<h3>Abstract</h3> <p><em>S-Town</em>&nbsp;is a narrative nonfiction podcast produced by Brian Reed and Julie Snyder whose seven episodes &ndash; or &ldquo;chapters,&rdquo; as they were called &ndash; were simultaneously released in March 2017. A few days later, it had broken downloading records and enthusiastic critics described it as one of the most accomplished documentary creations of the decade. Yet, because the podcast is so explicitly modeled after a novel, some listeners started questioning the authenticity of this story which seemed &ldquo;too good to be true.&rdquo; Can the literary ambitions of a work overshadow its documentary value?&nbsp;<em>S-Town</em>&nbsp;needs to be replaced in its context of production, a school of audio storytelling that is specific to American public radio. The podcast deploys innovative strategies to answer questions that can apply to any documentary form. Yet it is also worth taking a medium-specific approach, to look at the impact podcasting can have on documentary storytelling.</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p>narrative nonfiction,&nbsp;podcast,&nbsp;S-Town,&nbsp;new journalism,&nbsp;audio storytelling</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>En 2014, Brian Reed, producteur pour la radio publique am&eacute;ricaine, re&ccedil;oit un courrier &eacute;lectronique qui commence par ces mots&nbsp;: &laquo;&nbsp;My name is John B. McLemore and I live in Shit-Town&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, Alabama&nbsp;&raquo;&nbsp;(&laquo;&nbsp;Je m&rsquo;appelle John B. McLemore et je vis dans un bled paum&eacute; de l&rsquo;Alabama&nbsp;&raquo;). Dans son message, John B. McLemore cherche &agrave; alerter l&rsquo;attention du producteur sur une pr&eacute;tendue affaire de meurtre et de corruption mettant en cause la police locale de la petite ville de Woodstock, dans le comt&eacute; de Bibb en Alabama. Si ce pr&eacute;texte s&rsquo;av&egrave;re rapidement &ecirc;tre une fausse piste, Reed est davantage intrigu&eacute; par son auteur&nbsp;: McLemore est un homme d&rsquo;une cinquantaine d&rsquo;ann&eacute;es qui n&rsquo;a jamais quitt&eacute; son Alabama natal, malgr&eacute; son antagonisme avec ce Sud dit profond. Il se d&eacute;finit lui-m&ecirc;me comme marginal, expert en restauration d&rsquo;horloges, vivant avec sa m&egrave;re atteinte d&rsquo;Alzheimer et une dizaine de chiens dans une maison qui semble ne pas avoir chang&eacute; depuis la guerre de S&eacute;cession. Dans de longues tirades au vitriol, passant avec virtuosit&eacute; du registre le plus soutenu au plus ordurier, il expose ses th&eacute;ories pessimistes sur l&rsquo;&eacute;tat de nos soci&eacute;t&eacute;s occidentales et le futur incertain de la plan&egrave;te. Curieux d&rsquo;en apprendre plus sur cet homme, Reed d&eacute;cide de se rendre &agrave; Woodstock pour le rencontrer. Au fil de leurs entretiens et de ses rencontres avec les habitants de la ville, Reed mesure l&rsquo;inad&eacute;quation de McLemore avec son milieu, mais aussi l&rsquo;ambivalence de son attachement &agrave; la ville et son entourage. Brutalement, quelques semaines seulement apr&egrave;s leur premi&egrave;re rencontre, le journaliste apprend que John B. McLemore a mis fin &agrave; ses jours. Reed choisit alors de consacrer son enqu&ecirc;te &agrave; la vie de cet homme, aux raisons qui l&rsquo;ont men&eacute; &agrave; se donner la mort et aux myst&egrave;res qui l&rsquo;entourent. Le podcast&nbsp;<em>S-Town</em>&nbsp;est le fruit de trois ann&eacute;es d&rsquo;enqu&ecirc;te, et une v&eacute;ritable plong&eacute;e dans la vie locale de cette petite ville de l&rsquo;Alabama.</p> <p>D&egrave;s sa sortie,&nbsp;<em>S-Town</em>&nbsp;fut accueilli par une critique dithyrambique. La presse anglo-saxonne a d&eacute;crit d&rsquo;une voix quasi-unanime cette production comme l&rsquo;une des cr&eacute;ations documentaires les plus abouties de la d&eacute;cennie. La plupart des critiques ont insist&eacute; sur la sophistication formelle, et plus pr&eacute;cis&eacute;ment sur la dimension v&eacute;ritablement litt&eacute;raire et romanesque de ce podcast qui&nbsp;<em>s&rsquo;&eacute;coute comme un roman</em>. Parmi elles, quelques voix se sont aussi &eacute;lev&eacute;es pour exprimer leurs doutes sur ce qu&rsquo;elles avaient entendu et interroger la v&eacute;racit&eacute; des faits rapport&eacute;s. D&egrave;s lors, le cas&nbsp;<em>S-Town</em>&nbsp;pose la question de savoir ce qui se joue lorsqu&rsquo;un documentaire sonore s&rsquo;empare des codes du roman, genre traditionnellement associ&eacute; au domaine de la fiction. Les ambitions litt&eacute;raires peuvent-elle porter atteinte &agrave; la vis&eacute;e documentaire&nbsp;d&rsquo;une &oelig;uvre ? La belle radio, le beau documentaire peuvent-ils &ecirc;tre&nbsp;<em>trop beaux pour &ecirc;tre vrais</em>&nbsp;? Qu&rsquo;en est-il de la notion de &laquo;&nbsp;beau documentaire&nbsp;&raquo; dans le paysage radiophonique nord-am&eacute;ricain&nbsp;? &Agrave; travers l&rsquo;&eacute;tude de cas du podcast&nbsp;<em>S-Town</em>, produit par Brian Reed et Julie Snyder et mis en ligne en mars 2017, je propose d&rsquo;interroger la notion de &laquo;&nbsp;beau documentaire&nbsp;&raquo; dans le contexte de la cr&eacute;ation contemporaine pour la radio et le podcast aux &Eacute;tats-Unis.