si elle pouvait utiliser les textes pour un atelier radio. Le r&eacute;sultat &eacute;tait impressionnant, et c&rsquo;est assez naturellement que plusieurs &eacute;tudiants ont &eacute;t&eacute; invit&eacute;s &agrave; jouer dans la s&eacute;rie. Ce sont eux qui ont constitu&eacute; les duos. Lisa Pham Chanh Hieu et Simon Frenay (<em>Le l&eacute;zard</em>), Camille Mertz et Oph&eacute;lie Volfart (<em>Inadmissible</em>), L&eacute;a Mariette (<em>La&nbsp;bicyclette</em>, <em>Retour</em>, <em>F&ecirc;te foraine</em>). C&rsquo;est int&eacute;ressant de voir que les textes de <em>Fins du monde</em> circulent, et qu&rsquo;on peut les reprendre, comme des chansons.</p> <p style="text-align: justify;">La voix du g&eacute;n&eacute;rique, et celle de plusieurs &eacute;pisodes (<em>Le facilitateu</em>r, <em>Fin du monde</em>), est celle de Xavier Delcourt, professeur d&rsquo;universit&eacute; &agrave; la retraite. Xavier a une voix qui &laquo;&nbsp;fictionne&nbsp;&raquo;. Le simple fait qu&rsquo;il s&rsquo;empare d&rsquo;un texte, gr&acirc;ce &agrave; sa voix et &agrave; sa pr&eacute;sence, nous plonge dans un univers myst&eacute;rieux. Nous lui avons aussi demand&eacute;, ainsi qu&rsquo;&agrave; un autre professeur &agrave; la retraite, Alain Chanel, d&rsquo;interpr&eacute;ter un jeune adolescent qui doit rassurer son ami inquiet &agrave; l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un rendez-vous amoureux. Demander &agrave; des com&eacute;diens plus &acirc;g&eacute;s d&rsquo;interpr&eacute;ter des personnages jeunes &eacute;tait le pari de cet &eacute;pisode, <em>Nouvelle vague</em>. Nous avions aussi la version r&eacute;alis&eacute;e par les jeunes &eacute;tudiants du lyc&eacute;e Le Corbusier, qui &eacute;tait totalement diff&eacute;rente ! Il y a aussi un d&eacute;calage li&eacute; au fait que des personnages masculins ont &eacute;t&eacute; jou&eacute;s par des com&eacute;diennes. Ainsi, dans <em>Inadmissible</em>, un couple homme/femme s&rsquo;est transform&eacute; en couple de femmes. Et le lyc&eacute;en amoureux d&rsquo;une fille de <em>F&ecirc;te foraine</em> a &eacute;t&eacute; jou&eacute; par une com&eacute;dienne, ce qui change donc la dimension sexuelle de l&rsquo;histoire. Tout n&rsquo;est pas toujours conscient dans ces changements, c&rsquo;est bien aussi.</p> <p style="text-align: justify;">Dans certains cas, avec ceux qui ne sont pas com&eacute;diens, nous nous sommes appuy&eacute;s sur les comp&eacute;tences acquises dans le cadre de leur travail. Le personnage principal de <em>Writing room</em>, une sc&eacute;nariste, est interpr&eacute;t&eacute;e par une vraie sc&eacute;nariste, Elina Gakou-Gomba. Celle-ci a modifi&eacute; le texte initial, et a introduit de nombreuses expressions propres &agrave; son univers professionnel, qui apportent de la cr&eacute;dibilit&eacute; &agrave; la s&eacute;quence. M&eacute;lanie Fresard, qui joue une polici&egrave;re (<em>La copie</em>, <em>La fille</em>) interrogeant une adolescente, est elle-m&ecirc;me en contact avec des jeunes dans le cadre de son travail au sein d&rsquo;une association. Les deux commentateurs du prix de Formule 1 de <em>Changement de pneu </em>sont eux-m&ecirc;mes journalistes, et sont sp&eacute;cialistes de sport&nbsp;! Ils apportent beaucoup de cr&eacute;dibilit&eacute; aux personnages. Il est tr&egrave;s difficile de jouer des personnages de journalistes, ils ont souvent int&eacute;rioris&eacute; des mani&egrave;res de s&rsquo;exprimer au fil des ann&eacute;es qu&rsquo;il n&rsquo;est pas facile de reproduire pour un acteur.