<h3>Abstract</h3> <p>In&nbsp;<em>La pr&eacute;paration de la vie</em>, Colette Fellous explains that she wants to understand why she feels like she has no mother tongue whereas she has always been in love with her mother tongue. Both litterature and radio try to understand what language is: the silence of the writer echoes to the listening of the writer and to the speaking of the interviewer, in order to question the arbitrariness of the language. To sum up, literary language and radiophonic language are both considered by Colette Fellous as a way to organize her life. This study will focus on Colette Fellous&rsquo; course of life, between France and Tunisia, between her meeting with Roland Barthes and with radio, in order to understand the relationship that she maintains with her mother tongue.</p> <h2>Keywords<br /> &nbsp;</h2> <p>Alain Veinstein,&nbsp;magnetic nights, Colette Fellous, nomadic notebook</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p align="JUSTIFY">&laquo; Ma premi&egrave;re &eacute;mission a co&iuml;ncid&eacute; avec l&rsquo;&eacute;criture de mon premier livre [<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>] &raquo;. En 1982, Colette Fellous publie&nbsp;<em>Roma</em>, son premier livre. La m&ecirc;me ann&eacute;e elle fait sa premi&egrave;re &eacute;mission de&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>, apr&egrave;s avoir fait ses armes &agrave; l&rsquo;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>&nbsp;en 1980. En 1990, elle prend la direction des&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>&nbsp;et en 1997, elle cr&eacute;e en leur sein l&rsquo;&eacute;mission&nbsp;<em>Carnet nomade</em>, dont le titre traduit &agrave; lui seul la mani&egrave;re dont la litt&eacute;rature s&rsquo;insinue dans sa pratique radiophonique. Elle pr&eacute;sente souvent la radio comme un carnet, qu&rsquo;on ouvre, qu&rsquo;on ferme, qu&rsquo;on m&eacute;dite, avec ses pages de ratures que l&rsquo;on garde [<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>], avec ses mots qui se cherchent et ses situations qui s&rsquo;inventent. Le langage est certes dans les mots, mais il est aussi dans les &laquo; couleurs qui se chevauchent l&rsquo;une sur l&rsquo;autre, comme des notes &eacute;chapp&eacute;es d&rsquo;une fen&ecirc;tre [<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>] &raquo;. Il est dans l&rsquo;expression de notre sensibilit&eacute; :</p> <blockquote> <p>Nous sommes tous tiss&eacute;s d&rsquo;invisible, nous marchons en prot&eacute;geant notre secret, seule notre peau, si fine, soutient tous nos labyrinthes, canaux, veines, chemins d&rsquo;irrigation, avant de se jeter dans la ville ; attention, attention, en traversant. Oui, notre peau prot&egrave;ge une ville enti&egrave;re. On la voit battre encore sous nos paupi&egrave;res [<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>].</p> </blockquote> <p align="JUSTIFY">Colette Fellous nous invite &agrave; travers toute son &oelig;uvre, &agrave; la fois radiophonique et litt&eacute;raire, &agrave; tirer ce fil d&rsquo;Ariane du langage, &agrave; travers le labyrinthe de la vie.