<h3>Abstract</h3> <p>If H&eacute;l&egrave;ne Cixous&rsquo;s radiophonic writing is a minor part of her work, the two pieces she wrote for the&nbsp;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>&nbsp;(1973&nbsp;; 2005) indicate nonetheless a singular relationship between dreaming as a source of creative inspiration and radio as the medium of oniric activity&nbsp;<em>par excellence.&nbsp;</em>Associated with dreaming<em>,&nbsp;</em>the motif of the eyes closed actually evoks the acousmatic phenomenon of the radio. Furthermore, like dreams, radiophonic writing for Cixous is a plunging into the personal and historical memory, and a journey through the kingdom of the dead. The present article examines&nbsp;<em>Portrait de Dora</em>, broadcasted in 1973, which is a rewriting of Freud&rsquo;s Case study on Dora, and&nbsp;<em>Ceci est un exercice de r&ecirc;ve</em>, broacasted 30 years later, in 2005, in order to see how the dream-work and the radiophonic writing are articulated.</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p>France Culture, radio creation workshop, portrait of Dora, this is a dream exercise,&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&laquo;&nbsp;L&rsquo;autre vie&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est ainsi qu&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous nomme, en &eacute;cho &agrave; la c&eacute;l&egrave;bre formule du po&egrave;te G&eacute;rard de Nerval, le myst&eacute;rieux monde des r&ecirc;ves, dont elle n&rsquo;a jamais cach&eacute; qu&rsquo;il constitue l&rsquo;une des sources actives de son &eacute;criture de fiction depuis ses commencements. Dans les r&ecirc;ves, c&rsquo;est &laquo;&nbsp;l&rsquo;autre monde&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a><em>&nbsp;&raquo;,</em>&nbsp;&eacute;crit celle qui se dit &laquo;&nbsp;drogu&eacute;e au r&ecirc;ve&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>&nbsp;&raquo; et dont les textes sont&nbsp;&laquo;&nbsp;dict&eacute;s de nuit&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>&nbsp;&raquo; : &laquo;&nbsp;on y est sans effort, en fermant les portes des yeux&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;; c&rsquo;est l&agrave;, dit-elle encore, o&ugrave; &laquo;&nbsp;reviennent vivants les morts bien-aim&eacute;s&nbsp;&raquo;. Si l&rsquo;on&nbsp;<em>ferme les portes des yeux,</em>&nbsp;c&rsquo;est pour percer, comme le dit Nerval, les &laquo;&nbsp;portes d&rsquo;ivoire ou de corne qui nous s&eacute;parent du monde invisible&nbsp;&raquo;. Derri&egrave;re ces portes, affirme le po&egrave;te, &laquo;&nbsp;le&nbsp;<em>moi</em>, sous une autre forme, continue l&rsquo;&oelig;uvre de l&rsquo;existence&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p>Les portes d&rsquo;ivoire ou de corne, appel&eacute;es &eacute;galement les Portes du Sommeil, sont une r&eacute;f&eacute;rence explicite au chant XIX de l&rsquo;<em>Odyss&eacute;e</em>&nbsp;: P&eacute;n&eacute;lope, qui attend Ulysse depuis pr&egrave;s de vingt ans, raconte, tout en s&rsquo;interrogeant sur le sens de cette vision, qu&rsquo;elle vient de faire un r&ecirc;ve pouvant signifier le retour de son mari. L&rsquo;image des portes est reprise par Virgile dans son&nbsp;<em>&Eacute;neide&nbsp;:</em>&nbsp;apr&egrave;s avoir d&eacute;crit la descente d&rsquo;&Eacute;n&eacute;e, conduit par la Sibylle de Cumes, aux enfers, Virgile rapporte par la bouche d&rsquo;Anchise, le p&egrave;re du h&eacute;ros, que les r&ecirc;ves seront envoy&eacute;s par les &acirc;mes des morts&nbsp;: ceux qui racontent la v&eacute;rit&eacute; sortiront par une porte de corne, tandis que les r&ecirc;ves trompeurs emprunteront une porte d&rsquo;ivoire.</p> <p>Le dispositif&nbsp;qui consiste &agrave; &laquo;&nbsp;fermer les portes des yeux&nbsp;&raquo; tout en empruntant, pour reprendre les mots de Cixous, &laquo;&nbsp;les couloirs magiques de la nuit&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>&nbsp;&raquo;, appara&icirc;t paradoxal dans la mesure o&ugrave; c&rsquo;est pour&nbsp;<em>mieux voir</em>&nbsp;<em>du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;invisible</em>&nbsp;que l&rsquo;&eacute;crivaine nous invite &agrave;&nbsp;<em>renoncer &agrave; voir</em>,&nbsp;<em>renoncer &agrave; regarder</em>&nbsp;: de l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute; en effet se loge, dit-elle, &laquo; le&nbsp;monde de la vision, de l&rsquo;illumination&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>&nbsp;&raquo;, qui fait &eacute;cho &agrave; la &laquo;&nbsp;clart&eacute; nouvelle&nbsp;[qui] illumine&nbsp;&raquo; et aux &laquo;&nbsp;visions&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>&nbsp;&raquo; &eacute;voqu&eacute;es jadis par Nerval. En donnant acc&egrave;s &agrave; l&rsquo;autre monde, le r&ecirc;ve selon Cixous permet ainsi de voir autrement, de&nbsp;<em>pratiquer une autre forme du voir</em>, de penser une autre forme de visible.</p> <p>Ce dispositif se rapproche singuli&egrave;rement de celui de la radio. Le fait de&nbsp;<em>ne pas voir</em>&nbsp;est en effet le propre de celle-ci&nbsp;; elle cr&eacute;e ainsi, faut-il le rappeler, une situation acousmatique, c&rsquo;est-&agrave;-dire une situation o&ugrave; &laquo;&nbsp;l&rsquo;on entend le son sans&nbsp;<em>voir</em>&nbsp;la cause dont il provient&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>&nbsp;&raquo;. En tant qu&rsquo;univers sonore sans visualit&eacute;, la radio repose exclusivement sur les ressources de l&rsquo;oralit&eacute; et du son, c&rsquo;est-&agrave;-dire sur les vibrations de celui-ci, les tessitures et les singularit&eacute;s des voix, la musique, le silence, etc. Ainsi, la radio amplifie les diverses sensations auditives, ou plut&ocirc;t rend l&rsquo;auditeur plus attentif &agrave; celles-ci.</p> <p>La parent&eacute; entre le dispositif de la radio et l&rsquo;exp&eacute;rience du r&ecirc;ve tel que le pense H&eacute;l&egrave;ne Cixous repose donc sur cette premi&egrave;re &eacute;tape&nbsp;:&nbsp;avoir les yeux clos, pour que s&rsquo;accroissent d&rsquo;autres sensibilit&eacute;s, pour que s&rsquo;&eacute;veillent d&rsquo;autres sens, d&rsquo;autres mani&egrave;res de voir et de percevoir. Par ailleurs, l&rsquo;allusion catachr&eacute;tique aux portes dans ce contexte (&laquo;&nbsp;les portes des yeux&nbsp;&raquo;) rappelle le lien qu&rsquo;&eacute;tablit Virgile entre le monde du sommeil et l&rsquo;exp&eacute;rience du royaume des morts&nbsp;: r&ecirc;ver pour H&eacute;l&egrave;ne Cixous revient n&eacute;cessairement &agrave; rencontrer&nbsp;<em>les ombres</em>. C&rsquo;est ainsi une autre exp&eacute;rience de la mort qui se trouve &eacute;prouv&eacute;e ; faisant du songe une all&eacute;gorie &agrave; l&rsquo;instar de Virgile qui all&eacute;gorisait les cr&eacute;atures gardant l&rsquo;entr&eacute;e du royaume des morts (les Deuils, les Soucis, la triste Vieillesse, etc.), l&rsquo;&eacute;crivaine r&eacute;v&egrave;le que&nbsp;&laquo;&nbsp;chez le R&ecirc;ve, la mort devient ce qu&rsquo;elle est : une&nbsp;<em>s&eacute;paration seulement presque interminable</em>, interrompue par des retrouvailles br&egrave;ves et extatiques, dans une rame de m&eacute;tro ou dans un train&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <p>Je voudrais examiner ce rapport entre&nbsp;<em>r&ecirc;ve et radio</em>&nbsp;&agrave; partir de deux cr&eacute;ations radiophoniques d&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous, &eacute;crites &agrave; plus de trente ans d&rsquo;intervalle pour l&rsquo;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>, &agrave; savoir&nbsp;<em>Portrait de Dora</em>, diffus&eacute; en mai 1973, qui constitue une r&eacute;&eacute;criture du c&eacute;l&egrave;bre cas Dora de Freud&nbsp;; et&nbsp;<em>Ceci est un exercice de r&ecirc;ve,</em>&nbsp;diffus&eacute; en novembre 2005. Ces deux pi&egrave;ces apparaissent en effet embl&eacute;matiques&nbsp;de ce lien singulier qui existe chez H&eacute;l&egrave;ne entre&nbsp;<em>travail de r&ecirc;ve</em>&nbsp;et&nbsp;<em>&eacute;criture radiophonique</em>.</p> <h2><strong>1.&nbsp;<em>Portrait de Dora</em></strong><a href="#_ftn12" name="_ftnref12"><strong><strong>[12]</strong></strong></a><strong>&nbsp;: une r&eacute;volte f&eacute;ministe. R&ecirc;ver, r&eacute;sister</strong><br /> &nbsp;</h2> <h3>&nbsp;1.1.&nbsp;<strong>La r&eacute;&eacute;criture d&rsquo;un cas freudien par la fiction</strong></h3> <p>La pi&egrave;ce radiophonique&nbsp;<em>Portrait de Dora</em>, r&eacute;alis&eacute;e par Jean-Jacques Vierne, a &eacute;t&eacute; diffus&eacute;e en deux parties dans le cadre de l&rsquo;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>&nbsp;les 22 et 29 mai 1973. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une r&eacute;&eacute;criture du &laquo;&nbsp;cas Dora&nbsp;&raquo; de Freud, publi&eacute; officiellement en 1905 sous le titre&nbsp;<em>Fragment d&rsquo;une analyse d&rsquo;hyst&eacute;rie&nbsp;</em><a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a><em>,</em>&nbsp;et il est int&eacute;ressant de noter que le cas devait avoir pour titre &agrave; l&rsquo;origine &laquo;&nbsp;R&ecirc;ve et Hyst&eacute;rie&nbsp;&raquo;. La cure a eu lieu &agrave; la fin de l&rsquo;ann&eacute;e 1899, au moment m&ecirc;me o&ugrave; paraissait &agrave; Vienne&nbsp;<em>L&rsquo;Interpr&eacute;tation des r&ecirc;ves</em>&nbsp;(<em>Die</em>&nbsp;<em>Traumdeutung</em>). Il s&rsquo;agit du cas clinique le plus c&eacute;l&egrave;bre de Freud et qui demeure l&rsquo;&eacute;claircissement par excellence, dans le champ analytique, de la n&eacute;vrose hyst&eacute;rique.