<h2>1. Livres de voix et voix sur les ondes</h2> <p>En se consacrant aux pratiques du reportage radiophonique aux XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> si&egrave;cles, ce dossier voudrait prolonger un certain nombre de r&eacute;flexions r&eacute;centes<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><sup><sup>[1]</sup></sup></a>, tout en amor&ccedil;ant un croisement entre les champs radiophonique et litt&eacute;raire autour des enjeux esth&eacute;tiques, &eacute;thiques et politiques soulev&eacute;s par l&rsquo;essor de l&rsquo;usage des t&eacute;moignages et de l&rsquo;enqu&ecirc;te orale. &Agrave; la crois&eacute;e du journalisme et de la litt&eacute;rature, prolif&egrave;rent en effet depuis les ann&eacute;es 2000 des livres d&rsquo;enqu&ecirc;tes, des reportages au long cours et des recueils de t&eacute;moignages salu&eacute;s tant par le public que par la critique, comme en t&eacute;moignent le succ&egrave;s des r&eacute;cits rwandais de Jean Hatzfeld, celui de Roberto Saviano, de W. T. Vollmann, ainsi que la cons&eacute;cration des fresques polyphoniques de l&rsquo;&eacute;crivaine bi&eacute;lorusse Svetlana Alexievitch, laur&eacute;ate du Prix Nobel de Litt&eacute;rature en 2015 pour ses enqu&ecirc;tes orales sur l&rsquo;ex-empire sovi&eacute;tique. Cette &laquo;&nbsp;litt&eacute;rature de terrain<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><sup><sup>[2]</sup></sup></a>&nbsp;&raquo;, qui prend souvent la forme de &laquo;&nbsp;narrations documentaires<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><sup><sup>[3]</sup></sup></a>&nbsp;&raquo;, a fait l&rsquo;objet de nombreux travaux qui en ont r&eacute;v&eacute;l&eacute; la teneur interdisciplinaire&nbsp;: Laurent Demanze, Mathilde Roussign&eacute; et Dominique Viart<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title=""><sup><sup>[4]</sup></sup></a> ont en effet montr&eacute; comment ces formes et ces pratiques contribuent &agrave; renouveler les liens entre litt&eacute;rature et sciences sociales, auxquelles elles empruntent m&eacute;thodes, outils et protocoles, tels que l&rsquo;exigence du terrain, l&rsquo;observation participante, l&rsquo;entretien ou encore le souci de r&eacute;flexivit&eacute;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title=""><sup><sup>[5]</sup></sup></a>.</p> <p>Tout en prenant acte de ces recherches, ce dossier propose de d&eacute;placer le regard vers un autre champ. Il nous semble en effet que les formes contemporaines de l&rsquo;enqu&ecirc;te et du reportage s&rsquo;inscrivent &eacute;galement dans une autre lign&eacute;e et connaissent d&rsquo;autres vies parall&egrave;les du c&ocirc;t&eacute; du documentaire sonore et de la cr&eacute;ation radiophonique. En France, de nombreuses &eacute;missions (&laquo;&nbsp;Sur les docks&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Creation on air&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Les Pieds sur terre&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;La S&eacute;rie Documentaire&nbsp;&raquo;), plateformes (Arte radio, Louie Media, Binge Audio) et webradios associatives (Radio Grenouille, Canal Sambre), festivals (Longueur d&rsquo;ondes, Sonar), podcasts &agrave; succ&egrave;s et documentaires d&rsquo;auteur montrent que loin d&rsquo;&ecirc;tre l&rsquo;apanage de la litt&eacute;rature contemporaine, le souci de l&rsquo;enqu&ecirc;te et l&rsquo;art de la rencontre habitent aussi les ondes et invitent &agrave; explorer le pendant radiophonique de ces polyphonies litt&eacute;raires. Nous faisons en effet l&rsquo;hypoth&egrave;se que le geste qui consiste &agrave; aller &agrave; la rencontre de groupes ou d&rsquo;individus pour recueillir et transmettre leurs paroles est profond&eacute;ment transdisciplinaire et transm&eacute;diatique. Ce dossier explore ainsi les mani&egrave;res dont le m&eacute;dium radiophonique (l&rsquo;histoire de ses pratiques, les dispositifs techniques qu&rsquo;il invente, les institutions qui l&rsquo;entourent et les acteurs qui l&rsquo;animent) rejoue et infl&eacute;chit les multiples enjeux qui traversent les collectes et enqu&ecirc;tes litt&eacute;raires. Il pr&eacute;sente l&rsquo;originalit&eacute; de v&eacute;rifier ces hypoth&egrave;ses dans plusieurs espaces linguistiques et culturels (anglophone, francophone, germanophone, russophone, ukrainophone), proposant ainsi le d&eacute;but d&#39;un panorama transnational &ndash; et non centr&eacute; sur le domaine anglo-saxon &ndash; des pratiques d&rsquo;enqu&ecirc;te radiophonique.</p> <h2>2. Pratiques documentaires et art de l&rsquo;&eacute;coute</h2> <p>De fait, l&rsquo;essor des formes non-fictionnelles au tournant du XXI<sup>e</sup> si&egrave;cle d&eacute;passe largement la sph&egrave;re litt&eacute;raire&nbsp;: Aline Caillet a &eacute;tudi&eacute; l&rsquo;apparition de nouveaux dispositifs documentaires au cin&eacute;ma et dans l&rsquo;art contemporain<a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title=""><sup><sup>[6]</sup></sup></a>, tandis que Christophe Deleu constate que la notion de documentaire radiophonique, import&eacute;e du cin&eacute;ma au lendemain de la Seconde Guerre mondiale puis tomb&eacute;e en d&eacute;su&eacute;tude, conna&icirc;t un retour en force depuis les ann&eacute;es 2000 avec le d&eacute;veloppement du podcast, qui tend &agrave; se lib&eacute;rer des contraintes &eacute;ditoriales et des formats traditionnels<a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title=""><sup><sup>[7]</sup></sup></a>. &laquo;&nbsp;De rattrapage&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;natif&nbsp;&raquo;, le podcast a largement contribu&eacute; &agrave; bouleverser le m&eacute;dium radiophonique, au point que Silvain Gire et Laurent Frisch parlent d&rsquo;une entr&eacute;e dans &laquo;&nbsp;l&rsquo;&egrave;re de la postradio<a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title=""><sup><sup>[8]</sup></sup></a>&nbsp;&raquo;, o&ugrave; fleurissent les productions sonores prenant la forme de l&rsquo;enqu&ecirc;te, du reportage ou du recueil de r&eacute;cits de vie.</p> <p>Loin de faire obstacle &agrave; l&rsquo;analyse, le flottement terminologique qui continue d&rsquo;entourer ces pratiques &ndash; &laquo;&nbsp;podcast de reportages&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;documentaire sonore&nbsp;&raquo; ou plus largement &laquo;&nbsp;cr&eacute;ation radiophonique&nbsp;&raquo; &ndash; invite sans doute &agrave; consid&eacute;rer le documentaire moins comme une cat&eacute;gorie g&eacute;n&eacute;rique que comme un certain rapport au r&eacute;el, susceptible en cela de traverser les fronti&egrave;res disciplinaires et de m&ecirc;ler les genres. D&egrave;s lors, l&rsquo;un des enjeux de ce num&eacute;ro consiste &agrave; se demander de quoi l&rsquo;inflation du reportage radiophonique peut &ecirc;tre le sympt&ocirc;me, en veillant &agrave; situer cette question dans diff&eacute;rents contextes historiques, g&eacute;ographiques et culturels&nbsp;: d&eacute;sir de d&eacute;chiffrer l&rsquo;opacit&eacute; du corps social, de mettre en lumi&egrave;re des conflits rel&eacute;gu&eacute;s, de cr&eacute;er un espace de parole et d&rsquo;&eacute;coute pour des groupes de populations inaudibles, de faire entendre des locuteurs de langues minoritaires ou de r&eacute;sister en mode mineur aux repr&eacute;sentations m&eacute;diatiques dominantes.</p> <p>Enfin, au-del&agrave; des bouleversements suscit&eacute;s par l&rsquo;apparition du podcast, le retour au support radiophonique nous semble d&rsquo;autant plus stimulant que les sp&eacute;cificit&eacute;s de ce m&eacute;dium sonore font &eacute;cho &agrave; un changement de paradigme plus large dans les modes d&rsquo;appr&eacute;hension du r&eacute;el. Certains anthropologues et philosophes &eacute;voquent en effet un infl&eacute;chissement &eacute;pist&eacute;mologique &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans les mani&egrave;res de conna&icirc;tre le monde, qui prend la forme d&rsquo;un glissement de la visualit&eacute; vers l&rsquo;&eacute;coute, de l&rsquo;observation vers la relation auditive, de l&rsquo;image vers la parole, des strat&eacute;gies du &laquo;<em>&nbsp;showing</em>&nbsp;&raquo; vers les arts du &laquo;&nbsp;<em>telling</em>&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9" title=""><sup><sup>[9]</sup></sup></a>. C&rsquo;est l&agrave; une invitation &agrave; revisiter ce qui constitue selon Christophe Deleu le d&eacute;fi premier de la radio<a href="#_ftn10" name="_ftnref10" title=""><sup><sup>[10]</sup></sup></a>&nbsp;: substituer &agrave; la repr&eacute;sentation visuelle du monde offerte par le cin&eacute;ma documentaire un monde sonore, fond&eacute; sur le t&eacute;lescopage des voix, le montage polyphonique des r&eacute;cits collect&eacute;s par l&rsquo;auteur et l&rsquo;exp&eacute;rience du temps partag&eacute;.