<h3>Abstract</h3> <p>It won&#39;t be a communication &#39;about&#39;, but &#39;with&#39;. Impossible to do otherwise. With the ACR and with certain writers. It will therefore be a subjective account, like a series of pages torn from a rather dreamy diary, in any case worked on by night, and not an essay. Or an essay in the sense of an attempt to convey something of an experience - both personal and shared by the small community that lived through it.</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p>radio, radio creation workshop, Christian Rosset, Land Wave,&nbsp;souvenirs, Ren&eacute; Farabet</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><em>Ce ne sera pas une communication &ldquo;sur&rdquo;, mais &ldquo;avec&rdquo;. Impossible de faire autrement.&nbsp;</em>Avec<em>&nbsp;l&rsquo;</em>ACR<em>&nbsp;et&nbsp;</em>avec<em>&nbsp;certains &eacute;crivains. Ce sera donc un r&eacute;cit subjectif, comme une suite de pages arrach&eacute;es &agrave; un journal plut&ocirc;t r&ecirc;v&eacute;, en tout cas travaill&eacute; par la nuit, et non un essai. Ou alors un essai au sens de tentative de faire passer quelque chose de l&rsquo;ordre d&rsquo;une exp&eacute;rience &ndash; &agrave; la fois personnelle et partag&eacute;e par la petite communaut&eacute; qui en a v&eacute;cu les p&eacute;rip&eacute;ties.</em></p> <h2><strong>1.</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>D&eacute;but octobre 1975, il y a tout juste 43 ans, j&rsquo;entrais pour la premi&egrave;re fois dans un studio de radio, &agrave; l&rsquo;invitation de l&rsquo;<em>Atelier de Cr&eacute;ation Radiophonique</em>. Bien qu&rsquo;introduit par un &eacute;crivain, il ne s&rsquo;agissait pas de converser sur tel ou tel sujet, ou de lire des textes, mais d&rsquo;enregistrer quelques partitions musicales qui &eacute;taient de ma plume. Le studio &eacute;tait trop &eacute;troit, les enregistrements se faisaient en mono, n&rsquo;importe quel musicien aujourd&rsquo;hui refuserait de jouer dans ces conditions&nbsp;; mais &agrave; l&rsquo;&eacute;poque, on s&rsquo;en contentait, on en redemandait m&ecirc;me.</p> <p>Depuis quelques ann&eacute;es, j&rsquo;ai pris l&rsquo;habitude d&rsquo;emprunter la machine &agrave; remonter le temps afin de faire rejaillir en surface, ce qui a disparu &ndash; ou a &eacute;t&eacute; voil&eacute; &ndash; de cette activit&eacute;, la cr&eacute;ation radiophonique, qui est pourtant loin d&rsquo;avoir dit son dernier mot. Je me souviens qu&rsquo;&agrave; mes d&eacute;buts, tout avait lieu au pr&eacute;sent&nbsp;; &agrave; peine un projet r&eacute;alis&eacute;, on passait au suivant&nbsp;; on &eacute;tait impatient d&rsquo;aller de l&rsquo;avant, oubliant aussit&ocirc;t ce qui, venant tout juste d&rsquo;&ecirc;tre diffus&eacute;, se trouvait d&eacute;j&agrave; archiv&eacute; dans des lieux sombres o&ugrave; on nous affirmait que les bandes magn&eacute;tiques seraient d&rsquo;autant mieux prot&eacute;g&eacute;es que peu accessibles. Et puis, il y a eu comme un basculement&nbsp;: les temps se sont superpos&eacute;s, le pass&eacute; s&rsquo;est mis &agrave; dialoguer avec le pr&eacute;sent dans le but d&rsquo;alimenter un futur aux contours de plus en plus incertains. Aujourd&rsquo;hui, je dois t&eacute;moigner de ce qui fut, tout en continuant d&rsquo;entretenir le feu sacr&eacute;, c&rsquo;est-&agrave;-dire ce d&eacute;sir de radio d&rsquo;essai que nous sommes encore quelques-uns &agrave; partager. En ce moment pr&eacute;cis o&ugrave; je me trouve &agrave; deux doigts de d&eacute;poser les outils de la cr&eacute;ation radiophonique, j&rsquo;aimerais ici partager ce que j&rsquo;appelle une &laquo;&nbsp;exp&eacute;rience des frottages&nbsp;&raquo; &ndash; en principe collective et en perp&eacute;tuelle reprise, &agrave; moins que l&rsquo;on coupe le son, ce qui n&rsquo;est pas encore &agrave; l&rsquo;ordre du jour, m&ecirc;me si le bruit le plus audible ces derniers temps est celui de portes qu&rsquo;on referme.</p> <p>Je suis donc heureux d&rsquo;avoir encore un peu les mains dans le cambouis. Car venir en t&eacute;moin du pass&eacute; pourquoi pas&nbsp;? mais pour moi le dossier n&rsquo;est pas clos. Faire une aussi longue exp&eacute;rience des frottages, c&rsquo;est avoir fid&egrave;lement suivi son devenir-artiste, autrement dit&nbsp;: avoir avanc&eacute; pas &agrave; pas, selon un lent et tortueux cheminement, vers ce que j&rsquo;ai nomm&eacute; le monde du Terrain Vague &ndash; ce&nbsp;<em>lieu d&rsquo;&eacute;changes</em>&nbsp;un peu &agrave; l&rsquo;&eacute;cart qui &eacute;tait d&eacute;j&agrave; &ndash; de mani&egrave;re alors inconsciente, et en tout cas non th&eacute;oris&eacute;e &ndash; le sujet de ma toute premi&egrave;re &eacute;mission &agrave; l&rsquo;<em>ACR</em>.</p> <h2><strong>2.</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>Donc &agrave; l&rsquo;automne 1975, je d&eacute;couvre le studio 115 de la Maison de la Radio. &Agrave; peine entr&eacute;, on me pr&eacute;sente au chef op&eacute;rateur du son, Yann Parantho&euml;n. J&rsquo;ignorais alors tout de son travail d&rsquo;auteur. On m&rsquo;avait juste souffl&eacute; &agrave; l&rsquo;oreille que c&rsquo;&eacute;tait un technicien hors pair, mais &laquo;&nbsp;t&ecirc;tu comme un Breton&nbsp;&raquo;. La s&eacute;ance &agrave; peine achev&eacute;e, je me retrouve sid&eacute;r&eacute; par sa force de pens&eacute;e du m&eacute;dium et son d&eacute;sir d&rsquo;aller le plus loin possible.</p> <p>Bien entendu, comme je n&rsquo;avais pas encore vingt ans, on ne m&rsquo;avait pas laiss&eacute; entrer seul. J&rsquo;&eacute;tais chaperonn&eacute; par deux individus plus &acirc;g&eacute;s que moi. Le plus jeune &eacute;tait Ren&eacute; Farabet, 41 ans, un com&eacute;dien f&eacute;ru de litt&eacute;rature qui &eacute;tait alors un des producteurs coordonnateurs de l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;(avant d&rsquo;en devenir dans les ann&eacute;es 1980 et jusqu&rsquo;&agrave; fin 2001 l&rsquo;unique programmateur&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>). Le plus &acirc;g&eacute; &eacute;tait Claude Ollier, 52 ans, un &eacute;crivain dont j&rsquo;avais lu avec enthousiasme les premiers livres (il en avait alors publi&eacute; neuf&nbsp;: les huit composant&nbsp;<em>Le</em>&nbsp;<em>Jeu d&rsquo;enfant,</em>&nbsp;plus un recueil de nouvelles intitul&eacute;&nbsp;<em>Navettes</em>)&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. J&rsquo;ignorais