<p>Le bruit des marais, la nuit. Insectes et grenouilles chantent. Un ch&oelig;ur de voix d&rsquo;hommes en kinyarwanda s&rsquo;&eacute;l&egrave;ve, mena&ccedil;ant, accompagn&eacute; de bruits qui rappellent le tonnerre ou des explosions lointaines. Puis on entend la voix d&rsquo;un homme qui parle, seul, accompagn&eacute;e de sa traduction simultan&eacute;e, chuchot&eacute;e en fran&ccedil;ais par une voix f&eacute;minine&nbsp;:</p> <p>&nbsp;</p> <blockquote> <p>Nous voici r&eacute;unis</p> <p>Nous avons chass&eacute; de nos c&oelig;urs la tristesse et la ranc&oelig;ur</p> <p>&Agrave; tous nos parents</p> <p>&Agrave; nos milliers de jeunes dont la vie a &eacute;t&eacute; &eacute;court&eacute;e&nbsp;</p> <p>&Agrave; tous les nourrissons qui dans leur innocence souriaient &agrave; la vue des machettes</p> <p>&Agrave; vous tous, voici nos offrandes pour apaiser vos tourments</p> <p>Voici le b&eacute;tail qui ram&egrave;nera la prosp&eacute;rit&eacute; au Rwanda</p> <p>Voici les semences qui feront refleurir le Rwanda</p> <p>On est rest&eacute; sourd &agrave; votre d&eacute;tresse</p> <p>Vous n&rsquo;avez pas eu de bain rituel ni de s&eacute;pulture</p> <p>On vous a abandonn&eacute; aux chiens et aux vautours</p> <p>Acceptez ces offrandes et retrouvez la s&eacute;r&eacute;nit&eacute;</p> <p>Prot&eacute;gez-nous de nos ennemis, et que la clameur de notre victoire sur la mort</p> <p>Ne trouble jamais votre pr&eacute;caire repos</p> </blockquote> <p>&nbsp;</p> <p>Ce po&egrave;me sous forme d&rsquo;oraison fun&egrave;bre pour les morts du g&eacute;nocide des Tutsi<sup><a href="«#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a></sup> a &eacute;t&eacute; &eacute;crit puis enregistr&eacute; par la journaliste d&rsquo;origine rwandaise Madeleine Mukamabano au printemps 1998 au Rwanda, quatre ans apr&egrave;s le g&eacute;nocide qui d&eacute;butait en avril 1994. Intitul&eacute; <em>Rwanda 1999&nbsp;: revivre &agrave; tout prix</em>, ce documentaire radio de plus de six heures r&eacute;alis&eacute; avec la collaboration du r&eacute;alisateur radio Mehdi El Hadj (assist&eacute; par Rafik Z&eacute;nine) pour France Culture, obtient en 2000 le prix Bayeux des correspondants de guerre. Il est le fruit d&rsquo;entretiens men&eacute;s au Rwanda avec des rescap&eacute;s et des tueurs, des intellectuels &ndash; historiens, chercheurs en sciences sociales, th&eacute;rapeutes, journalistes &ndash; des exil&eacute;s tutsi de retour d&rsquo;Ouganda ou du Burundi apr&egrave;s 1994, ou encore des Hutu emprisonn&eacute;s ayant particip&eacute; &agrave; la propagande anti-tutsi, tous contraints de revivre ensemble. La parole de ceux qui sont traumatis&eacute;s par ce qu&rsquo;ils ont subi se m&ecirc;le &agrave; celle de ceux qui ne semblent pas traumatis&eacute;s par ce qu&rsquo;ils ont fait. Car dans les propos des tueurs, &agrave; quelques exceptions pr&egrave;s, on entend surtout s&rsquo;exprimer le d&eacute;ni, un d&eacute;ni dans lequel la n&eacute;gation des faits peut coexister avec des formes d&rsquo;indiff&eacute;rence troublante.</p> <p>La pr&eacute;sence de ce po&egrave;me qui ouvre tous les &eacute;pisodes, accompagn&eacute; &agrave; chaque fois d&rsquo;un fond sonore diff&eacute;rent (m&ecirc;lant la pluie, le chant des grenouilles, le bruit de pas dans l&rsquo;herbe), est repr&eacute;sentative d&rsquo;une &oelig;uvre documentaire qui fait &agrave; la fois &oelig;uvre de connaissance et de deuil<sup><a href="«#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a></sup><w:sdt id="-1630391578" sdttag="goog_rdk_2">.</w:sdt> En essayant de faire comprendre la g&eacute;n&eacute;alogie de la pens&eacute;e ethniciste et de la violence g&eacute;nocidaire, n&eacute;es de d&eacute;cennies d&rsquo;impunit&eacute; au Rwanda, puis de dresser une sorte de portrait de la soci&eacute;t&eacute; rwandaise de l&rsquo;imm&eacute;diat apr&egrave;s-coup de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement, <em>Rwanda 1999</em> est tout autant plac&eacute; sous le signe du deuil et de la transmission. Cette transmission est rendue possible par une configuration particuli&egrave;re indissociable de la personne m&ecirc;me de Madeleine Mukamabano. En tant qu&rsquo;intellectuelle rwandaise partageant la langue et la culture de ses interlocuteurs, mais aussi en tant qu&rsquo;exil&eacute;e venue de France pour enregistrer une parole en vue de la transmettre l&agrave;-bas, elle cr&eacute;e un espace de parole singulier o&ugrave; peuvent dialoguer &ndash; ou se confronter &ndash; diff&eacute;rents sujets individuels et collectifs&nbsp;: le &laquo;&nbsp;nous&nbsp;&raquo; des rescap&eacute;s&nbsp;qui tente de comprendre et de transmettre ce qu&rsquo;ils ont v&eacute;cu est mis face au &laquo;&nbsp;nous&nbsp;&raquo; de tueurs qui ne semblent pas en mesure de comprendre leur crime. Les diff&eacute;rentes figures de tiers &ndash; de la journaliste, de l&rsquo;intellectuelle en diaspora, de diff&eacute;rents chercheurs avec lesquels elle dialogue &ndash; tentent d&rsquo;ouvrir des voies de compr&eacute;hension pour le &laquo;&nbsp;nous&nbsp;&raquo; fran&ccedil;ais et occidental des auditeurs.</p> <p>Beaucoup des &oelig;uvres issues du g&eacute;nocide de 1994 ont &eacute;t&eacute; comment&eacute;es et analys&eacute;es depuis les ann&eacute;es 2000, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse d&rsquo;&oelig;uvres testimoniales et/ou th&eacute;&acirc;trales produites par des rescap&eacute;s &ndash; parfois &agrave; quatre mains avec des tiers occidentaux &ndash;, de recueils de t&eacute;moignages collect&eacute;s et publi&eacute;s par des tiers, ou encore d&rsquo;&oelig;uvres &eacute;crites directement par des tiers africains non-Rwandais, comme le corpus issu de l&rsquo;initiative &laquo;&nbsp;Fest Africa, &eacute;crire par devoir de m&eacute;moire<sup><a href="«#_ftn3" name="_ftnref3" title="">[3]</a></sup>&nbsp;&raquo;. Pourtant, si l&rsquo;on excepte les r&eacute;actions de la presse suite &agrave; l&rsquo;attribution du prix qui l&rsquo;a r&eacute;compens&eacute;, le documentaire de Madeleine Mukamabano n&rsquo;a pas suscit&eacute; de travaux jusqu&rsquo;ici, ni dans le champ des &eacute;tudes litt&eacute;raires, ni dans ceux des &eacute;tudes sur les m&eacute;dias ou sur les formes de la m&eacute;moire et des savoirs issus du g&eacute;nocide des Tutsi. Son invisibilisation est due en partie au statut marginal des &oelig;uvres radiophoniques aux yeux de la critique. Mais le peu d&rsquo;&eacute;cho qu&rsquo;elle a suscit&eacute; soul&egrave;ve peut-&ecirc;tre une autre question&nbsp;: celle de la marginalisation d&rsquo;une &oelig;uvre qui s&rsquo;inscrit dans l&rsquo;histoire de la m&eacute;moire et des savoirs sur l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement sans impliquer de tiers occidental. Dans l&rsquo;article qu&rsquo;on va lire, je me propose donc d&rsquo;explorer diff&eacute;rents aspects de cette &oelig;uvre multidimensionnelle, repr&eacute;sentative de ces premiers savoirs sur le g&eacute;nocide des Tutsi qui, n&rsquo;&eacute;tant pas le fait de chercheurs ou d&rsquo;auteurs occidentaux, sont essentiels pour &eacute;crire une histoire d&eacute;colonis&eacute;e des savoirs.</p> <h2>1. Une intellectuelle en diaspora en position de tiers</h2> <p>&nbsp;</p> <p>Journaliste d&rsquo;origine rwandaise, Madeleine Mukamabano est arriv&eacute;e en France en 1973 apr&egrave;s avoir pass&eacute; sa jeunesse au Rwanda, puis cinq ans en exil en Ouganda. Son exil avait fait suite aux grands massacres g&eacute;nocidaires dont les Tutsi<w:sdtpr></w:sdtpr><w:sdt id="-298610222" sdttag="goog_rdk_3"></w:sdt> furent victimes en 1963-64, et au cours desquels ses parents ont &eacute;t&eacute; assassin&eacute;s<sup><a href="«#_ftn4" name="_ftnref4" title="">[4]</a></sup>. En Ouganda, elle d&eacute;bute des &eacute;tudes en sciences sociales &agrave; la c&eacute;l&egrave;bre Universit&eacute; de Mak&eacute;r&eacute;r&eacute; o&ugrave; elle se politise, notamment sous l&rsquo;influence d&rsquo;enseignants comme Walter Rodney. Une fois en France, elle reprend des &eacute;tudes de lettres et passe d&rsquo;abord par la presse &eacute;crite, dans un journal fond&eacute; par des journalistes dissidents de l&rsquo;&eacute;quipe de <em>Jeune Afrique</em>, puis d&eacute;bute &agrave; la radio &agrave; France Culture, o&ugrave; elle participe r&eacute;guli&egrave;rement &agrave; partir de 1983 au magazine quotidien <em>Panorama</em> en tant que sp&eacute;cialiste du monde africain. Bient&ocirc;t, elle devient productrice et animatrice d&rsquo;&eacute;missions sur France Culture comme <em>Antipodes</em> (une &eacute;mission consacr&eacute;e aux litt&eacute;ratures francophones antillaises que Mukamabano &eacute;largit &agrave; l&rsquo;ensemble des litt&eacute;ratures francophones), et d&rsquo;une &eacute;mission consacr&eacute;e &agrave; l&rsquo;analyse de l&rsquo;actualit&eacute; internationale et de questions g&eacute;opolitiques (successivement appel&eacute;e <em>Place des Peuples, L&rsquo;International. Tout monde, Suds, La Soci&eacute;t&eacute; des Nations</em>). Parall&egrave;lement, elle r&eacute;alise de nombreux reportages. Elle intervient &agrave; la fois sur des sujets politiques et des sujets de soci&eacute;t&eacute;s concernant le continent africain, sur la vie litt&eacute;raire africaine, mais aussi sur bien d&rsquo;autres sujets, dans des &eacute;missions cultes des amoureux de la radio comme <em>Les D&eacute;craqu&eacute;s, Tire ta langue, La Suite dans les id&eacute;es</em>. Parall&egrave;lement, elle est journaliste statutaire &agrave; RFI o&ugrave; elle cr&eacute;e l&rsquo;&eacute;mission <em>&Eacute;chos d&rsquo;Afrique</em>, bient&ocirc;t renomm&eacute;e <em>Le D&eacute;bat africain</em>, qui fera r&eacute;f&eacute;rence dans toute l&rsquo;Afrique francophone, et qu&rsquo;elle anime jusqu&rsquo;en 2010. Elle y traite des sujets de politique et de soci&eacute;t&eacute; africaines, mais l&rsquo;&eacute;mission s&rsquo;int&eacute;resse &agrave; l&rsquo;ensemble des dynamiques politiques et des relations internationales en tentant de d&eacute;centrer le regard occidental vers une perspective des pays du Sud global. Mukamabano y re&ccedil;oit des hommes politiques &ndash; presque tous les chefs d&rsquo;&Eacute;tat africains passeront par son &eacute;mission &ndash;, des opposants aux r&eacute;gimes des pays qui font l&rsquo;actualit&eacute;, des militants des droits humains, des artistes et des chercheurs pour analyser les situations et &eacute;clairer les contextes &agrave; destination des auditeurs fran&ccedil;ais et francophones. Une des caract&eacute;ristiques de l&rsquo;&eacute;mission est de mettre l&rsquo;accent sur l&rsquo;analyse des contextes historiques, culturels et politiques en vue de donner des cl&eacute;s de compr&eacute;hension de l&rsquo;actualit&eacute; et des faits.