<p>D&eacute;finir ce qu&rsquo;est un roman graphique s&rsquo;av&egrave;re, en 2016, une t&acirc;che tout aussi ardue (sinon impossible) que de d&eacute;finir ce qu&rsquo;est ou n&rsquo;est pas la bande dessin&eacute;e. Thierry Groensteen l&rsquo;exprime clairement dans sa note sur le sujet pour le site <em>Neuvi&egrave;me art&nbsp;</em>: &laquo;&nbsp;Le <em>graphic novel</em>&nbsp;cesse tr&egrave;s vite d&rsquo;ob&eacute;ir &agrave; une quelconque d&eacute;finition stable. Les dimensions des livres varient, l&rsquo;impression en noir et blanc n&rsquo;est pas un crit&egrave;re, le genre pas davantage puisque les super-h&eacute;ros ne tardent pas &agrave; investir le nouveau format&nbsp;[&hellip;] Face &agrave; cet &eacute;parpillement, il est plus difficile que jamais de dire ce qui rel&egrave;ve proprement du &ldquo;roman graphique&rdquo;. Dans une acception large, tout ce qui se situe entre l&rsquo;album grand format traditionnel et le format poche peut sembler en relever<a href="#nbp1" id="footnoteref1_ca3c0fx" name="liennbp1" title="Thierry Groensteen, « Roman graphique », Neuvième art, septembre 2012, en ligne : http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article448 (consulté le 25 juin 2016).">1</a> &raquo;. L&rsquo;on trouve aujourd&rsquo;hui les termes &laquo;&nbsp;roman graphique&nbsp;&raquo; accol&eacute;s &agrave; toutes sortes d&rsquo;&oelig;uvres que bien peu de choses, m&ecirc;me pas leur format, rassemble&nbsp;: ainsi la r&eacute;cente application pour &eacute;cran tactile <em>Phallaina</em>, dessin&eacute;e par Marietta Ren, se voit-elle qualifi&eacute;e de &laquo;&nbsp;roman graphique num&eacute;rique&nbsp;&raquo; dans son dossier de presse. Comme l&rsquo;&eacute;crit Jean-Mattieu M&eacute;on, &laquo;&nbsp;l&rsquo;expression &ldquo;<em>graphic novel</em>&rdquo; a une port&eacute;e heuristique limit&eacute;e : la diversit&eacute; de ses usages, la grande vari&eacute;t&eacute; des &oelig;uvres auxquelles elle est appliqu&eacute;e emp&ecirc;che de la consid&eacute;rer comme recouvrant une r&eacute;alit&eacute; artistique et/ou &eacute;ditoriale coh&eacute;rente<a href="#nbp2" id="footnoteref2_b7ywfys" name="liennbp2" title="Jean-Matthieu Méon, « Introduire le “graphic novel” », communication au sein du congrès international de l’AFEA, 26 mai 2016 (texte communiqué par l’auteur).">2</a> &raquo;. La saturation du march&eacute; par des productions d&eacute;sireuses de se r&eacute;clamer de la l&eacute;gitimit&eacute; attach&eacute;e au roman graphique semble l&rsquo;avoir vid&eacute; de toute sp&eacute;cificit&eacute;, d&rsquo;autant plus en France o&ugrave; les formes pr&eacute;c&eacute;dentes de bande dessin&eacute;e ont depuis au moins les ann&eacute;es 1970 cultiv&eacute; une grande diversit&eacute; de formats et de r&eacute;cits.</p> <p>Il est en effet n&eacute;cessaire de distinguer la forme anglophone, le <em>graphic novel</em>, du roman graphique francophone, pour replacer ces termes dans les contextes &eacute;ditoriaux qui les ont vus na&icirc;tre. En effet, &eacute;crit Jan Baetens, &laquo;&nbsp;du c&ocirc;t&eacute; fran&ccedil;ais, la diff&eacute;rence entre roman graphique et bande dessin&eacute;e est plus discutable encore, vu la diversit&eacute; de la production &ldquo;traditionnelle&rdquo;, ouverte d&egrave;s les ann&eacute;es 70 &agrave; toutes sortes d&rsquo;exp&eacute;riences et d&rsquo;innovations que l&rsquo;on aurait pu ranger &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du roman graphique si une telle &eacute;tiquette n&rsquo;avait pas fait totalement d&eacute;faut<a