<h3>Abstract</h3> <p>Starting from the anachronism of certain secondary characters (Proust&rsquo;s M. de Charlus, but mainly Mlle de Varandeuil in the Goncourt brothers&rsquo;&nbsp;<em>Germinie Lacerteux</em>, Jeanne&rsquo;s aunt and mother in Maupassant&rsquo;s&nbsp;<em>Une vie</em>), this article develops a reflection on the possible articulations of secondarity and temporality. It suggests that the realist novel uses its system of characters to reveal, through specifically novelistic means, that the present is made up of conflicting or discordant temporalities.</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p>characters, Goncourt, Maupassant, anachronism</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>Au d&eacute;but du&nbsp;<em>Temps retrouv&eacute;</em>, le narrateur proustien revient en 1916 dans un Paris tr&egrave;s diff&eacute;rent de celui qu&rsquo;il a connu, et m&ecirc;me tr&egrave;s diff&eacute;rent de celui qu&rsquo;il avait retrouv&eacute; d&eacute;j&agrave; en 1914. C&rsquo;est alors qu&rsquo;il croise M. de Charlus, sans cependant l&rsquo;identifier au premier regard. La guerre a, effectivement, pr&eacute;cipit&eacute; le passage du temps et rendu le monde impossible &agrave; reconna&icirc;tre. Consid&eacute;r&eacute; &laquo;&nbsp;avant-guerre&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>&nbsp;&raquo;, le baron est d&eacute;pass&eacute; et du m&ecirc;me coup d&eacute;class&eacute; au sein de la soci&eacute;t&eacute; parisienne, entra&icirc;nant sa rupture avec le clan Verdurin. &laquo;&nbsp;La guerre avait mis entre lui et le pr&eacute;sent, selon le petit clan, une coupure qui le reculait dans le pass&eacute; le plus mort&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>.&nbsp;&raquo; Ainsi non seulement Charlus est-il abandonn&eacute; loin derri&egrave;re par le temps qui court, mais il est aussi mis au ban, tenu dans les marges du monde. Pourtant, malgr&eacute; cette incontestable d&eacute;ch&eacute;ance, le baron est toujours l&agrave;&nbsp;: il est encore quelqu&rsquo;un que l&rsquo;on peut croiser, qui peut surgir au d&eacute;tour d&rsquo;une rue, et qui poursuit ses aventures dans le hors-champ de l&rsquo;univers mondain o&ugrave; &eacute;volue le narrateur. Charlus se trouve associ&eacute; &agrave; une p&eacute;riode historique qui, en se terminant, l&rsquo;a condamn&eacute; &agrave; se survivre, mais il survit tout de m&ecirc;me. Par cette rencontre fortuite dans Paris, c&rsquo;est bien un pass&eacute; et un pr&eacute;sent, le temps de l&rsquo;avant-guerre et celui de la guerre, qui coexistent un instant.</p> <p>La sc&egrave;ne peut &ecirc;tre lue comme une anticipation sur le &laquo;&nbsp;bal des t&ecirc;tes&nbsp;&raquo; qui cl&ocirc;t le roman de Proust, sur le vieillissement g&eacute;n&eacute;ralis&eacute; qui m&egrave;nera le narrateur &agrave; entrer enfin dans le temps. Mais elle illustre &eacute;galement une r&eacute;alit&eacute; que le XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle a sans doute &eacute;prouv&eacute;e le plus fortement&nbsp;: la survivance dans le pr&eacute;sent d&rsquo;&eacute;poques devant &ecirc;tre r&eacute;volues ou, pour le dire comme Reinhart Koselleck, la &laquo;&nbsp;simultan&eacute;it&eacute; du non-simultan&eacute;&nbsp;&raquo;, entra&icirc;n&eacute;e par l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration du changement historique, qui s&rsquo;impose de fa&ccedil;on in&eacute;gale aux soci&eacute;t&eacute;s&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>. La succession de r&eacute;gimes politiques qui suit 1789 et scande le d&eacute;but du si&egrave;cle, tout particuli&egrave;rement, fait reculer dans le pass&eacute; des &ecirc;tres dont la naissance n&rsquo;est en r&eacute;alit&eacute; pas tr&egrave;s &eacute;loign&eacute;e. Le temps social, autrement dit, semble avancer plus vite que les existences individuelles, qui ont d&egrave;s lors la possibilit&eacute; de se terminer apr&egrave;s l&rsquo;&eacute;poque qui leur donnait leur ancrage. Pour Fran&ccedil;ois Hartog, c&rsquo;est &agrave; ces discordances du temps que le roman du XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle se serait avant tout int&eacute;ress&eacute;. Si les &eacute;crivains se font imposer l&rsquo;&eacute;vidence d&rsquo;un temps nouveau, du tempo acc&eacute;l&eacute;r&eacute; de la modernit&eacute;, les &oelig;uvres ne se contenteraient pas de le refl&eacute;ter ou de s&rsquo;y arrimer. Au contraire, elles repr&eacute;senteraient plut&ocirc;t les &laquo;&nbsp;failles&nbsp;&raquo; ouvertes dans la trame de l&rsquo;histoire et montreraient que le pr&eacute;sent est compos&eacute; d&rsquo;un &laquo;&nbsp;enchev&ecirc;trement de temporalit&eacute;s diff&eacute;rentes&nbsp;&raquo;, voire d&rsquo;un &laquo;&nbsp;conflit des temps&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>&nbsp;&raquo;. L&rsquo;historien pr&eacute;cise que le principal support de ces &laquo;&nbsp;failles&nbsp;&raquo; serait le personnage romanesque&nbsp;: le roman du XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle est effectivement peupl&eacute; de survivants, &eacute;voluant au-del&agrave; de ce qui aurait d&ucirc; &ecirc;tre leur fin. Le cas le plus exemplaire, mentionn&eacute; &agrave; juste titre par Fran&ccedil;ois Hartog, est le colonel Chabert de Balzac, revenu d&rsquo;outre-tombe, o&ugrave; il gisait &agrave; c&ocirc;t&eacute; d&rsquo;un r&eacute;gime et d&rsquo;une &eacute;poque. Cet &laquo;&nbsp;anachronisme vivant&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>&nbsp;&raquo;, pour emprunter la formule de l&rsquo;historien, est un personnage de l&rsquo;entre-deux, pris entre deux &eacute;poques, incarnant la fracture nouvelle entre pass&eacute; et pr&eacute;sent qui caract&eacute;rise le temps moderne (ce dont sa cicatrice serait le symbole, impos&eacute; &agrave; la vue de tous). Tout comme le colonel Chabert, le baron de Charlus ne peut participer &agrave; ce que les contemporains ressentent comme &eacute;tant le &laquo;&nbsp;pr&eacute;sent&nbsp;&raquo; en 1916, mais le pass&eacute; qu&rsquo;il incarne persiste tout de m&ecirc;me dans l&rsquo;espace du roman. Proust, en cela, se pr&eacute;sente comme l&rsquo;h&eacute;ritier de Balzac, sensible aux &laquo;&nbsp;glorieux d&eacute;bris&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>&nbsp;&raquo; de la Belle &Eacute;poque comme l&rsquo;&eacute;tait son pr&eacute;d&eacute;cesseur &agrave; ceux de l&rsquo;Empire (le cousin Pons, par exemple) et de l&rsquo;aristocratie &eacute;migr&eacute;e, revenue en France, ou croupissant dans les provinces (le &laquo;&nbsp;cabinet des Antiques&nbsp;&raquo;). Dans la&nbsp;<em>Com&eacute;die humaine</em>, comme d&rsquo;autres avant nous l&rsquo;ont bien remarqu&eacute;, l&rsquo;anachronisme s&rsquo;inscrit souvent &agrave; m&ecirc;me le corps ou l&rsquo;habit des personnages, marqu&eacute;s par cet autre moment auquel ils sont attach&eacute;s et qu&rsquo;ils ram&egrave;nent dans le pr&eacute;sent, &agrave; rebours de l&rsquo;histoire&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>. Les &laquo;&nbsp;failles&nbsp;&raquo; nouvelles du temps s&rsquo;expriment ainsi par la cr&eacute;ation d&rsquo;un nouveau type, l&rsquo;anachronisme vivant &ndash; ou&nbsp;<em>les</em>&nbsp;anachronismes vivants, selon l&rsquo;&eacute;poque dont ces personnages portent la trace.</p> <p>Or l&rsquo;expression de Reinhart Koselleck &ndash; cette &laquo;&nbsp;simultan&eacute;it&eacute; du non-simultan&eacute;&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash; encourage &agrave; la comparaison de ces diff&eacute;rents &ecirc;tres, de ces diff&eacute;rents temps, qui cohabitent dans un m&ecirc;me pr&eacute;sent. Pouvons-nous donc dire que les &laquo;&nbsp;failles&nbsp;&raquo; du temps&nbsp;&raquo; s&rsquo;expriment uniquement par l&rsquo;av&egrave;nement de survivants au sein des intrigues romanesques&nbsp;? Ne prendraient-elles pas forme, plus g&eacute;n&eacute;ralement, dans et par le syst&egrave;me des personnages ? Alex Woloch, et avant lui Philippe Hamon, ont bien montr&eacute; que les personnages n&rsquo;existent pas seuls, mais qu&rsquo;ils sont organis&eacute;s dans un ensemble de rapports et de hi&eacute;rarchies, qui assignent &agrave; chacun sa place autant dans le r&eacute;cit que dans la soci&eacute;t&eacute; repr&eacute;sent&eacute;e&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>. Tout en s&rsquo;appuyant sur les travaux de Fran&ccedil;ois Hartog, cet article voudrait donc d&eacute;velopper l&rsquo;hypoth&egrave;se de l&rsquo;historien en &eacute;tudiant le r&ocirc;le du personnel romanesque, dans son ensemble, dans la mise en forme du &laquo;&nbsp;conflit des temps&nbsp;&raquo; moderne.