</p> <h2 align="JUSTIFY">1. Aux origines de sa langue<br /> &nbsp;</h2> <p align="JUSTIFY">L&rsquo;&eacute;crivaine exprime un rapport incertain &agrave; sa propre langue, depuis son enfance. On l&rsquo;entend souvent chercher ses mots, reprendre ses questions, bien loin de ces journalistes de radio assur&eacute;s dans leurs propos. &laquo; Comment pourrais-je &eacute;crire un livre entier puisque je ne sais pas parler [<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">|5]</a>] ? &raquo; Ces pr&eacute;cautions avec la langue se sont nourries d&rsquo;une histoire personnelle oscillant entre les deux rives de la M&eacute;diterran&eacute;e, entre la France et la Tunisie, entre la langue fran&ccedil;aise qui est sa langue maternelle et la langue arabe qu&rsquo;elle a entendue dans l&rsquo;enfance mais qu&rsquo;elle ne parle pas. Colette Fellous est n&eacute;e de parents juifs install&eacute;s en Tunisie, eux-m&ecirc;mes originaire d&rsquo;Italie et du Portugal. Les grands-parents ont parl&eacute; le jud&eacute;o-arabe avant d&rsquo;apprendre le fran&ccedil;ais &agrave; l&rsquo;&eacute;cole. Elle dit de son p&egrave;re qu&rsquo;il parle &laquo; un fran&ccedil;ais cass&eacute; [<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>] &raquo;, et elle est l&rsquo;h&eacute;riti&egrave;re de cette &laquo; cassure &raquo; de la langue : n&rsquo;ayant pas appris l&rsquo;arabe dans son enfance en Tunisie et le fran&ccedil;ais &eacute;tant pour elle sa langue maternelle, elle l&rsquo;a consid&eacute;r&eacute; parfois avec ambivalence, partag&eacute;e entre la volont&eacute; d&rsquo;occidentalisation de toutes les familles juives de Tunisie et leur crainte de perdre leur origine et l&rsquo;ancrage maghr&eacute;bin. Comme pour beaucoup d&rsquo;autres Juifs maghr&eacute;bins, depuis le d&eacute;cret Cr&eacute;mieux en 1870 accordant aux Juifs alg&eacute;riens la nationalit&eacute; fran&ccedil;aise, elle nourrit un tropisme tr&egrave;s fort pour la culture m&eacute;tropolitaine et pour la langue fran&ccedil;aise, per&ccedil;ue comme une sorte de terre linguistique d&rsquo;accueil [<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>]. Elle se pr&eacute;sente elle-m&ecirc;me comme une sorte de Bel Ami de la langue fran&ccedil;aise [<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>]. Et c&rsquo;est sa passion pour la langue fran&ccedil;aise qu&rsquo;elle va chercher avant tout &agrave; satisfaire en venant en France, &agrave; Paris, &agrave; l&rsquo;&acirc;ge de 17 ans. Son r&ecirc;ve de France se r&eacute;alise quand elle se rapproche des plus grands penseurs de l&rsquo;&eacute;poque et poursuit son rapport critique au langage, entre m&eacute;fiance et adoration, en le d&eacute;structurant pour mieux se le r&eacute;approprier. Elle rencontre le structuraliste et s&eacute;miologue Roland Barthes et se fait accepter &agrave; son s&eacute;minaire de l&rsquo;EHESS en 1972, dans le beau b&acirc;timent du 36 rue de Tournon. Sa relation avec Roland Barthes est indispensable pour comprendre sa relation au langage (il est sa &laquo; pr&eacute;sence lointaine &raquo;, son &laquo; guide vagabond &raquo; [<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>]) mais pour comprendre aussi son art de faire de la radio. C&rsquo;est lui qui lui conseille d&rsquo;&eacute;crire et c&rsquo;est, en d&eacute;finitive, par certains de ses enseignements que, sans trop le savoir, Colette Fellous va se laisser aimanter par la radio.</p> <h2 align="JUSTIFY">2. Le fil d&rsquo;Ariane du langage tir&eacute; par la radio et la litt&eacute;rature<br /> &nbsp;</h2> <p align="JUSTIFY">C&rsquo;est Roland Barthes qui, pour d&eacute;crisper son rapport &agrave; la langue fran&ccedil;aise, lui conseille d&rsquo;&eacute;crire et de s&rsquo;autoriser &agrave; dire &laquo; je &raquo;. L&rsquo;&eacute;criture devient ouverture au monde : &laquo; Je pouvais d&eacute;sormais dire je tout en me d&eacute;barrassant de moi, c&rsquo;&eacute;tait magique [<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>]. &raquo; L&rsquo;&eacute;criture a vertu d&rsquo;analyse et lui ouvre un