</p> <p>R&eacute;sumons-le en quelques lignes : en octobre 1900, une jeune femme âgée de 18 ans, Ida Bauer (à qui Freud a donné le pseudonyme de Dora), est conduite par son père chez Freud. Ayant trouvé une note de suicide sur son bureau, le père s&rsquo;inquiétait de ce que sa fille allait tenter de se donner la mort. Selon le père, ce dont Dora souffrait et les raisons pour lesquelles il voulait la faire soigner par Freud sont liés à deux événements qui ont eu lieu durant son adolescence. Le premier incident s&rsquo;est produit à l&rsquo;âge de treize ans et demi et impliquait Monsieur K., le mari de l&rsquo;amante de son père, qui s&rsquo;était trouvé seul avec elle dans son magasin et avait essayé de l&rsquo;embrasser, provoquant la r&eacute;pugnance de la jeune fille. Le deuxième incident a eu lieu lors d&rsquo;une visite, à l&rsquo;âge de quinze ans et demi, chez le couple K. La &laquo;&nbsp;scène du lac&nbsp;&raquo;, comme l&rsquo;a baptisée Freud, a eu lieu à la maison de campagne où monsieur K. a fait des avances à la jeune fille. Cette fois-ci Dora ne s&rsquo;est pas tue ; au contraire elle a fait un scandale de l&rsquo;événement en racontant ce qui s&rsquo;était passé à sa mère et en quittant inopinément l&rsquo;endroit. Tout le monde s&rsquo;est arrangé pour accuser Dora d&rsquo;avoir fantasmé cette scène de séduction et cette ingérence pédophile. Dans le chapitre &laquo;&nbsp;L&rsquo;&eacute;tat de la maladie&nbsp;&raquo; qui est l&rsquo;occasion pour Freud de rappeler le sens que peut prendre pour lui la &laquo;&nbsp;fable d&rsquo;&OElig;dipe&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>&nbsp;&raquo;, Freud expose ses hypoth&egrave;ses selon lesquelles les sympt&ocirc;mes de Dora (toux, aphonie, &eacute;pisode d&eacute;pressif) seraient li&eacute;s &agrave; un conflit psychique tournant autour de l&rsquo;amour pour son p&egrave;re, aupr&egrave;s de qui elle aurait &eacute;t&eacute; &eacute;vinc&eacute;e par l&rsquo;amante de ce dernier, Madame K. ; conflit qui lui ferait refuser simultan&eacute;ment les avances de Monsieur K. Au cours de la cure, Dora fait deux r&ecirc;ves importants, auxquels Freud consacre deux chapitres entiers&nbsp;(&laquo;&nbsp;Le premier r&ecirc;ve&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Le second r&ecirc;ve&nbsp;&raquo;)&nbsp;: le r&ecirc;ve de l&rsquo;incendie et celui de la promenade dans une ville &eacute;trang&egrave;re, qui joueront un r&ocirc;le essentiel dans la conduite de l&rsquo;analyse. Cherchant &agrave; &eacute;tablir l&rsquo;&eacute;tiologie de la n&eacute;vrose hyst&eacute;rique tout en v&eacute;rifiant sa th&eacute;orie du r&ecirc;ve et celle du complexe d&rsquo;&OElig;dipe, Freud produit paradoxalement un r&eacute;cit qui laisse peu d&rsquo;espace &agrave; la parole de Dora&nbsp;: par exemple, les moments o&ugrave; elle raconte ses r&ecirc;ves sont pratiquement les seuls passages au discours direct. En outre, peu d&rsquo;espace est donn&eacute; &agrave; l&rsquo;incertitude, &agrave; la suspension du jugement, au doute de mani&egrave;re plus g&eacute;n&eacute;rale. La fin de la cure, on le sait, survient lorsque Dora quitte Freud pr&eacute;cipitamment, abandonnant l&rsquo;analyse apr&egrave;s trois mois &ndash; &laquo;&nbsp;comme une gouvernante donne son cong&eacute; quinze jours &agrave; l&rsquo;avance&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>&nbsp;&raquo;, selon la formule de Freud lui-m&ecirc;me &ndash; mais s&rsquo;abandonnant aussi elle-m&ecirc;me d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on, puisque, de fait, elle interrompt le travail analytique commenc&eacute; avec lui. Sans que Freud le dise explicitement, la cure aura &eacute;t&eacute; un &eacute;chec pour lui.</p> <p>Au d&eacute;but des ann&eacute;es 1970, lorsqu&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous est invit&eacute;e &agrave; &eacute;crire une pi&egrave;ce pour l&rsquo;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>, la soci&eacute;t&eacute; fran&ccedil;aise conna&icirc;t sa deuxi&egrave;me vague de lutte f&eacute;ministe dont le Mouvement de Lib&eacute;ration des Femmes (MLF), s&rsquo;inscrivant dans le sillage du&nbsp;<em>Women&rsquo;s Lib</em>&nbsp;aux &Eacute;tats-Unis, est l&rsquo;un des principaux acteurs. N&eacute;e en Alg&eacute;rie, l&rsquo;&eacute;crivaine H&eacute;l&egrave;ne Cixous, qui a d&eacute;j&agrave; fait para&icirc;tre cinq ouvrages de fiction en 1973, dont l&rsquo;un,&nbsp;<em>Dedans</em>&nbsp;(1969), lui a valu le Prix M&eacute;dicis, participe au mouvement et cherche &agrave; traduire dans son &oelig;uvre ce d&eacute;sir d&rsquo;&eacute;mancipation et de libert&eacute;. Elle s&rsquo;int&eacute;resse par ailleurs &agrave; la psychanalyse et &agrave; ses potentialit&eacute;s cr&eacute;atrices, mais elle ne peut pas ne pas voir en m&ecirc;me temps la normativit&eacute; de ce champ th&eacute;orique et sa tendance, d&egrave;s les moments fondateurs, &agrave; reconduire des sch&eacute;mas de pens&eacute;e patriarcaux et androcentr&eacute;s. Cixous, comme bon nombre de féministes avant elle, cherche notamment à interroger les prémisses freudiennes sur l&rsquo;hystérie afin de dévoiler sa prétention à l&rsquo;objectivité scientifique au nom de laquelle l&rsquo;on excluait toute une génération de femmes du discours émancipateur de la modernité, autrement dit au nom de laquelle toute expression de r&eacute;volte ou de protestation de la part d&rsquo;une femme &eacute;tait pathologis&eacute;e comme hyst&eacute;rique. C&rsquo;est dans ce contexte qu&rsquo;elle &eacute;crit la pi&egrave;ce radiophonique&nbsp;<em>Portrait de Dora</em>, dont certains passages figurent dans son roman polyphonique&nbsp;<em>Portrait du soleil</em>, qui para&icirc;t la m&ecirc;me ann&eacute;e, dont Dora est l&rsquo;un des personnages&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>. En r&eacute;ouvrant le cas Dora dans le cadre d&rsquo;une fiction radiophonique et d&rsquo;un roman, Cixous cherche non seulement &agrave; remettre Dora au centre de la cure, mais aussi &agrave; redonner place aux voix int&eacute;rieures qui l&rsquo;ont travers&eacute;e et aux d&eacute;sirs qui ont &eacute;t&eacute; &eacute;touff&eacute;s pendant le travail analytique effectu&eacute; avec Freud. Trois ans plus tard, en f&eacute;vrier 1976, la pi&egrave;ce sera mont&eacute;e par Simone Benmussa au Petit Th&eacute;&acirc;tre d&rsquo;Orsay (Compagnie Renaud-Barrault) puis publi&eacute;e aux &Eacute;ditions des femmes&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>.&nbsp;<em>Portrait de Dora</em>&nbsp;est l&rsquo;une des pi&egrave;ces de th&eacute;&acirc;tre les plus connues d&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous, mais peu de gens savent que le texte &nbsp;a d&rsquo;abord &eacute;t&eacute; une cr&eacute;ation radiophonique<strong>,&nbsp;</strong>c&rsquo;est-&agrave;-dire une cr&eacute;ation destin&eacute;e d&rsquo;abord et avant tout &agrave; des voix. La pi&egrave;ce radiophonique de 1973 et la version mise en sc&egrave;ne&nbsp;en 1976 sont assez proches&nbsp;; n&eacute;anmoins la version de 1976&nbsp;est plus complexe dans la mesure o&ugrave; sont venues s&rsquo;ajouter des s&eacute;quences film&eacute;es par Marguerite Duras, incluant notamment la participation dans&eacute;e de Carolyn Carlson, et o&ugrave; un principe de s&eacute;paration du plateau&nbsp;en diff&eacute;rents espaces a permis de repr&eacute;senter simultan&eacute;ment les diff&eacute;rentes temporalit&eacute;s de l&rsquo;histoire de Dora, ces temporalit&eacute;s &eacute;tant indiqu&eacute;es dans les didascalies.</p> <p>La pi&egrave;ce radiophonique&nbsp;s&rsquo;ouvre avec la voix de Dora donnant, en guise de prologue, des &laquo;&nbsp;instructions pour faire le portrait de Dora&nbsp;&raquo;<em>.&nbsp;</em>Elle semble s&rsquo;adresser &agrave; son analyste (&laquo;&nbsp;Vous m&rsquo;appellerez Dora &raquo;), mais les pistes sont brouill&eacute;es, l&rsquo;interlocuteur pourrait tout aussi bien &ecirc;tre Monsieur K. Elle annonce ensuite la pr&eacute;sence de trois &laquo;&nbsp;joueurs&nbsp;&raquo;&nbsp;: se met donc en place un&nbsp;<em>jeu</em>&nbsp;comprenant &laquo;&nbsp;divers lieux, divers sc&egrave;nes&nbsp;&raquo;, qui n&rsquo;est pas sans rappeler le sordide &laquo;&nbsp;man&egrave;ge&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>&nbsp;&raquo; orchestr&eacute; par les deux couples adultes. Apr&egrave;s cette br&egrave;ve entr&eacute;e en mati&egrave;re, on entend la voix de Freud prononcer la phrase suivante :</p> <blockquote> <p>Ces &eacute;v&eacute;nements s&rsquo;annoncent, comme une ombre, dans les r&ecirc;ves, ils deviennent souvent si distincts qu&rsquo;on croit les saisir d&rsquo;une fa&ccedil;on palpable, mais, malgr&eacute; cela, ils &eacute;chappent &agrave; un &eacute;claircissement d&eacute;finitif, et si l&rsquo;on proc&egrave;de sans habilet&eacute; ni prudence particuli&egrave;re, on ne peut arriver &agrave; d&eacute;cider si une pareille sc&egrave;ne a r&eacute;ellement eu lieu&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>.</p> </blockquote> <p>Or il s&rsquo;agit ici des vrais mots de Freud : en effet, la phrase vient d&rsquo;une note pr&eacute;lev&eacute;e dans un autre texte c&eacute;l&egrave;bre de lui, tir&eacute; de&nbsp;<em>Cinq psychanalyses,</em>&nbsp;concernant non pas Dora mais un autre patient surnomm&eacute; &laquo;&nbsp;l&rsquo;Homme aux rats&nbsp;&raquo; qui &eacute;tait, lui, atteint d&rsquo;une grave n&eacute;vrose obsessionnelle&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>. Dans ce passage, Freud tente de cerner les rapports entre &eacute;v&eacute;nement, souvenirs et fantasme. Le fait d&rsquo;introduire cet intertexte, f&ucirc;t-ce une note de bas de page, n&rsquo;est pas innocent de la part de Cixous puisqu&rsquo;&agrave; travers ces mots, Freud reconna&icirc;t ‒&nbsp;ce qui est plut&ocirc;t rare chez lui&nbsp;‒ que certains &eacute;v&eacute;nements &eacute;voqu&eacute;s au cours de la cure peuvent parfois &laquo;&nbsp;&eacute;chappe[r] &agrave; un &eacute;claircissement d&eacute;finitif&nbsp;&raquo;. H&eacute;l&egrave;ne Cixous fait donc dire &agrave; Freud, d&egrave;s l&rsquo;entr&eacute;e de sa pi&egrave;ce, que les questions entourant Dora et sa maladie ne seront peut-&ecirc;tre pas enti&egrave;rement r&eacute;solues. Freud reprend ensuite son discours&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>&nbsp;&nbsp;et &eacute;voque &agrave; ce moment-l&agrave; la notion de transfert. En r&eacute;alit&eacute;, Cixous met ici dans la bouche de Freud un passage de la Postface &agrave;&nbsp;<em>Fragment d&rsquo;une analyse d&rsquo;hyst&eacute;rie</em>&nbsp;o&ugrave; le psychanalyste explique le concept-cl&eacute; de transfert qu&rsquo;il a &eacute;labor&eacute; justement durant la cure de Dora par le biais de la m&eacute;taphore de l&rsquo;&eacute;dition d&rsquo;un livre&nbsp;: les transferts sont, explique Freud, &laquo;&nbsp;des r&eacute;&eacute;ditions, des reproductions des motions et fantaisies appel&eacute;es &agrave; &ecirc;tre &eacute;veill&eacute;es tandis que l&rsquo;analyse avance s&rsquo;accompagnant d&rsquo;un remplacement &ndash; caract&eacute;ristique de toute cette cat&eacute;gorie &ndash; d&rsquo;une personne ant&eacute;rieure par la personne de l&rsquo;analyste [&hellip;]&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>&nbsp;&raquo;. Lorsqu&rsquo;ils reproduisent &agrave; l&rsquo;identique le prototype de lien, les transferts sont, insiste Freud, &laquo;&nbsp;de simples r&eacute;impressions, des r&eacute;&eacute;ditions non modifi&eacute;es&nbsp;&raquo;&nbsp;; d&rsquo;autres, fabriqu&eacute;s avec plus d&rsquo;art, constituent selon lui des &laquo;&nbsp;&eacute;ditions revues et corrig&eacute;es, et non plus de simples r&eacute;impressions&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>&nbsp;&raquo;. Encore une fois, ce n&rsquo;est pas fortuit que ces mots de Freud, qu&rsquo;il a lui-m&ecirc;me &eacute;crits, soient prononc&eacute;s ici : Cixous semble en effet pointer, d&egrave;s les premi&egrave;res minutes de la fiction radiophonique, l&rsquo;&eacute;chec de Freud, &agrave; savoir l&rsquo;analyse du transfert et du contre-transfert (pour aller vite). Il est reconnu en effet depuis assez longtems que l&rsquo;&eacute;chec de la cure de Dora s&rsquo;explique par le fait que Freud, en raison de son contre-transfert, est revenu trop constamment sur l&rsquo;amour que Monsieur K. pouvait inspirer &agrave; Dora, ce qui l&rsquo;a emp&ecirc;ch&eacute;&nbsp;de voir la motion homosexuelle qui attirait Dora vers Madame K. et ce qui s&rsquo;y jouait.