<h3>Abstract</h3> <p>The result of a conference devoted to creative documentary on 15 and 16 November 2021 at the Universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry Montpellier 3, in partnership with Ina and Addor, this issue 18 follows on from a previous one devoted to fiction, with the shared aim of encouraging reflection, listening and discussion around &#39;beautiful radio&#39; today. In the case of the documentary genre, this focus on the contemporary era is all the more explicable given that the 2000s can be seen as the great years of recognition and explosion of the genre, symbolically signified by the creation in 2009 of Addor, the Association for the Development of Radio Documentary. Nowadays, what regular listener doesn&#39;t remember the first podcasts on Arte Radio, or the <em>Sur les docks</em> programmes on France Culture? Who, among the contemporary French-language programmes still being broadcast, hasn&#39;t heard of at least <em>Par Ou&iuml;-dire</em> (La Premi&egrave;re) in Belgium, <em>Le labo</em> (RTS) in Switzerland or Magn&eacute;to productions in Canada? But creative documentaries can also be found in Phaune Radio&#39;s soundwalks and soundscapes, in reportage programmes with less explicit artistic aims such as <em>LSD, the documentary series</em> or <em>Les Pieds sur terre</em> on France Culture, or in creative programmes where the documentary aim is not central :&nbsp;R&eacute;cr&eacute;ation sonore on Radio Campus Paris or, again on France Culture, <em>Les Passagers de la nuit</em> (2009-2011), <em>Cr&eacute;ation on Air</em> (2015-2019), <em>L&#39;Exp&eacute;rience</em> (since 2019). In a genre that is highly subject to formatting and collective processes, authors, producers and directors manage to assert their own styles, identifiable from one programme to the next.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>Issu d&rsquo;un colloque consacr&eacute; au documentaire de cr&eacute;ation les 15 et 16 novembre 2021 &agrave; l&rsquo;universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry Montpellier 3, en partenariat avec l&rsquo;Ina et l&rsquo;Addor, ce num&eacute;ro 18 prend la suite d&rsquo;un&nbsp;<a href="https://komodo21.numerev.com/numeros/1259-revue-15-le-desir-de-belle-radio-aujourd-hui-la-fiction" target="_blank">pr&eacute;c&eacute;dent d&eacute;di&eacute; &agrave; la fiction</a>, dans la perspective commune de favoriser r&eacute;flexions, &eacute;coutes et discussion autour de la &laquo; belle radio &raquo; aujourd&rsquo;hui. Dans le cas du genre documentaire&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, cette attention &agrave; l&rsquo;&eacute;poque contemporaine est d&rsquo;autant plus explicable que les ann&eacute;es 2000 peuvent &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;es comme les grandes ann&eacute;es de reconnaissance et d&rsquo;explosion du genre, symboliquement signifi&eacute;es par la cr&eacute;ation en 2009 de l&rsquo;Addor, Association pour le d&eacute;veloppement du documentaire radiophonique. Aujourd&rsquo;hui, quel auditeur un peu r&eacute;gulier ne se souvient pas des premiers podcasts d&rsquo;Arte Radio, ou des &eacute;missions de&nbsp;<a href="http://syntone.fr/lilot-documentaire/" target="_blank"><em>Sur les docks</em></a>&nbsp;&agrave; France Culture&nbsp;? Qui, parmi les programmes contemporains francophones toujours diffus&eacute;s, n&rsquo;a pas entendu parler au moins des &eacute;missions&nbsp;<em>Par Ou&iuml;-dire</em>&nbsp;(La Premi&egrave;re) en Belgique&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>,&nbsp;<em>Le labo</em>&nbsp;(RTS) en Suisse ou des productions de&nbsp;<a href="https://www.magnetoproduction.com/" target="_blank">Magn&eacute;to</a>&nbsp;au Canada&nbsp;? Mais le