</p> <p>Il faut, en effet, se demander&nbsp;<em>o&ugrave;</em>&nbsp;se situent les v&eacute;ritables anachronismes vivants dans le syst&egrave;me des personnages du roman du XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle. Constatons d&rsquo;abord que beaucoup d&rsquo;entre eux, surtout dans la seconde moiti&eacute; du si&egrave;cle, n&rsquo;occupent pas l&rsquo;avant-plan comme le colonel Chabert. Au contraire, ils habitent le plus souvent les marges de l&rsquo;intrigue, dans l&rsquo;ombre d&rsquo;un protagoniste &eacute;ponyme qui, lui, peut &eacute;voluer dans le temps pr&eacute;sent. Pensons, par exemple, &agrave; la tante de Dominique, dans le roman &eacute;ponyme d&rsquo;Eug&egrave;ne Fromentin, qui entretient son &laquo;&nbsp;amour des choses surann&eacute;es&nbsp;&raquo; en tenant un salon de province sous la monarchie de Juillet.</p> <blockquote> <p>Elle y r&eacute;unissait, particuli&egrave;rement le dimanche soir, les quelques survivants de son ancienne soci&eacute;t&eacute;. Tous appartenaient &agrave; la monarchie tomb&eacute;e, et s&rsquo;&eacute;taient retir&eacute;s du monde avec elle. La r&eacute;volution, qu&rsquo;ils avaient vue de pr&egrave;s, et qui leur fournissait un fonds commun d&rsquo;anecdote et de griefs, les avait tous aussi fa&ccedil;onn&eacute;s de m&ecirc;me en les trempant dans la m&ecirc;me &eacute;preuve. On se souvenait des durs hivers pass&eacute;s ensemble dans la citadelle de ***, du bois qui manquait, des dortoirs de caserne o&ugrave; l&rsquo;on couchait sans lit [&hellip;]. On ne conspirait point, on m&eacute;disait &agrave; peine, on attendait. Enfin, dans un coin du salon, il y avait une table de jeu pour les enfants, et c&rsquo;est l&agrave; que chuchotaient, tout en remuant les cartes, le parti de la jeunesse et les repr&eacute;sentants de l&rsquo;avenir, c&rsquo;est-&agrave;-dire de l&rsquo;inconnu&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>.</p> </blockquote> <p>Les figurants du salon de Mme Ceyssac sont rattach&eacute;s &agrave; un moment historique pr&eacute;cis, la R&eacute;volution, &agrave; la fois culmination et d&eacute;nouement de leur existence, dont ils ne peuvent que ressasser les souvenirs&nbsp;: ils sont, comme le dit le narrateur, condamn&eacute;s &agrave; &laquo;&nbsp;attendre&nbsp;&raquo;, car le temps qui leur reste ne peut plus se remplir ni se ranimer. La description rappelle le salon des Dambreuse, dans&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale</em>, divis&eacute; par une opposition similaire entre deux g&eacute;n&eacute;rations : &laquo; Sauf de petits jeunes gens &agrave; barbe naissante, tous paraissaient s&rsquo;ennuyer [&hellip;]. Les t&ecirc;tes grises, les perruques &eacute;taient nombreuses ; de place en place, un cr&acirc;ne chauve luisait&nbsp;; et les visages, ou empourpr&eacute;s ou tr&egrave;s bl&ecirc;mes, laissaient voir dans leur fl&eacute;trissure la trace d&rsquo;immenses fatigues&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>&nbsp;&raquo;. L&rsquo;association &agrave; une classe, &agrave; un r&eacute;gime, est moins nette ici, malgr&eacute; la pr&eacute;sence not&eacute;e plus tard dans le m&ecirc;me salon d&rsquo;une &laquo;&nbsp;vieille petite dame&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;[f]ille d&rsquo;un compagnon d&rsquo;exil du comte d&rsquo;Artois et veuve d&rsquo;un mar&eacute;chal de l&rsquo;Empire cr&eacute;&eacute; pair de France en 1830&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>&nbsp;&raquo;. Dans les deux romans, cependant, un contraste se dessine entre le parti de la vieillesse et le parti de la jeunesse, entre t&ecirc;tes grises et barbes naissantes, entre ceux qui s&rsquo;ennuient et ceux qui aspirent, chuchotent, planifient l&rsquo;avenir. L&rsquo;anachronisme des premiers ne peut se saisir qu&rsquo;en relation &agrave; la temporalit&eacute; des autres. Fromentin et Flaubert distinguent ainsi ceux qui peut-&ecirc;tre sauront utiliser le temps nouveau, en tirer profit, et ceux qui seront laiss&eacute;s derri&egrave;re, incapables ou peu int&eacute;ress&eacute;s de s&rsquo;en saisir. Ainsi, les anachronismes vivants composent souvent l&rsquo;arri&egrave;re-plan des romans, arri&egrave;re-plan dont devra se d&eacute;tacher le protagoniste, comme Dominique, dont l&rsquo;aventure commence pr&eacute;cis&eacute;ment au paragraphe suivant avec la rencontre de son ami Olivier. Ces personnages peu m&eacute;morables, peu essentiels &agrave; l&rsquo;intrigue, sont bien ce qui donne &agrave; celle-ci son relief temporel, c&rsquo;est-&agrave;-dire son actualit&eacute;.</p> <p>Dans&nbsp;<em>The One vs. the Many</em>, Alex Woloch fait du roman moderne une lutte, entre personnages trop nombreux, pour l&rsquo;espace narratif&nbsp;: chaque personnage aurait son &laquo;&nbsp;espace&nbsp;&raquo;, relatif &agrave; celui des autres, qui d&eacute;terminerait l&rsquo;attention &agrave; laquelle il a droit de la part des lecteurs. Or cette lutte entre personnages se fait aussi pour le temps. D&rsquo;abord, l&rsquo;espace d&rsquo;un personnage dans le r&eacute;cit correspond &agrave; une dur&eacute;e de lecture, qui elle-m&ecirc;me offre la possibilit&eacute; d&rsquo;exister de fa&ccedil;on continue, de d&eacute;ployer son existence dans le temps. Il serait possible d&rsquo;avancer que les personnages &laquo;&nbsp;mineurs&nbsp;&raquo;, pour reprendre le terme d&rsquo;Alex Woloch, ne sont pas uniquement d&eacute;finis par le peu d&rsquo;espace qu&rsquo;ils occupent, mais aussi par le peu de temps dont ils disposent, &agrave; la mani&egrave;re des &laquo;&nbsp;conserves de noblesse&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>&nbsp;&raquo; auxquels nous venons de r&eacute;f&eacute;rer, dont la pr&eacute;sence s&rsquo;&eacute;puise aussit&ocirc;t, au bout d&rsquo;un seul paragraphe. Cette disparition rapide semble bien motiv&eacute;e par leur anachronisme&nbsp;: en effet, s&rsquo;ils ne peuvent durer dans le pr&eacute;sent du r&eacute;cit, c&rsquo;est qu&rsquo;ils ne peuvent trouver place dans le pr&eacute;sent de la fiction, dans l&rsquo;&eacute;poque qui nous est relat&eacute;e. La lutte entre les personnages, telle que la d&eacute;crit Alex Woloch, serait donc &eacute;galement une lutte pour l&rsquo;actualit&eacute;&nbsp;: le &laquo;&nbsp;conflit des temps&nbsp;&raquo; qui se manifeste si nettement aux yeux des historiens du XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, se jouerait&nbsp;<em>entre</em>&nbsp;les personnages, et non seulement en chacun d&rsquo;entre eux. Fran&ccedil;ois Hartog en a l&rsquo;intuition lorsqu&rsquo;il sugg&egrave;re que le monde romanesque balzacien est fait de &laquo;&nbsp;temps d&eacute;saccord&eacute;s qui se frottent et se heurtent&nbsp;&raquo;, r&eacute;f&eacute;rant &agrave; tous &laquo;&nbsp;ces personnages qui partagent les m&ecirc;mes espaces mais ne vivent pas dans le m&ecirc;me temps&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <p>&Agrave; sa suite, nous voudrions proposer que le roman r&eacute;aliste du XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle se sert du syst&egrave;me des personnages pour r&eacute;v&eacute;ler que le pr&eacute;sent est fait de temps d&eacute;saccord&eacute;s, discordants. Il prendra plus particuli&egrave;rement pour objet les personnages secondaires, en s&rsquo;appuyant sur la distinction qu&rsquo;introduit Eva Le Saux au sein des personnages &laquo;&nbsp;mineurs&nbsp;&raquo; d&rsquo;Alex Woloch&nbsp;: les &laquo;&nbsp;figurants&nbsp;&raquo; n&rsquo;auraient que l&rsquo;existence d&rsquo;un instant, n&rsquo;&eacute;tant souvent pas nomm&eacute;s ni identifi&eacute;s, comme dans les deux tableaux de salon cit&eacute;s plus haut, tandis que les &laquo;&nbsp;personnages secondaires&nbsp;&raquo; seraient, eux, appel&eacute;s &agrave; r&eacute;appara&icirc;tre de fa&ccedil;on intermittente dans le r&eacute;cit&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>. Il ne s&rsquo;agit pas de soutenir que tous les personnages secondaires &ndash; ou figurants d&rsquo;ailleurs &ndash; sont n&eacute;cessairement anachroniques, mais plus exactement de reconna&icirc;tre la nature ambigu&euml; de la temporalit&eacute; secondaire, pour sugg&eacute;rer que la ligne de partage (pas toujours &eacute;vidente) entre personnages principaux et personnages secondaires puisse servir &agrave; exprimer cette autre ligne de partage (pas n&eacute;cessairement plus &eacute;vidente) entre ce qui appartient au pr&eacute;sent et ce qui n&rsquo;y appartient pas, entre ceux qui ont le temps et ceux qui ne l&rsquo;ont pas&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>.