champ &agrave; la fois intime et fictionnel. Lorsqu&rsquo;elle prend rendez-vous avec un psychanalyste en 1976, parce qu&rsquo;elle veut devenir elle-m&ecirc;me analyste, elle lui explique qu&rsquo;elle aime par-dessus tout &eacute;couter. Elle lui dit aussi vouloir comprendre d&rsquo;o&ugrave; venait pr&eacute;cis&eacute;ment sa relation d&rsquo;&eacute;tranget&eacute; avec sa langue. Mais cette s&eacute;ance restera unique car une semaine apr&egrave;s, elle envoie une lettre br&egrave;ve &agrave; son psychanalyste : &laquo; Je ne reviendrai pas. Je pr&eacute;f&egrave;re rester dans mon non-savoir, je choisis d&rsquo;&eacute;crire [<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>]. &raquo; &laquo; &Eacute;crire, ce n&rsquo;est pas renoncer &agrave; comprendre, c&rsquo;est comprendre d&rsquo;une autre fa&ccedil;on &raquo;, dit-elle [<a href="#_ftn12" name="_ftnref12"> [12]</a>]. Et en 1977, elle commence &agrave; &eacute;crire ce qui deviendra Roma, son premier roman, qui para&icirc;tra en 1982.</p> <p align="JUSTIFY">Ces ann&eacute;es d&rsquo;initiation riment &eacute;galement avec la d&eacute;couverte de la voix. Elle a beaucoup travaill&eacute; sur la voix en suivant le s&eacute;minaire de Roland Barthes&nbsp;; dans ces m&ecirc;mes ann&eacute;es, elle est com&eacute;dienne dans des pi&egrave;ces de Brigitte Jacques, elle aime faire vivre les mots, et c&rsquo;est d&rsquo;ailleurs en tant que com&eacute;dienne qu&rsquo;elle fait ses premiers pas &agrave; la Maison de la Radio. Nous sommes en 1975, &agrave; l&rsquo;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>&nbsp;(ACR), o&ugrave; Jean-Loup Rivi&egrave;re, rencontr&eacute; au s&eacute;minaire de Barthes, l&rsquo;a invit&eacute;e &agrave; venir lire des textes&nbsp;:</p> <blockquote> <p align="JUSTIFY">J&rsquo;avais beaucoup de plaisir à répéter les mots pour la radio &ndash; alors que d&rsquo;autres comédiens n&rsquo;aimaient pas du tout refaire &ndash; parce que je trouvais que ça ressemblait à l&rsquo;écriture. Il y a la même patience devant le langage, devant la recherche du mot juste, devant le rythme juste&nbsp;[<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>].</p> </blockquote> <p align="JUSTIFY">Entre 1980 et 1982, elle produit quelques ACR, avec l&rsquo;id&eacute;e de &laquo; faire de la radio comme on &eacute;crit &raquo; et d&rsquo;associer &eacute;troitement langage radiophonique et langage litt&eacute;raire (&laquo; Quand j&rsquo;&eacute;cris, tout est sonore car j&rsquo;ai comme des bandes-son dans la t&ecirc;te qui ne me quittent pas &raquo;). &laquo; &Ccedil;a s&rsquo;est vraiment fait ensemble, la radio et le roman, puisque ma premi&egrave;re &eacute;mission [&laquo; Des ronds dans l&rsquo;onde &raquo;] a co&iuml;ncid&eacute; avec l&rsquo;&eacute;criture de mon premier livre &raquo; [<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>] :</p> <blockquote> <p align="JUSTIFY">J&rsquo;&eacute;tais en train de finir mon premier roman et j&rsquo;ai &eacute;cout&eacute; dans l&rsquo;apr&egrave;s-midi une musique de derviches tourneurs &agrave; la radio, et en &eacute;coutant cette musique qui me faisait appara&icirc;tre des souvenirs tr&egrave;s anciens et tr&egrave;s confus, je me suis dit tout &agrave; coup : j&rsquo;ai envie de faire de la radio. C&rsquo;&eacute;tait une esp&egrave;ce de r&eacute;v&eacute;lation. Cette musique m&rsquo;avait beaucoup troubl&eacute;e. Il y a beaucoup de sensations fugitives qui ont surgi en moi que je n&rsquo;arrivais pas &agrave; comprendre. Alors, je me suis dit que j&rsquo;aimerais faire une &eacute;mission sur la m&eacute;moire et tout