</p> <p>S&rsquo;amorce alors un dialogue entre Freud et Dora : &laquo;&nbsp;Si vous osez m&rsquo;embrasser, s&rsquo;&eacute;crie la jeune fille, je vous donnerai une gifle&nbsp;!&nbsp;&raquo; La sc&egrave;ne du lac, au cours de laquelle Monsieur K. a tent&eacute; d&rsquo;embrasser Dora qui le gifle et s&rsquo;enfuit, semble ainsi se rejouer entre Dora et Freud. &Eacute;videmment, c&rsquo;est H&eacute;l&egrave;ne Cixous qui imagine cette sc&egrave;ne de s&eacute;duction explicite entre Dora et son analyste, mais cette fa&ccedil;on d&rsquo;int&eacute;grer un &eacute;l&eacute;ment du pass&eacute; dans le temps de l&rsquo;&eacute;nonciation permet d&rsquo;introduire un nouveau rapport de temporalit&eacute; entre ce qui constitue le &laquo;&nbsp;pr&eacute;sent&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire le moment de la cure, et le &laquo;&nbsp;pass&eacute;&nbsp;&raquo;.</p> <h3>1.2.&nbsp;<strong>Une pi&egrave;ce composite permettant l&rsquo;amplification d&rsquo;une voix</strong></h3> <p>La structure dramatique de la pi&egrave;ce ne rel&egrave;ve pas des formes th&eacute;&acirc;trales habituelles (trag&eacute;die, drame, etc.). Fragment&eacute;e en plusieurs segments plus ou moins identifiables, elle est construite autour du dialogue entre Freud et Dora qui forme une sorte de&nbsp;<em>r&eacute;cit-cadre</em>&nbsp;et d&eacute;ploie, de mani&egrave;re intriqu&eacute;e et sans ordre chronologique apparent, les quatre grands moments de la cure que sont&nbsp;: le r&eacute;cit de la sc&egrave;ne du lac (qui est une sc&egrave;ne de s&eacute;duction), le premier r&ecirc;ve, le second r&ecirc;ve et l&rsquo;<em>acting-out</em>&nbsp;final de Dora interrompant l&rsquo;analyse. Sa particularit&eacute;, autrement dit, est de m&ecirc;ler les temps du pass&eacute; et du pr&eacute;sent, et donc de ne pas faire de hi&eacute;rarchie entre les souvenirs et ce qui se rejoue dans la cure. Le &laquo;&nbsp;pr&eacute;sent&nbsp;&raquo; correspond au dispositif analytique, c&rsquo;est-&agrave;-dire au moment o&ugrave; Freud et Dora sont r&eacute;unis&nbsp;; il n&rsquo;est d&rsquo;ailleurs peut-&ecirc;tre pas inutile de rappeler que le dispositif analytique, &agrave; l&rsquo;instar de la radio, rel&egrave;ve pr&eacute;cis&eacute;ment d&rsquo;une situation acousmatique telle que nous l&rsquo;avons d&eacute;finie plus haut puisque l&rsquo;analysant ne voit pas l&rsquo;analyste qui pourtant lui parle &ndash; et surtout l&rsquo;&eacute;coute. Ainsi, l&rsquo;on pourrait voir dans&nbsp;<em>Portrait de Dora</em>&nbsp;une mise en abyme de la radio qui, en retour, se trouve dot&eacute;e de vertus analytiques insoup&ccedil;onn&eacute;es du simple fait que le son est coup&eacute; de sa source. C&rsquo;est cela aussi qui permet que les &eacute;poques et les temps puissent se m&ecirc;ler. &Agrave; cet &eacute;gard, la pi&egrave;ce est construite, dans sa quasi-totalit&eacute;, selon un agencement singulier o&ugrave; les&nbsp; &eacute;v&eacute;nements du pass&eacute; sont int&eacute;gr&eacute;s &agrave; l&rsquo;&eacute;nonciation plut&ocirc;t que racont&eacute;s comme des souvenirs&nbsp;: ainsi, par exemple, les discussions que Dora a eues avec Madame K. lorsqu&rsquo;elle allait rendre visite au couple d&rsquo;amis de ses parents, discussions que Dora rapporte &agrave; Freud dans le cadre de la cure, sont&nbsp;<em>parl&eacute;es</em>&nbsp;par les personnages eux-m&ecirc;mes, comme en t&eacute;moigne ce passage, reproduit par ailleurs dans la version th&eacute;&acirc;trale de 1976 :</p> <blockquote> <p>MADAME K</p> <p>Vous savez que vous pouvez tout me dire et tout me demander. Il n&rsquo;existe rien que je doive vous cacher.</p> </blockquote> <p>N&eacute;anmoins, pour marquer la diff&eacute;rence de temporalit&eacute; entre la situation d&rsquo;&eacute;nonciation et les r&eacute;miniscences de la jeune patiente, la voix du personnage est en retrait, dans une sorte d&rsquo;arri&egrave;re-plan sonore par rapport aux deux voix principales que sont celles de Dora et de Freud.</p> <p>La deuxi&egrave;me particularit&eacute; de la pi&egrave;ce est de donner acc&egrave;s aux&nbsp;<em>voix int&eacute;rieures</em>&nbsp;de Dora, y compris lorsqu&rsquo;elles semblent contradictoires, ce que le r&eacute;cit donn&eacute; &agrave; lire par Freud &agrave; l&rsquo;origine n&rsquo;avait pas su faire. On entend en effet les pens&eacute;es de la jeune femme, ses peurs, ses h&eacute;sitations, l&rsquo;expression de ses d&eacute;sirs, m&ecirc;me quand ils semblent aller dans des directions oppos&eacute;es. Par exemple, si l&rsquo;attachement pour le p&egrave;re ou encore l&rsquo;attirance pour Monsieur K. peuvent se lire dans certaines r&eacute;pliques de Dora, le d&eacute;sir homosexuel pour Madame K., qui avait &eacute;t&eacute; laiss&eacute; de c&ocirc;t&eacute; chez Freud du fait de sa surdit&eacute; &agrave; la &laquo;&nbsp;significativit&eacute; du courant homosexuel&nbsp;<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>&nbsp;&raquo;,&nbsp;&eacute;merge clairement dans la pi&egrave;ce de Cixous, comme on peut le lire dans cette sc&egrave;ne d&rsquo;affection quasi amoureuse entre Dora et Madame K&nbsp;:</p> <blockquote> <p>DORA</p> <p>Laissez-moi vous embrasser&nbsp;! [&hellip;]</p> <p>DORA</p> <p>Je suis plant&eacute;e l&agrave;&nbsp;! Devant vous. J&rsquo;attends. Si seulement&nbsp;! si seulement vous vouliez me dire&nbsp;!</p> <p>MADAME K</p> <p>Mais je n&rsquo;ai rien &agrave; dire</p> <p>DORA</p> <p>Tout ce que vous savez&nbsp;: Tout ce que je ne sais pas. Laissez-moi vous donner cet amour.</p> <p>MADAME K</p> <p>Oh&nbsp;! Impossible, impossible, mon petit fou.</p> <p>DORA<br /> J&rsquo;ai mal, j&rsquo;ai toujours mal, mettez vos mains sur ma t&ecirc;te, tenez-moi.</p> <p>MADAME K</p> <p>Mon Dieu. Qu&rsquo;est-ce que je vais faire de toi&nbsp;?</p> <p>DORA</p> <p>Regardez-moi. Je voudrais entrer dans vos yeux. Je voudrais que vous fermiez les yeux.</p> </blockquote> <p>C&rsquo;est donc toute l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; et la complexit&eacute; de la figure de Dora que Cixous fait ressortir dans ce portrait.</p> <p>Le jeu sur les diff&eacute;rents plans sonores permet en outre d&rsquo;accentuer les diff&eacute;rentes versions de l&rsquo;histoire. Ainsi, &agrave; l&rsquo;arri&egrave;re-plan, on entend parfois la voix du p&egrave;re de Dora se confiant &agrave; Freud et exposant ses hypoth&egrave;ses &agrave; propos du mal dont souffre sa fille, ou encore Monsieur K. s&rsquo;adressant au p&egrave;re de Dora au t&eacute;l&eacute;phone pour nier les faits (&laquo;&nbsp;Je suis pr&ecirc;t &agrave; me rendre aupr&egrave;s de vous, pour &eacute;claircir tous ces malentendus. Dora n&rsquo;est qu&rsquo;une enfant pour moi [&hellip;]&nbsp;&raquo;). L&rsquo;auditeur a donc directement acc&egrave;s aux pens&eacute;es et aux &eacute;motions des diff&eacute;rents personnages, sans le moyen du discours rapport&eacute;. On entend m&ecirc;me les r&eacute;flexions de Freud qui m&eacute;dite sur le cas, s&rsquo;interroge, &eacute;value les diff&eacute;rents &eacute;l&eacute;ments de sa recherche qu&rsquo;il m&egrave;ne telle une enqu&ecirc;te. La pi&egrave;ce multiplie en quelque sorte les points de vue. Des connexions inattendues se produisent par l&rsquo;agencement des sc&egrave;nes. Une dimension onirique s&rsquo;installe, faisant se t&eacute;lescoper voire co&iuml;ncider certains &eacute;l&eacute;ments du r&eacute;cit. La hi&eacute;rarchie entre les souvenirs, les r&ecirc;ves et les pens&eacute;es traversant l&rsquo;esprit de la jeune femme semble abolie. On aboutit ainsi &agrave; une explosion du r&eacute;cit, rendue possible par le dispositif radiophonique des voix. Cette construction produit un &laquo;&nbsp;type de&nbsp;<em>vision h&eacute;t&eacute;rog&egrave;ne&nbsp;</em><a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>&nbsp;&raquo;. Prenant d&eacute;lib&eacute;r&eacute;ment parti pour une forme exp&eacute;rimentale non-narrative et fragmentaire, H&eacute;l&egrave;ne Cixous fait &eacute;clater la repr&eacute;sentation r&eacute;aliste de la fable victorienne ou du drame bourgeois &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur duquel Dora est plong&eacute;e bien malgr&eacute; elle.