href="#nbp3" id="footnoteref3_kmaxsid" name="liennbp3" title="Jan Baetens, « Le roman graphique », La Bande dessinée. Une médiaculture, Éric Maigret et Matteo Stefanelli (éd.), Paris, Armand Collin, 2012, p. 203.">3</a> &raquo;. Parmi ces innovations, l&rsquo;on peut citer entre autres la collection <em>(&Agrave; Suivre) </em>de Casterman, lanc&eacute;e suite &agrave; la parution de <em>La Ballade de la mer sal&eacute;e </em>d&rsquo;Hugo Pratt (1975), ou la collection <em>Autodaf&eacute;</em> lanc&eacute;e par les Humano&iuml;des Associ&eacute;s en 1982 qui, sur chaque quatri&egrave;me de couverture, se d&eacute;finit comme &laquo;&nbsp;un concept in&eacute;dit entre roman et BD. Rendant toute la libert&eacute; aux cr&eacute;ateurs, bannissant les fronti&egrave;res entre images et mots, c&rsquo;est un format unique, une nouvelle dimension dans l&rsquo;art de raconter&nbsp;&raquo;. Pour Jean-Matthieu M&eacute;on, &laquo;&nbsp;la pr&eacute;sence, au sein du catalogue d&rsquo;<em>Autodaf&eacute;</em>, de deux des pr&eacute;tendants am&eacute;ricains &agrave; une d&eacute;finition pr&eacute;coce du format (Eisner et Steranko) n&rsquo;est pas une co&iuml;ncidence. En effet, c&rsquo;est l&rsquo;ensemble du projet &eacute;ditorial et des choix d&rsquo;impression qui repr&eacute;sentent une premi&egrave;re esquisse des romans graphiques modernes<a href="#nbp4" id="footnoteref4_1r9y6e6" name="liennbp4" title="Jean-Matthieu Méon, « Of Fumetti and Graphic Novels », Studies in Comics 4.1 (2013), p. 128 (notre traduction).">4</a> &raquo;.</p> <p>Dans les ann&eacute;es 1990, ce sont les &eacute;diteurs dits ind&eacute;pendants ou alternatifs comme l&rsquo;Association ou Corn&eacute;lius qui syst&eacute;matisent la publication d&rsquo;&eacute;pais volumes en noir et blanc, pas encore qualifi&eacute;s de romans graphiques mais revendiquant clairement une certaine id&eacute;e de la bande dessin&eacute;e d&rsquo;auteur. Suite &agrave; d&rsquo;importants succ&egrave;s commerciaux, &eacute;crit Groensteen, en premier chef desquels <em>Pers&eacute;polis </em>de Marjane Satrapi (2000-2003), &laquo;&nbsp;les grandes maisons d&rsquo;&eacute;dition ont repris &agrave; leur compte ces formes nouvelles en cr&eacute;ant des collections <em>ad hoc</em> sur le m&ecirc;me mod&egrave;le (parmi les premi&egrave;res&nbsp;: &ldquo;Roman BD&rdquo; chez Dargaud, &ldquo;Encrage&rdquo; chez Delcourt, &ldquo;Tohu-Bohu&rdquo; aux Humano&iuml;des Associ&eacute;s et &ldquo;Romans graphiques&rdquo; au Seuil, puis &ldquo;&Eacute;critures&rdquo; chez Casterman)<a href="#nbp5" id="footnoteref5_3sm2ide" name="liennbp5" title="Thierry Groensteen, « Roman graphique », art. cit.">5</a> &raquo;.</p> <p>Le roman graphique s&rsquo;impose donc aujourd&rsquo;hui comme forme h&eacute;g&eacute;monique, et s&rsquo;il y a bien une caract&eacute;ristique qui permet de le d&eacute;limiter, c&rsquo;est son attachement &agrave; une certaine litt&eacute;rarit&eacute;, qui permettrait de tirer la bande dessin&eacute;e vers le champ de la litt&eacute;rature. En effet, poursuit Groensteen, &laquo;&nbsp;la cat&eacute;gorie du &ldquo;roman graphique&rdquo; recompose le champ &eacute;ditorial en introduisant une distinction entre le tout-venant de la production et des &oelig;uvres plus ambitieuses. Elle cherche &agrave; s&eacute;duire un public (et des m&eacute;dias) qui n&rsquo;avaient pas n&eacute;cessairement l&rsquo;habitude de consid&eacute;rer la bande dessin&eacute;e comme une litt&eacute;rature &agrave; part enti&egrave;re<a href="#nbp6" id="footnoteref6_qhp1ej5" name="liennbp6" title="Idem.">6</a> &raquo;. Cette