<h3>Abstract</h3> <p>This article aims to rethink the now classic critical notion of &ldquo;chronotope&rdquo; forged by Mikhail Bakhtin by applying it to a new object: the novelistic body. Can the writing of the body in the novel be compared to a sensitive topography in which a certain relationship to time is also articulated? Is the body a new paradigm of the chronotope, or does it relate to those that M.&nbsp;Bakhtine and H. Mitterand after him have identified? What critical benefit can we draw from this questioning? Barbey d&rsquo;Aurevilly&rsquo;s&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em>&nbsp;will serve as a laboratory for these theoretical interrogations.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&ldquo;Du siehst, mein Sohn, zum Raum wird hier die Zeit&rdquo;<br /> (&laquo; Tu vois, mon fils, ici le temps devient espace &raquo;)<br /> Richard Wagner,&nbsp;<em>Parsifal</em></p> <p>&laquo; Les plus c&eacute;l&egrave;bres blessures dont parle l&rsquo;Histoire, qu&rsquo;&eacute;taient-elles aupr&egrave;s des vestiges impliqu&eacute;s sur le visage de l&rsquo;abb&eacute; de La Croix-Jugan&nbsp;&raquo;<br /> Barbey d&rsquo;Aurevilly,&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em></p> <p>&nbsp;</p> <p>La notion de&nbsp;<em>chronotope,</em>&nbsp;forg&eacute;e par Mikha&iuml;l Bakhtine d&egrave;s 1937, reprise et traduite en fran&ccedil;ais dans&nbsp;<em>Esth&eacute;tique et th&eacute;orie du roman</em>&nbsp;(1978), fait partie des termes qui se sont impos&eacute;s avec tant d&rsquo;&eacute;vidence &agrave; la critique litt&eacute;raire qu&rsquo;on prend rarement le temps de la questionner ou de repenser ses domaines d&rsquo;application. Avec ce terme, Bakhtine, on le sait, a voulu nommer &laquo;&nbsp;l&rsquo;indissolubilit&eacute; du temps et de l&rsquo;espace&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>&nbsp;&raquo; en r&eacute;gime romanesque. Formalisant un sentiment partag&eacute; par tout lecteur de roman, le concept de Bakhtine &eacute;tendait en quelque sorte &agrave; la litt&eacute;rature le principe pos&eacute; par Albert Einstein dans sa th&eacute;orie de la relativit&eacute; g&eacute;n&eacute;rale&nbsp;: l&rsquo;espace et le temps sont toujours fonction l&rsquo;un de l&rsquo;autre.</p> <p>Dans ses travaux sur la notion d&rsquo;espace romanesque, Henri Mitterand a eu l&rsquo;occasion de revenir sur la notion avanc&eacute;e par Bakhtine, et d&rsquo;en affiner la d&eacute;finition&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. D&rsquo;une part, devant la plasticit&eacute; des usages que le th&eacute;oricien russe semble donner au concept, Mitterand propose de voir six &eacute;chelles auxquelles le concept de&nbsp;<em>chronotope</em>&nbsp;peut s&rsquo;appliquer, qu&rsquo;il convient d&rsquo;utiliser de fa&ccedil;on m&eacute;thodique et diff&eacute;renci&eacute;e&nbsp;: l&rsquo;univers culturel de r&eacute;f&eacute;rence, le genre, le sous-genre, l&rsquo;&oelig;uvre, le motif th&eacute;matique et le personnage. D&rsquo;autre part, Mitterand en appelle &agrave; une &laquo;&nbsp;s&eacute;miotisation du chronotope&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>&nbsp;&raquo; contre un usage trop th&eacute;matique du concept, ce qui nous incite &agrave; prendre les configurations romanesques qui nouent de fa&ccedil;on singuli&egrave;re temps et espace, non comme des donn&eacute;es descriptives, mais comme des exp&eacute;riences cognitives, qui configurent notre lecture et notre regard sensible.</p> <p>Sans d&eacute;battre de la pertinence de ces six &eacute;chelles d&rsquo;application du chronotope propos&eacute;es par Mitterand, nous voudrions ici proposer une voie nouvelle d&rsquo;application de ce concept, qui servira peut-&ecirc;tre &agrave; &eacute;clairer sous un jour neuf son usage dans une approche critique et historienne des textes litt&eacute;raires. Il s&rsquo;agit d&rsquo;essayer d&rsquo;appliquer la notion de chronotope &agrave; certaines figurations du corps dans le roman. S&rsquo;il fallait &agrave; tout prix rattacher cette proposition critique &agrave; l&rsquo;une des branches distingu&eacute;es par Mitterand, la consid&eacute;ration du corps comme un dispositif chronotopique pourrait se rattacher &agrave; ce qu&rsquo;il nomme &laquo;&nbsp;le chronotope du personnage&nbsp;&raquo;, en ne consid&eacute;rant plus la fa&ccedil;on dont le temps et l&rsquo;espace s&rsquo;articulent en pr&eacute;sence du personnage et autour de lui, &agrave; la fa&ccedil;on des&nbsp;<em>Leitmotive</em>&nbsp;wagn&eacute;riens qui annoncent l&rsquo;approche de Siegfried ou Brunehilde, mais comment la topographie corporelle du personnage organise une certaine voie d&rsquo;acc&egrave;s au temps, dont la port&eacute;e se fait sentir dans toute l&rsquo;&eacute;conomie romanesque.</p> <p>Avant d&rsquo;entrer dans le d&eacute;tail de cette hypoth&egrave;se et dans l&rsquo;exemple &agrave; partir duquel nous entendons la construire, trois interrogations s&rsquo;&eacute;l&egrave;vent intuitivement, auxquelles cet article tentera de r&eacute;pondre.</p> <p>(i)&nbsp;La &laquo;&nbsp;topographie&nbsp;corporelle&nbsp;&raquo; construite par un roman est-elle une r&eacute;alit&eacute; suffisante pour constituer l&rsquo;instance&nbsp;<em>spatiale</em>&nbsp;du chronotope&nbsp;? Comment l&rsquo;&eacute;criture romanesque fait-elle du corps un lieu &agrave; part enti&egrave;re&nbsp;?</p> <p>(ii)&nbsp;Bakhtine propose des chronotopes paradigmatiques&nbsp;: la route est le lieu d&rsquo;un pr&eacute;sent &eacute;tir&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>, le ch&acirc;teau d&rsquo;un pass&eacute; condens&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>, le seuil d&rsquo;un temps resserr&eacute; &agrave; l&rsquo;instant&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>, le salon d&rsquo;un temps rythm&eacute; par la vie sociale&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>, l&rsquo;idylle un temps dilat&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>, etc. Si l&rsquo;on consid&egrave;re le corps romanesque comme un chronotope, doit-il &ecirc;tre rattach&eacute; &agrave; l&rsquo;un de ces mod&egrave;les, ou bien constitue-t-il un paradigme &agrave; lui seul&nbsp;?</p> <p>(iii)&nbsp;En quoi cette proposition th&eacute;orique change-t-elle l&rsquo;approche critique des figurations litt&eacute;raires du corps&nbsp;?