documentaire de cr&eacute;ation se retrouve aussi dans les &laquo;&nbsp;soundwalks&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;soundscapes&nbsp;&raquo; de Phaune Radio, dans des &eacute;missions de reportage aux vis&eacute;es artistiques moins explicites comme&nbsp;<em>LSD</em>,&nbsp;<em>la s&eacute;rie documentaire</em>&nbsp;ou&nbsp;<em>Les Pieds sur terre</em>&nbsp;sur France Culture, ou des &eacute;missions de cr&eacute;ation o&ugrave; la vis&eacute;e documentaire n&rsquo;est pas centrale&nbsp;:&nbsp;<em>R&eacute;cr&eacute;ation sonore</em>&nbsp;sur Radio Campus Paris ou, sur France Culture encore,&nbsp;<em>Les Passagers de la nuit&nbsp;</em>(2009-2011),&nbsp;<em>Cr&eacute;ation on Air</em>&nbsp;(2015-2019)<em>,</em>&nbsp;<em>L&rsquo;Exp&eacute;rience</em>&nbsp;(depuis 2019). Dans un genre fortement soumis au formatage et aux processus collectifs, des auteurs, producteurs, r&eacute;alisateurs arrivent &agrave; affirmer des styles propres, identifiables d&rsquo;une &eacute;mission &agrave; l&rsquo;autre.&nbsp;</p> <p style="text-align: center;">*</p> <p>Dans les premiers articles de ce num&eacute;ro, le lecteur est invit&eacute; &agrave; &eacute;couter-voir la situation actuelle en profitant du recul et/ou de l&rsquo;exp&eacute;rience de quelques figures inspirantes qui ont connu celle des d&eacute;cennies pass&eacute;es.</p> <p>Dans un bref et incisif pr&eacute;ambule,&nbsp;<strong>Ir&egrave;ne Om&eacute;lianenko</strong>, qui a connu les conditions &agrave; la fois tr&egrave;s libres et tr&egrave;s prot&eacute;g&eacute;es de fabrique des documentaires &agrave; France Culture dans les vingt derni&egrave;res ann&eacute;es du XXe si&egrave;cle, s&rsquo;interroge sur la &laquo;&nbsp;forme de b&ecirc;tise&nbsp;&raquo; qui, &agrave; c&ocirc;t&eacute; de nouveaux champs d&rsquo;exp&eacute;rimentation ouverts par le webdoc ou le son multicanal, accompagne la pression financi&egrave;re et industrielle pesant sur le genre et ses artisans depuis le d&eacute;but des ann&eacute;es 2010. &Agrave; titre d&rsquo;exemple de comment cela se passait &laquo;&nbsp;avant&nbsp;&raquo;,&nbsp;<strong>Marion Ch&eacute;netier-Alev</strong>&nbsp;s&rsquo;int&eacute;resse aux grandes cr&eacute;ations camerounaises de Jos&eacute; Pivin des ann&eacute;es 1970 (<em>Un arbre acajou</em>,&nbsp;<em>Op&eacute;ra du Cameroun</em>&nbsp;et&nbsp;<em>Le Transcamerounais</em>) et &agrave; la mani&egrave;re dont, marginalisant la voix narratrice et le sch&eacute;ma de l&rsquo;enqu&ecirc;te, travaillant sur le pouvoir d&rsquo;&eacute;nigme ou d&rsquo;exotisme des sons, immergeant d&eacute;lib&eacute;r&eacute;ment l&rsquo;auditeur dans l&rsquo;&eacute;coute d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements qui durent (un train qui roule, un arbre qu&rsquo;on abat&hellip;), elles font &laquo; valser les codes &raquo; du genre pour mieux faire&nbsp;<em>chanter</em>&nbsp;le monde et l&rsquo;homme. Initi&eacute;e &agrave; l&rsquo;art d&rsquo;<em>&eacute;crire avec des sons&nbsp;</em>par les &eacute;missions de l&rsquo;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique&nbsp;</em>de France Culture<strong>, cultivant aussi depuis&nbsp;</strong>les ann&eacute;es 1980, pour conna&icirc;tre d&rsquo;autres fa&ccedil;ons de faire, des collaborations avec plusieurs radios en Europe,<strong>&nbsp;Kaye Mortley&nbsp;</strong>s&rsquo;interroge de son c&ocirc;t&eacute; sur ce que veulent dire &laquo;&nbsp;d&eacute;sir&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;beaut&eacute;&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;radio&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;documentaire&nbsp;&raquo; et ce que le geste de cr&eacute;ation vient ajouter &agrave; une&nbsp;<em>documentation</em>&nbsp;du monde qui la plupart du temps, chez elle, part de presque rien (un d&eacute;tail, une intuition, un &laquo;&nbsp;sensation vraie&nbsp;&raquo;) pour faire entrer l&rsquo;auditeur dans un espace-temps &agrave; la fois semblable et autre.