litt&eacute;rarit&eacute;, pour Jan Baetens, tente de s&rsquo;imposer &laquo;&nbsp;<em>sui generis</em>&nbsp;&raquo;, comme une forme &laquo;&nbsp;qui n&rsquo;a plus besoin de base ou d&rsquo;intertexte litt&eacute;raire pour se faire accepter comme un texte litt&eacute;raire proprement dit<a href="#nbp7" id="footnoteref7_7asq0c7" name="liennbp7" title="Jan Baetens, « Le roman graphique », art. cit., p. 209.">7</a> &raquo;. C&rsquo;est une &laquo;&nbsp;litt&eacute;rarit&eacute; narrative et non pas verbale<a href="#nbp8" id="footnoteref8_u7yoq5m" name="liennbp8" title="Ibid., p. 212.">8</a> &raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;elle ne renie pas la forte composante visuelle du m&eacute;dium, bien qu&rsquo;elle tende &agrave; l&rsquo;enfermer dans un rapport d&rsquo;analogie &agrave; un autre genre (le roman litt&eacute;raire) sans m&eacute;nager de place pour les productions qui ne s&rsquo;inscriraient pas dans cette comparaison.</p> <p>Ce sont pr&eacute;cis&eacute;ment ces productions qui ne se r&eacute;clament pas du roman graphique que nous souhaitons analyser ici. En effet, et malgr&eacute; la domination dans le champ m&eacute;diatique et critique du roman graphique, l&rsquo;on note depuis plusieurs ann&eacute;es l&rsquo;apparition d&rsquo;autres formes de bande dessin&eacute;e qui, sans n&eacute;cessairement se positionner explicitement contre le roman graphique, s&rsquo;en &eacute;cartent pour explorer d&rsquo;autres pistes. &laquo;&nbsp;C&rsquo;est signe que les choses avancent&nbsp;&raquo;, &eacute;crit Jacques D&uuml;rrenmatt, &laquo;&nbsp;de voir les auteurs actuels s&rsquo;en remettre &agrave; d&rsquo;autres modes d&rsquo;organisation [que le chapitre] et ne plus &eacute;prouver le besoin d&rsquo;user d&rsquo;indices romanesques. Le &ldquo;roman graphique&rdquo; &eacute;tait une &eacute;tape et la bande dessin&eacute;e a d&eacute;sormais bien d&rsquo;autres cartes &agrave; jouer<a href="#nbp9" id="footnoteref9_146nrdj" name="liennbp9" title="Jacques Dürrenmatt, Bande dessinée et littérature, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 113.">9</a> &raquo;.</p> <p>Sans avoir la pr&eacute;tention d&rsquo;offrir un aper&ccedil;u exhaustif de ces &laquo;&nbsp;autres cartes&nbsp;&raquo;, il est cependant n&eacute;cessaire pour nous de prendre la suite des nombreux articles et ouvrages recensant la g&eacute;n&eacute;alogie du roman graphique et du <em>graphic novel</em>, les formes qui l&rsquo;ont pr&eacute;c&eacute;d&eacute;<a href="#nbp10" id="footnoteref10_s6sl0bw" name="liennbp10" title="Voir, par exemple, The Graphic Novel. An Introduction de Jan Baetens et Hugo Frey (Cambridge University Press, 2014).">10</a>, et de s&rsquo;int&eacute;resser aux formes qui y succ&egrave;dent ou qui dessinent une descendance possible. Si, comme nous le verrons dans un premier temps, d&rsquo;autres assujettissements sont fr&eacute;quents, en premier lieu desquels un lien aux arts visuels, les bandes dessin&eacute;es d&rsquo;aujourd&rsquo;hui vont tout autant chercher &agrave; remettre en jeu leur mat&eacute;rialit&eacute; ou leurs modalit&eacute;s de lecture&nbsp;; profitant de la br&egrave;che ouverte par le roman graphique, les &oelig;uvres contemporaines se permettent une diversit&eacute; de formes qui les place &agrave; la fois dans la rupture et la continuit&eacute; de la forme qui les a pr&eacute;c&eacute;d&eacute;es et domine le march&eacute; depuis plus d&rsquo;une d&eacute;cennie.