</p> <p>Afin de comprendre ce qui, concr&egrave;tement, a pu instiller ce &laquo;&nbsp;soup&ccedil;on de fiction&nbsp;&raquo;, penchons-nous d&rsquo;abord sur les raisons d&rsquo;une telle r&eacute;ception. En 2017,&nbsp;<em>S-Town</em>&nbsp;fut le premier podcast &agrave; gagner un prix Peabody, la plus prestigieuse des r&eacute;compenses pour une production radiophonique aux &Eacute;tats-Unis. Dans le discours qui a accompagn&eacute; la remise de ce prix, le jury a affirm&eacute; que &laquo;&nbsp;<em>S-Town</em>&nbsp;repr&eacute;sent[ait] un tournant pour le medium podcast, en cr&eacute;ant le premier roman audio original, un essai biographique sous la forme et le style d&rsquo;un roman en sept chapitres&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>.&nbsp;&raquo;&nbsp; Sur le plan formel,&nbsp;<em>S-Town</em>&nbsp;a effectivement &eacute;t&eacute; construit suivant le mod&egrave;le du roman, dont se r&eacute;clament Brian Reed et Julie Snyder. C&rsquo;est le premier podcast dans l&rsquo;histoire du m&eacute;dium dont tous les &eacute;pisodes ont &eacute;t&eacute; mis en ligne simultan&eacute;ment, non pas dans une logique s&eacute;rielle&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>, mais comme les morceaux d&rsquo;une &oelig;uvre finie. Les sept parties d&rsquo;une heure chacune sont d&rsquo;ailleurs pr&eacute;sent&eacute;es comme des&nbsp;<em>chapitres</em>&nbsp;et non comme des&nbsp;<em>&eacute;pisodes</em>. On y entend un r&eacute;cit-cadre, &eacute;crit et enregistr&eacute; en studio par le journaliste apr&egrave;s les faits, une narration&nbsp;<em>a posteriori</em>&nbsp;qui s&rsquo;apparente &agrave; une voix-off, soigneusement compos&eacute;e et orchestr&eacute;e. Si elle est entrecoup&eacute;e d&rsquo;extraits d&rsquo;enregistrements de terrain men&eacute;s sur place et par t&eacute;l&eacute;phone, la part de la narration reste pr&eacute;pond&eacute;rante dans le podcast.</p> <p>Sur le fond, les &eacute;v&eacute;nements rapport&eacute;s sont &eacute;minemment romanesques. Les individus qui peuplent le r&eacute;cit apparaissent tous comme des personnages atypiques, hors normes, parfois grotesques. Le Sud des &Eacute;tats-Unis tel qu&rsquo;il est donn&eacute; &agrave; entendre dans le podcast &eacute;voque celui d&rsquo;auteurs am&eacute;ricains comme William Faulkner, Flannery O&rsquo;Connor ou encore Carson McCullers, qui s&rsquo;inscrivent dans le mouvement du&nbsp;<em>Southern Gothic</em>, le gothique sudiste. &Agrave; travers des citations souvent explicites, la litt&eacute;rature &ndash; et notamment celle du Sud des &Eacute;tats-Unis&ndash; occupe une place fondamentale dans le r&eacute;cit. Lorsque Brian Reed arrive pour la premi&egrave;re fois &agrave; Woodstock, son h&ocirc;te lui conseille de lire plusieurs nouvelles, dont celle de William Faulkner &laquo;&nbsp;A Rose For Emily&nbsp;&raquo;. Cette r&eacute;f&eacute;rence &agrave; une nouvelle &eacute;crite par le plus c&eacute;l&egrave;bre auteur du Sud des &Eacute;tats-Unis reviendra r&eacute;guli&egrave;rement ponctuer le r&eacute;cit&nbsp;:&nbsp;de fait, le th&egrave;me final par lequel se conclut chaque &eacute;pisode est une chanson du m&ecirc;me nom, &laquo;&nbsp;A Rose for Emily&nbsp;&raquo;, compos&eacute;e et interpr&eacute;t&eacute;e par le groupe britannique de pop-rock The Zombies. La litt&eacute;rature et les tropes qu&rsquo;elle charrie servent ainsi de fil conducteur et de grille de lecture pour appr&eacute;hender le r&eacute;el, &agrave; la fois sur un plan formel et th&eacute;matique.</p> <p>Plus largement, le podcast s&rsquo;organise autour de la notion de texte et d&rsquo;&eacute;criture, &agrave; travers le motif r&eacute;current de l&rsquo;inscription, pr&eacute;sent sous diff&eacute;rentes formes &ndash; la gravure, le graffiti, le tatouage&hellip; &ndash; qui servent comme autant de signaux que l&rsquo;on peut qualifier de m&eacute;tatextuels, en ce qu&rsquo;ils attirent l&rsquo;attention sur le caract&egrave;re &eacute;crit, construit, du r&eacute;cit. Tout au long du podcast, le narrateur file la m&eacute;taphore de l&rsquo;horlogerie, comparant le travail du restaurateur d&rsquo;horloges anciennes &agrave; la construction du r&eacute;cit documentaire. Le parall&egrave;le peut se comprendre &agrave; plusieurs niveaux&nbsp;: &agrave; la mani&egrave;re de McLemore l&rsquo;horloger qui d&eacute;fait puis reconstruit avec patience et minutie des m&eacute;canismes complexes dont le fonctionnement a souvent &eacute;t&eacute; oubli&eacute;, le journaliste dans son enqu&ecirc;te travaille lui aussi&nbsp;<em>&agrave; l&rsquo;aveugle&nbsp;</em>pour reconstituer les pi&egrave;ces d&rsquo;un puzzle sans mode d&rsquo;emploi&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. Par ailleurs, on apprend que McLemore utilise pour ses travaux de restauration un proc&eacute;d&eacute; ancestral de dorure au mercure. En d&eacute;crivant en d&eacute;tail l&rsquo;art de McLemore et le proc&eacute;d&eacute; de transformation alchimique qu&rsquo;il met en &oelig;uvre, le narrateur insiste indirectement sur la notion d&rsquo;embellissement, de transmutation, mais aussi d&rsquo;artifice, subterfuge qui entre aussi en jeu dans l&rsquo;&eacute;criture documentaire, avec ce qu&rsquo;elle peut comporter de construit, de fabriqu&eacute;, et parfois de factice<em>.