qu&rsquo;une de ses plus remarquables fictions &eacute;crites pour la radio,&nbsp;<em>L&rsquo;Attentat en direct</em>, avait &eacute;t&eacute; diffus&eacute;e au cours de la premi&egrave;re &eacute;mission de l&rsquo;<em>Atelier de Cr&eacute;ation</em>, le 9 octobre 1969. Six ans plus tard, au moment de mon entr&eacute;e en&nbsp;<em>ACR</em>&nbsp;(comme on dit &laquo;&nbsp;entrer dans les ordres&nbsp;&raquo;), je n&rsquo;avais encore d&eacute;couvert qu&rsquo;une seule &oelig;uvre de cr&eacute;ation radiophonique sign&eacute;e par un &eacute;crivain (ou plut&ocirc;t une &eacute;crivaine)&nbsp;: Marguerite Duras. C&rsquo;&eacute;tait&nbsp;<em>India Song</em>&nbsp;qui me hantait au point de d&eacute;sirer le r&eacute;&eacute;couter en boucle. Je l&rsquo;avais dit &agrave; Claude Ollier qui &eacute;tait d&rsquo;accord avec moi&nbsp;: c&rsquo;&eacute;tait un chef d&rsquo;&oelig;uvre dont la sortie r&eacute;cente d&rsquo;une version film&eacute;e ne pouvait qu&rsquo;amplifier les r&eacute;sonances. Je note au passage que&nbsp;<em>L&rsquo;Attentat en direct</em>&nbsp;et&nbsp;<em>India Song</em>&nbsp;ont en commun d&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; r&eacute;alis&eacute;es par Georges Peyrou.</p> <p>J&rsquo;ai pour l&rsquo;instant nomm&eacute; trois personnes. Celui qui m&rsquo;a conduit au bon moment au bon endroit&nbsp;: Claude Ollier. Un &eacute;crivain. Celui qui, apr&egrave;s m&rsquo;avoir ouvert les portes des studios, m&rsquo;a relanc&eacute;, une fois ce premier&nbsp;<em>ACR</em>&nbsp;diffus&eacute;&nbsp;: Ren&eacute; Farabet. Un &eacute;crivain, lui aussi, du moins &agrave; sa mani&egrave;re qui deviendra un peu plus tard la mienne, celle de quelqu&rsquo;un qui noircit en permanence des feuilles de papier et qui finira par publier plusieurs livres. Enfin, celui qui m&rsquo;a contamin&eacute; par son exigence formelle&nbsp;: Yann Parantho&euml;n. Quelqu&rsquo;un qui ne lisait pas, qui pensait m&ecirc;me que les &eacute;crivains n&rsquo;avaient rien &agrave; faire &agrave; la radio, mais qui savait reconna&icirc;tre la force d&rsquo;un Claude Ollier ou d&rsquo;un Pierre Guyotat, et qui a fini par composer une &eacute;mission en hommage &agrave; Georges Perros. Il manque le nom du dernier archet de ce quatuor d&rsquo;initiateurs impeccables&nbsp;: Alain Trutat. Ancien secr&eacute;taire de Paul Eluard, proche de Jean Tardieu, ami d&rsquo;Andr&eacute; du Bouchet et de bien d&rsquo;autres, il est celui qui, un an apr&egrave;s les fameux &eacute;v&eacute;nements de 1968,&nbsp;avait rendu possible cette forme singuli&egrave;re de radio de cr&eacute;ation. Il m&rsquo;impressionnait encore plus que les autres, car, dou&eacute; d&rsquo;esprit critique et d&rsquo;une grande exigence, il parlait peu et ne se montrait que rarement encourageant. Il avait r&eacute;ussi &agrave; m&rsquo;imprimer la certitude que la fin de cette belle aventure arriverait t&ocirc;t ou tard et probablement sous peu. Heureusement, les trois autres m&rsquo;ont persuad&eacute; du contraire. Au moment o&ugrave; je vous parle, ces quatre-l&agrave; nous ont quitt&eacute;s. Mais je continue &agrave; dialoguer avec eux, presque quotidiennement, sans pour autant faire tourner les tables de mixage. Le monde du Terrain Vague est peupl&eacute; de fant&ocirc;mes. Vous voyez&nbsp;: dans cette affaire, la litt&eacute;rature n&rsquo;est jamais loin. La part des &eacute;crivains, pour reprendre l&rsquo;intitul&eacute; de ce colloque, est primordiale. M&ecirc;me si je dois aussit&ocirc;t ajouter que ce que Daniel Arasse a appel&eacute;&nbsp;<em>la pens&eacute;e non-verbale</em>&nbsp;reste, me semble-t-il, aussi essentielle &agrave; la cr&eacute;ation radiophonique que ce que Claude Ollier a d&eacute;sign&eacute; par&nbsp;<em>voix int&eacute;rieure</em>&nbsp;pour l&rsquo;&eacute;criture litt&eacute;raire. D&rsquo;Ollier, j&rsquo;aime aussi citer ce fragment&nbsp;de &laquo;&nbsp;Radiographie&nbsp;&raquo;<em>,</em>&nbsp;&eacute;crit en 1974 pour Alain Trutat, publi&eacute; en 1981 dans&nbsp;<em>N&eacute;bules&nbsp;</em>: &laquo;&nbsp;L&rsquo;inscription radiophonique oscille entre vide et plein de sens, oscille entre rep&egrave;res, vacille, choit en tout silence. Et le silence est loi d&rsquo;&eacute;coute.&nbsp;&raquo; Parmi les plus belles exp&eacute;riences de frottages que permet la cr&eacute;ation radiophonique, il y a celles qui se font entre les silences qui ne cessent de l&rsquo;irriguer&nbsp;: silences dans les textes, silences dans les paroles, silences dans les musiques, silences dans le monde ext&eacute;rieur.</p> <h2><strong>3.</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>&Agrave; l&rsquo;automne 1976, de retour &agrave; l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;pour engager un deuxi&egrave;me opus, cette fois &agrave; l&rsquo;invitation du seul Ren&eacute; Farabet, il me semblait qu&rsquo;il fallait avant tout creuser ce qui n&rsquo;avait qu&rsquo;&agrave; peine &eacute;t&eacute; esquiss&eacute; l&rsquo;ann&eacute;e pr&eacute;c&eacute;dente. &Agrave; savoir rechercher d&rsquo;autres modes de rencontre &ndash; essentiellement par frottages &ndash; entre textes et musiques (puisque, jusqu&rsquo;en 1980, c&rsquo;&eacute;taient les deux seuls mat&eacute;riaux dont j&rsquo;avais usage, le travail se faisant enti&egrave;rement en studio). Donc&nbsp;: tailler dans les enregistrements, des lectures comme des musiques (alors purement instrumentales), sans avoir peur d&rsquo;y aller. Puis&nbsp;: superposer par mixage ces d&eacute;coupes, de mani&egrave;re &agrave; obtenir autre chose que de belles lectures sur un fond sonore pr&eacute;tendument ad&eacute;quat. J&rsquo;avais vaguement compris que ceux de l&rsquo;<em>Atelier&nbsp;</em>avaient coopt&eacute; un jeune musicien qui leur convenait, notamment par son ing&eacute;nuit&eacute; qui le rendait assez libre d&rsquo;exp&eacute;rimenter des choses qui ne se font pas. Et ce dernier devait leur rendre la confiance qui lui avait &eacute;t&eacute; accord&eacute;e en conviant en studio des partenaires encore vierges de toute participation &agrave; des travaux de cr&eacute;ation radiophonique. M&ecirc;me si j&rsquo;&eacute;tais d&eacute;j&agrave; travaill&eacute; par le d&eacute;sir de faire venir des peintres ou des sculpteurs, ces partenaires se sont trouv&eacute;s &ecirc;tre principalement des &eacute;crivains. Claude Ollier m&rsquo;en avait fait rencontrer plus d&rsquo;un, comme Maurice Roche ou Italo Calvino, mais je ne me voyais pas me lancer dans une aventure radiophonique avec eux, alors qu&rsquo;ils avaient d&eacute;j&agrave; tant travaill&eacute; avec certains de mes a&icirc;n&eacute;s. Pareil pour Georges Perec ou Michel Butor qui appara&icirc;tront n&eacute;anmoins au g&eacute;n&eacute;rique d&rsquo;&eacute;missions plus tardives, le second bien avant sa disparition, le premier longtemps apr&egrave;s, mais &agrave; partir d&rsquo;un enregistrement effectu&eacute; en vue d&rsquo;une &eacute;mission h&eacute;las abandonn&eacute;e pour cause de d&eacute;c&egrave;s, et gard&eacute; secret pendant une bonne trentaine d&rsquo;ann&eacute;es.