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>1. La bande dessin&eacute;e du c&ocirc;t&eacute; des arts visuels</strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>Se positionner hors du chemin trac&eacute; par le roman graphique semble n&eacute;cessairement devoir se r&eacute;aliser par un inint&eacute;r&ecirc;t, voire un d&eacute;ni de ce qui peut faire la litt&eacute;rarit&eacute; d&rsquo;une bande dessin&eacute;e&nbsp;; pour cela, la solution la plus radicale (mais aussi, peut-&ecirc;tre, la plus simple) est de se tourner vers les arts visuels au lieu de la litt&eacute;rature.</p> <p>Les rapports entre bande dessin&eacute;e et art contemporain sont nombreux et d&eacute;j&agrave; anciens&nbsp;: la planche d&rsquo;album comme &oelig;uvre accrochable dans un mus&eacute;e est un concept ent&eacute;rin&eacute; depuis l&rsquo;exposition de 1967 <em>Bande dessin&eacute;e et figuration narrative</em>. Si elle &eacute;tait alors montr&eacute;e en comparaison avec des &oelig;uvres d&rsquo;art plastique (comme cela est encore fr&eacute;quemment le cas, par exemple en 2009 &agrave; l&rsquo;exposition <em>Vraoum&nbsp;!</em> &agrave; la Maison rouge &agrave; Paris), depuis plus de dix ans plusieurs dessinateurs sont &eacute;galement repr&eacute;sent&eacute;s en galerie, tels Killoffer, St&eacute;phane Blanquet ou Jochen Gerner &agrave; la galerie Anne Barrault, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse d&rsquo;exposer des planches d&rsquo;album ou des &oelig;uvres in&eacute;dites.</p> <p>Parmi ces exemples, le cas de Jochen Gerner est particuli&egrave;rement int&eacute;ressant parce que l&rsquo;auteur rassemble fr&eacute;quemment en livres des &oelig;uvres d&rsquo;abord expos&eacute;es en galerie&nbsp;: c&rsquo;est ainsi le cas de <em>Panorama du feu</em> (2010), <em>Panorama du froid</em> (2013) ou encore <em>Abstraction (1941-1968) </em>(2012). Si Gerner se tourne davantage vers les arts visuels que vers la litt&eacute;rature, il n&rsquo;en rejette pas pour autant l&rsquo;objet livre, une strat&eacute;gie, on le verra, partag&eacute;e par l&rsquo;ensemble des autres &oelig;uvres analys&eacute;es dans cet article. Les recueils tir&eacute;s de ses expositions, qui n&rsquo;en constituent pas pour autant les catalogues, semblent incarner ce que Thierry Groensteen appelle le &laquo;&nbsp;devenir art contemporain&nbsp;&raquo;, en opposition au &laquo;&nbsp;devenir litt&eacute;raire&nbsp;&raquo; du roman graphique&nbsp;: un &laquo;&nbsp;devenir art contemporain&nbsp;&raquo; qui permettrait de &laquo;&nbsp;revivifier au passage la tradition du livre d&rsquo;artiste<a href="#nbp11" id="footnoteref11_g5ccgoc" name="liennbp11" title="Thierry Groensteen, Bande dessinée et narration, Paris, Presses Universitaires de France, 2011, p. 196.">11</a> &raquo;, et donc l&rsquo;attachement &agrave; la mat&eacute;rialit&eacute; du livre.</p> <p>L&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de l&rsquo;&oelig;uvre de Gerner est &eacute;galement son rejet, cette fois-ci patent, non seulement de la litt&eacute;rarit&eacute; mais aussi de la narrativit&eacute;. En cela ses planches, m&ecirc;me expos&eacute;es dans un contexte mus&eacute;al, s&rsquo;&eacute;loignent radicalement de la majorit&eacute; des expositions de bande dessin&eacute;e qui se contentent le plus souvent de pr&eacute;senter des planches originales d&eacute;tach&eacute;es de leur contexte narratif. La production de Gerner se rapproche plus volontiers de la bande dessin&eacute;e abstraite telle qu&rsquo;elle est d&eacute;finie par Jan Baetens, d&eacute;finition qu&rsquo;il n&rsquo;est pas inutile de rappeler ici. Baetens, dans son article &laquo;&nbsp;<em>Abstraction in