</p> <p>H&eacute;l&egrave;ne Cixous prend &eacute;videmment une certaine libert&eacute; vis-&agrave;-vis de l&rsquo;histoire, et vis-&agrave;-vis de la figure m&ecirc;me de Dora. Outre les deux r&ecirc;ves qui ont retenu l&rsquo;attention de Freud dans la cure, elle lui pr&ecirc;te notamment d&rsquo;autres r&ecirc;ves, dont celui-ci qui constitue une v&eacute;ritable vision, proche des visions-illuminations dont l&rsquo;auteure dit elle-m&ecirc;me &ecirc;tre envahie la nuit&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Il y a une porte dans Vienne par o&ugrave; tout le monde peut passer sauf moi. Souvent je r&ecirc;ve que j&rsquo;arrive devant cette porte, elle s&rsquo;ouvre, je pourrais entrer. Des jeunes hommes et des jeunes femmes s&rsquo;y d&eacute;versent, je pourrais me glisser parmi le flot, mais je ne le fais pas, cependant je ne puis m&rsquo;&eacute;loigner &agrave; jamais de cette porte, je passe devant, je m&rsquo;attarde mais je ne le fais pas, je n&rsquo;y parviens pas, je suis pleine de m&eacute;moire et de d&eacute;sespoir, ce qui est &eacute;trange, c&rsquo;est que je pourrais passer mais je suis retenue, je crains, je suis au-del&agrave; de toute crainte, mais je n&rsquo;entre pas, si je n&rsquo;entre pas je meurs, si j&rsquo;entrais, si je voulais voir Monsieur K. mais si papa me voyait, mais je ne veux pas le voir, mais si papa me voyait le voir il me tuerait, je pourrais le voir une fois. Ce serait la derni&egrave;re. Ensuite&nbsp;<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a></p> </blockquote> <p>Ce r&ecirc;ve ou r&eacute;cit fantasm&eacute; poss&egrave;de une v&eacute;ritable qualit&eacute; po&eacute;tique. Le langage de Dora semble refl&eacute;ter la difficile position o&ugrave; elle se trouve, non seulement &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du &laquo;&nbsp;quatuor amoureux&nbsp;&raquo;, mais aussi dans cette ville myst&eacute;rieuse qui fait l&rsquo;objet de son r&ecirc;ve. Dans ce r&ecirc;ve, elle est la seule &agrave; ne pas pouvoir passer par cette &laquo;&nbsp;porte&nbsp;&raquo; qui la fascine, comme si l&rsquo;acc&egrave;s &agrave; un ailleurs lui &eacute;tait emp&ecirc;ch&eacute; ou interdit. La syntaxe est incertaine, hach&eacute;e, coup&eacute;e, faite de parataxes qui miment la violence int&eacute;rieure de Dora mais aussi son incertitude et son h&eacute;sitation, comme en t&eacute;moigne l&rsquo;arr&ecirc;t brutal de son discours. Ici, la langue m&ecirc;me performe, met en acte toute la complexit&eacute;, l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; voire l&rsquo;ambivalence du d&eacute;sir de Dora qui n&rsquo;arrive pas &agrave; entrer dans cet ailleurs qu&rsquo;elle d&eacute;sire tout en souffrant d&rsquo;&ecirc;tre incapable de le faire, qui ne sait pas si elle veut ou non voir Monsieur K. et qui p&egrave;se en m&ecirc;me temps l&rsquo;avis de son p&egrave;re. La porte appara&icirc;t comme le symbole m&ecirc;me de cet impossible passage, de cette difficile travers&eacute;e que constitue le passage de l&rsquo;enfance &agrave; l&rsquo;&acirc;ge adulte. Plus encore, la porte repr&eacute;sente ce lieu impossible que constitue la place de Dora : trahie et tromp&eacute;e par tous, en marge de tous ceux qu&rsquo;elle aime et qu&rsquo;elle continue d&rsquo;aimer malgr&eacute; ce qu&rsquo;ils lui font subir.</p> <p>Le bruitage de la pi&egrave;ce est assez sommaire&nbsp;: on entend parfois le bruit d&rsquo;un train, des sons que l&rsquo;on pourrait entendre dans une gare, le gr&eacute;sillement de la ligne t&eacute;l&eacute;phonique lorsque Monsieur K. appelle le p&egrave;re de Dora. Dans la deuxi&egrave;me partie de la pi&egrave;ce revient de mani&egrave;re r&eacute;p&eacute;titive un bruit semblable au mouvement de la trotteuse d&rsquo;une horloge, qui repr&eacute;sente probablement le temps de la cure, dont Dora trouve qu&rsquo;elle s&rsquo;&eacute;ternise&nbsp;: &laquo;&nbsp;Cette cure dure trop longtemps. Encore combien de temps&nbsp;?&raquo; Les silences de la cure sont ainsi fortement perceptibles&nbsp;: non seulement les silences r&eacute;els ponctuant les s&eacute;ances et qui sont marqu&eacute;s par les voix de l&rsquo;analysante &ndash; dont on sait que l&rsquo;aphonie &eacute;tait l&rsquo;un de ses sympt&ocirc;mes &ndash; et de l&rsquo;analyste, mais aussi ceux concernant l&rsquo;histoire de Dora que l&rsquo;analyse n&rsquo;a pas su mettre au jour. Lorsque Dora d&eacute;cide finalement d&rsquo;abandonner l&rsquo;analyse, la pi&egrave;ce se termine sur un cri d&eacute;chirant qui rompt avec la tonalit&eacute; sobre du reste de la composition. L&rsquo;auditeur reste en effet plong&eacute; plusieurs secondes dans la profondeur de ce cri prof&eacute;r&eacute; par la jeune fille qui exprime &agrave; la fois la douleur d&rsquo;abandonner le travail analytique et celle d&rsquo;&ecirc;tre incomprise et abandonn&eacute;e par ceux qu&rsquo;elle aime.</p> <p>Ainsi, l&rsquo;environnement sonore minimaliste de cette cr&eacute;ation radiophonique met d&rsquo;autant plus en &eacute;vidence la pluralisation des points de vue, la superposition volontaire des souvenirs et des r&ecirc;ves et la non-hi&eacute;rarchie entre ce qui rel&egrave;ve de la fiction et de la v&eacute;rit&eacute; qui sont &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans ce portrait. La forme &eacute;clat&eacute;e de la pi&egrave;ce rend compte, par ailleurs, de la difficult&eacute; pour Dora de se trouver une place ou m&ecirc;me un refuge parmi les adultes. Mais l&rsquo;auditeur ne peut rester insensible &agrave; ce cri de r&eacute;volte qui passe par la r&eacute;sistance &agrave; l&rsquo;autorit&eacute; analytique repr&eacute;sent&eacute;e par Freud. Cixous offre dans sa pi&egrave;ce une vision alternative du cas Dora en montrant toutes les contradictions qui la traversent, mani&egrave;re en quelque sorte pour Dora d&rsquo;acqu&eacute;rir une &laquo;&nbsp;voix amplifi&eacute;e&nbsp;&raquo;&nbsp;<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>&nbsp;et de parvenir enfin &agrave; se faire entendre.</p> <h2>2.<em>&nbsp;</em><strong><em>Ceci est un exercice de r&ecirc;ve&nbsp;</em></strong><strong>: une radio &agrave; la rencontre des fant&ocirc;mes du pass&eacute;</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>R&eacute;alis&eacute; par Lionel Quantin,&nbsp;<em>Ceci est un exercice de r&ecirc;ve</em>&nbsp;a &eacute;t&eacute; diffus&eacute; le 20 novembre 2005 dans le cadre de l&rsquo;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>. Accompagn&eacute;e d&rsquo;une musique originale de Jean-Jacques Lem&ecirc;tre, cette pi&egrave;ce radiophonique compos&eacute;e par H&eacute;l&egrave;ne Cixous a une facture tr&egrave;s originale. Il s&rsquo;agit d&rsquo;un collage de r&eacute;cits de r&ecirc;ve de quatre auteurs, &agrave; savoir William Shakespeare, Marcel Proust, Jacques Derrida et H&eacute;l&egrave;ne Cixous elle-m&ecirc;me, entrecoup&eacute;s de dialogues inspir&eacute;s de ces textes et d&rsquo;interm&egrave;des musicaux allant d&rsquo;une m&eacute;lodie jou&eacute;e au psalt&eacute;rion &agrave; un air de f&ecirc;te foraine en passant par quelques accords entonn&eacute;s par un ch&oelig;ur&nbsp;<em>a cappella</em>. La pi&egrave;ce propose une v&eacute;ritable constellation de voix, autant f&eacute;minines que masculines, puisqu&rsquo;il n&rsquo;y a pas moins de onze locuteurs&nbsp;<a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a>. Ces voix parlent en fran&ccedil;ais, en allemand, en anglais et en arabe. R&eacute;cits de r&ecirc;ve et souvenirs des diff&eacute;rents r&eacute;citants de la pi&egrave;ce sont tiss&eacute;s ensemble.</p> <p>La pi&egrave;ce est construite en cinq parties, chacune &eacute;tant introduite par le bruit d&rsquo;une sonnerie de t&eacute;l&eacute;phone ou d&rsquo;une sonnette dont on comprend rapidement qu&rsquo;elle est celle de la porte de l&rsquo;appartement d&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous &agrave; Paris. Ce bruit constitue une sorte de scansion avant le moment onirique. Une dizaine de r&eacute;cits de r&ecirc;ve composent cette singuli&egrave;re cr&eacute;ation radiophonique. Il y a d&rsquo;abord un r&ecirc;ve tir&eacute; de&nbsp;&nbsp;<em>Sodome et Gomorrhe</em>&nbsp;de Proust&nbsp;: il s&rsquo;agit du moment o&ugrave; le narrateur de la Recherche r&ecirc;ve de sa grand-m&egrave;re morte. Vient ensuite un r&ecirc;ve attribu&eacute; par Shakespeare au personnage de Georges, duc de Clarence, dans sa trag&eacute;die historique&nbsp;<em>Richard III</em>&nbsp;‒ pour rappel, le duc de Clarence est le fr&egrave;re rival de Richard, duc de Gloucester, tous deux souhaitant acc&eacute;der au tr&ocirc;ne d&rsquo;Angleterre. Le r&ecirc;ve qui suit est de Derrida, qu&rsquo;il raconte dans son essai &agrave; caract&egrave;re autobiographique&nbsp;<em>M&eacute;moires d&rsquo;aveugle</em>, o&ugrave; revient, pr&eacute;cisons-le, le motif des yeux clos. Se succc&egrave;dent ensuite six r&eacute;cits de r&ecirc;ve tir&eacute;s du recueil d&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous<em>&nbsp;R&ecirc;ve je te dis&nbsp;</em><a href="#_ftn29" name="_ftnref29">[29]</a>. Tout l&rsquo;ensemble est entrecoup&eacute; de bribes de r&ecirc;ves et de souvenirs d&rsquo;&Egrave;ve Cixous, la m&egrave;re de l&rsquo;&eacute;crivaine, qui constitue un personnage &agrave; part enti&egrave;re de la pi&egrave;ce radiophonique&nbsp;; on entend &agrave; plusieurs reprises les deux femmes discuter, l&rsquo;&eacute;crivaine interrogeant sa m&egrave;re sur son enfance en Allemagne et sa vie de jeune &eacute;pouse en Alg&eacute;rie.</p> <p>On sait depuis la parution en 2003 de&nbsp;<em>R&ecirc;ve je te dis</em>&nbsp;qu&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous note et archive ses r&ecirc;ves. Elle les note la nuit, dans le noir, pr&eacute;cise-t-elle dans les&nbsp;<em>Avertissements</em>, avec un feutre &laquo;&nbsp;V-Sign pen&nbsp;&raquo; de la marque Pilot : &laquo;&nbsp;<em>Docile je ne dis mot le r&ecirc;ve dicte j&rsquo;ob&eacute;is les yeux ferm&eacute;s&nbsp;</em><a href="#_ftn30" name="_ftnref30">[30]</a>.&nbsp;&raquo; L&rsquo;id&eacute;e de dict&eacute;e et de commande mentionn&eacute;e en pr&eacute;ambule appara&icirc;t de nouveau, de m&ecirc;me que le leitmotiv des yeux ferm&eacute;s. Le titre du recueil a cette particularit&eacute; qu&rsquo;il fait entendre &agrave; la fois une invitation &agrave; r&ecirc;ver adress&eacute;e au lecteur &ndash; le mot &laquo;&nbsp;r&ecirc;ve&nbsp;&raquo; serait dans ce cas un verbe &agrave; l&rsquo;imp&eacute;ratif &ndash; et une interpellation ou une apostrophe directe au r&ecirc;ve &ndash; dans ce deuxi&egrave;me cas, le mot r&ecirc;ve serait un substantif. Syst&eacute;matiquement dat&eacute;s, les quelques cent r&ecirc;ves compil&eacute;s dans le recueil ont &eacute;t&eacute; not&eacute;s sur une p&eacute;riode de sept ann&eacute;es, entre 1990 et 1997, et suivent parall&egrave;lement l&rsquo;&eacute;criture des fictions de cette d&eacute;cennie, comme&nbsp;<em>OR. les lettres de mon p&egrave;re&nbsp;</em><a href="#_ftn31" name="_ftnref31">[31]</a>,&nbsp;<em>Osnabr&uuml;ck&nbsp;</em><a href="#_ftn32" name="_ftnref32">[32]</a>&nbsp;ou encore&nbsp;<em>Le jour o&ugrave; je n&rsquo;&eacute;tais pas l&agrave;&nbsp;</em><a href="#_ftn33" name="_ftnref33">[33]</a>, qui marquent le tournant alg&eacute;rien dans l&rsquo;&oelig;uvre de l&rsquo;&eacute;crivaine. D&rsquo;embl&eacute;e, Cixous affirme qu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;un &laquo;&nbsp;<em>livre de r&ecirc;ves sans interpr&eacute;tation&nbsp;</em><a href="#_ftn34" name="_ftnref34">[34]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;; autrement dit, il n&rsquo;est pas question pour elle d&rsquo;interpr&eacute;ter les r&ecirc;ves&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>Je me suis tenue loin de l&rsquo;analyse et de la litt&eacute;rature. Ces choses sont des r&eacute;cits primitifs. Des larves. J&rsquo;aurais pu, les couvant, les porter &agrave; papillons. Alors ils n&rsquo;eussent plus &eacute;t&eacute; des r&ecirc;ves&nbsp;</em><a href="#_ftn35" name="_ftnref35">[35]</a><em>.