<h3>Abstract</h3> <p>The theme of this issue gives us the opportunity to assert that there is sometimes something of an inferiority complex between creative radio and literature. One might get the feeling that reverence for the text is too strong. It&#39;s as if radio didn&#39;t feel that it had full legitimacy as a space for creation and a medium for creation in its own right. As if literature, the book, always had to be in the corner of your eye. Yet we realise that there are literary authors who are fully legitimate in the book form who have considered radio to be a complete creative space. Sometimes with a head start. And Georges Perec is one of them.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>Le th&egrave;me de ce num&eacute;ro donne l&rsquo;occasion d&rsquo;affirmer qu&rsquo;il y a parfois comme un complexe d&rsquo;inf&eacute;riorit&eacute; de la radio de cr&eacute;ation &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de la litt&eacute;rature. On peut avoir le sentiment que la r&eacute;v&eacute;rence est trop forte face au texte. Comme si la radio ne se pensait pas totalement l&eacute;gitime comme espace de cr&eacute;ation et mati&egrave;re &agrave; cr&eacute;ation, en tant que telle. Comme s&rsquo;il fallait toujours avoir la litt&eacute;rature, le livre, dans le coin de l&rsquo;&oelig;il. Pourtant, on se rend compte qu&rsquo;il y a des auteurs litt&eacute;raires pleinement l&eacute;gitimes dans la forme du livre qui ont consid&eacute;r&eacute; la radio comme un endroit de cr&eacute;ation complet. Avec un temps d&rsquo;avance, parfois. Et Georges Perec en fait partie&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>.</p> <h2>1. Tentative de description de choses vues au carrefour Mabillon<br /> &nbsp;</h2> <p>Pour parler Perec et Radio, il faudrait commencer par l&rsquo;&eacute;coute de sa pi&egrave;ce radiophonique la plus c&eacute;l&egrave;bre, celle qui r&eacute;sonne encore le plus&nbsp;:&nbsp;<em>Tentative de description de choses vues au carrefour Mabillon le 19 mai 1978</em>, diffus&eacute;e dans l&rsquo;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>&nbsp;de France Culture le 25 f&eacute;vrier 1979.</p> <p><a href="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2019/03/1979_Perec_Tentative_pg-int%C3%A9rieure.jpg"><img alt="1979_Perec_Tentative_pg intérieure" height="218" loading="lazy" sizes="(max-width: 300px) 100vw, 300px" src="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2019/03/1979_Perec_Tentative_pg-int%C3%A9rieure-300x218.jpg" srcset="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2019/03/1979_Perec_Tentative_pg-intérieure-300x218.jpg 300w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2019/03/1979_Perec_Tentative_pg-intérieure-1024x745.jpg 1024w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2019/03/1979_Perec_Tentative_pg-intérieure-810x590.jpg 810w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2019/03/1979_Perec_Tentative_pg-intérieure-1140x830.jpg 1140w" width="300" /></a></p> <p><small>Doc. 1 ‒ Pri&egrave;re d&rsquo;&eacute;couter de&nbsp;<em>Tentative de description de choses vues au carrefour Mabillon le 19 mai 1978</em>. Page int&eacute;rieure. &laquo; Collection du Mus&eacute;e de Radio France &raquo;.</small></p> <p>Cette litanie descriptive devient &agrave; un moment quasiment hypnotique.