</p> <p>Revenons &agrave; la rencontre du baron de Charlus dans&nbsp;<em>Le Temps retrouv&eacute;</em>, qui pourrait bien fournir un mod&egrave;le pour penser le syst&egrave;me des personnages du roman et les temporalit&eacute;s qui s&rsquo;y articulent. En effet, la sc&egrave;ne du&nbsp;<em>Temps retrouv&eacute;</em>&nbsp;&eacute;voque une&nbsp;<em>exclusion</em>, &agrave; la fois sociale et temporelle, du personnage. C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment le terme qu&rsquo;emploie Tiphaine Samoyault pour d&eacute;finir le statut particulier du personnage secondaire : une exclusion (de l&rsquo;intrigue centrale), qui est paradoxalement aussi une inclusion (dans l&rsquo;espace de la fiction)&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>. Charlus est exclu du temps pr&eacute;sent, et cette exclusion a pour effet de l&rsquo;exclure des cercles mondains qu&rsquo;il fr&eacute;quentait jusque-l&agrave;. Or ce processus int&eacute;rieur &agrave; la fiction refl&egrave;te le fait que le baron est aussi progressivement exclu de l&rsquo;intrigue centrale (qui reste accroch&eacute;e &agrave; ces m&ecirc;mes cercles mondains, fr&eacute;quent&eacute;s par le narrateur) : l&rsquo;espace et le temps narratifs qui lui sont consacr&eacute;s se r&eacute;duisent au profit des autres personnages, tandis qu&rsquo;il est repouss&eacute; vers les marges, secondaris&eacute; davantage, dans le dernier tome du roman de Proust. Son histoire n&rsquo;appartient plus au pr&eacute;sent de l&rsquo;intrigue, comme elle n&rsquo;appartient plus &agrave; 1916. Pour Tiphaine Samoyault, les personnages secondaires sont &laquo; les h&eacute;ros d&rsquo;autres histoires, existantes ou possibles&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;: ils appara&icirc;tront plus exactement ici comme les h&eacute;ros d&rsquo;histoires&nbsp;<em>pass&eacute;es</em>, ne pouvant se d&eacute;rouler au pr&eacute;sent.</p> <h2>1. Des histoires pass&eacute;es<br /> &nbsp;</h2> <p>Deux romans nous serviront &agrave; mieux mettre en lumi&egrave;re l&rsquo;association entre secondarit&eacute; et anachronisme&nbsp;:&nbsp;<em>Germinie Lacerteux</em>&nbsp;des fr&egrave;res Goncourt (1865) et&nbsp;<em>Une vie&nbsp;</em>de Maupassant (1883). Par leur titre respectif, ils permettent facilement aux lecteurs d&rsquo;identifier une protagoniste, tout en soulignant que c&rsquo;est l&agrave; un statut unique. Chez les Goncourt, la domestique Germinie est appel&eacute;e &agrave; occuper l&rsquo;avant-sc&egrave;ne du roman qui relate sa longue d&eacute;ch&eacute;ance. Dans le roman de Maupassant, la &laquo;&nbsp;vie&nbsp;&raquo; &agrave; laquelle r&eacute;f&egrave;re le titre est celle de Jeanne Le Perthuis des Vauds&nbsp;: c&rsquo;est la destin&eacute;e de cette femme que l&rsquo;on suit de la sortie du couvent, du mariage et de ses nombreuses d&eacute;sillusions, jusqu&rsquo;&agrave; la mort. Mais ces deux vies sont bord&eacute;es d&rsquo;autres existences, qui leur servent de&nbsp;<em>contretemps&nbsp;</em><a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>&nbsp;: en effet, la temporalit&eacute; de certains personnages secondaires s&rsquo;oppose &agrave; celle du personnage principal, de la jeune femme qui a encore quelque chose &agrave; vivre. Nous nous int&eacute;resserons tout particuli&egrave;rement &agrave; Mlle de Varandeuil, la ma&icirc;tresse de Germinie, et aux deux femmes qui entourent Jeanne, soit sa m&egrave;re et sa tante Lison. Ces trois personnages sont pr&eacute;sent&eacute;s de mani&egrave;re &agrave; sugg&eacute;rer que leur vie est termin&eacute;e, rel&eacute;gu&eacute;e au pass&eacute;&nbsp;: leur pr&eacute;sence dans les romans appara&icirc;t &eacute;tonnante, voire superflue, puisqu&rsquo;elles n&rsquo;appartiennent pas au pr&eacute;sent et que le pr&eacute;sent ne leur appartient pas. Lors de leur premi&egrave;re apparition, Mlle de Varandeuil, la tante Lison et la m&egrave;re de Jeanne ont tout l&rsquo;air de c&eacute;der la place, ou de passer le relais, &agrave; celles qui pourront r&eacute;ellement &eacute;voluer dans le temps pr&eacute;sent.</p> <p><em>Germinie Lacerteux</em>, des fr&egrave;res Goncourt, s&rsquo;ouvre en effet sur le cri du personnage &eacute;ponyme, la domestique qui veille au r&eacute;tablissement de sa ma&icirc;tresse, Mlle de Varandeuil&nbsp;: &laquo;&nbsp;Sauv&eacute;e&nbsp;! vous voil&agrave; donc sauv&eacute;e, mademoiselle&nbsp;!&nbsp;&raquo; Tout de suite, la r&eacute;plique de la vieille femme montre que, comme Charlus, elle est condamn&eacute;e &agrave; se survivre&nbsp;: &laquo;&nbsp;Allons&nbsp;! il faut donc vivre encore&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>&nbsp;!&nbsp;&raquo; Cette mort qui n&rsquo;en est pas une marque pourtant le personnage du sceau du pass&eacute;, comme si sa vie appartenait &agrave; une &eacute;poque r&eacute;volue, une &eacute;poque qui aurait seulement oubli&eacute; de l&rsquo;emporter avec tous les siens, d&eacute;j&agrave; disparus. Les ant&eacute;c&eacute;dents de Mlle de Varandeuil, donn&eacute;s au deuxi&egrave;me chapitre, montrent que les ann&eacute;es se sont d&eacute;j&agrave; &eacute;coul&eacute;es avant m&ecirc;me que ne commence le roman. Son existence a d&eacute;pass&eacute; celle de tous ceux qu&rsquo;elle a connus, de tous ses &laquo;&nbsp;contemporains&nbsp;&raquo;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>[&hellip;] les ann&eacute;es passaient emportant la Restauration et la monarchie de Louis-Philippe. Elle voyait, un &agrave; un, tous ceux qu&rsquo;elle avait aim&eacute;s s&rsquo;en aller, toute sa famille prendre le chemin du cimeti&egrave;re. La solitude se faisait autour d&rsquo;elle, et elle restait &eacute;tonn&eacute;e et triste que la mort l&rsquo;oubli&acirc;t, elle qui y aurait si peu r&eacute;sist&eacute;, elle d&eacute;j&agrave; tout inclin&eacute;e vers la tombe. (<em>GL</em>, p. 82)</p> </blockquote> <p>Comme une grande partie d&rsquo;elle-m&ecirc;me est d&eacute;j&agrave; enterr&eacute;e, elle para&icirc;t plus proche de la mort que de la vie. L&rsquo;inactualit&eacute; de Mlle de Varandeuil n&rsquo;est pas simplement biographique, explicable par son &acirc;ge avanc&eacute;&nbsp;: plut&ocirc;t, elle recoupe celle d&rsquo;une classe rendue caduque par la R&eacute;volution. Le deuxi&egrave;me chapitre du roman pr&eacute;cise que la ma&icirc;tresse de Germinie est n&eacute;e en 1782 dans une famille aristocratique. Son d&eacute;cor l&rsquo;associe &agrave; une &eacute;poque qui n&rsquo;a plus rien &agrave; voir avec le pr&eacute;sent&nbsp;: un &laquo;&nbsp;Temps&nbsp;&raquo; de style Empire cohabite avec le portrait du p&egrave;re de Varandeuil &agrave; la t&ecirc;te du lit, qui par son habillement fait remonter le lecteur &agrave; la &laquo;&nbsp;mode des premi&egrave;res ann&eacute;es de la R&eacute;volution&nbsp;&raquo; (<em>GL</em>, p. 60). Le mobilier, comme l&rsquo;a not&eacute; &Eacute;l&eacute;onore Reverzy, est &laquo;&nbsp;une travers&eacute;e des temps, de l&rsquo;Ancien r&eacute;gime aux ann&eacute;es 1820 environ&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;: il situe le personnage (dont il est dit qu&rsquo;elle ressemble au portrait accroch&eacute; au-dessus de sa t&ecirc;te) dans ce qui est manifestement un pass&eacute; historique pour cette fiction qui commence plut&ocirc;t vers la fin du r&egrave;gne de Louis-Philippe. Ces ann&eacute;es contiennent toute une vie, dont la fin est en m&ecirc;me temps sugg&eacute;r&eacute;e&nbsp;: la R&eacute;volution oblige la famille de Varandeuil &agrave; mener &laquo;&nbsp;une vie enterr&eacute;e&nbsp;&raquo; (<em>GL</em>, p. 67) ; l&rsquo;enfant est comme morte pour sa propre m&egrave;re, qui a pris la fuite en Europe&nbsp;; contrainte de d&eacute;m&eacute;nager &agrave; la campagne suite &agrave; la ruine financi&egrave;re de son p&egrave;re, Sempronie y vit &laquo;&nbsp;ensevelie&nbsp;&raquo; (<em>GL</em>, p. 74). Si Mlle de Varandeuil est &laquo;&nbsp;tout enti&egrave;re form&eacute;e ainsi singuli&egrave;rement par les deux si&egrave;cles o&ugrave; elle avait v&eacute;cu&nbsp;&raquo; (<em>GL</em>, p. 82), elle ne semble pas continuer de vivre au-del&agrave; des d&eacute;buts du XIX<sup>e</sup>. Un tel r&eacute;sum&eacute;, au seuil du roman, sugg&egrave;re que cette vie est bien close et qu&rsquo;elle n&rsquo;est plus &agrave; vivre, &agrave; raconter. Mlle de Varandeuil semble exclue du roman qui s&rsquo;ouvre&nbsp;: la narration se d&eacute;barrasse d&rsquo;embl&eacute;e de cette histoire pour passer &agrave; celle de la bonne. Ce n&rsquo;est pas que Mlle Varandeuil n&rsquo;ait pas d&rsquo;histoire propre, mais plut&ocirc;t qu&rsquo;elle a termin&eacute; cette histoire trop longtemps avant le d&eacute;but du roman pour que la narration ne s&rsquo;attarde sur elle. Le proc&eacute;d&eacute;&nbsp;&ndash; cette disparition prompte du personnage secondaire, qui ne reviendra dans le roman que de fa&ccedil;on intermittente&nbsp;&ndash; dit bien les ann&eacute;es exc&eacute;dentaires qui sont pr&ecirc;t&eacute;es &agrave; Mlle de Varandeuil, sans cependant lui permettre d&rsquo;exister dans le temps de l&rsquo;intrigue.