</p> <p>La deuxi&egrave;me section du num&eacute;ro nous plonge plus directement dans le champ radiophonique contemporain. Avec&nbsp;<strong>&Eacute;lise Andrieu</strong>,&nbsp;<strong>Sophie Simonot&nbsp;</strong>et<strong>&nbsp;Marc-Antoine Granier</strong>, r&eacute;unis autour d&rsquo;une table ronde anim&eacute;e par Ir&egrave;ne Om&eacute;lianenko, le lecteur d&eacute;couvre les itin&eacute;raires, r&eacute;alisations, univers de pr&eacute;dilection et sensibilit&eacute;s de trois quadras d&rsquo;aujourd&rsquo;hui, &laquo; producteurs d&eacute;l&eacute;gu&eacute;s &raquo; (dit-on &agrave; Radio France) &agrave; France Culture, Arte Radio, la RTBF, et comment ils voient leur rapport au vivre-ensemble et leurs conditions de travail. Mais jusqu&rsquo;o&ugrave; un producteur d&eacute;l&eacute;gu&eacute; peut-il &ecirc;tre d&eacute;sign&eacute; comme auteur du &laquo; pr&ecirc;t &agrave; diffuser &raquo; r&eacute;sultant de son projet initial ?&nbsp;<strong>S&eacute;verine Leroy</strong>&nbsp;s&rsquo;empare de la question dans une passionnante enqu&ecirc;te sur le syst&egrave;me de production des documentaires de cr&eacute;ation &agrave; France Culture, faisant intervenir six acteurs du champ occupant ou ayant occup&eacute; des fonctions de coordination, r&eacute;alisation, production d&eacute;l&eacute;gu&eacute;e pour l&rsquo;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>,&nbsp;<em>L&rsquo;Atelier de la cr&eacute;ation</em>,&nbsp;<em>Cr&eacute;ation on Air</em>&nbsp;et&nbsp;<em>L&rsquo;Exp&eacute;rience&nbsp;</em>: Ir&egrave;ne Om&eacute;lianenko, Nathalie Salles, V&eacute;ronique Lamendour, &Eacute;ric Cordier, Laure-Anne Bomati et Kaye Mortley.&nbsp;<strong>Fanny Dujardin</strong>&nbsp;choisit d&rsquo;analyser, en prenant appui sur des productions de Rapha&euml;l Krafft, Mehdi Ahoudig et Anouk B&acirc;tard, Sylvie Gasteau, illustrant des postures vari&eacute;es (reporter, d&eacute;tective, ami ou camarade), les enjeux &eacute;thiques de l&rsquo;utilisation des voix des personnes enregistr&eacute;es dans l&rsquo;&eacute;criture d&rsquo;un documentaire sonore en g&eacute;n&eacute;ral, de cr&eacute;ation en particulier.&nbsp;<strong>Antoine Chao</strong>, ancien collaborateur de&nbsp;<em>L&agrave;-bas si j&rsquo;y sui</em>s, r&eacute;cemment recrut&eacute; par l&rsquo;universit&eacute; de Poitiers pour co-animer le Master professionnel &laquo;&nbsp;Documentaire de cr&eacute;ation&nbsp;&raquo; (CREADOC), insiste pour sa part sur l&rsquo;enjeu de faire bouger la r&eacute;partition tr&egrave;s fran&ccedil;aise des t&acirc;ches entre producteur d&eacute;l&eacute;gu&eacute;, r&eacute;alisateur et techniciens du son&nbsp;: dans un contexte d&rsquo;engouement des majors de l&rsquo;industrie culturelle pour le podcast, il s&rsquo;agit aujourd&rsquo;hui plus que jamais, comme cela se fait au CREADOC, de former tous les futurs acteurs du champ (au moins de les initier) aux aspects techniques de l&rsquo;&eacute;criture documentaire, en leur transmettant les savoir-faire irrempla&ccedil;ables de Radio-France. Un enjeu que nous avons choisi d&rsquo;aborder aussi depuis un point de vue nord-am&eacute;ricain, avec l&rsquo;intervention de&nbsp;<strong>Marie-Laurence Rancourt</strong>, directrice g&eacute;n&eacute;rale et artistique de Magn&eacute;to, organisme&nbsp;qu&eacute;b&eacute;cois&nbsp;de cr&eacute;ation et de production de &laquo;&nbsp;belle radio&nbsp;&raquo;. On &eacute;coutera avec int&eacute;r&ecirc;t ses r&eacute;flexions sur l&rsquo;alliance objective des pratiques d&rsquo;auteur et du podcast standardis&eacute; au Qu&eacute;bec, mais aussi sur le besoin d&rsquo;opposer &agrave; la posture du r&eacute;cit de soi et de la &laquo;&nbsp;sentimentalisation du monde&nbsp;&raquo; omnipr&eacute;sente dans le podcast industriel, une pens&eacute;e tout &agrave; la fois esth&eacute;tique et critique du montage et des formes du vivre-ensemble, une exp&eacute;rience heureuse et/ou vigoureuse de pens&eacute;e et de beaut&eacute; sur &laquo;&nbsp;le monde tel qu&rsquo;il va et le monde tel qu&rsquo;on le souhaite&nbsp;&raquo;.