</p> <p>Il fallait faire en permanence comme si tout restait &agrave; inventer. On ne peut concr&egrave;tement acqu&eacute;rir de l&rsquo;exp&eacute;rience qu&rsquo;&agrave; force de t&acirc;tonnements dans la nuit des studios. La bande magn&eacute;tique est un support, comme pour les &eacute;crivains la page blanche, o&ugrave; tout ce qui s&rsquo;inscrit est susceptible d&rsquo;&ecirc;tre, au moins partiellement, effac&eacute;. Pour reprendre une proposition de David Lynch, la t&ecirc;te principale du dispositif technique qui r&eacute;git &ndash; entre autres &ndash; l&rsquo;essai radiophonique a pour nom&nbsp;<em>Eraserhead</em>&nbsp;(ou &laquo;&nbsp;t&ecirc;te de gomme&nbsp;&raquo;, selon l&rsquo;&eacute;quivalent fran&ccedil;ais propos&eacute; par Didier Pemerle). Il faut apprendre &agrave; effacer, comme les &eacute;crivains doivent apprendre &agrave; raturer. C&rsquo;est pour cela que cette pratique demande du temps et des moyens. C&rsquo;est pour cela aussi que nous n&rsquo;y rencontrons que les &eacute;crivains et les artistes travaill&eacute;s par cette n&eacute;cessit&eacute;.</p> <p>Je viens de nommer Didier Pemerle. Il &eacute;tait le plus jeune des membres du collectif Change qui avait &eacute;t&eacute; cr&eacute;&eacute; dans l&rsquo;imm&eacute;diat apr&egrave;s-1968, en violente rupture avec Tel Quel, par Jean-Pierre Faye, Jacques Roubaud, Maurice Roche et quelques autres. Comme l&rsquo;<em>ACR</em>, Change &eacute;tait en recherche de chair fra&icirc;che. En ces temps de fin encore non-d&eacute;clar&eacute;e des avant-gardes, les choses s&rsquo;encha&icirc;naient avec une rapidit&eacute; affolante. Je me suis retrouv&eacute; projet&eacute; d&egrave;s mes vingt ans dans toutes les manifestations de ce que Faye d&eacute;sirait cristalliser sous forme de mouvement &ndash; celui du Change des formes &ndash; &agrave; la mani&egrave;re dont Andr&eacute; Breton l&rsquo;avait fait, un demi-si&egrave;cle plus t&ocirc;t, pour le surr&eacute;alisme. Du coup le d&eacute;sir qu&rsquo;avait Ren&eacute; Farabet d&rsquo;entendre &agrave; l&rsquo;<em>Atelier</em>&nbsp;de nouvelles voix d&rsquo;&eacute;crivains a pu &ecirc;tre tr&egrave;s simplement exauc&eacute; (il faisait d&rsquo;ailleurs de m&ecirc;me de son c&ocirc;t&eacute;). Paul Louis Rossi, Philippe Boyer, Didier Pemerle, Jean-Claude Montel, Jean-Pierre Faye, Sa&uacute;l Yurkievich et Jacques Roubaud &ndash; tous membres du Collectif Change &ndash; ont &eacute;t&eacute; les principaux complices de mes premiers essais radiophoniques. Pour cinq d&rsquo;entre eux (Montel, Rossi, Faye, Roubaud et Pemerle), les &eacute;changes n&rsquo;ont jamais cess&eacute;&nbsp;: plus de quarante ann&eacute;es d&rsquo;amiti&eacute; qui se sont assez r&eacute;guli&egrave;rement traduites dans un travail sonore de plus en plus exigeant. Depuis quelques temps, je tente de remettre en jeu ces archives, en pr&eacute;levant certains fragments, ceux qui me semblent aujourd&rsquo;hui les plus parlants, et les frottant au pr&eacute;sent en r&eacute;alisant de nouvelles prises de son avec ces &eacute;crivains, devenus pour certains tr&egrave;s &acirc;g&eacute;s, mettant ainsi en &eacute;vidence, non seulement leur parcours dans l&rsquo;&eacute;criture, mais aussi les transformations de leur voix &ndash; de leur timbre autant que du contenu que leur parole v&eacute;hicule. Ceci, afin de composer leur portrait, tentant ainsi de conclure nos trajets communs, tout en laissant les choses ouvertes. Ranger notre atelier, ce n&rsquo;est jamais figer le placement des objets qui s&rsquo;y trouvent : juste permettre &agrave; qui le p&eacute;n&eacute;trera apr&egrave;s notre disparition de ne pas perdre son temps &agrave; rechercher ce qui n&rsquo;y est pas. Le d&eacute;sir de clart&eacute; n&rsquo;est pas incompatible avec l&rsquo;entretien n&eacute;cessaire des myst&egrave;res qui hantent cet&nbsp;<em>Atelier</em>.</p> <p>Tous ces &eacute;crivains avaient en commun de saisir parfaitement les enjeux de cette forme singuli&egrave;re de composition radiophonique qui ne peut donner de bons r&eacute;sultats qu&rsquo;en ne se soumettant pas &agrave; telle ou telle volont&eacute; &eacute;ditoriale (nos&nbsp;<em>Ateliers</em>&nbsp;&eacute;taient diffus&eacute;s sans que personne d&rsquo;autre que ceux qui les avaient fabriqu&eacute;s ne les aient auparavant &eacute;cout&eacute;s). Nous &eacute;tions tous des compagnons du Terrain Vague pratiquant un art sauvage. Nous le sommes demeur&eacute;s et j&rsquo;appelle les futurs auteurs &agrave; le devenir &agrave; leur tour, de la mani&egrave;re la plus radicale et singuli&egrave;re possible. On sait qu&rsquo;Alain Veinstein a intitul&eacute; le livre qu&rsquo;il a &eacute;crit sur son parcours &ocirc; combien marquant d&rsquo;homme des nuits :&nbsp;<em>Radio Sauvage.</em>&nbsp;Ce n&rsquo;est pas un hasard si j&rsquo;ai d&ucirc; conduire les &eacute;crivains dont je viens de parler (et beaucoup d&rsquo;autres que je vais bient&ocirc;t nommer) &agrave; prolonger ce travail pens&eacute; initialement pour l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;aux&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>, puis &agrave;&nbsp;<em>Surpris par la nuit</em>, &agrave; chaque fois que l&rsquo;<em>Atelier de Cr&eacute;ation&nbsp;</em>ne r&eacute;pondait plus &ndash; ou pas assez).