&nbsp;</em>&raquo;</p> <p>Ce choix de mettre en voix des r&ecirc;ves dans le cadre d&rsquo;une cr&eacute;ation radiophonique, que ce soit ceux de Cixous, de Proust ou de Derrida, est surprenant. On peut se demander en effet si un r&ecirc;ve est partageable de la m&ecirc;me mani&egrave;re qu&rsquo;une simple fiction. Qu&rsquo;est-ce qui est transmissible dans un r&eacute;cit de r&ecirc;ve&nbsp;? Quel est le r&ocirc;le de la radio&nbsp;? Le passage par la voix radiophonique en approfondit-il&nbsp;l&rsquo;&eacute;nigme&nbsp;? Jean-Fran&ccedil;ois Lyotard&nbsp;soulignait cet aspect difficilement exprimable du r&ecirc;ve :</p> <blockquote> <p>Chacun a l&rsquo;exp&eacute;rience du r&ecirc;ve et sait de quoi l&rsquo;on parle lorsqu&rsquo;il s&rsquo;agit de r&ecirc;ve. Mais que peut-il, que peut-on en dire, que peut-on en faire&nbsp;? Voil&agrave; la question&nbsp;; et voici le paradoxe&nbsp;: l&rsquo;exp&eacute;rience du r&ecirc;ve est universelle, mais c&rsquo;est l&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;une&nbsp;<em>singularit&eacute; incommunicable</em>, o&ugrave; les conditions de l&rsquo;objectivit&eacute; ne peuvent s&rsquo;instaurer sans d&eacute;truire aussit&ocirc;t leur &laquo;&nbsp;objet&nbsp;&raquo;&nbsp;<a href="#_ftn36" name="_ftnref36">[36]</a>.</p> </blockquote> <p>Que devient cet incommunicable&nbsp;dans une pi&egrave;ce radiophonique ? Dans&nbsp;<em>Ceci est un exercice de r&ecirc;ve</em>, c&rsquo;est le tissage des diff&eacute;rents r&ecirc;ves issus de la litt&eacute;rature (Proust, Shakespeare) mais aussi des autres r&ecirc;ves, avec les souvenirs d&rsquo;&Egrave;ve Cixous, avec la bande-son et avec les diff&eacute;rents bruitages, qui&nbsp;<em>fait litt&eacute;rature,&nbsp;</em>qui<em>&nbsp;fait &eacute;criture radiophonique.</em></p> <h3>2.1.&nbsp;<strong>La dimension spectrale du r&ecirc;ve</strong></h3> <p>L&rsquo;ensemble de la pi&egrave;ce radiophonique met en &eacute;vidence deux aspects du r&ecirc;ve&nbsp;qui nous int&eacute;resseront dans les pages qui suivent, &agrave; savoir la communication avec les morts et la fin momentan&eacute;e d&rsquo;un exil pouvant se traduire par le retour sur les lieux que l&rsquo;on a quitt&eacute;s. C&rsquo;est donc avant tout la dimension spectrale du r&ecirc;ve que la radiophonie vient souligner &agrave; travers le singulier attelage construit par H&eacute;l&egrave;ne Cixous et Jean-Jacques Lem&ecirc;tre. Cette dimension spectrale, l&rsquo;&eacute;crivaine la nomme &laquo;&nbsp;la Revenance&nbsp;<a href="#_ftn37" name="_ftnref37">[37]</a>&nbsp;&raquo;. H&eacute;l&egrave;ne Cixous est friande en effet des n&eacute;ologismes cr&eacute;&eacute;s par d&eacute;rivation lexicale avec le suffixe&nbsp;<em>-ance</em>&nbsp;&ndash; le mot &laquo;&nbsp;alg&eacute;riance&nbsp;<a href="#_ftn38" name="_ftnref38">[38]</a>&nbsp;&raquo;, qui revient comme un leitmotiv dans l&rsquo;&oelig;uvre depuis 1997, en est l&rsquo;exemple le plus r&eacute;current &ndash;, et le mot&nbsp;<em>revenance</em>&nbsp;ici fait aussi entendre en sourdine la&nbsp;<em>voyance</em>&nbsp;rimbaldienne. Dans&nbsp;<em>R&ecirc;ve je te dis</em>, Cixous nous dit pourquoi elle appr&eacute;cie tant les r&ecirc;ves&nbsp;: c&rsquo;est parce qu&rsquo;ils rendent possibles, selon elle, les joies bouleversantes des retrouvailles avec les morts. On lit ainsi dans les&nbsp;<em>Avertissements&nbsp;</em>du recueil le passage repris en ouverture de la pi&egrave;ce radiophonique de France Culture, qui &eacute;voque si bien ces moments d&rsquo;extase :</p> <blockquote> <p><em>C&rsquo;est par ici, par les couloirs magiques de la nuit que reviennent vivants les morts bien-aim&eacute;s, c&rsquo;est ici et sans l&rsquo;imp&ocirc;t de sang vers&eacute; &agrave; la douane. Ici la mort devient ce qu&rsquo;elle est&nbsp;: une s&eacute;paration seulement presque interminable, interrompue par des retrouvailles rares et br&egrave;ves mais extatiques. Sans les r&ecirc;ves la mort serait mortelle &ndash; ou immortelle&nbsp;? Mais elle est fendue, d&eacute;jou&eacute;e, refaite. De ses terres s&rsquo;&eacute;chappent les fant&ocirc;mes qui consolent les mortels que nous sommes</em>&nbsp;<a href="#_ftn39" name="_ftnref39">[39]</a>.</p> </blockquote> <p>Il est int&eacute;ressant de noter que la citation a &eacute;t&eacute; l&eacute;g&egrave;rement modifi&eacute;e dans la pi&egrave;ce radiophonique&nbsp;: il est question en effet &laquo;&nbsp;d&rsquo;une s&eacute;paration presque interminable, interrompue par des retrouvailles br&egrave;ves et extatiques&nbsp;<em>dans une rame de m&eacute;tro ou dans un train&nbsp;</em>&raquo;&nbsp;; la partition musicale de Lem&ecirc;tre nous fait d&rsquo;ailleurs entendre des bruits de m&eacute;tro et de train, comme pour nous plonger dans un univers banal, quotidien, et ainsi rendre encore plus concr&egrave;te l&rsquo;id&eacute;e des retrouvailles fortuites, mais si pr&eacute;cieuses, avec les morts.</p> <p>Parmi ces morts crois&eacute;s au d&eacute;tour d&rsquo;un r&ecirc;ve, il y a bien s&ucirc;r le p&egrave;re d&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous, mort lorsqu&rsquo;elle n&rsquo;avait que onze ans, qui est devenu un personnage central de son &oelig;uvre : plus qu&rsquo;un th&egrave;me ou qu&rsquo;un motif, le deuil du p&egrave;re traverse quasiment tous les textes de l&rsquo;&eacute;crivaine depuis le d&eacute;but de son &eacute;criture, o&ugrave; semble &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre une &eacute;laboration de la perte. La fant&ocirc;me paternel est une figure famili&egrave;re chez Cixous. Dans&nbsp;<em>Ceci est un exercice de r&ecirc;ve</em>, c&rsquo;est l&rsquo;actrice Nicole Garcia qui lit le r&ecirc;ve&nbsp;intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Papa&nbsp;&raquo;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>J&rsquo;&eacute;tais dans un coin de la grande salle d&rsquo;attente. L&agrave;-bas, invisible papa recevait, il faisait des radios, sans arr&ecirc;t. [&hellip;] Mon p&egrave;re n&rsquo;arr&ecirc;tait pas de travailler. Jusqu&rsquo;au moment o&ugrave; enfin il surgit du cabinet au fond &agrave; droite, en blouse. Je l&rsquo;appelai, je lui parlai doucement mais fermement. Tu ne peux pas t&rsquo;arr&ecirc;ter un peu&nbsp;? Au moins entre midi et deux heures. Non, non, il ne pouvait pas, il y avait tellement &agrave; faire, je lui parlai gentiment, c&rsquo;est que les choses &eacute;taient faites depuis si longtemps tu ne peux pas dis-je t&rsquo;arr&ecirc;ter une heure ? Il faut vivre un peu. J&rsquo;insistai. Je lui dis&nbsp;: c&rsquo;est que je suis venue trop tard, et je n&rsquo;ai pas pu t&rsquo;apprendre &agrave; t&rsquo;arr&ecirc;ter un instant&nbsp;? [&hellip;] Il m&rsquo;&eacute;coutait en souriant. Un sourire doux et bon et s&eacute;rieux. Arr&ecirc;te pour une fois, dis-je. Et viens, emm&egrave;ne-moi comme tu l&rsquo;avais fait une fois tu te rappelles, quand j&rsquo;&eacute;tais petite, tu m&rsquo;avais emmen&eacute;e, c&rsquo;&eacute;tait l&rsquo;unique promenade o&ugrave; j&rsquo;avais &eacute;t&eacute; seule avec lui, je la voyais l&agrave;-bas dans les lointains dans la brume, comme un conte, comme un mythe, tu m&rsquo;avais emmen&eacute;e &agrave;, j&rsquo;ai voulu dire le nom mais le nom &eacute;tait perdu, je le cherchais debout devant mon p&egrave;re en blouse blanche [&hellip;] je ne trouvais pas, je m&rsquo;effor&ccedil;ais, ce nom ce nom, c&rsquo;est la cl&eacute; [&hellip;] Comme lorsque nous avions &eacute;t&eacute; &agrave; &ndash; soudain le nom revint comme un coup de couteau d&eacute;chirer la brume, brutal, r&eacute;el, vrai, ayant eu lieu. Je criai&nbsp;: au Cap Falcon. Je l&rsquo;avais&nbsp;!! Je l&rsquo;ai. Sous le coup les deux sc&egrave;nes se rejoignirent &ndash; celle de jadis o&ugrave; j&rsquo;&eacute;tais si petite et qui n&rsquo;avait eu lieu qu&rsquo;une fois et celle d&rsquo;ici. Au Cap Falcon&nbsp;! Et j&rsquo;&eacute;clatai en sanglots, je pleurai tout je pleurai la vie qui n&rsquo;avait pas &eacute;t&eacute; v&eacute;cue, et mon p&egrave;re qui n&rsquo;arrivait pas &agrave; s&rsquo;arr&ecirc;ter entre midi et deux heures. Maintenant, viendras-tu&nbsp;? Maintenant que tu es mort, vas-tu continuer encore &agrave; faire des radios toute la journ&eacute;e, comme si tu avais peur de ne pas finir la t&acirc;che avant de mourir&nbsp;?</p> <p>Samedi 15. 5. 96.</p> <p><em>OR&nbsp;</em><a href="#_ftn40" name="_ftnref40">[40]</a></p> </blockquote> <p>J&rsquo;ai reproduit ici le r&ecirc;ve tel qu&rsquo;il est transcrit dans&nbsp;<em>R&ecirc;ve je te dis&nbsp;</em>car il est mis en voix avec tr&egrave;s peu de modifications. Le titre not&eacute; sous la date indique qu&rsquo;au moment o&ugrave; l&rsquo;&eacute;crivaine a fait ce r&ecirc;ve, elle &eacute;crivait en m&ecirc;me temps le livre&nbsp;<em>OR. les lettres de mon p&egrave;re</em>, dans lequel on retrouve ce m&ecirc;me r&ecirc;ve, mais beaucoup plus d&eacute;velopp&eacute;, plus &eacute;crit, et int&eacute;gr&eacute; au reste de la fiction&nbsp;<a href="#_ftn41" name="_ftnref41">[41]</a>.</p> <p>Dans la deuxi&egrave;me partie de la pi&egrave;ce radiophonique, le fant&ocirc;me qui surgit est celui de la grand-m&egrave;re de Proust. Celle-ci arrive par le biais d&rsquo;un r&ecirc;ve tir&eacute; de la fin du premier chapitre de&nbsp;<em>Sodome et Gomorrhe,&nbsp;</em>&laquo;&nbsp;Les Intermittences du c&oelig;ur&nbsp;&raquo;, lu ici par Daniel Mesguich. Ce r&ecirc;ve raconte comment, lors d&rsquo;un s&eacute;jour &agrave; Balbec o&ugrave; il avait l&rsquo;habitude d&rsquo;aller, enfant, avec sa grand-m&egrave;re, le narrateur de la&nbsp;<em>Recherche</em>&nbsp;r&ecirc;ve qu&rsquo;il a oubli&eacute; d&rsquo;&eacute;crire &agrave; sa grand-m&egrave;re&nbsp;; il a le sentiment d&rsquo;avoir perdu l&rsquo;adresse de sa grand-m&egrave;re, et se reproche de ne plus la trouver&nbsp;: &laquo;&nbsp;comment ai-je pu oublier l&rsquo;adresse&nbsp;?