ce qui tourne, une &eacute;mission qui soit b&acirc;tie comme le roman que j&rsquo;&eacute;tais en train de terminer, mais un roman fait avec la voix des autres. Pour essayer de comprendre une &eacute;motion, pour essayer d&rsquo;entrer vraiment dans la parole de l&rsquo;autre, pour suivre sa pens&eacute;e d&rsquo;un mot &agrave; l&rsquo;autre, d&rsquo;une phrase &agrave; l&rsquo;autre, pour croiser aussi les disciplines, pour faire tourner le monde. Et faire que tout apparaisse et sonne comme un ch&oelig;ur, un ballet, une chor&eacute;graphie [<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>].</p> </blockquote> <p align="JUSTIFY">Mais si Colette Fellous aime et d&eacute;couvre avec passion l&rsquo;exploration des sons men&eacute;e &agrave; l&rsquo;ACR, elle ne trouve pas enti&egrave;rement sa place dans cette &eacute;mission formellement tr&egrave;s &eacute;labor&eacute;e, qui ne laisse pas assez place aux &eacute;motions, et qui au fond explore un langage du son plus que de la parole.&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>, qu&rsquo;elle &eacute;coutait tr&egrave;s fid&egrave;lement depuis sa cr&eacute;ation en 1978 et qui accueille sa premi&egrave;re production en 1982 (s&eacute;rie &laquo;&nbsp;La premi&egrave;re fois&nbsp;&raquo;), lui convient mieux&nbsp;: l&agrave;, on prend la parole au s&eacute;rieux, on a confiance dans le langage et on en joue&nbsp;; l&agrave;, on cherche ce qu&rsquo;il y a derri&egrave;re les paroles, la vie qui passe entre les silences et les mots&nbsp;; on cherche sans cesse &agrave; tresser ensemble la parole, le silence et l&rsquo;&eacute;coute. &laquo;&nbsp;La premi&egrave;re fois&nbsp;&raquo; commence par ces mots&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je ne sais rien, ou presque rien, de la premi&egrave;re fois.&nbsp;&raquo; Et c&rsquo;est dans le &laquo;&nbsp;presque&nbsp;&raquo; qu&rsquo;il y a &agrave; dire, une porte &agrave; ouvrir, un monde &agrave; explorer, un langage &agrave; chercher&nbsp;:</p> <blockquote> <p align="JUSTIFY">Quelques notes &eacute;chapp&eacute;es d&rsquo;une fen&ecirc;tre, des chaises qui grincent, des m&eacute;gots par terre, des hommes assis qui jouent aux cartes, des couleurs se chevauchant l&rsquo;une l&rsquo;autre, un transistor sur le sable, un cil ou peut-&ecirc;tre juste une poussi&egrave;re dans l&rsquo;&oelig;il, l&rsquo;&oelig;il qui se plisse. Et cela suffit pour cr&eacute;er quelque chose d&rsquo;irr&eacute;versible, qui ne se produit qu&rsquo;une fois et qui ne se retrouvera plus. T&acirc;tonnement, courage d&rsquo;entreprendre, peur de commencer, oubli m&ecirc;me du commencement, curiosit&eacute; aussi. C&rsquo;est tout &ccedil;a qui na&icirc;t contradictoirement en nous et qui fait qu&rsquo;une premi&egrave;re fois serait en m&ecirc;me temps premi&egrave;re et derni&egrave;re [<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>].</p> </blockquote> <p align="JUSTIFY">Colette Fellous explore ces petits riens qui sont des traces de vie. Elle incite &agrave; sentir la vie par tous les sens (ici, l&rsquo;ou&iuml;e, l&rsquo;odorat, le toucher) pour d&eacute;celer ce qu&rsquo;il y a derri&egrave;re l&rsquo;habitude, d&eacute;voiler ce qu&rsquo;on oublie et faire &eacute;clater la po&eacute;sie du quotidien. On trouve dans ces premiers mots personnels &eacute;crits pour la radio le ton des chapeaux qu&rsquo;elle &eacute;crira quotidiennement pour&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>&nbsp;quand elle en sera productrice-coordinatrice.