&nbsp;<a href="https://www.franceculture.fr/emissions/creation-air/michel-creis-et-latelier-de-creation-radiophonique" target="_blank">Michel Cr&eacute;&iuml;s</a>, qui effectuait la prise de son, &eacute;tait aux c&ocirc;t&eacute;s de Georges Perec. Celui-ci &eacute;tait install&eacute; dans une petite camionnette, avec vue sur le carrefour Mabillon. On entend la voix de Perec. Il nous dit ce qu&rsquo;il voit de la mani&egrave;re la plus banale qui soit ‒&nbsp;c&rsquo;est son projet&nbsp;‒, mais aussi de mani&egrave;re forc&eacute;ment subjective. Ponctuellement, le com&eacute;dien Claude Pi&eacute;plu, enregistr&eacute; en studio &agrave; un autre moment, arrive pour donner des &eacute;l&eacute;ments objectifs, le nombre de camionnettes, de parapluies, de voitures&hellip; Une autre forme de litanie. Cette pi&egrave;ce est d&rsquo;une radicalit&eacute; absolue&nbsp;: 2 heures 20 d&rsquo;un exercice &laquo;&nbsp;infra-ordinaire&nbsp;&raquo;, pour reprendre le terme utilis&eacute; par Perec. C&rsquo;est de la po&eacute;sie perform&eacute;e aussi, d&rsquo;une certaine mani&egrave;re. Il y a une forme d&rsquo;ironie &agrave; le voir comme cela, puisque Jacques Roubaud, qui a &eacute;t&eacute; un grand ami de Perec, ne cache pas son regard amus&eacute; sur ce type de &laquo;&nbsp;po&eacute;sie debout&nbsp;&raquo;, qui est un genre depuis Bernard Heidsieck&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. On est ici &agrave; la lisi&egrave;re de ce genre.</p> <p>La post&eacute;rit&eacute; de la pi&egrave;ce est &eacute;galement fascinante. Elle est tr&egrave;s vraisemblablement li&eacute;e &agrave; celle de Perec en g&eacute;n&eacute;ral, qui l&rsquo;est tout autant. On a l&rsquo;impression qu&rsquo;&agrave; chaque comm&eacute;moration, et m&ecirc;me entre chacune d&rsquo;entre elles, on le red&eacute;couvre, on l&rsquo;&eacute;tudie et on le r&eacute;&eacute;tudie, comme s&rsquo;il avait laiss&eacute; des codes encore enfouis dans ses livres. La post&eacute;rit&eacute; de la pi&egrave;ce existe aussi pour ce qu&rsquo;elle est, &agrave; savoir une pi&egrave;ce radicale. Qui est rediffus&eacute;e, &eacute;tudi&eacute;e, &eacute;dit&eacute;e, r&eacute;&eacute;coutable en ligne tr&egrave;s &laquo;&nbsp;officiellement&nbsp;&raquo; sur le site de France Culture&hellip; Et qu&rsquo;on c&eacute;l&egrave;bre aussi&nbsp;: pour les 40 ans de la pi&egrave;ce, ou plut&ocirc;t de sa captation du 19 mai 1978, le com&eacute;dien et homme de radio Jack Souvant a organis&eacute; une gigantesque &laquo;&nbsp;tentative de description de choses vues&hellip;&nbsp;&raquo; par tous ceux et celles qui le voulaient, durant 24 heures au Carrefour Mabillon, &agrave; Paris.</p> <p><em>Tentative de description de choses vues</em>&hellip; s&rsquo;inscrit &agrave; l&rsquo;&eacute;poque dans un projet &agrave; long terme d&rsquo;&eacute;puisement des lieux. Ce projet, Perec, le d&eacute;marre en 1969&nbsp;: il veut d&eacute;crire 12 lieux parisiens, li&eacute;s &agrave; certains moments de sa vie. Et y aller &agrave; tour de r&ocirc;le une fois par mois pendant 12 ans, dans une d&eacute;marche syst&eacute;matique caract&eacute;ristique d&rsquo;une partie de son &oelig;uvre. Cela a donn&eacute; lieu &agrave; des textes publi&eacute;s dans des revues, &agrave; un film (<em>Les lieux d&rsquo;une fugue</em>), &agrave; un livre (<em>Tentative d&rsquo;&eacute;puisement d&rsquo;un lieu parisien</em>) et, donc, &agrave; cette &eacute;mission de radio. Le carrefour Mabillon, Perec y pensait depuis un moment. Il en parle dans un plan de travail de 1976. Et dans l&rsquo;iconographie de l&rsquo;album Perec paru en bonus des volumes de la Pl&eacute;iade en 2017, on aper&ccedil;oit une enveloppe marqu&eacute;e&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mabillon 1971&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>&nbsp;&raquo;. J&rsquo;avoue ne pas savoir le lien personnel de Perec avec ce carrefour.