&nbsp;&raquo; Cela fait na&icirc;tre en lui le remords de l&rsquo;avoir oubli&eacute;e. Il ressent un d&eacute;sespoir profond car il r&eacute;alise qu&rsquo;elle est &laquo;&nbsp;perdue pour toujours&nbsp;&raquo;. Le r&ecirc;ve prend les traits d&rsquo;une catabase&nbsp;: le passage s&rsquo;ouvre en effet sur une longue r&eacute;flexion &agrave; propos du &laquo;&nbsp;monde du sommeil&nbsp;&raquo; dont le narrateur dit qu&rsquo;il est comme le reflet de &laquo;&nbsp;la douloureuse synth&egrave;se de la survivance et du n&eacute;ant&nbsp;&raquo;&nbsp;; vient ensuite l&rsquo;&eacute;vocation des&nbsp;&laquo;&nbsp;flots noirs de notre propre sang comme sur un L&eacute;th&eacute; int&eacute;rieur&nbsp;aux sextuples replis&nbsp;&raquo;&nbsp;; et alors, poursuit-il, &laquo;&nbsp;de grandes figures solennelles nous apparaissent, nous abordent et nous quittent, nous laissant en larmes&nbsp;&raquo;. Pour douloureuses qu&rsquo;elles soient, ces apparitions en r&ecirc;ve permettent n&eacute;anmoins de raviver la m&eacute;moire. Ainsi, c&rsquo;est gr&acirc;ce au r&ecirc;ve que la grand-m&egrave;re du narrateur est sauv&eacute;e de l&rsquo;oubli. Apr&egrave;s une autre &eacute;vocation du &laquo;&nbsp;fleuve aux t&eacute;n&eacute;breux&nbsp;m&eacute;andres &raquo;, le songe se termine sur une s&eacute;rie de mots &eacute;nigmatiques&nbsp;: &laquo;&nbsp;cerfs cerfs Francis Jammes fourchette&nbsp;&raquo;. Le narrateur se r&eacute;veille et ne trouve pas de sens &agrave; ces mots. Il ne s&rsquo;efforce pas pour autant d&rsquo;en trouver un, car il comprend que le r&eacute;cit de r&ecirc;ve ne doit pas &ecirc;tre interpr&eacute;t&eacute; avec les outils de l&rsquo;&eacute;tat de veille. Il ne s&rsquo;agit pas d&rsquo;interpr&eacute;ter le r&ecirc;ve, mais de lui donner un statut d&rsquo;&eacute;criture.</p> <p>Ainsi, la pi&egrave;ce radiophonique d&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous met en avant le r&ecirc;ve en tant qu&rsquo;il devient &eacute;criture, qu&rsquo;il devient litt&eacute;rature. En outre, la juxtaposition des r&ecirc;ves de Cixous et de Proust montre que la port&eacute;e des textes d&eacute;passe le seul deuil priv&eacute; (la mort du p&egrave;re ou la mort de la grand-m&egrave;re). Dans son &oelig;uvre de mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale, Cixous privil&eacute;gie en effet la litt&eacute;rature dans son rapport aux morts, en r&eacute;investissant notamment le motif de la descente aux Enfers, mais aussi d&rsquo;autres motifs en lien avec &laquo;&nbsp;l&rsquo;autre monde&nbsp;&raquo;. Dans&nbsp;<em>Ceci est un exercice de r&ecirc;ve</em>, la dimension fantomale et spectrale du r&ecirc;ve est encore plus accentu&eacute;e du fait du dispositif radiophonique et son recours aux voix. Le rapport aux morts dans cette cr&eacute;ation radiophonique appara&icirc;t ainsi essentiel et &eacute;vident.</p> <p>La quatri&egrave;me partie de la pi&egrave;ce fait entendre un r&ecirc;ve sur Oran, d&eacute;sign&eacute;e &laquo;&nbsp;ville perdue&nbsp;&raquo; par l&rsquo;&eacute;crivaine&nbsp;; celle-ci en effet y est n&eacute;e en 1937 et y a habit&eacute; les cinq premi&egrave;res ann&eacute;es de sa vie avec sa famille, qui s&rsquo;est ensuite install&eacute;e &agrave; Alger. Ce r&ecirc;ve figure dans le recueil&nbsp;<em>R&ecirc;ve je te dis</em>&nbsp;o&ugrave; il s&rsquo;intitule &laquo;&nbsp;<em>Un tel d&eacute;sir d&rsquo;aller &agrave; Oran&nbsp;</em><a href="#_ftn42" name="_ftnref42">[42]</a><em>&nbsp;</em>&raquo;. Lu par Daniel Mesguich dans la cr&eacute;ation radiophonique, il s&rsquo;y touve l&eacute;g&egrave;rement modifi&eacute; et abr&eacute;g&eacute;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Je pris donc le train en me r&eacute;jouissant &agrave; l&rsquo;id&eacute;e de revoir pour la premi&egrave;re fois, de loin, m&ecirc;me une minute, les couleurs de ma ville natale. Pour y aller il fallait passer dans la gare par les couloirs &eacute;lev&eacute;s, suspendus au-dessus des quais, et au milieu du couloir, redescendre par l&rsquo;escalier. Nous arriv&acirc;mes sur le quai, charg&eacute;es de lourdes valises. Nous pr&icirc;mes le train. J&rsquo;&eacute;tais dans le compartiment avec Y., cet ancien &eacute;tudiant th&eacute;sard, un grand type assez beau au visage ferm&eacute;. [&hellip;] L&rsquo;important c&rsquo;&eacute;tait Oran que je d&eacute;sirais tellement. C&rsquo;est dans le train que je d&eacute;couvris que entre l&rsquo;aller et le retour se passait une heure et demie&nbsp;: ce serait un aller-retour. Ainsi, j&rsquo;aurais donc le temps de plonger une heure dans ma ville natale&nbsp;? Une grande &eacute;motion me saisit. Je me vis entrer dans le c&oelig;ur de la ville, vers la Place d&rsquo;Armes, je me vis parmi la mati&egrave;re color&eacute;e, parmi les quartiers &eacute;pais&nbsp;<a href="#_ftn43" name="_ftnref43">[43]</a>.</p> </blockquote> <p>La particularit&eacute; de ce passage dans la cr&eacute;ation radiophonique est qu&rsquo;il fait s&rsquo;entrem&ecirc;ler le r&ecirc;ve de l&rsquo;&eacute;crivaine avec quelques souvenirs et bribes de r&ecirc;ves d&rsquo;&Egrave;ve Cixous, sa m&egrave;re, &agrave; qui elle pose &eacute;galement des questions&nbsp;: &laquo;&nbsp;Tu me racontes ton dernier r&ecirc;ve&nbsp;? [&hellip;] Retrouves-tu Papa dans tes r&ecirc;ves&nbsp;?&nbsp;&raquo;&nbsp;Au fil des r&eacute;ponses de la m&egrave;re, qui parle alternativement fran&ccedil;ais et allemand, une autre &laquo;&nbsp;ville perdue&nbsp;&raquo; est mentionn&eacute;e&nbsp;: Osnabr&uuml;ck. Ville de naissance d&rsquo;&Egrave;ve Cixous qu&rsquo;elle quitta au d&eacute;but des ann&eacute;es 1930, Osnabr&uuml;ck repr&eacute;sente le pass&eacute; de la famille maternelle de l&rsquo;&eacute;crivaine, de confession juive ashk&eacute;naze. L&rsquo;allusion &agrave; l&rsquo;Allemagne rappelle ainsi les souvenirs des trag&eacute;dies historiques&nbsp;et en particulier le traumatisme de la Shoah puisqu&rsquo;une grande partie de la famille Jonas (la famille maternelle d&rsquo;&Egrave;ve Cixous) fut an&eacute;antie par le nazisme. Ainsi, les villes perdues &eacute;voquent autant l&rsquo;exil que le drame de l&rsquo;extermination.</p> <p>&Agrave; cet &eacute;gard, la troisi&egrave;me partie de la pi&egrave;ce&nbsp;radiophonique rev&ecirc;t, par l&rsquo;agencement particulier des r&ecirc;ves qu&rsquo;elle propose, une dimension politique forte. Apr&egrave;s la lecture successive par Pierre Cixous et Daniel Mesguich du r&ecirc;ve du &laquo;&nbsp;duel de[s] aveugles aux prises l&rsquo;un avec l&rsquo;autre&nbsp;&raquo; de Derrida&nbsp;<a href="#_ftn44" name="_ftnref44">[44]</a>&nbsp;qui soul&egrave;ve la question de la rivalit&eacute; entre p&egrave;re et fils mais aussi celle de l&rsquo;h&eacute;ritage, suivent deux r&ecirc;ves d&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous. Le premier, port&eacute; par la voix de Nicole Garcia, raconte une v&eacute;ritable sc&egrave;ne de guerre&nbsp;: &laquo;&nbsp;Justement cette nuit voil&agrave; ce qui s&rsquo;est pass&eacute;. C&rsquo;&eacute;tait une nuit tragique de toute fa&ccedil;on, plong&eacute;s que nous &eacute;tions dans un pays nazi. Le monde violent, cruel&nbsp;<a href="#_ftn45" name="_ftnref45">[45]</a>.&nbsp;&raquo; La narratrice voit les parties du corps d&rsquo;un homme bless&eacute; et affam&eacute;. Un autre homme arrive, il s&rsquo;agit peut-&ecirc;tre du pr&eacute;tendant de sa fille, Anne&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Soudain un cri&nbsp;<em>affreux.</em>&nbsp;Affreux. Dans la nuit. Un cri d&rsquo;angoisse et de douleur inou&iuml;e. La hache&nbsp;! La hache&nbsp;! [<em>&eacute;chos</em>] Je vois dans la nuit, l&rsquo;homme allong&eacute; avec une hache plant&eacute;e dans la poitrine et qui crie, qui crie qui crie&nbsp;! La hache&nbsp;! Je vais mourir&nbsp;! Ils lui ont plant&eacute; une hache&nbsp;! Sans doute les nazis. Que faire&nbsp;? [<em>&hellip;</em>] De toutes parts r&ocirc;de le danger&nbsp;<a href="#_ftn46" name="_ftnref46">[46]</a>.</p> </blockquote> <p>La lecture s&rsquo;interrompt. Apr&egrave;s quelques mots prononc&eacute;s par &Egrave;ve Cixous, on entend les notes d&rsquo;une musique l&eacute;g&egrave;re telle une m&eacute;lodie de cirque. Puis tout &agrave; coup ce sont des bruits d&rsquo;avion, un signal &eacute;lectrique et enfin des bruits que l&rsquo;on pourrait entendre lors d&rsquo;un bombardement. Or dans le r&ecirc;ve suivant, lu de nouveau par Nicole Garcia, il est justement question d&rsquo;un bombardement. Dans&nbsp;<em>R&ecirc;ve je te dis</em>, il est intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Bombard&eacute;es&nbsp;<a href="#_ftn47" name="_ftnref47">[47]</a>&nbsp;&raquo;. J&rsquo;en donne ici une version &eacute;court&eacute;e&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Et aussit&ocirc;t &eacute;clata au-dessus de la ville le grondement d&rsquo;un tonnerre d&rsquo;une largeur et d&rsquo;une dur&eacute;e inou&iuml;es. Les camions du ciel, pensais-je. Le bruit roulait, roula, enfla, occupa l&rsquo;air entier. Alors, du bruit sortit un avion. [<em>&hellip;</em>] Bombard&eacute;es dis-je. Un bombardement dis-je. [<em>&hellip;</em>] C&rsquo;est une r&eacute;p&eacute;tition de la guerre. [<em>&hellip;</em>] Nous f&ucirc;mes emport&eacute;es dans le lourd hurlement de l&rsquo;avion. C&rsquo;&eacute;tait arriv&eacute;. La chose&nbsp;<a href="#_ftn48" name="_ftnref48">[48]</a>.</p> </blockquote> <p>Ce fragment de r&ecirc;ve, qui appara&icirc;t &eacute;galement dans&nbsp;<em>Le jour o&ugrave; je n&rsquo;&eacute;tais pas l&agrave;</em>, rappelle la trag&eacute;die de la Deuxi&egrave;me Guerre mondiale. La phrase &laquo;&nbsp;C&rsquo;est une r&eacute;p&eacute;tition de la guerre&nbsp;&raquo; est reprise par un autre lecteur, Daniel Mesguich&nbsp;; on entend alors plusieurs voix dire en &eacute;cho, de mani&egrave;re th&eacute;&acirc;trale, la phrase qui a donn&eacute; son titre &agrave; la pi&egrave;ce radiophonique&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ceci est un exercice.&nbsp;&raquo; Le passage se cl&ocirc;t sur un battement de tambour puis, apr&egrave;s un bref silence, le bruit du ressac qui vient apaiser la situation. L&rsquo;articulation des deux r&ecirc;ves, qui n&rsquo;&eacute;taient pas li&eacute;s &agrave; l&rsquo;origine, s&rsquo;est faite gr&acirc;ce aux bruitages radiophoniques, autrement dit par liaison sonore. C&rsquo;est donc le dispositif radiophonique qui a permis de mettre en rapport ces r&ecirc;ves o&ugrave; la m&eacute;moire de tout un continent est raviv&eacute;e.</p> <h3>2.2.