</em></p> <p>Si la critique a &eacute;t&eacute; particuli&egrave;rement sensible &agrave; ces effets de construction, &agrave; la parent&eacute; litt&eacute;raire et &agrave; la dimension autor&eacute;flexive du podcast, beaucoup d&rsquo;auditeurs se sont pos&eacute; la question de savoir si ce qui leur &eacute;tait propos&eacute; comme un objet documentaire n&rsquo;&eacute;tait en fait pas purement et simplement mis en sc&egrave;ne. Ces doutes ont aussi travers&eacute; les acteurs de cette histoire &agrave; diff&eacute;rentes &eacute;tapes de la production, &agrave; commencer par Brian Reed lui-m&ecirc;me. Lors de leur premi&egrave;re rencontre, McLemore fait visiter sa propri&eacute;t&eacute; au reporter venu de New York. Sur son terrain, il a con&ccedil;u et fait pousser un gigantesque labyrinthe v&eacute;g&eacute;tal avec soixante-quatre permutations possibles, dont l&rsquo;une est sans issue. Alors qu&rsquo;ils pensent &ecirc;tre perdus au milieu de ce labyrinthe, le journaliste se demande si l&rsquo;horloger n&rsquo;aurait pas d&eacute;lib&eacute;r&eacute;ment provoqu&eacute; cette situation, afin de donner aux &eacute;v&eacute;nements une tournure plus romanesque&nbsp;: &laquo; John semble si intelligent, et tellement bien ma&icirc;triser les &eacute;v&eacute;nements. J&rsquo;ai du mal &agrave; croire qu&rsquo;il puisse &ecirc;tre accidentellement pris au pi&egrave;ge de son propre labyrinthe. Je l&rsquo;imagine bien mettre en sc&egrave;ne toute cette situation pour rendre les choses, disons plus litt&eacute;raires, et convoquer cette m&eacute;taphore du cheminement &agrave; laquelle il sait bien que je ne pourrais pas r&eacute;sister&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>.&nbsp;&raquo; &Agrave; la sortie du podcast, certains des habitants de Woodstock ont eux aussi re&ccedil;u&nbsp;<em>S-Town</em>&nbsp;comme une &oelig;uvre de pure fiction. Dans une interview, le maire de la ville s&rsquo;est par exemple refus&eacute; &agrave; le d&eacute;signer comme documentaire, pr&eacute;f&eacute;rant parler d&rsquo;une &laquo;&nbsp;tr&egrave;s bonne histoire&nbsp;&raquo;, avant de poursuivre&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je n&rsquo;ai rien contre une bonne histoire, mais &agrave; mesure qu&rsquo;elle passe d&rsquo;une personne &agrave; l&rsquo;autre, elle perd un peu de sa v&eacute;rit&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p>Cette id&eacute;e du bouche-&agrave;-oreille r&eacute;sume les probl&eacute;matiques inh&eacute;rentes &agrave; tout r&eacute;cit rapport&eacute;, &agrave; savoir sa d&eacute;formation &agrave; chaque &eacute;tape. Elle r&eacute;sonne avec les questions qui occupent la th&eacute;orie du documentaire depuis presque un si&egrave;cle. Dans un essai de 1932 intitul&eacute; &laquo;&nbsp;First Principles of Documentary&nbsp;&raquo;, le r&eacute;alisateur et th&eacute;oricien britannique John Grierson, consid&eacute;r&eacute; comme l&rsquo;un des pionniers du documentaire au cin&eacute;ma, s&rsquo;interrogeait sur le rapport du documentaire au r&eacute;el et &agrave; la v&eacute;rit&eacute;. Partant du principe&nbsp;que toute repr&eacute;sentation, quelle qu&rsquo;elle soit, implique une mise en forme du r&eacute;el, il parlait alors de &laquo;&nbsp;mise en forme cr&eacute;ative d&rsquo;un mat&eacute;riau naturel&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>&nbsp;&raquo;, qui rendent inatteignable l&rsquo;objectivit&eacute; et l&rsquo;exactitude factuelle absolue. Ce ph&eacute;nom&egrave;ne de m&eacute;diatisation du r&eacute;el se trouve encore exacerb&eacute; dans le contexte am&eacute;ricain, berceau et fief de ce que l&rsquo;on appelle, parfois pour le d&eacute;nigrer h&acirc;tivement, le&nbsp;<em>storytelling</em>. En effet,&nbsp;<em>S-Town</em>, comme ses pr&eacute;d&eacute;cesseurs&nbsp;<em>Serial</em>&nbsp;et&nbsp;<em>This American Life</em>, s&rsquo;inscrit dans une tradition sp&eacute;cifique d&rsquo;&eacute;criture documentaire aux &Eacute;tats-Unis. Celle-ci trouve ses sources, entre autres, dans un mouvement apparu &agrave; la fin des ann&eacute;es 1950 et qui concernait alors en premier lieu la presse &eacute;crite et la litt&eacute;rature. Avec la parution de&nbsp;<em>De Sang Froid</em>&nbsp;de Truman Capote puis de l&rsquo;anthologie&nbsp;<em>The New Journalism</em>&nbsp;de Tom Wolfe, on assiste au d&eacute;veloppement et &agrave; la th&eacute;orisation de nouvelles formes d&rsquo;&eacute;criture documentaire, le&nbsp;<em>nonfiction novel</em>&nbsp;et le journalisme litt&eacute;raire ou Nouveau Journalisme, plus tard aussi appel&eacute;s&nbsp;<em>creative</em>&nbsp;ou&nbsp;<em>narrative nonfiction&nbsp;</em><a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a><em>.