</p> <p>La derni&egrave;re section de ce num&eacute;ro invite &agrave; confronter le d&eacute;sir de &laquo; belle radio &raquo; documentaire &agrave; quelques-unes de ses fronti&egrave;res, anciennes ou plus r&eacute;centes : fronti&egrave;res du genre documentaire lui-m&ecirc;me face aux s&eacute;ductions de la fiction (Ella Waldmann) ; d&eacute;fis des m&eacute;dias sonores en g&eacute;n&eacute;ral quand il s&rsquo;agit de donner &agrave; entendre le non-sonore (Simone Douek) ; limites de la diffusion radiophonique en particulier, qu&rsquo;elle soit hertzienne ou num&eacute;rique, quand, comme Benoit Bories et St&eacute;phane Marin, on travaille sur les espaces sonores de la cr&eacute;ation documentaire.&nbsp;<strong>Ella Waldmann&nbsp;</strong>propose une fine analyse de l&rsquo;utilisation des codes du roman dans &laquo; une des cr&eacute;ations documentaires les plus abouties de la d&eacute;cennie &raquo;, le podcast am&eacute;ricain&nbsp;<em>S-Town</em>&nbsp;(2017), de Brian Reed et Julie Snyder ; elle la resitue dans la tradition am&eacute;ricaine de la&nbsp;<em>narrative nonfiction</em>&nbsp;et aujourd&rsquo;hui du&nbsp;<em>storytelling</em>, qui est aussi une pratique d&rsquo;auteur, et s&rsquo;interroge sur le pacte documentaire nou&eacute; avec les auditeurs&nbsp;; elle examine aussi l&rsquo;impact de la conception native de l&rsquo;&oelig;uvre pour une diffusion num&eacute;rique sur sa composition et le rapport &agrave; l&rsquo;auditeur. Autre fronti&egrave;re avec l&rsquo;article de Simone Douek&nbsp;: puisant dans la m&eacute;moire de la radio et dans ses propres travaux, n&eacute;s souvent, indique-t-elle, d&rsquo;une &laquo;&nbsp;premi&egrave;re impression visuelle&nbsp;&raquo;, l&rsquo;ancienne productrice de France Culture explore les mani&egrave;res possibles de faire entendre des &laquo;&nbsp;objets&nbsp;&raquo; visuels qui parfois semblent d&eacute;j&agrave; contenir en puissance une existence sonore &agrave; d&eacute;ployer, parfois appellent une transposition sonore, comme &laquo;&nbsp;un tableau accroch&eacute; &agrave; un mur, un sourire &eacute;nigmatique, des montagnes qui se dessinent sur l&rsquo;horizon, un panneau annon&ccedil;ant l&rsquo;entr&eacute;e d&rsquo;une ville, une friche au milieu d&rsquo;une rivi&egrave;re, un film muet qui d&eacute;file sur un &eacute;cran&nbsp;&raquo;.&nbsp;<strong>Benoit Bories</strong>, multiprim&eacute; pour ses documentaires de cr&eacute;ation, produits/r&eacute;alis&eacute;s depuis le d&eacute;but des ann&eacute;es 2010 pour Arte Radio, France Culture ou des radios &eacute;trang&egrave;res (la RTBF, la RTS, RFI, l&rsquo;ABC Radio Australia, la Deustchland Radio Kultur&hellip;), a choisi ici de parler surtout de ses compositions acousmatiques pour le spectacle vivant. Son intervention lui donne l&rsquo;occasion d&rsquo;expliquer comment il en est venu &agrave; proposer des cr&eacute;ations sonores en multicanal et en live, pourquoi la diffusion radio ne le satisfait pas, ni la diffusion num&eacute;rique, et de nommer quelques principes-cl&eacute;s et quelques possibilit&eacute;s esth&eacute;tiques et ludiques de l&rsquo;&eacute;criture et de la diffusion en son spatialis&eacute;.