</p> <p>Comme celle de Mlle de Varandeuil dans&nbsp;<em>Germinie Lacerteux</em>, la vie de la tante Lison est r&eacute;sum&eacute;e au moment de sa premi&egrave;re apparition, mais de fa&ccedil;on plus exp&eacute;ditive encore, &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du r&eacute;cit principal d&rsquo;<em>Une vie</em>, sans qu&rsquo;aucun blanc ne marque la cl&ocirc;ture. Il faut cependant noter que ce r&eacute;sum&eacute; se fait &eacute;galement dans les commencements&nbsp;: en effet, le personnage de Lison est introduit en tant qu&rsquo;unique invit&eacute;e au mariage de Jeanne et Julien. La jeune fille entame sa vie, tandis que Lison l&rsquo;a d&eacute;j&agrave; termin&eacute;e&nbsp;: l&rsquo;effet de contraste d&eacute;j&agrave; not&eacute; entre Mlle de Varandeuil et Germinie Lacerteux est reproduit ici, renversant les douces r&ecirc;veries de Jeanne sur son futur. Comme chez Mlle de Varandeuil, la survivance s&rsquo;exprime par une quasi-mort, dont les causes ne sont pas pr&eacute;cis&eacute;es, mais qui marque la fin de l&rsquo;histoire de la tante Lison&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Un soir Lise, alors &acirc;g&eacute;e de vingt ans, s&rsquo;&eacute;tait jet&eacute;e &agrave; l&rsquo;eau sans qu&rsquo;on s&ucirc;t pourquoi. Rien dans sa vie, dans ses mani&egrave;res, ne pouvait faire pressentir cette folie. On l&rsquo;avait rep&ecirc;ch&eacute;e &agrave; moiti&eacute; morte&nbsp;; et ses parents, levant des bras indign&eacute;s, au lieu de chercher la cause myst&eacute;rieuse de cette action, s&rsquo;&eacute;taient content&eacute;s de parler du &laquo;&nbsp;coup de t&ecirc;te&nbsp;&raquo;, comme ils parlaient de l&rsquo;accident du cheval &laquo;&nbsp;Coco&nbsp;&raquo; [&hellip;]. (<em>UV</em>, p. 91-92)</p> </blockquote> <p>&Agrave; partir de ce moment, la tante Lison vit effectivement &laquo; &agrave; moiti&eacute; morte &raquo;, retir&eacute;e dans une maison religieuse. Lorsqu&rsquo;elle est aux Peuples, sa pr&eacute;sence a quelque chose d&rsquo;absent, qu&rsquo;on remarque &agrave; peine, qui se fond dans le d&eacute;cor. &laquo; Elle ne tenait point de place ; c&rsquo;&eacute;tait un de ces &ecirc;tres qui demeurent inconnus m&ecirc;me &agrave; leurs proches, comme inexplor&eacute;s, et dont la mort ne fait ni trou ni vide dans une maison &raquo; (<em>UV</em>, p. 92). Si la mort de Lison ne change rien, c&rsquo;est qu&rsquo;elle est d&eacute;j&agrave; propuls&eacute;e au-del&agrave; de son &acirc;ge&nbsp;: &agrave; quarante-deux ans seulement, elle a l&rsquo;air &laquo;&nbsp;vieillot&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p. 91). L&rsquo;inscription historique de la tante Lison est moins &eacute;vidente que celle de Mlle de Varandeuil, mais le domaine des Peuples manifeste explicitement son appartenance &agrave; l&rsquo;Ancien R&eacute;gime, &agrave; un mode de vie et &agrave; une classe en voie de disparition. La maison a quelque chose du mus&eacute;e, comme la chambre &agrave; l&rsquo;ouverture de&nbsp;<em>Germinie Lacerteux</em>. La tante Lison se confond avec ce d&eacute;cor, avec ces meubles qui sont justement associ&eacute;s &agrave; divers pass&eacute;s historiques &ndash; une commode Louis XIV, des fauteuils Louis XV, une pendule Empire (<em>UV</em>, p. 58)&nbsp;: &laquo;&nbsp;C&rsquo;&eacute;tait quelque chose comme une ombre ou un objet familier, un meuble vivant qu&rsquo;on est accoutum&eacute; &agrave; voir chaque jour, mais dont on ne s&rsquo;inqui&egrave;te jamais.&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p. 91)</p> <p>Le statut de vieille fille, que partagent Mlle de Varandeuil et la tante Lison, pourrait expliquer leurs ressemblances et la temporalit&eacute; qui leur est associ&eacute;e. Ce sont bien deux personnages &laquo;&nbsp;liminaires&nbsp;&raquo;, selon la d&eacute;finition qu&rsquo;en donne Marie Scarpa&nbsp;: des personnages qui ne sont pas pass&eacute;s par le rituel d&rsquo;initiation, des figures inachev&eacute;es, &agrave; la &laquo;&nbsp;socialisation inaccomplie&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>&nbsp;&raquo;, ce que sugg&egrave;re pr&eacute;cis&eacute;ment la qualification de la tante Lison en &laquo;&nbsp;&ecirc;tre manqu&eacute;&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p. 91). Mlle de Varandeuil et la tante Lison, n&rsquo;&eacute;tant pas entr&eacute;es dans le temps social par le mariage, auraient donc d&eacute;croch&eacute; de son cours&nbsp;: elles seraient condamn&eacute;es &agrave; vivre dans leur propre pass&eacute;, &agrave; reprendre sans cesse en esprit ce moment o&ugrave; il &eacute;tait encore possible de s&rsquo;arrimer aux rythmes dict&eacute;s par la soci&eacute;t&eacute;. Leur marginalit&eacute; sociale impliquerait une marginalit&eacute; temporelle&nbsp;: comme l&rsquo;&eacute;crit Nathalie Heinich, la vieille fille fait partie des &laquo;&nbsp;filles sans histoire&nbsp;&raquo;, dont il n&rsquo;y a rien &agrave; raconter&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>. On pourrait cependant voir les choses autrement&nbsp;: Mlle de Varandeuil et la tante Lison avaient toutes deux une histoire, et les &laquo;&nbsp;ant&eacute;c&eacute;dents du personnage&nbsp;&raquo; qui sont pr&eacute;sent&eacute;s aux lecteurs en sont la preuve. Par contre, ce sont deux personnages qui semblent r&eacute;duits &agrave; ces ant&eacute;c&eacute;dents, &agrave; leur existence&nbsp;<em>en amont</em>&nbsp;du point de d&eacute;part du r&eacute;cit.</p> <p>La fonction temporelle qu&rsquo;occupent Mlle de Varandeuil et la tante Lison ne recoupe pas tout &agrave; fait leur type ou leur statut social. Dans le contretemps qu&rsquo;elle offre &agrave; la vie toujours en cours de l&rsquo;h&eacute;ro&iuml;ne d&rsquo;<em>Une vie</em>, la tante Lison peut effectivement &ecirc;tre rapproch&eacute;e de sa propre s&oelig;ur, la m&egrave;re de Jeanne, dont le mariage a aussi marqu&eacute; une fin et dont la vie sentimentale doit n&eacute;cessairement se rem&eacute;morer, plut&ocirc;t que de se vivre au pr&eacute;sent. Sa principale occupation est justement de replonger dans sa correspondance pass&eacute;e : &laquo; Dans les jours de pluie elle restait enferm&eacute;e en sa chambre &agrave; visiter ce qu&rsquo;elle appelait ses &ldquo;reliques&rdquo; &raquo; (<em>UV</em>, p.&nbsp;69). Comme Mlle de Varandeuil, la m&egrave;re de Jeanne occupe son temps &agrave; entretenir la m&eacute;moire, ce qui a pour cons&eacute;quence de la rapprocher, elle aussi, de la mort au sein de la vie : &laquo; Elle demeurait souvent pendant des heures immobile &raquo; (<em>UV</em>, p. 68). Son ob&eacute;sit&eacute; l&rsquo;ayant de fait &laquo;&nbsp;clou&eacute;e sur son fauteuil&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p.&nbsp;68), la m&egrave;re de Jeanne est toujours pr&eacute;sente, mais d&rsquo;une pr&eacute;sence non-agissante. Il semble ainsi que sa vie soit d&eacute;j&agrave; finie, et Naomi Schor a bien per&ccedil;u une &eacute;vocation du cercueil dans le &laquo;&nbsp;tiroir aux souvenirs&nbsp;&raquo; qu&rsquo;elle demande sans cesse &agrave; sa bonne ou &agrave; sa fille&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>. Jeanne, comme Germinie au d&eacute;but du roman des Goncourt, sert de r&eacute;ceptacle &agrave; ces souvenirs, qui contrastent avec sa temporalit&eacute; de jeune fille. En effet, quand &laquo;&nbsp;petite m&egrave;re&nbsp;&raquo; interrompt ou ralentit son r&eacute;cit, &laquo;&nbsp;la pens&eacute;e de Jeanne alors, bondissant par-dessus les aventures commenc&eacute;es, s&rsquo;&eacute;lan&ccedil;ait vers l&rsquo;avenir&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p.&nbsp;69). En outre, l&rsquo;inscription historique du personnage est encore mieux marqu&eacute;e ici que chez la tante Lison. La narration insiste sur l&rsquo;appartenance de la m&egrave;re de Jeanne &agrave; une &eacute;poque autre que celle qui se d&eacute;roule au pr&eacute;sent du r&eacute;cit &ndash; &eacute;poque tr&egrave;s semblable &agrave; celle de Mlle de Varandeuil, d&eacute;termin&eacute;e par la succession de la R&eacute;volution et de l&rsquo;Empire&nbsp;: elle est &laquo;&nbsp;n&eacute;e dans le si&egrave;cle des philosophes&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p. 69), et ses &eacute;p&icirc;tres &laquo;&nbsp;sentent un autre si&egrave;cle&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p.&nbsp;203). La narration pr&eacute;cise que c&rsquo;est sous Napol&eacute;on I<sup>er</sup>&nbsp;que la m&egrave;re de Jeanne a r&eacute;ellement v&eacute;cu, la fin de sa beaut&eacute; ayant co&iuml;ncid&eacute; avec la fin du r&egrave;gne de l&rsquo;Empire. &laquo;&nbsp;Apr&egrave;s avoir vals&eacute; dans les bras de tous les uniformes de l&rsquo;Empire, elle avait lu&nbsp;<em>Corinne</em>&nbsp;qui l&rsquo;avait fait pleurer&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p. 68). En somme, la m&egrave;re et la tante de Jeanne, comme Mlle de Varandeuil, sont exclues du temps pr&eacute;sent, de ce temps qui avance vers l&rsquo;avenir&nbsp;: leur temps &agrave; toutes les trois se replie plut&ocirc;t vers le pass&eacute;, ce que leur immobilit&eacute; &ndash; sorte de mort dans la vie &ndash; et leur association aux d&eacute;funts viennent confirmer. Ce sont, pour reprendre l&rsquo;expression de Robert Ricatte au sujet de Mlle de Varandeuil, &laquo;&nbsp;le[s] support[s] vivant[s] de [leur] lointain pass&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>&nbsp;&raquo;, au service de ce qui n&rsquo;est plus.