</p> <p>Radio sauvage&nbsp;? Oui. Notamment par volont&eacute; de remettre en cause ce qui faisait l&rsquo;excellence des dramatiques ou fictions, nous privant parfois volontairement de com&eacute;diens au profit de non-professionnels (le plus souvent des &eacute;crivains, parfois des peintres, des musiciens, des photographes &ndash; donc des artistes), refusant obstin&eacute;ment l&rsquo;usage de toute musique illustrative au profit de rencontres impr&eacute;vues, sollicitant parfois le hasard, suivant avant tout nos intuitions. Ce qui nous liait, c&rsquo;&eacute;tait un d&eacute;sir de sortir des lieux communs de la r&eacute;alisation&nbsp;: cet artisanat, certes furieux, mais trop souvent inhib&eacute; par divers savoir-faire appliqu&eacute;s que nous souhaitions alors remettre en question. Je me souviens avoir int&eacute;gr&eacute; d&eacute;but 1978 de la musique punk (celle des Sex Pistols) dans un&nbsp;<em>ACR</em>&nbsp;avec Philippe Boyer qui pourtant ne jurait que par Wagner et Verdi. &Agrave; l&rsquo;&eacute;poque, nous &eacute;tions habit&eacute;s par la certitude que nous arriverions &agrave; imposer nos d&eacute;sirs. C&rsquo;&eacute;tait un peu na&iuml;f, mais &ccedil;a nous permettait d&rsquo;avancer, quitte &agrave; se casser la figure, alors que je crains qu&rsquo;aujourd&rsquo;hui, le seul projet qui puisse &ecirc;tre port&eacute; plus ou moins collectivement &ndash; individuellement, c&rsquo;est une autre affaire&nbsp;: la cr&eacute;ation solitaire a encore de beaux jours devant elle &ndash; est de sauver les meubles.</p> <h2><strong>4.</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>J&rsquo;avais connu le travail des &eacute;crivains de cette revue&nbsp;<em>Change</em>&nbsp;&agrave; partir de la sortie en mai 1975 du n&deg;23 qui s&rsquo;intitulait&nbsp;<em>Monstre Po&eacute;sie</em>. En accroche de ce livre collectif, Jean-Pierre Faye avait &eacute;crit : &laquo;&nbsp;le monstre po&eacute;sie manifeste le change&nbsp;&raquo;<em>.</em>&nbsp;Cela suffisait pour orienter un travail de cr&eacute;ation radiophonique &agrave; venir :&nbsp;<em>monstre</em>&nbsp;(rechercher plut&ocirc;t les freaks que les nantis de l&rsquo;air du temps)&nbsp;;&nbsp;<em>po&eacute;sie</em>&nbsp;(selon un sens oppos&eacute; au po&eacute;tisme standard&nbsp;: plut&ocirc;t contrainte, en recherche de formes)&nbsp;;&nbsp;<em>manifeste</em>&nbsp;(car toute cr&eacute;ation authentique manifeste ne serait-ce que d&rsquo;infimes diff&eacute;rences avec ce qui fait la norme)&nbsp;;&nbsp;<em>change</em>&nbsp;(car c&rsquo;est bien cela le mouvement de la vie&nbsp;: ne jamais rien figer).&nbsp;Comme le clamait haut et fort Edgar Var&egrave;se un demi-si&egrave;cle auparavant&nbsp;: &laquo;&nbsp;le compositeur d&rsquo;aujourd&rsquo;hui refuse de mourir<em>&nbsp;</em>&raquo; &ndash; ce refus n&rsquo;&eacute;tant pas une d&eacute;n&eacute;gation de la mort qui nous attend, mais la conscience que, quand nous nous retrouverons enseveli six pieds sous terre comme tout-un-chacun, nous aurons la t&ecirc;te encore d&eacute;bordante d&rsquo;id&eacute;es de transformations du monde &ndash; ou, plus modestement, du m&eacute;dium que nous aurons pratiqu&eacute; notre vie enti&egrave;re.</p> <p>Le num&eacute;ro de&nbsp;<em>Change</em>&nbsp;de mars 1978, le n&deg;34-35, s&rsquo;intitulait&nbsp;<em>La narration Nouvelle,</em>&nbsp;en &eacute;cho bien entendu &agrave; Nouveau Roman &ndash; cette avant-garde litt&eacute;raire qui, n&eacute;e un quart de si&egrave;cle plus t&ocirc;t, ne pouvait plus appara&icirc;tre comme porteuse d&rsquo;avenir pour les jeunes &eacute;crivains (mais en 1978 quelqu&rsquo;un comme Claude Ollier avait d&eacute;j&agrave; pris distance avec ce vrai-faux groupe qui l&rsquo;avait pourtant lanc&eacute; vingt ans auparavant, alors qu&rsquo;il obtenait le premier prix M&eacute;dicis pour son premier roman&nbsp;<em>La mise en sc&egrave;ne,</em>&nbsp;publi&eacute; chez Minuit). Le d&eacute;sir de raconter autrement, sans c&eacute;der aux sir&egrave;nes de l&rsquo;abstraction sonore, th&eacute;oriquement s&eacute;duisante, mais au fond impossible &agrave; concr&eacute;tiser d&egrave;s qu&rsquo;on use de mots (et pas si facile si on s&rsquo;en passe), &eacute;tait tr&egrave;s puissant.&nbsp;<em>Raconter</em>&nbsp;est peut-&ecirc;tre ce qui tend l&rsquo;essai radiophonique. Mais avec po&eacute;sie, bien entendu&nbsp;: c&rsquo;est-&agrave;-dire, musicalement.&nbsp;<em>Par la voie des rythmes</em>&nbsp;ajouterait Michaux. Et en faisant montre &ndash; Faye dirait&nbsp;<em>en faisant monstre</em>&nbsp;&ndash; d&rsquo;un tr&egrave;s grand sens de l&rsquo;&eacute;conomie.</p> <p>Une expression &agrave; la mode aujourd&rsquo;hui est &laquo;&nbsp;storytelling&nbsp;&raquo;. Proposer, non un projet ouvert (&ccedil;a ne se fait quasiment plus), mais un sujet, doit s&rsquo;accompagner aujourd&rsquo;hui de la mise au propre d&rsquo;une sorte de r&eacute;cit pr&eacute;&eacute;tabli, d&eacute;crivant son d&eacute;roul&eacute; dans le temps. Comme si composer un essai aujourd&rsquo;hui impliquerait de poss&eacute;der un talent de conteur s&rsquo;appliquant &agrave; faire passer des choses d&eacute;j&agrave; fig&eacute;es avant m&ecirc;me d&rsquo;avoir effectu&eacute; le premier geste de r&eacute;alisation. Bien entendu, on peut tricher. Le monstre po&eacute;sie est l&rsquo;arme anti-storytelling absolue, il ne faut pas h&eacute;siter &agrave; en faire usage. La cr&eacute;ation &ndash; notamment radiophonique, mais pas seulement &ndash; est surgissement progressif de cet inconnu, parfois familier, mais aussi dou&eacute; d&rsquo;&eacute;tranget&eacute;, qui ne pourra &ecirc;tre sensuellement compris qu&rsquo;une fois le travail accompli. Il est strictement impossible de raconter par avance un authentique&nbsp;<em>ACR</em>. Un mot ou deux plus quelques noms devraient suffire pour que la r&eacute;alisation d&rsquo;un projet soit engag&eacute;e. Cela se passait comme &ccedil;a au vingti&egrave;me si&egrave;cle et encore un peu au vingt-et-uni&egrave;me &ndash; enfin, essentiellement du c&ocirc;t&eacute; des dinosaures toujours &agrave; l&rsquo;ouvrage.