&nbsp;<strong>St&eacute;phane Marin</strong>, qui a lui aussi produit des documentaires pour le m&eacute;dium radiophonique pour lui aussi se situer d&eacute;sormais &laquo;&nbsp;plut&ocirc;t hors les murs, et radicalement hors La Radio&nbsp;&raquo;, &eacute;voque pour finir ses &laquo;&nbsp;attractions-r&eacute;pulsions avec la radio&nbsp;&raquo; (Radio Grenouille, Arte Radio, des radios internet, France Culture&hellip;), mais surtout les facettes de son &oelig;uvre sonore actuelle, guid&eacute;e par un d&eacute;sir d&rsquo;&eacute;couter et faire &eacute;couter, dans des espaces ouverts, publics ou naturels, &laquo;&nbsp;tout le monde sonnant&nbsp;&raquo;, dans ses multiples couches, &agrave; l&rsquo;exception remarquable des voix. Son int&eacute;r&ecirc;t pour les sons&nbsp;banals, pour les sons &laquo;&nbsp;discrets&nbsp;&raquo; (micro-sons, infra-sons, sons rares, furtifs&hellip;) compose avec une vision de ce monde sonnant qu&rsquo;on pourrait dire engag&eacute;e&nbsp;: &agrave; l&rsquo;heure des crises &eacute;cologiques, il ne s&rsquo;agit pas d&rsquo;entretenir ou nourrir des rapports idylliques au monde, mais d&rsquo;in-qui&eacute;ter.</p> <p style="text-align: center;"><strong>*</strong></p> <p>Pour diverses raisons en partie li&eacute;es aux techniques d&rsquo;enregistrement et de montage et &agrave; leur &eacute;volution &agrave; partir des ann&eacute;es 1930 (des camions-sons et des gravures sur disques souples, &agrave; l&rsquo;apparition du Nagra et la g&eacute;n&eacute;ralisation de la bande magn&eacute;tique), c&rsquo;est de la fin des ann&eacute;es 1960 que date vraiment, en France, l&rsquo;essor du documentaire radiophonique de cr&eacute;ation, avec, dans les ann&eacute;es 1970-1980, une pl&eacute;iade de grands auteurs&nbsp;: Jos&eacute; Pivin, Ren&eacute; Jentet, Andrew Orr, Jean Couturier, Yann Parantho&euml;n, Ren&eacute; Farabet&hellip; Plusieurs d&rsquo;entre eux ont associ&eacute; leurs noms aux m&eacute;morables &laquo;&nbsp;films radiophoniques&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>&nbsp;&raquo; de l&rsquo;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>&nbsp;(1969-2011&hellip; 2018), peaufin&eacute;s en &eacute;quipe ou en solitaire des semaines durant. Ont suivi ceux de&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>&nbsp;(1978-1999) avec la collaboration d&rsquo;&eacute;crivains n&eacute;ophytes du micro (Jean Daive, Olivier Kaeppelin, Franck Venaille, Jean-Pierre Milovanoff&hellip;), aid&eacute;s de Pamela Doussaud, Mehdi El Hadj et quelques autres, qui en prenaient le contrepied, en qu&ecirc;te de mondes sonores plus librement compos&eacute;s, plus improvis&eacute;s parfois, et de relations avec les auditeurs plus directes, famili&egrave;res et &laquo;&nbsp;magn&eacute;tiques&nbsp;&raquo;. En Arles &agrave; partir de 1989, avec Kaye Mortley qui venait de l&rsquo;ACR, des ateliers de &laquo;&nbsp;documentaire sonore de cr&eacute;ation&nbsp;&raquo; organis&eacute;s par Phonurgia Nova, promeuvent la pratique du genre (&ccedil;a continue aujourd&rsquo;hui).</p> <p>Un peu partout se d&eacute;veloppe alors un d&eacute;sir de belle radio documentaire, qui explore et fasse entendre le monde &agrave; travers des formes originales ou du moins &eacute;labor&eacute;es. Des &eacute;missions &agrave; vis&eacute;e artistique, lieux d&rsquo;hybridation entre exploration du monde et affirmation d&rsquo;une forme originale, la font vivre. Certaines exp&eacute;riences-limite s&rsquo;&eacute;loignent des conditions de production traditionnelles&nbsp;: l&rsquo;enregistrement d&rsquo;interview&eacute;s durant plusieurs ann&eacute;es (Val&eacute;rie Nivelon,&nbsp;<a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/la-marche-du-monde/20210521-les-voix-du-goulag-1-6" target="_blank"><em>Les