</p> <p>Car si les &eacute;tudes radiophoniques ont b&eacute;n&eacute;fici&eacute; de l&rsquo;essor des <em>sound studies</em>, la radio permet aussi d&rsquo;aborder frontalement le r&ocirc;le et l&rsquo;usage de la voix dans la m&eacute;diatisation du r&eacute;el, dans le prolongement du phonocentrisme de la pens&eacute;e occidentale<a href="#_ftn11" name="_ftnref11" title=""><sup><sup>[11]</sup></sup></a>. L&agrave; o&ugrave; les recueils de t&eacute;moignages doivent trouver des &eacute;quivalents litt&eacute;raires de la voix, le reportage sonore fait de la polyphonie vocale et des enregistrements audio la mati&egrave;re m&ecirc;me de son &eacute;criture. Les auteurs exploitent cette mat&eacute;rialit&eacute; vocale, qui oscille entre imaginaire de la fid&eacute;lit&eacute; (capter une essence de la voix nue) et exploration des potentialit&eacute;s de la voix con&ccedil;ue comme instrument ou dispositif dont on mesure les effets sur l&rsquo;auditeur. C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs le parti pris du dossier paru en 2023 dans la revue <em>Herm&egrave;s</em>, &ldquo;la voix, force de la radio&rdquo;, qui cartographie par le prisme de la voix le paysage de la cr&eacute;ation sonore contemporaine<a href="#_ftn12" name="_ftnref12" title=""><sup><sup>[12]</sup></sup></a>. Selon Brigitte Chapelain et Zhao Alexandre Huang, c&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment dans la voix, &ldquo;&eacute;l&eacute;ment essentiel de l&rsquo;&eacute;criture sonique<a href="#_ftn13" name="_ftnref13" title=""><sup><sup>[13]</sup></sup></a>&rdquo;, que r&eacute;side la continuit&eacute; de la radio aujourd&rsquo;hui, malgr&eacute; les mutations subies par ce m&eacute;dium : d&rsquo;o&ugrave; la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;interroger les relations que la voix d&eacute;veloppe avec son auditoire en contexte radiophonique<a href="#_ftn14" name="_ftnref14" title=""><sup><sup>[14]</sup></sup></a>.</p> <h2>3. Porosit&eacute;s radio-litt&eacute;raires</h2> <p>Si l&rsquo;enqu&ecirc;te, le reportage et le documentaire figurent donc au c&oelig;ur de ce num&eacute;ro, les contributions ne se limitent pas &agrave; l&rsquo;&eacute;tude de ces formes, mais proposent d&rsquo;explorer d&rsquo;autres modalit&eacute;s de saisie de la voix, les modes de repr&eacute;sentations des langues dans le documentaire sonore et plus largement les passerelles entre litt&eacute;rature et radio : collaborations d&rsquo;&eacute;crivains sur les ondes, adaptations radiophoniques, exp&eacute;rimentation de genres interm&eacute;diaux, etc. En cela, ce dossier prolonge les recherches sur les liens entre litt&eacute;rature et radio, du programme de Pierre-Marie H&eacute;ron &laquo;&nbsp;Les &eacute;crivains et la radio en France<a href="#_ftn15" name="_ftnref15" title=""><sup><sup>[15]</sup></sup></a>&nbsp;&raquo; au num&eacute;ro de la revue <em>Textyles </em>consacr&eacute; &agrave; ces m&ecirc;mes enjeux en Belgique, de l&rsquo;entre-deux-guerres &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me-contemporain<a href="#_ftn16" name="_ftnref16" title=""><sup><sup>[16]</sup></sup></a>. Sur le plan m&eacute;thodologique, &agrave; bien des &eacute;gards, les articles r&eacute;unis ici souscrivent &agrave; l&rsquo;approche pr&ocirc;n&eacute;e par Manon Houtart et Florence Huybrechts dans l&rsquo;&eacute;tude des corpus radio-litt&eacute;raires : adopter un regard qui rel&egrave;ve du <em>close listening</em>, selon la formule de Charles Bernstein qui invite &agrave; pr&ecirc;ter attention aux multiples composantes de l&rsquo;&oelig;uvre ou de l&rsquo;&eacute;mission radiophonique, de l&rsquo;usage des voix &agrave; l&rsquo;univers sonore en passant par l&rsquo;art du montage. L&agrave; o&ugrave; Manon Houtart et Florence Huybrechts appellent &agrave; mobiliser les ressources de l&rsquo;audio-narratologie et de la phonostylistique pour rendre sensible le processus de &laquo;&nbsp;radiomorphose&nbsp;&raquo; de la litt&eacute;rature, les articles de Fanny Dujardin, d&rsquo;Alexandra Wiktorowska ou encore de Madeleine Martineu d&eacute;plient les modalit&eacute;s &eacute;nonciatives du documentaire sonore, analysent la mani&egrave;re dont le podcast reprend les codes du journalisme narratif, et sondent les enjeux du montage des voix.</p> <p>La question du support invite en outre &agrave; se pencher sur les ph&eacute;nom&egrave;nes de circulation et de porosit&eacute; entre radio et litt&eacute;rature, &agrave; travers l&rsquo;&eacute;tude de quelques trajectoires d&rsquo;&eacute;crivains, ou de quelques projets interm&eacute;diaux&nbsp;: soit que le reportage radio ouvre sur la publication de livres (les <em>Histoires orales</em>&nbsp;de Studs Terkel sont tir&eacute;es d&rsquo;&eacute;missions radiophoniques&nbsp;; Sonia Kronlund publie en 2012 chez Actes Sud des &laquo;&nbsp;nouvelles du r&eacute;el&nbsp;&raquo;, s&eacute;lection de reportages issus des &laquo;&nbsp;Pieds sur Terre&nbsp;&raquo; ; Charlotte Bienaim&eacute; fait para&icirc;tre en 2022 <em>Un livre &agrave; soi </em>&agrave; partir de l&rsquo;&eacute;mission &laquo;&nbsp;Un podcast &agrave; soi&nbsp;&raquo;)&nbsp;; soit que le livre de voix devienne l&rsquo;embrayeur de projets radiophoniques, &agrave; l&rsquo;image de <em>Dans ma zup </em>de Fran&ccedil;ois Beaune (2019), qui retourne &agrave; Chamb&eacute;ry-le-Haut pour r&eacute;aliser &laquo;&nbsp;La vie ordinaire dans nos cit&eacute;s&nbsp;&raquo;, une s&eacute;rie de podcasts diffus&eacute;s dans &laquo;&nbsp;LSD&nbsp;&raquo; en 2020<em>. </em>S&rsquo;il s&rsquo;agit bien souvent de miser sur la p&eacute;rennit&eacute; offerte par l&rsquo;objet livre, ces projets oscillent entre souci anthologique et logique d&rsquo;adaptation.</p> <h2>4. Histoires et territoires de l&rsquo;enqu&ecirc;te sonore</h2> <p>Le premier volet s&rsquo;attache &agrave; retracer une histoire plurielle du reportage radiophonique au sein de diff&eacute;rentes aires culturelles. Cette approche g&eacute;n&eacute;alogique invite &agrave; esquisser une histoire &agrave; plusieurs degr&eacute;s&nbsp;: d&rsquo;abord, une histoire mat&eacute;rielle de l&rsquo;&eacute;volution des techniques d&rsquo;enregistrement. Si la premi&egrave;re moiti&eacute; du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle s&rsquo;accompagne selon Jean-Pierre Martin d&rsquo;une &laquo;&nbsp;sonorisation amplifi&eacute;e du monde<a href="#_ftn17" name="_ftnref17" title=""><sup><sup>[17]</sup></sup></a>&nbsp;&raquo;, o&ugrave; l&rsquo;invention des &laquo;&nbsp;machines parlantes&nbsp;&raquo; bouleverse l&rsquo;imaginaire de la voix, le documentaire radiophonique est surtout tributaire des mutations techniques de la seconde moiti&eacute; du si&egrave;cle, qui m&egrave;nent du Nagra au podcast. Ces appareils enregistreurs entra&icirc;nent une d&eacute;mocratisation des pratiques, &agrave; la fois du c&ocirc;t&eacute; de la production (baisse des co&ucirc;ts, accessibilit&eacute; des logiciels de montage, solutions d&rsquo;h&eacute;bergement peu co&ucirc;teuses qui favorisent une dynamique d&rsquo;auto-production &agrave; l&rsquo;&egrave;re num&eacute;rique<a href="#_ftn18" name="_ftnref18" title=""><sup><sup>[18]</sup></sup></a>) et de la r&eacute;ception (changement des modes d&rsquo;&eacute;coute et du rapport temporel &agrave; la radio). &Agrave; cette histoire des techniques, qui favorisent une sortie du studio, s&rsquo;ajoute celle des lieux et des institutions&nbsp;: &eacute;volution des politiques de production culturelle sur la radio publique, apparition de radios associatives, de webradios et de plateformes de podcasts.&nbsp;</p> <p>En ouverture de ce dossier, l&rsquo;article de Fanny Dujardin retrace l&rsquo;histoire des liens entre pratiques phonographiques et enqu&ecirc;tes radiophoniques. Depuis les premiers enregistrements &agrave; vis&eacute;e ethnographique (tourn&eacute;s vers le pittoresque de l&rsquo;accent et du dialecte), qui constituent le &laquo;&nbsp;monde blanc&nbsp;&raquo; en r&eacute;f&eacute;rence, jusqu&rsquo;aux pratiques contemporaines qui se d&eacute;veloppent de mani&egrave;re plus intensive &agrave; partir des ann&eacute;es 1970 en France, c&rsquo;est un compagnonnage ancien qui appara&icirc;t. &Agrave; partir des ann&eacute;es 1990, caract&eacute;ris&eacute;es par un &laquo;&nbsp;parti pris du document&nbsp;&raquo;, les pratiques de l&rsquo;enqu&ecirc;te se sont diversifi&eacute;es au point que le &laquo;&nbsp;paradigme narratif&nbsp;&raquo; (Laurent Demanze) de l&rsquo;enqu&ecirc;te s&rsquo;est rapidement diffus&eacute; dans les productions radiophoniques. Fanny Dujardin &eacute;tudie en particulier trois exemples qui illustrent les diff&eacute;rentes &laquo;&nbsp;facettes&nbsp;&raquo; de l&rsquo;enqu&ecirc;te sonore et radiophonique aujourd&rsquo;hui, tout en interrogeant les probl&egrave;mes &eacute;thiques qu&rsquo;elle soul&egrave;ve d&egrave;s lors qu&rsquo;il s&rsquo;agit de recueillir la voix de sujets expos&eacute;s &agrave; une forme de vuln&eacute;rabilit&eacute; sociale. &Eacute;tudiant les choix du montage et la pr&eacute;sence de la voix de l&rsquo;autrice au sein du documentaire, Fanny Dujardin montre comment <em>Un micro au tribunal</em> de Pascale Pascariello (2019) rel&egrave;ve du &laquo;&nbsp;documentaire d&rsquo;observation&nbsp;&raquo;. Dans ce type de documentaire, qui produit paradoxalement un effet de transparence par l&rsquo;artifice des moyens d&rsquo;enregistrement et la mise en &oelig;uvre d&rsquo;un &laquo;&nbsp;point d&rsquo;&eacute;coute&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;omniaudient&nbsp;&raquo; subtilement construit, il s&rsquo;agit de faire