</p> <p>Si l&rsquo;on veut se faire une id&eacute;e de l&rsquo;ampleur extraordinaire de la carri&egrave;re radiophonique qui fut celle de Madeleine Mukamabano, il suffit d&rsquo;entrer son nom dans le moteur de recherche de l&rsquo;INAth&egrave;que, qui affiche aussit&ocirc;t pas moins de 1680 fichiers. Il ne s&rsquo;agit l&agrave; que des &eacute;missions num&eacute;ris&eacute;es, auxquelles s&rsquo;ajoutent par cons&eacute;quent plusieurs centaines d&rsquo;interventions et d&rsquo;&eacute;missions non num&eacute;ris&eacute;es enregistr&eacute;es depuis le d&eacute;but des ann&eacute;es 1980. La mani&egrave;re dont sont con&ccedil;ues ses &eacute;missions r&eacute;v&egrave;le une approche ouverte du savoir et une d&eacute;marche intellectuelle interdisciplinaire&nbsp;: parmi les invit&eacute;s du <em>D&eacute;bat africain</em>, on compte presque toujours non seulement des hommes politiques, des acteurs de la soci&eacute;t&eacute; civile et des journalistes, mais aussi des sociologues, des anthropologues, des politistes, des historiens et des &eacute;crivains. Un autre trait marquant de son engagement journalistique est de donner la parole aux intellectuels africains sur des sujets qui annoncent les &eacute;volutions propres aux ann&eacute;es 2000&nbsp;: la mise en cause de la politique humanitaire des pays occidentaux &agrave; l&rsquo;&egrave;re du n&eacute;ocolonialisme, la critique de la &laquo;&nbsp;gouvernance&nbsp;&raquo; des institutions mon&eacute;taires et &eacute;conomiques internationales, les relations empoisonn&eacute;es entre la France et l&rsquo;Afrique &agrave; travers la politique africaine de la France. Avec le regard inform&eacute; qui est le n&ocirc;tre, nourri des &eacute;tudes post- et d&eacute;coloniales, on est frapp&eacute; par la richesse des th&eacute;matiques trait&eacute;es et l&rsquo;audace d&rsquo;&eacute;missions qui, d&egrave;s la fin des ann&eacute;es 1980, abordent la question de la faible repr&eacute;sentation des intellectuels et des artistes africains, et mettent en question la domination des perspectives occidentales au sein des savoirs et des repr&eacute;sentations, en particulier concernant l&rsquo;Afrique.</p> <p>Au d&eacute;but des ann&eacute;es 1990, Madeleine Mukamabano est rattrap&eacute;e par l&rsquo;histoire de son pays. Comme la plupart des Rwandais en exil, la journaliste a beaucoup de membres de sa famille qui se trouvent encore au Rwanda. Consid&eacute;r&eacute;s comme tutsi par l&rsquo;id&eacute;ologie ethniciste, ils sont victimes de pers&eacute;cutions et connaissent une marginalisation politique qui fait d&rsquo;eux des citoyens de seconde zone depuis 1959 et surtout depuis les premiers grands massacres qui ont suivi l&rsquo;ind&eacute;pendance en 1962. Au cours de cette p&eacute;riode de guerre et de mont&eacute;e de l&rsquo;extr&eacute;misme, le quotidien des exil&eacute;s est de trembler pour les leurs qui vivent au pays. Vivre en exil, c&rsquo;est vivre au rythme des nouvelles pr&eacute;occupantes au sujet de la r&eacute;pression qui s&rsquo;abat sur les opposants au r&eacute;gime et sur l&rsquo;ensemble des Tutsi. L&rsquo;instrumentalisation id&eacute;ologique de l&rsquo;ethnisme par le pr&eacute;sident Juv&eacute;nal Habyarimana et son entourage n&rsquo;est certes pas propre au Rwanda, et la d&eacute;marche de Mukamabano est toujours celle d&rsquo;un approfondissement de type comparatiste, une mise en perspective de l&rsquo;actualit&eacute; politique d&rsquo;un pays donn&eacute; &agrave; partir d&rsquo;une approche issue des sciences humaines et sociales. Aussi con&ccedil;oit-elle des &eacute;missions g&eacute;n&eacute;ralistes, consacr&eacute;es par exemple &agrave; l&rsquo;&laquo;&nbsp;Ethnie ou la tribu en question&nbsp;&raquo; (en novembre 1989<sup><a href="«#_ftn5" name="_ftnref5" title="">[5]</a></sup>), ou encore &agrave; &laquo;&nbsp;Tribalisme et d&eacute;mocratie&nbsp;&raquo; (novembre 1990<sup><a href="«#_ftn6" name="_ftnref6" title="">[6]</a></sup>) qui &eacute;largissent le champ de r&eacute;flexion &agrave; l&rsquo;ensemble de l&rsquo;Afrique par-del&agrave; la r&eacute;gion des Grands Lacs. Mais suite &agrave; l&rsquo;attaque au nord du Rwanda par les troupes du Front Patriotique Rwandais<sup><a href="«#_ftn7" name="_ftnref7" title="">[7]</a></sup> en octobre 1990, elle traite pour la premi&egrave;re fois directement le sujet de son pays d&rsquo;origine dans l&rsquo;&eacute;mission d&rsquo;Antoine Spire <em>Les Voix du silence</em> sur France Culture,&nbsp;avec une discussion intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;Comment expliquer les tensions inter-ethniques qui empoisonnent la vie du Rwanda<sup><a href="«#_ftn8" name="_ftnref8" title="">[8]</a></sup>&nbsp;?&nbsp;&raquo;. Sont invit&eacute;s &agrave; d&eacute;battre de la situation des droits de l&rsquo;homme et de l&rsquo;&eacute;crasement de l&rsquo;opposition (y compris des Hutu) un repr&eacute;sentant du Front Patriotique Rwandais et des membres d&rsquo;ONG (le pr&eacute;sident rwandais de la Ligue des droits de l&rsquo;homme ou et un repr&eacute;sentant de la FIDH). Tous les invit&eacute;s insistent sur la n&eacute;cessit&eacute; de s&eacute;parer la question du pluralisme politique au Rwanda de la probl&eacute;matique ethnique. Mais la discussion aborde aussi la question de l&rsquo;implication de la France et du soutien de l&rsquo;&Eacute;tat fran&ccedil;ais au r&eacute;gime rwandais &agrave; travers la critique de l&rsquo;op&eacute;ration Noro&icirc;t et du r&ocirc;le de l&rsquo;arm&eacute;e fran&ccedil;aise, dont certains officiers sont charg&eacute;s de la formation des cadres des Forces Arm&eacute;es Rwandaises<sup><a href="«#_ftn9" name="_ftnref9" title="">[9]</a></sup><w:sdt id="-2005196157" sdttag="goog_rdk_6">.</w:sdt> Plus tard, en mai 1994, soit en plein g&eacute;nocide, elle consacrera un &eacute;pisode de l&rsquo;&eacute;mission Antipodes sur France Culture &agrave; la question de l&rsquo; &laquo;&nbsp;ethnie&nbsp;&raquo; &agrave; nouveau selon une perspective surplombante et comparatiste, avec l&rsquo;anthropologue Claude Meillassoux, l&rsquo;historien et philosophe &eacute;thiopien Kifl&eacute; S&eacute;lassi&eacute; et l&rsquo;historien G&eacute;rard Prunier<sup><a href="«#_ftn10" name="_ftnref10" title="">[10]</a></sup>.</p> <p>L&rsquo;acuit&eacute; intellectuelle et le professionnalisme de Madeleine Mukamabano lui font adopter une attitude <w:sdt id="990829972" sdttag="goog_rdk_7"></w:sdt>impartiale et aussi objective que possible&nbsp;: en pr&eacute;sentant clairement les termes du d&eacute;bat et en faisant dialoguer les perspectives, elle laisse chacun s&rsquo;exprimer sans apporter son point de vue personnel. S&rsquo;il peut filtrer &agrave; travers ses propos, elle n&rsquo;entre pas dans une relation pol&eacute;mique et ram&egrave;ne la discussion aux faits et &agrave; la d&eacute;monstration de leur interpr&eacute;tation. Le ton des entretiens avec ses invit&eacute;s demeure calme et pos&eacute;, m&ecirc;me dans des moments o&ugrave; elle m&egrave;ne des entretiens avec des n&eacute;gationnistes ou des g&eacute;nocidaires &ndash; comme lors d&rsquo;une &eacute;mission au cours de la premi&egrave;re semaine du g&eacute;nocide des Tutsi o&ugrave; le cahier des charges de RFI avait impos&eacute; de donner la parole &agrave; l&rsquo;ambassadeur du Rwanda en France pour respecter les conditions du d&eacute;bat contradictoire<sup><a href="«#_ftn11" name="_ftnref11" title="">[11]</a></sup>. En ce printemps 1994, la journaliste vit en France depuis d&eacute;j&agrave; plus de quinze ans. Durant les premi&egrave;res semaines de massacres, comme tous les Rwandais de la diaspora oppos&eacute;s au r&eacute;gime en place et vivant en exil, elle assiste impuissante, de loin et donc de fa&ccedil;on forc&eacute;ment indirecte et fragmentaire, &agrave; l&rsquo;assassinat de sa famille et de ses amis. Imm&eacute;diatement apr&egrave;s la fin du g&eacute;nocide, elle accompagne des journalistes fran&ccedil;ais au Rwanda&nbsp;: d&rsquo;abord l&rsquo;&eacute;quipe de la <em>Marche du si&egrave;cle</em> pour l&rsquo;&eacute;mission t&eacute;l&eacute;vis&eacute;e pr&eacute;sent&eacute;e par Jean-Marie Cavada au mois de juillet 1994, puis Daniel Mermet en 1995 pour la r&eacute;alisation de plusieurs &eacute;pisodes de <em>L&agrave;-bas si j&rsquo;y suis</em> consacr&eacute;s au g&eacute;nocide. Elle sait depuis les toutes premi&egrave;res semaines de massacres que quarante-trois membres de sa famille ont &eacute;t&eacute; tu&eacute;s. Sur place, parfois dans les lieux m&ecirc;me o&ugrave; les siens ont &eacute;t&eacute; assassin&eacute;s, elle est confront&eacute;e &agrave; des connaissances, &agrave; des amis et &agrave; certains membres rescap&eacute;s de sa famille. Pourtant, les Occidentaux qu&rsquo;elle accompagne ne mesurent pas les implications de sa situation. Son exp&eacute;rience reste tue&nbsp;: &laquo;&nbsp;J&rsquo;&eacute;tais l&rsquo;&oelig;il et le regard des autres&nbsp;&raquo;, m&rsquo;a-t-elle confi&eacute; au sujet de ces s&eacute;jours, &laquo;&nbsp;Je ne voulais pas &ecirc;tre le sujet, et puis le travail &eacute;touffe les &eacute;motions&nbsp;&raquo;<sup><a href="«#_ftn12" name="_ftnref12" title="">[12]</a></sup>. M&ecirc;me si elle passe en partie sous silence le caract&egrave;re traumatique de sa position, non seulement cette derni&egrave;re est passablement ignor&eacute;e, mais ce sont &eacute;galement ses comp&eacute;tences et le caract&egrave;re irrempla&ccedil;able de sa position de Franco-Rwandaise qui semblent ne pas &ecirc;tre reconnus &agrave; leur juste valeur<w:sdt id="-847242092" sdttag="goog_rdk_9">.</w:sdt> C&rsquo;est elle, pourtant, qui permet aux &eacute;quipes de journalistes fran&ccedil;ais de se d&eacute;placer dans le pays, d&rsquo;&eacute;changer avec des rescap&eacute;s et d&rsquo;autres Rwandais, en les mettant en confiance pr&eacute;cis&eacute;ment parce qu&rsquo;elle est &laquo;&nbsp;du pays&nbsp;&raquo;.