voix du goulag</em></a>, RFI, 2021), ou un parti-pris affirm&eacute; quasi anti-documentaire comme dans l&rsquo;essai radiophonique et ethnographique de Floy Krouchi et Nathalie Battus&nbsp;<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/creation-on-air/rien-que-les-os-1347734" target="_blank"><em>Rien que les os</em></a>, ACR du 9 juillet 2016, qui raconte &agrave; sa mani&egrave;re l&rsquo;histoire de la tribu aborig&egrave;ne des Irulas (Inde du Sud) et de sa confrontation avec le monde moderne. Parfois m&ecirc;me, le &laquo;&nbsp;beau documentaire&nbsp;&raquo; est un son brut, qui marque par sa valeur de document, ou par sa force &eacute;vocatrice&nbsp;:&nbsp;<a href="https://soundcloud.com/radiorance2/lhomme-au-magne-tophone-ou?utm_source=commedesfous.com&amp;utm_campaign=wtshare&amp;utm_medium=widget&amp;utm_content=https%253A%252F%252Fsoundcloud.com%252Fradiorance2%252Flhomme-au-magne-tophone-ou" target="_blank"><em>L&rsquo;homme au magn&eacute;tophone</em></a>, enregistrement priv&eacute; en forme de prise d&rsquo;otage d&rsquo;un psychanalyste par son patient, diffus&eacute; dans le cadre de l&rsquo;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>&nbsp;en 1972 et aujourd&rsquo;hui ultra-c&eacute;l&egrave;bre&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>&nbsp;;&nbsp;<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/good-morning-vietnam-un-documentaire-radiophonique-mythique-5054729" target="_blank"><em>Good morning, Vietnam</em></a>&nbsp;de Claude Johner et Janine Antoine la m&ecirc;me ann&eacute;e, travail documentaire sur la guerre du Vietnam&nbsp;;&nbsp;<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-atelier-de-la-creation-14-15/escalader-la-nuit-notre-dame-de-paris-a-la-recherche-d-un-peu-de-poesie-4796222" target="_blank"><em>Escalader la nuit. Notre-Dame de Paris &agrave; la recherche d&rsquo;un peu de po&eacute;sie</em></a>&nbsp;par Sophie Nauleau et V&eacute;ronik&nbsp;Lamendour en 2011&hellip; Le &laquo; beau documentaire &raquo; peut aussi t&eacute;moigner de nouvelles formes de narration, qui s&rsquo;imposent soudainement alors qu&rsquo;elles &eacute;taient peu utilis&eacute;es jusqu&rsquo;alors, comme le recours au &laquo; je &raquo; et &agrave; l&rsquo;autobiographie, d&rsquo;abord aux &Eacute;tats-Unis puis sur Arte Radio&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>, ou la tentative de m&ecirc;ler la fiction au documentaire dans les docu-fictions de France Culture. Mais alors qu&rsquo;il &eacute;tait encore assez r&eacute;pandu, dans le dernier tiers du XXe si&egrave;cle, de voir des &eacute;crivains du livre se lancer ou risquer dans la production de documentaires radiophoniques, le lien semble s&rsquo;&ecirc;tre distendu ou rel&acirc;ch&eacute; aujourd&rsquo;hui. Pourquoi une telle rar&eacute;faction du type de &laquo; l&rsquo;&eacute;crivain documentaire &raquo; &agrave; la radio, cela demanderait &eacute;videmment &agrave; &ecirc;tre &eacute;clairci, alors m&ecirc;me que depuis les ann&eacute;es 1960, au th&eacute;&acirc;tre comme en litt&eacute;rature &eacute;crite, fleurissent les &laquo; pactes documentaires probl&eacute;matiques &raquo; (Marie-Jeanne Zenetti, 2014), au croisement des arts, du journalisme et des sciences humaines : voir les travaux d&rsquo;Erica Magris pour le th&eacute;&acirc;tre, de Lionel Ruffel, Marie-Jeanne Zenetti, Laurent Demanze sur les &laquo; narrations documentaires &raquo;, la &laquo; litt&eacute;rature de l&rsquo;enregistrement &raquo; ou &laquo; l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;enqu&ecirc;te &raquo;&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>.