</p> <p style="text-align: justify;">De nombreux com&eacute;diens sont aussi des artistes que nous connaissons. David S&eacute;chaud (<em>Writing</em> <em>room</em>, <em>Accident du travail</em>) est sc&eacute;nographe et metteur en sc&egrave;ne, Juliette Autin (<em>Les 150</em>, <em>Bangkok</em>) est sc&eacute;nographe, Viny Besnard (<em>La conf&eacute;rence</em>) est autrice-compositrice et chanteuse, Robin Beil&eacute; <em>(Les 150, Le facilitateur)</em> et Mike Sapwe (<em>T&rsquo;as pas d&rsquo;vie</em>) &eacute;galement&hellip; Ils ne sont pas habitu&eacute;s &agrave; interpr&eacute;ter des personnages, mais ils ont l&rsquo;exp&eacute;rience du travail de cr&eacute;ation. Ce qui est int&eacute;ressant, c&rsquo;est de cr&eacute;er ce petit d&eacute;calage, de leur demander d&rsquo;&ecirc;tre &agrave; une autre place que celle qu&rsquo;ils occupent la plupart du temps dans leur travail.</p> <p style="text-align: justify;">Nous avions aussi constitu&eacute; un petit protocole. Nous ne souhaitons pas que les com&eacute;diens lisent leur texte durant l&rsquo;enregistrement. Nous commencions donc par leur faire lire le texte, de mani&egrave;re neutre. Puis nous enregistrions une ou plusieurs prises avec le texte, puis, progressivement nous cachions le texte. Ce qui n&rsquo;a rien d&rsquo;&eacute;vident pour ceux qui ne sont pas com&eacute;diens. Mais c&rsquo;est ainsi, nous pr&eacute;f&eacute;rons les interpr&egrave;tes en mouvement, avec parfois quelques maladresses, &agrave; une lecture parfaite. Les com&eacute;diens ne pouvaient pas se reposer sur le texte. Nous leur disions souvent : INTERDICTION de lire ! Ce qui importait, c&rsquo;&eacute;tait la r&eacute;interpr&eacute;tation du texte par les &laquo; acteurs&nbsp;&raquo;, la mani&egrave;re dont ils vivaient la situation, et incarnaient le personnage. C&rsquo;est plus une fid&eacute;lit&eacute; &agrave; la situation qu&rsquo;au texte que nous recherchons. Nous ne sommes donc pas dans une impro totale, c&rsquo;est m&ecirc;me tout l&rsquo;inverse. Le moment du tournage est pour nous une des phases de l&rsquo;&eacute;criture de <em>Fins du monde</em>.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="4_Montage_Realisation">4. Montage / R&eacute;alisation</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Le processus de r&eacute;alisation d&eacute;bute souvent &agrave; la premi&egrave;re lecture du texte. Nous discutons ensemble de l&rsquo;id&eacute;e globale &eacute;manant de la fiction, de ce qu&rsquo;elle nous &eacute;voque dans notre exp&eacute;rience propre. Ce processus sera aussi r&eacute;p&eacute;t&eacute; aupr&egrave;s des acteurs dans une moindre mesure. Nous d&eacute;cidons ensuite du lieu du tournage ainsi que des acteurs. Ces choix emm&egrave;nent la fiction dans une direction, par exemple dans <em>Le sabre, </em>nous avons pens&eacute; &agrave; Florian Bonvarlet qui entretient lui-m&ecirc;me une relation particuli&egrave;re avec les films de Quentin Tarantino, et &agrave; qui nous avons demand&eacute; de jouer de la guitare en m&ecirc;me temps qu&rsquo;il jouait le texte, ce qui le mettait plus &agrave; l&rsquo;aise, et qui, m&ecirc;me si le montage deviendrait bien plus difficile par la suite, apportait une couleur in&eacute;dite &agrave; l&rsquo;&eacute;pisode.