<div class="entry-content"> <h3 style="text-align: justify;">Abstract</h3> <p style="text-align: justify;">Contrary to media injunctions for speed and conciseness in a context of infobesity, we have to admit that the long format is doing well in both print and online media. While reading times systematically outstrip the digital articles in Le Monde&#39;s daily newspaper, today&#39;s readership - said to be in a hurry and not inclined to read long - is nonetheless looking for quality information that takes its time, both in terms of investigative work and writing. It is precisely with this in mind that La Croix has been offering its magazine L&#39;Hebdo since autumn 2019, with the credo: &quot;Meet / Explore / Inspire / Slow down&quot;. This slowing-down also presides over the editorial project of Long Cours magazine, which aims to &quot;give [r] space (to tell a story)&quot; to authors, writers and travel writers, thus offering a space for resonance and debate, off the beaten track of the traditional press and news media chained to live and uninterrupted flow. Shifting the way we look at the facts, proposing other points of view thanks to other temporalities, regaining control over the depth of the investigation, taking the time - quite simply - to write long form, means giving a symbolic and physical space in a layout, in an editorial line, to long form.</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">&Agrave; rebours des injonctions m&eacute;diatiques de rapidit&eacute; et de concision dans un contexte d&rsquo;infob&eacute;sit&eacute;, force est de constater que le long format se porte bien dans la presse papier comme dans les m&eacute;dias en ligne. Alors que les temps de lecture surplombent syst&eacute;matiquement les articles num&eacute;riques du quotidien <em>Le</em> <em>Monde</em>, le lectorat contemporain qu&rsquo;on dit press&eacute;, peu enclin &agrave; lire long, est pourtant en recherche d&rsquo;une information de qualit&eacute; qui saurait prendre le temps, &agrave; la fois dans le travail d&rsquo;enqu&ecirc;te et dans l&rsquo;&eacute;criture. C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment dans cette optique que <em>La Croix</em> propose depuis l&rsquo;automne 2019 son magazine <em>L&rsquo;Hebdo</em>, avec comme credo : &laquo;&nbsp;Rencontrer / Explorer / S&rsquo;inspirer / Ralentir&nbsp;&raquo;. Ce ralentissement pr&eacute;side &eacute;galement au projet &eacute;ditorial de la revue <em>Long Cours&nbsp;</em>qui vise &agrave; &laquo; donne[r] la place (de raconter une histoire) &raquo; &agrave; des auteurs, des &eacute;crivains, des &eacute;crivains-voyageurs, et d&rsquo;offrir ainsi un espace de r&eacute;sonance, de d&eacute;bat, hors des sentiers battus de la presse traditionnelle et des m&eacute;dias d&rsquo;information encha&icirc;n&eacute;s au <em>live </em>et au flux ininterrompu. D&eacute;placer le regard sur les faits, proposer d&rsquo;autres points de vue gr&acirc;ce &agrave; d&rsquo;autres temporalit&eacute;s, retrouver la main sur l&rsquo;approfondissement de l&rsquo;enqu&ecirc;te, prendre le temps &ndash; <em>tout court</em> &ndash; de faire long, c&rsquo;est accorder un espace symbolique et physique dans une maquette, dans une ligne &eacute;ditoriale, au <em>long</em>.</p> <p style="text-align: justify;">Pour &ecirc;tre en vogue dans la presse actuelle, le long format n&rsquo;est pour autant pas compl&egrave;tement nouveau. Il s&rsquo;inscrit dans l&rsquo;histoire de la presse depuis ses d&eacute;buts, sous forme de feuilletons en rez-de-chauss&eacute;e, de p&eacute;riodiques modernistes ou de grands reportages, et a toujours &eacute;t&eacute; un support privil&eacute;gi&eacute; de rencontre entre le journalisme et la litt&eacute;rature. Longueur et litt&eacute;rarisation sont des caract&eacute;ristiques li&eacute;es dans l&rsquo;histoire du journalisme litt&eacute;raire, que le journalisme narratif contemporain d&eacute;ploie.