</p> <p>Apr&egrave;s les ann&eacute;es de l&rsquo;imm&eacute;diat apr&egrave;s-g&eacute;nocide pass&eacute;es &agrave; travailler parfois en tant qu&rsquo;assistante et experte rwandaise aupr&egrave;s de journalistes occidentaux, Madeleine Mukamabano convainc Laure Adler, la directrice de France Culture de l&rsquo;&eacute;poque, de lui donner carte blanche pour r&eacute;aliser son propre reportage. Ce projet est loin d&rsquo;aller de soi &agrave; l&rsquo;&eacute;poque. D&rsquo;abord, les grands reportages comme la s&eacute;rie &laquo;&nbsp;Carnets de voyage&nbsp;&raquo; dans laquelle va s&rsquo;inscrire l&rsquo;&eacute;mission <em>Rwanda 1999&nbsp;: revivre &agrave; tout prix</em> sont r&eacute;serv&eacute;s &agrave; des &eacute;crivains, des chercheurs, des personnalit&eacute;s m&eacute;diatiques ou des r&eacute;alisateurs radio d&eacute;j&agrave; bien &eacute;tablis. Mais c&rsquo;est surtout au plan politique que le sujet du Rwanda est br&ucirc;lant&nbsp;: l&rsquo;influence du pouvoir sur les cha&icirc;nes de radio publique n&rsquo;est pas n&eacute;gligeable en France, et la voix de cette exil&eacute;e rwandaise proche des milieux de l&rsquo;opposition au r&eacute;gime g&eacute;nocidaire rwandais et donc proche du FPR, peut s&rsquo;av&eacute;rer tr&egrave;s g&ecirc;nante, surtout si elle d&eacute;cide d&rsquo;aborder la question de l&rsquo;implication de l&rsquo;&Eacute;tat fran&ccedil;ais dans le g&eacute;nocide. M&ecirc;me si cette derni&egrave;re n&rsquo;est finalement pas vraiment abord&eacute;e dans <em>Rwanda 1999</em>&nbsp;: revivre &agrave; tout prix, certains des intervenants choisis par la journaliste reviennent avec pr&eacute;cision sur un processus au long cours qui prend racine dans la p&eacute;riode coloniale et post-coloniale, s&rsquo;opposant ainsi r&eacute;solument aux th&egrave;ses n&eacute;gationnistes encore ouvertement exprim&eacute;es par des hommes politiques fran&ccedil;ais comme celles du &laquo;&nbsp;double g&eacute;nocide&nbsp;&raquo; dont les Hutu auraient aussi &eacute;t&eacute; victimes au Congo, ou encore celle de massacres &laquo;&nbsp;spontan&eacute;s&nbsp;&raquo; et impr&eacute;visibles n&eacute;s d&rsquo;une concurrence &laquo;&nbsp;ethnique&nbsp;&raquo; de nature atavique. Mais au-del&agrave; de la sensibilit&eacute; du sujet au plan politique, il n&rsquo;allait pas de soi d&rsquo;offrir l&rsquo;opportunit&eacute; &agrave; une journaliste et intellectuelle africaine de r&eacute;aliser une telle s&eacute;rie documentaire dans le monde tr&egrave;s ferm&eacute; de la production culturelle fran&ccedil;aise, un monde encore exclusivement domin&eacute; par une perspective occidentalo-centr&eacute;e, y compris en termes &eacute;pist&eacute;mologiques. Dans une perspective &agrave; la fois post- et d&eacute;coloniale, il faut donc lire la s&eacute;rie Rwanda 1999 comme une r&eacute;appropriation, par une intellectuelle rwandaise, de l&rsquo;histoire de son pays dans un contexte o&ugrave; une telle d&eacute;marche &eacute;tait encore une exception, voire une sorte d&rsquo;anomalie.</p> <p>Mukamabano obtient un financement modeste, qui ne correspond qu&rsquo;&agrave; une semaine et demie sur place. Elle part au Rwanda accompagn&eacute;e de Mehdi El Hadj, qui a d&eacute;j&agrave; une longue carri&egrave;re derri&egrave;re lui sur France Musique puis sur France Culture, en ayant notamment r&eacute;alis&eacute; de nombreuses cr&eacute;ations radiophoniques pour les l&eacute;gendaires <em>Nuits magn&eacute;tiques</em>. Cette collaboration s&rsquo;av&egrave;rera fructueuse dans la mesure o&ugrave; El Hadj est de son c&ocirc;t&eacute; tr&egrave;s sensible aux dimensions sonore et musicale, et qu&rsquo;avec le manque de temps et de moyens, il faudra se montrer inventif pour inventer des ambiances sonores. Ainsi, au printemps 1998, soit exactement quatre ans apr&egrave;s le g&eacute;nocide, les deux journalistes sillonnent le pays et interrogent des victimes, des tueurs en prison ou en libert&eacute;, des exil&eacute;s tutsi de retour d&rsquo;Ouganda, de Tanzanie, du Congo ou du Burundi qui se sont r&eacute;install&eacute;s au Rwanda depuis 1994. Ils se rendent &agrave; la prison centrale de Kigali, dans l&rsquo;h&ocirc;pital psychiatrique de Ndera o&ugrave; on peut voir les effets des traumatismes massifs sur la population, que ce soit parmi les tueurs ou leurs victimes. Ils interrogent &agrave; la fois de simples paysans et des lettr&eacute;s ou des intellectuels &ndash; eccl&eacute;siastiques, historiens, sociologues, anthropologues, th&eacute;rapeutes, journalistes. Ces voix sont exclusivement africaines et presque toutes rwandaises. Madeleine Mukamabano con&ccedil;oit un montage qui entrelace les explications de chercheurs, les analyses de journalistes, et les paroles des tueurs et des rescap&eacute;s, mais la particularit&eacute; de l&rsquo;&eacute;mission est que tous les chercheurs, journalistes ou membres d&rsquo;ONG interrog&eacute;s appartiennent &agrave; la communaut&eacute; atteinte. Pas d&rsquo;expert occidental pour parler du Rwanda&nbsp;: la parole est donn&eacute;e aux Rwandais.</p> <h2>2. Une &oelig;uvre multidimensionnelle et polyphonique</h2> <h2>&nbsp;</h2> <p>Au montage, qui est r&eacute;alis&eacute; tr&egrave;s vite faute de moyens, le reportage devient une s&eacute;rie de plus de 6 heures structur&eacute;e en 5 &eacute;pisodes. Le premier &eacute;pisode, &laquo;&nbsp;Les racines du mal&nbsp;&raquo;, revient sur l&rsquo;histoire du Rwanda pr&eacute; et postcolonial avant le g&eacute;nocide, et sur la g&eacute;n&eacute;alogie de la probl&eacute;matique ethnique. Dans le second &eacute;pisode, &laquo;&nbsp;Aux &eacute;toiles &eacute;teintes&nbsp;&raquo;, il est question du temps du g&eacute;nocide lui-m&ecirc;me et de ses cons&eacute;quences sur les rescap&eacute;s et sur les tueurs, ainsi que du deuil impossible, &agrave; la fois au plan collectif et individuel. Dans le troisi&egrave;me &eacute;pisode, &laquo;&nbsp;Le temps du pardon&nbsp;&raquo;, ce sont essentiellement les questions de la justice post-g&eacute;nocide et du pardon qui sont trait&eacute;es. Dans le quatri&egrave;me &eacute;pisode, &laquo;&nbsp;Des chr&eacute;tiens dans la tourmente&nbsp;&raquo;, sont explor&eacute;s l&rsquo;histoire de l&rsquo;&eacute;glise catholique au Rwanda puis son r&ocirc;le pendant le g&eacute;nocide. Enfin, le cinqui&egrave;me &eacute;pisode, &laquo;&nbsp;Vers un nouveau d&eacute;part&nbsp;&raquo;, essaie d&rsquo;ouvrir des perspectives d&rsquo;avenir et aborde la cohabitation forc&eacute;e entre victimes et tueurs et la question des exil&eacute;s tutsi revenus vivre au Rwanda. Chacun de ces &eacute;pisodes peut &ecirc;tre &eacute;cout&eacute; de fa&ccedil;on ind&eacute;pendante et est construit de fa&ccedil;on chiasmatique, le premier entretien trouvant un &eacute;cho dans les derni&egrave;res minutes, soit que le m&ecirc;me t&eacute;moin reprenne la parole, soit qu&rsquo;il y ait une r&eacute;sonance dans les propos au plan th&eacute;matique. Tous les &eacute;pisodes s&rsquo;ouvrent sur l&rsquo;extraordinaire prologue sous forme d&rsquo;oraison fun&egrave;bre &eacute;crit par Madeleine Mukamabano, pour lequel elle s&rsquo;est inspir&eacute;e des c&eacute;r&eacute;monies traditionnelles d&rsquo;offrandes aux &laquo;&nbsp;bazimus&nbsp;&raquo;, les fant&ocirc;mes des morts et des anc&ecirc;tres qui, dans la tradition rwandaise, doivent &ecirc;tre apais&eacute;s afin qu&rsquo;ils ne reviennent pas hanter les vivants.</p> <p><em>Rwanda 1999</em> rel&egrave;ve &agrave; la fois de <w:sdt id="-1634855358" sdttag="goog_rdk_10"></w:sdt>l&rsquo;histoire orale, de la sociologie, de l&rsquo;enqu&ecirc;te ethnographique, de l&rsquo;anthropologie et de l&rsquo;historiographie. Car le travail de r&eacute;flexion et de recherche de la journaliste n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; circonscrit &agrave; ces quelques jours de collecte de t&eacute;moignages et d&rsquo;entretiens. Entre 1994 et 1998, Madeleine Mukamabano s&rsquo;est rendue au Rwanda &agrave; de nombreuses reprises et a assist&eacute;, &agrave; la fois de loin et de pr&egrave;s, &agrave; la reconstruction du pays et au d&eacute;veloppement de nouvelles formes de sociabilit&eacute; au sein d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; traumatis&eacute;e, mise au d&eacute;fi d&rsquo;un processus judiciaire et p&eacute;nal et d&rsquo;une fracture politique probablement sans pr&eacute;c&eacute;dent. Durant quatre ans, elle a pu observer les nouvelles formes de cohabitation forc&eacute;e entre les rescap&eacute;s, les tueurs et les exil&eacute;s r&eacute;install&eacute;s au Rwanda et s&rsquo;entretenir avec de nombreux interlocuteurs sur les sujets qui allaient faire la mati&egrave;re de son &eacute;mission. Sa r&eacute;flexion, nourrie et m&ucirc;rie durant cette p&eacute;riode de l&rsquo;imm&eacute;diat apr&egrave;s-coup, a puis&eacute; &agrave; la fois dans son exp&eacute;rience du terrain et &agrave; l&rsquo;ensemble des disciplines dont elle suivait l&rsquo;actualit&eacute; pour ses &eacute;missions sur France Culture et sur RFI. Mais le texte lu par la voix off, &eacute;crit &agrave; la premi&egrave;re personne, est aussi issu d&rsquo;un travail d&rsquo;&eacute;criture comportant une forte dimension litt&eacute;raire : r&eacute;cit de voyage, (en)qu&ecirc;te dont la dimension personnelle n&rsquo;est jamais explicit&eacute;e, mais bien pr&eacute;sente et port&eacute;e par la voix du commentaire, celle de Madeleine Mukamabano elle-m&ecirc;me. Une voix magnifique, plut&ocirc;t grave, un tout petit peu rauque, avec un tr&egrave;s l&eacute;ger accent chantant qui lui vient de sa langue natale kinyarwandaise. La dimension litt&eacute;raire du texte appara&icirc;t non seulement &agrave; travers le po&egrave;me qui ouvre chaque &eacute;pisode, mais aussi &agrave; travers l&rsquo;alternance des descriptions et des explications, produisant une forme de variation de focale entre la distance objectivante et la restitution des impressions sensibles.</p> <p>&Agrave; aucun moment pourtant, les origines rwandaises et l&rsquo;histoire personnelle de la journaliste ne sont clairement formul&eacute;es. L&rsquo;auditeur les devine de mani&egrave;re implicite, quand il l&rsquo;entend dialoguer avec les t&eacute;moins dans sa langue maternelle et parfois sur un ton tr&egrave;s familier, ou quand elle d&eacute;crit les paysages, les lieux, les odeurs, les couleurs et les sons qui l&rsquo;environnent. Chaque t&eacute;moignage et entretien est situ&eacute; avec pr&eacute;cision, mais de fa&ccedil;on succincte et discr&egrave;te, tant&ocirc;t apr&egrave;s qu&rsquo;on a entendu la personne parler (parfois m&ecirc;me pendant plusieurs minutes), tant&ocirc;t &agrave; la fin de son temps de parole. Les grandes lignes des parcours de chaque personne interrog&eacute;e sont expliqu&eacute;es, surtout dans le cas des tueurs. Le m&eacute;dium sp&eacute;cifique de la radio permet de donner &agrave; entendre directement les voix des Rwandais dans leur langue (pour certains d&rsquo;entre eux, le fran&ccedil;ais, mais pour la majeure partie, le kinyarwanda), dans leurs inflexions, leurs nuances et leur &eacute;motivit&eacute;. Mais la s&eacute;rie documentaire permet aussi d&rsquo;entendre la texture sonore d&rsquo;une culture (les chants religieux, la radio rwandaise) en ses diff&eacute;rents lieux &ndash; la ville, les prisons, les collines, les marais, les fleuves&nbsp;; les bruits de la faune, ceux du jour et ceux de la nuit. Dans l&rsquo;entretien qu&rsquo;il accorde en 2021 au sujet de <em>Rwanda 1999</em>, Mehdi el Hadj explique que dans les conditions singuli&egrave;res de l&rsquo;apr&egrave;s-g&eacute;nocide et d&rsquo;un trauma collectif massif, les pr&eacute;occupations d&rsquo;ordre &eacute;thique prennent &eacute;videmment le pas sur les consid&eacute;rations esth&eacute;tiques et techniques&nbsp;: &laquo;&nbsp;On ne se dit pas&nbsp;: &quot;Ohlala, c&rsquo;est bien, il y a des aigus et des sons graves&quot;, on se dit&nbsp;: &quot;est-ce que je vais parvenir &agrave; faire oublier mon micro ou pas&nbsp;?