</p> <p style="text-align: justify;">Dans <em>Writing room</em>, nous avons jou&eacute; dans le lieu de travail (temporaire) d&rsquo;Elina Gakou-Gomba. Pour l&rsquo;&eacute;pisode <em>Fin du monde</em>, nous avons d&eacute;cid&eacute; de partager les r&ocirc;les entre une enfant et une personne plus &acirc;g&eacute;e. Souvent nous recherchons un &laquo;&nbsp;d&eacute;calage&nbsp;&raquo; avec le texte d&rsquo;origine, une sorte de d&eacute;placement, ou alors un fil &agrave; tirer pour amener l&rsquo;histoire &agrave; prendre une direction plus burlesque, plus fantastique, pour, en fait, cr&eacute;er un autre regard par la mise en sc&egrave;ne du texte original. Dans <em>Retour</em>, le d&eacute;calage vient du fait que L&eacute;a Mariette joue les deux personnages de l&rsquo;&eacute;pisode, le lyc&eacute;en amoureux et le fant&ocirc;me, qui est en r&eacute;alit&eacute; une lyc&eacute;enne qui s&rsquo;est tu&eacute;e dans un accident de man&egrave;ge. Les deux jeux sont diff&eacute;rents : le lyc&eacute;en parle normalement, tandis que le fant&ocirc;me chuchote, comme s&rsquo;il ne voulait pas &ecirc;tre d&eacute;couvert (ils sont dans une cabine de la piscine).</p> <p style="text-align: justify;">Une fois le tournage fini, nous passons par une phase de d&eacute;rushage et de montage. Ce processus engendre parfois une sorte de r&eacute;&eacute;criture, qui nous am&egrave;ne &agrave; choisir ensemble la direction finale que prendra l&rsquo;&eacute;pisode, comme par exemple dans <em>Jazz, </em>ou <em>F&ecirc;te foraine. </em>Au d&eacute;but, la construction du rythme des &eacute;pisodes &eacute;tait difficile. En effet, nous avions &agrave; chaque fois entre 1 et 2 heures de rush pour un &eacute;pisode de 2 minutes, avec en plus parfois un jeu in&eacute;gal d&ucirc; &agrave; des com&eacute;diens non-professionnels. Certaines s&eacute;quences de texte mises bout &agrave; bout duraient souvent 10 minutes, parfois 20 minutes. Et en plus, nous souhaitions laisser dans ces 2 minutes des silences et des espaces pour le son, mais aussi introduire les &eacute;pisodes par quelques secondes de sons, afin de laisser le temps &agrave; l&rsquo;auditeur de s&rsquo;immerger dans l&rsquo;univers cr&eacute;&eacute;. Puis nous avons petit &agrave; petit r&eacute;ussi &agrave; r&eacute;duire les montages &agrave; 8 minutes puis 5 et enfin environ 2 minutes. Comme lors du processus d&rsquo;&eacute;criture, au bout de quelques &eacute;pisodes, le rythme est trouv&eacute; et le montage devient plus &eacute;vident. Dans cette phase de travail, le format des 2 minutes a aussi &eacute;t&eacute; tr&egrave;s contraignant. <em>F&ecirc;te foraine</em> a pris &eacute;norm&eacute;ment de temps au mixage car des sons de man&egrave;ge sont mix&eacute;s avec de la musique, et trouver le bon rythme et la bonne place de chaque &eacute;l&eacute;ment a donn&eacute; du fil &agrave; retordre&nbsp;!</p> <p style="text-align: justify;">La question du rythme est primordiale. Dans <em>Fins du monde</em> nous avons cherch&eacute; &agrave; cr&eacute;er des sortes de ponctuations au sein des &eacute;pisodes. Des temps d&rsquo;&eacute;coute du son, des temps d&rsquo;arr&ecirc;t, des respirations, mais aussi des blocs de phrases ponctu&eacute;s de points d&rsquo;interrogation. Chaque &eacute;pisode devait poss&eacute;der sa couleur propre, son univers et ses contrastes et, comme pour les morceaux qui composent un concert, des tempos. La musique est un &eacute;l&eacute;ment que nous avons du mal &agrave; consid&eacute;rer comme un simple &laquo;&nbsp;habillage&nbsp;&raquo;, m&ecirc;me si souvent elle semble s&rsquo;en approcher. Les &eacute;pisodes sont travaill&eacute;s comme des compositions musicales, avec des basses, des voix, des instruments, des &eacute;l&eacute;ments percussifs, un tempo, des timbres. Par cela, nous nous rapprochons de la musique &eacute;lectro-acoustique. Souvent la musique d&eacute;coule de sonorit&eacute;s que nous percevons d&eacute;j&agrave; dans le tournage&hellip; bruits blancs dus &agrave; une soufflerie, murmure urbain, rythme des &eacute;changes entre les voix<strong>, </strong>timbre des voix&hellip; Jonglant entre des enregistrements que nous avions d&eacute;j&agrave; r&eacute;alis&eacute;s et des cr&eacute;ations originales r&eacute;alis&eacute;es sur le vif.</p> <p style="text-align: justify;">Sur le vif, car notre pratique de la cr&eacute;ation musicale est tr&egrave;s li&eacute;e &agrave; l&rsquo;improvisation elle aussi. Nous prenons un instrument, un objet, une voix, et hop, nous enregistrons en direct. Souvent &ccedil;a marche. Puis nous montons, nous mixons, avec la fiction. C&rsquo;est ce qui s&rsquo;est pass&eacute; dans <em>Retour</em> ou<em> Bangkok</em> par exemple.</p> <p style="text-align: justify;">Dans <em>Writing room, </em>la musique a &eacute;t&eacute; pens&eacute;e &laquo; efficace &raquo;, afin de rappeler les musiques de &laquo; soap op&eacute;ra &raquo; et justement de servir une sorte &laquo; d&rsquo;habillage &raquo; mais qui correspond au format que nous voulions y &eacute;voquer. Elle permet &eacute;galement de ponctuer le d&eacute;bit de l&rsquo;actrice, sa mani&egrave;re de parler et d&rsquo;ajouter de l&rsquo;humour &agrave; l&rsquo;&eacute;pisode. En effet, l&rsquo;auditeur entend ici des bruitages qu&rsquo;il sait inconsciemment inaudibles des personnages fictifs. Cela cr&eacute;e une sorte de mise en ab&icirc;me de la fiction. Car justement dans <em>Fins du monde</em> nous souhaitons que l&rsquo;auditeur <em>&eacute;coute</em>, au sens presque d&rsquo;espionner.</p> <p style="text-align: justify;">Dans <em>Le facilitateur </em>et <em>Quitter la nuit</em>, nous avons ajout&eacute; des enregistrements musicaux d&rsquo;il y a quelques ann&eacute;es de Thomas Rochard et Marine Ang&eacute;. Les montages ont &eacute;t&eacute; alors r&eacute;alis&eacute;s par des aller-retours entre ces musiques et le tournage de la fiction. Dans <em>Le facilitateur</em>, les frottements d&rsquo;archet dialoguaient bien avec le murmure de la ville ; nous avons &eacute;galement ajout&eacute; des enregistrements de corneilles afin de cr&eacute;er une v&eacute;ritable ambiance cin&eacute;matographique.</p> <p style="text-align: justify;">Dans <em>La&nbsp;bicyclette</em>, le violoncelle devient lui-m&ecirc;me un personnage, dialoguant avec le personnage principal. Dans <em>Le plongeon</em>, le son de la fin, enregistr&eacute; lors d&rsquo;un concert de Matthias Moss et Marine Ang&eacute;, incarne ce &laquo; monstre &raquo; ou objet effrayant &eacute;voqu&eacute; par le personnage. Dans cet &eacute;pisode, pour reprendre toujours cette id&eacute;e &laquo;&nbsp;d&rsquo;&eacute;coute&nbsp;&raquo; du public, nous avons choisi d&rsquo;alt&eacute;rer le son par des coupures brutes, pour laisser entendre que l&rsquo;aspect fantastique ayant lieu dans la fiction se r&eacute;percute &eacute;galement dans l&rsquo;univers de l&rsquo;auditeur.