</p> <p>Caract&eacute;ris&eacute;es par le d&eacute;veloppement du num&eacute;rique dans tous les domaines m&eacute;diatiques, les ann&eacute;es 2000 ont pr&eacute;par&eacute; l&rsquo;engouement des ann&eacute;es 2010 pour le webdocumentaire, les formes courtes, le son en binaural et en multicanal. Le boom du podcast en France, avec sa pr&eacute;tention &agrave; r&eacute;volutionner le domaine de l&rsquo;audio (Biewen&nbsp;et Dilworth, 2017), invite &agrave; s&rsquo;interroger sur la place du documentaire de cr&eacute;ation dans cet univers (les formes qu&rsquo;il favorise, les modes de production qu&rsquo;il red&eacute;finit). En m&ecirc;me temps, le documentaire audio contemporain d&eacute;borde largement les formats et les fronti&egrave;res du documentaire de cr&eacute;ation tel qu&rsquo;il &eacute;tait con&ccedil;u et diffus&eacute; dans les ann&eacute;es d&rsquo;essor (ann&eacute;es 1960) comme dans les ann&eacute;es d&rsquo;explosion (ann&eacute;es 2000) du genre &agrave; la radio. Les performances&nbsp;<em>live</em>&nbsp;de deux cr&eacute;ations sonores documentaires de Benoit Bories et St&eacute;phane Marin (<em>Bouilleur de cr&ucirc;</em>, en version concert multicanal 8.1 et&nbsp;<em>Amazonas PhoNosynthesis</em>) ont &eacute;t&eacute; des moments de grande intensit&eacute; au colloque de Montpellier. L&rsquo;avenir nous dira comment le documentaire de cr&eacute;ation proprement radiophonique va garder, trouver ou r&eacute;inventer sa place dans les bouillonnements actuels de l&rsquo;art sonore.</p> <h3><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h3> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;On peut d&eacute;crire le documentaire comme un programme didactique visant &agrave; expliquer le monde, et qui s&rsquo;appuie sur des documents authentiques. Contrairement au secteur cin&eacute;matographique o&ugrave; il est bien identifi&eacute; depuis plus d&rsquo;un si&egrave;cle (Gauthier, 1995&nbsp;; Guynn, 2001&nbsp;; Niney, 2002), et notamment en tant que genre concurrent de la fiction (Veyrat-Masson, 2008), il est volontiers consid&eacute;r&eacute; comme un format radiophonique parmi d&rsquo;autres (fiction, magazine, jeu, journal d&rsquo;information, d&eacute;bat, &eacute;mission musicale&hellip;), et sa d&eacute;finition elle-m&ecirc;me est au centre de d&eacute;bats (Deleu, 2013). C&rsquo;est cependant un genre reconnu, y compris par des institutions comme la SCAM (Soci&eacute;t&eacute; civile des auteurs multim&eacute;dia). Dans ce num&eacute;ro, il ne sera pas question du type courant de documentaire, &agrave; savoir une production standardis&eacute;e de flux &agrave; vis&eacute;e principalement informative et/ou explicative du monde, mais du type artistique, combinant vis&eacute;e documentaire et vis&eacute;e esth&eacute;tique, comme on l&rsquo;observe dans le domaine de la photographie (Lugon, 2011) ou du documentaire image (Barreau-Brouste, 2011).</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;En Belgique aujourd&rsquo;hui, un mode de financement sp&eacute;cial favorise la production de documentaires ind&eacute;pendants, souvent accompagn&eacute;s par l&rsquo;Atelier de cr&eacute;ation sonore radiophonique.</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;Si les producteurs de l&rsquo;ACR ont eu tendance &agrave; pr&eacute;f&eacute;rer l&rsquo;expression &laquo;&nbsp;film radiophonique&nbsp;&raquo; au terme &laquo;&nbsp;documentaire&nbsp;&raquo;, carr&eacute;ment banni de l&rsquo;&eacute;mission&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>, une analyse r&eacute;trospective (Deleu, H&eacute;ron, Le Bail, 2019 et 2021) montre que les deux &eacute;missions ont offert aux auditeurs de nombreux documentaires de cr&eacute;ation au sens qu&rsquo;on lui donne aujourd&rsquo;hui. Sans surprise, l&rsquo;explosion des ann&eacute;es 2000 a