</p> <p>Perec utilise l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;comme un lieu litt&eacute;raire. Il l&rsquo;inscrit dans son projet &laquo;&nbsp;multim&eacute;dia&nbsp;&raquo; avant l&rsquo;heure, mais litt&eacute;raire avant toute chose. Il d&eacute;fend, en acte, une litt&eacute;rature hors du livre. Cela s&rsquo;articule de mani&egrave;re tr&egrave;s contemporaine. Pour Perec, cette attitude &eacute;tait d&eacute;j&agrave; naturelle il y a quarante ans. C&rsquo;est peut-&ecirc;tre une des raisons de la post&eacute;rit&eacute; de cette pi&egrave;ce, au-del&agrave; de celle de l&rsquo;auteur. Et cela contribue aussi &agrave; la modernit&eacute; de l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;: la radio comme lieu litt&eacute;raire hors le papier.</p> <h2><strong>2. Jamais deux fois la m&ecirc;me chose</strong><br /> &nbsp;</h2> <p><strong>&nbsp;</strong>Au moment de l&rsquo;enregistrement de cette pi&egrave;ce au carrefour Mabillon, Perec et l&rsquo;<em>ACR</em>&nbsp;ont d&eacute;j&agrave; des liens &eacute;troits. Ainsi, le 5 mars 1972, l&rsquo;Atelier a consacr&eacute; toute une &eacute;mission (2 heures 50) &agrave; l&rsquo;auteur, qui est alors &acirc;g&eacute; de 36 ans et a remport&eacute; le Prix Renaudot trois ans auparavant pour&nbsp;<em>Les Choses</em>. Cette &eacute;mission s&rsquo;intitulait &laquo;&nbsp;AudioPerec&nbsp;&raquo;. On y diffuse notamment une mise en onde de sa pi&egrave;ce&nbsp;<em>L&rsquo;Augmentation</em>, l&rsquo;extrait d&rsquo;un H&ouml;rspiel qu&rsquo;il a &eacute;crit pour la radio allemande,&nbsp;<em>Tagstimmen</em>. Et une collaboration avec le Groupe d&rsquo;&eacute;tude et r&eacute;alisation musicales (GERM),&nbsp;<em>Souvenir d&rsquo;un voyage &agrave; Thouars</em>. Et dans cette petite matrice-l&agrave;, on a le sch&eacute;ma de ce qui sera son rapport &agrave; la radio comme &agrave; la litt&eacute;rature, revendiqu&eacute; absolument&nbsp;: varier les formes. Jamais deux fois la m&ecirc;me chose. Jamais deux fois le m&ecirc;me livre. Et, quand on regarde le menu de cet ACR 1972, jamais deux fois le m&ecirc;me type de pi&egrave;ce radiophonique. Il y a une grande coh&eacute;rence entre son travail d&rsquo;&eacute;criture &agrave; destination du livre, encore en grande partie en germe en 1972, et son existence de radio. Deux supports de cr&eacute;ation qui n&rsquo;en font manifestement qu&rsquo;une.</p> <h2><strong>3. Le&nbsp;</strong>H&ouml;rspiel comme solution litt&eacute;raire<br /> &nbsp;</h2> <p><strong>&nbsp;</strong>Cependant l&rsquo;histoire de Perec avec la radio ne commence pas avec l&rsquo;<em>ACR</em>, mais bien avec la radio allemande. Et en 1968, avec sa pi&egrave;ce&nbsp;<em>Die Maschine</em>,&nbsp;<em>La Machine</em>. C&rsquo;est un H&ouml;rspiel&nbsp;: un genre radiophonique typiquement allemand, ce &laquo;&nbsp;jeu pour l&rsquo;&eacute;coute &raquo; ‒&nbsp;pour traduire litt&eacute;ralement&nbsp;‒ qui n&rsquo;est ni une fiction, ni une pi&egrave;ce musicale, mais bien un genre non transposable sur un autre support que la radio.