</p> <p>De projet en projet, explorer en tous sens les sentiers de cette narration nouvelle, tout en gardant en permanence le cap en direction de la po&eacute;sie comme forme. Et sans se d&eacute;faire d&rsquo;une arme essentielle&nbsp;: l&rsquo;humour. Puisqu&rsquo;on parle de&nbsp;<em>la part des &eacute;crivains</em>&nbsp;&agrave; l&rsquo;<em>ACR</em>, il me semble que celles et ceux qui n&rsquo;avaient aucun humour n&rsquo;y ont jamais eu leur place. Bien entendu, les m&eacute;lancoliques, les suicidaires, les autodestructeurs n&rsquo;ont jamais &eacute;t&eacute; refoul&eacute;s, car ils d&eacute;bordaient de cet humour que Jacques Vach&eacute;, comme plus tard Marcel Gotlib, orthographiaient sans h, qu&rsquo;Andr&eacute; Breton a d&eacute;fini comme noir et que les &eacute;lisab&eacute;thains faisaient rimer avec humeur. Cette exp&eacute;rience des frottages qui caract&eacute;rise l&rsquo;essai radiophonique s&rsquo;imprime sur la bande magn&eacute;tique, ou le disque dur de l&rsquo;ordinateur aujourd&rsquo;hui, de saut en saut d&rsquo;humeur. Chaque geste d&rsquo;&eacute;criture sonore est de cet ordre&nbsp;: manifestation/gravure d&rsquo;une empreinte humorale. C&rsquo;est pourquoi ce travail demande du temps, car il est n&eacute;cessaire de laisser chaque tentative de montage ou de mixage reposer un moment, afin de mieux la reconsid&eacute;rer, de l&rsquo;int&eacute;grer ou de la d&eacute;truire, de la retravailler ou de la laisser tel quel. Les&nbsp;<em>ACR</em>, dans leurs manifestations les plus r&eacute;ussies, les plus &eacute;ruptives, les plus &eacute;mouvantes, ont &eacute;t&eacute; les fruits d&rsquo;une lutte contre la m&eacute;lancolie.</p> <h2><strong>5.</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>Ceux et celles qui ont v&eacute;cu ces ann&eacute;es 1970 qui pr&eacute;servaient encore un c&ocirc;t&eacute; h&eacute;ro&iuml;que aiment en faire partager le souvenir et les survalorisent&nbsp;; mais il ne faudrait pas oublier de rappeler qu&rsquo;elles se sont fracass&eacute;es sur la d&eacute;cennie suivante qui a amorc&eacute; un long processus de restauration dont nous subissons, aujourd&rsquo;hui plus que jamais, les effets.</p> <p>1980 a marqu&eacute; une rupture tr&egrave;s nette du travail engag&eacute; depuis 5 ans &agrave; l&rsquo;<em>ACR</em>. Cette ann&eacute;e-l&agrave;, j&rsquo;ai entrepris un nouvel&nbsp;<em>Atelier</em>&nbsp;avec Paul Louis Rossi qui publiait un de ses livres les plus impressionnants,&nbsp;<em>Le Potlatch</em>,&nbsp;<em>Suppl&eacute;ments aux voyages de Jacques Cartier,&nbsp;</em>dans la collection de Paul Otchakovsky-Laurens chez Hachette&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>. Cette ann&eacute;e-l&agrave;, les &eacute;missions duraient encore deux heures et vingt minutes. Le livre de Rossi n&rsquo;&eacute;tait pas d&eacute;bordant de signes, mais il fallait bien entendu tailler dedans. L&rsquo;id&eacute;e &eacute;tait encore et toujours de ne pas singer le processus de fabrication des fictions o&ugrave;, &agrave; la base, il y a un &eacute;crit &ndash; une pi&egrave;ce, un livret &ndash; plus ou moins intouchable. &Agrave; cet effet, on accumulait les prises de son, quitte &agrave; enregistrer (et m&ecirc;me travailler, au moins par montage) des s&eacute;quences qu&rsquo;on d&eacute;ciderait, au tout dernier moment, de ne pas diffuser. Mais ce surplus de mati&egrave;re &eacute;tait tout sauf un g&acirc;chis &ndash; et le temps qu&rsquo;on passait &agrave; exp&eacute;rimenter ces agencements nullement perdu. Nous &eacute;tions anim&eacute;s simultan&eacute;ment par la volont&eacute; de prendre notre temps et une r&eacute;elle impatience. Yann Parantho&euml;n venant de claquer la porte de l&rsquo;<em>ACR</em>, c&rsquo;est un plus jeune op&eacute;rateur du son, Michel Cr&eacute;&iuml;s, qui a pris la rel&egrave;ve. En complicit&eacute; avec l&rsquo;&eacute;quipe de production, nous avons d&eacute;cid&eacute; de n&rsquo;engager aucun com&eacute;dien professionnel. Et surtout, de sortir des studios pour enregistrer les lectures des textes en ext&eacute;rieur, dans n&rsquo;importe quelles conditions, m&ecirc;me les plus inconfortables&nbsp;: dans une voiture tout en roulant, dans des lieux bruyants, en marchant, en courant &agrave; petites foul&eacute;es&hellip; Quant &agrave; la musique, elle &eacute;tait compos&eacute;e de pi&egrave;ces br&egrave;ves, le plus souvent minimalistes, pour voix, claviers, clarinettes, &eacute;tirant (entre autres) des m&eacute;lodies du temps de Rameau (le compositeur des&nbsp;<em>Indes Galantes</em>). Donc des choses de peu qu&rsquo;on n&rsquo;aurait pas eu id&eacute;e de faire jouer en concert. Au moment du mixage, il fallait faire se rencontrer ces mat&eacute;riaux, sans avoir &eacute;tabli le moindre conducteur, du moins sur le papier. On venait en studio avec un caddy rempli &agrave; ras bord de centaines de bobinots de bande magn&eacute;tique sur lesquels &eacute;taient grav&eacute;s des lectures, des sons, des musiques. On en installait certains sur en principe six magn&eacute;tophones et on tentait de les faire se frotter, selon l&rsquo;intuition de l&rsquo;instant, mais non sans les m&eacute;moriser, au point d&rsquo;avoir leur contenu parfaitement en t&ecirc;te. Il fallait faire montre d&rsquo;une extr&ecirc;me concentration. Si &ccedil;a ne marchait pas, on essayait imm&eacute;diatement d&rsquo;autres combinaisons. Au d&eacute;but, il y a toujours une infinit&eacute; de possibles. Mais, plus on se dirige vers la fin, moins on en trouve. Le travail de mise en forme proc&egrave;de par &eacute;puisement de la mati&egrave;re dans un temps donn&eacute;. Quand on perdait trop de temps &agrave; rater (car, m&ecirc;me si les moyens &eacute;taient alors plus qu&rsquo;excellents, il fallait rendre la copie &agrave; l&rsquo;heure), on devait tricher. On laissait alors filer cinq minutes de musique &agrave; blanc. Ou quelques pages de texte. Puis, ayant ainsi avanc&eacute;, on relan&ccedil;ait nos essais. Le principe de frottage devrait toujours provoquer au moins quelques &eacute;tincelles. Comme pour le souligner, l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;s&rsquo;ouvrait par un g&eacute;n&eacute;rique int&eacute;grant des sons d&rsquo;orage&nbsp;: tonnerre et &eacute;clairs. Je vais citer une seconde fois Edgar Var&egrave;se&nbsp;: &laquo;&nbsp;Au fond, la musique n&rsquo;est qu&rsquo;une perturbation atmosph&eacute;rique&nbsp;&raquo;<em>.</em>&nbsp;C&rsquo;est en cela que l&rsquo;<em>Atelier de Cr&eacute;ation&nbsp;</em>proc&egrave;de souvent d&rsquo;une forme &ndash; d&rsquo;une pens&eacute;e &ndash; musicale. Claude Ollier, s&rsquo;il &eacute;tait encore des n&ocirc;tres, nous dirait peut-&ecirc;tre qu&rsquo;il a toujours agi en compositeur, hant&eacute; par le d&eacute;sir qu&rsquo;il avait eu enfant d&rsquo;&eacute;crire des partitions, au point que, rencontrant Alain Robbe-Grillet en Allemagne pendant la seconde guerre mondiale, il s&rsquo;&eacute;tait tout d&rsquo;abord pr&eacute;sent&eacute; &agrave; lui comme musicien (on sait qu&rsquo;il a fait plusieurs fois le mur du camp o&ugrave; il effectuait le STO pour aller jouer du piano la nuit dans des bars de Nuremberg).