</p> <h2>1. Lieu du corps, temps de l&rsquo;histoire<br /> &nbsp;</h2> <p>Nous avons choisi, pour mener cette exp&eacute;rience th&eacute;orique, de prendre pour objet d&rsquo;analyse le corps de l&rsquo;abb&eacute; de La Croix-Jugan, le h&eacute;ros de&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em>&nbsp;de Barbey d&rsquo;Aurevilly. Ce dernier est sans doute l&rsquo;un des romanciers qui a le plus contribu&eacute; &agrave; ce que, comme l&rsquo;&eacute;crit encore Henri Mitterand, &laquo;&nbsp;entre 1850 et 1880, le personnage dev[ienne] un corps&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>&nbsp;&raquo;, marquant un tournant dans l&rsquo;imaginaire litt&eacute;raire et ouvrant la voie &agrave; une &laquo;&nbsp;histoire post-romantique du corps&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p>Rappelons l&rsquo;intrigue en quelques mots. Quelques ann&eacute;es apr&egrave;s les guerres de la chouannerie qui ont agit&eacute; la Normandie jusqu&rsquo;en 1799, l&rsquo;abb&eacute; de La Croix-Jugan, un pr&ecirc;tre qui a combattu avec les royalistes, tent&eacute; de se suicider apr&egrave;s leur d&eacute;faite et &eacute;t&eacute; terriblement tortur&eacute; par les soldats r&eacute;publicains, repara&icirc;t dans le village de Blanchelande, au milieu de la lande de Lessay dans le Cotentin, o&ugrave; il doit accomplir un parcours de p&eacute;nitence avant d&rsquo;&ecirc;tre de nouveau autoris&eacute; &agrave; exercer son minist&egrave;re. Mais son retour dans le village fait remonter &agrave; la surface toutes les plaies enfouies de la R&eacute;volution et ravive des haines silencieuses. Jeanne Le Hardouey, fille d&rsquo;aristocrate m&eacute;salli&eacute;e, est prise d&rsquo;une passion d&eacute;vorante pour ce moine-soldat mutil&eacute;, que la rumeur accuse d&rsquo;avoir &laquo;&nbsp;ensorcel&eacute;&nbsp;&raquo; la jeune femme. Celle-ci mourra myst&eacute;rieusement assassin&eacute;e, peut-&ecirc;tre par des p&acirc;tres errants&nbsp;; son mari la vengera en tuant La Croix-Jugan lors de sa premi&egrave;re messe apr&egrave;s sa repentance. Mais, comme le raconte Louis Tainnebouy, un paysan normand, au narrateur pendant qu&rsquo;ils traversent de nuit la lande de Lessay plusieurs ann&eacute;es apr&egrave;s, certains affirment avoir vu, &agrave; la nuit tomb&eacute;e, le fant&ocirc;me d&eacute;charn&eacute; de l&rsquo;abb&eacute; hanter l&rsquo;&eacute;glise et y dire une messe qu&rsquo;il ne parvient jamais &agrave; finir, comme pris au pi&egrave;ge d&rsquo;un ch&acirc;timent &eacute;ternel. Les bribes de r&eacute;cit nous parviennent gr&acirc;ce aux derniers t&eacute;moins de cette histoire obscure et violente, &agrave; l&rsquo;image des &laquo;&nbsp;gu&eacute;rillas nocturnes&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>&nbsp;&raquo; de la chouannerie dont elle porte l&rsquo;h&eacute;ritage.</p> <p>Le corps de l&rsquo;abb&eacute; de La Croix-Jugan dans&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em>&nbsp;est avant tout un objet de sid&eacute;ration &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du roman. Peu de parties en sont d&eacute;crites&nbsp;: la face (visage, cr&acirc;ne, tempes) et les mains suffisent &agrave; elles seules &agrave; construire une singularit&eacute; fascinante qui retient l&rsquo;attention des autres personnages en m&ecirc;me temps que celle du lecteur. Le dispositif narratif employ&eacute; par Barbey, dont le narrateur intradi&eacute;g&eacute;tique d&eacute;l&egrave;gue &agrave; son tour la parole &agrave; un narrateur second, ma&icirc;tre Louis Tainnebouy, accentue ce rapprochement entre l&rsquo;effet produit sur le lecteur et l&rsquo;effet produit au sein du roman par la pr&eacute;sence physique du h&eacute;ros.</p> <p>Ce visage n&rsquo;est r&eacute;v&eacute;l&eacute; &laquo;&nbsp;dans toute sa splendeur foudroy&eacute;e&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>&nbsp;&raquo; qu&rsquo;au chapitre VIII, couronnant par ce d&eacute;voilement subit une longue mont&eacute;e en puissance de la narration. Le lecteur, &agrave; travers les yeux de Jeanne le Hardouey et de la Clotte, d&eacute;couvre alors un spectacle effrayant, dont la description condense de nombreux motifs du roman&nbsp;:</p> <blockquote> <p>L&rsquo;esp&egrave;ce de chaperon qu&rsquo;il portait tomba, et sa t&ecirc;te gorgonienne apparut avec ses larges tempes, que d&rsquo;inexprimables douleurs avaient tr&eacute;pan&eacute;es, et cette face o&ugrave; les balles rayonnantes de l&rsquo;espingole avaient intaill&eacute; comme un soleil de balafres. Ses yeux, deux r&eacute;chauds de pens&eacute;es allum&eacute;s et asphyxiants de lumi&egrave;re, &eacute;clairaient tout cela, comme la foudre &eacute;claire un piton qu&rsquo;elle a fracass&eacute;. Le sang faufilait, comme un ruban de flamme, ses paupi&egrave;res br&ucirc;l&eacute;es, semblables aux paupi&egrave;res &agrave; vif d&rsquo;un lion qui a travers&eacute; l&rsquo;incendie. C&rsquo;&eacute;tait magnifique et c&rsquo;&eacute;tait affreux&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>&nbsp;!</p> </blockquote> <p>Le visage mutil&eacute; de La Croix-Jugan est pris dans une &eacute;criture qu&rsquo;on peut qualifier de topographique, en ce qu&rsquo;elle s&rsquo;applique &agrave; parcourir cette chair trait par trait en la d&eacute;crivant comme un relief. Les comparants mobilis&eacute;s pour d&eacute;peindre l&rsquo;horreur produite par cette apparition sont emprunt&eacute;s &agrave; l&rsquo;univers g&eacute;ographique et naturel. Les zigzags des cicatrices forment &laquo;&nbsp;un soleil de balafre&nbsp;&raquo;, construisant un jeu d&rsquo;ombres (les intailles des cicatrices) et de lumi&egrave;re &agrave; partir du point central que sont les yeux. Leur effet sur l&rsquo;ensemble est compar&eacute; &agrave; la mani&egrave;re dont &laquo;&nbsp;la foudre &eacute;claire un piton qu&rsquo;elle a fracass&eacute;&nbsp;&raquo;. L&rsquo;image du ravin, du relief prolong&eacute; de la cicatrice, se dit &agrave; travers l&rsquo;usage transitif du verbe&nbsp;<em>faufiler</em>, terme technique qui &eacute;voque une couture provisoire &agrave; grands points, renforc&eacute; par la comparaison avec &laquo;&nbsp;un ruban de flammes&nbsp;&raquo;. Le transpercement des paupi&egrave;res par les plaies rejoue en miniature la d&eacute;figuration g&eacute;n&eacute;rale du visage, dans un jeu d&rsquo;&eacute;cho qui amplifie la topologie irr&eacute;guli&egrave;re du portrait.</p> <p>Pourtant, l&rsquo;apparition que nous venons de citer n&rsquo;intervient pas n&rsquo;importe o&ugrave;, mais dans un lieu d&eacute;j&agrave; hautement connot&eacute;&nbsp;: la masure de Clotilde Mauduit, alias la Clotte, vieille femme infirme qui vit en marge du village de Blanchelande depuis la r&eacute;volution, et &agrave; qui la soci&eacute;t&eacute; fait expier le commerce physique qu&rsquo;elle entretenait sous l&rsquo;Ancien R&eacute;gime avec les aristocrates de ce pays. En s&rsquo;y rendant, Jeanne Le Hardouey se retranche de la bonne soci&eacute;t&eacute;, incarn&eacute;e par son mari, un acqu&eacute;reur des biens du clerg&eacute; qui s&rsquo;est enrichi sous la r&eacute;volution. Dans la mythologie contre-r&eacute;volutionnaire entretenue par la narration aurevillienne, la fille d&rsquo;aristocrate m&eacute;salli&eacute;e retrouve quelque chose de son orgueil s&eacute;culaire en venant visiter la Clotte, vestige vivant d&rsquo;un monde englouti par la r&eacute;volution, que Barbey nomme ailleurs &laquo;&nbsp;cette large orni&egrave;re de sang qui a coup&eacute; en deux l&rsquo;histoire de France, et dont les bords s&rsquo;&eacute;cartent chaque jour de plus en plus&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p>Le premier d&eacute;voilement du visage de La Croix-Jugan a donc lieu &agrave; l&rsquo;entr&eacute;e de la maison de la Clotte, alors que la nuit approche, chez un personnage qui incarne lui-m&ecirc;me une marge (g&eacute;ographique, historique, sociale) dans l&rsquo;intrigue&nbsp;: tout converge pour placer la sc&egrave;ne sous le motif du seuil, dont C&eacute;line Bricault a &eacute;tudi&eacute; la puissance dans l&rsquo;imaginaire romanesque de Barbey d&rsquo;Aurevilly&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>. Or, le seuil est, on le sait, un des dispositifs dont Bakhtine fait un chronotope. L&rsquo;articulation du temps et de l&rsquo;espace sous le signe du&nbsp;<em>seuil</em>&nbsp;offre une configuration narrative propice &agrave; dire &laquo;&nbsp;la&nbsp;<em>crise</em>, [le]&nbsp;<em>tournant d&rsquo;une vie&nbsp;</em><a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>&nbsp;&raquo;. La crise qui se pr&eacute;pare ici est celle de l&rsquo;<em>ensorcellement</em>&nbsp;de l&rsquo;h&eacute;ro&iuml;ne sous l&rsquo;effet de sa fascination pour La Croix-Jugan. Le dispositif d&eacute;crit par Bakhtine est donc parfaitement op&eacute;rant. Toutefois, au sein de cette sc&egrave;ne, l&rsquo;instant du d&eacute;voilement du visage de l&rsquo;abb&eacute;, moment de pause narrative et de vertige scopique, peut-il &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; comme un &eacute;l&eacute;ment parmi d&rsquo;autres au sein de ce chronotope&nbsp;du seuil&nbsp;? La topographie qu&rsquo;il dessine ne doit-elle pas nous inviter &agrave; consid&eacute;rer qu&rsquo;il construit &agrave; lui seul un nouveau rapport au temps, qu&rsquo;il charge le r&eacute;cit d&rsquo;une autre &laquo;&nbsp;valeur &eacute;motionnelle&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;?