</p> <h2>2. Le temps perdu<br /> &nbsp;</h2> <p>La survivance de Mlle de Varandeuil, de la tante Lison et de la m&egrave;re de Jeanne dans un pr&eacute;sent qui n&rsquo;est plus le leur, entra&icirc;ne un v&eacute;ritable probl&egrave;me pour le roman. Comment, en effet, donner une dur&eacute;e &agrave; des personnages qui n&rsquo;ont plus rien &agrave; vivre, ou dont l&rsquo;existence appartient au pass&eacute;&nbsp;? Comment leur accorder du temps de lecture (ou leur faire occuper l&rsquo;espace narratif, pour le dire comme Alex Woloch), si leur histoire est termin&eacute;e&nbsp;? Ces trois femmes apparaissent alors comme un&nbsp;<em>contretemps</em>&nbsp;dans un autre sens que celui que nous avons explor&eacute;, mais qui lui est li&eacute;&nbsp;: non seulement s&rsquo;opposent-elles au temps des jeunes protagonistes, tourn&eacute;es vers l&rsquo;avenir, mais elles s&rsquo;inscrivent aussi en faux contre le temps-m&ecirc;me. En ce sens, leur statut d&rsquo;&laquo;&nbsp;anachronisme vivant&nbsp;&raquo; d&eacute;termine leur pr&eacute;sence intermittente dans le roman, sans dur&eacute;e continue&nbsp;: personnages de la r&eacute;p&eacute;tition, pour qui le temps pr&eacute;sent ne compte pas, Mlle de Varandeuil, la tante Lison et la m&egrave;re de Jeanne semblent condamn&eacute;es &agrave; la secondarit&eacute;. Comme nous l&rsquo;avons mentionn&eacute;, les personnages secondaires ne sont pas tous anachroniques et il est &eacute;videmment possible de concevoir d&rsquo;autres usages, d&rsquo;autres valeurs &agrave; leur intermittence&nbsp;: les ellipses pourraient servir &agrave; sugg&eacute;rer le temps qui passe, dont chaque nouvelle apparition des personnages pourrait porter la trace. Or, dans les cas qui nous int&eacute;ressent ici, nous n&rsquo;avons pas affaire &agrave; trois personnages existant dans le m&ecirc;me temps que l&rsquo;intrigue principale mais parall&egrave;lement &agrave; celle-ci. L&rsquo;intermittence n&rsquo;est pas le r&eacute;sultat d&rsquo;un simple choix de focale, mais appara&icirc;t bien&nbsp;<em>n&eacute;cessaire</em>, car Mlle de Varandeuil, la tante Lison et la m&egrave;re de Jeanne, ne peuvent plus rentrer dans le temps et le rouvrir pour vivre de nouvelles aventures.</p> <p>Ainsi, apr&egrave;s la derni&egrave;re disparition d&rsquo;un de ses proches, Mlle de Varandeuil est frapp&eacute;e de la maladie qui devrait enfin l&rsquo;emporter, mais qui va plut&ocirc;t finir par la laisser invalide, prisonni&egrave;re de sa routine.</p> <blockquote> <p>De ce jour, c&eacute;dant aux infirmit&eacute;s qu&rsquo;elle n&rsquo;avait plus de raison pour secouer, elle s&rsquo;&eacute;tait mise &agrave; vivre de la vie &eacute;troite et renferm&eacute;e des vieillards qui usent &agrave; la m&ecirc;me place le tapis de leur chambre, ne sortant plus, ne lisant plus gu&egrave;re &agrave; cause de la fatigue de ses yeux, et restant le plus souvent enfonc&eacute;e dans son fauteuil &agrave; revoir et &agrave; revivre le pass&eacute;. Elle gardait des journ&eacute;es la m&ecirc;me position, les yeux ouverts et r&ecirc;vant, [&hellip;] perdue dans une somnolence solennelle (<em>GL</em>, p. 83).</p> </blockquote> <p>Sa vie ne comporte plus qu&rsquo;une seule activit&eacute;, elle-m&ecirc;me routini&egrave;re&nbsp;: sortir un jour par semaine, toujours le m&ecirc;me, pour se rendre au cimeti&egrave;re Montmartre, o&ugrave; reposent tous ses proches. Dans le r&eacute;cit qu&rsquo;en fait le deuxi&egrave;me chapitre, la sc&egrave;ne est it&eacute;rative&nbsp;: chaque fois, Mlle de Varandeuil ach&egrave;te des couronnes d&rsquo;immortelles, fait son p&egrave;lerinage, voit &agrave; l&rsquo;entretien des tombes. La narration interrompt cette histoire, qui ne peut que s&rsquo;abolir dans sa propre monotonie, pour c&eacute;der la place au monologue int&eacute;rieur de Germinie. Il semble que seule la bonne, encore vive, puisse devenir la protagoniste du roman. De ce fait, la toute derni&egrave;re sc&egrave;ne du roman, o&ugrave; Mlle de Varandeuil se retrouve encore une fois au cimeti&egrave;re, n&rsquo;appara&icirc;t que comme une ultime reprise de ces p&egrave;lerinages au cimeti&egrave;re. Si elle demeure en marge de l&rsquo;action, si elle ne peut acc&eacute;der au statut de personnage principal, c&rsquo;est bien car le temps n&rsquo;a plus de prise sur elle&nbsp;: la dur&eacute;e du roman a &eacute;t&eacute; travers&eacute;e, mais elle n&rsquo;a pour ainsi dire rien chang&eacute; aux habitudes qui &eacute;taient d&eacute;j&agrave; celles de la vieille fille dans les premi&egrave;res pages.</p> <p>Si la tante Lison appara&icirc;t comme un personnage &eacute;pisodique, c&rsquo;est parce qu&rsquo;elle est &eacute;galement prise dans une temporalit&eacute; circulaire, o&ugrave; le m&ecirc;me revient sans cesse. Sa pr&eacute;sentation en t&eacute;moigne&nbsp;: le &laquo;&nbsp;coup de t&ecirc;te&nbsp;&raquo; appara&icirc;t comme l&rsquo;unique &eacute;v&eacute;nement de cette existence maintenant contrainte de se r&eacute;p&eacute;ter r&eacute;guli&egrave;rement. Comme l&rsquo;a not&eacute; Marie-Astrid Charlier, Lison est un personnage du quotidien&nbsp;: elle n&rsquo;est &laquo;&nbsp;visible qu&rsquo;&ldquo;aux heures des repas&rdquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire saisissable seulement lors de ce moment rituel, jamais en dehors des scansions ordinaires&nbsp;<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>.&nbsp;&raquo; Sa seule activit&eacute;, le tricot et la broderie, impose &agrave; l&rsquo;arri&egrave;re-plan du roman un geste toujours r&eacute;p&eacute;t&eacute;, refusant la coupure que l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement peut introduire dans la trame des jours. La m&egrave;re de Jeanne, plus amplement d&eacute;crite dans le roman, incarne encore mieux cette r&eacute;p&eacute;tition qui va &agrave; rebours de la chronologie, de la progression de l&rsquo;intrigue. En t&eacute;moigne la relecture de la correspondance amoureuse, geste non seulement repris par la vieille femme mais aussi par la narration. Les r&ecirc;veries amoureuses d&rsquo;un autre temps sont r&eacute;activ&eacute;es, nous dit-on, &laquo;&nbsp;comme une bo&icirc;te &agrave; musique dont on remonte la manivelle r&eacute;p&egrave;te interminablement le m&ecirc;me air.&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p. 68) Cette rem&eacute;moration, elle aussi, est d&rsquo;embl&eacute;e pr&eacute;sent&eacute;e sous forme it&eacute;rative, comme une habitude r&eacute;guli&egrave;re, et le roman est effectivement ponctu&eacute; de ces sc&egrave;nes de relecture. Par exemple, peu de temps avant sa mort, la m&egrave;re de Jeanne relit&nbsp;<em>Corinne</em>&nbsp;et les autres &oelig;uvres romantiques qui ont marqu&eacute; sa jeunesse, puis demande &agrave; Jeanne encore une fois son &laquo;&nbsp;tiroir aux souvenirs&nbsp;&raquo;, pour retrouver ces choses &laquo;&nbsp;qui ont &eacute;t&eacute; si bonnes et qui sont finies&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p. 195). M&ecirc;me au-del&agrave; de sa mort, l&rsquo;activit&eacute; de rem&eacute;moration se poursuit avec Jeanne, qui se substitue &agrave; sa m&egrave;re pendant la veill&eacute;e fun&egrave;bre et relit encore une fois la correspondance. Il para&icirc;t alors r&eacute;ellement impossible &agrave; ce personnage de sortir de la r&eacute;p&eacute;tition pour faire advenir la nouveaut&eacute;, et une autre action, elle-m&ecirc;me r&eacute;p&eacute;t&eacute;e au fil des pages, en devient comme le symbole&nbsp;: les &laquo;&nbsp;promenades monotones&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p. 167) dans l&rsquo;all&eacute;e du domaine des Peuples, qui l&rsquo;am&egrave;nent &agrave; creuser toujours le m&ecirc;me sillon&nbsp;; &laquo;&nbsp;tra&icirc;nant son pied gauche, un peu plus lourd et qui avait d&eacute;j&agrave; trac&eacute;, dans toute la longueur du chemin, l&rsquo;un &agrave; l&rsquo;aller, l&rsquo;autre au retour, deux sillons poudreux o&ugrave; l&rsquo;herbe &eacute;tait morte, elle recommen&ccedil;ait sans fin un interminable voyage&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p. 67). La promenade, elle aussi d&rsquo;embl&eacute;e relat&eacute;e en mode it&eacute;ratif, est d&rsquo;ailleurs recommenc&eacute;e l&rsquo;apr&egrave;s-midi.