&nbsp;<em>Die Maschine</em>&nbsp;est l&rsquo;histoire d&rsquo;un ordinateur qui joue avec un po&egrave;me de Goethe et en &eacute;puise toutes les possibilit&eacute;s. Il y a des questions de protocoles, de mises en chiffres, d&rsquo;objectivisation du texte. C&rsquo;est la confrontation de la po&eacute;sie et de la machine&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>.</p> <p><em>Die Maschine</em>&nbsp;date de 1968. Or, 1968 est l&rsquo;ann&eacute;e commun&eacute;ment retenue pour marquer la nouvelle vague du H&ouml;rspiel allemand&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. La radio allemande avait d&eacute;j&agrave; fait appel &agrave; des auteurs fran&ccedil;ais &agrave; partir des ann&eacute;es cinquante, notamment des auteurs du Nouveau roman, pour qu&rsquo;ils produisent des H&ouml;rspiele&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>. Georges Perec se trouve dans cette continuit&eacute;, mais &agrave; un moment o&ugrave; cette forme prend encore plus d&rsquo;ampleur. Perec et son traducteur Eugen Helml&eacute; participent &agrave; ce renouveau. 1968, ce moment-l&agrave;, dans l&rsquo;histoire de Perec, est crucial. L&rsquo;ann&eacute;e pr&eacute;c&eacute;dente, en 1967, il a &eacute;t&eacute; coopt&eacute; &agrave; l&rsquo;Ouvroir de litt&eacute;rature potentielle, dont il sera un acteur majeur. Et 1969, c&rsquo;est la publication de&nbsp;<em>La Disparition</em>, ce lipogramme en &laquo;&nbsp;e&nbsp;&raquo; central dans l&rsquo;&oelig;uvre de Perec, m&ecirc;lant pleinement geste litt&eacute;raire et r&eacute;sonance intime. Voil&agrave; ce que disait Perec &agrave; propos du H&ouml;rspiel, sur sa pratique et comment celle-ci l&rsquo;a accompagn&eacute; et m&ecirc;me aid&eacute; dans sa pratique de l&rsquo;&eacute;criture en g&eacute;n&eacute;ral&nbsp;:</p> <blockquote> <p>L&rsquo;art du H&ouml;rspiel est pratiquement inconnu en France. Je le d&eacute;couvris au moment o&ugrave; s&rsquo;imposa pour moi le besoin de nouvelles techniques et de nouveaux cadres d&rsquo;&eacute;criture. Tr&egrave;s vite je m&rsquo;aper&ccedil;us qu&rsquo;une partie de mes pr&eacute;occupations formelles, de mes interrogations sur la valeur, le pouvoir, les fonctions de l&rsquo;&eacute;criture pouvaient y trouver des r&eacute;ponses, des solutions que je ne parvenais pas encore &agrave; trouver dans le cadre de mes recherches purement romanesques.</p> <p>L&rsquo;espace privil&eacute;gi&eacute; du H&ouml;rspiel &ndash; l&rsquo;&eacute;change des voix, le temps mesur&eacute;, le d&eacute;roulement logique d&rsquo;une situation &eacute;l&eacute;mentaire, la r&eacute;alit&eacute; de cette relation fragile et vitale que le langage peut entretenir avec la parole &ndash; sont ainsi devenus pour moi des axes primordiaux de mon travail d&rsquo;&eacute;crivain&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>.</p> </blockquote> <p>Quelque chose d&rsquo;essentiel pour Perec se passe dans cette courte p&eacute;riode. Il semble que la radio, et l&rsquo;&eacute;criture radiophonique, le lib&egrave;rent de quelque chose. Ou lui ouvrent des perspectives qui d&eacute;lient sa plume. Jusqu&rsquo;en 1975, Perec produira quatre autres H&ouml;rspiele, soit pour la Saarl&auml;ndischer Rundfunk, la radio sarroise, soit pour la WDR (Westdeutscher Rundfunk).