</p> <p>Comme &ccedil;a fait une bonne dizaine de fois que j&rsquo;emploie ce mot &laquo;&nbsp;frottage&nbsp;&raquo;, il me faut maintenant rendre hommage &agrave; celui qui a publi&eacute; en 1979 un livre portant ce titre &ndash; au pluriel comme il se doit &ndash; dans la collection&nbsp;<em>Textes</em>&nbsp;chez Flammarion, dirig&eacute;e par Bernard No&euml;l (qui venait de prendre la suite de Paul Otchakovsky-Laurens) et qui, encore &agrave; l&rsquo;&eacute;tat de manuscrit, avait incit&eacute; l&rsquo;&eacute;laboration de mon cinqui&egrave;me&nbsp;<em>ACR</em>. Il s&rsquo;agit de Jean-Claude Montel, un &eacute;crivain n&eacute; en 1940, adoub&eacute; &agrave; 27 ans par Jean-Pierre Faye et Maurice Roche qui avaient pr&eacute;fac&eacute; son premier livre au Seuil. C&rsquo;&eacute;tait un &ecirc;tre terriblement m&eacute;lancolique, travers&eacute; par le sentiment qu&rsquo;il ne pourra mourir que seul au milieu des d&eacute;combres. Il portait dans sa voix, dans ses &eacute;crits, l&rsquo;id&eacute;e que la litt&eacute;rature n&rsquo;&eacute;tait plus que pour m&eacute;moire &ndash; ce en quoi il &eacute;tait paradoxalement fascinant pour le jeune homme que j&rsquo;&eacute;tais. Il portait en lui l&rsquo;affirmation qu&rsquo;un des gestes fondamentaux de la cr&eacute;ation &eacute;tait le frottage, c&rsquo;est-&agrave;-dire cette op&eacute;ration permettant d&rsquo;inscrire sur un support quelque chose de la r&eacute;alit&eacute; du monde (comme les peintres le font en posant une toile souple ou un papier tr&egrave;s fin sur tel ou tel amas d&rsquo;objets ou tel mur l&eacute;zard&eacute; pour en prendre, &agrave; l&rsquo;aide d&rsquo;un pinceau presque sec, ou d&rsquo;une craie grasse, l&rsquo;empreinte), avant d&rsquo;en retravailler &ndash; ou non &ndash; le r&eacute;sultat. Donc d&rsquo;en prolonger les r&eacute;sonances par un travail plus secret, plus personnel, dans le silence d&rsquo;un atelier d&rsquo;&eacute;criture. Yann Parantho&euml;n avait bien compris que ce processus, venant de la peinture, puis transpos&eacute; dans l&rsquo;&eacute;criture litt&eacute;raire, pouvait caract&eacute;riser le travail de cr&eacute;ation radiophonique. Il disait&nbsp;: on proc&egrave;de ainsi, d&rsquo;abord par extraction en ext&eacute;rieur de quelque chose de la r&eacute;alit&eacute; qui nous environne &ndash; et surtout nous concerne. Puis&nbsp;: on retravaille ce mat&eacute;riau en int&eacute;rieur (par exemple dans un studio, autrement dit en atelier), prenant le temps qu&rsquo;il faut, avec l&rsquo;exigence d&rsquo;aboutir &agrave; quelque chose d&rsquo;autre qu&rsquo;un ready-made. Par la suite, plusieurs autres projets de cr&eacute;ation radiophonique avec Jean-Claude Montel &ndash; &agrave; l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;et aux&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>&nbsp;&ndash; nous permettront de creuser cette affaire, la d&eacute;nudant jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;os. Le tout dernier a &eacute;t&eacute; fabriqu&eacute; en 2001 pour&nbsp;<em>Surpris par la nuit.</em>&nbsp;Le r&eacute;sultat a pu &ecirc;tre retravaill&eacute; en 2013, suite &agrave; la disparition tragique de l&rsquo;&eacute;crivain, gr&acirc;ce &agrave; Ir&egrave;ne Om&eacute;lianenko. Cette &eacute;mission est presque terrifiante, de par sa force &eacute;motionnelle&nbsp;: on y entend la voix d&rsquo;un quasi mort vivant, mais qui porte encore en lui le d&eacute;sir puissant de noircir quelques pages plus ou moins testamentaires. Il venait de publier&nbsp;<em>Motus</em>, un des plus beaux livres &eacute;crits &agrave; la toute fin du vingti&egrave;me si&egrave;cle et publi&eacute; presque clandestinement par Mathieu B&eacute;n&eacute;zet chez Comp&rsquo;act. On ne pouvait alors trouver ce livre que dans de tr&egrave;s rares librairies. Donc personne ou presque ne l&rsquo;avait m&ecirc;me ouvert. Force de r&eacute;sistance de l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;: faire surgir l&rsquo;inactuel, en suivant le fil de ce qui aura &eacute;t&eacute; expuls&eacute; de la bonne soci&eacute;t&eacute; et que l&rsquo;on ne trouve qu&rsquo;au Terrain Vague, ce lieu &agrave; l&rsquo;&eacute;cart o&ugrave; la beaut&eacute; r&egrave;gne en ma&icirc;tresse absolue.</p> <h2><strong>6.</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>J&rsquo;en arrive maintenant &agrave; l&rsquo;automne 1985, soit dix ans apr&egrave;s ma premi&egrave;re incursion en studio gr&acirc;ce &agrave; Claude Ollier. &Agrave; ce moment-l&agrave;, j&rsquo;ai au compteur 16&nbsp;<em>ACR</em>&nbsp;et 14&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>, soit 56 heures d&rsquo;essais radiophoniques ayant pour la plupart un lien direct avec les &eacute;crivains dont je viens de donner les noms. Mais la mati&egrave;re litt&eacute;raire de ces premiers opus avait toujours &eacute;t&eacute; taill&eacute;e dans des manuscrits en voie de publication ou des livres d&eacute;j&agrave; publi&eacute;s. Pour ce 17<sup>e</sup>&nbsp;<em>Atelier</em>, je m&rsquo;&eacute;tais associ&eacute; &agrave; Jean-Yves Bosseur, un musicien qui &eacute;tait, depuis le d&eacute;but de cette aventure, un de mes plus proches alli&eacute;s, et nous avions eu l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;imaginer un compositeur de musique contemporaine devenu c&eacute;l&egrave;bre par un crime qu&rsquo;il aurait commis et non par sa musique. Nous avions aussi lanc&eacute; l&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;un film &eacute;tait en train de se tourner &agrave; partir de ce fait divers. Bien entendu, la musique de ce film &eacute;tait sans lien stylistique avec l&rsquo;&oelig;uvre bien trop &laquo;&nbsp;avant-gardiste&nbsp;&raquo; de ce compositeur. Nous nous devions donc de r&eacute;tablir la v&eacute;rit&eacute; en faisant rejouer pour l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;certaines de ses compositions &ndash; les plus pures, pr&eacute;tendions-nous. Bien entendu, les musiques de l&rsquo;&eacute;mission, aussi bien celles du film contre lesquelles nous nous insurgions que celles attribu&eacute;es &agrave; ce compositeur, allaient &ecirc;tre &eacute;crites par Bosseur et moi-m&ecirc;me, sans pour autant que ce soit dit clairement &agrave; l&rsquo;antenne. Et pour finir, afin de rendre notre fiction cr&eacute;dible, nous pensions aller interviewer des compositeurs qui auraient eu la chance de bien conna&icirc;tre ce musicien (Henri Pousseur, Paul M&eacute;fano et Mich&egrave;le Reverdy se pr&ecirc;teront &agrave; ce jeu). C&rsquo;&eacute;tait bien joli, tout &ccedil;a, mais il fallait trouver quelqu&rsquo;un pour en r&eacute;diger le texte, tout en le laissant libre d&rsquo;inventer &agrave; son tour.