</p> <p>En effet, l&rsquo;apparition du visage du personnage et des violences dont il porte la trace est difficilement r&eacute;ductible &agrave; un simple d&eacute;tail au sein du tableau que forme cette sc&egrave;ne. Si&nbsp;<em>d&eacute;tail</em>&nbsp;il y a, c&rsquo;est plut&ocirc;t au sens o&ugrave; Daniel Arasse parle du &laquo;&nbsp;d&eacute;tail-comble&nbsp;&raquo; en peinture&nbsp;: &laquo;&nbsp;le d&eacute;tail-comble touche la limite de ce qu&rsquo;autorise l&rsquo;&eacute;conomie de la &ldquo;machine&rdquo; du tableau, son &ldquo;tout-ensemble&rdquo;&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>&nbsp;&raquo;. Le corps de l&rsquo;abb&eacute; de La Croix-Jugan &ndash; ou plut&ocirc;t son visage &ndash;, en m&ecirc;me temps qu&rsquo;il fait irruption dans le r&eacute;cit, semble aussi y faire entrer par effraction un lieu nouveau, caract&eacute;ris&eacute; par un surcro&icirc;t de violence, qui ne sera pas sans cons&eacute;quences sur la suite de l&rsquo;intrigue. D&egrave;s lors que &laquo;&nbsp;le d&eacute;tail disloque le tableau&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>&nbsp;&raquo;, il devient n&eacute;cessaire de penser le nouveau rapport dynamique qui s&rsquo;installe entre temps et espace &agrave; m&ecirc;me cette topologie corporelle.</p> <p>Car la blessure de La Croix-Jugan, dans sa forme m&ecirc;me, est porteuse d&rsquo;une histoire. Sa complexit&eacute;, son relief charnel est l&rsquo;indice d&rsquo;une violence qui s&rsquo;y est grav&eacute;e par strates successives. C&rsquo;est la r&eacute;apparition de ces diff&eacute;rentes strates au contact du corps du personnage qui justifie l&rsquo;hypoth&egrave;se que le corps puisse &ecirc;tre support d&rsquo;un chronotope au sein du r&eacute;cit.</p> <p>La premi&egrave;re strate d&rsquo;historicit&eacute; dont le visage de La Croix-Jugan semble porteur est le temps long du christianisme, dont le narrateur aurevillien fantasme une continuit&eacute; depuis les temps bibliques jusqu&rsquo;&agrave; ce que la R&eacute;volution vienne rompre &laquo;&nbsp;la cha&icirc;ne des temps&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>&nbsp;&raquo;. Le visage de l&rsquo;abb&eacute; avant sa d&eacute;figuration est caract&eacute;ris&eacute; de fa&ccedil;on hyperbolique&nbsp;: &laquo;&nbsp;cette figure autrefois si divinement belle qu&rsquo;on la comparait &agrave; celle du martial Archange des batailles&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>&nbsp;&raquo;. La comparaison &agrave; Saint Michel, qu&rsquo;on retrouvera dans la bouche de la Clotte&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>, sert &agrave; conjoindre les motifs de la foi et de la guerre dans le corps de La Croix-Jugan. Les larmes qui coulent de ses yeux avant son suicide sont aussi compar&eacute;es aux gouttes de ros&eacute;e qui mouillent la toison de G&eacute;d&eacute;on&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>. L&agrave; encore, cette r&eacute;f&eacute;rence est imm&eacute;diatement articul&eacute;e &agrave; une &eacute;vocation de l&rsquo;Ancien R&eacute;gime, puisque ces larmes interviennent au moment o&ugrave; le personnage contemple une derni&egrave;re fois un sceau marqu&eacute; des &laquo;&nbsp;trois fleurs de lys&nbsp;<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>&nbsp;&raquo; de la monarchie. Le motif des larmes se retrouve &agrave; la toute fin du roman, dans la description de la messe maudite que le spectre de La Croix-Jugan tente en vain d&rsquo;achever, racont&eacute;e par l&rsquo;interm&eacute;diaire du forgeron Pierre Cloud&nbsp;: ce dernier d&eacute;crit &laquo;&nbsp;une mani&egrave;re de sueur et de sang m&ecirc;l&eacute;e &agrave; ses larmes&nbsp;<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>&nbsp;&raquo;, rappelant la sueur de sang du Christ au Mont des Oliviers&nbsp;<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>, mais compare &eacute;galement ces larmes &agrave; du &laquo;&nbsp;plomb fondu&nbsp;<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>&nbsp;&raquo;, associant la r&eacute;f&eacute;rence chr&eacute;tienne &ndash; voire christique ici &ndash;&nbsp;&agrave; un motif guerrier. Cette continuit&eacute; entre le temps chr&eacute;tien et l&rsquo;histoire longue de la guerre et de la monarchie se retrouve encore dans d&rsquo;autres r&eacute;f&eacute;rences, par exemple au chevalier Bayard&nbsp;<a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a>&nbsp;ou &agrave; la statue mutil&eacute;e de Saint-Norbert&nbsp;<a href="#_ftn29" name="_ftnref29">[29]</a>.</p> <p>Cette premi&egrave;re strate ouvre donc, par le corps de l&rsquo;ancien fr&egrave;re Ranulphe, une voie d&rsquo;acc&egrave;s au temps historique de l&rsquo;Ancien R&eacute;gime et &agrave; son origine pseudo-biblique. &Agrave; celle-ci s&rsquo;ajoute l&rsquo;irruption de la violence r&eacute;volutionnaire &agrave; travers les guerres de la chouannerie, mais d&eacute;doubl&eacute;e d&rsquo;une fa&ccedil;on qui rend la blessure &agrave; la fois signifiante et complexe. Tout d&rsquo;abord, la guerre fratricide qui a oppos&eacute;, &agrave; partir de 1793, des catholiques royalistes de Vend&eacute;e, de Bretagne et de Basse-Normandie aux troupes r&eacute;publicaines est condens&eacute;e dans le geste de d&eacute;sespoir qui conduit La Croix-Jugan &agrave; se donner la mort au soir de la d&eacute;faite de la Fosse (5 novembre 1799), &eacute;pisode de l&rsquo;exp&eacute;dition malheureuse de Louis de Frott&eacute; lors de la seconde insurrection chouanne. Les &laquo;&nbsp;cinq ou six balles&nbsp;&raquo; dont &eacute;tait charg&eacute;e son espingole ont &laquo;&nbsp;rayonn&eacute; en sens divers&nbsp;<a href="#_ftn30" name="_ftnref30">[30]</a>&nbsp;&raquo; sur son visage, rempla&ccedil;ant le suicide par une d&eacute;figuration &agrave; vie. C&rsquo;est &agrave; cette premi&egrave;re violence qu&rsquo;est due la structure en &eacute;toile des cicatrices, qui formeront &laquo;&nbsp;le soleil de balafres&nbsp;&raquo; qu&rsquo;on a d&eacute;j&agrave; mentionn&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;les horribles blessures de cette t&ecirc;te aux os cass&eacute;s et aux chairs pendantes [&hellip;] se croisaient dans le visage du suicid&eacute; comme d&rsquo;inextricables sillons&nbsp;<a href="#_ftn31" name="_ftnref31">[31]</a>&nbsp;&raquo;. Les lambeaux de chair qui ravinent le corps du h&eacute;ros sont donc le r&eacute;sultat direct d&rsquo;un geste de violence auto-inflig&eacute;e, au soir des luttes les plus fratricides que la R&eacute;volution ait engendr&eacute;.