</p> <p style="text-align: justify;">C&rsquo;est &eacute;galement un parti pris dans les &eacute;pisodes <em>Jazz, Train bleu, Tendre est la nuit</em> et<em> It came out of the blue</em>. Dans ces &eacute;pisodes, &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;coute&nbsp;&raquo; est port&eacute;e &agrave; son apog&eacute;e puisque nous &eacute;coutons ce que nous ne devrions pas entendre, le off d&rsquo;un plateau radio. Pour renforcer cette id&eacute;e, nous avons choisi d&rsquo;alterner les points de vue. En effet, nous entendons parfois la fiction depuis le studio radio, dans lequel a lieu le dialogue des personnages de <em>David</em> et <em>M&eacute;lanie </em>(son clair et neutre, pas de sons d&rsquo;ambiance) mais nous l&rsquo;entendons &eacute;galement depuis le lieu d&rsquo;&eacute;coute d&rsquo;auditeurs fictifs, puisque nous entendons un son provenant d&rsquo;un poste radio, depuis une salle de bain, une cuisine, un salon&hellip;. Et accompagn&eacute;s des bruits du quotidiens&nbsp;(ceux qui nous accompagnent tous dans nos &eacute;coutes radiophoniques, auditeurs que nous sommes)&nbsp;: lavage de la vaisselle, brossage de dents, douche&hellip;. Et c&rsquo;est l&agrave; pour nous le lieu du fantastique, quand le fantastique op&egrave;re un d&eacute;placement entre le fond et le format de la fiction. L&rsquo;&eacute;pisode <em>Jazz</em> agit comme une porte d&rsquo;entr&eacute;e des fictions de la s&eacute;rie. L&rsquo;auditeur <em>est </em>dans la fiction, c&rsquo;est lui qui la fabrique, et &laquo;&nbsp;&eacute;coutant&nbsp;&raquo;, en espionnant des bribes d&rsquo;histoires, des fins du monde. Les trois autres &eacute;pisodes mettant en sc&egrave;ne ce studio radio, agissent en fil rouge pour ponctuer la s&eacute;rie, comme les dialogues des pr&eacute;sentateurs lors d&rsquo;une &eacute;mission de jazz.</p> <p style="text-align: justify;">D&egrave;s le d&eacute;but de ce travail nous avions &agrave; peu pr&egrave;s une id&eacute;e de l&rsquo;ordre dans lequel nous diffuserions ces &eacute;pisodes (il existe &eacute;galement une version d&rsquo;une heure avec tous les &eacute;pisodes &agrave; la suite dans un seul format, et sans g&eacute;n&eacute;rique), ce qui a contribu&eacute; aux univers des &eacute;pisodes. Dans <em>Fins du monde</em>, quelques bruitages ont &eacute;t&eacute; r&eacute;alis&eacute;s (<em>La copie</em>, <em>Quitter la nuit et </em>pour <em>Writing room </em>aussi, car nous voulions un aspect &laquo;&nbsp;soap op&eacute;ra&nbsp;&raquo;. Parfois, les sons sont t&eacute;l&eacute;charg&eacute;s depuis des banques de sons. Beaucoup de sons ont subi des transformations, des montages en couches, afin de cr&eacute;er des univers in&eacute;dits et immersifs.</p> <p style="text-align: justify;">Mais, aussi, parce que nous avons d&eacute;cid&eacute; de tourner beaucoup d&rsquo;&eacute;pisodes en ext&eacute;rieur ou dans des environnements r&eacute;els, certains &eacute;pisodes sont livr&eacute;s presque d&eacute;nu&eacute;s de sons ajout&eacute;s (<em>La conf&eacute;rence, Le sabre, T&rsquo;as pas d&rsquo;vie&hellip;)</em>. Ici il s&rsquo;agissait de laisser vivre les sons pr&eacute;sents dans les tournages, parfois d&eacute;j&agrave; musicaux, mais aussi parce que nous souhaitions donner &agrave; certaines fictions un traitement plus cru, et plus proche d&rsquo;une sorte de document, ou de t&eacute;moignage. Ce traitement nous a permis aussi d&rsquo;alterner la diffusion avec des &eacute;pisodes plus charg&eacute;s en couches sonores.