</p> <p>Dans une interview r&eacute;alis&eacute;e par Bernard No&euml;l pour&nbsp;<em>Po&eacute;sie ininterrompue</em>&nbsp;sur France Culture le 20 f&eacute;vrier 1977, on entend Perec r&eacute;pondre &agrave; la question de la contrainte. Et il nous dit comment la contrainte lui permet de se structurer face au vide, au vertige, &agrave; l&rsquo;impossibilit&eacute; de l&rsquo;&eacute;criture sans elle. Il y a un parall&egrave;le et une concomitance entre ce rapport lib&eacute;ratoire &agrave; la contrainte et la d&eacute;couverte de l&rsquo;outil de la radio comme solution aux probl&egrave;mes d&rsquo;&eacute;criture. Le rien, le vide, le vertige sont aussi pr&eacute;sents dans la radio, comme &laquo;&nbsp;m&eacute;dia sans corps&nbsp;&raquo; qui passe outre et existe malgr&eacute; tout.</p> <h2><strong>4. Un papa papou</strong><br /> &nbsp;</h2> <p><strong>&nbsp;</strong>Il y a un autre espace radiophonique de cr&eacute;ation que Georges Perec a sinon nourri, en tout cas inspir&eacute; fortement. C&rsquo;est ce que dit Fran&ccedil;ois Treussard, qui animait l&rsquo;&eacute;mission&nbsp;<em>Des Papous dans la t&ecirc;te</em>, sur France Culture, lieu litt&eacute;raire et ludique. Perec est mort avant l&rsquo;arriv&eacute;e des Papous sur les ondes, mais il a contribu&eacute; volontiers aux &eacute;missions qui les ont pr&eacute;c&eacute;d&eacute;s. Ainsi, une des derni&egrave;res interventions de Perec &agrave; la radio a eu lieu le 14 novembre 1981, quelques petits mois avant sa mort le 2 mars 1982. Il alors est l&rsquo;invit&eacute; de&nbsp;<em>Mi-Fugue mi-raisin</em>, devant le micro de son coll&egrave;gue de l&rsquo;Oulipo Jacques Bens, pour une s&eacute;rie intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;Cinquante choses qu&rsquo;il ne faut tout de m&ecirc;me pas oublier de faire avant de mourir&hellip;&nbsp;&raquo;. Perec en donnera 37.</p> <p>D&rsquo;apr&egrave;s Fran&ccedil;oise Treussard, qui travaillait avec Bertrand J&eacute;r&ocirc;me sur les &eacute;missions&nbsp;<em>Mi-Fugue mi-raisin</em>,&nbsp;<em>Allegro ma non troppo</em>, ou&nbsp;<em>Le Cri du Homard</em>, Perec a &eacute;t&eacute; d&eacute;terminant dans la mise en place des&nbsp;<em>Papous dans la t&ecirc;te</em>&nbsp;quelques mois apr&egrave;s sa mort, dans les principes fondateurs de cette &eacute;mission l&eacute;gendaire de France Culture : l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une &eacute;criture orale, sous contraintes, &eacute;manant des auteurs eux-m&ecirc;mes, c&rsquo;est une post&eacute;rit&eacute; de Georges Perec dans la radio.</p> <h2><strong>&nbsp;5.&nbsp;</strong><strong>La grille Perec&nbsp;: ses libert&eacute;s et ses structures</strong><br /> &nbsp;</h2> <p><strong>&nbsp;</strong>Dans l&rsquo;Album Pl&eacute;iade qu&rsquo;il lui consacre, Claude Burgelin montre un Perec g&eacute;ographe, dont le projet au plus long cours fut celui des lieux (o&ugrave; s&rsquo;inscrivait donc&nbsp;<em>Tentative de description de choses vues&hellip;</em>). Perec en topographe collectionneur des lieux travers&eacute;s, intimes, et soulignant qu&rsquo;on ne les traverse jamais dans le m&ecirc;me &eacute;tat, de la m&ecirc;me mani&egrave;re. La m&eacute;moire des lieux, les traces&hellip;</p> <p>Ce qui frappe chez Georges Perec, c&rsquo;est une fascination pour