</p> <p>Mais ce premier geste &ndash; qui constitue d&eacute;j&agrave; un p&eacute;ch&eacute; grave pour le catholicisme,&nbsp;<em>a fortiori</em>&nbsp;pour un pr&ecirc;tre &ndash; est redoubl&eacute; par une violence plus cruelle, commise gratuitement par les &laquo;&nbsp;Bleus&nbsp;&raquo; sur le corps de La Croix-Jugan dix jours plus tard dans la maison de la vieille femme qui l&rsquo;a trouv&eacute; et le soigne. L&rsquo;horreur franchit ici un nouveau cap. Apr&egrave;s avoir arrach&eacute; les bandages, ramenant &laquo;&nbsp;&agrave; leurs tron&ccedil;ons bris&eacute;s des morceaux de chair vive enlev&eacute;s aux blessures qui commen&ccedil;aient &agrave; se fermer&nbsp;<a href="#_ftn32" name="_ftnref32">[32]</a>&nbsp;&raquo; et provoquant de la part de la victime &laquo;&nbsp;un rugissement rauque qui n&rsquo;avait plus rien de l&rsquo;homme&nbsp;<a href="#_ftn33" name="_ftnref33">[33]</a>&nbsp;&raquo;, les Bleus, dans un surcro&icirc;t de cruaut&eacute;, d&eacute;cident de &laquo;&nbsp;saler&nbsp;<a href="#_ftn34" name="_ftnref34">[34]</a>&nbsp;&raquo; la plaie en y jetant des charbons ardents&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le feu s&rsquo;&eacute;teignit dans le sang, la braise rouge disparut dans ces plaies comme si on l&rsquo;e&ucirc;t jet&eacute;e dans un crible&nbsp;<a href="#_ftn35" name="_ftnref35">[35]</a>.&nbsp;&raquo; Seuls ses yeux, prot&eacute;g&eacute;s par &laquo;&nbsp;l&rsquo;enflure du visage&nbsp;<a href="#_ftn36" name="_ftnref36">[36]</a>&nbsp;&raquo;, sont &eacute;pargn&eacute;s. Le r&eacute;sultat de cette torture est donc la blessure stratifi&eacute;e de La Croix-Jugan, qui pr&eacute;sente des cicatrices en forme de plis, une br&ucirc;lure seconde &eacute;tant venue interrompre une cicatrisation premi&egrave;re, figeant les chairs dans l&rsquo;horreur de ce d&eacute;sordre.</p> <p>Alors qu&rsquo;on aurait pu s&rsquo;en tenir &agrave; un diptyque form&eacute; par l&rsquo;histoire longue et mythique du catholicisme et de l&rsquo;Ancien R&eacute;gime d&rsquo;une part, et par la violence r&eacute;volutionnaire de l&rsquo;autre, cette sc&egrave;ne de torture nous initie &agrave; une nouvelle temporalit&eacute; historique&nbsp;: celle de l&rsquo;histoire des violences commises en marge des guerres. Dans une note de bas de page pr&eacute;sente d&egrave;s le feuilleton puis dans l&rsquo;&eacute;dition en volume&nbsp;<a href="#_ftn37" name="_ftnref37">[37]</a>, Barbey revendique la v&eacute;ridicit&eacute; de cet &eacute;pisode (ce que rien ne prouve&nbsp;<a href="#_ftn38" name="_ftnref38">[38]</a>) et le rattache &agrave; une s&eacute;rie d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements qui vont de l&rsquo;histoire m&eacute;di&eacute;vale &agrave; l&rsquo;actualit&eacute; politique la plus r&eacute;cente&nbsp;: les r&eacute;pressions qui ont suivi le coup d&rsquo;&Eacute;tat du 2 d&eacute;cembre 1851. Seulement deux mois apr&egrave;s ces &eacute;v&eacute;nements, les lecteurs de&nbsp;<em>L&rsquo;Assembl&eacute;e nationale</em>&nbsp;purent donc lire, au bas du feuilleton et &agrave; la suite de la sc&egrave;ne d&rsquo;horreur cit&eacute;e plus haut&nbsp;:</p> <blockquote> <p>[&hellip;] ce n&rsquo;est pas le seul &eacute;pisode des guerres de la Chouannerie qui rappelle, par son atrocit&eacute;, les effroyables exc&egrave;s des &Eacute;corcheurs, la guerre des Paysans en 1525, etc., etc. [&hellip;] Les derniers &eacute;v&eacute;nements (d&eacute;cembre 1851) nous ont appris qu&rsquo;en fait d&rsquo;horreurs pass&eacute;es l&rsquo;homme est toujours pr&ecirc;t &agrave; recommencer demain&nbsp;<a href="#_ftn39" name="_ftnref39">[39]</a>.</p> </blockquote> <p>Les &laquo;&nbsp;effroyables exc&egrave;s&nbsp;&raquo; que Barbey &eacute;voque et met en s&eacute;rie se pr&eacute;sentent &agrave; la fois comme une cons&eacute;quence paroxystique et un dommage collat&eacute;ral de la violence des &eacute;volutions politiques ou religieuses. Les bandes des &Eacute;corcheurs, issues des arm&eacute;es de Charles VII au moment de sa reconqu&ecirc;te du royaume de France, sont le fruit du d&eacute;sordre g&eacute;opolitique de la France du XV<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle. La guerre des Paysans allemands, elle, est une s&eacute;rie de r&eacute;voltes qui agitent des seigneuries du Saint-Empire, dans un contexte o&ugrave; l&rsquo;ancienne f&eacute;odalit&eacute; est malmen&eacute;e par l&rsquo;instabilit&eacute; &eacute;conomique et l&rsquo;&eacute;mergence de la R&eacute;forme. La dimension ouverte de l&rsquo;&eacute;num&eacute;ration (&laquo;&nbsp;etc., etc.&nbsp;&raquo;) laisse libre cours au savoir et &agrave; l&rsquo;imaginaire historiques du lecteur pour continuer la s&eacute;rie, jusqu&rsquo;au pr&eacute;sent de l&rsquo;&eacute;criture, dans un texte publi&eacute; pour la premi&egrave;re fois deux mois apr&egrave;s le Deux-D&eacute;cembre.</p> <h2>2. Topographie corporelle et g&eacute;ographie romanesque<br /> &nbsp;</h2> <p>Le corps de l&rsquo;abb&eacute; de La Croix-Jugan n&rsquo;est pas seulement un hapax au sein du roman, qui en d&eacute;chire les bords en m&ecirc;me temps qu&rsquo;il y pr&eacute;cipite la crise. Sa topologie se pr&eacute;sente aussi comme le lieu de cristallisation d&rsquo;un grand nombre d&rsquo;autres motifs qui incarnent les strates temporelles du roman dans d&rsquo;autres espaces charg&eacute;s de signification. Le corps du personnage devient le lieu de condensation d&rsquo;autres chronotopes romanesques, qui se donnent r&eacute;trospectivement &agrave; lire comme des diffractions de celui-l&agrave;. C&rsquo;est notamment le cas de la lande de Lessay, lieu du r&eacute;cit cadre que Tainnebouy fait au narrateur pendant sa travers&eacute;e nocturne et lieu de l&rsquo;intrigue narr&eacute;e elle-m&ecirc;me, puisque Blanchelande se situe &agrave; ses confins.</p> <p>D&egrave;s le d&eacute;but du roman, la description de la lande pr&eacute;sente des particularit&eacute;s g&eacute;ographiques qui r&eacute;sonneront ensuite avec le visage de l&rsquo;abb&eacute;.</p> <blockquote> <p>Quand on avait tourn&eacute; le dos au&nbsp;<em>Taureau</em>&nbsp;<em>rouge</em>&nbsp;et d&eacute;pass&eacute; l&rsquo;esp&egrave;ce de plateau o&ugrave; venait expirer le chemin et o&ugrave; commen&ccedil;ait la lande de Lessay, on trouvait devant soi plusieurs sentiers parall&egrave;les qui&nbsp;<em>z&eacute;braient la lande et se s&eacute;paraient les uns des autres &agrave; mesure qu&rsquo;on avan&ccedil;ait en plaine</em>, car ils aboutissaient tous, dans des directions diff&eacute;rentes, &agrave; des points extr&ecirc;mement &eacute;loign&eacute;s. Visibles d&rsquo;abord sur le sol et sur la limite du landage,&nbsp;<em>ils s&rsquo;effa&ccedil;aient &agrave; mesure qu&rsquo;on plongeait dans l&rsquo;&eacute;tendue</em>, et on n&rsquo;avait pas beaucoup march&eacute; qu&rsquo;on n&rsquo;en voyait plus aucune trace, m&ecirc;me le jour. Tout &eacute;tait lande. Le sentier avait disparu&nbsp;<a href="#_ftn40" name="_ftnref40">[40]</a>.