</em>&nbsp;L&rsquo;innovation port&eacute;e par ces journalistes-auteurs consiste &agrave; appliquer au reportage des proc&eacute;d&eacute;s formels typiquement associ&eacute;s au r&eacute;cit de fiction&nbsp;: l&rsquo;acc&egrave;s &agrave; l&rsquo;int&eacute;riorit&eacute; des personnages&nbsp;; des sc&egrave;nes rapport&eacute;es comme si l&rsquo;auteur en avait &eacute;t&eacute; le t&eacute;moin direct, &agrave; travers le discours direct, par exemple&nbsp;; le r&ocirc;le central du narrateur, et d&rsquo;un r&eacute;cit cadre avec une narration &agrave; la premi&egrave;re personne. Truman Capote, &agrave; la sortie de&nbsp;<em>De Sang Froid</em>, disait vouloir acc&eacute;der &agrave; une &laquo;&nbsp;v&eacute;rit&eacute; plus vraie&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>&nbsp;&raquo;. Le choix de ce superlatif montre &agrave; quel point ces formes mettent en jeu un rapport particulier au r&eacute;el et &agrave; la v&eacute;rit&eacute;, et impliquent des enjeux non seulement esth&eacute;tiques mais aussi &eacute;pist&eacute;mologiques. Avec ces nouvelles formes d&rsquo;&eacute;criture documentaire, l&rsquo;id&eacute;e est d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; une certaine forme de v&eacute;rit&eacute; pour la transmettre de fa&ccedil;on plus frappante, plus s&eacute;duisante aussi.</p> <p>La radio se pr&ecirc;te particuli&egrave;rement bien &agrave; ce mode de narration. Ces courants litt&eacute;raires et journalistiques vont donner lieu &agrave; une &eacute;cole sp&eacute;cifique d&rsquo;&eacute;criture documentaire radiophonique aux &Eacute;tats-Unis. &Agrave; partir des ann&eacute;es 1990 on entend &agrave; la radio am&eacute;ricaine, et surtout sur son r&eacute;seau public, de nouvelles fa&ccedil;ons de raconter le r&eacute;el, qu&rsquo;Alexa Biewen et John Dilworth r&eacute;sument de la fa&ccedil;on suivante&nbsp;: &laquo;&nbsp;to tell true stories artfully&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>&nbsp;&raquo; (&laquo;&nbsp;raconter des histoires vraies avec &eacute;l&eacute;gance&nbsp;&raquo;) &ndash; une formule qui recoupe parfaitement la notion de &laquo;&nbsp;beau documentaire&nbsp;&raquo;. &nbsp;La figure de proue de ce mouvement aux &Eacute;tats-Unis est Ira Glass, producteur depuis 1995 de l&rsquo;&eacute;mission phare&nbsp;<em>This American Life</em>, qui a inaugur&eacute; ce style sp&eacute;cifique d&rsquo;&eacute;criture documentaire. Le&nbsp;<em>storytelling</em>&nbsp;version Glass est marqu&eacute; avant tout par le r&ocirc;le central du narrateur &agrave; la premi&egrave;re personne, qui se met r&eacute;guli&egrave;rement en sc&egrave;ne en tant qu&rsquo;acteur de son r&eacute;cit&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>. Reconnaissable entre toutes, elle peut n&eacute;anmoins comme toute recette trop souvent reproduite, parfois susciter de la lassitude ou de la m&eacute;fiance. Pour certains, elle serait synonyme d&rsquo;une standardisation du r&eacute;cit, d&rsquo;une narration trop guid&eacute;e, mue par des principes d&rsquo;efficacit&eacute;, et laissant peu de place &agrave; l&rsquo;interpr&eacute;tation individuelle. &Agrave; l&rsquo;oppos&eacute; d&rsquo;une tradition europ&eacute;enne que la chercheuse australienne Siobhan McHugh qualifie d&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;atmosph&eacute;rique&nbsp;&raquo; et d&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;impressionniste&nbsp;&raquo; l&rsquo;<em>audio storytelling</em>&nbsp;serait beaucoup plus &ndash; voire trop &ndash; didactique, lisible, pr&eacute;visible&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>. Pourtant, il serait h&acirc;tif de conclure sur cette vision trop caricaturale d&rsquo;une dichotomie entre deux styles documentaires, avec ce que cela comporte de raccourcis et de pr&eacute;jug&eacute;s&nbsp;; car ces deux &eacute;coles ont en commun d&rsquo;&ecirc;tre motiv&eacute;es par une v&eacute;ritable d&eacute;marche d&rsquo;auteur. &Agrave; partir de&nbsp;<em>This American Life</em>&nbsp;et la pl&eacute;thore de productions &agrave; laquelle cette &eacute;mission a ouvert la voie, on entre v&eacute;ritablement dans l&rsquo;&egrave;re de ce que McHugh appelle&nbsp;<em>crafted audio storytelling&nbsp;</em><a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>&nbsp;: une mise en r&eacute;cit, avec une attention toute particuli&egrave;re port&eacute;e &agrave; la forme, et &agrave; des &eacute;l&eacute;ments qui ne rel&egrave;vent pas seulement du texte mais aussi du montage et d&rsquo;un v&eacute;ritable travail sur le son. Dans ces productions d&rsquo;un genre nouveau, au lieu de chercher &agrave; dissimuler le processus de fabrication, ses cr&eacute;ateurs font au contraire le choix d&rsquo;en exhiber le caract&egrave;re construit voire artificiel, faisant ainsi &laquo;&nbsp;entendre &agrave; l&rsquo;auditeur le documentaire comme construction ou comme repr&eacute;sentation&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]&nbsp;</a>&raquo;, selon les mots du chercheur Andrew Bottomley. En donnant &agrave; entendre les coulisses de la production documentaire, les cr&eacute;ateurs de&nbsp;<em>S-Town</em>&nbsp;se positionnent dans cette tradition d&rsquo;&eacute;criture documentaire, toujours &agrave; la fronti&egrave;re entre enregistrement et mise en forme des faits, pr&eacute;sentation et repr&eacute;sentation, cr&eacute;ation et re-cr&eacute;ation.