</p> <p align="JUSTIFY">C&rsquo;est en 1990 qu&rsquo;elle prend la coordination de l&rsquo;&eacute;mission. Alain Veinstein lui aurait dit, en lui confiant&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il n&rsquo;y a que toi qui peut prendre le relais sans trahir, vu que tu es écrivain aussi [<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>] &raquo;. Et, comme &eacute;crivain, capable de sentir, capter, encourager les mani&egrave;res dont l&rsquo;&eacute;criture litt&eacute;raire et la parole radiophonique peuvent se r&eacute;pondre, correspondre ou s&rsquo;influencer pour mieux exprimer le monde environnant et provoquer la surprise. &laquo; Je pense que je n&rsquo;aurais pas fait la radio que j&rsquo;ai faite sans la pratique de l&rsquo;&eacute;criture. Et je me suis aussi appuy&eacute;e sur la radio pour &eacute;crire, pour savoir intimement comment les gens parlaient &ndash; pas seulement ce qu&rsquo;ils disaient mais aussi ce que disaient toutes les nuances de leur voix [<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>]. &raquo;</p> <h2>3. Explorer le d&eacute;dale de la vie<br /> &nbsp;</h2> <p align="JUSTIFY">Pour le po&egrave;te Franck Venaille, producteur &agrave;&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>&nbsp;durant quinze ans, &laquo; la voix serait &agrave; l&rsquo;&eacute;criture pour la bande magn&eacute;tique ce qu&rsquo;est la m&eacute;moire &agrave; l&rsquo;&eacute;criture pour le livre &raquo;, comme l&rsquo;&eacute;crit C&eacute;line Pardo dans sa contribution &agrave; ce num&eacute;ro [<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>]. Colette Fellous, elle, n&rsquo;a pas peur d&rsquo;utiliser la voix dans l&rsquo;&eacute;criture de ses romans ni la m&eacute;moire dans la composition de ses &eacute;missions radiophoniques. Pour elle, ces deux langages sont nourris d&rsquo;une m&ecirc;me curiosit&eacute; pour le monde : &laquo; Quand j&rsquo;ai commenc&eacute; &agrave; m&rsquo;emparer de ma m&eacute;moire, j&rsquo;ai vraiment renou&eacute; avec le mouvement de ces langues qui &eacute;taient tapies en moi. Le mouvement de l&rsquo;&eacute;criture, du voyage [<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>]. &raquo; Dans sa pratique du livre et de la radio, elle aime r&eacute;colter des bribes de vie. Ses &eacute;missions se nourrissent de l&rsquo;exp&eacute;rience de la vie et de la rencontre avec l&rsquo;autre, dans le voyage mais aussi dans sa propre m&eacute;moire [<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>]. C&rsquo;est ce qu&rsquo;elle fait par exemple dans un Carnet nomade de 1999 [<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>], en racontant un retour en Tunisie sur les lieux de son enfance. Chez Colette Fellous, la m&eacute;moire est une &laquo; m&eacute;moire aimant&eacute;e &raquo;, le pass&eacute; est racont&eacute; au pr&eacute;sent et le pr&eacute;sent se nourrit du pass&eacute;. L&agrave; et ailleurs, elle prend soin de sa propre m&eacute;moire, m&eacute;moire fragile d&rsquo;une culture dont elle est de plus en plus &eacute;loign&eacute;e et qu&rsquo;elle a peur de perdre. L&agrave; et ailleurs, tout se m&ecirc;le par le regard qu&rsquo;elle pose, sans hi&eacute;rarchie ni cloisonnement, sur le pass&eacute; et le pr&eacute;sent, sur elle et les autres, sur la petite histoire et la grande histoire :</p> <blockquote> <p align="JUSTIFY">Tant d&rsquo;invisible dans ces corps que nous portons, quelque chose d&rsquo;immense nous habite je le sais, avec tous ces mots accroch&eacute;s en vrac par-dessus, grands et petits, qui courent dans nos veines, sans r&eacute;pit, tu, je, nous, vous, ils, tant d&rsquo;invisible dans l&rsquo;histoire que nous portons je veux dire. Quel vertige tout &agrave; coup, tu, je, nous, nous, ils, voil&agrave; le march&eacute; aux tissus, voil&agrave; le march&eacute; aux herbes, les viandes grill&eacute;es, les poteries noires fabriqu&eacute;es par les femmes de montagne, doucement, doucement, tout va s&rsquo;&eacute;crouler, je chancelle, &ccedil;a y est, je suis arriv&eacute;e&nbsp;[<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>].