</p> </blockquote> <p>Cette lande transperc&eacute;e de chemins qui s&rsquo;&eacute;toilent et se perdent dans l&rsquo;inconnu pr&eacute;sente quelques similitudes avec la face mutil&eacute;e de La Croix-Jugan. Chacune &agrave; sa fa&ccedil;on constitue un &laquo;&nbsp;masque de catastrophe et de bifurcations&nbsp;<a href="#_ftn41" name="_ftnref41">[41]</a>&nbsp;&raquo;, pour reprendre les mots de Michel Serres. Ce dernier et la critique aurevillienne &agrave; sa suite&nbsp;<a href="#_ftn42" name="_ftnref42">[42]</a>&nbsp;ont remarqu&eacute; la complicit&eacute; entre les z&eacute;brures de la lande, qui initient le lecteur &agrave; l&rsquo;effritement du sens dans le lieu romanesque, et le visage du protagoniste. Si la lande semble fournir &agrave; soi seule un chronotope &agrave; l&rsquo;intrigue, on comprend en fait que c&rsquo;est le corps m&ecirc;me de La Croix-Jugan qui ordonne cette disposition topographique, puisque c&rsquo;est ce dernier qui justifie la rencontre en un m&ecirc;me lieu des d&eacute;chirures successives qu&rsquo;ont produites la guerre, le suicide et la vengeance des soldats r&eacute;publicains, et qui offre ensuite ce terrain fertile &agrave; l&rsquo;imagination romanesque. La topographie singuli&egrave;re de la lande prend r&eacute;trospectivement sens dans le &laquo;&nbsp;soleil de balafres&nbsp;<a href="#_ftn43" name="_ftnref43">[43]</a>&nbsp;&raquo; du visage du pr&ecirc;tre, en devenant un &eacute;cho au feuilletage de violences qui a marqu&eacute; ce corps.</p> <p>On observe un ph&eacute;nom&egrave;ne similaire dans la description du portail de l&rsquo;&eacute;glise de Blanchelande.</p> <blockquote> <p>Le grand portail de l&rsquo;&eacute;glise actuelle de Blanchelande est l&rsquo;ancien portail de l&rsquo;abbaye, qui a &eacute;t&eacute; d&eacute;vast&eacute;e pendant la R&eacute;volution, et on voit encore dans ses panneaux de bois de ch&ecirc;ne les trous qu&rsquo;y ont laiss&eacute;s les balles des Bleus&nbsp;<a href="#_ftn44" name="_ftnref44">[44]</a>.</p> </blockquote> <p>Ce portail fonctionne lui-m&ecirc;me comme un seuil, car c&rsquo;est &agrave; travers ses &laquo;&nbsp;trous&nbsp;&raquo; que les habitants de Blanchelande peuvent voir La Croix-Jugan, pourtant mort, c&eacute;l&eacute;brer infiniment une messe qu&rsquo;il ne parvient pas &agrave; conclure. La profanation subie par la porte de l&rsquo;&eacute;glise forme une blessure &laquo;&nbsp;simple&nbsp;&raquo;, produite par les balles des Bleus, l&agrave; o&ugrave; le visage de La Croix-Jugan, lui, est une blessure complexe, qui cumule l&rsquo;impact des balles (auto-inflig&eacute;) et la torture des plaies par les Bleus. La blessure du portail devient donc aussi une porte d&rsquo;entr&eacute;e figur&eacute;e dans l&rsquo;histoire de la blessure de La Croix-Jugan, qui vient rendre cette violence plus complexe en l&rsquo;ouvrant&nbsp;<em>&agrave; deux battants</em>.</p> <p>Le chronotope form&eacute; par le corps de La Croix-Jugan devient donc le point central d&rsquo;un r&eacute;seau d&rsquo;autres espaces romanesques, qui atteignent leur potentialit&eacute; signifiante et temporelle maximale lorsqu&rsquo;ils se trouvent mis en regard de la face mutil&eacute;e du protagoniste. On voit ainsi appara&icirc;tre tout un r&eacute;seau de structures temps-espace autour de la structure form&eacute;e par le corps de La Croix-Jugan. Ces structures en forment autant de satellites, des formes simplifi&eacute;es, incompl&egrave;tes, non-autonomes, et trouvent finalement leur signification pleine au sein du chronotope organis&eacute; par le corps du personnage.</p> <h2>3. Perspectives critiques<br /> &nbsp;</h2> <p>Cette tentative d&rsquo;application de la notion de chronotope &agrave; un nouvel objet &ndash; le corps romanesque &ndash; est in&eacute;dite. Ce fait devrait &eacute;tonner, au vu de l&rsquo;usage polymorphe qui a &eacute;t&eacute; fait du chronotope depuis son apparition dans la bo&icirc;te &agrave; outils de la critique, mais aussi au vu des termes m&ecirc;mes dans lesquels Bakhtine l&rsquo;avait d&rsquo;abord introduit. Ce dernier d&eacute;clare en effet que, &laquo;&nbsp;dans le chronotope, les &eacute;v&eacute;nements du roman prennent corps, se rev&ecirc;tent de chair, s&rsquo;emplissent de sang&nbsp;<a href="#_ftn45" name="_ftnref45">[45]</a>&nbsp;&raquo;. Corps, chair, sang&nbsp;: ces m&eacute;taphores par lesquelles le critique russe disait la dynamique introduite par le dispositif chronotopique dans le roman n&rsquo;avaient &agrave; notre connaissance jamais &eacute;t&eacute; prises litt&eacute;ralement. Pourtant, toute image m&eacute;taphorique a une &eacute;paisseur sensible propre, et les mots de Bakhtine n&rsquo;ont pas &eacute;t&eacute; choisis au hasard. En les employant, ce dernier entendait analyser la fa&ccedil;on dont le roman&nbsp;<em>incarne</em>&nbsp;effectivement l&rsquo;intrigue qu&rsquo;il d&eacute;ploie, la mani&egrave;re dont il parvient &agrave; la faire entrer,&nbsp;<em>corps et &acirc;me</em>, dans l&rsquo;imaginaire spatial, sensible, historique des lecteurs. Dans le chronotope, &eacute;crit-il, &laquo;&nbsp;le temps acquiert un caract&egrave;re sensuellement concret&nbsp;<a href="#_ftn46" name="_ftnref46">[46]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;: comment ne pas alors oser l&rsquo;hypoth&egrave;se que les corps romanesques, lieux &laquo;&nbsp;sensuellement concrets&nbsp;&raquo; par excellence, pourraient &agrave; leur tour devenir parfois des supports de chronotope&nbsp;?</p> <p>Revenons alors aux trois questions que nous posions au d&eacute;but de cette &eacute;tude.</p> <p>La premi&egrave;re interrogation portait sur la possibilit&eacute; de faire du corps un v&eacute;ritable espace, &agrave; m&ecirc;me de porter le dispositif temps-espace d&eacute;crit par Bakhtine. La fa&ccedil;on dont l&rsquo;&eacute;criture de Barbey d&rsquo;Aurevilly construit le corps de la Croix-Jugan &agrave; l&rsquo;image d&rsquo;une g&eacute;ographie foudroy&eacute;e, en d&eacute;taillant par divers proc&eacute;d&eacute;s d&rsquo;&eacute;criture son relief, ses contrastes, ses jeux d&rsquo;ombre et de lumi&egrave;re et sa chronologie interne, d&eacute;montre que le corps romanesque peut &ecirc;tre porteur d&rsquo;un chronotope, &agrave; condition qu&rsquo;on revienne au sens premier de ce que&nbsp;<em>topos</em>&nbsp;veut dire. En effet, la traduction courante par &laquo;&nbsp;temps-espace&nbsp;&raquo; du concept bakhtinien nous d&eacute;tourne du sens v&eacute;ritable du&nbsp;<em>topos</em>, qui se distingue en grec du&nbsp;<em>choros</em>&nbsp;comme le lieu se distingue de l&rsquo;espace. Le corps, comme toute surface que l&rsquo;&eacute;criture peut prendre pour objet, peut &ecirc;tre investi par l&rsquo;&eacute;criture romanesque comme un lieu, qui organise &agrave; son tour une certaine perception du temps. Il n&rsquo;est pas n&eacute;cessaire que cette instance soit&nbsp;<em>a priori</em>&nbsp;un espace en trois dimensions, ou pour citer Michel Serres&nbsp;: &laquo;&nbsp;Non pas le r&eacute;cit objectif d&rsquo;une premi&egrave;re occupation d&rsquo;un sol vierge, mais la constitution du discours par lequel cette occupation a lieu&nbsp;<a href="#_ftn47" name="_ftnref47">[47]</a>.&nbsp;&raquo; En ce sens, &laquo;&nbsp;discours et parcours sont hom&eacute;omorphes&nbsp;<a href="#_ftn48" name="_ftnref48">[48]</a>&nbsp;&raquo;, pris dans une dynamique d&rsquo;entrelacement &agrave; laquelle, lorsqu&rsquo;on voit &eacute;merger un chronotope, il faut ajouter la dimension temporelle.