</p> <p>En somme, nous avons l&agrave; trois personnages qui s&rsquo;apparentent &agrave; des mortes-vivantes, reconnaissent que le moment de leur fin est venu depuis longtemps, et qui doivent, du m&ecirc;me coup, renoncer au temps. Mlle de Varandeuil, la tante Lison et la m&egrave;re de Jeanne sont hors d&rsquo;action, hors d&rsquo;usage, faisant partie du roman sans pouvoir r&eacute;ellement y participer, &agrave; la fois incluses et exclues. Elles dessinent par leur pr&eacute;sence p&eacute;riph&eacute;rique un espace pour le roman, qui appartiendra &agrave; d&rsquo;autres. Si le XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle explorera de tels personnages-limites, ce lieu n&rsquo;est pas celui du personnage principal dans le roman r&eacute;aliste du XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, qui doit encore faire usage du temps pour parvenir, progresser, accomplir&nbsp;<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>. Le personnage secondaire serait donc le lieu d&rsquo;exploration de cette temporalit&eacute; de l&rsquo;apr&egrave;s-coup, o&ugrave; les destin&eacute;es sont accomplies, les aventures &eacute;puis&eacute;es, la fin atteinte. Parce qu&rsquo;elles sont hors du temps, contraintes &agrave; la r&eacute;p&eacute;tition, il est n&eacute;cessaire que Mlle de Varandeuil, la tante Lison et la m&egrave;re de Jeanne se retrouvent en marge du roman, &agrave; l&rsquo;arri&egrave;re-plan. Mais, par cette pr&eacute;sence marginale,&nbsp;<em>Germinie Lacerteux</em>&nbsp;et&nbsp;<em>Une vie</em>&nbsp;donnent tout de m&ecirc;me &agrave; &eacute;prouver ces &laquo;&nbsp;temps d&eacute;saccord&eacute;s qui se frottent et se heurtent&nbsp;&raquo; dans un m&ecirc;me pr&eacute;sent.</p> <h2>3. Un syst&egrave;me mouvant<br /> &nbsp;</h2> <p>La distinction que nous avons trac&eacute;e entre les temporalit&eacute;s des personnages principaux et des personnages secondaires peut n&eacute;anmoins s&rsquo;av&eacute;rer instable. Chez Balzac, la ligne de partage est plus nette, plus fig&eacute;e, entre ceux qui ont le temps et ceux qui ne l&rsquo;ont pas &ndash; la temporalit&eacute; s&rsquo;int&eacute;grant &agrave; la constitution du type. Pensons, par exemple, &agrave; l&rsquo;opposition g&eacute;n&eacute;rationnelle qui structure&nbsp;<em>Le P&egrave;re Goriot</em>&nbsp;: l&rsquo;avenir appartient &agrave; Rastignac, tandis que le vieil homme est condamn&eacute; &agrave; dispara&icirc;tre, abandonn&eacute; par l&rsquo;histoire (le second c&eacute;dant tout &agrave; fait la place au premier dans la sc&egrave;ne finale au P&egrave;re-Lachaise). La concurrence entre les deux personnages pour le statut de protagoniste, &eacute;tudi&eacute;e par Alex Woloch, appara&icirc;t bien comme une lutte pour le temps, que le plus jeune va remporter au d&eacute;triment de l&rsquo;autre&nbsp;<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>. Or les deux exemples que nous avons &eacute;tudi&eacute;s ici s&rsquo;av&egrave;rent plus complexes&nbsp;: cette concurrence prend plut&ocirc;t la forme d&rsquo;une contamination progressive des protagonistes par les personnages secondaires. La fronti&egrave;re entre &laquo;&nbsp;&ecirc;tre dans le temps&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;&ecirc;tre hors du temps&nbsp;&raquo; se r&eacute;v&egrave;le fragile, tandis que Jeanne et Germinie tendent &agrave; rejoindre au fil de leurs aventures la temporalit&eacute; de Mlle de Varandeuil, de la tante Lison ou de &laquo;&nbsp;petite m&egrave;re&nbsp;&raquo;. Sans remettre en question l&rsquo;hypoth&egrave;se que nous avons &eacute;labor&eacute;e jusqu&rsquo;ici, il faut tout de m&ecirc;me voir que le syst&egrave;me des personnages et les contretemps qui le structurent ne sont pas une donn&eacute;e fixe du roman, mais peuvent se mettre en mouvement.</p> <p>Ce mouvement est sans doute le plus apparent dans le roman de Maupassant, o&ugrave; Jeanne, malgr&eacute; les ann&eacute;es qui s&rsquo;&eacute;tendent encore devant elle, a tout l&rsquo;air de relayer sa m&egrave;re dans la conservation des &laquo;&nbsp;reliques&nbsp;&raquo;. Non seulement reprend-elle la lecture de l&rsquo;ancienne correspondance pendant la veill&eacute;e fun&egrave;bre, comme nous l&rsquo;avons mentionn&eacute;, mais elle pr&eacute;pare d&eacute;j&agrave; tr&egrave;s t&ocirc;t dans sa vie son propre &laquo;&nbsp;tiroir aux souvenirs&nbsp;&raquo;, donnant raison &agrave; sa m&egrave;re, remu&eacute;e par ses relectures, qui pr&eacute;dit&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Tu conna&icirc;tras &ccedil;a, plus tard.&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p. 195) Effectivement, Jeanne conna&icirc;t la nostalgie au sein m&ecirc;me de ce roman qui se replie peu &agrave; peu sur lui-m&ecirc;me et s&rsquo;enferme dans les rappels&nbsp;<a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a>. La protagoniste en vient &agrave; partager l&rsquo;&acirc;ge des personnages secondaires : le contraste, qui lui donnait son relief, se perd. &laquo; Son p&egrave;re paraissait son fr&egrave;re, et tante Lison, qui ne vieillissait point, restait fan&eacute;e d&egrave;s son &acirc;ge de vingt-cinq ans, avait l&rsquo;air d&rsquo;une s&oelig;ur a&icirc;n&eacute;e &raquo; (<em>UV</em>, p. 243). L&rsquo;enterrement de Lison passe pr&egrave;s de l&rsquo;enterrer elle aussi, et &agrave; partir de ce moment elle survit &agrave; peine, &laquo; [f]aible et tra&icirc;nant les jambes comme jadis petite m&egrave;re &raquo; (<em>UV</em>, p. 257), se promenant elle aussi dans l&rsquo;all&eacute;e (<em>UV</em>, p.&nbsp;259) apr&egrave;s avoir d&eacute;cid&eacute; de vendre les Peuples. D&egrave;s lors, les souvenirs prennent une place d&eacute;mesur&eacute;e dans le r&eacute;cit : d&rsquo;abord dans les premiers adieux avant le d&eacute;m&eacute;nagement (<em>UV</em>, p.&nbsp;259-62), puis dans l&rsquo;ultime retour. Le chapitre final, presque enti&egrave;rement r&eacute;dig&eacute; &agrave; l&rsquo;imparfait it&eacute;ratif, confirme que Jeanne est tout &agrave; fait sortie du temps. Comme sa m&egrave;re, elle ne peut plus marcher et passe ses journ&eacute;es &agrave; imaginer le pass&eacute;, prisonni&egrave;re fig&eacute;e de ces &laquo; tableaux des jours finis &raquo; (<em>UV</em>, p. 287)&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Alors elle ne sortit plus, elle ne remua plus. Elle se levait chaque matin &agrave; la m&ecirc;me heure, regardait le temps par sa fen&ecirc;tre, puis descendait s&rsquo;asseoir devant le feu dans la salle.</p> <p>Elle restait l&agrave; des jours entiers, immobile [&hellip;]. Elle revivait surtout dans le pass&eacute;, dans le vieux pass&eacute;, hant&eacute;e par les premiers temps de sa vie&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p. 283).</p> </blockquote> <p>Or ce devenir-pass&eacute; du personnage se joue aussi &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle historique. Peu de temps avant la sc&egrave;ne de rem&eacute;moration finale, un passage &agrave; Paris, &agrave; la recherche de son fils Paul, confirme que Jeanne a bel et bien &eacute;t&eacute; rel&eacute;gu&eacute;e dans le pass&eacute;&nbsp;: le train qui la m&egrave;ne vers la capitale l&rsquo;emporte en m&ecirc;me temps &laquo;&nbsp;dans un monde nouveau qui n&rsquo;&eacute;tait plus le sien&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p. 275). Jeanne devient alors comme ces &laquo;&nbsp;choses poudreuses qui ont l&rsquo;air exil&eacute;es dans un temps qui n&rsquo;est plus le leur&nbsp;&raquo;, retrouv&eacute;es lors de ses adieux aux Peuples (<em>UV</em>, p. 262). Elle prend v&eacute;ritablement la place de sa m&egrave;re et de la tante Lison, devenant secondaire &agrave; sa propre vie, &agrave; son propre roman, car elle est destin&eacute;e &agrave; ne plus rien vivre&nbsp;: &laquo;&nbsp;toute sa route &eacute;tait parcourue&nbsp;&raquo; (<em>UV</em>, p. 288). Sans protagoniste, sans existence &agrave; d&eacute;rouler dans le temps, au pr&eacute;sent,&nbsp;<em>Une vie</em>&nbsp;doit se terminer.