&nbsp;</p> </blockquote> <p align="JUSTIFY">Colette Fellous prend soin de ses souvenirs, mais aussi de ses oublis&nbsp;: &laquo;&nbsp;J&rsquo;aime me souvenir avoir oubli&eacute;&nbsp;&raquo; dit-elle dans&nbsp;<em>Plein &eacute;t&eacute;</em>. Elle veut profiter de ses oublis, en tirer parti, car se souvenir d&rsquo;avoir oubli&eacute; permet de r&eacute;inventer. Et ainsi un livre d&rsquo;elle, une &eacute;mission d&rsquo;elle, devient un travail d&rsquo;arrangement, au sens musical, de souvenirs et d&rsquo;oublis, de silences et de paroles, de d&eacute;tails et de choses vues&nbsp;:</p> <blockquote> <p align="JUSTIFY">[Il ne faut rien] laisser en suspens. Tout chose vue, toute parole prononc&eacute;e, tout silence entre deux mots, tout lien entre deux phrases. [&hellip;] La puissance d&rsquo;une seule phrase, son &eacute;cho au-del&agrave; des ann&eacute;es. Comment donner &agrave; chaque d&eacute;tail une haute place et une vie nouvelle. Comment faire qu&rsquo;&agrave; la fois tout s&rsquo;encha&icirc;ne et tout se d&eacute;sorganise pour voir plus clair. Comment, derri&egrave;re une premi&egrave;re apparence, trouver une seconde langue, inventer des liens secrets, des arrangements, des rappels, des &eacute;chos, des musiques. Faire que tout devienne plus ample et notre vie unique [<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>].&nbsp;</p> </blockquote> <p align="JUSTIFY">Mais avant tout travail de montage (de composition), cr&eacute;er c&rsquo;est se mettre dans une posture d&rsquo;&eacute;coute et d&rsquo;ouverture au monde, pour accueillir tout ce qui vient sans pr&eacute;jug&eacute;s ni filtres, et c&rsquo;est aussi ce qui a guid&eacute; Colette Fellous dans son travail de productrice-coordinatrice. Avec elle, par sa capacit&eacute; &agrave; &laquo; donner aux gens l&rsquo;envie, la confiance et la liberté de pouvoir venir à la radio [<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>] &raquo;,&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>&nbsp;devient dans les ann&eacute;es 1990 une sorte de phalanst&egrave;re chaleureux et convivial : &laquo; Le bureau &eacute;tait tout le temps plein, il y avait du monde en permanence, des gens qui passaient pour proposer des projets, parler avec d&rsquo;autres &raquo;, se souvient Kristel Le Pollotec [<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>]. Colette Fellous aime donner sa chance aux gens qui d&eacute;butent, pour leur donner l&rsquo;occasion d&rsquo;exp&eacute;rimenter le pouvoir transformateur de la cr&eacute;ation. Elle aime provoquer, ou permettre, des premi&egrave;res fois. Pour elle, la radio et la litt&eacute;rature, l&rsquo;art en g&eacute;n&eacute;ral, sont des &laquo; pr&eacute;parations &agrave; la vie &raquo;, qui rendent la vie plus large.