</p> <p style="text-align: justify;">Y-a-t-il une unit&eacute; stylistique&nbsp;? En fait, chaque &eacute;pisode est une sorte de petit laboratoire en soi. L&rsquo;inspiration est cin&eacute;matographique. Certains &eacute;pisodes rel&egrave;vent du genre fantastique (<em>Le plongeon</em>, <em>Retour</em>, <em>Fin du mond</em>e, <em>Les 150</em>), d&rsquo;autres du genre film noir (<em>It came out of Blue</em>, avec sa musique jazzy et ses bruits de pluie) ou du polar survitamin&eacute; (<em>Accident de travail</em>). Avec d&rsquo;autres, nous avons aussi la volont&eacute; de nous inscrire dans tel ou tel genre cin&eacute;matographique. <em>Nouvelle vague</em> ne s&rsquo;appelle pas ainsi par hasard, c&rsquo;est l&rsquo;esprit des premiers films de Claude Chabrol et de Jean-Luc Godard qui inspirent ce dialogue d&rsquo;amis qui parlent des filles qu&rsquo;ils aiment. L&rsquo;esprit de la nouvelle vague se retrouve aussi dans <em>Le l&eacute;zard</em> et <em>Quitter la nuit</em> (dialogue amoureux), <em>F&ecirc;te foraine</em>, avec la voix de L&eacute;a Mariette qui &eacute;voque les voix off de Fran&ccedil;ois Truffaut. En revanche, pour ce dernier, les bruits de f&ecirc;te foraine et de cris de foule sont un contrepoint &agrave; cette dimension plus romanesque. Comme si la beaut&eacute; luttait contre la trivialit&eacute;, et que le songe du h&eacute;ros se heurtait &agrave; la prosa&iuml;que r&eacute;alit&eacute;. <em>Changement de pneu </em>commence comme une retransmission sportive &agrave; la TV, mais se termine comme un film tragique qui pourrait se d&eacute;rouler pendant la Guerre du Vietnam. M&ecirc;me en 2mn30, on peut donc jouer avec beaucoup d&rsquo;instruments pour cr&eacute;er une atmosph&egrave;re.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="5_Economie">5. &Eacute;conomie</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Avec <em>Fins du monde</em>, nous nous trouvons dans une &eacute;conomie pr&eacute;caire. Certains des choix que nous avons faits (peu de mat&eacute;riel, format, tournages en ext&eacute;rieurs, acteurs non professionnels&hellip;) ont la place dans cette &eacute;conomie, mais nous les revendiquons &eacute;galement dans le traitement et le fond de notre sujet. Cette &eacute;conomie pr&eacute;caire dans laquelle nous nous trouvons n&rsquo;est pas un choix en soi, nous aimerions r&eacute;mun&eacute;rer plus justement nos partenaires et nous-m&ecirc;mes, et il existe peu de moyens mis &agrave; disposition pour la fiction radiophonique en France.</p> <p style="text-align: justify;"><em>Fins du monde</em> a &eacute;t&eacute; cr&eacute;&eacute; dans un mouvement de transformation du paysage de la fiction radiophonique en France, entre les cr&eacute;ations radiophoniques et le podcast. La s&eacute;rie a d&rsquo;ailleurs &eacute;t&eacute; diffus&eacute;e par les deux biais, &agrave; la radio en Belgique (RTBF, <em>Par Ou&iuml;-dire</em>) et au Canada (<a href="https://www.magnetobalado.com/" target="_blank">Magneto</a>), ainsi que, de notre propre initiative, en podcast en France (<a href="https://podcasts.apple.com/fr/podcast/fins-du-monde/id1220390110" target="_blank">ici</a>). Son format correspond &eacute;galement pour nous &agrave; une tentative de se rapprocher des modalit&eacute;s d&rsquo;&eacute;coute de la musique sur internet et &agrave; la radio. M&ecirc;me si nous nous sommes rapproch&eacute;s d&rsquo;une certaine forme d&rsquo;efficacit&eacute; due au format court, nous n&rsquo;en avons pas moins essay&eacute; de traiter un questionnement de fond qui parcourt les 24 &eacute;pisodes, pour au final entretenir l&rsquo;attention des auditeurs sur 60 minutes.