&nbsp;<strong>Vers une d&eacute;multiplication des sens</strong></h3> <p>Le dernier r&ecirc;ve que je voudrais &eacute;voquer est un r&ecirc;ve de transport amoureux. Il est lu, dans la deuxi&egrave;me partie de la pi&egrave;ce, successivement par deux voix diff&eacute;rentes, Nicole Garcia puis Jacques Derrida. Le philosophe a en effet comment&eacute; ce r&ecirc;ve lors de la conf&eacute;rence qu&rsquo;il a prononc&eacute;e &agrave; l&rsquo;ouverture du colloque organis&eacute; autour de l&rsquo;&oelig;uvre de Cixous &agrave; la BnF en 2003&nbsp;et ce moment fut enregistr&eacute;&nbsp;; on retrouve ce m&ecirc;me passage dans l&rsquo;ouvrage qui en a &eacute;t&eacute; tir&eacute;, qui s&rsquo;intitule&nbsp;<em>Gen&egrave;ses, g&eacute;n&eacute;alogies, genres</em>&nbsp;<em>et le g&eacute;nie&nbsp;</em><a href="#_ftn49" name="_ftnref49">[49]</a>. Voici le r&ecirc;ve,&nbsp;qui est l&eacute;g&egrave;rement modifi&eacute; par rapport &agrave; la version du recueil&nbsp;<em>R&ecirc;ve je te dis&nbsp;</em>:</p> <blockquote> <p>Dans cette foire immense comme une ville d&rsquo;un jour, tout nous s&eacute;pare et tout nous r&eacute;unit. Le miracle, ou la chance gagn&eacute;e, c&rsquo;est que nous arrivons &agrave; nous retrouver et &agrave; jeter les mots de feu malgr&eacute; tout. C&rsquo;est ainsi que le soir tard, apr&egrave;s les journ&eacute;es folles de monde, j&rsquo;ai pu te rejoindre dans ta chambre, malgr&eacute; la pr&eacute;sence dans les lieux d&rsquo;Al. et les siens. [&hellip;] Aussi tard le soir, je m&rsquo;&eacute;lance &agrave; travers les chambres luxueuses immenses et vides de cet h&ocirc;tel infini, et courant par les salons d&eacute;serts, ail&eacute;e, je traverse les espaces jusqu&rsquo;&agrave; ta chambre. Ce qui nous s&eacute;pare c&rsquo;est seulement le jour les obligations le monde les obstacles. C&rsquo;est ainsi que dans l&rsquo;immense foule de l&rsquo;exposition, emport&eacute;e par la fi&egrave;vre de l&rsquo;amour je me retrouve aupr&egrave;s de toi dans un wagon de m&eacute;tro bond&eacute; que je n&rsquo;aurais pas d&ucirc; prendre, mais je n&rsquo;ai pas pu te quitter. La rame traverse &agrave; grande vitesse des distances &eacute;normes [&hellip;] &Agrave; l&rsquo;arr&ecirc;t, soudain, ta voix serr&eacute;e &agrave; moi, comme si c&rsquo;&eacute;tait la mienne, crie sans un son, dans mon &ecirc;tre je t&rsquo;adore je t&rsquo;adore je t&rsquo;adore. Dans le bruit des machines et du monde les mots sont hurl&eacute;s doucement, un peu inquiets, c&rsquo;est le cadeau de Dieu et tandis que les portes automatiques me poussent dehors je crie moi aussi parce que je ne peux prononcer autre chose. Alors pleine de ce feu et de h&acirc;te, me voil&agrave; qui rebrousse chemin vers ma chambre o&ugrave; je dois me pr&eacute;parer pour l&rsquo;inauguration afin de te retrouver publiquement un peu plus tard. [&hellip;] le temps passe &ndash; arriverai-je &agrave; temps dans ma chambre pour me changer [&hellip;] Enfin voil&agrave; l&rsquo;&eacute;tage, la chambre. Mais les &eacute;v&eacute;nements ont transform&eacute; le paysage. La chambre est &agrave; nu, pas de plafond, elle est dans une cuvette. Tout autour sur les hauteurs des passants et voyeurs. Je suis vue, et de haut. Comment me changer&nbsp;? Alors tant pis. Faisant comme si j&rsquo;&eacute;tais chez moi je commence &agrave; me d&eacute;shabiller. J&rsquo;enl&egrave;ve mon slip. Je garde un petit tee-shir noir &ndash; assez long &ndash; je vais vite m&rsquo;habiller et avec &eacute;l&eacute;gance. Rien ne m&rsquo;aura &eacute;t&eacute; &eacute;pargn&eacute;. Mais quand m&ecirc;me la nuit j&rsquo;ai pu te rejoindre. Et tes mots ardents sont dans ma vie, je t&rsquo;adore je t&rsquo;adore jeta jet&rsquo;&nbsp;<a href="#_ftn50" name="_ftnref50">[50]</a></p> </blockquote> <p>&Agrave; travers la voix de Nicole Garcia, le r&ecirc;ve se lit comme une v&eacute;ritable d&eacute;claration amoureuse. Une musique instrumentale l&rsquo;accompagne&nbsp;en fond ; le rythme s&rsquo;acc&eacute;l&egrave;re au moment de la course dans le m&eacute;tro, mimant ainsi la fi&egrave;vre de la passion. Comment&eacute; en partie ensuite par Jacques Derrida, le r&ecirc;ve r&eacute;sonne autrement. La prononciation tr&egrave;s articul&eacute;e du philosophe lui conf&egrave;re une autre qualit&eacute; onirique, plus r&eacute;fl&eacute;chie et moins int&eacute;rieure. Port&eacute; par ces deux voix, par ces diff&eacute;rents timbres, le r&ecirc;ve se trouve en quelque sorte d&eacute;sappropri&eacute;&nbsp;de celle qui l&rsquo;a r&ecirc;v&eacute;e. L&rsquo; &laquo;&nbsp;incommunicable du r&ecirc;ve&nbsp;&raquo; soulign&eacute; par Lyotard passe ainsi par les vibrations des deux voix, f&eacute;minine et masculine. Il appara&icirc;t donc possible de dire que la radio, c&rsquo;est-&agrave;-dire le passage par les voix, d&rsquo;une part d&eacute;privatise le r&ecirc;ve et d&rsquo;autre part le pluralise en lui donnant une r&eacute;sonance proprement litt&eacute;raire. Cette s&eacute;quence se termine de mani&egrave;re tr&egrave;s originale&nbsp;puisque les derniers mots du r&ecirc;ve prononc&eacute;s par Derrida (&laquo;&nbsp;Je t&rsquo;adore, je t&rsquo;ador, jet&rsquo;&nbsp;&raquo;) sont repris en sample et fusionn&eacute;s &agrave; un rythme de rap, &agrave; quoi vient s&rsquo;ajouter une voix op&eacute;ratique. Ce m&eacute;lange, qui associe la voix d&rsquo;un des plus grands philosophes fran&ccedil;ais du XXe si&egrave;cle &agrave; une musique rap, est &eacute;tonnant. Ici le r&ecirc;ve se fait le support d&rsquo;une exp&eacute;rimentation interartistique donnant lieu &agrave; la cr&eacute;ation d&rsquo;un objet hybride et tout &agrave; fait in&eacute;dit. En d&eacute;finitive, cette dimension exp&eacute;rimentale appara&icirc;t centrale dans la pi&egrave;ce radiophonique de Cixous qui se donne, ne l&rsquo;oublions pas, comme un &laquo;&nbsp;exercice de r&ecirc;ve&nbsp;&raquo;&nbsp;: il s&rsquo;agit donc d&rsquo;une exp&eacute;rimentation, d&rsquo;une cr&eacute;ation en train de se faire.</p> <p>La pi&egrave;ce radiophonique se cl&ocirc;t sur la r&eacute;it&eacute;ration du pouvoir m&eacute;moriel du r&ecirc;ve &agrave; travers&nbsp;la voix d&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous elle-m&ecirc;me&nbsp;: &nbsp;&laquo;&nbsp;Si je ne r&ecirc;vais pas, je tomberais en poussi&egrave;re. Si je ne te r&ecirc;vais pas, tu tomberais en poussi&egrave;re.&nbsp;&raquo; Le r&ecirc;ve vient en effet sauver de l&rsquo;oubli le r&ecirc;v&eacute; autant que la r&ecirc;veuse. Les derniers mots de l&rsquo;auteure proposent une r&eacute;flexion sur l&rsquo;ins&eacute;parabilit&eacute; de l&rsquo;&ecirc;tre avec l&rsquo;autre, mais font surgir en m&ecirc;me temps, par diff&eacute;rents jeux de signifiant, une multiplicit&eacute; de sens :</p> <blockquote> <p>C&rsquo;est ici que les aveugles luttent en s&rsquo;embrassant. Tu es moi, tu es mon fr&egrave;re. Ne tuez pas mon fr&egrave;re&nbsp;[&hellip;] Sommes-nous dehors&nbsp;? Sommes-nous dedans&nbsp;? [&hellip;] Chut, r&ecirc;ve, tais-toi maintenant. Je t&rsquo;ai eu. T-U, tu. Tu es un tu. Tu vois ce que je veux dire&nbsp;? Je vois ce que &laquo;&nbsp;tu&nbsp;&raquo; veux dire. Tu, t-u.&nbsp;Surtout ne te r&eacute;veille pas. Reste l&agrave;, tr&egrave;s cher r&ecirc;ve&nbsp;<a href="#_ftn51" name="_ftnref51">[51]</a>.</p> </blockquote> <p>Les aveugles d&eacute;signent ceux qui ont les yeux ferm&eacute;s, c&rsquo;est-&agrave;-dire ceux qui, parce qu&rsquo;ils ne voient pas, parviennent &agrave; entendre l&rsquo;homophonie propre au langage (tu es/ tuez&nbsp;; tu/ tu), homophonie que le dispositif radiophonique ne peut qu&rsquo;accentuer. Ainsi, la fin de la pi&egrave;ce fait encore une fois la d&eacute;montrastion des nombreux effets de d&eacute;multiplication&nbsp;qui sont rendus possibles par la radio.</p> <p style="text-align: center;">*</p> <p><strong><em>Coda</em></strong></p> <p>&laquo;&nbsp;[&hellip;] Je ne me demande jamais &ldquo;qui suis-je&nbsp;?&rdquo;, je me demande &ldquo;qui sont-je&nbsp;? &rdquo; &ndash; phrase intraduisible. Qui peut dire qui je sont, combien d&rsquo;&ecirc;tres je sont, quel je est le plus propre de mes je&nbsp;? [&hellip;]&nbsp;<a href="#_ftn52" name="_ftnref52">[52]</a>&nbsp;&raquo; C&rsquo;est ce qu&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous &eacute;crivait dans la pr&eacute;face d&rsquo;une anthologie en anglais &agrave; elle consacr&eacute;e il y a plus d&rsquo;une vingtaine d&rsquo;ann&eacute;es. Bien s&ucirc;r, l&rsquo;homophonie de l&rsquo;expression &ldquo;qui sont-je&nbsp;? &rdquo; ne lui a pas &eacute;chapp&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp; notre oreille fran&ccedil;aise entend, quand je prononce ma question, la phrase &ldquo;qui songe&nbsp;? &rdquo; c&rsquo;est-&agrave;-dire qui r&ecirc;ve.&nbsp;<em>Qui sont-je quand je songe&nbsp;? Qui r&ecirc;ve quand je r&ecirc;ve&nbsp;?</em>&nbsp;<a href="#_ftn53" name="_ftnref53">[53]</a>&nbsp;&raquo; On le voit, pluralit&eacute; de l&rsquo;&ecirc;tre et r&ecirc;ve chez Cixous sont toujours li&eacute;s. Car cette non-unit&eacute; du je, cette &eacute;nonciation plurielle, ce sont d&rsquo;abord les r&ecirc;ves qui nous l&rsquo;enseignent. Ce que les r&ecirc;ves nous disent, c&rsquo;est que nous sommes des &laquo;&nbsp;&ecirc;tre[s] compos&eacute;[s]&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn54" name="_ftnref54">[54]</a>, nous avons une vie au moins double, un monde toujours multiple.</p> <h3><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h3> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>Le D&eacute;tr&ocirc;nement de la mort. Journal du&nbsp;</em>Chapitre Los, Paris, Galil&eacute;e, 2014, &laquo;&nbsp;Lignes fictives&nbsp;&raquo;, p. 25.</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>&laquo; Ceci est un exercice de r&ecirc;ve &raquo;</em>,&nbsp;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>, s&eacute;rie &laquo;&nbsp;Le &ldquo;je&rdquo; radiophonique&nbsp;&raquo;, France Culture, 20 novembre 2005, r&eacute;sum&eacute; en ligne sur le site de France Culture.</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous, &laquo;&nbsp;Entretien autour de Stendhal&nbsp;&raquo;, propos recueillis par Catherine Mariette,&nbsp;<em>Orages. Litt&eacute;rature et culture 1760-1830</em>, Florence Lotterie et Pierre Frantz (&eacute;d.), n&deg; 12, mars 2013, p. 292.</p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>&laquo; Ceci est un exercice de r&ecirc;ve &raquo;</em>,&nbsp;<em>op. cit</em>.</p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;G&eacute;rard de Nerval,&nbsp;<em>Aur&eacute;lia,&nbsp;</em>pr&eacute;face de G&eacute;rard Mac&eacute;<em>,</em>&nbsp;&eacute;dition &eacute;tablie et annot&eacute;e par Jean-Marie Illouz, Paris, Garnier, &laquo;&nbsp;Folio Classique&raquo;, 2005, p. 123 (soulign&eacute; par l&rsquo;auteur).</p> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>&laquo; Ceci est un exercice de r&ecirc;ve &raquo;</em>,&nbsp;<em>op. cit</em>.</p> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous, &laquo;&nbsp;Entretien autour de Stendhal&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>op. cit</em>., p. 292.</p> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a>&nbsp;G&eacute;rard de Nerval,&nbsp;<em>Aur&eacute;lia, op. cit</em>., p. 123.</p> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a>&nbsp;Michel Chion,&nbsp;<a href="http://www.lampe-tempete.fr/ChionGlossaire.html" target="_blank">&laquo;&nbsp;Glossaire acoulogique&nbsp;&raquo;</a>, article &laquo;&nbsp;Acousmatique&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Lampe-temp&ecirc;te</em>&nbsp;[revue en ligne], n&deg; 2, 2007 (soulig&eacute; par l&rsquo;auteur).