</p> <p style="text-align: justify;">Le ralentissement de l&rsquo;information pose la question du format : sa longueur devient la promesse physique de cette qualit&eacute; revendiqu&eacute;e et d&rsquo;une forme de litt&eacute;rarit&eacute;. Les beaux livres-revues-magazines que sont les <em>mooks</em>, tels que <em>Long Cours, Zadig, America, XXI, 6 mois</em> mettent la mat&eacute;rialit&eacute; de l&rsquo;&eacute;crit au centre de la lecture par des maquettes color&eacute;es, dynamiques, modernes. Le manifeste de la revue <em>XXI</em> le revendique explicitement : &laquo; le graphisme est une forme de journalisme, qui allie l&rsquo;&eacute;motion visuelle et la puissance des mots<sup>[1]</sup> &raquo;. Mais l&rsquo;inverse offre aussi des r&eacute;alisations de qualit&eacute;&nbsp;: la simplicit&eacute; du caract&egrave;re noir sur fond blanc du site <em>AOC</em>, sans illustration, axe l&rsquo;attention des lecteurs sur la seule puissance de la plume, l&agrave; o&ugrave; d&rsquo;autres m&eacute;dias innovent en jouant d&rsquo;effets de parallaxe, de jeux de navigation sc&eacute;naris&eacute;e. Le long c&eacute;l&egrave;bre en effet tout autant une culture du texte qu&rsquo;une culture visuelle qui exploite de mani&egrave;re f&eacute;conde les ressources num&eacute;riques et les talents compl&eacute;mentaires des alli&eacute;s des journalistes que sont les graphistes, infographistes, maquettistes et d&eacute;veloppeurs. Ceux-ci vont non seulement &laquo;&nbsp;enrichir&nbsp;&raquo; l&rsquo;article, mais aussi lui donner une mat&eacute;rialit&eacute; qui tout &agrave; la fois valorise le feuillet&eacute; de l&rsquo;&eacute;nonciation &eacute;ditoriale et l&rsquo;image du texte, et en r&eacute;hausse le sens, comme on peut le lire dans les articles de Val&eacute;rie Jeanne-Perrier, de Marie Vanoost et d&rsquo;Oriane Deseilligny. Pourtant, format long ne signifie pas absence totale de formatage et de calibrage, notamment lorsque la ligne &eacute;ditoriale est tout enti&egrave;re centr&eacute;e sur la promesse d&rsquo;une exp&eacute;rience de lecture novatrice.</p> <p style="text-align: justify;">Car si l&rsquo;on ne peut d&egrave;s lors parler des longs formats qu&rsquo;au pluriel, ils ont n&eacute;anmoins en commun de nous embarquer dans une exp&eacute;rience de lecture forte, parfois m&ecirc;me dans une v&eacute;ritable immersion narrative qui n&eacute;cessite en effet une coop&eacute;ration des journalistes avec d&rsquo;autres m&eacute;tiers souvent rassembl&eacute;s dans le service d&rsquo;&eacute;dition web. Le format long ne cesse ainsi de se r&eacute;inventer, depuis les colonnes &eacute;troites et les chandelles d&rsquo;un quotidien jusqu&rsquo;aux formats num&eacute;riques qui jouent avec la dimension tactile et polysensorielle de la lecture en ligne en passant par des r&eacute;cits en r&eacute;alit&eacute; virtuelle. Songeons par exemple aux &laquo;&nbsp;obsessions&nbsp;&raquo; du site <em>Les Jours</em>, &agrave; ce que d&rsquo;aucuns appellent &laquo; le <em>scrolitelling</em> &raquo; (r&eacute;cit immersif) d&eacute;velopp&eacute; par des titres de presse comme <em>La Voix du Nord, Le New York Times</em>, <em>The Guardian</em>, ou encore par <em>L&rsquo;&Eacute;quipe Explore. </em>Par-del&agrave; les diff&eacute;rences formelles, reste un certain rapport &agrave; la narrativit&eacute;, une po&eacute;tique r&eacute;dactionnelle (et interactive parfois) qui cherche &agrave; capter l&rsquo;attention du lecteur le plus longtemps possible et que les articles de Marie Vanoost, Marie-&Egrave;ve Th&eacute;renty, Violaine Sauty explorent dans ce dossier.