</p> <p>Si le podcast&nbsp;<em>S-Town</em>&nbsp;fait la part belle &agrave; la narration, il donne aussi &agrave; entendre des voix enregistr&eacute;es, sur le terrain ou par t&eacute;l&eacute;phone. Il serait tentant d&rsquo;en d&eacute;duire que le podcast offre ainsi un acc&egrave;s direct au r&eacute;el et que le m&eacute;dium sonore pr&eacute;sente un moindre degr&eacute; de m&eacute;diatisation, notamment par rapport &agrave; l&rsquo;&eacute;crit. Les parties enregistr&eacute;es constitueraient ainsi une preuve d&rsquo;authenticit&eacute; suffisante. Or il s&rsquo;av&egrave;re que les formes documentaires usent, elles aussi, d&rsquo;effets d&rsquo;<em>authentification</em>. C&rsquo;est ce que d&eacute;montre Jillian DeMair dans son article &laquo;&nbsp;Sounds Authentic&nbsp;&raquo; &agrave; propos de la production qui a pr&eacute;c&eacute;d&eacute;&nbsp;<em>S-Town</em>, la premi&egrave;re saison du podcast&nbsp;<em>Serial</em>, pour lequel elle isole et identifie les &eacute;l&eacute;ments sonores qui permettent de cr&eacute;er un &laquo;&nbsp;effet de r&eacute;el&nbsp;&raquo;. Le terme, emprunt&eacute; &agrave; Roland Barthes dans l&rsquo;article du m&ecirc;me nom, d&eacute;signe un &eacute;l&eacute;ment qui n&rsquo;ajoute rien &agrave; la di&eacute;g&egrave;se, &agrave; la compr&eacute;hension ou au d&eacute;veloppement du r&eacute;cit, mais sert &agrave; l&rsquo;ancrer dans le r&eacute;el et &agrave; confirmer son authenticit&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>. Elle en conclut que les m&ecirc;mes conventions sont utilis&eacute;es pour &eacute;tablir la cr&eacute;dibilit&eacute; dans les r&eacute;cits de fiction et de non-fiction. Dans&nbsp;<em>S-Town</em>, les exemples de ces &laquo;&nbsp;effets de r&eacute;el&nbsp;&raquo; sont nombreux. On y entend des sons et des effets destin&eacute;s &agrave; cr&eacute;er un sentiment d&rsquo;authenticit&eacute;, &agrave; rendre&nbsp;<em>cr&eacute;dible</em>&nbsp;le r&eacute;el&nbsp;: avec par exemple des sons qui seraient d&rsquo;ordinaire coup&eacute;s au montage, comme la tonalit&eacute; du t&eacute;l&eacute;phone avant que l&rsquo;interlocuteur ne d&eacute;croche, ou encore les questions et les r&eacute;actions du journaliste, qu&rsquo;on entend r&eacute;guli&egrave;rement pr&eacute;ciser &agrave; son interlocuteur qu&rsquo;il s&rsquo;appr&ecirc;te &agrave; enregistrer leur conversation. De fait, ces effets visant &agrave; donner &agrave; entendre les coulisses de la construction documentaire sont &agrave; leur tour devenus des lieux communs de ce genre de productions. Dans un &eacute;pisode du podcast du&nbsp;<em>New York Times</em>&nbsp;<em>The Daily</em>, on entend le journaliste sortir de sa voiture, faire claquer la porti&egrave;re, et dire&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je sais que&nbsp;<em>The Daily</em>&nbsp;raffole de ce genre de sons de porti&egrave;res de voiture&nbsp;qui claquent &raquo;, exhibant avec autod&eacute;rision&nbsp;les tropes du documentaire.</p> <p><em>S-Town</em>, enfin, est un podcast &laquo; natif &raquo; : il convient donc de s&rsquo;interroger sur l&rsquo;impact que ce mode de diffusion peut avoir sur la narration, et en l&rsquo;occurrence sur le r&eacute;cit documentaire. &nbsp;Certains observateurs estiment qu&rsquo;il n&rsquo;y a pas lieu de distinguer le podcast de la radio. Ils y voient plut&ocirc;t une rem&eacute;diation, au sens o&ugrave; l&rsquo;entendent Jay Bolter et Richard Grusin, &agrave; savoir l&rsquo;incorporation par un m&eacute;dium nouveau de certaines propri&eacute;t&eacute;s des m&eacute;dias qui l&rsquo;ont pr&eacute;c&eacute;d&eacute; dans le temps. Les formes qu&rsquo;il engendre seraient donc essentiellement des reconfigurations de formes et de genres pr&eacute;existants. Utilis&eacute; faute de mieux, &laquo; podcast &raquo; est en effet un terme tr&egrave;s g&eacute;n&eacute;rique, finalement tr&egrave;s peu parlant, parce qu&rsquo;il recouvre une telle diversit&eacute; de productions, par leur contenu, leur forme et leurs dispositifs. Ce mot-valise fut invent&eacute; pour les besoins d&rsquo;un article du&nbsp;<em>Guardian</em>&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>&nbsp;&agrave; partir du verbe&nbsp;<em>to broadcast&nbsp;</em>(diffuser, en fran&ccedil;ais) surtout utilis&eacute; dans le contexte de la radio et de la t&eacute;l&eacute;vision, et du pr&eacute;fixe &laquo;&nbsp;pod&nbsp;&raquo; en r&eacute;f&eacute;rence &agrave; l&rsquo;iPod, baladeur mp3 commercialis&eacute; par Apple et symbole d&rsquo;une transformation radicale de nos paradigmes d&rsquo;&eacute;coute. S&rsquo;il a longtemps &eacute;t&eacute; question de trouver un autre terme pour &eacute;viter la r&eacute;f&eacute;rence &agrave; une marque d&eacute;pos&eacute;e ou le recours &agrave; un anglicisme dans un contexte francophone, le nom&nbsp;<em>podcast</em>&nbsp;est aujourd&rsquo;hui pass&eacute; dans le langage courant. Il renvoie pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; un type de fichiers audio num&eacute;riques, g&eacute;n&eacute;ralement des &eacute;pisodes d&rsquo;un programme parl&eacute;, qui peuvent &ecirc;tre t&eacute;l&eacute;charg&eacute;s en ligne vers un ordinateur ou un appareil portable pour &ecirc;tre &eacute;cout&eacute;s &agrave; la demande. Plus largement, le podcast d&eacute;signe un flux, une fa&ccedil;on de distribuer du son, qui dans le cas du podcast dit &laquo;&nbsp;natif&nbsp;&raquo; ne repose &agrave; aucun moment sur les ondes radiophoniques. Plut&ocirc;t que des r&eacute;ponses