</p> <p>La deuxi&egrave;me question portait sur la nature du chronotope corporel et sur son rapport d&rsquo;&eacute;galit&eacute; ou de d&eacute;pendance vis-&agrave;-vis des autres paradigmes du chronotope d&eacute;gag&eacute;s par Bakhtine (route, ch&acirc;teau, salon, etc.). Nous avons montr&eacute; que le corps du personnage se distinguait d&rsquo;un chronotope puissant &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em>, celui du seuil. &Agrave; ce titre, le corps de La Croix-Jugan engage un chronotope propre, que nous nommons, faute d&rsquo;un terme plus sp&eacute;cifique,&nbsp;<em>corporel</em>. Mais il serait aventureux de pr&eacute;tendre que le type d&rsquo;articulation du lieu et du temps que ce corps singulier configure, marqu&eacute; notamment par l&rsquo;obsession de la guerre civile chouanne dans le cas de Barbey, suffise &agrave; en faire un paradigme pour d&rsquo;autres figurations du corps. Notre &eacute;tude &eacute;tant concentr&eacute;e sur un unique exemple, il nous semble que cette question doit rester ouverte, afin d&rsquo;&ecirc;tre mise &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve d&rsquo;autres configurations romanesques qui permettront, peut-&ecirc;tre, d&rsquo;esquisser une typologie.</p> <p>Avant de r&eacute;pondre &agrave; la derni&egrave;re question, la plus importante sur le plan th&eacute;orique, un dernier retour au texte s&rsquo;impose. On a rep&eacute;r&eacute; une double dynamique temporelle au contact du lieu corporel. D&rsquo;une part, la cicatrice de La Croix-Jugan donne acc&egrave;s des strates de temps multiples&nbsp;: temps biblique, temps long de la monarchie, temporalit&eacute; catastrophique de la r&eacute;volution, histoire de la cruaut&eacute; et des marges de la guerre, actualit&eacute; politique du coup d&rsquo;&Eacute;tat. D&rsquo;autre part, cette cicatrice elle-m&ecirc;me est le fruit d&rsquo;une histoire et demande, pour &ecirc;tre parcourue (spatialement), &agrave; &ecirc;tre comprise dans une chronologie sensible de la douleur. Lorsque le narrateur &eacute;voque ces &laquo;&nbsp;traits tatou&eacute;s par le plomb, le feu et la cendre&nbsp;&raquo;, faisant sonner la formule par l&rsquo;allit&eacute;ration (<em>t</em>raits&nbsp;<em>t</em>a<em>t</em>ou&eacute;s) et le rythme ternaire (plomb/feu/cendre), il indique aussi une stratification temporelle&nbsp;: le plomb de l&rsquo;espingole, les braises jet&eacute;es sur le corps, et la cendre qui a fini par &laquo;&nbsp;poudr[er] ses plaies&nbsp;<a href="#_ftn49" name="_ftnref49">[49]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p>L&rsquo;intrication du temps (<em>chronos</em>) et du lieu (<em>topos</em>) que r&eacute;git le corps romanesque de La Croix-Jugan compris comme chronotope est donc double. Ces deux usages rel&egrave;vent de deux arch&eacute;types fictionnels distincts dont le corps du personnage forme le point d&rsquo;intersection.</p> <p>Il y a premi&egrave;rement la cicatrice d&rsquo;Ulysse dans&nbsp;<em>L&rsquo;Odyss&eacute;e</em>, &agrave; laquelle Erich Auerbach consacre des pages importantes de&nbsp;<em>Mimesis</em>, dans un passage que commente &agrave; son tour Terence Cave dans son ouvrage&nbsp;<em>Recognitions</em>. La servante d&rsquo;Ulysse le reconna&icirc;t gr&acirc;ce &agrave; la cicatrice qu&rsquo;il a &agrave; la jambe, provoquant au sein de l&rsquo;&eacute;pop&eacute;e une br&egrave;che par laquelle l&rsquo;histoire s&rsquo;engouffre. Une longue analepse narre la blessure &agrave; l&rsquo;origine de cette cicatrice, caus&eacute;e par un sanglier lors d&rsquo;une chasse. Mais Terence Cave souligne qu&rsquo;il n&rsquo;en va pas d&rsquo;une simple reconnaissance, mais d&rsquo;une attribution d&rsquo;identit&eacute; plus profonde, qui se joue dans le jeu entre l&rsquo;indice corporel et le mat&eacute;riau historique rem&eacute;mor&eacute;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>The scar, then, is more than a sign by which Odysseus is recognized. It composes his identity by calling up retrospectively a fragment of narrative, since only narrative can compose identity as continuity once a severance has occurred, and the scar here may well look like a sign of the wound, the hiatus, the severance constituted by Odysseus&rsquo; wanderings&nbsp;<a href="#_ftn50" name="_ftnref50">[50]</a>.</p> <p>(La cicatrice est alors plus qu&rsquo;un signe par lequel on reconna&icirc;t Ulysse. Elle compose son identit&eacute; en convoquant r&eacute;trospectivement un fragment de r&eacute;cit, puisque seul le r&eacute;cit peut composer l&rsquo;identit&eacute; en tant que continuit&eacute; une fois qu&rsquo;une&nbsp;coupure a eu lieu. La cicatrice ici pourrait bien ressembler &agrave; un signe de la blessure, du hiatus, de la coupure caus&eacute;e par les errances d&rsquo;Ulysse.)</p> </blockquote> <p>La cicatrice n&rsquo;<em>indique</em>&nbsp;pas Ulysse, elle le&nbsp;<em>dit&nbsp;</em>; elle dit son &ecirc;tre profond en signant corporellement la blessure qu&rsquo;il porte en lui. Cet exemple v&eacute;rifie la r&eacute;flexion entam&eacute;e par Lessing, qui voit dans l&rsquo;&eacute;criture un privil&egrave;ge dans l&rsquo;acc&egrave;s au temps par rapport aux arts de l&rsquo;espace, puisque le po&egrave;te (Hom&egrave;re en particulier) &laquo;&nbsp;nous montre [un] objet dans une succession d&rsquo;instants o&ugrave; il para&icirc;t chaque fois diff&eacute;rent&nbsp;<a href="#_ftn51" name="_ftnref51">[51]</a>&nbsp;&raquo;, ouvrant ainsi l&rsquo;objet mat&eacute;riel &agrave; l&rsquo;histoire. Comme la cicatrice d&rsquo;Ulysse, le visage de La Croix-Jugan fait parler des strates temporelles plus ou moins lointaines et silencieuses. Il fournit, dans l&rsquo;espace du texte, le lieu de leur manifestation.</p> <p>Le second usage du chronotope corporel dans&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em>&nbsp;se rattache &agrave; un second exemple litt&eacute;raire paradigmatique, tir&eacute; cette fois de&nbsp;<em>La J&eacute;rusalem d&eacute;livr&eacute;e&nbsp;</em>du Tasse, que Barbey, comme toute la g&eacute;n&eacute;ration romantique, conna&icirc;t bien. Apr&egrave;s avoir involontairement tu&eacute; Clorinde qui portait une armure de chevalier, Tancr&egrave;de frappe de d&eacute;pit un arbre avec son &eacute;p&eacute;e. Le sang jaillit du lieu o&ugrave; son &eacute;p&eacute;e a port&eacute;, et la voix de Clorinde en sort &agrave; son tour pour apprendre &agrave; Tancr&egrave;de qu&rsquo;il l&rsquo;a meurtrie une seconde fois. Freud fera de cet &eacute;pisode fictionnel un exemple de la n&eacute;vrose de r&eacute;p&eacute;tition qu&rsquo;il th&eacute;orise en analysant les traumatismes de guerre dans&nbsp;<em>Au-del&agrave; du principe de plaisir&nbsp;</em><a href="#_ftn52" name="_ftnref52">[52]</a>. Au d&eacute;but de son ouvrage&nbsp;<em>Unclaimed Experience</em>, Cathy Caruth revient sur ce passage, mais pr&eacute;f&egrave;re concentrer son analyse sur le rapport intime qui unit la blessure et la voix f&eacute;minine&nbsp;:</p> <blockquote> <p>[&hellip;] what seems to me particularly striking in the example of Tasso is not just the unconscious act of the infliction of the injury and its inadvertent and unwished-for repetition, but the moving and sorrowful voice that cries out, a voice that is paradoxically released&nbsp;<em>through the wound&nbsp;</em><a href="#_ftn53" name="_ftnref53">[53]</a>.</p> <p>([&hellip;] ce qui me semble particuli&egrave;rement frappant dans l&rsquo;exemple du Tasse, ce n&rsquo;est pas seulement l&rsquo;acte inconscient d&rsquo;infliger la blessure et sa r&eacute;p&eacute;tition involontaire et non d&eacute;sir&eacute;e, mais la voix &eacute;mouvante et douloureuse qui crie, une voix qui est paradoxalement lib&eacute;r&eacute;e&nbsp;<em>par la blessure</em>.)