Comics</em>&nbsp;&raquo;, distingue avec finesse la bande dessin&eacute;e abstraite d&rsquo;autres formes d&rsquo;abstraction (musicales ou artistiques) en ce sens qu&rsquo;elle autorise la figuration&nbsp;; en effet, &eacute;crit Baetens, si</p> <p><q><em>&nbsp;&agrave; un premier niveau, celle de l&rsquo;image elle-m&ecirc;me (ou celle de la case, si l&rsquo;on pr&eacute;f&egrave;re), il est possible d&rsquo;affirmer que l&rsquo;abstraction est l&rsquo;oppos&eacute; de la figuration [&hellip;] &agrave; un second niveau, plus important (celui du r&eacute;cit), les choses changent et l&rsquo;abstraction n&rsquo;est alors plus l&rsquo;oppos&eacute; de la figuration, mais de la narration. Au niveau narratif, ce qui &eacute;tablit l&rsquo;&eacute;cart entre abstrait et non-abstrait n&rsquo;est pas la pr&eacute;sence ou l&rsquo;absence d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments figuratifs, mais l&rsquo;absence ou la pr&eacute;sence de potentiel narratif. &Agrave; ce second niveau, l&rsquo;abstraction signifie l&rsquo;absence de sens narratif, et cette absence, lorsque l&rsquo;on parle des contenus de l&rsquo;image, peut comprendre &agrave; la fois les repr&eacute;sentations abstraites et figuratives. Dans ce contexte, &ldquo;abstrait&rdquo; ne signifie plus &ldquo;non figuratif&rdquo;&nbsp;: cela signifie non-narratif, et m&ecirc;me des &eacute;l&eacute;ments figuratifs peuvent devenir abstraits si leur fonction narrative cesse d&rsquo;&ecirc;tre &eacute;vidente<a href="#nbp12" id="footnoteref12_6m6goan" name="liennbp12" title="Jan Baetens, « Abstraction in Comics », SubStance 40.1 (2011), p. 96 (notre traduction). ">12</a>. </em></q></p> <p>En effet, pour Baetens l&rsquo;abstraction est un concept qui se construit plus qu&rsquo;il n&rsquo;est intrins&egrave;quement<a href="#nbp13" id="footnoteref13_89jlfkl" name="liennbp13" title="Ibid., p. 107.">13</a>, tant le lecteur est prompt &agrave; recomposer un r&eacute;cit m&ecirc;me l&agrave; o&ugrave; il n&rsquo;y en avait pas &agrave; l&rsquo;origine<a href="#nbp14" id="footnoteref14_tyko56h" name="liennbp14" title="Ibid., p. 108.">14</a>. Cette d&eacute;finition signifie donc que la bande dessin&eacute;e abstraite vient pr&eacute;cis&eacute;ment attaquer l&rsquo;une des caract&eacute;ristiques majeures du roman graphique (sa narration riche) en laissant intactes ses qualit&eacute;s picturales.</p> <p>Il est en outre important de distinguer, comme le fait Groensteen &agrave; propos du recueil <em>Abstract Comics Anthology </em>d&rsquo;Andrei Molotiu (paru en 2009), les &laquo;&nbsp;bandes dessin&eacute;es abstraites&nbsp;&raquo; &mdash; que Groensteen d&eacute;finit, de mani&egrave;re vague, comme &laquo;&nbsp;des s&eacute;quences de dessins abstraits&nbsp;&raquo; &mdash; des &laquo;&nbsp;bandes dessin&eacute;es infranarratives&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;des s&eacute;quences de dessins qui contiennent des &eacute;l&eacute;ments figuratifs mais dont la juxtaposition ne produit pas de narration<a href="#nbp15" id="footnoteref15_lo0a4zp" name="liennbp15" title="Thierry Groensteen, Bande dessinée et narration, op. cit., p. 8.">15</a> &raquo;. Ainsi chaque image conserve son potentiel narratif, mais ce potentiel ne s&rsquo;additionne pas pour former un r&eacute;cit global et coh&eacute;rent. Cela permet de percevoir une planche de bande dessin&eacute;e abstraite &laquo;&nbsp;aussi bien [&hellip;] sur le mode du tableau c&rsquo;est-&agrave;-dire comme une image globale, travers&eacute;e par un r&eacute;seau de lignes orthogonales (&agrave; la Mondrian). En ce