d&eacute;finitives, nous proposons ici quelques pistes et id&eacute;es qui pourraient contribuer &agrave; d&eacute;stabiliser les pr&eacute;jug&eacute;s sur ce nouveau m&eacute;dium&nbsp;:</p> <ol> <li>Le podcast est un mode de diffusion qui permettait &agrave; l&rsquo;origine de s&rsquo;affranchir des grilles de programmation, et de s&rsquo;&eacute;manciper de toute contrainte ou supervision &eacute;ditoriale, que ce soit en termes de format ou de contenu. Le mod&egrave;le concurrentiel et la logique industrielle qui pr&eacute;valent aujourd&rsquo;hui &agrave; l&rsquo;&eacute;conomie du podcast ne doivent pas faire oublier qu&rsquo;&agrave; ses d&eacute;buts, le podcast &eacute;tait une pratique d&rsquo;amateurs qui diffusaient depuis leur salon. Il se caract&eacute;risait alors par une esth&eacute;tique du &laquo;&nbsp;fait-maison&nbsp;&raquo;&nbsp;et un potentiel d&eacute;mocratique finalement assez proche de celle des radios pirates. Bon nombre de productions actuelles suivent encore cette logique de l&rsquo;autoproduction &agrave; moindre co&ucirc;t, et le m&eacute;dium podcast, m&ecirc;me s&rsquo;il est comme pour&nbsp;<em>S-Town</em>&nbsp;le fruit d&rsquo;un travail de production tr&egrave;s sophistiqu&eacute;, conserve cette aura d&rsquo;authenticit&eacute;.</li> <li>Dans le cas de&nbsp;<em>S-Town</em>, le mode de diffusion est aussi crucial au niveau de la forme et de sa conception&nbsp;: le podcast est un des seuls m&eacute;dias qui permette cette distribution d&rsquo;un tenant, simultan&eacute;e, de sept heures de son. Il se distingue donc aussi par les pratiques d&rsquo;&eacute;coute qu&rsquo;il implique. Il est possible de l&rsquo;&eacute;couter d&rsquo;une traite, comme on lirait un roman du d&eacute;but jusqu&rsquo;&agrave; la fin, soit, plus vraisemblablement, en une &eacute;coute segment&eacute;e, chapitre par chapitre.</li> <li>La temporalit&eacute; d&rsquo;&eacute;coute s&rsquo;en trouve donc modifi&eacute;e&nbsp;; mais le podcast entra&icirc;ne aussi une ph&eacute;nom&eacute;nologie nouvelle, un autre rapport de l&rsquo;auditeur &agrave; ce qu&rsquo;il &eacute;coute. De fait, il s&rsquo;agit dans la grande majorit&eacute; des cas d&rsquo;une &eacute;coute au casque ou avec des &eacute;couteurs, vecteurs d&rsquo;une impression de grande intimit&eacute;, avec la sensation de voix re&ccedil;ues directement&nbsp;<em>au creux de l&rsquo;oreille</em>. Ces pratiques d&rsquo;&eacute;coute favorisent aussi la dimension immersive, d&rsquo;autant plus qu&rsquo;elles proviennent g&eacute;n&eacute;ralement d&rsquo;appareils portables qui permettent une &eacute;coute en mouvement, donnant lieu &agrave; une surimpression avec l&rsquo;environnement de l&rsquo;auditeur&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>.</li> <li>Si le podcast a tendance &agrave; &ecirc;tre &eacute;cout&eacute; individuellement plut&ocirc;t que de fa&ccedil;on collective, on constate aussi le ph&eacute;nom&egrave;ne inverse, avec la multiplication de&nbsp;<em>rendez-vous d&rsquo;&eacute;coute</em>. Cette dimension collective renvoie aussi au potentiel participatif du podcast, &agrave; travers le nombre de r&eacute;actions que certains d&rsquo;entre eux peuvent susciter.&nbsp;<em>S-Town</em>&nbsp;a ainsi donn&eacute; lieu &agrave; v&eacute;ritable d&eacute;luge de commentaires, d&rsquo;analyses et de d&eacute;cryptages par les auditeurs sur les r&eacute;seaux sociaux ou sur des forums comme Reddit. Dans ce qui s&rsquo;apparente &agrave; une v&eacute;ritable ex&eacute;g&egrave;se, les auditeurs participent ainsi &agrave; la cr&eacute;ation d&rsquo;un nouvel &laquo;&nbsp;hypertexte&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>&raquo;.</li> </ol> <p>Il a beaucoup &eacute;t&eacute; question ces derni&egrave;res ann&eacute;es du &laquo;&nbsp;tournant documentaire&nbsp;&raquo; pris par les arts au XXe si&egrave;cle. Qu&rsquo;en est-il alors du ph&eacute;nom&egrave;ne inverse, lorsque le documentaire prend un tournant romanesque&nbsp;? &Agrave; travers l&rsquo;exemple de&nbsp;<em>S-Town</em>, nous avons voulu interroger les raisons de ce va-et-vient entre les deux, et les cons&eacute;quences qu&rsquo;il peut avoir en termes esth&eacute;tiques mais aussi &eacute;pist&eacute;mologiques. Si le &laquo;&nbsp;beau documentaire&nbsp;&raquo; &agrave; l&rsquo;am&eacute;ricaine se situe peut-&ecirc;tre moins du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rimentation formelle que son cousin europ&eacute;en, il n&rsquo;en reste pas moins caract&eacute;ris&eacute; par une v&eacute;ritable d&eacute;marche d&rsquo;auteur.&nbsp; Dans le cas pr&eacute;cis de S-Town, cette d&eacute;marche se traduit par une hyper-r&eacute;f&eacute;rentialit&eacute; et un questionnement m&eacute;tatextuel permanent. Cette r&eacute;flexivit&eacute; peut &ecirc;tre tr&egrave;s, parfois trop explicite, avec une forme d&rsquo;exhibition, mais aussi avec une certaine dose d&rsquo;autod&eacute;rision et de distance critique. Le tournant romanesque, dans le cas de&nbsp;<em>S-Town</em>, n&rsquo;est pas uniquement une strat&eacute;gie de l&eacute;gitimation pour un m&eacute;dium jeune comme le podcast, ni un retour &agrave; un format plus traditionnel et &eacute;tabli, mais plut&ocirc;t une mani&egrave;re d&rsquo;interroger la nature m&ecirc;me du documentaire, &agrave; savoir toujours d&rsquo;abord une construction, une mise en forme po(i)&eacute;tique du r&eacute;el.