ressortir la violence du dispositif du proc&egrave;s pour les inculp&eacute;s pr&eacute;sum&eacute;s coupables. L&rsquo;approche de Julien Cernobori dans <em>Cerno, l&rsquo;anti-enqu&ecirc;te</em> (2019) para&icirc;t plus intrusive. Suivant le genre du feuilleton policier (<em>cold-case</em>), la narration rouvre des dossiers class&eacute;s officiellement mais que l&rsquo;auteur va rouvrir pour &laquo;&nbsp;rendre hommage aux victimes&nbsp;&raquo; de deux tueurs en s&eacute;rie des ann&eacute;es 1980. Cette vis&eacute;e &laquo;&nbsp;r&eacute;paratrice&nbsp;&raquo; pose toutefois question tant Julien Cernobori assume le caract&egrave;re pr&eacute;dateur de l&rsquo;interviewer vis-&agrave;-vis de ses interview&eacute;s. S&rsquo;il s&rsquo;agit bien de tisser des liens avec et entre les vivants, l&rsquo;auteur semble &eacute;galement &oelig;uvrer &agrave; sa propre promotion, cherchant &agrave; g&eacute;n&eacute;rer artificiellement une enqu&ecirc;te qui a besoin de financement participatif pour continuer &agrave; exister. Enfin, dans <em>La ferme o&ugrave; poussent les arbres du ciel</em>, Kaye Mortley, qui enqu&ecirc;te sur sa terre natale (l&rsquo;Australie), d&eacute;veloppe une esth&eacute;tique de la radio comme &laquo;&nbsp;<em>mind movie</em>&nbsp;&raquo;. &laquo;&nbsp;Promeneuse &eacute;coutante&nbsp;&raquo; (Michel Chion), Kaye Mortley d&eacute;veloppe une pi&egrave;ce relevant du &laquo;&nbsp;documentaire po&eacute;tique&nbsp;&raquo; non plus fond&eacute; sur la qu&ecirc;te d&rsquo;une v&eacute;rit&eacute; ou sur l&rsquo;exigence de documentation d&rsquo;un sujet bien pr&eacute;cis, mais bien plut&ocirc;t sur la production d&rsquo;un effet de d&eacute;familiarisation avec le r&eacute;el&nbsp;: au fil des questions laiss&eacute;es en suspens et des souvenirs, l&rsquo;enqu&ecirc;te radiophonique suspend le sens et brouille les voix, affirmant une ouverture au monde d&eacute;lest&eacute;e d&rsquo;imp&eacute;ratifs moraux.</p> <p>En miroir de l&rsquo;article de Fanny Dujardin, Tudi Crequer (journaliste bilingue, reporter et pr&eacute;sentateur d&rsquo;informations en langue bretonne), part quant &agrave; lui du constat d&rsquo;un &laquo;&nbsp;vide archivistique&nbsp;&raquo; en mati&egrave;re de langues minoritaires : la langue bretonne est exemplaire d&rsquo;un tel silence dans les archives sonores et radiophoniques. Les archives phonographiques l&rsquo;attestent : c&rsquo;est surtout la voix des hommes illustres, parlant en langue fran&ccedil;aise, que l&rsquo;on enregistre au d&eacute;but du xx<sup>e</sup> si&egrave;cle. Il existe certes un collectage de documents sonores men&eacute; par des folkloristes et des ethnomusicologues, mais ce collectage ne tient pas compte de l&rsquo;histoire ou de &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;paisseur biographique&nbsp;&raquo; du t&eacute;moin, comme l&rsquo;a relev&eacute; Florence Descamps. Il faut attendre les ann&eacute;es soixante &agrave; soixante-dix pour voir appara&icirc;tre des &eacute;missions en langue bretonne et pour que des archives sonores du breton soient constitu&eacute;es. Ce mouvement tend &agrave; s&rsquo;amplifier depuis les ann&eacute;es 1980 &agrave; la faveur de la production de l&rsquo;&eacute;mission de R&eacute;mi Derrien, &laquo;&nbsp;Bonjour village&nbsp;&raquo;, qui rend compte du quotidien des locuteurs bretons &eacute;voquant leur perception du monde et de l&rsquo;histoire. Tudi Crequer se demande comment sortir les langues minoritaires de leur marginalit&eacute; : il montre que la diffusion sur une cha&icirc;ne nationale d&rsquo;une &eacute;mission int&eacute;grant des t&eacute;moignages en breton, diffus&eacute;e dans le cadre des &laquo;&nbsp;Pieds sur terre&nbsp;&raquo;, peut contribuer &agrave; un tel d&eacute;cloisonnement. <em>In fine</em>, c&rsquo;est la question du maintien des espaces radiophoniques &ndash; les radios associatives comme espace plus hospitalier &ndash; et de leur fragilit&eacute; qui est pos&eacute;e.</p> <p>Les deux articles suivants d&eacute;placent le curseur du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;Allemagne et de l&rsquo;Ukraine, interrogeant les enjeux de l&rsquo;enqu&ecirc;te sonore dans ces deux pays. Dans son article sur le reportage et la chronique radiophoniques en Ukraine, Oleksandr Volkovynskyi propose une &eacute;tude compar&eacute;e de ces deux genres journalistiques tels qu&rsquo;ils existent aujourd&rsquo;hui dans le paysage m&eacute;diatique ukrainien, dans un pays o&ugrave; le temps d&rsquo;&eacute;coute moyen (plus de quatre heures par jour) r&eacute;v&egrave;le l&rsquo;impact consid&eacute;rable du reportage et de la chronique dans les pratiques culturelles, sociales et politiques de la population. Le chercheur souligne que le contexte de guerre a contribu&eacute; &agrave; accro&icirc;tre la demande des auditeurs pour le reportage (un journalisme d&rsquo;informations et de terrain) au d&eacute;triment de la chronique. Cependant, contrairement au reportage &eacute;crit, le reportage radiophonique invite selon l&rsquo;auteur de l&rsquo;article &agrave; mettre en lumi&egrave;re le r&ocirc;le des proc&eacute;d&eacute;s sonores qui entrent dans sa composition, et qui par leur puissance suggestive tendent &agrave; att&eacute;nuer la fronti&egrave;re entre le genre du reportage et celui de la chronique. Comptent en effet moins les faits eux-m&ecirc;mes que les repr&eacute;sentations qu&rsquo;ils suscitent. En s&rsquo;int&eacute;ressant &agrave; la fois aux productions de la plateforme <em>Urban Space Radio</em> et aux chroniques diffus&eacute;es par la station <em>Tvoye Radio</em>, Oleksandr Volkovynskyi analyse les rapports entre les faits rapport&eacute;s ou chroniqu&eacute;s et les sons qui les accompagnent et les &eacute;voquent : &agrave; l&rsquo;heure o&ugrave; les productions actuelles ont tendance &agrave; remplacer les sons enregistr&eacute;s sur le terrain par des sons puis&eacute;s dans l&rsquo;audioth&egrave;que, l&rsquo;auteur souligne la n&eacute;cessit&eacute; de continuer &agrave; int&eacute;grer des sons enregistr&eacute;s de premi&egrave;re main dans la fabrique du reportage, afin de constituer des archives du futur.</p> <p>Sans s&rsquo;en tenir aux genres de la chronique et du reportage, Hendrik Michael propose quant &agrave; lui une r&eacute;flexion sur la place centrale du podcast journalistique dans le paysage m&eacute;diatique allemand. &Agrave; partir d&rsquo;une r&eacute;flexion synth&eacute;tique sur les th&eacute;ories de l&rsquo;interm&eacute;dialit&eacute;, sur les canaux de diffusion et sur les modalit&eacute;s de r&eacute;ception des podcasts, le chercheur analyse la mani&egrave;re dont ces m&eacute;dias narratifs hybrides op&egrave;rent une fusion entre plusieurs pratiques et formes journalistiques pr&eacute;existantes afin de produire des objets dont les vis&eacute;es oscillent entre information et divertissement. Se profile ainsi un double h&eacute;ritage du podcast journalistique, qui reprend &agrave; la fois les codes du journalisme narratif (croisant formes litt&eacute;raires et m&eacute;thodes d&rsquo;investigation journalistiques) et les proc&eacute;d&eacute;s de m&eacute;dias sonores, des r&eacute;cits oraux aux pi&egrave;ces radiophoniques. &Agrave; travers l&rsquo;&eacute;tude de deux exemples de podcasts allemands, <em>Danke, Ciao ! </em>de Dominik Schottner (2016) et <em>Paradise Papers : Im Schattenreich der Steueroasen</em>, de Benedikt Strunz et Philip Eckstein (2017), Hendrik Michael met en lumi&egrave;re deux mod&egrave;les repr&eacute;sentatifs des usages du <em>storytelling </em>dans le podcast contemporain. L&agrave; o&ugrave; le podcast de Dominik Schottner, qui interroge le r&ocirc;le de l&rsquo;alcoolisme dans la mort de son p&egrave;re, permet d&rsquo;aborder un probl&egrave;me de soci&eacute;t&eacute; et de sant&eacute; publique par le cadrage intime, la s&eacute;rie de Benedikt Strunz et Philip Eckstein t&eacute;moigne du r&ocirc;le de la narration dans le compte-rendu d&rsquo;enqu&ecirc;te, afin de rendre palpable la dimension collective de l&rsquo;investigation internationale qui a permis de faire &eacute;clater le scandale.