&quot;<sup><a href="«#_ftn13" name="_ftnref13" title="">[13]</a></sup><w:sdt id="34555611" sdttag="goog_rdk_13">&nbsp;&raquo;.</w:sdt> Le manque de temps et les conditions particuli&egrave;res de cette prise de son dans un contexte o&ugrave; chaque jour on d&eacute;terre encore des cadavres &agrave; travers l&rsquo;ensemble du pays, imposent d&rsquo;autres priorit&eacute;s que la recherche du &laquo;&nbsp;bon son&nbsp;&raquo;. Si bien que c&rsquo;est au montage, des mois plus tard, qu&rsquo;El Hadj introduit un grand nombre de sons fabriqu&eacute;s, en essayant notamment de &laquo;&nbsp;cr&eacute;er des tensions d&eacute;sagr&eacute;ables&nbsp;&raquo; au plan sonore, &laquo;&nbsp;parce qu&rsquo;on a affaire &agrave; quelque chose de d&eacute;sagr&eacute;able&nbsp;&raquo; quand on parle du g&eacute;nocide. L&rsquo;ensemble des &eacute;pisodes est par exemple ponctu&eacute; par un bruit r&eacute;current, celui d&rsquo;une feuille qu&rsquo;on d&eacute;chire&nbsp;: &laquo;&nbsp;c&rsquo;&eacute;tait, explique El Hadj, &agrave; la fois la machette qui tranche, et la rupture, la rupture dans la soci&eacute;t&eacute;&nbsp;&raquo;. Un autre son r&eacute;current est celui des tambours qui annoncent le d&eacute;but de la messe au Rwanda, mais qui sont pass&eacute;s &agrave; l&rsquo;envers, faisant penser &agrave; un bruit de tonnerre. Les chants, les paroles, les sons &ndash; m&ecirc;me ceux fabriqu&eacute;s apr&egrave;s-coup &ndash; sont profond&eacute;ment <em>situ&eacute;s</em> au sein d&rsquo;un paysage qui demeure forc&eacute;ment muet dans les &eacute;crits sur le g&eacute;nocide, et qu&rsquo;il faut recr&eacute;er pour l&rsquo;auditeur. Le r&eacute;alisateur radio choisit comme th&egrave;me musical un morceau aux sonorit&eacute;s africaines qui &laquo;&nbsp;ne devait pas &ecirc;tre&nbsp;ethnique, mais moderne&nbsp;&raquo;. Il s&rsquo;agit d&rsquo;un morceau de Gabrielle Roth qui revient tout au long des cinq &eacute;pisodes qui constituent la s&eacute;rie, et qui, dit-il, l&rsquo;a aid&eacute; &agrave; trouver &laquo;&nbsp;la couleur g&eacute;n&eacute;rale de l&rsquo;&eacute;mission<sup><a href="«#_ftn14" name="_ftnref14" title="">[14]</a></sup><w:sdt id="-1082905589" sdttag="goog_rdk_16">&nbsp;&raquo;</w:sdt>.</p> <p><em>Rwanda 1999</em> rel&egrave;ve du genre de l&rsquo;enqu&ecirc;te documentaire radiophonique au sens le plus fort du terme. Il fait partie de ces &laquo;&nbsp;premiers savoirs&nbsp;&raquo; produits dans l&rsquo;imm&eacute;diat apr&egrave;s-coup du g&eacute;nocide par les membres de la communaut&eacute; atteinte, qu&rsquo;on peut comparer &agrave; ces corpus tr&egrave;s vastes dans le cas de la Shoah, un peu moins dans le cas du g&eacute;nocide des Arm&eacute;niens, d&rsquo;enqu&ecirc;tes, de reportages, de collectes de t&eacute;moignages effectu&eacute;s dans l&rsquo;apr&egrave;s-coup par des t&eacute;moins rescap&eacute;s ou des membres de la diaspora<sup><a href="«#_ftn15" name="_ftnref15" title="">[15]</a></sup>. Ces travaux, qui ont pu prendre des formes multiples, rel&egrave;vent presque toujours d&rsquo;un savoir profond&eacute;ment &laquo;&nbsp;indisciplin&eacute;&nbsp;&raquo;&nbsp;: ils sont &agrave; la fois interdisciplinaires et multidimensionnels en d&eacute;bordant syst&eacute;matiquement les intentions propres &agrave; une discipline ou une d&eacute;marche donn&eacute;es. Con&ccedil;us &agrave; la fois comme document et comme monument, ils visent &agrave; faire conna&icirc;tre et &agrave; r&eacute;v&eacute;ler la v&eacute;rit&eacute; des faits, &agrave; tenter de comprendre la logique de la violence, mais aussi &agrave; transmettre l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue et le sens de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement en les interrogeant &agrave; travers les t&eacute;moignages des rescap&eacute;s et les paroles des autres acteurs ou chercheurs sur l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement. Cette multidimensionalit&eacute; implique aussi un travail de deuil entrepris &agrave; travers la lib&eacute;ration, l&rsquo;&eacute;change, la circulation de la parole. Il s&rsquo;agit &agrave; la fois d&rsquo;une tentative de compr&eacute;hension <em>et</em> d&rsquo;une offrande aux disparus, &agrave; destination des morts et &agrave; l&rsquo;usage des vivants<sup><a href="«#_ftn16" name="_ftnref16" title="">[16]</a></sup>. Les Rwandais, mais surtout les Occidentaux, sont invit&eacute;s &agrave; accomplir cette plong&eacute;e sonore dans le Rwanda de l&rsquo;apr&egrave;s-g&eacute;nocide pour tenter de comprendre certains aspects du processus g&eacute;nocidaire et pour en saisir les cons&eacute;quences &agrave; la fois &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle d&rsquo;un pays et de l&rsquo;humanit&eacute;.</p> <p>Mais c&rsquo;est aussi un travail d&rsquo;analyse r&eacute;flexif et scientifique mont&eacute; selon des logiques th&eacute;matiques qui mettent les entretiens collect&eacute;s en dialogue et en tensions successives. Le montage, extr&ecirc;mement soign&eacute; par la journaliste, a fait de la relative raret&eacute; du mat&eacute;riau collect&eacute; une forme de richesse. Car en une semaine et demie de prises de son, il n&rsquo;a &eacute;videmment pas &eacute;t&eacute; possible de couvrir l&rsquo;ensemble des exp&eacute;riences v&eacute;cues pendant le g&eacute;nocide, ni d&rsquo;interroger toutes les personnes que Madeleine Mukamabano aurait voulu interroger. Il a donc fallu utiliser certains entretiens sur l&rsquo;ensemble des cinq &eacute;pisodes en les entrela&ccedil;ant avec des t&eacute;moignages qu&rsquo;on entend une seule fois. Beaucoup des voix qu&rsquo;on entend parler longtemps avant qu&rsquo;elles soient pr&eacute;sent&eacute;es apr&egrave;s-coup par la voix off reviennent au fur et &agrave; mesure des &eacute;pisodes. En &eacute;coutant l&rsquo;ensemble, l&rsquo;auditeur se familiarise avec elles, les resitue au sein d&rsquo;un r&eacute;cit polyphonique o&ugrave; elles se t&eacute;lescopent sans cesse avec d&rsquo;autres voix, plus ponctuelles. Le documentaire se caract&eacute;rise ainsi par son caract&egrave;re polyphonique,&nbsp;&agrave; travers les situations de dialogue dans les interviews et les situations d&rsquo;&eacute;nonciation collectives, cr&eacute;ant les conditions d&rsquo;une forme d&rsquo;autorit&eacute; &eacute;nonciative partag&eacute;e<sup><a href="«#_ftn17" name="_ftnref17" title="">[17]</a></sup>. Les changements de focale incessants entre le collectif et l&rsquo;individuel, entre l&rsquo;explication objectivante et le r&eacute;cit ou le t&eacute;moignage subjectifs, offrent une sorte de &laquo;&nbsp;panorama&nbsp;&raquo; du Rwanda quatre ans apr&egrave;s le g&eacute;nocide et am&egrave;nent en filigrane, et comme en creux, &agrave; interroger la position de l&rsquo;exil&eacute;e de retour au pays qui questionne le pass&eacute; pour d&eacute;chiffrer le pr&eacute;sent et imaginer les conditions d&rsquo;un avenir possible.</p> <h2>3. Le reportage radio comme miroir et comme bouclier</h2> <p>&nbsp;</p> <p>La situation particuli&egrave;re qui &eacute;tait celle des deux journalistes, o&ugrave; l&rsquo;un &eacute;tait per&ccedil;u comme Fran&ccedil;ais et blanc (malgr&eacute; ses origines nord africaines) accompagnant l&rsquo;autre, Rwandaise tutsi, qui &eacute;tait la destinataire principale de la parole de ses compatriotes, a engendr&eacute; un dispositif singulier o&ugrave;, comme l&rsquo;expliquera <w:sdt id="200057550" sdttag="goog_rdk_19">E</w:sdt>l Hadj des ann&eacute;es plus tard,</p> <p>&nbsp;</p> <blockquote> <p><w:sdtpr></w:sdtpr><w:sdt id="-1499339929" sdttag="goog_rdk_21">[</w:sdt><w:sdt id="1396235929" sdttag="goog_rdk_22">&hellip;</w:sdt><w:sdt id="-233709987" sdttag="goog_rdk_23">]</w:sdt><w:sdt id="-305481109" sdttag="goog_rdk_24"> la question de la prise de son est tr&egrave;s importante. Est-ce qu&rsquo;on capte simplement ce qui se dit&nbsp;? Mais les choses ne se disent pas au micro, elles se disent </w:sdt><w:sdt id="244765344" sdttag="goog_rdk_25">&agrave; Madeleine</w:sdt><w:sdt id="-1240250233" sdttag="goog_rdk_26">. Cette parole se lib&egrave;re dans la langue </w:sdt><w:sdt id="-1395354878" sdttag="goog_rdk_27">[</w:sdt><w:sdt id="65933879" sdttag="goog_rdk_28">que</w:sdt><w:sdt id="241922736" sdttag="goog_rdk_29">]</w:sdt><w:sdt id="615951226" sdttag="goog_rdk_30"> moi le blanc je ne comprends pas </w:sdt><w:sdt id="-842003289" sdttag="goog_rdk_31">[</w:sdt><w:sdt id="-1187053434" sdttag="goog_rdk_32">&hellip;</w:sdt><w:sdt id="1677381227" sdttag="goog_rdk_33">]</w:sdt><w:sdt id="1088047123" sdttag="goog_rdk_34"> et ils lui disent des choses &agrave; elle, parce que c&rsquo;est elle qui va les &eacute;couter, c&rsquo;est pas le micro. Eux, ils s&rsquo;en foutent de la radio</w:sdt><w:sdt id="-410621256" sdttag="goog_rdk_37"> </w:sdt><sup><a href="«#_ftn18" name="_ftnref18" title="">[18]</a></sup><w:sdt id="-1094327742" sdttag="goog_rdk_38">.</w:sdt><w:sdt id="1643925705" sdttag="goog_rdk_39"> </w:sdt><w:sdt id="-2017448326" sdttag="goog_rdk_40">&nbsp;</w:sdt></p> </blockquote> <p>&nbsp;</p> <p>Le dispositif de la prise de son radio permet de r&eacute;pondre &agrave; la n&eacute;cessit&eacute;, vitale pour Madeleine Mukamabano, de se maintenir <em>&agrave; distance</em> du v&eacute;cu traumatique des rescap&eacute;s et de l&rsquo;exp&eacute;rience perturbante des tueuses et des tueurs. Mais le reportage la confronte de fa&ccedil;on brutale et frontale aux r&eacute;cits de personnes dont beaucoup lui parlent d&rsquo;amis, de connaissances communes disparues. Elle doit, &agrave; tout moment, se maintenir &agrave; distance, mais aussi se prot&eacute;ger et prot&eacute;ger ses interlocuteurs, dont beaucoup sont des Tutsi rescap&eacute;s qui vivent au milieu des assassins de leurs familles<sup><a href="«#_ftn19" name="_ftnref19" title="">[19]</a></sup>. La forme du reportage est donc l&rsquo;expression d&rsquo;un effort d&rsquo;objectivation remarquable, hors normes, de la part de la journaliste, o&ugrave; la d&eacute;marche de l&rsquo;enqu&ecirc;trice est &agrave; la fois un instrument m&eacute;thodologique et heuristique assum&eacute; <em>et</em> une strat&eacute;gie efficace de protection psychique.