</p> <p>L&rsquo;inscription dans l&rsquo;histoire de Germinie, quant &agrave; elle, reste encore plus implicite&nbsp;: comme plusieurs critiques l&rsquo;ont d&eacute;j&agrave; not&eacute;, les Goncourt travaillent l&rsquo;opposition entre une Mlle de Varandeuil, d&eacute;termin&eacute;e par les grands &eacute;v&eacute;nements de la R&eacute;volution et du d&eacute;but du XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, et ces &laquo;&nbsp;mis&eacute;rables&nbsp;&raquo; qui, comme Germinie, &laquo;&nbsp;n&rsquo;ont pas d&rsquo;histoire&nbsp;&raquo; et m&egrave;nent leur vie &agrave; l&rsquo;&eacute;cart de la chronologie historique&nbsp;<a href="#_ftn29" name="_ftnref29">[29]</a>. Cependant, l&rsquo;effacement des rep&egrave;res temporels contribue, comme dans&nbsp;<em>Une vie</em>, &agrave; retirer davantage Germinie du temps pour la faire entrer dans la r&eacute;p&eacute;tition qui caract&eacute;risait le quotidien de Mlle de Varandeuil une fois la R&eacute;volution et l&rsquo;Empire termin&eacute;s. D&rsquo;un point de vue narratif, la d&eacute;ch&eacute;ance de Germinie prend bien la forme de la &laquo;&nbsp;mort dans la vie&nbsp;&raquo; de sa propre ma&icirc;tresse. Non seulement la servante fr&ocirc;le-t-elle la mort &agrave; de nombreuses reprises, &agrave; chaque nouvelle crise qui l&rsquo;agite (pensons notamment au moment o&ugrave; elle apprend la disparition de sa fille, ou au moment o&ugrave; elle fait une fausse couche), mais elle en vient &agrave; d&eacute;crocher du temps des vivants. Au fil du roman, de plus en plus de passages &agrave; l&rsquo;it&eacute;ratif tendent &agrave; arr&ecirc;ter les heures &ndash; ou &agrave; les &laquo;&nbsp;mourir&nbsp;<a href="#_ftn30" name="_ftnref30">[30]</a>&nbsp;&raquo;, comme le dit Germinie elle-m&ecirc;me, en r&eacute;f&eacute;rence aux effets de l&rsquo;alcool, qui l&rsquo;apparentent &agrave; un &laquo;&nbsp;cadavre&nbsp;<a href="#_ftn31" name="_ftnref31">[31]</a>&nbsp;&raquo;. La servante semble alors se figer tout &agrave; fait, tout comme Mlle de Varandeuil au commencement du roman&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Les jours se succ&eacute;daient aux jours pour Germinie, pareils, &eacute;galement d&eacute;sol&eacute;s et sombres. Elle avait fini par ne plus rien attendre du hasard et ne plus rien demander &agrave; l&rsquo;impr&eacute;vu. Sa vie lui semblait enferm&eacute;e &agrave; jamais dans son d&eacute;sespoir&nbsp;: elle devait continuer &agrave; &ecirc;tre toujours la m&ecirc;me chose implacable, la m&ecirc;me route de malheur, toute plate et toute droite [&hellip;]. (<em>GL</em>, p.&nbsp;196)</p> </blockquote> <p>La domestique est montr&eacute;e, de plus en plus fr&eacute;quemment, comme immobilis&eacute;e dans son attente des hommes, que ce soit dans l&rsquo;escalier de Gautruche o&ugrave; &laquo;&nbsp;elle restait comme une morte, affaiss&eacute;e, inerte&nbsp;&raquo; pendant &laquo;&nbsp;des heures qu&rsquo;elle ne pouvait pas compter&nbsp;&raquo; (<em>GL</em>, p.&nbsp;219), ou devant la demeure de Jupillon&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les heures passaient. Germinie &eacute;tait toujours l&agrave;. [&hellip;] Il lui semblait qu&rsquo;il fallait qu&rsquo;elle rest&acirc;t l&agrave; toujours&nbsp;&raquo; (<em>GL</em>, p. 231). Dans cette attente, Germinie se rapproche ainsi de la temporalit&eacute; de Mlle de Varandeuil, assise dans son fauteuil &agrave; attendre la mort &ndash; les deux femmes laissant passer un temps qui leur appara&icirc;t tout &agrave; fait ext&eacute;rieur, comme d&eacute;pass&eacute;es par le pr&eacute;sent. La fin de Germinie, enterr&eacute;e sans croix &laquo;&nbsp;entre deux dates&nbsp;&raquo; dans la fosse commune (<em>GL</em>, p. 262), fait co&iuml;ncider la conclusion du roman et la sortie d&eacute;finitive du temps de son personnage principal.</p> <p>Bref, dans ces deux romans, les protagonistes tendent &agrave; se replier sur ce qui &eacute;tait jusque-l&agrave; un contretemps &agrave; leur propre histoire.&nbsp;<em>Une vie</em>&nbsp;et&nbsp;<em>Germinie Lacerteux</em>&nbsp;ne vont &eacute;videmment pas au bout de cette exploration de la survivance, se terminant au moment o&ugrave; leur protagoniste y entre&nbsp;: si les deux romans font perdre le temps &agrave; leur protagoniste petit &agrave; petit, ils doivent, pour durer, toujours le leur redonner. Ainsi, dans&nbsp;<em>Germinie Lacerteux</em>, au moment o&ugrave; la domestique semble entrer dans un &eacute;ternel retour du m&ecirc;me (le passage plus long cit&eacute; ci-dessus), lisons-nous : &laquo; Et pourtant, dans la d&eacute;sesp&eacute;rance o&ugrave; elle s&rsquo;accroupissait, des pens&eacute;es la traversaient encore par instant, qui lui faisaient relever la t&ecirc;te et regarder devant elle au-del&agrave; de son pr&eacute;sent &raquo; (<em>GL</em>, p. 196). En d&rsquo;autres mots,&nbsp;<em>Germinie Lacerteux</em>&nbsp;et&nbsp;<em>Une vie</em>&nbsp;maintiennent jusqu&rsquo;au bout le &laquo;&nbsp;conflit des temps&nbsp;&raquo; qui structure le syst&egrave;me des personnages, aussi t&eacute;nue soit l&rsquo;opposition. Dans le cadre du roman r&eacute;aliste du XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, Germinie et Jeanne ne peuvent sans doute pas d&eacute;crocher du pr&eacute;sent et sortir du temps&nbsp;: qu&rsquo;est-ce qu&rsquo;il y aurait &agrave; raconter ? Un tel protagoniste serait risqu&eacute; pour le r&eacute;cit et condamnerait celui-ci &agrave; faire du surplace, un peu comme le colonel Chabert se trouve pris dans un aller-retour entre la vie et la mort tout au long du roman de Balzac &ndash; roman bref, d&rsquo;ailleurs, comme si sa dur&eacute;e m&ecirc;me posait probl&egrave;me. Il appara&icirc;t tout de m&ecirc;me que les personnages secondaires dans le roman r&eacute;aliste du XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle peuvent &agrave; la fois incarner un contretemps et exercer une force d&rsquo;attraction sur le temps des personnages principaux. Pour conclure, rien n&rsquo;emp&ecirc;che le temps d&rsquo;un personnage de fluctuer sur la dur&eacute;e de l&rsquo;histoire&nbsp;&ndash; preuve que l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration des soci&eacute;t&eacute;s modernes est entr&eacute;e dans le roman, qui peut d&egrave;s lors lui aussi, au fil de ses pages, produire de l&rsquo;anachronisme.</p> <h3><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h3> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;Marcel Proust,&nbsp;<em>Le Temps retrouv&eacute;</em>, dans&nbsp;<em>&Agrave; la recherche du temps perdu</em>, t. IV, &eacute;d. publi&eacute;e sous la direction de Jean-Yves Tadi&eacute;, Paris, Gallimard, &laquo; Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade &raquo;, 1989, p.&nbsp;346.</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;343.</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;Reinhart Koselleck,&nbsp;<em>Le futur pass&eacute;. Contribution &agrave; la s&eacute;mantique des temps historiques</em>, traduit de l&rsquo;allemand par Jochen Hoock et Marie-Claire Hoock, Paris, &Eacute;ditions EHESS, 2016, p.&nbsp;151. L&rsquo;expression est emprunt&eacute;e &agrave; Ernst Bloch, plus sp&eacute;cifiquement &agrave; son analyse de l&rsquo;Allemagne nazie dans&nbsp;<em>H&eacute;ritage de ce temps</em>.</p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;Fran&ccedil;ois Hartog,&nbsp;<em>Croire en l&rsquo;histoire</em>, Paris, Flammarion, 2013, p.&nbsp;168 et p.&nbsp;169.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;170.</p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;Titre du premier chapitre du&nbsp;<em>Cousin Pons</em>&nbsp;de Balzac.</p> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;Marie-Astrid Charlier a analys&eacute; l&rsquo;importance des &laquo;&nbsp;traces vestimentaires&nbsp;&raquo; dans la manifestation de l&rsquo;anachronisme du cousin Pons. Voir&nbsp;<em>Le Roman et les Jours. Po&eacute;tiques de la quotidiennet&eacute; au XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle</em>, Paris, Classiques Garnier, &laquo;&nbsp;&Eacute;tudes romantiques et dix-neuvi&eacute;mistes&nbsp;&raquo;, 2018, p.&nbsp;209. Voir &eacute;galement, au sujet des personnages balzaciens&nbsp;anachroniques&nbsp;: Jacques-David Ebguy, &laquo;&nbsp;Un arr&ecirc;t au passage.&nbsp;<em>Le Cousin Pons</em>, roman de la spectralit&eacute;&nbsp;&raquo;, dans Pierre Glaudes et &Eacute;l&eacute;onore Reverzy (dir.),&nbsp;<em>Relire</em>&nbsp;Le Cousin Pons, Paris, Classiques Garnier, &laquo; Rencontres &raquo;, 2018, p. 211-238 ; Jean-Marie Roulin, &laquo; The return of the undead : the body politic in&nbsp;<em>Le colonel Chabert</em>&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>South Central Review</em>, vol.&nbsp;XXIX, n&deg; 3, automne 2012, p. 20-35.</p> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;Alex Woloch,&nbsp;<em>The One vs. the Many: Minor Characters and the Space of the Protagonist in the Novel</em>, Princeton, Princeton University Press, 2004 ; Philippe Hamon,&nbsp;<em>Le Personnel du roman. Le syst&egrave;me des personnages dans &laquo;&nbsp;Les Rougon-Macquart&nbsp;&raquo; d&rsquo;&Eacute;mile Zola,</em>&nbsp;Gen&egrave;ve, Droz, 1983.</p> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a>&nbsp;Eug&egrave;ne Fromentin,&nbsp;<em>Dominique</em>, &eacute;d. de Pierre Barb&eacute;ris, Paris, Flammarion, &laquo; GF &raquo;, 1987, p.&nbsp;113.</p> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a>&nbsp;Gustave Flaubert,&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale</em>, &eacute;d. de Pierre-Marc de Biasi, Paris, Librairie G&eacute;n&eacute;rale Fran&ccedil;aise, &laquo; Le Livre de Poche Classiques &raquo;, 2002, p. 255-256.</p> <p><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;360.