</p> <h2>5. Litt&eacute;rature et radio</h2> <p>Le deuxi&egrave;me volet de ce volume s&rsquo;attache plus pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; explorer les liens entre litt&eacute;rature et radio, qui &eacute;pousent des formes vari&eacute;es d&egrave;s les d&eacute;buts de la radiodiffusion. Les &eacute;crivains comprennent tout de suite les horizons ouverts par le nouveau m&eacute;dia en termes de sauvegarde de la parole, de sa diffusion mais aussi d&rsquo;expressivit&eacute; propre au son, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse de la voix dans sa mat&eacute;rialit&eacute; ou des sons non verbaux, souvent minuscules et apparemment insignifiants. Les &eacute;changes entre le champ litt&eacute;raire et le champ radiophonique s&rsquo;installent rapidement et dans la dur&eacute;e : les m&ecirc;mes acteurs pratiquent tour &agrave; tour la litt&eacute;rature et la radio ; les productions litt&eacute;raires trouvent dans la radio, o&ugrave; elles sont lues, adapt&eacute;s ou comment&eacute;es, un moyen de diffusion hors-pair ; les &eacute;v&eacute;nements couverts &agrave; l&#39;occasion de reportages nourrissent les &oelig;uvres des journalistes lorsque ceux-ci se font romanciers ; le reportage ou le documentaire radiophonique empruntent &agrave; la litt&eacute;rature ses techniques narratives et ses codes. Vladimir Ma&iuml;akovski a m&ecirc;me cru voir la radio remplacer la litt&eacute;rature et tout particuli&egrave;rement la litt&eacute;rature factuelle, la seule jug&eacute;e valable dans le nouveau monde n&eacute; de la R&eacute;volution d&#39;Octobre. On notera que cette id&eacute;e est toujours d&rsquo;actualit&eacute; puisque plusieurs chercheurs estiment que le podcast prend aujourd&#39;hui le relais du journalisme litt&eacute;raire<a href="#_ftn19" name="_ftnref19" title=""><sup><sup>[19]</sup></sup></a>. Enfin, il est tentant de voir l&rsquo;histoire du documentaire radiophonique comme celle d&rsquo;une prise de recul croissante vis-&agrave;-vis d&rsquo;un fantasme qui lui pr&ecirc;te le pouvoir de capter le r&eacute;el brut, tel un journal sans distance et sans papier. Au fil du temps, le documentaire radiophonique, m&ecirc;me dans ses variantes proches du <em>storytelling</em>, semble de plus en plus enclin &agrave; s&rsquo;interroger sur les moyens qui lui sont propres et &agrave; questionner ses protocoles d&rsquo;enregistrement du r&eacute;el. Mais n&rsquo;est-ce pas l&agrave; plaquer l&#39;histoire litt&eacute;raire sur celle du documentaire sonore ? Car il ne faut pas perdre de vue que la th&eacute;orie litt&eacute;raire a connu un essor remarquable en Russie autour de 1920, au moment m&ecirc;me o&ugrave; le recours &agrave; l&rsquo;enregistrement et &agrave; la diffusion a re&ccedil;u une impulsion d&eacute;cisive, ce qui sugg&egrave;re que la radio a fortement contribu&eacute; &agrave; changer l&rsquo;id&eacute;e de la litt&eacute;rature et la litt&eacute;rature elle-m&ecirc;me et que, sans doute, elle continue encore &agrave; le faire<a href="#_ftn20" name="_ftnref20" title=""><sup><sup>[20]</sup></sup></a>. Entre litt&eacute;rature et radio, il y a bien des interactions et non une circulation &agrave; sens unique.&nbsp;</p> <p>C&rsquo;est ce que montre, en ouverture de ce volet, l&rsquo;&eacute;tude de Pavel Arseniev consacr&eacute;e aux interactions, durant la d&eacute;cennie qui suit la R&eacute;volution d&rsquo;Octobre, entre le d&eacute;veloppement des techniques d&rsquo;enregistrement et de diffusion de la parole d&rsquo;une part et la th&eacute;orie litt&eacute;raire &eacute;labor&eacute;e par les formalistes et les po&egrave;tes futuristes de l&rsquo;autre. Il rappelle tout d&rsquo;abord &agrave; quel point la radio joue un r&ocirc;le central dans la mise en place du pouvoir sovi&eacute;tique. C&rsquo;est depuis une station de radio de Saint-P&eacute;tersbourg que L&eacute;nine annonce au monde entier la victoire de la r&eacute;volution m&ecirc;me si, &agrave; ce moment, seule la flotte russe dispose des moyens techniques pour recevoir le message. Il s&rsquo;agit l&agrave; d&rsquo;une r&eacute;volution politique tout autant que technique. La radio devient d&egrave;s lors une ressource puissante pour l&rsquo;imagination r&eacute;volutionnaire. C&rsquo;est tout d&rsquo;abord un fantasme d&rsquo;imm&eacute;diatet&eacute; qui semble se r&eacute;aliser gr&acirc;ce &agrave; la radiodiffusion puisque, selon les paroles de L&eacute;nine lui-m&ecirc;me, elle permet l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;un journal &laquo;&nbsp;sans papier ni distance&nbsp;&raquo;, qui ignore les fronti&egrave;res entre les &Eacute;tats et les barrages &eacute;lev&eacute;s par les classes dominantes. Cependant, les nouvelles possibilit&eacute;s ouvertes par la radio stimulent, et m&ecirc;me r&eacute;volutionnent, aussi, la pens&eacute;e sur la litt&eacute;rature, conduisant &agrave; une th&eacute;orisation dont on conna&icirc;t les prolongements. Ce n&rsquo;est pas un hasard si le c&eacute;l&egrave;bre texte de Chklovski sur &laquo;&nbsp;L&rsquo;art comme proc&eacute;d&eacute;&nbsp;&raquo; [Isskustvo kak priem] para&icirc;t en 1917 et si le premier num&eacute;ro de la revue <em>LEF</em>, en 1924, comprenant les analyses fondatrices de Chklovski, Tynianov, Eichenbaum et Jakoubinski, s&rsquo;intitule &laquo;&nbsp;La langue de L&eacute;nine&nbsp;&raquo; [Iazyk Lenina]. P. Arseniev explique que le terme <em>priem</em>, qui figure dans le titre de l&rsquo;essai de Chklovski, habituellement traduit en fran&ccedil;ais par <em>proc&eacute;d&eacute;</em>, signifie aussi <em>dispositif</em> ou <em>technique</em> et doit &ecirc;tre compris non seulement comme une m&eacute;taphore de la persuasion rh&eacute;torique mais aussi dans son sens le plus litt&eacute;ral. L&rsquo;art est une question de technique, et plus pr&eacute;cis&eacute;ment de technique d&rsquo;enregistrement et de diffusion de la parole. L&rsquo;autre concept cl&eacute; formul&eacute; par Chklovski, celui de <em>d&eacute;familiarisation</em> [ostranienie] peut, quant &agrave; lui, &ecirc;tre reli&eacute; &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience de l&rsquo;&eacute;coute r&eacute;p&eacute;t&eacute;e d&rsquo;une parole enregistr&eacute;e, qui finit par vider les mots de leur sens. Enfin, comme le montrent quelques textes de Ma&iuml;akovski, la R&eacute;volution coupe les po&egrave;tes de leur environnement institutionnel et de leur culture mat&eacute;rielle. La p&eacute;nurie du papier et le d&eacute;mant&egrave;lement des structures m&eacute;diatiques les poussent &agrave; inventer du nouveau, par exemple en lisant leurs po&egrave;mes et, ainsi, &agrave; &eacute;crire directement &laquo;&nbsp;&agrave; partir de la voix&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;pour la voix&nbsp;&raquo;.</p> <p>Les formalistes et les futuristes ne sont pas les seuls hommes de lettres &agrave; avoir compris l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de la radiodiffusion. Olga Plaszczewska se livre &agrave; une exploration des archives laiss&eacute;es par une personnalit&eacute; &eacute;minente du paysage culturel polonais &mdash; mais n&eacute;anmoins oubli&eacute;e tout au long de la deuxi&egrave;me moiti&eacute; du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle &mdash;, dont le parcours permet d&rsquo;appr&eacute;hender les liens &eacute;troits et vari&eacute;s qui se nouent entre litt&eacute;rature et radio, d&egrave;s les premi&egrave;res heures de la radiodiffusion pour grand public, dans un contexte politique tr&egrave;s diff&eacute;rent. Olga Plaszczewska nous propose d&rsquo;abord une br&egrave;ve histoire de la radio polonaise, dont elle souligne le d&eacute;veloppement fulgurant &agrave; partir de 1925 mais aussi la sp&eacute;cificit&eacute; dans un pays qui vient de rena&icirc;tre apr&egrave;s cent cinquante ann&eacute;es de partage entre des puissances voisines russo- et germanophones. La radio se trouve ainsi investie de la mission de promouvoir la langue et la culture polonaises au sein d&rsquo;un &Eacute;tat &agrave; la recherche d&rsquo;une unit&eacute; perdue. Si la radio contribue &agrave; mettre la litt&eacute;rature au service de la politique, les &eacute;crivains, dans leur grande majorit&eacute;, acceptent avec enthousiasme de collaborer avec le nouveau m&eacute;dia dont ils comprennent rapidement l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t. Quelques lignes de force se d&eacute;gagent du parcours d&rsquo;A.&nbsp;Jesionowski. On retiendra ainsi que l&rsquo;homme de lettres devient l&rsquo;homme de la radio : A. Jesionowski, d&rsquo;abord journaliste, reporter et critique litt&eacute;raire dans un magazine culturel, franchit naturellement le seuil du nouveau m&eacute;dia, o&ugrave; il fait entendre sa voix en tant qu&rsquo;animateur puis contr&ocirc;leur de la qualit&eacute; des programmes, ce qui l&#39;incite &agrave; coucher par &eacute;crit ses r&eacute;flexions sur les pratiques de la radio, riche source d&rsquo;information aujourd&rsquo;hui. On ne s&rsquo;&eacute;tonne pas de le voir m&eacute;nager &agrave; la litt&eacute;rature une place de choix dans la grille des programmes, entre information et musique. On rel&egrave;ve cependant que la forme privil&eacute;gi&eacute;e y est le r&eacute;cit de voyage, pratique proche du grand reportage, &agrave; la crois&eacute;e de la litt&eacute;rature et du journalisme, jouissant alors des faveurs d&rsquo;un large public. Enfin, A. Jesionowski estime que le secret du succ&egrave;s est &agrave; chercher du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;interaction avec les auditeurs &agrave; qui il faut aussi donner la voix si l&rsquo;on veut b&acirc;tir un monde (polonais) commun&nbsp;: dans chaque &eacute;mission, il consacre quelques minutes &agrave; r&eacute;pondre au courrier des lecteurs.