</p> <p>En accord avec Alain Trutat et Ren&eacute; Farabet, nous avions alors demand&eacute; &agrave; Didier Pemerle de r&eacute;diger un long monologue narratif port&eacute; pour l&rsquo;essentiel par la voix d&rsquo;un seul com&eacute;dien. Ce dernier ayant accept&eacute; a aussit&ocirc;t intitul&eacute; cette histoire &laquo;&nbsp;Laissez-moi mourir&nbsp;&raquo; (en hommage &agrave; Monteverdi, ce qui ne pouvait que nous parler), proposant que ce compositeur soit une compositrice pr&eacute;nomm&eacute;e Suzanne qui aurait, un jour de d&eacute;pression, tu&eacute; son mari, avant de le d&eacute;couper en morceaux, d&eacute;pos&eacute;s ensuite dans des sacs poubelles sur son piano. Elle se serait suicid&eacute;e dans la foul&eacute;e, non sans avoir &eacute;prouv&eacute; au clavier la musique produite par cette pr&eacute;paration in&eacute;dite de l&rsquo;instrument. C&rsquo;&eacute;tait un texte, encore une fois, m&eacute;lancolique et fortement teint&eacute; d&rsquo;humour noir. Cet&nbsp;<em>ACR</em>&nbsp;nous aura donn&eacute; l&rsquo;occasion de faire venir en studio Jean-Pierre Cassel, car il &eacute;tait impossible cette fois de flirter avec l&rsquo;amateurisme, il nous fallait un vrai professionnel.</p> <p><em>Laissez-moi mourir&nbsp;</em>aurait pu, du moins sur le papier, &ecirc;tre diffus&eacute; dans la case des fictions, et pourtant, non&nbsp;: c&rsquo;&eacute;tait plus que jamais un&nbsp;<em>ACR</em>, donc quelque chose d&rsquo;impossible &agrave; enfermer dans un catalogue (on peut imaginer la suite des&nbsp;<em>Ateliers</em>&nbsp;comme formant une constellation d&rsquo;&icirc;lots dans un vaste oc&eacute;an, et non comme une accumulation de bandes magn&eacute;tiques serr&eacute;es sur des &eacute;tag&egrave;res). Une fois encore, nous sommes arriv&eacute;s en studio sans le moindre conducteur, respectant simplement la continuit&eacute; du texte. L&rsquo;exp&eacute;rience des frottages suivant son cours, nous avions surtout besoin de strat&eacute;gies et non de partitions r&eacute;gl&eacute;es par avance. Le mixage ne cessait de provoquer des surprises, ce qui &eacute;tait ce que nous recherchions. Le r&eacute;sultat s&rsquo;&eacute;tant av&eacute;r&eacute; concluant, Didier Pemerle travaillera une deuxi&egrave;me fois avec nous en 1986/87 pour&nbsp;<em>Le loup dans l&rsquo;&icirc;le</em>, une s&eacute;rie de petites formes (20 fois 10 mn) dont la contrainte &eacute;tait de changer de lieu environnemental &agrave; chaque &eacute;pisode. Puis, une nouvelle fois en complicit&eacute; avec Jean-Pierre Cassel en 1988, pour&nbsp;<em>La journ&eacute;e du retour,</em>&nbsp;une histoire de fant&ocirc;mes se passant en appartement. Cette fois, j&rsquo;&eacute;tais seul &agrave; composer, non seulement les musiques, mais aussi leurs superpositions avec les monologues et les sons concrets enregistr&eacute;s pour ce projet, sollicitant sans cesse le hasard afin de mieux faire surgir le fantomatique, suivant des strat&eacute;gies qui n&rsquo;&eacute;taient inscrites que dans la t&ecirc;te et qui demandaient une complicit&eacute; exceptionnelle avec la chef-op&eacute;ratrice du son, Monique Burgui&egrave;re. La part des &eacute;quipes de l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;vaut bien celle des &eacute;crivains. Seule une aventure r&eacute;ellement collective peut donner corps aux fantasmes d&rsquo;un&nbsp;<em>Control Freak</em>&nbsp;obsessionnel. Le &laquo;&nbsp;je cr&eacute;ateur&nbsp;&raquo; (qui est, certes un autre, mais aussi un &laquo;&nbsp;tu&nbsp;&raquo;) a besoin de faire partie d&rsquo;un &laquo;&nbsp;nous&nbsp;&raquo;. Ne serait-ce que pour aller faire la f&ecirc;te avec l&rsquo;&eacute;quipe, une fois les choses, du moins en apparence, termin&eacute;es.</p> <h2><strong>7.</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>Simple note au passage&nbsp;: au cours des ann&eacute;es 1980, la parole des &eacute;crivains a pris progressivement une place sup&eacute;rieure &agrave; celle de leurs &eacute;crits. Le jeu consistait, de plus en plus, &agrave; monter morceaux de conversations et fragments de lectures, sans qu&rsquo;il n&rsquo;y ait illustration de l&rsquo;une par l&rsquo;autre. Les musiques, le plus souvent mix&eacute;es avec des sons dit r&eacute;alistes, permettaient de souligner, de fluidifier ce tressage des voix : plus qu&rsquo;un fond sonore, un commentaire secret.</p> <p>Jusqu&rsquo;aux ann&eacute;es 1990, mon travail &agrave; l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;avait &eacute;t&eacute; co-sign&eacute; avec Claude Ollier et les &eacute;crivains de Change &ndash; ces derniers &eacute;tant devenus pour la plupart apr&egrave;s 1979 ex-membres de ce collectif, car le temps des grandes dispersions &eacute;tait arriv&eacute;. En r&eacute;action, l&rsquo;<em>Atelier</em>&nbsp;se devait, du moins me semblait-il, d&rsquo;ouvrir son Terrain Vague &agrave; cette petite meute de solitaires plus ou moins endurcis. Sans jamais perdre le lien avec les a&icirc;n&eacute;s, cette derni&egrave;re d&eacute;cennie du vingti&egrave;me si&egrave;cle (dont on ne savait pas encore qu&rsquo;elle serait la toute derni&egrave;re de la premi&egrave;re &ndash; et plus longue &ndash; p&eacute;riode de l&rsquo;histoire de l&rsquo;<em>Atelier de Cr&eacute;ation Radiophonique</em>) requ&eacute;rait de nouveaux sujets (dans tous les sens du mot), donc de lancer des rencontres avec d&rsquo;autres auteurs &ndash; souvent des auteures &ndash;, de ma g&eacute;n&eacute;ration parfois et, une fois pass&eacute; l&rsquo;an 2000, des g&eacute;n&eacute;rations suivantes (au d&eacute;but je collaborais avec des personnes de vingt ou trente ans plus &acirc;g&eacute;s que moi&nbsp;; aujourd&rsquo;hui, je travaille avec des personnes de vingt et m&ecirc;me trente ans plus jeunes. C&rsquo;est ce qu&rsquo;on appelle un parcours&hellip;).