</p> <p>Dans les premi&egrave;res &oelig;uvres sur le g&eacute;nocide, c&rsquo;est souvent le tiers occidental qui fait office de &laquo;&nbsp;passeur&nbsp;&raquo; et de traducteur, transposant &agrave; l&rsquo;usage d&rsquo;un public occidental les propos et les t&eacute;moignages des Rwandais, parfois en les adaptant &agrave; un certain canon g&eacute;n&eacute;rique li&eacute; au r&ocirc;le paradigmatique de la m&eacute;moire de la Shoah ou des camps. Madeleine Mukamabano, de culture rwandaise, est un tiers, certes, mais en m&ecirc;me temps un sujet profond&eacute;ment <em>impliqu&eacute;</em>. C&rsquo;est donc tout autrement qu&rsquo;un tiers occidental ou m&ecirc;me qu&rsquo;un tiers de culture africaine, mais bien en tant que Rwandaise, qu&rsquo;elle recueille la parole des Rwandais. Poussant les tueurs ou les responsables du g&eacute;nocide dans leurs derniers retranchements &ndash; comme quand elle interviewe un coll&egrave;gue journaliste emprisonn&eacute; pour son r&ocirc;le dans la Radio-T&eacute;l&eacute;vision des Mille Collines &ndash; ou en se mettant &agrave; l&rsquo;&eacute;coute de la parole des rescap&eacute;s, elle est &agrave; la lisi&egrave;re entre l&rsquo;appartenance au collectif rwandais et une ext&eacute;riorit&eacute; due &agrave; sa position d&rsquo;exil&eacute;e et de journaliste form&eacute;e en France. Aussi est-elle en mesure d&rsquo;&ecirc;tre &agrave; la fois dedans et dehors, de se situer au plus loin et au plus pr&egrave;s.</p> <p>Au cours des entretiens que nous avons men&eacute;s, elle m&rsquo;a expliqu&eacute; &agrave; quel point on attendait d&rsquo;elle qu&rsquo;elle se livre beaucoup plus sur <em>son</em> parcours, son histoire, son implication. &laquo;&nbsp;Quand tu es &eacute;crivain, romanci&egrave;re tu peux faire &ccedil;a. Moi j&rsquo;&eacute;tais journaliste<sup><a href="«#_ftn20" name="_ftnref20" title="">[20]</a></sup><w:sdt id="1968855152" sdttag="goog_rdk_43">&nbsp;&raquo;</w:sdt>. C&rsquo;est en journaliste et en intellectuelle qu&rsquo;elle a voulu aborder l&rsquo;ensemble de l&rsquo;histoire du Rwanda, la g&eacute;n&eacute;alogie de la violence d&eacute;crypt&eacute;e aux plans sociologique, anthropologique et historique. Mais il n&rsquo;en reste pas moins que son approche comporte une part autobiographique et subjective cach&eacute;e. Car la position des intellectuels rwandais qu&rsquo;elle interroge au cours de l&rsquo;&eacute;mission est &agrave; certains &eacute;gards semblable &agrave; la sienne, comme celle de l&rsquo;anthropologue sp&eacute;cialiste du Rwanda Damien Rwegera. Dans l&rsquo;&eacute;pisode &laquo;&nbsp;Aux &eacute;toiles &eacute;teintes&nbsp;&raquo;, principalement centr&eacute; sur les diff&eacute;rents aspects du trauma post-g&eacute;nocidaire, il explique le sens du mot kinyarwanda &laquo;&nbsp;guhahamuka&nbsp;&raquo;, un n&eacute;ologisme apparu apr&egrave;s le g&eacute;nocide qui signifie quelque chose comme &laquo;&nbsp;sortir les tripes, sortir ce qui est &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de soi&nbsp;&raquo; ou, selon une autre traduction, &laquo;&nbsp;sortir ses poumons hors de soi&nbsp;&raquo;<sup><a href="«#_ftn21" name="_ftnref21" title="">[21]</a></sup>. Construit sur une onomatop&eacute;e (on entend &laquo;&nbsp;hahahaha&nbsp;&raquo;), ce mot d&eacute;signe le flot de parole<w:sdt id="314537913" sdttag="goog_rdk_44">s</w:sdt> de ceux &laquo;&nbsp;qui n&rsquo;arrivent m&ecirc;me pas &agrave; parler&nbsp;&raquo;. Damien Rwegera explique dans un entretien&nbsp;:</p> <p>&nbsp;</p> <blockquote> <p><w:sdtpr></w:sdtpr><w:sdt id="1312756088" sdttag="goog_rdk_45">Cela vient aussi de loin car dans </w:sdt><w:sdt id="-1401519861" sdttag="goog_rdk_46"><w:sdt id="1844502294" sdttag="goog_rdk_47">la </w:sdt></w:sdt><w:sdt id="-254515362" sdttag="goog_rdk_48">culture rwandaise, on doit &ecirc;tre discret, ne pas se faire entendre. Or les gens n&rsquo;ob&eacute;issent plus &agrave; cette consigne culturelle. Ils sortent tout ce qu&rsquo;ils ont, mais dans le d&eacute;sordre. On ne peut pas, on ne peut plus les cacher dans notre soci&eacute;t&eacute;. Celui qui est traumatis&eacute;, celui qui entre dans cette folie de </w:sdt><w:sdt id="-583537240" sdttag="goog_rdk_49">guhahamuka</w:sdt><w:sdt id="-1187982031" sdttag="goog_rdk_50">, c&rsquo;est un miroir de moi-m&ecirc;me</w:sdt><w:sdt id="-1258594739" sdttag="goog_rdk_53"><w:sdt id="58534027" sdttag="goog_rdk_54">&hellip;</w:sdt></w:sdt><w:sdt id="330485950" sdttag="goog_rdk_55"> Et je&hellip; J&rsquo;ai du mal &agrave; supporter cela, parce que je suis en train de voir qu&rsquo;il va m&rsquo;arriver la m&ecirc;me chose. Et je ne peux pas supporter &ccedil;a. Et je n&rsquo;ai pas les moyens de m&rsquo;en occuper parce que si j&rsquo;en m&rsquo;en occupe, peut-&ecirc;tre que je vais devenir comme lui.</w:sdt><w:sdt id="2032446587" sdttag="goog_rdk_56"> </w:sdt><w:sdt id="1496000263" sdttag="goog_rdk_57">Il faudrait peut-&ecirc;tre que nous tous, nous fassions </w:sdt><w:sdt id="-1936742262" sdttag="goog_rdk_58">guhahamuka</w:sdt><sup><a href="«#_ftn22" name="_ftnref22" title="">[22]</a></sup><w:sdt id="-1655747969" sdttag="goog_rdk_61"><w:sdt id="1911506478" sdttag="goog_rdk_62">.</w:sdt></w:sdt><w:sdt id="1060522460" sdttag="goog_rdk_63" showingplchdr="t">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </w:sdt></p> </blockquote> <p>&nbsp;</p> <p>Madeleine Mukamabano, elle, recueille la parole des autres tout en restant dans une forme de distance, pr&eacute;cis&eacute;ment pour pouvoir la recueillir et la transmettre, mais aussi pour pouvoir se regarder dans le miroir de fa&ccedil;on indirecte, diffract&eacute;e par le bouclier d&rsquo;une forme d&rsquo;objectivation &ndash; comme Pers&eacute;e face &agrave; la Gorgone. Les nombreux passages o&ugrave; elle d&eacute;crit les paysages, les odeurs, les couleurs du Rwanda, sont d&rsquo;autant plus bouleversants qu&rsquo;on sait qu&rsquo;elle d&eacute;crit les paysages de son enfance. Ces paysages, leur faune, leur flore, ont une fois de plus &eacute;t&eacute; les t&eacute;moins muets des massacres de Tutsi au cours desquels leurs maisons ont &eacute;t&eacute; d&eacute;truites, ainsi que tout leur b&eacute;tail, en particulier les vaches rwandaises &agrave; longues cornes qui ont massivement &eacute;t&eacute; abattues et mang&eacute;es par les tueurs. Fille d&rsquo;un &eacute;leveur tutsi qui poss&eacute;dait un grand troupeau et qui fut assassin&eacute; en 1964, Madeleine Mukamabano est elle-m&ecirc;me rescap&eacute;e de massacres et a un v&eacute;cu comparable &agrave; celui des rescap&eacute;s qu&rsquo;elle interroge. Pourtant, le statut de victime des pogromes des ann&eacute;es 1960-1980 et les processus de traumatisation interg&eacute;n&eacute;rationnelle qu&rsquo;ils impliquent parmi l&rsquo;ensemble de la communaut&eacute; tutsi en diaspora sont encore peu &eacute;tudi&eacute;s et sont rest&eacute;s, jusqu&rsquo;ici, &agrave; l&rsquo;ombre du g&eacute;nocide de 1994<sup><a href="«#_ftn23" name="_ftnref23" title="">[23]</a></sup>. Il est significatif &agrave; cet &eacute;gard que le premier &eacute;pisode, &laquo;&nbsp;Les racines du mal&nbsp;&raquo; s&rsquo;ouvre sur une situation d&rsquo;entretien collectif o&ugrave; des tueurs hutu s&rsquo;expriment sur ces massacres pass&eacute;s, en particulier ceux de 1961, ce qui impose de r&eacute;fl&eacute;chir &agrave; la fa&ccedil;on dont s&rsquo;expriment ces m&eacute;moires traumatiques. Le g&eacute;nocide de 1994 repr&eacute;sente certes le moment culminant d&rsquo;une violence g&eacute;nocidaire qui s&rsquo;est d&eacute;ploy&eacute;e sur des d&eacute;cennies d&rsquo;impunit&eacute;, mais il entre r&eacute;trospectivement en &eacute;cho avec les massacres qui ont pr&eacute;c&eacute;d&eacute;. Car comme le dit Madeleine Mukamabano, jusqu&rsquo;en 1994 au Rwanda, &laquo;&nbsp;Apr&egrave;s chaque massacre, on oublie les morts<sup><a href="«#_ftn24" name="_ftnref24" title="">[24]</a></sup><w:sdt id="721869040" sdttag="goog_rdk_71">&nbsp;&raquo;</w:sdt>.</p> <h2>4. La transmission d&rsquo;un savoir d&eacute;colonis&eacute; par le d&eacute;tour d&rsquo;un genre marginal</h2> <p>&nbsp;</p> <p>Avant de r&eacute;aliser <em>Rwanda 1999</em>, mais aussi dans les ann&eacute;es qui ont suivi, Madeleine Mukamabano a assist&eacute; un grand nombre de journalistes, d&rsquo;auteurs, de r&eacute;alisateurs pour effectuer leurs recherches sur le Rwanda. Concernant la p&eacute;riode de l&rsquo;imm&eacute;diat apr&egrave;s-g&eacute;nocide, elle dit avec l&rsquo;humour caustique qui la caract&eacute;rise&nbsp;: &laquo;&nbsp;J&rsquo;&eacute;tais la n&eacute;gresse de tout le monde<sup><a href="«#_ftn25" name="_ftnref25" title="">[25]</a></sup><w:sdt id="-1350167696" sdttag="goog_rdk_73">&nbsp;&raquo;.</w:sdt> Derri&egrave;re l&rsquo;humour, cependant, il faut entendre la critique d&rsquo;une situation caract&eacute;ris&eacute;e par un rapport de domination &agrave; envisager en termes d&rsquo;&laquo;&nbsp;injustice &eacute;pist&eacute;mique&nbsp;&raquo;, et qui d&eacute;termine la relation entre des auteurs, r&eacute;alisateurs, chercheurs ou journalistes occidentaux, et leurs interlocuteurs, rwandais en l&rsquo;occurrence. Consid&eacute;r&eacute;s, dans le meilleur des cas, comme &laquo;&nbsp;experts&nbsp;&raquo;, leurs productions propres restent marginalis&eacute;es. Cit&eacute;s, utilis&eacute;s, exploit&eacute;s, les savoirs rwandais sur le g&eacute;nocide se trouvent souvent instrumentalis&eacute;s au sein des productions occidentales du savoir, et m&ecirc;me de la m&eacute;moire sur l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement, dans une logique qu&rsquo;il faut analyser dans une perspective d&eacute;coloniale<sup><a href="«#_ftn26" name="_ftnref26" title="">[26]</a></sup><w:sdt id="-1964259935" sdttag="goog_rdk_75">.</w:sdt> La constitution, au cours des ann&eacute;es 1990-2000, d&rsquo;une m&eacute;moire occidentale globale, puis de plus en plus internationalis&eacute;e de la Shoah, devenue &agrave; la fois paradigme scientifique pour envisager la violence g&eacute;nocidaire et paradigme m&eacute;moriel pour appr&eacute;hender les formes culturelles et politiques des processus de m&eacute;morialisat<w:sdt id="698518126" sdttag="goog_rdk_76">i</w:sdt>on, a jou&eacute; un r&ocirc;le &agrave; la fois lib&eacute;rateur et enfermant. Si l&rsquo;on peut voir dans bien des productions occidentales sur le g&eacute;nocide des Tutsi le fruit d&rsquo;une m&eacute;moire multidirectionnelle<sup><a href="«#_ftn27" name="_ftnref27" title="">[27]</a></sup> o&ugrave; le tiers occidental devient un &laquo;&nbsp;passeur&nbsp;&raquo;, il faut se m&eacute;fier d&rsquo;une lecture id&eacute;alisatrice. Car cette id&eacute;alisation est susceptible de masquer un processus de transmission qui, qu&rsquo;on le veuille ou non, rel&egrave;ve d&rsquo;une forme d&rsquo;exploitation continu&eacute;e, une forme de &laquo;&nbsp;situation coloniale&nbsp;&raquo; par-del&agrave; la d&eacute;colonisation. En outre, les effets de l&rsquo;int&eacute;gration culturelle de la m&eacute;moire du g&eacute;nocide des Tuts<w:sdt id="-937367220" sdttag="goog_rdk_77">i</w:sdt> au niveau global impliquent une forme de simplification et de d&eacute;politisation des r&eacute;alit&eacute;s rwandaises.