</p> <h3><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h3> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;Le titre du podcast est une version expurg&eacute;e de cette expression qui signifie litt&eacute;ralement &laquo;&nbsp;ville merdique&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;bled paum&eacute;&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;&laquo; The Peabody Awards &ndash; News, Radio/Podcast, &amp; Public Service Winners Named&nbsp;&raquo;,&nbsp; peabodyawards.com, 2017, en ligne&nbsp;<a href="http://peabodyawards.com/stories/story/news-radio-podcast-and-public-service-winners-named." target="_blank">ici</a>.&nbsp;</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;Il se distingue ainsi de son pr&eacute;d&eacute;cesseur, le podcast&nbsp;<em>Serial,&nbsp;</em>autre grand succ&egrave;s populaire et critique produit par plusieurs membres de la m&ecirc;me &eacute;quipe.&nbsp;<em>Serial</em>&nbsp;reposait justement sur cette logique de la s&eacute;rialit&eacute; dont elle tirait son nom&nbsp;: une histoire racont&eacute;e semaine apr&egrave;s semaine, au fil de l&rsquo;enqu&ecirc;te.</p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;&Agrave; propos de la figure de l&rsquo;&eacute;crivain-enqu&ecirc;teur, voir Laurent Demanze,&nbsp;<em>Un nouvel &acirc;ge de l&rsquo;enqu&ecirc;te : Portraits de l&rsquo;&eacute;crivain contemporain en enqu&ecirc;teur</em>, Paris, &Eacute;ditions Corti, &laquo; Les Essais &raquo;, 2019.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;Brian Reed et Julie Snyder, &laquo; Chapter I: &ldquo;If you keep your mouth shut, you&rsquo;ll be surprised what you can learn&rdquo; &raquo;,&nbsp;<em>S-Town</em>, 2017, https://stownpodcast.org/chapter/1 [je traduis].</p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;Connor Towne O&rsquo;Neill, &laquo;&nbsp;Residents of So-Called &lsquo;Shit Town&rsquo; Are Conflicted Over S-Town&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Vulture</em>, 25 avril 2017, https://www.vulture.com/2017/04/s-town-podcast-visiting-woodstock-alabama.html [je traduis].</p> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;John Grierson, &laquo; First Principles of Documentary &raquo;, dans&nbsp;<em>Nonfiction film theory and criticism</em>, &eacute;d. par Richard Meran Barsam, New York, E.P. Dutton &amp; Co., 1976 [je traduis].</p> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;Dans le contexte anglophone, le substantif&nbsp;<em>documentary</em>&nbsp;est moins courant qu&rsquo;en fran&ccedil;ais : on trouvera bien souvent le nom ou l&rsquo;adjectif&nbsp;<em>nonfiction</em>&nbsp;(qui insiste plut&ocirc;t sur la n&eacute;gation de la fiction&hellip;).</p> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a>&nbsp;Truman Capote, &laquo; Ghosts in Sunlight: The Filming of In Cold Blood &raquo;, dans&nbsp;<em>Portraits and Observations: The Essays of Truman Capote</em>, New York, NY, Random House, 2007.</p> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a>&nbsp;John Biewen et Alexa Dilworth,&nbsp;<em>Reality Radio: Telling True Stories in Sound</em>, Second edition, Chapel Hill, University of North Carolina Press, CDS Books at the Center for Documentary Studies, &laquo; Documentary Arts and Culture &raquo;, 2017. L&rsquo;adverbe &laquo; artfully &raquo; est &eacute;vocateur par sa polys&eacute;mie, puisqu&rsquo;il renvoie &agrave; la fois &agrave; des qualit&eacute;s esth&eacute;tiques (qui le rapprochent d&rsquo;une forme d&rsquo; &laquo; art &raquo;) mais aussi &agrave; l&rsquo;habilet&eacute;, &agrave; un certain savoir-faire (qui pencherait donc vers l&rsquo;artisanat).</p> <p><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a>&nbsp;Cette m&eacute;thode a &eacute;t&eacute; document&eacute;e par Jessica Abel dans la bande dessin&eacute;e qu&rsquo;elle consacre &agrave; ces &laquo; nouveaux ma&icirc;tres de la radio &raquo;&nbsp;:&nbsp;<em>Out on the Wire: The Storytelling Secrets of the New Masters of Radio</em>, New York: B/D/W/Y/Broadway Books, 2015.</p> <p><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a>&nbsp;Siobh&aacute;n McHugh, &laquo;&nbsp;How Podcasting Is Changing the Audio Storytelling Genre&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Radio Journal: International Studies in Broadcast &amp; Audio Media</em>&nbsp;14, n<sup>o</sup>&nbsp;1, 1er avril 2016, p. 65‑82.</p> <p><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>. Le terme &laquo; crafted &raquo; n&rsquo;est pas sans rappeler la notion d&rsquo;&eacute;mission &laquo;&nbsp;&eacute;labor&eacute;e &raquo; qui avait autrefois cours &agrave; la radio en France.</p> <p><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a>&nbsp;Andrew Bottomley,&nbsp;<em>Sound Streams: A Cultural History of Radio-Internet Convergence</em>, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2020 [je traduis].</p> <p><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a>&nbsp;Roland Barthes, &laquo;&nbsp;L&rsquo;effet de r&eacute;el&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Communications</em>&nbsp;11, n<sup>o</sup>&nbsp;1, 1968, p.&nbsp;84‑89.