</p> <p>Le r&eacute;cit de voyage est au c&oelig;ur de l&rsquo;article de C&eacute;line Pardo, consacr&eacute; &agrave; la mise en &eacute;coute des voix &eacute;trang&egrave;res dans quatre cr&eacute;ations radiophoniques francophones r&eacute;alis&eacute;es par des &eacute;crivains-voyageurs et professionnels de la radio : <em>Instantan&eacute;s de Perse</em> de Philippe Soupault (RTF, 1950) ; <em>Le Transcamerounais</em> de Jos&eacute; Pivin (France Culture, 1977) ; <em>Souvenirs d&rsquo;en Flandres</em>, s&eacute;rie produite par Franck Venaille dans le cadre du programme <em>Nuits magn&eacute;tiques</em> (France Culture, 1987) ; <em>(S)no(w) borders</em>, documentaire ind&eacute;pendant de l&rsquo;artiste et &eacute;crivaine belge francophone Anne Penders (2006). Toutes ces r&eacute;alisations embarquent l&rsquo;auditeur, comme le voulait A. Jesionowski, mais il ne s&rsquo;agit plus simplement de relayer et de diffuser un texte d&eacute;j&agrave; &eacute;crit par un &eacute;crivain-voyageur. C&eacute;line Pardo montre que ces quatre &laquo;&nbsp;documentaires po&eacute;tiques&nbsp;&raquo; &ndash; pour reprendre la terminologie commode propos&eacute;e par Christophe Deleu &ndash; peuvent &ecirc;tre interpr&eacute;t&eacute;s comme quatre jalons dans une triple histoire : celle d&rsquo;une prise de conscience des potentialit&eacute;s de la voix dans sa mat&eacute;rialit&eacute; ; celle d&rsquo;une approche de plus en plus probl&eacute;matis&eacute;e de l&rsquo;Autre et celle, enfin, d&rsquo;une compr&eacute;hension de la m&eacute;diation radiophonique. En faisant entendre des fragments d&rsquo;un po&egrave;me et d&rsquo;une chanson en langue persane dans une cr&eacute;ation o&ugrave; dominent les impressions du po&egrave;te en fran&ccedil;ais, Philippe Soupault s&rsquo;amuse des st&eacute;r&eacute;otypes v&eacute;hicul&eacute;s dans les ann&eacute;es 1950 sur la Perse sans pour autant les renverser. &Agrave; la fin des ann&eacute;es 1970, Jos&eacute; Pivin entra&icirc;ne son auditeur au Cameroun et le met face &agrave; un monde radicalement &eacute;tranger gr&acirc;ce &agrave; une m&eacute;lange de s&eacute;quences de sons enregistr&eacute;s sur le terrain avec des s&eacute;quences de fiction sous forme de dialogues enregistr&eacute;s en studio. Dix ann&eacute;es plus tard, Franck Venaille fait r&eacute;sonner la langue &eacute;trang&egrave;re pour elle-m&ecirc;me, pla&ccedil;ant ainsi l&rsquo;auditeur francophone dans une &eacute;coute sensorielle plut&ocirc;t qu&rsquo;intellectuelle, qui sollicite une imagination active. &Agrave; l&#39;or&eacute;e du XXI<sup>e</sup> si&egrave;cle, en faisant s&rsquo;entrecroiser des voix parlant diff&eacute;rentes langues aussit&ocirc;t traduites par un traducteur, Anne Penders semble mettre en &eacute;vidence une fluidit&eacute; interlinguistique qui finit cependant par produire chez l&rsquo;auditeur le sentiment de la profondeur irr&eacute;ductible de toute langue et de toute pens&eacute;e. Paradoxalement, la prise de conscience des potentialit&eacute;s offertes par la mat&eacute;rialit&eacute; de la voix s&rsquo;accompagne d&rsquo;une inqui&eacute;tude croissante quant au pouvoir que poss&egrave;derait la radio de &laquo;&nbsp;faire effraction dans le r&eacute;el<a href="#_ftn21" name="_ftnref21" title=""><sup><sup>[21]</sup></sup></a>&nbsp;&raquo;. Cependant cette d&eacute;construction progressive du mythe de la radio comme pr&eacute;sence imm&eacute;diate ne fait que rendre plus sensible les affinit&eacute;s entre la radio et la litt&eacute;rature : le r&eacute;alisateur des documentaires radiophoniques comme l&rsquo;&eacute;crivain produisent des figurations du r&eacute;el dont les enjeux sont, aussi, esth&eacute;tiques.</p> <p>L&rsquo;interrogation sur les conditions radiophoniques de perception et d&rsquo;expression du r&eacute;el n&rsquo;est pas &eacute;trang&egrave;re &agrave; la production sonore analys&eacute;e par Alexandra Wiktorowska, <em>Pig Iron</em>. &Agrave; premi&egrave;re vue ce podcast natif en sept &eacute;pisodes, diff&egrave;re radicalement des cr&eacute;ations analys&eacute;es par C. Pardo. A. Wiktorowska le situe d&rsquo;ailleurs d&rsquo;embl&eacute;e dans un ensemble distinct de la litt&eacute;rature&nbsp;: le journalisme narratif ou journalisme litt&eacute;raire, c&rsquo;est-&agrave;-dire une pratique dont la vis&eacute;e est d&rsquo;abord d&eacute;cid&eacute;ment informative et qui, sans perdre de vue l&rsquo;objectif de dire la v&eacute;rit&eacute;, met en &oelig;uvre des proc&eacute;d&eacute;s g&eacute;n&eacute;ralement associ&eacute;s &agrave; la litt&eacute;rature de fiction dans le but de mieux capter l&rsquo;attention de l&rsquo;auditeur et d&rsquo;emporter son adh&eacute;sion. Les liens de <em>Pig Iron</em> avec le journalisme apparaissent d&rsquo;ailleurs &agrave; plusieurs niveaux : la production par une start-up journalistique, le parcours professionnel de la r&eacute;alisatrice, la place centrale des entretiens avec les t&eacute;moins et de l&rsquo;exploration de documents (journaux, notes &eacute;crites ou enregistr&eacute;es), le sujet lui-m&ecirc;me, puisqu&rsquo;il s&rsquo;agit de la mort, au Soudan du Sud en 2016, d&rsquo;un jeune pigiste qui s&rsquo;est engag&eacute; aux c&ocirc;t&eacute;s des rebelles. Enfin, <em>Pig Iron</em> s&rsquo;inscrit plus largement dans un mouvement de renouveau journalistique, manifeste sur diff&eacute;rents supports, qui se traduit par des productions ind&eacute;pendantes, au format long et &agrave; la subjectivit&eacute; assum&eacute;e. Dans le domaine sonore, ce mouvement a &eacute;t&eacute; marqu&eacute; par les succ&egrave;s, aux &Eacute;tats-Unis, des s&eacute;ries <em>Serial</em> et <em>S-Town</em>. Il ne faut donc pas perdre de vue que le cadre th&eacute;orique de l&rsquo;analyse d&rsquo;A. Wiktorowska est diff&eacute;rent de celui de l&rsquo;article pr&eacute;c&eacute;dent, non seulement parce qu&rsquo;il rattache son objet au champ m&eacute;diatique mais aussi parce qu&rsquo;il se situe dans la lign&eacute;e de travaux anglo- et am&eacute;ricanophones sur le journalisme litt&eacute;raire ou le roman de non-fiction, dont le mod&egrave;le reste <em>De sang-froid </em>de Truman Capote. C&rsquo;est sans doute cette diff&eacute;rence d&rsquo;approche qui dissimule les convergences du podcast &eacute;tudi&eacute; avec des interrogations qui habitent la litt&eacute;rature contemporaine. Or celles-ci existent bien. Tout d&rsquo;abord parce que le podcast op&egrave;re un recul critique sur la pratique qui est &agrave; son origine : la qu&ecirc;te retrac&eacute;e ne porte pas tant sur les circonstances de la mort du journaliste que sur le cheminement qui l&rsquo;a men&eacute; du journalisme &agrave; la lutte arm&eacute;e. L&rsquo;histoire gagne ainsi une dimension symbolique, faisant &eacute;cho &agrave; la qu&ecirc;te de la r&eacute;alisatrice, jalonn&eacute;e de doutes partag&eacute;s avec les auditeurs, sur la dimension &eacute;thique et sur les enjeux de son travail. D&rsquo;autre part, le podcast rend audibles des sons infimes enregistr&eacute;s sur le terrain (bruits de pas, portes qui claquent...), les respirations, les inflexions des voix et m&ecirc;me les silences prolong&eacute;s &ndash; encore plus sensibles lors d&rsquo;une &eacute;coute au casque &ndash;, qui participent d&rsquo;une exp&eacute;rience esth&eacute;tique. Enfin, l&rsquo;enqu&ecirc;te ne d&eacute;bouche sur aucune r&eacute;ponse, laissant l&rsquo;auditeur aux prises avec un r&eacute;el &eacute;clat&eacute; et opaque.</p> <p>Pour finir, en d&eacute;pla&ccedil;ant le focus vers les processus de l&eacute;gitimation des pratiques culturelles, Julian Preece montre comment une &eacute;tude sur les relations entre journalisme, radio et litt&eacute;rature peut croiser une histoire des relations entre les sexes. Son article est consacr&eacute; &agrave; Ingeborg Bachmann (1926-1973), auteure autrichienne majeure et grande figure f&eacute;ministe. Depuis Rome, o&ugrave; elle r&eacute;side dans les ann&eacute;es 1954-1955, Bachmann &eacute;crit une s&eacute;rie de reportages sur l&rsquo;Italie pour la radio de Br&ecirc;me. L&rsquo;article de Julian Preece met en lumi&egrave;re les modalit&eacute;s de cette collaboration (les textes sont r&eacute;dig&eacute;s par Bachmann, dict&eacute;s par t&eacute;l&eacute;phone puis lus &agrave; l&#39;antenne), son soubassement &eacute;conomique (la radio est alors pour beaucoup d&rsquo;&eacute;crivains germanophones un moyen de gagner leur vie), ainsi que la longue invisibilisation de la pratique dans l&rsquo;histoire litt&eacute;raire et culturelle (retrouv&eacute;s par hasard &agrave; la fin des ann&eacute;es 1990, ces textes n&rsquo;ont pas jamais attir&eacute; l&rsquo;attention des chercheurs). Bachmann elle-m&ecirc;me a d&rsquo;ailleurs toujours pris ses distances avec sa production pour la radio o&ugrave; elle intervenait sous pseudonyme. Pourtant, un retour sur ces textes, jug&eacute;s mineurs dans l&rsquo;&oelig;uvre d&rsquo;une grande &eacute;crivaine, jette une lumi&egrave;re fort &eacute;clairante sur le roman <em>Malina</em>, publi&eacute; en 1971 et consid&eacute;r&eacute; comme la plus grande r&eacute;ussite de Bachmann. Selon Julian Preece, le dispositif narratif complexe qui fait la c&eacute;l&eacute;brit&eacute; de ce roman s&rsquo;enracine dans l&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;affaire Montesi&nbsp;&raquo;, qui a agit&eacute; l&rsquo;Italie au milieu des ann&eacute;es 1950&nbsp;: un corps de femme, &eacute;chou&eacute; sur une plage &agrave; proximit&eacute; de Rome, victime d&rsquo;un viol impliquant des personnages haut plac&eacute;s. Bachmann relaie largement l&rsquo;affaire dans ses reportages, mais, curieusement, elle ne veut pas y voir plus qu&rsquo;un fait divers, adoptant un point de vue proche de celui du gouvernement italien, qui cherche &agrave; &eacute;touffer l&rsquo;affaire. Selon Julian Preece, c&rsquo;est Bachmann elle-m&ecirc;me qui a ainsi fait taire son point de vue f&eacute;minin sur l&rsquo;affaire pour mieux r&eacute;pondre aux attentes conformistes de ses auditeurs. Ce geste n&rsquo;a par la suite jamais cess&eacute; de hanter son &oelig;uvre. Certes, la forme mineure va ici de pair avec un conformisme d&eacute;cevant dont Bachmann se d&eacute;partira dans son &oelig;uvre litt&eacute;raire mais il ne fait pas de doute que l&rsquo;&eacute;criture pour la radio doive &ecirc;tre prise en compte si on veut appr&eacute;hender pleinement l&rsquo;&oelig;uvre litt&eacute;raire de l&rsquo;autrice de <em>Malina</em>.