</p> <p style="text-align: justify;">Du c&ocirc;t&eacute; du journaliste, qu&rsquo;implique le long format ? S&rsquo;autoriser le long, est-ce une libert&eacute; ou une contrainte dans la r&eacute;alisation du reportage puis de l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;? Assur&eacute;ment, ce qui ressort de ce dossier est la libert&eacute; et la cr&eacute;ativit&eacute; qu&rsquo;autorisent les longs formats, car ils repr&eacute;sentent des espaces de respiration mat&eacute;riels et symboliques pour les journalistes qui &eacute;chappent ainsi, momentan&eacute;ment, aux logiques de flux. Certains y trouvent le moyen de reprendre pied dans une profession marqu&eacute;e par l&rsquo;urgence du direct, d&rsquo;autres s&rsquo;y aventurent comme pour sortir de leur zone de confort et d&eacute;couvrir d&rsquo;autres modalit&eacute;s de r&eacute;cit m&eacute;diatique. Avec le long, le journaliste rentre dans l&rsquo;intimit&eacute; d&rsquo;une histoire particuli&egrave;re, met en &oelig;uvre une forme d&rsquo;artisanat de son m&eacute;tier, qui lui permet de prendre le temps de saisir un terrain, de b&acirc;tir une enqu&ecirc;te, d&rsquo;interroger, de donner du sens enfin. La po&eacute;tique du long format articule des contraires apparents, compose avec des tensions inh&eacute;rentes, ainsi que le montrent Marie-&Egrave;ve Th&eacute;renty (le &laquo; bref &raquo; configur&eacute; et le &laquo; tr&egrave;s long &raquo; &eacute;lagu&eacute; dans les longs formats de Florence Aubenas) mais aussi Marie Vanoost qui analyse dans les r&eacute;cits du journalisme narratif am&eacute;ricain ces modulations de la subjectivit&eacute; dans l&rsquo;&eacute;nonciation journalistique. C&rsquo;est ainsi la place de la premi&egrave;re personne du singulier qui est interrog&eacute;e, l&rsquo;auctorialit&eacute; m&ecirc;me qui est en jeu lorsque le <em>je</em> rend mieux compte du r&eacute;el, de sa complexit&eacute;, comme les choix assum&eacute;s par <em>La Croix L&rsquo;Hebdo</em> dans l&rsquo;article d&rsquo;Oriane Deseilligny en t&eacute;moignent. Oser le long, c&rsquo;est donc aussi s&rsquo;autoriser une &eacute;criture qui assume une approche personnelle, voire litt&eacute;raire de l&rsquo;enqu&ecirc;te tout en &eacute;tant tr&egrave;s ma&icirc;tris&eacute;e, en r&eacute;action aux prises de paroles individuelles et subjectives sur les r&eacute;seaux sociaux. Les &eacute;motions, les affects, et m&ecirc;me parfois la distanciation, l&rsquo;ironie, peuvent y trouver leur place, en sourdine. C&rsquo;est aussi composer le r&eacute;cit de l&rsquo;in&eacute;dit &agrave; travers des micro-histoires publi&eacute;es dans le <em>New York Times Magazine</em>, au fil de la pand&eacute;mie, ainsi que l&rsquo;analyse Isabelle Meuret pendant le premier confinement aux &Eacute;tats-Unis. Alors m&ecirc;me que le chronotope journalistique est mis &agrave; mal, son article montre bien comment le support prend en charge ce r&eacute;cit m&eacute;diatique pour faire sens, par-del&agrave; la sid&eacute;ration, les urgences, et le ralentissement de tout le pays, de toute l&rsquo;activit&eacute;, hormis celle des Urgences pr&eacute;cis&eacute;ment.