la permanence des lieux. Avec, en regard et dans une sym&eacute;trie paradoxale, la fragilit&eacute; et le caract&egrave;re &eacute;ph&eacute;m&egrave;re de ceux et celles qui les traversent. Et c&rsquo;est tr&egrave;s li&eacute; &agrave; son histoire personnelle, &agrave; ses parents disparus&nbsp;‒&nbsp;c&rsquo;est ainsi qu&rsquo;on peut le lire un peu rapidement&nbsp;‒. Ce m&eacute;lange-l&agrave; caract&eacute;rise sa recherche litt&eacute;raire. Un m&eacute;lange entre le solide, le structurant, d&rsquo;une part, et le faible, le contingent, le mou, d&rsquo;autre part. Les deux &eacute;tant combin&eacute;s. Et on en tire cette question&nbsp;: comment se donner une existence pleine et souple au c&oelig;ur de structures solides et qui durent ? Or, Perec a travers&eacute; les diff&eacute;rents genres de la radio, ses diff&eacute;rents espaces, et jamais deux fois de la m&ecirc;me mani&egrave;re, comme il n&rsquo;a jamais &eacute;crit deux fois le m&ecirc;me type de livre. Nous avons la faiblesse de penser que ces deux dimensions sont li&eacute;es.</p> <p style="text-align: center;"><b>*</b></p> <p>Dans&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>, le lecteur parcourt tout l&rsquo;immeuble de la rue Simon-Crubellier et passe d&rsquo;une pi&egrave;ce &agrave; l&rsquo;autre de l&rsquo;immeuble sans jamais traverser deux fois la m&ecirc;me pi&egrave;ce. Et quand on voit le plan que Perec avait fait de la vue en coupe de l&rsquo;immeuble, dans ses documents pr&eacute;paratoires, quelque chose saute aux yeux&nbsp;: cela ressemble beaucoup &agrave; une grille de programmes. Le sch&eacute;ma est le m&ecirc;me. Les murs sont les structures solides, les pi&egrave;ces sont les espaces libres. Mais imaginons ce qu&rsquo;aurait donn&eacute; une grille de programmes sous contraintes dessin&eacute;e par Perec (par ailleurs aussi concepteur de mots crois&eacute;s)&nbsp;: &eacute;missions souples et pleines, dans une structure radiophonique r&eacute;fl&eacute;chie. Georges Perec n&rsquo;&eacute;tait pas un auteur de radio, mais un auteur&nbsp;<em>dans</em>&nbsp;la radio, lui qui en avait pratiqu&eacute; quasiment toute la palette.</p> <h2><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h2> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;Les Cocotiers sont arriv&eacute;s&nbsp;&raquo; reprend son titre &agrave; un texte &eacute;crit en collaboration avec David Christoffel pour le Cahier Perec des &Eacute;ditions de l&rsquo;Herne&nbsp;: &laquo;&nbsp;&ldquo;Les cocotiers sont arriv&eacute;s&rdquo; &ndash; Radio Perec&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Cahier Perec</em>, Claude Burgelin, Maryline Heck, Christelle Reggiani (dir.), 2016, p.&nbsp;142-153. Cet article synth&eacute;tisait&nbsp;certains &eacute;l&eacute;ments de recherches pr&eacute;existantes, notamment celles de Hans Hartje (&laquo;&nbsp;Georges Perec et le &ldquo;neues H&ouml;rspiel&rdquo; allemand&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>&Eacute;critures radiophoniques</em>, Isabelle Chol et Christian Moncelet (dir.), Clermont-Ferrand, Universit&eacute; de Clermont-Ferrand, 1997, en ligne&nbsp;<a href="http://oumupo.org/~gperec/hartje_perec.pdf" target="_blank">ici</a>&nbsp;; &laquo;&nbsp;Les pi&egrave;ces radiophoniques de Georges Perec&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>&Agrave; travers les modes</em>, Robert Kahn (dir.), Rouen, Presses universitaires de Rouen, 2004).