</p> <p align="JUSTIFY">L&rsquo;art de Colette Fellous est de naviguer &agrave; vue dans les recoins du langage et du r&eacute;el. Se perdre, h&eacute;siter, c&rsquo;est le moyen d&rsquo;explorer le labyrinthe de la vie, d&rsquo;avoir une vie plus large. Ses recoins ont &eacute;t&eacute; la radio, la litt&eacute;rature, les rencontres, la musique, les langues inconnues, les villes &agrave; d&eacute;couvrir &hellip; tout ce qui la sort d&rsquo;elle et la confronte &agrave; l&rsquo;&eacute;tranger pour mieux tirer le fil d&rsquo;Ariane de la vie. Apr&egrave;s coup, l&rsquo;&eacute;crivaine retrouve l&agrave; l&rsquo;enseignement de son ma&icirc;tre Roland Barthes&nbsp;:</p> <blockquote> <p align="JUSTIFY">C&rsquo;est seulement depuis quelques ann&eacute;es que son enseignement me revient et je m&rsquo;aper&ccedil;ois que sans m&rsquo;en rendre compte je faisais comme il m&rsquo;avait appris, c&rsquo;est-&agrave;-dire m&eacute;langer les choses, se rendre compte que tout savoir est int&eacute;ressant, qu&rsquo;il n&rsquo;y a pas de hi&eacute;rarchie entre les disciplines&hellip; C&rsquo;est ce que fait Barthes dans Mythologies : une sorte de chor&eacute;graphie du savoir. Barthes parlait souvent du texte &laquo; &eacute;toil&eacute; &raquo;. C&rsquo;est un peu &ccedil;a la radio et les Nuits magn&eacute;tiques. On prend un th&egrave;me et ensuite il faut l&rsquo;&eacute;toiler et en faire un objet beau, le plus beau possible [<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>].</p> </blockquote> <h2 align="JUSTIFY"><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h2> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;Entretien de l&rsquo;auteur avec Colette Fellous, 19 novembre 2015, reproduit en annexe dans Clara Lacombe,&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques. La radio libre du service public&nbsp;?</em>, mémoire de master 2 en Histoire sous la direction de Pascal Ory, Université Paris 1 Panth&eacute;on-Sorbonne, 2016. Disponible sur HAL&nbsp;<a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01418343/document">ici</a>. Tous nos remerciements &agrave; Colette Fellous qui a relu de pr&egrave;s cet article, dans lequel nous ferons fr&eacute;quemment r&eacute;f&eacute;rence &agrave; notre entretien de 2015.</p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;Colette Fellous, C<em>arnet nomade</em>, France Culture, 3 novembre 1997, r&eacute;al. Jacques Taroni.</p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;Colette Fellous, &laquo; La première fois &raquo; (partie 1),&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>, France Culture, 8 novembre 1982.</p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;Colette Fellous,&nbsp;<em>Plein &eacute;t&eacute;</em>, Paris, Gallimard, 2007.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;Colette Fellous,&nbsp;<em>La préparation de la vie</em>, Paris, Gallimard, 2014.</p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;Paula Jacques, &laquo;&nbsp;Pentimento&nbsp;&raquo;, France Culture, 16 octobre 1994.</p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;Ewa Maczka, &laquo;&nbsp;M&eacute;moire retrouv&eacute;e pour histoire oubli&eacute;e. L&rsquo;expression litt&eacute;raire des Juifs originaires d&rsquo;Afrique du Nord dans le contexte post-colonial&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Mouvement</em>s, hors-s&eacute;rie n&deg;1, 2011.</p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;Pentimento&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>op. ci</em>t.</p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a>&nbsp;Colette Fellous,&nbsp;<em>La préparation de la vie</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em></p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a>&nbsp;<em>Du jour au lendemain</em>, Alain Veinstein (prod.), France Culture, 12 avril 2014.</p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a>&nbsp;Entretien avec Colette Fellous du 19 novembre 2015<em>, op. cit.