favoris&eacute; l&rsquo;adoption du terme par les acteurs du champ radiophonique et audio. On le trouve alors utilis&eacute; sur Arte Radio, site pionnier du podcast en France, &agrave; partir de 2003&nbsp;; &agrave; partir de 2008 au Festival Longueur d&rsquo;ondes, &agrave; l&rsquo;occasion d&rsquo;une journ&eacute;e sp&eacute;ciale du documentaire suivie depuis de rendez-vous r&eacute;guliers autour du genre&nbsp;; sur France Culture dans les &eacute;missions&nbsp;<em>Sur les docks</em>&nbsp;(2011-2016), puis&nbsp;<em>LSD</em>,&nbsp;<em>la s&eacute;rie documentaire</em>&nbsp;(depuis 2016), notamment. Cela dit, on observe aussi depuis le milieu des ann&eacute;es 2010, en lien avec l&rsquo;essor du podcast,&nbsp;une invisibilisation progressive du terme, absent aujourd&rsquo;hui des nouvelles plateformes de ce type de flux.</p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;V. Jean Bourgault, &laquo;&nbsp;&Agrave; propos de &ldquo;L&rsquo;homme au magn&eacute;tophoneˮ,&nbsp;<em>Les Temps Modernes</em>, n&deg;674-675, mars-avril 2013, p.&nbsp;319-331.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;V. Christophe Deleu, &laquo;&nbsp;Arte Radio&nbsp;: dix ans d&rsquo;intimit&eacute; radiophonique&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Syntone</em>, septembre 2012, en ligne&nbsp;<a href="http://syntone.fr/arteradio-dix-ans-dintimite-radiophonique/">ici</a>.</p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;Erica Magris et B&eacute;atrice Picon-Vallin (dir.),&nbsp;<em>Les th&eacute;&acirc;tres documentaires</em>, Montpellier, &Eacute;ditions Deuxi&egrave;me, 2019&nbsp;; Lionel Ruffel, &laquo;&nbsp;Un r&eacute;alisme contemporain : les narrations documentaires&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Litt&eacute;rature</em>, n&deg;166, f&eacute;vrier 2012, p. 13-25&nbsp;; Marie-Jeanne Zenetti,&nbsp;<em>Factographies : pratiques et r&eacute;ception des formes litt&eacute;raires de l&rsquo;enregistrement &agrave; l&rsquo;&eacute;poque contemporaine</em>, Paris, Classiques Garnier, 2014&nbsp;; Laurent Demanze,&nbsp;<em>Un nouvel &acirc;ge de l&rsquo;enqu&ecirc;te. Portraits de l&rsquo;&eacute;crivain contemporain en enqu&ecirc;teur</em>, Paris, &Eacute;ditions Jos&eacute; Corti, 2019.</p> <h3><strong>Auteurs</strong></h3> <p><strong>Christophe Deleu</strong>&nbsp;est professeur &agrave; l&rsquo;universit&eacute; de Strasbourg, et directeur du Cuej (Centre Universitaire d&rsquo;enseignement du Journalisme). Il a publi&eacute; plusieurs ouvrages, dont&nbsp;<em>Le documentaire radiophonique</em>&nbsp;(Ina-L&rsquo;Harmattan, 2013). Il est aussi auteur radio, notamment pour France Culture et la RTBF.&nbsp;Il est pr&eacute;sident de la commission radio de la Soci&eacute;t&eacute; des Gens de Lettres<em>.</em></p> <p><strong>Pierre-Marie H&eacute;ron</strong>, ancien membre de l&rsquo;Institut universitaire de France, est professeur de litt&eacute;rature fran&ccedil;aise &agrave; l&rsquo;universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry Montpellier 3. Il y impulse depuis de nombreuses ann&eacute;es des recherches sur les &eacute;crivains et la radio en France (XXe et XXIe si&egrave;cles), au sein du&nbsp;<a href="https://rirra21.www.univ-montp3.fr/fr">Rirra 21</a>. Titres parus en 2021, dans la revue&nbsp;<em>Komodo 21</em>&nbsp;:&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques (1978-1999): la part des &eacute;crivains</em>&nbsp; (co-dir. Christophe Deleu et Karine Le Bail) ;&nbsp;<em>Michel Butor et la radio</em>&nbsp;(co-dir. Patrick Suter) ;&nbsp;<em>Le d&eacute;sir de belle radio aujourd&rsquo;hui / la fiction</em>&nbsp;(co-dir. &Eacute;liane Beaufils et Florence Vinas).</p> <h3><strong>Copyright</strong></h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>