</p> </blockquote> <p>La blessure est donc le lieu narratif de l&rsquo;&eacute;nonciation, le lieu donn&eacute; &agrave; la voix pour dire sa propre blessure. Elle constitue le lieu mat&eacute;riel o&ugrave; le&nbsp;<em>r&eacute;sultat</em>&nbsp;historique se donne &agrave;&nbsp;<em>voir</em>, mais &eacute;galement le lieu dynamique o&ugrave; le&nbsp;<em>processus</em>&nbsp;historique (la chronologie de la mutilation) se donne &agrave;&nbsp;<em>lire</em>. Elle est &agrave; la fois cicatrice et blessure, &agrave; la fois trace et b&eacute;ance.</p> <p>Par ces deux voies d&rsquo;acc&egrave;s &agrave; une dynamique temporelle, l&rsquo;usage du chronotope romanesque nous permet finalement de r&eacute;pondre &agrave; la derni&egrave;re des trois questions que nous soulevions initialement&nbsp;: en quoi cette hypoth&egrave;se change-t-elle notre regard sur la repr&eacute;sentation du corps dans le roman&nbsp;? La r&eacute;ponse vient de ce que ce d&eacute;tour par l&rsquo;hypoth&egrave;se d&rsquo;un chronotope corporel nous montre que la pr&eacute;sence du corps dans le roman ne se limite pas &agrave; une &laquo;&nbsp;repr&eacute;sentation&nbsp;&raquo;. Elle nous incite &agrave; sortir la figuration corporelle du seul domaine de la description pour prendre en compte sa puissance narrative, mesurable aussi bien &agrave; ses cons&eacute;quences sur la di&eacute;g&egrave;se (l&rsquo;ensorcellement puis la mort de Jeanne Le Hardouey, la mort de la Clotte, la disparition de Thomas Le Hardouey) qu&rsquo;aux forces historiques qu&rsquo;elle y fait surgir (la m&eacute;moire du moment r&eacute;volutionnaire, les strates enfouies de l&rsquo;histoire monarchique et catholique, les marges violentes de l&rsquo;histoire politique). On pourrait ainsi appliquer au corps romanesque le jugement formul&eacute; par Henri Mitterand, qui concluait &agrave; propos de l&rsquo;espace romanesque&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Quand l&rsquo;espace romanesque devient une forme qui gouverne par sa structure propre, et par les relations qu&rsquo;elle engendre, le fonctionnement di&eacute;g&eacute;tique et symbolique du r&eacute;cit, il ne peut pas rester l&rsquo;objet d&rsquo;une th&eacute;orie de la description, tandis que le personnage, l&rsquo;action et la temporalit&eacute; rel&egrave;veraient seuls d&rsquo;une th&eacute;orie du r&eacute;cit. Le roman, depuis Balzac surtout, narrativise l&rsquo;espace, au sens pr&eacute;cis du terme&nbsp;: il en fait une composante essentielle de la machine narrative&nbsp;<a href="#_ftn54" name="_ftnref54">[54]</a>.</p> </blockquote> <p>Le d&eacute;tour par la compr&eacute;hension du corps comme chronotope permet &agrave; son tour de comprendre le corps comme &laquo;&nbsp;une composante essentielle de la machine narrative&nbsp;&raquo;, et non plus un d&eacute;tail de la description, plus ou moins marquant. Nous rejoignons en cela une intuition qui se trouve d&eacute;j&agrave; sous la plume de Bakhtine, lorsque ce dernier parle de &laquo;&nbsp;la signification&nbsp;<em>figurative</em>&nbsp;des chronotopes&nbsp;<a href="#_ftn55" name="_ftnref55">[55]</a>&nbsp;&raquo;. Si&nbsp;<em>chronos</em>&nbsp;et&nbsp;<em>topos</em>&nbsp;sont indissociables dans le roman, c&rsquo;est parce que la dynamique qu&rsquo;ils entretiennent est &agrave; double sens&nbsp;: le lieu spatialise le temps, certes, mais le temps dynamise le lieu en retour. Il le&nbsp;<em>narrativise</em>.</p> <p>Penser le corps, lorsque l&rsquo;&eacute;criture le rend saillant, comme un chronotope, permet de d&eacute;doubler la compr&eacute;hension qu&rsquo;on a de l&rsquo;entrelacement du mat&eacute;riau corporel et de la r&eacute;alit&eacute; historique&nbsp;: il n&rsquo;y a pas seulement mise en corps du temps, inscription (explicite ou crypt&eacute;e) d&rsquo;un ailleurs temporel hors du texte, mais indissociablement aussi mise en histoire du corps, historicisation et narrativisation de la topographie corporelle. Le &laquo;&nbsp;temps&nbsp;&raquo; n&rsquo;est plus alors &agrave; comprendre comme un ailleurs, hors du texte, mais comme l&rsquo;horizon signifiant de la figure corporelle&nbsp;: le r&eacute;sultat d&rsquo;une op&eacute;ration&nbsp;<em>figurative</em>&nbsp;qui passe par la mise en relief d&rsquo;un corps &ndash; ou d&rsquo;une partie d&rsquo;un corps &ndash; dans un r&eacute;cit.</p> <h2><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h2> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;Mikha&iuml;l Bakhtine,&nbsp;<em>Esth&eacute;tique et th&eacute;orie du roman</em>, trad. Daria Olivier, Paris, Gallimard, &laquo; Tel &raquo;, 1978, p. 236.</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;Henri Mitterand, &laquo; Chronotopies romanesques :&nbsp;<em>Germinal</em>&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Po&eacute;tique</em>, n&deg;&nbsp;81, 1990/1, p.&nbsp;89-103.</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;102.</p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;Mikha&iuml;l Bakhtine,&nbsp;<em>Esth&eacute;tique et th&eacute;orie du roman</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;384.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;387.</p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;389.</p> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;387.</p> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;390.</p> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a>&nbsp;Henri Mitterand, &laquo; L&rsquo;espace du corps dans le roman r&eacute;aliste &raquo;, dans&nbsp;<em>Au bonheur des mots : m&eacute;langes en l&rsquo;honneur de G&eacute;rald Antoine</em>, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1984, p.&nbsp;342.</p> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;343.</p> <p><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a>&nbsp;L&rsquo;expression figure dans l&rsquo;avant-propos du premier feuilleton de&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em>&nbsp;dans&nbsp;<em>L&rsquo;Assembl&eacute;e nationale</em>, le 7 janvier 1852.</p> <p><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a>&nbsp;Jules Barbey d&rsquo;Aurevilly,&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em>,&nbsp;<em>&OElig;uvres romanesques compl&egrave;tes</em>, t.&nbsp;I, &eacute;d.&nbsp;Jacques Petit, Paris, Gallimard, coll. &laquo; Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade &raquo;, 1964, p. 727.</p> <p><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;645.</p> <p><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a>&nbsp;Barbey d&rsquo;Aurevilly,&nbsp;<em>Un Pr&ecirc;tre mari&eacute;</em>,&nbsp;<em>&OElig;uvres romanesques compl&egrave;tes</em>, t.&nbsp;I,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;971-972.</p> <p><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a>&nbsp;C&eacute;line Bricault,&nbsp;<em>La Po&eacute;tique du seuil dans l&rsquo;&oelig;uvre romanesque de Jules Barbey d&rsquo;Aurevilly</em>, Paris, Honor&eacute; Champion, 2010.</p> <p><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a>&nbsp;Mikha&iuml;l Bakhtine,&nbsp;<em>Esth&eacute;tique et th&eacute;orie du roman</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;389.</p> <p><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;384.