</p> <h2>6. &Eacute;thique et politique du reportage radiophonique</h2> <p>Si litt&eacute;rature et radio entretiennent des relations privil&eacute;gi&eacute;es, leur association dans le cadre du reportage radiophonique, qui emprunte ses techniques &agrave; la narration litt&eacute;raire, ne vise pas seulement &agrave; r&eacute;pondre &agrave; ce d&eacute;sir de &laquo;&nbsp;belle radio&nbsp;&raquo; qu&rsquo;&eacute;voquent Pierre-Marie H&eacute;ron et Christophe Deleu. L&rsquo;histoire du documentaire radiophonique et le nouvel essor qu&rsquo;il conna&icirc;t depuis deux d&eacute;cennies s&rsquo;&eacute;crivent en miroir des crises sociales et des luttes politiques. Il ne s&rsquo;agit pas uniquement d&rsquo;enregistrer le r&eacute;el, mais de mettre le monde sur &eacute;coute pour faire entendre des voix peu repr&eacute;sent&eacute;es dans l&rsquo;espace public, et contester les r&eacute;gimes d&rsquo;audibilit&eacute; et de visibilit&eacute; en vigueur. Ce dernier axe propose ainsi d&rsquo;explorer les enjeux politiques du reportage sonore&nbsp;: &eacute;lucider et d&eacute;chiffrer une soci&eacute;t&eacute; complexe&nbsp;; exp&eacute;rimenter une forme de d&eacute;mocratie narrative dans l&rsquo;espoir de tisser, selon le v&oelig;u de Pierre Rosanvallon, &laquo;&nbsp;&agrave; partir de multiples r&eacute;cits de vie et prises de parole, les fils d&rsquo;un monde commun<a href="#_ftn22" name="_ftnref22" title=""><sup><sup>[22]</sup></sup></a>&nbsp;&raquo;&nbsp;; faire du documentaire radiophonique le vecteur de revendications port&eacute;es par des collectifs militants. L&rsquo;histoire du reportage radiophonique le montre &agrave; bien des &eacute;gards : la repr&eacute;sentation des voix, en particulier celles des &laquo;&nbsp;invisibles&nbsp;&raquo;, constitue un enjeu fort, que l&rsquo;on retrouve au centre des &eacute;missions de radios associatives, comme le rappelle Tudi Crequer, ou plus largement de la radio de service public. Mais cette intention politiquement vertueuse dans le souci d&eacute;mocratique affich&eacute; soul&egrave;ve de nombreuses questions quant aux dispositifs techniques, aux modes de captation, de montage des voix et de choix d&rsquo;&eacute;criture. Quelle sc&eacute;nographie adopte le reporter radio &ndash; apparition ou mise en retrait du reporter &ndash; et quels sont les effets suscit&eacute;s ? Entre contextualisation ou refus d&rsquo;accompagner les t&eacute;moignages d&rsquo;un discours d&rsquo;escorte, ce sont des logiques de montage diff&eacute;rentes et leurs implications &eacute;thiques et politiques qui sont ici &eacute;tudi&eacute;es, selon que sont privil&eacute;gi&eacute;es les voies de l&rsquo;&eacute;clatement polyphonique ou de l&rsquo;immersion narrative, de la reprise mim&eacute;tique ou de la qu&ecirc;te d&rsquo;un langage alternatif.</p> <p>Comment s&rsquo;op&egrave;re le choix du sujet et du terrain&nbsp;? Comment l&rsquo;enqu&ecirc;teur entre-t-il en contact avec les interview&eacute;s&nbsp;? Quelle relation noue-t-il avec les personnes rencontr&eacute;es&nbsp;? Comment s&eacute;lectionner les paroles ? Ces questions, que les disciplines du terrain et les arts relationnels ont en partage, impliquent d&rsquo;entrer dans les coulisses de la fabrique du reportage, pour mettre au jour les m&eacute;thodes de l&rsquo;enqu&ecirc;te et les enjeux soulev&eacute;s par chacune de ses &eacute;tapes. Des gestes d&rsquo;enregistrement &agrave; la restitution aux enqu&ecirc;t&eacute;s, en passant par le traitement &eacute;nonciatif des paroles et les mani&egrave;res de les agencer<a href="#_ftn23" name="_ftnref23" title=""><sup><sup>[23]</sup></sup></a>, les pratiques du documentaire radiophonique engagent des choix techniques et des partis pris &eacute;thiques que les articles rassembl&eacute;s dans ce dernier volet interrogent.</p> <p>Sp&eacute;cialiste du documentaire radiophonique, Christophe Deleu analyse ici les sp&eacute;cificit&eacute;s de la relation qui se noue entre l&rsquo;interviewer et l&rsquo;interview&eacute; dans le cadre du reportage journalistique en la comparant &agrave; d&rsquo;autres types de relation engageant un dialogue, plus ou moins marqu&eacute; par la convivialit&eacute;, le d&eacute;tachement ou le rapport de forces. Compar&eacute;e tour &agrave; tour &agrave; la familiarit&eacute; de l&rsquo;ami ou aux m&eacute;thodes du sociologue, du psychologue, du policier ou du magistrat, la pratique du journaliste radio se distingue par son caract&egrave;re t&acirc;tonnant tant elle comporte des risques &eacute;thiques &ndash; la transgression des fronti&egrave;res entre public et priv&eacute;, entre demande d&rsquo;informations et pression exerc&eacute;e sur un t&eacute;moin &ndash; qui t&eacute;moignent de la nature &laquo;&nbsp;hybride, incompl&egrave;te&nbsp;&raquo; de la relation entre l&rsquo;interviewer et l&rsquo;interview&eacute;. Si les limites de la captation des voix sont point&eacute;es, Christophe Deleu tient cependant &agrave; distance l&rsquo;inflation &eacute;thique qui entoure les pratiques contemporaines de l&rsquo;enqu&ecirc;te contemporaine : ce qui prime, pour le journaliste radio, c&rsquo;est la production d&rsquo;une &eacute;mission. Autrement dit, l&rsquo;horizon de l&rsquo;entretien demeure orient&eacute; par une vis&eacute;e pragmatique, professionnelle, ce qui met bien en &eacute;vidence la fronti&egrave;re qui s&eacute;pare le documentaire radiophonique et les pratiques relationnelles qui red&eacute;finissent l&rsquo;art et la litt&eacute;rature en rel&eacute;guant au second plan l&rsquo;id&eacute;e m&ecirc;me d&#39;&oelig;uvre en tant que produit fini.</p> <p>Un tel &eacute;cart est d&rsquo;autant plus sensible dans la pratique de la publication qui accompagne certaines &eacute;missions. Madeleine Martineu analyse ainsi les enjeux de la mise en recueil d&rsquo;une s&eacute;lection d&rsquo;&eacute;pisodes de la c&eacute;l&egrave;bre &eacute;mission &laquo;&nbsp;Les Pieds sur terre&nbsp;&raquo; fond&eacute;e par Sonia Kronlund en 2002 sur France Culture. La parution du livre en 2012<a href="#_ftn24" name="_ftnref24" title=""><sup><sup>[24]</sup></sup></a> permet de faire retour sur ce projet radiophonique, dont Madeleine Martineu &eacute;tudie les vis&eacute;es esth&eacute;tiques et politiques, entre go&ucirc;t du <em>storytelling </em>et d&eacute;sir de proposer un espace susceptible de rem&eacute;dier &agrave; un d&eacute;faut de repr&eacute;sentativit&eacute; politique. Tout en r&eacute;inscrivant le projet de Sonia Kronlund dans le sillage d&rsquo;&eacute;missions similaires (&laquo;&nbsp;L&agrave;-bas si j&rsquo;y suis&nbsp;&raquo; en France, mais aussi &laquo;&nbsp;Strip-Tease&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;This American Life&nbsp;&raquo; aux &Eacute;tats-Unis), la chercheuse montre que la circulation du dispositif, de la radio au livre imprim&eacute; (paru chez Actes Sud, &eacute;diteur des &oelig;uvres de Svetlana Alexievitch en France) renforce la proximit&eacute; de ce type d&rsquo;&eacute;mission avec l&rsquo;essor des livres de voix. En retra&ccedil;ant les histoires et horizons respectifs du documentaire et du reportage radiophoniques, la chercheuse &eacute;lucide le flottement terminologique qui entoure l&rsquo;&eacute;mission : s&rsquo;il s&rsquo;agit bien de prolonger le geste de sortie du studio et de refus du direct pour proposer une couverture g&eacute;ographique et sociale la plus diverse possible, la revendication de diffuser &laquo;&nbsp;Trente minutes de reportage sans commentaire&nbsp;&raquo; refl&egrave;te une tension entre reportage et t&eacute;moignage, entre un genre traditionnellement marqu&eacute; par la pr&eacute;sence du journaliste et le fantasme d&rsquo;une parole livr&eacute;e sans m&eacute;diation. L&rsquo;&eacute;tude des seuils du projet montre n&eacute;anmoins que ce v&oelig;u d&rsquo;effacement est compens&eacute; par les introductions des &eacute;pisodes et la pr&eacute;face du livre, lieux d&rsquo;explicitation du protocole d&rsquo;enqu&ecirc;te, ou espace d&rsquo;avertissement, qui dessinent pour l&rsquo;auditeur un horizon d&rsquo;&eacute;coute. Reprenant les analyses de Sylvie Servoise, Madeleine Martineu montre enfin comment l&rsquo;&eacute;mission, qui prend son impulsion dans le contexte de mont&eacute;e de l&rsquo;extr&ecirc;me-droite en France, reconduit l&rsquo;imaginaire d&eacute;mocratique port&eacute; par les narrations polyphoniques : il s&rsquo;agit, pour reprendre la formule de Pierre Rosanvallon, de constituer l&rsquo;espace radiophonique comme un &laquo;&nbsp;Parlement des invisibles&nbsp;&raquo;, et de faire du reportage ou du livre le lieu de repr&eacute;sentation d&rsquo;une communaut&eacute; dissensuelle. Pour Madeleine Martineu, ces enjeux politiques invitent toutefois &agrave; souligner les divergences entre les livres de voix et le projet de Sonia Kronlund, qui met &agrave; distance l&rsquo;&eacute;lan empathique caract&eacute;risant la posture de nombreux auteurs contemporains, et r&eacute;affirme la croyance dans les pouvoirs du <em>storytelling</em>, tenu &agrave; distance par une litt&eacute;rature contemporaine qui se pense davantage comme lieu d&rsquo;&eacute;laboration de contre-r&eacute;cits.