</p> <p style="text-align: justify;">Les articles de ce dossier s&rsquo;attachent aussi &agrave; analyser les multiples circulations du long format : les pratiques du long sont &agrave; double d&eacute;tente, du magazine au livre, de l&rsquo;article dans un quotidien au <em>mook</em>, comme le rappelle Marie-&Egrave;ve Th&eacute;renty analysant les pratiques de Florence Aubenas. La <em>m&eacute;diamorphose</em> en est en effet une de ses propri&eacute;t&eacute;s essentielles, dans la mesure o&ugrave; un cort&egrave;ge de formes plus courtes en annonce la publication (<em>stories</em> ou publications sur les r&eacute;seaux sociaux), l&rsquo;accompagne ou le prolonge &agrave; travers d&rsquo;autres m&eacute;dias (podcasts, vid&eacute;os, livres), ainsi que le souligne &eacute;galement Val&eacute;rie Jeanne-Perrier. Le long se donne ainsi souvent &agrave; lire en tandem, avec des formes courtes avec lesquelles il est moins question d&rsquo;opposition que de compl&eacute;mentarit&eacute;, pour cr&eacute;er l&rsquo;attente, exposer les coulisses, documenter le geste du reportage et, <em>in fine</em>, favoriser l&rsquo;immersion. Dans le long format, des &eacute;l&eacute;ments d&rsquo;enqu&ecirc;te qui n&rsquo;avaient pas trouv&eacute; de place ailleurs dans une maquette, dans une ligne &eacute;ditoriale, viennent donner du sens. Pour autant le long n&rsquo;accueille pas tout, il peut m&ecirc;me &eacute;laguer, passer sous silence des semaines d&rsquo;enqu&ecirc;te, ou ne pas voir le jour, tout simplement, lorsque le sens n&rsquo;advient pas au pr&eacute;alable. Mais lorsque l&rsquo;enqu&ecirc;te est forte, que l&rsquo;engagement du journaliste est total, il donne lieu &agrave; des r&eacute;&eacute;critures adapt&eacute;es &agrave; chaque m&eacute;dium, des variations sur le m&ecirc;me th&egrave;me, comme le montre Violaine Sauty dans son analyse de <em>Surdose</em>, d&rsquo;Alexandre Kauffman. De l&rsquo;article au livre, en passant par le feuilleton, trois longs formats sont d&eacute;clin&eacute;s et parfois r&eacute;&eacute;ditorialis&eacute;s pour permettre &agrave; chaque support d&rsquo;exprimer le meilleur de l&rsquo;enqu&ecirc;te, et au journaliste de valoriser, autant que faire se peut, tout ce temps pass&eacute; &agrave; enqu&ecirc;ter. Et l&agrave; encore, le long invite les professionnels de la presse et de l&rsquo;&eacute;dition &agrave; collaborer, &agrave; d&eacute;ployer leur cr&eacute;ativit&eacute; pour faire vivre l&rsquo;enqu&ecirc;te au long cours, par-del&agrave; ses m&eacute;tamorphoses m&eacute;diatiques.</p> <p style="text-align: justify;">Ce num&eacute;ro propose une approche crois&eacute;e men&eacute;e &agrave; la fois par des chercheurs en litt&eacute;rature et des chercheurs en sciences de l&rsquo;information et de la communication. Il s&rsquo;attache &agrave; d&eacute;ployer toutes ces questions, tout en s&rsquo;inscrivant dans l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de la revue <em>Komodo 21</em> pour les variations des supports et les mutations du journal. Il est compos&eacute; d&rsquo;articles issus des communications r&eacute;alis&eacute;es dans le cadre d&rsquo;une journ&eacute;e d&rsquo;&eacute;tudes&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a> qui s&rsquo;est tenue au Celsa en novembre 2019, et d&rsquo;articles compl&eacute;mentaires sollicit&eacute;s aupr&egrave;s de sp&eacute;cialistes du journalisme.</p> <h3><strong>Note</strong><br /> &nbsp;</h3> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Cette journ&eacute;e d&rsquo;&eacute;tude et les r&eacute;sultats auxquels elle a donn&eacute; lieu ont &eacute;t&eacute; r&eacute;alis&eacute;s avec le soutien de l&rsquo;Agence Nationale de la Recherche dans le cadre du projet Numapresse et de la convention&nbsp;ANR-17-CE27-0014-01.</p> </div>