</p> <p><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a>&nbsp;Daniel Arasse,&nbsp;<em>Le D&eacute;tail. Pour une histoire rapproch&eacute;e de la peinture</em>, Paris, Flammarion, 1992, p.&nbsp;145.</p> <p><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;149.</p> <p><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a>&nbsp;Nous reprenons l&rsquo;expression &agrave; la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814, qui instaure ce&nbsp;<em>credo</em>&nbsp;l&eacute;gitimiste vis-&agrave;-vis de la R&eacute;volution&nbsp;: &laquo;&nbsp;En cherchant ainsi &agrave; renouer la cha&icirc;ne des temps, que de funestes &eacute;carts avaient interrompue, nous avons effac&eacute; de notre souvenir, comme nous voudrions qu&rsquo;on p&ucirc;t les effacer de l&rsquo;histoire, tous les maux qui ont afflig&eacute; la patrie durant notre absence.&nbsp;&raquo;</p> <p><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a>&nbsp;Barbey d&rsquo;Aurevilly,&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;727.</p> <p><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;639&nbsp;: &laquo;&nbsp;J&eacute;ho&euml;l de la Croix-Jugan n&rsquo;a plus son beau visage de saint Michel qui tue le dragon&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p> <p><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;589. L&rsquo;histoire de G&eacute;d&eacute;on est tir&eacute;e du&nbsp;<em>Livre des Juges</em>, 6, 36-40.</p> <p><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;740.</p> <p><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a>&nbsp;<em>&Eacute;vangile selon saint Luc</em>, 22, 43-44.</p> <p><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a>&nbsp;Barbey d&rsquo;Aurevilly,&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;740.</p> <p><a href="#_ftnref28" name="_ftn28">[28]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>.</p> <p><a href="#_ftnref29" name="_ftn29">[29]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;644.</p> <p><a href="#_ftnref30" name="_ftn30">[30]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;590.</p> <p><a href="#_ftnref31" name="_ftn31">[31]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;590.</p> <p><a href="#_ftnref32" name="_ftn32">[32]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;597.</p> <p><a href="#_ftnref33" name="_ftn33">[33]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref34" name="_ftn34">[34]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref35" name="_ftn35">[35]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref36" name="_ftn36">[36]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref37" name="_ftn37">[37]</a>&nbsp;Voir le feuilleton de&nbsp;<em>L&rsquo;Assembl&eacute;e nationale</em>&nbsp;du 9 janvier 1852.</p> <p><a href="#_ftnref38" name="_ftn38">[38]</a>&nbsp;Voir la note de Jacques Petit dans Barbey d&rsquo;Aurevilly,&nbsp;<em>&OElig;uvres romanesques compl&egrave;tes</em>, t. I,<em>&nbsp;op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;1972.</p> <p><a href="#_ftnref39" name="_ftn39">[39]</a>&nbsp;Barbey d&rsquo;Aurevilly,&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em>,<em>&nbsp;op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;598.</p> <p><a href="#_ftnref40" name="_ftn40">[40]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;565. Nous soulignons.</p> <p><a href="#_ftnref41" name="_ftn41">[41]</a>&nbsp;Michel Serres, &laquo;&nbsp;Foule, foire, lande&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>La Distribution</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1978, p.&nbsp;246.</p> <p><a href="#_ftnref42" name="_ftn42">[42]</a>&nbsp;Jeannine Jallat, &laquo; La lande et le lavoir. Figures du lieu dans&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em>&nbsp;&raquo;, dans Philippe Berthier, Michel Crouzet, Norbert Dodille (dir.),&nbsp;<em>Barbey d&rsquo;Aurevilly. &laquo;&nbsp;L&rsquo;Ensorcel&eacute;e&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;Les Diaboliques&nbsp;&raquo; : la chose sans nom</em>, Paris, SEDES, 1988, p.&nbsp;43-48.</p> <p><a href="#_ftnref43" name="_ftn43">[43]</a>&nbsp;Barbey d&rsquo;Aurevilly,&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;645.</p> <p><a href="#_ftnref44" name="_ftn44">[44]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;582.</p> <p><a href="#_ftnref45" name="_ftn45">[45]</a>&nbsp;Mikha&iuml;l Bakhtine,&nbsp;<em>Esth&eacute;tique et th&eacute;orie du roman</em>,<em>&nbsp;op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;391.</p> <p><a href="#_ftnref46" name="_ftn46">[46]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref47" name="_ftn47">[47]</a>&nbsp;Michel Serres,&nbsp;<em>La Distribution</em>,<em>&nbsp;op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;241.</p> <p><a href="#_ftnref48" name="_ftn48">[48]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;248.</p> <p><a href="#_ftnref49" name="_ftn49">[49]</a>&nbsp;Barbey d&rsquo;Aurevilly,&nbsp;<em>L&rsquo;Ensorcel&eacute;e</em>,<em>&nbsp;op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;598.</p> <p><a href="#_ftnref50" name="_ftn50">[50]</a>&nbsp;Terence Cave,&nbsp;<em>Recognitions</em>, Oxford, Oxford University Press, 1988, p.&nbsp;23. Nous traduisons.</p> <p><a href="#_ftnref51" name="_ftn51">[51]</a>&nbsp;Lessing,&nbsp;<em>Du Laocoon, ou des fronti&egrave;res de la peinture et de la po&eacute;sie</em>&nbsp;[1766], cit&eacute; dans Philippe Hamon,&nbsp;<em>La Description litt&eacute;raire. De l&rsquo;Antiquit&eacute; &agrave; Roland Barthes : une anthologie</em>, Paris, Macula, 1991, p.&nbsp;217.</p> <p><a href="#_ftnref52" name="_ftn52">[52]</a>&nbsp;Sigmund Freud,&nbsp;<em>Au-del&agrave; du principe de plaisir</em>&nbsp;[1920], Paris, PUF, 2013.</p> <p><a href="#_ftnref53" name="_ftn53">[53]</a>&nbsp;Cathy Caruth,&nbsp;<em>Unclaimed Experience: Trauma, Narrative, and History</em>, Baltimore/Londres, Johns Hopkins University Press, 1996, p.&nbsp;2. Nous traduisons.</p> <p><a href="#_ftnref54" name="_ftn54">[54]</a>&nbsp;Henri Mitterand,&nbsp;<em>Le Discours du roman</em>, Paris, PUF, 1980, p.&nbsp;211-212.</p> <p><a href="#_ftnref55" name="_ftn55">[55]</a>&nbsp;Mikha&iuml;l Bakhtine,&nbsp;<em>Esth&eacute;tique et th&eacute;orie du roman</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;391.</p> <h3>Auteur</h3> <p>Ancien &eacute;l&egrave;ve de l&rsquo;&Eacute;cole normale sup&eacute;rieure et agr&eacute;g&eacute; de Lettres modernes,&nbsp;<strong>Mathieu Roger-Lacan</strong>&nbsp;est doctorant en litt&eacute;rature sous la direction de Paule Petitier (Universit&eacute; de Paris Cit&eacute;) et de Judith Lyon-Caen (EHESS). Sa th&egrave;se porte sur le sujet suivant&nbsp;: &laquo;&nbsp;La chair litt&eacute;raire du politique. Violence historique et &eacute;criture du corps dans le roman et la po&eacute;sie (1850-1880)&nbsp;&raquo;. Il a co-dirig&eacute; avec V&eacute;ronique Samson le dossier&nbsp;<em>1848 et la litt&eacute;rature</em>&nbsp;publi&eacute; sur Fabula, et avec &Eacute;l&eacute;onore Reverzy la journ&eacute;e&nbsp;<em>Tableaux de si&egrave;ge</em>&nbsp;en f&eacute;vrier 2021, publi&eacute;e sur le site de la SERD. En 2022, il a particip&eacute; au volume&nbsp;<em>L&rsquo;Excr&eacute;mentiel au XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle</em>&nbsp;(Du L&eacute;rot) et est l&rsquo;auteur de deux articles &agrave; para&icirc;tre dans les&nbsp;<em>Cahiers naturalistes</em>.</p> <p><strong>Copyright</strong></p> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>