&nbsp;</p> <p>Cette confiance dans les pouvoirs de la narration sur les ondes, on la retrouve dans l&rsquo;article qu&rsquo;Aur&eacute;lia Kalisky consacre au documentaire radiophonique <em>Rwanda 1999 : revivre &agrave; tout prix</em> que Madeleine Mukamabano a r&eacute;alis&eacute; pour France Culture en collaboration avec le r&eacute;alisateur radio Mehdi El Hadj. Mais il s&rsquo;agit d&rsquo;une confiance conditionn&eacute;e au statut et &agrave; la position qu&rsquo;adopte la journaliste rwandaise exil&eacute;e en France au regard de l&rsquo;histoire du g&eacute;nocide rwandais. Distribu&eacute; en cinq &eacute;pisodes dans le cadre de l&rsquo;&eacute;mission &laquo;&nbsp;Carnets de voyage&nbsp;&raquo;, le reportage de Madeleine Mukamabano retrace la g&eacute;n&eacute;alogie de la pens&eacute;e ethniciste et de la violence g&eacute;nocidaire et dresse un portrait de la soci&eacute;t&eacute; rwandaise dans l&rsquo;imm&eacute;diat apr&egrave;s-coup de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement. Contrairement &agrave; des approches du g&eacute;nocide rwandais par des tiers occidentaux &ndash; on pense bien s&ucirc;r au journaliste et &eacute;crivain Jean Hatzfeld &ndash; &agrave; destination d&rsquo;un public occidental, le documentaire <em>Rwanda 1999</em> doit sa qualit&eacute; au point de vue situ&eacute; de Madeleine Mukamabano, intellectuelle de la diaspora, dont une partie de la famille, consid&eacute;r&eacute;e comme tutsie par l&rsquo;id&eacute;ologie ethniciste, a &eacute;t&eacute; tu&eacute;e au cours des massacres ou des g&eacute;nocides. Le regard port&eacute; sur le g&eacute;nocide rwandais, depuis cette position d&rsquo;exil&eacute;e, est aussi un regard inform&eacute; par les sciences humaines et sociales. Aur&eacute;lia Kalisky rappelle comment la journaliste passe du statut d&rsquo;assistante et experte rwandaise aupr&egrave;s des journalistes fran&ccedil;ais, victime par cons&eacute;quent d&rsquo;une forme d&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;injustice &eacute;pist&eacute;mique&nbsp;&raquo; puisque les savoirs sont m&eacute;diatis&eacute;s par des tiers occidentaux qui instrumentalisent les ressources des sp&eacute;cialistes rwandais sur le sujet, au statut de r&eacute;alisatrice dans un contexte m&eacute;diatique et politique tendu &ndash; l&rsquo;implication de l&rsquo;&Eacute;tat fran&ccedil;ais dans le g&eacute;nocide est encore un sujet br&ucirc;lant &ndash; o&ugrave; la &laquo;&nbsp;perspective occidentale est omnipr&eacute;sente et omnipotente&nbsp;&raquo;. Au cours d&rsquo;un s&eacute;jour d&rsquo;une semaine et demie, Madeleine Mukamabano enqu&ecirc;te aupr&egrave;s des rescap&eacute;s et des tueurs, puis compl&egrave;te cette collecte de voix par d&rsquo;autres entretiens men&eacute;s avec des intellectuels (historiens, chercheurs en sciences sociales&hellip;) et des exil&eacute;s tutsis. Cette multiplicit&eacute; des points de vue montre les affinit&eacute;s du reportage avec le r&eacute;cit de voyage (le reportage propose une entr&eacute;e po&eacute;tique et travaille l&rsquo;immersion des auditeurs dans le paysage sonore rwandais), mais aussi avec l&rsquo;histoire orale et l&rsquo;enqu&ecirc;te ethnographique auxquels il semble emprunter ses m&eacute;thodes et son ambition historiographique mais aussi politique. Aur&eacute;lia Kalisky met l&rsquo;accent sur la sp&eacute;cificit&eacute; de la relation qui se noue entre la journaliste et les rescap&eacute;s du g&eacute;nocide : &agrave; la fois dedans et dehors, impliqu&eacute;e et dans une recherche d&rsquo;objectivation, Mukamabano, en position de tiers issu de la diaspora, recueille les voix tout en s&rsquo;en prot&eacute;geant &eacute;galement, se regardant en miroir de ce que rapportent ces voix, puisque les traumas post-g&eacute;nocidaires dont il est question au cours de ces reportages renvoient &agrave; sa propre histoire, m&ecirc;me si cette histoire personnelle est estomp&eacute;e, tenue &agrave; distance dans le cadre du documentaire.</p> <p>Dans le prolongement de ces analyses sur les liens entre pratiques de la collecte de voix et traumas, l&rsquo;article de Lucie Kempf invite &agrave; approfondir le questionnement sur l&rsquo;usage des voix dans les productions contemporaines en op&eacute;rant un pas de c&ocirc;t&eacute; en direction du th&eacute;&acirc;tre documentaire, dont la chercheuse retrace l&rsquo;histoire &agrave; grands traits, parall&egrave;lement &agrave; l&rsquo;&eacute;volution des m&eacute;dias. Appara&icirc;t d&rsquo;embl&eacute;e en creux, dans cette histoire parall&egrave;le, l&rsquo;ambition politique d&rsquo;un th&eacute;&acirc;tre documentaire qui s&rsquo;est employ&eacute; &agrave; contrer les discours dominants par le dispositif du montage. Cette ambition politique constitue le projet m&ecirc;me du KnAM, th&eacute;&acirc;tre russe exil&eacute; en France, mais qui prend son impulsion dans une ville de Sib&eacute;rie orientale construite par les prisonniers du goulag. Lucie Kempf &eacute;tudie le protocole de cr&eacute;ation et le dispositif esth&eacute;tique de ce th&eacute;&acirc;tre de terrain polyphonique, qui m&ecirc;le son et vid&eacute;o : en s&rsquo;appuyant sur les t&eacute;moignages oraux de Russes du pass&eacute;, victimes des violences de l&rsquo;Histoire, et de ceux du pr&eacute;sent, la compagnie de Tatiana Frolova tente de raviver un pass&eacute; occult&eacute; et travaille &agrave; rebours d&rsquo;une m&eacute;moire falsifi&eacute;e. Centr&eacute; sur la voix, le th&eacute;&acirc;tre KnAM reconduit un certain h&eacute;ritage du phonocentrisme que partagent nombre de cr&eacute;ations contemporaines : exp&eacute;rimentation de techniques vocales visant &agrave; lib&eacute;rer la voix dans l&rsquo;espoir d&rsquo;atteindre l&rsquo;inconscient des spectateurs&nbsp;; explorations des modulations de la voix en contraste avec la diction uniformis&eacute;e des <em>speakers </em>dans les m&eacute;dias. Jouant sur la polys&eacute;mie du terme, Lucie Kempf montre comment la compagnie s&rsquo;engage dans une entreprise de restitution de la voix (au sens de rendre ce qui a &eacute;t&eacute; vol&eacute;), rejoignant ainsi la vis&eacute;e r&eacute;paratrice que certains critiques consid&egrave;rent comme l&rsquo;une des marques saillantes des pratiques artistiques contemporaines.</p> <div>&nbsp; <hr size="1" width="33%" /> <div> <h2>Notes</h2> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><sup><sup>[1]</sup></sup></a> Nous pensons notamment &agrave; plusieurs colloques qui ont donn&eacute; lieu aux publications suivantes&nbsp;: Christophe Deleu &amp; Pierre-Marie H&eacute;ron (dir.), <em>Komodo 21</em>, n&deg;18, 2022, &laquo;&nbsp;Le d&eacute;sir de belle radio aujourd&rsquo;hui&nbsp;: le documentaire &raquo; ; Laurent Demanze &amp; Anna Saignes (dir.), <em>Recherches &amp; Travaux</em>, n&deg;98, juin 2021, &laquo;&nbsp;Raconter, d&eacute;crire, intervenir&nbsp;: la politique du reportage&nbsp;&raquo; ; Fr&eacute;d&eacute;rique Leichter-Flack &amp; Alexandre Gefen (dir.), <em>Colloques fabula</em>, 2022, &laquo;&nbsp;Les Livres de voix&nbsp;: narrations pluralistes et d&eacute;mocratie&nbsp;&raquo;.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><sup><sup>[2]</sup></sup></a> V. Alison James &amp; Dominique Viart (dir.), <em>Fixxion</em>, n&deg;18, juin 2019, &laquo;&nbsp;Les litt&eacute;ratures de terrain&nbsp;&raquo;.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><sup><sup>[3]</sup></sup></a> V. Lionel Ruffel, &laquo;&nbsp;Un r&eacute;alisme contemporain&nbsp;: les narrations documentaires&nbsp;&raquo;, <em>Litt&eacute;rature</em>, n&deg;166, 2012, p. 13-25.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title=""><sup><sup>[4]</sup></sup></a> V. Laurent Demanze, <em>Un nouvel &acirc;ge de l&rsquo;enqu&ecirc;te&nbsp;: portraits de l&rsquo;&eacute;crivain contemporain en enqu&ecirc;teur</em>, Paris, Jos&eacute; Corti, &laquo;&nbsp;Les Essais&nbsp;&raquo;, 2018&nbsp;; Mathilde Roussign&eacute;, <em>Terrain et litt&eacute;rature : nouvelles approches</em>, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, &laquo;&nbsp;L&rsquo;Imaginaire du Texte&nbsp;&raquo;, 2023.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title=""><sup><sup>[5]</sup></sup></a> V. &eacute;galement &Eacute;l&eacute;onore Devevey &amp; Jacob Lachat (dir.), <em>Contextes</em>, n&deg;32, juin 2022, &laquo;&nbsp;Anthropologie et &eacute;tudes litt&eacute;raires&nbsp;: contacts, transferts, imaginaires&nbsp;&raquo;.