</p> <p><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a>&nbsp;L&rsquo;expression provient d&rsquo;<em>Une vie&nbsp;</em>: elle d&eacute;crit les voisins de Jeanne. Guy de Maupassant,&nbsp;<em>Une vie</em>, &eacute;d. d&rsquo;Antonia Fonyi, Paris, Flammarion, &laquo; GF &raquo;, 1995, p. 136. &Agrave; partir d&rsquo;ici, les r&eacute;f&eacute;rences &agrave; ce roman se feront dans le corps du texte, &agrave; l&rsquo;aide de l&rsquo;abr&eacute;viation &laquo;&nbsp;<em>UV</em>&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a>&nbsp;Fran&ccedil;ois Hartog,&nbsp;<em>Croire &agrave; l&rsquo;histoire</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit</em>., p.&nbsp;169.</p> <p><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a>&nbsp;Voir son article &laquo;&nbsp;Exister dans l&rsquo;instant&nbsp;&raquo;, dans ce dossier.</p> <p><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a>&nbsp;Nous empruntons &ndash; en &eacute;largissant son sens &ndash; l&rsquo;expression d&rsquo;Albert Thibaudet, reprise par Christophe Pradeau pour qualifier le roman d&rsquo;art du temps. Voir &laquo;&nbsp;Le roman a le temps&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Po&eacute;tique</em>, n&deg;&nbsp;132, novembre 2002, p.&nbsp;387-400.</p> <p><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a>&nbsp;Tiphaine Samoyault, &laquo;&nbsp;Les trois ling&egrave;res de Kafka. L&rsquo;espace du personnage secondaire&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>&Eacute;tudes fran&ccedil;aises</em>, vol.&nbsp;XLI, n&deg;&nbsp;1, 2005, p.&nbsp;45.</p> <p><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;43.</p> <p><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a>&nbsp;Marie-Astrid Charlier emploie ce terme, mais pour d&eacute;signer des temporalit&eacute;s sociales marginales, oppos&eacute;es &agrave; la temporalit&eacute; normative&nbsp;: le temps boh&ecirc;me ou artiste, par exemple. Voir&nbsp;<em>Le Roman et les Jours</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit</em>., p.&nbsp;349.</p> <p><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a>&nbsp;Edmond et Jules de Goncourt,&nbsp;<em>Germinie Lacerteux</em>, &eacute;d. de Nadine Satiat, Paris, Flammarion, &laquo; GF &raquo;, 1990, p. 59. &Agrave; partir d&rsquo;ici, les r&eacute;f&eacute;rences &agrave; ce roman se feront dans le corps du texte, &agrave; l&rsquo;aide de l&rsquo;abr&eacute;viation &laquo;&nbsp;<em>GL</em>&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a>&nbsp;&Eacute;l&eacute;onore Reverzy, &laquo;&nbsp;Les Goncourt &eacute;crivains reliquaires&nbsp;&raquo;, &agrave; para&icirc;tre dans V&eacute;ronique Samson et Matthieu Vernet (dir.),&nbsp;<em>La m&eacute;moire dans le roman r&eacute;aliste et naturaliste</em>.</p> <p><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a>&nbsp;Voir Marie Scarpa, &laquo;&nbsp;Le personnage liminaire&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Romantisme</em>, 2009/3, n&deg;&nbsp;145, p.&nbsp;25-35. URL&nbsp;: <a href="https://www.cairn.info/revue-romantisme-2009-3-page-25.htm#re16no81" target="_blank">https://www.cairn.info/revue-romantisme-2009-3-page-25.htm#re16no81</a> (page consult&eacute;e en septembre 2021). Elle note que la vieille fille est un type commun de personnage liminaire, et que &laquo;&nbsp;[f]r&eacute;quemment, il est un personnage secondaire, qui sert alors de valeur ou de contre-valeur t&eacute;moin dans le syst&egrave;me du personnel romanesque&nbsp;&raquo; (parag. 8).</p> <p><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a>&nbsp;Nathalie Heinich,&nbsp;<em>&Eacute;tats de femme</em>, Paris, Gallimard, 1996, chapitre I&nbsp;: &laquo;&nbsp;Filles sans histoire&nbsp;&raquo;, p.&nbsp;23 et suivantes. Cit&eacute; dans Jeanne Bem, &laquo;&nbsp;La vieille fille et son histoire, chez Flaubert et Maupassant&nbsp;&raquo;, dans Yvan Leclerc (dir.),&nbsp;<em>Flaubert &ndash; Le Poittevin &ndash; Maupassant. Une affaire de famille litt&eacute;raire</em>, Actes du colloque international de F&eacute;camp (octobre 2000), Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2002, p.&nbsp;181-195.</p> <p><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a>&nbsp;Naomi Schor, &laquo;&nbsp;<em>Une Vie&nbsp;</em>or The Name of the Mother&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>Breaking the Chain: Women, Theory and French Realist Fiction</em>, New York, Columbia University Press, 1985, p.&nbsp;67.</p> <p><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a>&nbsp;Robert Ricatte,&nbsp;<em>La cr&eacute;ation romanesque chez les Goncourt</em>, Paris, Armand Colin, 1953, p. 264.</p> <p><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a>&nbsp;Marie-Astrid Charlier,&nbsp;<em>Le Roman et les Jours</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit</em>., p.&nbsp;297.</p> <p><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a>&nbsp;Voir &agrave; ce sujet les pages &eacute;clairantes d&rsquo;Isabelle Daunais sur le Robinson imagin&eacute; par Val&eacute;ry, qui vient au monde dans la fiction au moment de l&rsquo;ach&egrave;vement des &oelig;uvres du h&eacute;ros de Defoe. Pour Isabelle Daunais, cette sorte d&rsquo;&laquo;&nbsp;apr&egrave;s-roman&nbsp;&raquo; devient &laquo;&nbsp;&agrave; l&rsquo;&eacute;poque moderne non plus le terme de l&rsquo;existence du h&eacute;ros mais sa condition premi&egrave;re&nbsp;&raquo; (<em>Fronti&egrave;re du roman</em>.&nbsp;<em>Le personnage r&eacute;aliste et ses fictions</em>, Montr&eacute;al/Saint-Denis, Presses de l&rsquo;Universit&eacute; de Montr&eacute;al/Presses universitaires de Vincennes, 2002, p.&nbsp;186).</p> <p><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a>&nbsp;Voir le chapitre IV&nbsp;: &laquo;&nbsp;&Agrave; qui la place&nbsp;? Characterization and Competition in&nbsp;<em>Le P&egrave;re Goriot</em>&nbsp;and&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine</em>&nbsp;&raquo;, dans Alex Woloch,&nbsp;<em>The One vs. the Many</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit</em>., p.&nbsp;244-318.</p> <p><a href="#_ftnref28" name="_ftn28">[28]</a>&nbsp;Sur l&rsquo;importance de la m&eacute;moire dans&nbsp;<em>Une vie</em>, voir Jean-Louis Caban&egrave;s, &laquo;&nbsp;<em>Une vie</em>&nbsp;ou le temps perdu&nbsp;&raquo;, dans Yves Reboul (dir.),&nbsp;<em>Maupassant multiple</em>, Actes du colloque de Toulouse (13-15 d&eacute;cembre 1993), Toulouse, Presses Universitaires Mirail, 1995, p.&nbsp;79-86. Selon lui, la &laquo;&nbsp;multiplication des signes m&eacute;moratifs&nbsp;&raquo; font des derniers chapitres du roman &laquo;&nbsp;une sorte de &ldquo;temps retrouv&eacute;&rdquo;&nbsp;&raquo;, ne d&eacute;bouchant cependant sur rien, contrairement &agrave; celui de Proust (p.&nbsp;83-84).</p> <p><a href="#_ftnref29" name="_ftn29">[29]</a>&nbsp;Nous citons Corinne Saminadayar-Perrin, &laquo;&nbsp;Entre histoire et &eacute;tude de m&oelig;urs&nbsp;: &eacute;crire l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement&nbsp;&raquo;, dans Juliette Azoulai et Gis&egrave;le S&eacute;ginger (dir.),&nbsp;<em>Flaubert. Histoire et &eacute;tude de m&oelig;urs</em>, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2019, p.&nbsp;77. Voir aussi les travaux d&rsquo;&Eacute;l&eacute;onore Reverzy, particuli&egrave;rement int&eacute;ressants sur ce point, dont &laquo;&nbsp;Les Goncourt&nbsp;: l&rsquo;histoire silencieuse&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Europe</em>, novembre-d&eacute;cembre 2015, p.&nbsp;48-61.</p> <p><a href="#_ftnref30" name="_ftn30">[30]</a>&nbsp;&laquo; Les heures de sa vie qu&rsquo;elle vivait de sang-froid [&hellip;] lui semblaient si abominables ! Elle aimait mieux les mourir. Il n&rsquo;y avait plus que le sommeil au monde pour lui faire tout oublier, le sommeil congestionn&eacute; de l&rsquo;Ivrognerie qui berce avec les bras de la Mort &raquo; (<em>GL</em>, p. 171).</p> <p><a href="#_ftnref31" name="_ftn31">[31]</a>&nbsp;Mlle de Varandeuil, la retrouvant endormie dans son lit, &laquo;&nbsp;avait l&rsquo;impression d&rsquo;&ecirc;tre &agrave; c&ocirc;t&eacute; d&rsquo;un cadavre&nbsp;&raquo; (<em>GL</em>, p.&nbsp;190).</p> <h3>Auteur</h3> <p><strong>V&eacute;ronique Samson</strong>&nbsp;enseigne la litt&eacute;rature au C&eacute;gep du Vieux Montr&eacute;al, apr&egrave;s avoir men&eacute; des recherches postdoctorales &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; de Cambridge et plus r&eacute;cemment au CRP19, &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; Sorbonne Nouvelle. Son livre&nbsp;<em>Apr&egrave;s la fin. Gustave Flaubert et le temps du roman&nbsp;</em>est paru au d&eacute;but de l&rsquo;ann&eacute;e 2021 aux Presses universitaires de Vincennes. Ses recherches portent principalement sur le temps, la m&eacute;moire et l&rsquo;histoire dans le roman r&eacute;aliste du XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle. Elle a co-dirig&eacute; avec Mathieu Roger-Lacan un dossier consacr&eacute; &agrave;&nbsp;<em>1848 et la litt&eacute;rature</em>, paru dans&nbsp;<em>Fabula / Les colloques</em>&nbsp;en 2021.</p> <p><strong>Copyright</strong></p> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>