</em></p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a>&nbsp;Les trois citations viennent du m&ecirc;me entretien avec Colette Fellous du 19 novembre 2015,<em>&nbsp;op. cit.</em></p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a>&nbsp;Colette Fellous, &laquo; La première fois &raquo; (&eacute;mission 1), France Culture,&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>, 8 novembre 1982.</p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a>&nbsp;Entretien avec Colette Fellous du 19 novembre 2015,<em>&nbsp;op. cit.</em></p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a>&nbsp;C&eacute;line Pardo, &laquo; Venaille magn&eacute;tique. &Eacute;crire pour la bande, dans les contre-all&eacute;es de la po&eacute;sie &raquo;.</p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a><em>&nbsp;Du jour au lendemain</em>, &eacute;mission cit&eacute;e.</p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a>&nbsp;Samia Kassab-Charfi, &laquo; Architecture et histoire chez Colette Fellous &raquo;,&nbsp;<em>Revue de litt&eacute;rature compar&eacute;e</em>, n&deg;327, 2008, p. 397-406.</p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a>&nbsp;Colette Fellous,&nbsp;<em>Carnet nomade</em>&nbsp;du 12 avril 1999.</p> <p><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a>&nbsp;Colette Fellous,&nbsp;<em>Plein &eacute;t&eacute;</em>,<em>&nbsp;op. cit.</em></p> <p><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a>&nbsp;Colette Fellous,&nbsp;<em>Pi&egrave;ces d&eacute;tach&eacute;es</em>, Paris, Gallimard, 2017.</p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a>&nbsp;Entretien avec Vincent Decque, charg&eacute; de r&eacute;alisation &agrave;&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>, 19 novembre 2015, cit&eacute; dans Clara Lacombe,<em>&nbsp;Nuits magn&eacute;tiques</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.&nbsp;67.</p> <p><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a>&nbsp;Entretien avec Kristel Le Pollotec, attach&eacute;e de production &agrave;&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>, 31 mars 2016,&nbsp;<em>ibid.</em></p> <p align="JUSTIFY"><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a>&nbsp;Entretien avec Colette Fellous du 19 novembre 2015,&nbsp;<em>op. cit.</em></p> <h3 align="JUSTIFY">Autrice</h3> <p align="JUSTIFY">Parall&egrave;lement &agrave; ses activit&eacute;s au sein de radios associatives,&nbsp;<strong>Clara Lacombe</strong>&nbsp;a consacr&eacute; des recherches &agrave;&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>, qui ont abouti &agrave; la r&eacute;daction d&rsquo;un mémoire de master 2 en Histoire culturelle intitul&eacute;&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques. La radio libre du service public ?,</em>&nbsp;men&eacute; sous la direction de Pascal Ory et soutenu &agrave; Paris&nbsp;1 Panth&eacute;on-Sorbonne en 2016. Elle a&nbsp;r&eacute;alis&eacute; en 2019 pour l&rsquo;Ina, avec Marine Beccarelli et Viviane Chaudon,&nbsp;<a href="https://www.ina.fr/recherche?q=les-nuits-du-bout-du-monde"><em>Les Nuits du bout des ondes</em></a>, une s&eacute;rie de fiction sonore en six &eacute;pisodes mettant en valeur plusieurs d&eacute;cennies d&rsquo;archives de la radio nocturne, notamment de&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>. La s&eacute;rie vient d&rsquo;&ecirc;tre accueillie sur l&rsquo;application de podcasts de Radio France. Clara Lacombe r&eacute;alise aussi des documentaires vid&eacute;os (voir son&nbsp;<a href="https://claraloulacombe.wixsite.com/claralacombe/?lang=fr">site</a>).</p> <h3 align="JUSTIFY"><b>Copyright</b></h3> <p align="JUSTIFY">Tous droits r&eacute;serv&eacute;s</p>