</p> <p>En r&eacute;&eacute;coutant aujourd&rsquo;hui <em>Rwanda 1999</em>, on peut ainsi se demander si l&rsquo;int&eacute;gration rapide de la m&eacute;moire de cet &eacute;v&eacute;nement au sein d&rsquo;une m&eacute;moire mondialis&eacute;e et standardis&eacute;e des crimes contre l&rsquo;humanit&eacute; et des g&eacute;nocides ne s&rsquo;est pas faite aux d&eacute;pens de sa sp&eacute;cificit&eacute;<sup><a href="«#_ftn28" name="_ftnref28" title="">[28]</a></sup>. Dans cette phase tr&egrave;s pr&eacute;coce de la p&eacute;riode post-g&eacute;nocide durant laquelle est enregistr&eacute;e <em>Rwanda 1999</em>, Madeleine Mukamabano analyse et donne &agrave; entendre cette sp&eacute;cificit&eacute; du cas rwandais, qui se manifeste &agrave; travers une multitude de traits de singularit&eacute; d&rsquo;ordre &agrave; la fois culturels et politiques. La s&eacute;rie documentaire affronte ainsi la question du passage &agrave; l&rsquo;acte meurtrier de toute une population et aborde les exp&eacute;riences les plus terrifiantes engendr&eacute;es par le g&eacute;nocide, dont certaines sont tout &agrave; fait sp&eacute;cifiques au contexte rwandais&nbsp;: celle de l&rsquo;infanticide g&eacute;nocidaire (soit des femmes hutu qui ont tu&eacute; leurs propres enfants consid&eacute;r&eacute;s comme tutsi)<sup><a href="«#_ftn29" name="_ftnref29" title="">[29]</a></sup>, celle des enfants tueurs ou encore celle des enfants n&eacute;s du viol de femmes tutsi (cette derni&egrave;re forme de violence ayant &eacute;galement &eacute;t&eacute; tr&egrave;s pr&eacute;sente durant le g&eacute;nocide des Musulmans bosniaques et celui des Arm&eacute;niens). La sp&eacute;cificit&eacute; du contexte rwandais appara&icirc;t surtout au cours des &eacute;pisodes 2, 3 et 5 de la s&eacute;rie. Respectivement consacr&eacute;s aux formes du trauma post-g&eacute;nocide (&eacute;pisode 2 &laquo;&nbsp;Aux &eacute;toiles &eacute;teintes&nbsp;&raquo;), &agrave; la justice post-g&eacute;nocide et au pardon (&eacute;pisode 3, &laquo;&nbsp;Le temps du pardon&nbsp;&raquo;), et &agrave; la cohabitation forc&eacute;e entre victimes et tueurs et la question d&rsquo;une possible &laquo;&nbsp;r&eacute;conciliation&nbsp;&raquo; (&eacute;pisode 5 &laquo;&nbsp;Vers un nouveau d&eacute;part&nbsp;&raquo;), ces &eacute;pisodes explorent des aspects de la p&eacute;riode de l&rsquo;apr&egrave;s-g&eacute;nocide selon une perspective r&eacute;solument locale et interne. En expliquant la singularit&eacute; des manifestations du trauma li&eacute; au g&eacute;nocide &agrave; travers la notion <w:sdt id="156036327" sdttag="goog_rdk_78"></w:sdt>de &laquo;&nbsp;guhahamuka&nbsp;&raquo;, l&rsquo;anthropologue rwandais Damien Rwegera interrog&eacute; &agrave; ce sujet expose une th&eacute;ori<w:sdt id="-234630515" sdttag="goog_rdk_79"></w:sdt>e du trauma <em>situ&eacute;e</em> et mettant en jeu une &eacute;pist&eacute;mologie d&eacute;colonis&eacute;e. En s&rsquo;appuyant &agrave; la fois sur les th&eacute;orisations occidentales et les r&eacute;alit&eacute;s culturelles et psycho-sociologiques locales, la notion <w:sdt id="-2004805317" sdttag="goog_rdk_80"></w:sdt>de &laquo;&nbsp;guhahamuka&nbsp;&raquo; est une sp&eacute;cificit&eacute; de la culture et de la m&eacute;moire rwandaises<w:sdt id="792340346" sdttag="goog_rdk_82">. </w:sdt>Pareils concepts situ&eacute;s sont toujours un d&eacute;fi et un enrichissement de la th&eacute;orie<em> &agrave; partir de la clinique locale</em> et en-de&ccedil;<w:sdt id="829018968" sdttag="goog_rdk_84">&agrave;</w:sdt> du &laquo;&nbsp;trauma de la th&eacute;rapie occidentale<sup><a href="«#_ftn30" name="_ftnref30" title="">[30]</a></sup><w:sdt id="563376339" sdttag="goog_rdk_87">&nbsp;&raquo;.</w:sdt></p> <p>Dans le contexte de la mise en place d&rsquo;une politique m&eacute;morielle qui r&eacute;pond &agrave; <w:sdt id="-1763526816" sdttag="goog_rdk_88"></w:sdt>l&rsquo;imp&eacute;ratif de promotion de l&rsquo;unit&eacute; nationale &agrave; travers la r&eacute;conciliation, les &eacute;pisodes 3 et 5 explorent ensuite la singularit&eacute; de la justice transitionnelle, les tribunaux <em>gacaca</em> inspir&eacute;s de formes de justice traditionnelle rwandaises, et les probl&egrave;mes li&eacute;s aux notions de pardon et de r&eacute;conciliation qu&rsquo;ils sont cens&eacute;s rendre possibles. Ces formes de justice locale, n&eacute;es d&rsquo;une remise en question de l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie du paradigme juridique occidenta<w:sdt id="690423917" sdttag="goog_rdk_90">l</w:sdt> et de la n&eacute;cessit&eacute; de trouver une solution pour affronter l&rsquo;&eacute;normit&eacute; de la t&acirc;che en mati&egrave;re de justice, sont li&eacute;es au partage de la parole, &agrave; l&rsquo;aveu et aux effets th&eacute;rapeutiques et/ou traumatiques de la v&eacute;rit&eacute;<sup><a href="«#_ftn31" name="_ftnref31" title="">[31]</a></sup>. Elles soul&egrave;vent des probl&egrave;mes que ces deux &eacute;pisodes pr&eacute;sentent comme irr&eacute;solus, et peut-&ecirc;tre insolubles. Et c&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; travers la multiplicit&eacute; des points de vue, ceux des intellectuels qui tentent de r&eacute;fl&eacute;chir &agrave; ces questions comme ceux des paysans &ndash; victimes et tueurs &ndash;, que se dessine le panorama d&rsquo;une situation infiniment ambivalente et contradictoire. C&rsquo;est une des forces du documentaire radiophonique que de donner &agrave; entendre la &laquo;&nbsp;parole des anonymes<sup><a href="«#_ftn32" name="_ftnref32" title="">[32]</a></sup><w:sdt id="1931389577" sdttag="goog_rdk_93">&nbsp;&raquo;</w:sdt> dont le ch&oelig;ur polyphonique restitue une pluralit&eacute; de points de vue.</p> <p><w:sdt id="-1296059043" sdttag="goog_rdk_94" showingplchdr="t">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </w:sdt>L&rsquo;objectivation et la prise de distance propres &agrave; l&rsquo;enqu&ecirc;te (journalistique, sociologique, ethnographique) est entrelac&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;coute de chaque voix, de chaque t&eacute;moignage, au plus pr&egrave;s du sujet qui s&rsquo;exprime <w:sdt id="1611934190" sdttag="goog_rdk_95">d</w:sdt>ans toute sa subjectivit&eacute;. Il n&rsquo;est pas anodin que chaque &eacute;pisode de <em>Rwanda 1999&nbsp;: revivre &agrave; tout prix </em>soit construit comme un chiasme, l&rsquo;ouverture et la conclusion donnant souvent &agrave; entendre des paroles de rescap&eacute;s. L&rsquo;auditeur saisit qu&rsquo;ils sont d&eacute;tenteurs d&rsquo;une v&eacute;rit&eacute; toute singuli&egrave;re sur l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement, li&eacute;e aux r&eacute;flexions n&eacute;es de leur exp&eacute;rience de proximit&eacute; extr&ecirc;me avec la mort. Le montage leur restitue l&rsquo;autorit&eacute; qui leur est d&eacute;ni&eacute;e, que ce soit en raison du silence impos&eacute; par leur cohabitation forc&eacute;e avec les tueurs, d&rsquo;une politique m&eacute;morielle qui peine &agrave; prendre en compte leur situation, ou du traumatisme qui fait de leur survie un jeu d&rsquo;&eacute;quilibrisme aux lisi&egrave;res de la folie. Ainsi, au d&eacute;but de l&rsquo;&eacute;pisode 1, puis au d&eacute;but de l&rsquo;&eacute;pisode 3, on entend le t&eacute;moignage d&rsquo;Eug&egrave;ne, un paysan tutsi qui r&eacute;pond &agrave; une question de Madeleine Mukamabano au sujet de sa cohabitation avec les assassins de sa famille&nbsp;:</p> <p>&nbsp;</p> <blockquote> <p><w:sdtpr></w:sdtpr><w:sdt id="1353923026" sdttag="goog_rdk_97">Tu me demandes si je parle aux gens qui ont tu&eacute; les membres de ma famille&nbsp;? Bien s&ucirc;r que je leur parle. Pourquoi ne le ferais-je pas&nbsp;? Je ne peux pas m&rsquo;isoler. Je discute avec eux. Je ne suis pas rancunier comme eux. On se rend visite. On boit de la bi&egrave;re ensemble. On dort m&ecirc;me avec leurs filles. </w:sdt><w:sdt id="1841348901" sdttag="goog_rdk_98">[&hellip;] </w:sdt><w:sdt id="335354518" sdttag="goog_rdk_99">Tous ces jeunes que vous voyez ont tu&eacute;.</w:sdt></p> <p><w:sdtpr></w:sdtpr><w:sdt id="-916548595" sdttag="goog_rdk_101" showingplchdr="t">&nbsp; &nbsp;&nbsp;</w:sdt><w:sdt id="1129906562" new="" roman="" sdttag="goog_rdk_103" times="">[&hellip;] </w:sdt><w:sdt id="465166893" new="" roman="" sdttag="goog_rdk_104" times="">Le probl&egrave;me, c&rsquo;est qu&rsquo;on ne peut pas mettre tous les assassins en prison. Nous sommes donc forc&eacute;s de cohabiter. Que puis-je faire&nbsp;? Je ne veux pas me suicider, je ne peux pas les fuir, je n&rsquo;ai pas o&ugrave; aller, je ne peux pas m&rsquo;exiler sur un nuage. Le Rwanda nous appartient &agrave; tous, &agrave; eux, comme &agrave; moi</w:sdt><a href="«#_ftn33" name="_ftnref33" new="" roman="" times="">[33]</a><w:sdt id="1265492153" new="" roman="" sdttag="goog_rdk_105" times="">.&nbsp;</w:sdt><w:sdt id="-1897663195" new="" roman="" sdttag="goog_rdk_106" showingplchdr="t" style="font-family: Times, " times="">&nbsp; &nbsp;&nbsp;</w:sdt></p> </blockquote> <p>Aujourd&rsquo;hui au Rwanda, trente ans apr&egrave;s le g&eacute;nocide et alors qu&rsquo;approche la remise en libert&eacute; de plusieurs dizaines de milliers de g&eacute;nocidaires, les questions de la cohabitation et de la r&eacute;conciliation sont toujours &agrave; vif. Et l&rsquo;auditeur de <em>Rwanda 1999&nbsp;: revivre &agrave; tout prix</em> &eacute;coute, m&eacute;dus&eacute;, une parole qui rel&egrave;ve pour lui en partie d&rsquo;un myst&egrave;re irr&eacute;solu jusqu&rsquo;&agrave; ce jour, celui d&rsquo;une communaut&eacute; o&ugrave; les voisins vivent c&ocirc;te-&agrave;-c&ocirc;te, s&eacute;par&eacute;s par un foss&eacute; infranchissable. En r&eacute;&eacute;coutant ce documentaire aujourd&rsquo;hui, il a acc&egrave;s &agrave; une r&eacute;alit&eacute; complexe que seules, peut-&ecirc;tre, des voix rwandaises s&rsquo;adressant &agrave; une journaliste rwandaise, &eacute;taient susceptibles de transmettre.