</p> <h2 style="text-align: justify;"><span id="Conclusion">Conclusion</span><br /> &nbsp;</h2> <p style="text-align: justify;">Dans ce travail, nous souhaitons immerger le public dans un monde de sons, aux univers et aux couleurs vari&eacute;es. Nous souhaitons lui faire entendre des voix provenant de milieux diff&eacute;rents, aux grains, aux accents, &agrave; la musique vari&eacute;e. Lui faire entendre des sonorit&eacute;s &eacute;tranges, et lui donner acc&egrave;s, par la fiction, et par un format proche de la chanson, &agrave; des questionnements de fond, mais aussi &agrave; activer son sens de l&rsquo;&eacute;coute. Lorsque nous avons r&eacute;alis&eacute; ces &eacute;pisodes, nous avions notre propre fiction dans la t&ecirc;te, pour nous, les &eacute;pisodes &eacute;taient des &eacute;v&egrave;nements qui arriveraient simultan&eacute;ment.</p> <p style="text-align: justify;">Notre mani&egrave;re de travailler se souhaite horizontale :<strong>&nbsp;</strong>les acteurs et musiciens ont aussi leurs propres interpr&eacute;tations et suggestions, ainsi que les espaces dans lesquels nous travaillons. Dans <em>Fins du monde</em>, et de mani&egrave;re assez sp&eacute;cifique &agrave; ce travail-l&agrave;, nous n&rsquo;adaptons pas vraiment les textes mais nous &eacute;crivons, avec le son et avec des mots et l&rsquo;enregistrement, de v&eacute;ritables cr&eacute;ations originales, bas&eacute;es sur des histoires, des sons, des voix des interpr&eacute;tations&hellip; Ceci, de l&rsquo;&eacute;criture &agrave; la r&eacute;alisation, en passant par le tournage o&ugrave; nous sommes tous pr&eacute;sents. Ainsi se cr&eacute;ent des histoires qui nous &eacute;chappent&hellip; et c&rsquo;est pour le mieux.</p> <p style="text-align: justify;">La saison 2 est pour tr&egrave;s bient&ocirc;t ! Mais nous ne reproduirons pas le m&ecirc;me dispositif. Il y aura moins d&rsquo;&eacute;pisodes ‒&nbsp;une dizaine&nbsp;‒ et les dur&eacute;es se rapprocheront des dix minutes. En revanche, il y aura davantage de liens entre les &eacute;pisodes, et tous auront plus ou moins une structure identique. Mais les personnages seront aussi &agrave; chaque fois diff&eacute;rents.</p> <p style="text-align: justify;"><em>Fins du monde</em> s&rsquo;&eacute;coute sur les plateformes de podcast, et sur : https://sonyapodcast.com/</p> <h3><span id="Auteurs">Auteurs</span></h3> <p><strong>Marine Ang&eacute;</strong> est artiste, autrice, r&eacute;alisatrice sonore et musicienne.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Christophe Deleu</strong>&nbsp;est professeur &agrave; l&rsquo;universit&eacute; de Strasbourg, et directeur du Cuej (Centre Universitaire d&rsquo;enseignement du Journalisme). Il a publi&eacute; plusieurs ouvrages, dont&nbsp;<em>Le documentaire radiophonique</em> (Ina-L&rsquo;Harmattan, 2013). Il est aussi auteur radio, notamment pour France Culture et la RTBF.&nbsp;Il est pr&eacute;sident de la commission radio de la Soci&eacute;t&eacute; des Gens de Lettres<em>.</em></p> <h3>Copyright</h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p> </div>