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title=""><sup><sup>[6]</sup></sup></a> Aline Caillet, <em>Dispositifs critiques&nbsp;: le documentaire, du cin&eacute;ma aux arts visuels</em>, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014 et Aline Caillet &amp; Fr&eacute;d&eacute;ric Pouillaude (dir.), <em>Un art documentaire&nbsp;: enjeux esth&eacute;tiques, politiques et &eacute;thiques</em>, Rennes, Presses universitaires de Rennes, &laquo;&nbsp;AEsthetica&nbsp;&raquo;, 2017.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7" title=""><sup><sup>[7]</sup></sup></a> Christophe Deleu, <em>Le Documentaire radiophonique</em>, Paris, L&rsquo;Harmattan/INA, &laquo;&nbsp;M&eacute;moires de radio&nbsp;&raquo;, 2013.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8" title=""><sup><sup>[8]</sup></sup></a> Cit&eacute; par Brigitte Chapelain &amp; Zhao Alexandre Huang (dir.), <em>Herm&egrave;s</em>, n&deg;92, 2023, p. 14.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9" title=""><sup><sup>[9]</sup></sup></a> Voir Johannes Fabian, <em>Time and the Other: How Anthropology Makes its Object</em>, Columbia University Press, 1983 et Aline Caillet, <em>Dispositifs critiques</em>, <em>op. cit.</em></p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10" title=""><sup><sup>[10]</sup></sup></a> Christophe Deleu, <em>Le Documentaire radiophonique</em>, <em>op. cit.</em></p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref11" name="_ftn11" title=""><sup><sup>[11]</sup></sup></a> Jacques Derrida, <em>De la grammatologie</em>, Paris, Minuit, 1967.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref12" name="_ftn12" title=""><sup><sup>[12]</sup></sup></a> Brigitte Chapelain &amp; Zhao Alexandre Huang (dir.), <em>op. cit</em>.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref13" name="_ftn13" title=""><sup><sup>[13]</sup></sup></a> <em>Ibid.</em>, p. 15.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref14" name="_ftn14" title=""><sup><sup>[14]</sup></sup></a> Sur ce point, voir notamment dans le num&eacute;ro l&rsquo;article d&rsquo;Olivier Thuillas et Louis Wiart, &laquo;&nbsp;Podcasts natifs : de nouvelles voix &agrave; &eacute;couter ?&nbsp;&raquo;, <em>Herm&egrave;s</em>, n&deg;92, 2023, p. 93-97. Ces chercheurs montrent que l&rsquo;explosion du podcast s&rsquo;accompagne de l&rsquo;essor des r&eacute;cits de vie et des partages d&rsquo;exp&eacute;riences, dont le succ&egrave;s s&rsquo;explique par un id&eacute;al d&rsquo;intimit&eacute; qui se joue &agrave; un triple niveau : des conditions d&rsquo;enregistrement hors studio, chez l&rsquo;interview&eacute; ; une forte implication du documentariste &agrave; la premi&egrave;re personne qui explicite son lien avec la th&eacute;matique du podcast ; une &eacute;coute au casque qui permet une r&eacute;ception plus solitaire.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref15" name="_ftn15" title=""><sup><sup>[15]</sup></sup></a> V. Pierre-Marie H&eacute;ron, Marie Joqueviel-Bourjea &amp; C&eacute;line Pardo (dir.), <em>Po&eacute;sie sur les ondes. La voix des po&egrave;tes producteurs &agrave; la radio</em>, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018 et C&eacute;line Pardo, <em>La Po&eacute;sie hors du livre (1945-1965). Le po&egrave;me &agrave; l&rsquo;&egrave;re de la radio et du disque</em>, Paris, PUPS, 2015.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref16" name="_ftn16" title=""><sup><sup>[16]</sup></sup></a> Manon Houtart &amp; Florence Huybrechts (dir.), <em>Textyles</em>, n&deg;65, 2024, &laquo;&nbsp;Litt&eacute;rature et radio&nbsp;&raquo;.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref17" name="_ftn17" title=""><sup><sup>[17]</sup></sup></a> Jean-Pierre Martin, <em>La Bande sonore&nbsp;: Beckett, C&eacute;line, Duras, Perec, Pinget, Queneau, Sarraute, Sartre, </em>Paris, Jos&eacute; Corti, &laquo;&nbsp;Les Essais&nbsp;&raquo;, 1998.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref18" name="_ftn18" title=""><sup><sup>[18]</sup></sup></a> Olivier Thuillas &amp; Louis Wiart, &laquo;&nbsp;Podcasts natifs : de nouvelles voix &agrave; &eacute;couter ?&nbsp;&raquo;, <em>Herm&egrave;s</em>, n&deg;92, 2023, p. 93-97.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref19" name="_ftn19" title=""><sup><sup>[19]</sup></sup></a> C&rsquo;est le cas, par exemple de Siobhan McHugh, dans l&rsquo;article &laquo;&nbsp;The Narrative Podcast as Digital Literary Journalism: Conceptualizing <em>S-Town</em>&nbsp;&raquo;, <em>Literary Journalism Studies</em>, n&deg;13 (1 &amp; 2), 2021, p. 101-129.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref20" name="_ftn20" title=""><sup><sup>[20]</sup></sup></a> C&eacute;line Pardo, &laquo; Penser la radio en litt&eacute;raire : quelques questionnements de radiolitt&eacute;rature &raquo;, <em>Elfe XX-XXI</em> [En ligne], n&deg;8, 2019, URL : <a href="http://journals.openedition.org/elfe/1025">http://journals.openedition.org/elfe/1025</a>, consult&eacute; le 04 avril 2024.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref21" name="_ftn21" title=""><sup><sup>[21]</sup></sup></a> Pour reprendre le titre d&rsquo;un ouvrage collectif sur l&rsquo;&oelig;uvre de l&rsquo;&eacute;crivain et journaliste Emmanuel Carr&egrave;re, v. Laurent Demanze et Dominique Rabat&eacute; (dir.), <em>Emmanuel Carr&egrave;re : faire effraction dans le r&eacute;el</em>, Paris, P.O.L, 2018.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref22" name="_ftn22" title=""><sup><sup>[22]</sup></sup></a> Pierre Rosanvallon, <em>Le Parlement des invisibles</em>, Paris, Seuil, &laquo;&nbsp;Raconter la vie&nbsp;&raquo;, 2014, p. 23.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref23" name="_ftn23" title=""><sup><sup>[23]</sup></sup></a> Fanny Dujardin a attir&eacute; l&rsquo;attention sur ces enjeux dans son article&nbsp;: &laquo; &Eacute;crire avec les voix des autres&nbsp;: quels enjeux &eacute;thiques derri&egrave;re le &ldquo;beau documentaire&rdquo;&nbsp;?&nbsp;&raquo;, <em>Komodo 21</em>, n&deg;18, 2022, <em>op. cit</em>.</p> </div> <div> <p><a href="#_ftnref24" name="_ftn24" title=""><sup><sup>[24]</sup></sup></a> &Agrave; cette mise en recueil s&rsquo;ajoute d&eacute;sormais <em>L&rsquo;Homme aux mille visages</em> (Paris, Grasset, 2024), livre dans lequel Sonia Kronlund poursuit les pistes d&rsquo;une enqu&ecirc;te men&eacute;e dans le cadre d&rsquo;un seul reportage-radio r&eacute;alis&eacute; en 2017.</p> <p>&nbsp;</p> <h2>Autrices</h2> <p><strong>Aur&eacute;lie Adler</strong> est ma&icirc;tresse de conf&eacute;rences en litt&eacute;rature fran&ccedil;aise &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; de Picardie Jules Verne. Elle est l&rsquo;autrice d&rsquo;<em>Eclats des vies muettes. Figures du minuscule et du marginal dans les r&eacute;cits de vie de Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Annie Ernaux et Fran&ccedil;ois Bon</em> (Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2012). Ses travaux portent sur les devenirs des formes narratives contemporaines et leurs enjeux &eacute;thiques et politiques. Elle a codirig&eacute; r&eacute;cemment avec St&eacute;phane Bikialo, Karine Germoni et C&eacute;cile Narjoux, <em>Editions Verticales, ou comment &eacute;diter et &eacute;crire debout </em>(Classiques Garnier, 2022) et <em>Une d&eacute;cennie de litt&eacute;rature en France (2011-2021) </em>avec Mathieu Messager (Colloque Fabula, &laquo;&nbsp;Le fond de l&rsquo;air&nbsp;&raquo;, 2024).</p> <p><strong>Maud Lecacheur</strong> est ma&icirc;tresse de conf&eacute;rences en litt&eacute;rature fran&ccedil;aise contemporaine &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; Grenoble Alpes. Elle est l&rsquo;autrice d&rsquo;un essai intitul&eacute; <em>Une litt&eacute;rature de l&rsquo;&eacute;coute&nbsp;: collectes de voix de Georges Perec &agrave; Olivia Rosenthal </em>(2024). Ses travaux portent sur les enjeux &eacute;thiques et politiques qui entourent la litt&eacute;rature documentaire et l&rsquo;usage des t&eacute;moignages. Elle a publi&eacute; plusieurs articles sur les livres de voix, ainsi que sur les &oelig;uvres de Fran&ccedil;ois Beaune, Jean-Paul Goux, Jean Hatzfeld et Olivia Rosenthal.</p> <p><strong>Anna Saignes</strong> est professeur des universit&eacute;s en litt&eacute;rature compar&eacute;e &agrave; l&#39;Universit&eacute; de Lorraine. Ses recherches portent sur les relations entre litt&eacute;rature, histoire et politique. Elle s&rsquo;int&eacute;resse en particulier aux dystopies, ainsi qu&rsquo;au journalisme litt&eacute;raire, ou reportage, dans les pays de l&#39;Europe centrale et de l&#39;Est. Elle est l&rsquo;auteur des ouvrages&nbsp;suivants : <em>S. I. Witkiewicz et le modernisme europ&eacute;en</em> (Grenoble, Ellug, 2006) et <em>La Pens&eacute;e politique de l&rsquo;anti-utopie</em> (Paris, Champion, 2021). Elle a codirig&eacute; r&eacute;cemment, avec Anne-Marie Monlu&ccedil;on, <em>Le Voyage en Europe des &eacute;crivains polonais</em> (Grenoble, Recherches &amp; Travaux, n&deg;89/2016) et <em>Le Voyage lointain des &eacute;crivains-voyageurs polonais</em> (Paris, Slovo, n&deg;51/2021)&nbsp;; avec Laurent Demanze, <em>Les Politiques du reportage</em> (Recherches &amp; Travaux, n&deg;98/2021).</p> </div> </div>