</p> <p><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a>&nbsp;Ben Hammersley, &laquo;&nbsp;Audible Revolution&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>The Guardian</em>, 12 f&eacute;vrier 2004.</p> <p><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a>&nbsp;&Agrave; ce sujet, voir l&rsquo;article de Michael Bull, &laquo;&nbsp;No Dead Air! The iPod and the Culture of Mobile Listening&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Leisure Studies</em>, 24, n<sup>o</sup>&nbsp;4, 1er janvier 2005, p.&nbsp;343‑55, https://doi.org/10.1080/0261436052000330447.</p> <p><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a>&nbsp;Le terme est propos&eacute; par Sonia Baelo-Allu&eacute; dans son article &laquo;&nbsp;Transhumanism, transmedia and the serial podcast: Redefining storytelling in times of enhancement &raquo;,&nbsp;<em>International Journal of English Studies; University of Murcia</em>&nbsp;19, n<sup>o</sup>1, 2019, p.&nbsp;119‑31, https://doi.org/10.6018/ijes.335321.</p> <p>&nbsp;</p> <h3>Bibliographie<br /> &nbsp;</h3> <p>ABEL, Jessica,&nbsp;<em>Out on the Wire: The Storytelling Secrets of the New Masters of Radio</em>, New York, B/D/W/Y/Broadway Books, 2015.</p> <p>BAELO-ALLUE, Sonia, &laquo;&nbsp;Transhumanism, transmedia and the serial podcast: Redefining storytelling in times of enhancement&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>International Journal of English Studies&nbsp;; University of Murcia</em>, 19, n<sup>o</sup>&nbsp;1, 2019, p. 119‑31.</p> <p>BARTHES, Roland, &laquo;&nbsp;L&rsquo;effet de r&eacute;el&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Communications</em>&nbsp;11, n<sup>o</sup>&nbsp;1, 1968, p.&nbsp;84‑89.</p> <p>BIEWEN, John &amp; DILWORTH, Alexa,&nbsp;<em>Reality Radio: Telling True Stories in Sound</em>, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2017.</p> <p>BOTTOMLEY, Andrew,&nbsp;<em>Sound Streams: A Cultural History of Radio-Internet Convergence</em>, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2020.</p> <p>DEMAIR, Jillian,&nbsp;&laquo;&nbsp;Sounds Authentic: The Acoustic Construction of Serial&rsquo;s Storyworld&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>The Serial Podcast and Storytelling in the Digital Age</em>, edited by Ellen McCracken, New York / London, Routledge, 2017.</p> <p>DEMANZE, Laurent,&nbsp;<em>Un nouvel &acirc;ge de l&rsquo;enqu&ecirc;te : Portraits de l&rsquo;&eacute;crivain contemporain en enqu&ecirc;teur</em>, Paris, &Eacute;ditions Corti, &laquo; Les Essais &raquo;, 2019.</p> <p>GRIERSON, John,&nbsp;&laquo;&nbsp;First Principles of Documentary&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>Nonfiction Film Theory and Criticism</em>, edited by Richard Meran Barsam, New York, E.P. Dutton &amp; Co., 1976.</p> <p>HAMMERSLEY, Ben,&nbsp;&laquo;&nbsp;Audible Revolution&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>The Guardian</em>, 12 f&eacute;vrier 2004, sect. Media, en ligne&nbsp;<a href="http://www.theguardian.com/media/2004/feb/12/broadcasting.digitalmedia" target="_blank">ici</a>, consult&eacute; le 16/02/22.</p> <p>MCHUGH, Siobh&aacute;n, &laquo; How Podcasting Is Changing the Audio Storytelling Genre &raquo;,&nbsp;<em>Radio Journal: International Studies in Broadcast &amp; Audio Media</em>, 14, no 1, 2016, p. 65‑82.</p> <p>O&rsquo;NEILL, Connor Towne,&nbsp;&laquo;&nbsp;Residents of So-Called &lsquo;Shit Town&rsquo; Are Conflicted Over S-Town&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Vulture</em>. April 25, 2017, en ligne&nbsp;<a href="https://www.vulture.com/2017/04/s-town-podcast-visiting-woodstock-alabama.html" target="_blank">ici</a>, consult&eacute; le 16/02/22.</p> <p>Ora, Rebecca,&nbsp;&laquo;&nbsp;Invisible Evidence: Serial and the New Unknowability of Documentary: New Aural Cultures and Digital Media &raquo;, dans&nbsp;<em>Podcasting: New Aural Cultures and Digital Media</em>, 107‑22, 2018.</p> <p>&laquo;&nbsp;The Peabody Awards &ndash; News, Radio/Podcast, &amp; Public Service Winners Named &raquo;, peabodyawards.com, 2017.&nbsp;<a href="http://peabodyawards.com/stories/story/news-radio-podcast-and-public-service-winners-named" target="_blank">http://peabodyawards.com/stories/story/news-radio-podcast-and-public-service-winners-named</a>.</p> <p>REED, Brian &amp; SNYDER, Julie,&nbsp;<em>S-Town</em>, WBEZ Chicago, 2017. Chapitres 1&nbsp;&ndash;&nbsp;7.&nbsp;<a href="http://www.stownpodcast.org/" target="_blank">www.stownpodcast.org</a>, consult&eacute; le 16/02/22.</p> <h3>Autrice</h3> <p>Ancienne &eacute;l&egrave;ve de l&rsquo;&Eacute;cole Normale Sup&eacute;rieure de Cachan et de Sciences Po Paris, agr&eacute;g&eacute;e d&rsquo;anglais,&nbsp;<strong>Ella Waldmann</strong>&nbsp;est doctorante au Laboratoire de Recherche sur les Cultures Anglophones &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; de Paris. Dans sa th&egrave;se intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;Le podcast comme objet litt&eacute;raire&nbsp;:&nbsp;<em>S-Town</em>,&nbsp;&ldquo;radio-graphie&rdquo;&nbsp;am&eacute;ricaine &raquo;, elle s&rsquo;int&eacute;resse &agrave; la cr&eacute;ation documentaire pour la radio et le podcast aux &Eacute;tats-Unis.</p> <h3><strong>Copyright</strong></h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>