</p> <h2>Notes</h2> <p>&nbsp;</p> <div> <div id="ftn1"> <p><sup><a href="«#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a></sup> Les substantifs et les adjectifs Hutu/hutu/Tutsi/tutsi sont invariables (en kinyarwanda, le pluriel se signale normalement par le pr&eacute;fixe &laquo;&nbsp;ba-&nbsp;&raquo;). Nous avons toutefois laiss&eacute; les termes avec la forme francis&eacute;e du pluriel dans les mentions de titres (ouvrages ou articles) quand ils ont &eacute;t&eacute; publi&eacute;s sous cette forme.</p> </div> <div id="ftn2"> <p><sup><a href="«#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[2]</a></sup> Les cinq &eacute;pisodes de <em>Rwanda 1999</em> ont &eacute;t&eacute; diffus&eacute;s sur France Culture dans le cadre de l&rsquo;&eacute;mission documentaire &laquo;&nbsp;Carnets de voyage&nbsp;&raquo;. La recherche sur les documents sonores est compliqu&eacute;e par le fait que l&rsquo;&eacute;mission elle-m&ecirc;me est r&eacute;pertori&eacute;e dans les archives de l&rsquo;INA sous des titres divers, modifi&eacute;s au gr&eacute; de ses rediffusions. Et m&ecirc;me les fiches de la premi&egrave;re diffusion donnent des titres en partie modifi&eacute;s par rapport aux titres originaux choisis par Madeleine Mukamabano. La s&eacute;rie est en effet archiv&eacute;e sous le titre <em>Les Rwandais, cinq ans apr&egrave;s le g&eacute;nocide</em>, &eacute;pisode 1 &laquo;&nbsp;Les racines du mal&nbsp;&raquo;, diffus&eacute; le 30/08/1999, ID 1049640.001&nbsp;; &eacute;pisode 2 &laquo;&nbsp;Le temps des assassins&nbsp;&raquo; (le titre v&eacute;ritable prononc&eacute; par M. Mukamabano au d&eacute;but de l&rsquo;&eacute;pisode est &laquo;&nbsp;Aux &eacute;toiles &eacute;teintes&nbsp;&raquo;), diffus&eacute; le 31/08/1999, ID 1049686.001&nbsp;; &eacute;pisode 3 &laquo;&nbsp;Le sabre et le goupillon&nbsp;&raquo; (titre original&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le temps du pardon), 1/09/1999, ID 1049733.001&nbsp;; &eacute;pisode 4 &laquo;&nbsp;Les chr&eacute;tiens dans la tourmente&nbsp;&raquo;, 2/09/1999, ID 1049780.001, &eacute;pisode 5 &laquo;&nbsp;Vers un nouveau d&eacute;part&nbsp;&raquo;, 3/09/1999, ID 1049825.001. Le lecteur trouvera une version abr&eacute;g&eacute;e &ndash; car r&eacute;duite de deux heures sur 4 &eacute;pisodes &ndash; sur le site de France Culture&nbsp;: <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-cinq-ans-apres-le-genocide-des-tutsis-au-rwanda">https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-cinq-ans-apres-le-genocide-des-tutsis-au-rwanda</a> [En ligne, consulté le 24 f&eacute;vrier 2024]. Le remontage effectu&eacute; pour cette version courte modifie profond&eacute;ment le sens de l&rsquo;&oelig;uvre, ce qui peut se mesurer au fait que le po&egrave;me sous forme d&rsquo;oraison fun&egrave;bre qui ouvre tous les &eacute;pisodes &ndash; un texte essentiel aux yeux de l&rsquo;autrice &ndash; a &eacute;t&eacute; supprim&eacute;. Dans ce texte, je ne commenterai que la version originale de l&rsquo;&eacute;mission.</p> </div> <div id="ftn3"> <p><sup><a href="«#_ftnref3" name="_ftn3" title="">[3]</a></sup>Voir les articles et les ouvrages de Jean-Pierre Karegeye, &laquo; Rwanda : littérature post-génocide, écritures itinérantes : témoignage ou engagement ? &raquo;, <em>Protée</em>, vol. 37, n&deg; 2, 2009, p. 21-32&nbsp;; Virginie Brinker, <em>La Transmission litt&eacute;raire et cin&eacute;matographique du g&eacute;nocide des Tutsi au Rwanda,</em> Paris, Classiques Garnier, 2014&nbsp;; Virginie Brinker, Catherine Coquio, Alexandre Dauge-Roth, &Eacute;ric Hoppenot, Nathan R&eacute;ra, Fran&ccedil;ois Robinet (dir.),&nbsp;<em>Rwanda, 1994-2014.&nbsp;Histoire, m&eacute;moires et r&eacute;cits</em>,&nbsp;Dijon, Les Presses du r&eacute;el, 2017&nbsp;; Catherine Coquio, <em>Rwanda&nbsp;: le r&eacute;el et les r&eacute;cits</em>, Paris, Armand Colin, 2004.</p> <p><w:sdtpr></w:sdtpr></p> </div> <div id="ftn4"> <p><sup><a href="«#_ftnref4" name="_ftn4" title="">[4]</a></sup> &Agrave; partir de 1959 puis de l&rsquo;ind&eacute;pendance proclam&eacute;e en 1962 qui voit des Hutu prendre le pouvoir apr&egrave;s la p&eacute;riode coloniale durant laquelle les dirigeants tutsi av<w:sdt id="-22946514" sdttag="goog_rdk_110">a</w:sdt>i<w:sdt id="-3982569" sdttag="goog_rdk_112">e</w:sdt>nt &eacute;t&eacute; favoris&eacute;s et instrumentalis&eacute;s par le pouvoir belge, de nombreux massacres de Tutsi ont lieu au Rwanda. Prenant pr&eacute;texte des attaques men&eacute;es par des Tutsi exil&eacute;s dans les pays voisins, ils firent des dizaines de milliers de morts. Les massacres de 1963-64 furent les plus importants de la p&eacute;riode avant le g&eacute;nocide.</p> </div> <div id="ftn5"> <p><sup><a href="«#_ftnref5" name="_ftn5" title="">[5]</a></sup> <a href="http://inatheque.ina.fr/doc/TV-RADIO/PH_PHFL12017835/ethnie-ou-la-tribu-en-question-debat?rang=45">http://inatheque.ina.fr/doc/TV-RADIO/PH_PHFL12017835/ethnie-ou-la-tribu-en-question-debat?rang=45</a> [En ligne, consulté le 24 f&eacute;vrier 2024].</p> </div> <div id="ftn6"> <p><sup><a href="«#_ftnref6" name="_ftn6" title="">[6]</a></sup> <a href="http://inatheque.ina.fr/doc/TV-RADIO/PH_PHFL12017812/tribalisme-et-democratie-debat-avec-suzanne-kalalobe-socio?rang=95">http://inatheque.ina.fr/doc/TV-RADIO/PH_PHFL12017812/tribalisme-et-democratie-debat-avec-suzanne-kalalobe-socio?rang=95</a> [En ligne, consulté le 24 f&eacute;vrier 2024].</p> </div> <div id="ftn7"> <p><sup><a href="«#_ftnref7" name="_ftn7" title="">[7]</a></sup> Le Front Patriotique Rwandais (FPR) est un mouvement politique et militaire qui &oelig;uvra &agrave; partir de sa fondation en 1988 en Ouganda au retour des Rwandais exil&eacute;s et &agrave; l&rsquo;introduction du pluralisme politique au Rwanda. Il &eacute;tait alors compos&eacute; principalement de Tutsi exil&eacute;s en Ouganda, mais comptait &eacute;galement des Hutu oppos&eacute;s au pouvoir de Juv&eacute;nal Habyarimana.</p> </div> <div id="ftn8"> <p><sup><a href="«#_ftnref8" name="_ftn8" title="">[8]</a></sup> <a href="http://inatheque.ina.fr/doc/TV-RADIO/PH_00576204/comment-expliquer-les-tensions-inter-ethniques-qui-empoisonnent-la-vie-du-rwanda?rang=106">http://inatheque.ina.fr/doc/TV-RADIO/PH_00576204/comment-expliquer-les-tensions-inter-ethniques-qui-empoisonnent-la-vie-du-rwanda?rang=106</a> [En ligne, consulté le 24 f&eacute;vrier 2024].</p> </div> <div id="ftn9"> <p><sup><a href="«#_ftnref9" name="_ftn9" title="">[9]</a></sup> Sur ces questions, on peut renvoyer au livre de Rapha&euml;l Doridant et Fran&ccedil;ois Graner, <em>L&rsquo;&Eacute;tat fran&ccedil;ais et le g&eacute;nocide des Tutsis au Rwanda</em>, Paris, Agone, 2020.</p> </div> <div id="ftn10"> <p><sup><a href="«#_ftnref10" name="_ftn10" title="">[10]</a></sup> Voir <a href="http://inatheque.ina.fr/doc/TV-RADIO/RD_654229.001/antipodes-du-04-mai-1994?rang=323">http://inatheque.ina.fr/doc/TV-RADIO/RD_654229.001/antipodes-du-04-mai-1994?rang=323</a> [En ligne, consulté le 1er avril 2024].</p> </div> <div id="ftn11"> <p><sup><a href="«#_ftnref11" name="_ftn11" title="">[11]</a></sup>Madeleine Mukamabano sera d&rsquo;ailleurs charg&eacute;e de conseiller le directeur de la r&eacute;daction de RFI concernant les sujets africains, en particulier le Rwanda. Violemment critiqu&eacute; par le journaliste n&eacute;gationniste Pierre P&eacute;an pour le parti-pris soi-disant pro-FPR des &eacute;missions de RFI depuis le d&eacute;but de la guerre en 1990, le PDG de de la cha&icirc;ne diligentera en 2006 une &laquo;&nbsp;Mission d&rsquo;&eacute;tude sur le Rwanda&nbsp;&raquo; charg&eacute;e d&rsquo;écouter la production de RFI sur le Rwanda &agrave; partir de 1990, r&eacute;pondant en cela &agrave; une proposition de la Société des journalistes de la station. Ce rapport conclut sans ambigu&iuml;t&eacute; au professionnalisme des journalistes de RFI, notamment Madeleine Mukamabano. Voir&nbsp;:&nbsp; <a href="https://francegenocidetutsi.org/RfiMissionEtudeRwanda.html">https://francegenocidetutsi.org/RfiMissionEtudeRwanda.html</a> [En ligne, consulté le 24 f&eacute;vrier 2024].</p> </div> <div id="ftn12"> <p><sup><a href="«#_ftnref12" name="_ftn12" title="">[12]</a></sup> Entretien t&eacute;l&eacute;phonique avec Madeleine Mukamabano du 15 mai 2023.</p> </div> <div id="ftn13"> <p><sup><a href="«#_ftnref13" name="_ftn13" title="">[13]</a></sup> &laquo;&nbsp;Rencontre Addor avec le r&eacute;alisateur radio Mehdi El Hadj. <w:sdt id="1193652320" sdttag="goog_rdk_115">Episode 13 / 23 : 1998 Au Rwanda avec Madeleine Mukamabano. </w:sdt>Enregistrer une &eacute;mission de radio avec une journaliste &ldquo;tutsi&rdquo; au Rwanda&nbsp;&raquo;, <a href="https://www.addor.org/rencontre-addor-avec-le-realisateur-radio-mehdi-el-hadj-799"><w:sdt id="-916319759" sdttag="goog_rdk_116">https://www.addor.org/rencontre-addor-avec-le-realisateur-radio-mehdi-el-hadj-799</w:sdt></a><w:sdt id="-1654139098" sdttag="goog_rdk_117"> </w:sdt>[En ligne, consulté le 24 f&eacute;vrier 2024].</p> </div> <div id="ftn14"> <p><sup><a href="«#_ftnref14" name="_ftn14" title="">[14]</a></sup> Il s&rsquo;agit du morceau &laquo;&nbsp;The Calling&nbsp;&raquo; de l&rsquo;album &laquo;&nbsp;Bones&nbsp;&raquo; de Gabrielle Roth &amp; The Mirrors (1989), inspir&eacute; par la musique est-africaine.</p> </div> <div id="ftn15"> <p><sup><a href="«#_ftnref15" name="_ftn15" title="">[15]</a></sup> On peut notamment songer aux entretiens men&eacute;s par le psychologue David Boder (1886-1961) dans les DP camps juste apr&egrave;s la Seconde Guerre mondiale (v. David P. Boder, <em>Je n&rsquo;ai pas interrog&eacute; les morts</em>, Paris, Tallandier, 2006). Une vaste litt&eacute;rature est consacr&eacute;e depuis quelques ann&eacute;es &agrave; ce champ d&rsquo;&eacute;tude de l&rsquo;&laquo;&nbsp;imm&eacute;diat apr&egrave;s-coup&nbsp;&raquo; du g&eacute;nocide (&laquo;&nbsp;Aftermath Studies&nbsp;&raquo;). Je me contenterai de citer le d&eacute;sormais classique <em>Collect and record! Jewish Holocaust Documentation in Early Postwar Europe</em> de Laura Jockusch, New York/Oxford, Oxford University Press, 2012. Le parcours de Mukamabano peut &ecirc;tre compar&eacute; &agrave; celui des intellectuels, directement rescap&eacute;s ou ayant surv&eacute;cu en diaspora, qui se sont fix&eacute; pour mission de produire un savoir sur le g&eacute;nocide tout en accomplissant un travail de transmission, de m&eacute;moire et de deuil. L&rsquo;historien R&eacute;mi Korman a &eacute;voqu&eacute; les comparaisons possibles entre ces premiers savoirs juifs et rwandais tutsi sur le g&eacute;nocide dans un article consacr&eacute; aux intellectuels rwandais : <w:sdt id="-55091008" sdttag="goog_rdk_120">&laquo;&nbsp;</w:sdt>Les universitaires et intellectuels rwandais &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve du g&eacute;nocide des Tutsi : premi&egrave;re m&eacute;moire, premi&egrave;re histoire &raquo;, <em>Les Cahiers du FRAMESPA</em>, no&nbsp;41, <w:sdt id="-1639333405" sdttag="goog_rdk_122"><a href="https://journals.openedition.org/framespa/13693">https://journals.openedition.org/framespa/13693</a> [</w:sdt>En ligne, consulté le 24 f&eacute;vrier 2024]. Mais cette comparaison m&eacute;riterait d&rsquo;&ecirc;tre &eacute;tendue &agrave; d&rsquo;autres g&eacute;nocides ou &eacute;v&eacute;nements relevant de la violence politique extr&ecirc;me (notamment aux g&eacute;nocides des Musulmans bosniaque et des Arm&eacute;niens). Elle fait l&rsquo;objet de deux projets en cours de pr&eacute;paration en collaboration avec la chercheuse en Cultural Studies Zuzanna Dziuban et R&eacute;mi Korman.