</p> <p><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>&laquo; Ceci est un exercice de r&ecirc;ve &raquo;</em>,&nbsp;<em>op. cit</em>. (je souligne).</p> <p><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>Portrait de Dora</em>.&nbsp;<em>D&rsquo;apr&egrave;s &laquo;&nbsp;Le cas Dora&nbsp;&raquo; de Freud</em>, en deux parties,&nbsp;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>, r&eacute;alisation Jean-Jacques Vierne, 22 mai 1973. Avec les voix de Douchka, Jean-Marc Bory, Ginette Franck, Lucien Fr&eacute;gis, Catherine Laborde, Jacques Mauclair et Monique M&eacute;linand.</p> <p><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a>&nbsp;Sigmund Freud<em>, Dora.</em>&nbsp;<em>Fragment d&rsquo;une analyse d&rsquo;hyst&eacute;rie</em>, trad. Fran&ccedil;oise Kahn et Fran&ccedil;ois Robert, Paris, PUF, &laquo;&nbsp;Quadrige&nbsp;&raquo;, 2006.</p> <p><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p. 54.</p> <p><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p. 103-104.</p> <p><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>Portrait du soleil</em>, Paris, Deno&euml;l, &laquo;&nbsp;Les Lettres Nouvelles&nbsp;&raquo;, 1973.</p> <p><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>Portrait de Dora</em>, Paris, Des femmes, 1976.</p> <p><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous, Entretien t&eacute;l&eacute;visuel &agrave; l&rsquo;occasion de la mise en sc&egrave;ne au Th&eacute;&acirc;tre d&rsquo;Orsay,&nbsp;<em>&Eacute;mission P&eacute;plum</em>, 6 mars 1976, Archives Ina, disponible en ligne.</p> <p><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a>&nbsp;Repris &agrave; l&rsquo;identique dans H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>Portrait de Dora</em>, Paris, Des femmes, 1976, p. 9.</p> <p><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a>&nbsp;Sigmund Freud, &laquo;&nbsp;Remarques sur un cas de n&eacute;vrose obsessionnelle. L&rsquo;Homme aux rats&nbsp;&raquo; (1909),&nbsp;<em>Cinq psychanalyses</em>, trad. Marie Bonaparte et R. Loewenstein, Paris, PUF, 1954, p. 233, note.</p> <p><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a>&nbsp;Ce passage ne sera pas repris dans la version th&eacute;&acirc;trale de 1976.</p> <p><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a>&nbsp;Sigmund Freud, &laquo;&nbsp;Postface&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Dora, op. cit</em>, p.113.</p> <p><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a>&nbsp;Voir la note de la Postface : &nbsp;&laquo;&nbsp;Plus je m&rsquo;&eacute;loigne dans le temps du terme de cette analyse, plus il devient vraisemblable &agrave; mes yeux que ma faute technique a consist&eacute; &agrave; omettre ce qui suit&nbsp;: Je n&rsquo;ai pas su deviner &agrave; temps ni communiquer &agrave; la malade que la motion d&rsquo;amour homosexuelle (gyn&eacute;cophile) pour Mme K. &eacute;tait le plus fort des courants inconscients de sa vie d&rsquo;&acirc;me&nbsp;&raquo; (Sigmund Freud,&nbsp;<em>Dora,</em>&nbsp;<em>op. cit</em>., p. 117, note 1).</p> <p><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a>&nbsp;Jeannelle Laillou Savona, &laquo;&nbsp;<em>Portrait de Dora</em>&nbsp;d&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous. &Agrave; la recherche d&rsquo;un th&eacute;&acirc;tre f&eacute;ministe&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>H&eacute;l&egrave;ne Cixous. Chemins d&rsquo;une &eacute;criture</em>, Fran&ccedil;oise van Rossum-Guyon et Myriam Diaz-Diocaretz (dir.), Amsterdam, Rodopi, 1990, p. 163 (je souligne).</p> <p><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a>&nbsp;Repris dans&nbsp;<em>Portrait de Dora</em>,&nbsp;<em>op. cit</em>., p. 14.</p> <p><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a>&nbsp;V. Mair&eacute;ad Hanrahan, &laquo;&nbsp;Cixous&rsquo;s&nbsp;<em>Portrait of Dora&nbsp;</em>: The Play of Whose Voice&nbsp;?&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>The Modern Language Review</em>, vol. 93, n&deg;1, 1998, p. 58.</p> <p><a href="#_ftnref28" name="_ftn28">[28]</a>&nbsp;Avec les voix d&rsquo;&Egrave;ve Cixous, H&eacute;l&egrave;ne Cixous, Pierre Cixous, Anne Berger, Saranya, Jacques Derrida, Nicole Garcia, Daniel Mesguich, Luce Mouchel, Nicolas Royle et Jean-Jacques Lem&ecirc;tre.</p> <p><a href="#_ftnref29" name="_ftn29">[29]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>R&ecirc;ve je te dis</em>, Paris, Galil&eacute;e, &laquo;&nbsp;Lignes fictives&nbsp;&raquo;, 2003.</p> <p><a href="#_ftnref30" name="_ftn30">[30]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p. 11 (les italiques sont de l&rsquo;auteure).</p> <p><a href="#_ftnref31" name="_ftn31">[31]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>OR. les lettres de mon p&egrave;re</em>, Paris, Des femmes, 1997.</p> <p><a href="#_ftnref32" name="_ftn32">[32]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>Osnabr&uuml;ck</em>, Paris, Des femmes, 1999.</p> <p><a href="#_ftnref33" name="_ftn33">[33]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>Le jour o&ugrave; je n&rsquo;&eacute;tais pas l&agrave;</em>, Paris, Galil&eacute;e, &laquo;&nbsp;Lignes fictives&nbsp;&raquo;, 2000.</p> <p><a href="#_ftnref34" name="_ftn34">[34]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>R&ecirc;ve je te dis</em>&nbsp;,&nbsp;<em>op. cit</em>., p. 17 (les italiques sont de l&rsquo;auteure).</p> <p><a href="#_ftnref35" name="_ftn35">[35]</a>&nbsp;<em>Ibid.,</em>&nbsp;p. 19 (les italiques sont de l&rsquo;auteure).</p> <p><a href="#_ftnref36" name="_ftn36">[36]</a>&nbsp;Jean-Fran&ccedil;ois Lyotard, &laquo;&nbsp;R&ecirc;ve&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Encyclop&aelig;dia Universalis</em>, vol. 14, 1974 (je souligne).</p> <p><a href="#_ftnref37" name="_ftn37">[37]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>R&ecirc;ve je te dis</em>&nbsp;,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p. 16.</p> <p><a href="#_ftnref38" name="_ftn38">[38]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous, &laquo;&nbsp;Mon&nbsp;<em>alg&eacute;riance</em>&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Les Inrockuptibles</em>, n&deg; 115, 20 ao&ucirc;t-2 septembre 1997, p. 7.</p> <p><a href="#_ftnref39" name="_ftn39">[39]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p. 16-17 (les italiques sont de l&rsquo;auteure).</p> <p><a href="#_ftnref40" name="_ftn40">[40]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p. 78-80.</p> <p><a href="#_ftnref41" name="_ftn41">[41]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>OR, op. cit</em>., p. 56-60.</p> <p><a href="#_ftnref42" name="_ftn42">[42]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>R&ecirc;ve je te dis, op. cit</em>., p. 58-59.</p> <p><a href="#_ftnref43" name="_ftn43">[43]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>&laquo; Ceci est un exercice de r&ecirc;ve &raquo;</em><em>, op. cit</em>.</p> <p><a href="#_ftnref44" name="_ftn44">[44]</a>&nbsp;Jacques Derrida,&nbsp;<em>M&eacute;moires d&rsquo;aveugle. L&rsquo;autoportrait et autres ruines</em>, Paris, R&eacute;union des Mus&eacute;es nationaux, 1991, p. 23.</p> <p><a href="#_ftnref45" name="_ftn45">[45]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>&laquo; Ceci est un exercice de r&ecirc;ve &raquo;</em>,&nbsp;<em>op. cit</em>. Voir&nbsp;<em>R&ecirc;ve je te dis, op. cit.,</em>&nbsp;p. 72-74.</p> <p><a href="#_ftnref46" name="_ftn46">[46]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref47" name="_ftn47">[47]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>R&ecirc;ve je te dis, op. cit</em>., p. 98-99.</p> <p><a href="#_ftnref48" name="_ftn48">[48]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>&laquo; Ceci est un exercice de r&ecirc;ve &raquo;</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em></p> <p><a href="#_ftnref49" name="_ftn49">[49]</a>&nbsp;Jacques Derrida<em>, Gen&egrave;ses, g&eacute;n&eacute;alogies, genres et le g&eacute;nie. Les secrets de l&rsquo;archive</em>, Paris, Galil&eacute;e, 2003.</p> <p><a href="#_ftnref50" name="_ftn50">[50]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>&laquo; Ceci est un exercice de r&ecirc;ve &raquo;</em>,&nbsp;<em>op. cit</em>.</p> <p><a href="#_ftnref51" name="_ftn51">[51]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;<em>&laquo; Ceci est un exercice de r&ecirc;ve &raquo;</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em></p> <p><a href="#_ftnref52" name="_ftn52">[52]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous, &ldquo;Preface&rdquo;,&nbsp;<em>The Portable Cixous</em>, Susan Sellers (&eacute;d.), Londres /New York, Routledge, 1994, p.&nbsp;xviii (ma traduction).</p> <p><a href="#_ftnref53" name="_ftn53">[53]</a>&nbsp;<em>Ibid.&nbsp;</em>( je souligne).</p> <p><a href="#_ftnref54" name="_ftn54">[54]</a>&nbsp;H&eacute;l&egrave;ne Cixous, &laquo;&nbsp;Entretien autour de Stendhal&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>op. cit</em>., p. 292.</p> <h3>Autrice</h3> <p><strong>Sarah-Ana&iuml;s Crevier Goulet</strong>&nbsp;est professeure certifi&eacute;e de lettres modernes et docteure en Litt&eacute;rature fran&ccedil;aise, membre associ&eacute;e de l&rsquo;UMR 7172 THALIM. Sa recherche s&rsquo;inscrit au croisement des &eacute;tudes litt&eacute;raires, des &eacute;tudes de genre et de la psychanalyse. Sa th&egrave;se, qui portait sur l&rsquo;&oelig;uvre d&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Cixous,&nbsp;est parue en 2015 aux &Eacute;ditions Honor&eacute; Champion sous le titre&nbsp;<em>Entre le texte et le corps&nbsp;: deuil et diff&eacute;rence sexuelle chez H&eacute;l&egrave;ne Cixous</em>. Elle a publi&eacute; divers articles en revue et co-dirig&eacute; plusieurs ouvrages collectifs&nbsp;(avec M. Balcazar,&nbsp;<em>Pens&eacute;es du corps. La mat&eacute;rialit&eacute; et l&rsquo;organique vus par les sciences humaines,&nbsp;</em>PSN, 2011&nbsp;; avec A. Frantz et M. Calle-Gruber,&nbsp;<em>Fictions des genres,&nbsp;</em>EUD, 2013&nbsp;; avec M. Calle-Gruber,&nbsp;<em>&Eacute;critures migrantes du genre (II). Langues, arts, inter-sectionnalit&eacute;</em>, PSN, 2017&nbsp;; avec M. Calle-Gruber, A. Oberhuber et M. Penalver Vicea,&nbsp;<em>Les folles litt&eacute;raires</em>,&nbsp;<em>des folies lucides. Les &eacute;tats&nbsp;</em>borderline&nbsp;<em>du genre et ses cr&eacute;ations,&nbsp;</em>Nota Bene, 2019).</p> <h3><strong>Copyright</strong></h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>