</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;&nbsp;&nbsp; Jacques Roubaud &laquo;&nbsp;Obstination de la po&eacute;sie&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Le Monde diplomatique</em>, janvier 2010 (en ligne&nbsp;<a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2010/01/ROUBAUD/18717" target="_blank">ici</a>).</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;<em>Album Georges Perec</em>, par Claude Burgelin, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade&nbsp;&raquo;, 2017, p.103.</p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;Werner Klippert, le r&eacute;alisateur allemand de&nbsp;<em>Die Maschine</em>, rapproche Perec des recherches modernistes de Max Bense et de son &Eacute;cole de Stuttgart. Sur Bense, on lira avec profit l&rsquo;article de Fran&ccedil;oise Joly et Beatrice Nickel, &laquo;&nbsp;L&rsquo;&ldquo;&Eacute;cole de Stuttgart&rdquo; et les nouveaux romanciers&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>Aventures radiophoniques du Nouveau Roman</em>, Pierre-Marie H&eacute;ron, Fran&ccedil;oise Joly, Annie Pibarot (dir.), Rennes, PUR, coll. &laquo;&nbsp;Interf&eacute;rences&nbsp;&raquo;, 2017, p.&nbsp;219-230.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;&nbsp;&nbsp; Hans Hartje, &laquo;&nbsp;Georges Perec et le &ldquo;neues H&ouml;rspiel&rdquo; allemand&nbsp;&raquo;, art. cit.</p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;V. Pierre-Marie H&eacute;ron, Fran&ccedil;oise Joly, Annie Pibarot (dir.), Aventures radiophoniques du Nouveau Roman,&nbsp;<em>op. cit.</em></p> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;&nbsp;&nbsp; Note manuscrite de Perec laiss&eacute;e chez son traducteur allemand et ami, cit&eacute;e par David Bellos,&nbsp;<em>Georges Perec, une vie dans les mots,</em>&nbsp;Paris, Seuil, 1994, p.&nbsp;&nbsp;407.</p> <h3>Auteur</h3> <p><strong>Thomas Baumgartner</strong>&nbsp;est journaliste et auteur. Il a &eacute;t&eacute; producteur &agrave; France Culture (de 2006 &agrave; 2016) et r&eacute;dacteur en chef de Radio Nova (2016-2018). Il a publi&eacute;&nbsp;<em>L&rsquo;Oreille en coin, une radio dans la radio</em>&nbsp;(Nouveau Monde, 2007),&nbsp;<em>Le Go&ucirc;t de la radio et autres sons</em>&nbsp;(Mercure de France, 2013) et tout derni&egrave;rement des &ldquo;Notes sur la radio&rdquo;, sous le titre&nbsp;<em>L&rsquo;Hypoth&egrave;se du baobab</em>&nbsp;(Hippocampe &eacute;ditions, 2019).&nbsp;Il est l&rsquo;auteur par ailleurs, en 2015, d&rsquo;un r&eacute;cit pour &eacute;crans,&nbsp;<em>Corps chinois couteau suisse</em>&nbsp;(&eacute;d. Emoticourt) et d&rsquo;un court d&eacute;tournement litt&eacute;raire,&nbsp;<em>Longtemps, je me suis couch&eacute; de bonne heure pour raisons de s&eacute;curit&eacute;&nbsp;</em>(&eacute;d. Le Monte-en-l&rsquo;air).&nbsp;La m&ecirc;me ann&eacute;e, il a imagin&eacute;&nbsp;<em>Sur les bancs</em>, un dispositif sonore immersif dans les parcs parisiens, faisant appel &agrave; une dizaine d&rsquo;auteurs contemporains.&nbsp;Il&nbsp;a sign&eacute;&nbsp;l&rsquo;ann&eacute;e derni&egrave;re&nbsp;sur Nova&nbsp;une s&eacute;rie radiophonique sur la paresse, intitul&eacute;e&nbsp;<em>Un &eacute;t&eacute; &agrave; ne rien faire (m&eacute;thode)</em>.</p> <p><strong>Copyright</strong></p> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>