</p> </div> <div id="ftn16"> <p><sup><a href="«#_ftnref16" name="_ftn16" title="">[16]</a></sup> Je reprends ici le beau sous-titre de la pi&egrave;ce rwando-belge &eacute;crite &agrave; une multiplicit&eacute; de mains (belges et rwandaises) du collectif th&eacute;&acirc;tral belge Groupov&nbsp;: <em>Rwanda 1994. Une tentative de r&eacute;paration symbolique envers les morts, &agrave; destination des vivants</em>, Paris, &Eacute;ditions th&eacute;&acirc;trales, 2002.</p> </div> <div id="ftn17"> <p><sup><a href="«#_ftnref17" name="_ftn17" title="">[17]</a></sup> Sur cette notion, voir Michael Frisch,&nbsp;<em>A Shared Authority: Essays on the Craft and Meaning of Oral and Public History</em>, Albany, State University of New York, 1990 ; Fleur Kuhn Kennedy, &laquo;&nbsp;Je n&rsquo;ai pas interrog&eacute; les morts&nbsp;de David Boder&nbsp;: le t&eacute;moignage en dialogue&nbsp;&raquo;, dans <em>Les expressions du collectif dans les &eacute;critures juives d&rsquo;Europe centrale et orientale</em>, Paris, <w:sdt id="-1791436454" sdttag="goog_rdk_123">&Eacute;</w:sdt>ditions de l&rsquo;Inalco, 2018, p. 170-183, <a href="https://books.openedition.org/pressesinalco/3968?lang=fr#ftn8">https://books.openedition.org/pressesinalco/3968?lang=fr#ftn8</a> [En ligne, consulté le 24 f&eacute;vrier 2024].</p> </div> <div id="ftn18"> <p><sup><a href="«#_ftnref18" name="_ftn18" title="">[18]</a></sup> Rencontre Addor avec le r&eacute;alisateur radio Mehdi El Hadj, entretien cit&eacute;.</p> </div> <div id="ftn19"> <p><sup><a href="«#_ftnref19" name="_ftn19" title="">[19]</a></sup> D&egrave;s le premier &eacute;pisode, Eug&egrave;ne, un paysan tutsi rescap&eacute;, explique &agrave; Madeleine qu&rsquo;il ne peut pas lui r&eacute;v&eacute;ler les noms de ceux qui, parmi ses voisins, ont &eacute;t&eacute; des tueurs durant le g&eacute;nocide&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les gens vont penser que nous les avons d&eacute;nonc&eacute;s, et que tu viens nous venger&nbsp;&raquo; (&laquo;&nbsp;Les racines du mal&nbsp;&raquo;, 22&rsquo;50&rsquo;&rsquo;20).</p> </div> <div id="ftn20"> <p><sup><a href="«#_ftnref20" name="_ftn20" title="">[20]</a></sup> Entretien t&eacute;l&eacute;phonique avec Madeleine Mukamabano le 15 mai 2023.</p> </div> <div id="ftn21"> <p><sup><a href="«#_ftnref21" name="_ftn21" title="">[21]</a></sup> Le verbe qui correspond &eacute;tant &laquo;&nbsp;ihahamuka&nbsp;&raquo;. V. Darius Gishoma, <em>Crises traumatiques collectives d&rsquo;Ihahamuka lors des comm&eacute;morations du g&eacute;nocide des Tutsis. Aspects cliniques et perspectives th&eacute;rapeutiques</em>, th&egrave;se de doctorat, Louvain-la-Neuve, UCLouvain, 2014.</p> </div> <div id="ftn22"> <p><sup><a href="«#_ftnref22" name="_ftn22" title="">[22]</a></sup> &laquo;&nbsp;Aux &eacute;toiles &eacute;teintes&nbsp;&raquo;, document cit&eacute;, 23&rsquo;19&rsquo;&rsquo;55 et passim.</p> </div> <div id="ftn23"> <p><sup><a href="«#_ftnref23" name="_ftn23" title="">[23]</a></sup> Marcel Kabanda, &laquo;&nbsp;Rwanda, les massacres de 1963. Le t&eacute;moignage de G.D. Vuillemin&nbsp;&raquo;, dans Christine Deslauriers et Dominique Juhe-Beaulation (&eacute;d.), <em>Afrique, terre d&rsquo;histoire. Au c&oelig;ur de la recherche avec Jean-Pierre Chr&eacute;tien</em>, Paris, Karthala, p. 415-434.</p> </div> <div id="ftn24"> <p><sup><a href="«#_ftnref24" name="_ftn24" title="">[24]</a></sup> &laquo;&nbsp;Les racines du mal&nbsp;&raquo;, document cit&eacute;, 22&rsquo;40 et passim.</p> </div> <div id="ftn25"> <p><sup><a href="«#_ftnref25" name="_ftn25" title="">[25]</a></sup> Entretien t&eacute;l&eacute;phonique avec Madeleine Mukamabano le 15 mai 2023.</p> </div> <div id="ftn26"> <p><sup><a href="«#_ftnref26" name="_ftn26" title="">[26]</a></sup> On peut aussi &eacute;voquer la notion issue des &eacute;tudes postcoloniales d&rsquo;&laquo;&nbsp;imp&eacute;rialisme acad&eacute;mique&nbsp;&raquo; (Gayatri C. Spivak). Sur la perspective d&eacute;coloniale, voir entre autres, Walter&nbsp;Mignolo,&nbsp;<em>Decolonizing Epistemologies</em>, <w:sdt id="-1791587270" sdttag="goog_rdk_125">New York, </w:sdt>Fordham University Press,&nbsp;2011&nbsp;; Mahmood&nbsp;Mamdani,&nbsp;<em>Decolonisation in Universities</em>, <w:sdt id="543486631" sdttag="goog_rdk_127"><w:sdt id="-202628525" sdttag="goog_rdk_128">Johannesburg</w:sdt> </w:sdt>Wits University Press,&nbsp;2019&nbsp;; Sabelo J. Ndlovu-Gatsheni, <em>Epistemic freedom in Africa: Deprovincialization and decolonization</em>, New-York, Routledge, 2018. Concernant le recours &agrave; des assistants de recherche et leur (non)reconnaissance, voir Sascha Kesseler, &laquo; Être et avoir un assistant de recherche &raquo;, dans Marina Lafay, Françoise Le Guennec-Coppens &amp; Élisée Coulibaly (dir.), <em>Regards scientifiques sur l&rsquo;Afrique depuis les Indépendances</em>, Paris, Karthala, 2016, p. 33-57. Sur les chercheurs sp&eacute;cialistes du Rwanda, <w:sdt id="-2054769639" sdttag="goog_rdk_130">v. </w:sdt>Felix Mukwiza Ndahinda, Jason Mosley, Nicola Palmer, Phil Clark &amp; Sandra Shenge, &laquo; Rwandan researchers are finally being centred in scholarship about their own country&nbsp;&raquo;, <em>The Conversation</em>, 25 mai 2022, <a href="http://theconversation.com/rwandan-researchers-are-finally-being-centred-in-scholarship-about-their-own-countr%20y-183142">http://theconversation.com/rwandan-researchers-are-finally-being-centred-in-scholarship-about-their-own-countr y-183142</a> [En ligne, consulté le 24 f&eacute;vrier 2024]. R&eacute;mi Korman a r&eacute;cemment abord&eacute; ces questions dans un article&nbsp;: &laquo;&nbsp;D&eacute;coloniser les archives coloniales sur le Rwanda&nbsp;? Enjeux pour l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;, article &agrave; para&icirc;tre dans un num&eacute;ro de la revue <em>Mat&eacute;riaux pour l&rsquo;Histoire de notre temps</em> consacr&eacute; au g&eacute;nocide des Tutsi en 2024 (je remercie l&rsquo;auteur de m&rsquo;avoir transmis son texte avant publication).</p> </div> <div id="ftn27"> <p><sup><a href="«#_ftnref27" name="_ftn27" title="">[27]</a></sup> V. le livre d&eacute;sormais classique de Michael Rothberg, <em>M&eacute;moire multidirectionnelle. Repenser l&rsquo;Holocauste &agrave; l&#39;aune de la d&eacute;colonisation</em>, Paris, Petra, 2018.</p> </div> <div id="ftn28"> <p><sup><a href="«#_ftnref28" name="_ftn28" title="">[28]</a></sup> <em>Lea David, </em>The Past Can&rsquo;t Heal Us. The Danger of Mandating Memory in the Name of Human Rights, Cambridge MA, Cambridge University Press, 2020.</p> </div> <div id="ftn29"> <p><sup><a href="«#_ftnref29" name="_ftn29" title="">[29]</a></sup> Sur cette notion forg&eacute;e par l&rsquo;anthropologue Violaine Baraduc, <w:sdt id="1610008870" sdttag="goog_rdk_132">v. </w:sdt>son livre <em>Tout les oblige &agrave; mourir. L&rsquo;infanticide g&eacute;nocidaire au Rwanda en 1994</em>, Paris, CNRS &eacute;ditions, 2024.</p> </div> <div id="ftn30"> <p><sup><a href="«#_ftnref30" name="_ftn30" title="">[30]</a></sup> L&rsquo;expression est de Caroline Williamson Sinalo dans son livre <em>Rwanda After Genocide. Gender, Identity and Post-Traumatic Growth</em>, Cambridge/NY, Cambridge University Press, 2018, voir en particulier le chapitre &laquo;&nbsp;Defying silence, defying theory&nbsp;&raquo;, p. 21-52.</p> </div> <div id="ftn31"> <p><sup><a href="«#_ftnref31" name="_ftn31" title="">[31]</a></sup> Marie-Odile Godard, Naasson Munyandamutsa, Am&eacute;lie Mutarabayira-Schafer et Eug&egrave;ne Rutembesa (<w:sdt id="-369382482" sdttag="goog_rdk_134">dir</w:sdt>.), &laquo;&nbsp;La violence de la parole, quinze ans apr&egrave;s le g&eacute;nocide des Tutsis au Rwanda. Des groupes de soutien psychologique dans le processus <w:sdt id="-1829355649" sdttag="goog_rdk_135">gacaca</w:sdt><w:sdt id="1058286358" sdttag="goog_rdk_136">&nbsp;</w:sdt>&raquo;, <em>Manuel des psycho-traumatismes</em>, Grenoble, La Pens&eacute;e sauvage, 2012.</p> </div> <div id="ftn32"> <p><sup><a href="«#_ftnref32" name="_ftn32" title="">[32]</a></sup> Christophe Deleu, <em>Les Anonymes &agrave; la radio. Usages, fonctions et port&eacute;e de leur parole</em>, Paris, De Boeck, 2006, en particulier la partie 4 consacr&eacute;e &agrave; &laquo;&nbsp;La parole documentaire&nbsp;&raquo;.</p> </div> <div id="ftn33"> <p><sup><a href="«#_ftnref33" name="_ftn33" title="">[33]</a></sup> Extraits respectivement issus des &eacute;pisodes 1 (22&rsquo;49&rsquo;&rsquo;00) et 3 (22&rsquo;42&rsquo;&rsquo;00).</p> <p>&nbsp;</p> <h2>Autrice</h2> <p><strong>Aur&eacute;lia Kalisky</strong> est chercheuse en litt&eacute;rature compar&eacute;e et vit &agrave; Berlin. Elle &eacute;crit actuellement avec une bourse au Centre Marc Bloch un livre qui a pour titre <em>Comment &eacute;crire notre histoire&nbsp;? Les &eacute;crits des savants survivants juifs au lendemain de la Shoah</em>, issu d&rsquo;un projet FRAL (ANR/DFG) achev&eacute; en 2021 sur les &laquo;&nbsp;Premiers modes d&rsquo;&eacute;criture de la Shoah. Pratiques savantes et textuelles de survivants juifs en Europe 1942-1965&nbsp;&raquo; (ZfL Berlin/Simon Dubnow Institute Leipzig/EHESS Paris). Elle a publi&eacute; de nombreux travaux portant sur la litt&eacute;rature et les &oelig;uvres testimoniales issues de catastrophes historiques li&eacute;es &agrave; la violence politique extr&ecirc;me, ainsi que plus g&eacute;n&eacute;ralement sur les formes de la m&eacute;moire et l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;histoire issues de ces &eacute;v&eacute;nements, notamment l&rsquo;anthologie <em>L&#39;Enfant et le g&eacute;nocide </em>(avec Catherine Coquio, Paris 2007). Elle a r&eacute;cemment &eacute;dit&eacute; la traduction allemande des manuscrits de Zalmen Gradowski (<em>Die Zertrennung. Aufzeichnungen eines Mitglieds des Sonderkommandos</em>, Berlin 2020).</p> </div> </div>