</p> <p>Relancer les d&eacute;s de la cr&eacute;ation radiophonique s&rsquo;est accompli tout d&rsquo;abord avec Liliane Giraudon, Michelle Grangaud, Marie &Eacute;tienne, Sabine Macher, Yves di Manno et Pascal Quignard. Puis les choses se sont acc&eacute;l&eacute;r&eacute;es, comme si la petite phrase d&eacute;sabus&eacute;e d&rsquo;Alain Trutat sur la fin imminente des&nbsp;<em>Ateliers</em>&nbsp;devenait plus que jamais d&rsquo;actualit&eacute;. La fin du vingti&egrave;me si&egrave;cle aura &eacute;t&eacute; agit&eacute;e. De Michel Deguy &agrave; Philippe Beck et Jean-Luc Nancy ou Dominique Fourcade (dont les po&egrave;mes seront lus dans un ACR intitul&eacute;&nbsp;<em>Fable</em>&nbsp;par Claude Royet-Journoud) ou encore Florence Delay, Denis Roche et Pierre Alf&eacute;ri (et j&rsquo;en passe &ndash; on remarquera &agrave; quel point la po&eacute;sie est pr&eacute;sente, souvent en lien avec la philosophie), les collaborations avec les &eacute;crivains n&rsquo;ont cess&eacute; de s&rsquo;encha&icirc;ner, d&eacute;bouchant &agrave; chaque fois sur quelque flamme &agrave; entretenir, notamment par amiti&eacute;. C&rsquo;est une chose sur laquelle je me dois d&rsquo;insister, car elle est essentielle. N&rsquo;ayant jamais s&eacute;par&eacute; vie et travail, une fois un&nbsp;<em>Atelier de Cr&eacute;ation</em>&nbsp;mis en &laquo;&nbsp;pr&ecirc;t &agrave; diffuser&nbsp;&raquo;, celles et ceux qui les signaient, mais aussi les r&eacute;alisateurs, continuaient de se fr&eacute;quenter, de se parler, d&rsquo;imaginer un futur commun. C&rsquo;est pourquoi j&rsquo;insiste une derni&egrave;re fois sur ce que j&rsquo;ai nomm&eacute; Terrain Vague&nbsp;qui est d&rsquo;abord un lieu d&rsquo;&eacute;changes pour qui d&eacute;sire ouvrir de nouveaux modes d&rsquo;&eacute;criture comme d&rsquo;existence. C&rsquo;est un espace de contamination. Les auditeurs peuvent d&rsquo;ailleurs en attraper le virus par l&rsquo;&eacute;coute. C&rsquo;est tout le mal que nous leur souhaitons.</p> <p>N&rsquo;ayant plus le temps de d&eacute;velopper ce que je n&rsquo;ai, une fois de plus, qu&rsquo;esquiss&eacute;, je voudrais terminer en notant que ce lien constant et renouvel&eacute; avec certains &eacute;crivains, a fini par me pousser &agrave; tenter de le devenir &agrave; mon tour, jusqu&rsquo;&agrave; ce que cette activit&eacute; finisse par prendre le pas sur la composition musicale. De mani&egrave;re d&rsquo;abord tr&egrave;s timide, comme terrass&eacute; d&rsquo;angoisse &agrave; l&rsquo;id&eacute;e des retours d&rsquo;a&icirc;n&eacute;s trop admir&eacute;s, puis s&rsquo;affirmant peu &agrave; peu, au point de me retrouver, surtout dans les ann&eacute;es 1990, &agrave; &eacute;crire les livrets de mes &eacute;missions, accumulant des pages et des pages (<a href="http://www.hippocampe-editions.fr/actualites/521-christian-rosset-les-voiles-de-sainte-marthe-micro-recits-et-notes-d-atelier-radio-claude-ollier-paranthoen-france-culture.html">une anthologie</a>&nbsp;tr&egrave;s resserr&eacute;e a paru r&eacute;cemment chez Hippocampe &Eacute;ditions qui a &eacute;t&eacute; pour l&rsquo;instant bien plus comment&eacute;e par des &eacute;crivains que par des gens de radio).</p> <p>L&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;aura &eacute;t&eacute; pour moi un lieu d&rsquo;apprentissage de la vie, &agrave; travers la d&eacute;couverte et l&rsquo;exp&eacute;rimentation de pratiques plurielles de modes d&rsquo;&eacute;criture. Malgr&eacute; d&rsquo;in&eacute;vitables tensions et des moments d&rsquo;intense fatigue, cette radio d&rsquo;essai a toujours &eacute;t&eacute; compos&eacute;e pour le plaisir et jamais dans la douleur. Ce qui est infiniment pr&eacute;cieux, mais h&eacute;las peu compatible avec les modes de culpabilisation de ces pratiques sauvages aujourd&rsquo;hui.</p> <p>(&Eacute;crit en septembre 2018, tout en &eacute;coutant principalement la&nbsp;<em>Partita n&deg;1&nbsp;</em>de Jean-S&eacute;bastien Bach, puis relu le 9 novembre de la m&ecirc;me ann&eacute;e, en &eacute;coutant le&nbsp;<em>Quatuor n&deg;14</em>&nbsp;de Dmitri Shostakovitch)</p> <h3><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h3> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;Je lui ai rendu hommage dans un billet de&nbsp;<em>Diacritik&nbsp;</em>en 2017, &laquo;&nbsp;Bref &eacute;loge de Ren&eacute; Farabet (1934 &ndash; 2017)&nbsp;&raquo; (<a href="https://diacritik.com/2017/06/26/bref-eloge-de-rene-farabet-1934-2017-par-christian-rosset/">ici</a>).</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;Sur sa recherche de formes sp&eacute;cifiquement radiophoniques et nos collaborations &agrave; l&rsquo;<em>ACR</em>, voir &laquo;&nbsp;Claude Ollier et la cr&eacute;ation radiophonique&nbsp;&raquo;, Aventures radiophoniques du Nouveau Roman, Pierre-Marie H&eacute;ron, Fran&ccedil;oise Joly, Annie Pibarot (dir.), Rennes, PUR, coll. &laquo;&nbsp;Interf&eacute;rences&nbsp;&raquo;, 2017, p.&nbsp;103-112.</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;Sur ma d&eacute;couverte de son &oelig;uvre, notre amiti&eacute; et quelques-unes de nos collaborations &agrave; l&rsquo;<em>ACR</em>, dont celle-ci de 1980, je me permets de renvoyer &agrave; mon texte &laquo;&nbsp;Excursions sur le terrain vague (cartographie d&rsquo;&eacute;changes)&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Nu(e)</em>, n&deg;67, septembre 2018, p.&nbsp;121-134. Num&eacute;ro t&eacute;l&eacute;chargeable&nbsp;<a href="https://poezibao.typepad.com/files/paul-louis-rossi-revue-nue-67.pdf" target="_blank">ici</a>.</p> <h3><strong>Auteur</strong></h3> <p><strong>Christian Rosset</strong> est compositeur (musique instrumentale et &eacute;lectroacoustique), essayiste et producteur de radio, depuis 1975, notamment &agrave; l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;et &agrave;&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>. Son dernier livre publi&eacute;,&nbsp;<em>Les voiles de Sainte-Marthe</em>&nbsp;(Hippocampe &eacute;ditions, 2018), r&eacute;unit des micro-r&eacute;cits et notes d&rsquo;Atelier autour de ces fructueuses ann&eacute;es de collaboration &agrave; l&rsquo;<em>ACR</em>, en prolongement d&rsquo;<em>Avis d&rsquo;orage dans la nuit</em>&nbsp;(l&rsquo;Association, 2011), qui &eacute;voquait entre autres ses collaborations &agrave; l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;d&eacute;j&agrave;, mais aussi &agrave; quelques&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>. Christian Rosset a aussi coordonn&eacute;&nbsp;<em>Yann Parantho&euml;n, l&rsquo;art de la radio</em>&nbsp;aux &eacute;ditions Phonurgia Nova en 2009.</p> <h3><strong>Copyright</strong></h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>