cas, les rapports entre les zones (on &eacute;vitera de parler encore de vignettes) sont de simples rapports spatiaux produisant un effet de champ&nbsp;&raquo;, que par un&nbsp;&laquo;&nbsp;d&eacute;chiffrement lin&eacute;aire, c&rsquo;est-&agrave;-dire une lecture, m&ecirc;me s&rsquo;il est d&rsquo;embl&eacute;e &eacute;vident que les images, ici, ne repr&eacute;sentent et, partant, ne racontent rien, si tant est que le dispositif est reconnu comme typique de la bande dessin&eacute;e<a href="#nbp16" id="footnoteref16_bwhotr7" name="liennbp16" title="Ibid., p. 9.">16</a> &raquo;.</p> <p>Dans le domaine francophone, des exemples ant&eacute;rieurs &agrave; 2009 existent, comme la rubrique r&eacute;currente de la revue <em>Bile noire</em> de l&rsquo;&eacute;diteur suisse Atrabile (entre 2003 et 2007) ou le livre <em>Bleu </em>de Lewis Trondheim (2006). Mais si nous avons retenu comme exemple principal le travail de Jochen Gerner, c&rsquo;est parce qu&rsquo;il d&eacute;coule d&rsquo;un proc&eacute;d&eacute; syst&eacute;matique de transformation de bandes dessin&eacute;es pr&eacute;-existantes<a href="#nbp17" id="footnoteref17_yb46wnj" name="liennbp17" title="Ainsi que d’autres sources visuelles, comme les catalogues des magasins Ikea. Rappelons que Jochen Gerner fait également partie de l’OuBaPo, ce qui explique ce goût pour les contraintes transformatives.">17</a>; en d&rsquo;autres termes, un travail d&rsquo;abstraction de r&eacute;cits tout &agrave; fait conventionnels. En effet, comme le pr&eacute;cise Christophe Gallois, les planches d&rsquo;<em>Abstraction (1941-1968)</em> sont &laquo;&nbsp;bas&eacute;es sur une bande dessin&eacute;e anonyme publi&eacute;e en 1968 au sein de la revue <em>Navy</em>, r&eacute;cit d&rsquo;une bataille navale situ&eacute;e pendant la Seconde Guerre mondiale. Des images qui composent ce fascicule &ndash; pour la plupart, donc, des sc&egrave;nes d&rsquo;action en mer &ndash;, n&rsquo;ont &eacute;t&eacute; conserv&eacute;s que les motifs graphiques &ndash; traits, ronds, points, hachures, etc. &ndash;, qui s&rsquo;apparentent d&eacute;sormais &agrave; des compostions abstraites. [&hellip;] &ldquo;Parfois, on voit un fant&ocirc;me de l&rsquo;image pr&eacute;c&eacute;dente&rdquo;, pr&eacute;cise [Gerner]<a href="#nbp18" id="footnoteref18_54rklmc" name="liennbp18" title="Christophe Gallois, « Jochen Gerner, le travail de la citation », Jochen Gerner, Paris, Éditions B42, 2015, p. 12.">18</a> &raquo;. Ce qui est &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre chez Gerner est en effet cette superposition de couches et, partant, cette interrogation de la tension entre narration et abstraction, soulign&eacute;e par la reproduction, en &eacute;pigraphe du livre, du texte du premier cartouche de la bande dessin&eacute;e source. &laquo;&nbsp;Sans cette introduction&nbsp;&raquo;, &eacute;crit Jean-Charles Andrieu de Levis, &laquo;&nbsp;le lecteur assisterait &agrave; une bataille anonyme dans un contexte arbitraire choisi par lui-m&ecirc;me. Si cette introduction permet de bien visualiser un combat de la seconde guerre mondiale, elle n&rsquo;est pas indispensable au fonctionnement du r&eacute;cit, mais rend sa lecture plus dirig&eacute;e<a href="#nbp19" id="footnoteref19_lo89tc6" name="liennbp19" title="Jean-Charles Andrieu de Lévis, « Abstraction (1941-1968) », du9, mars 2012, en ligne : http://www.du9.org/chronique/abstraction-1941-1968/ (consulté le 25 juin 2016).">19</a> &raquo;. Par cette direction, les images de Gerner continuent d&rsquo;&ecirc;tre &laquo;&nbsp;travaill&eacute;e[s] par du r&eacute;cit de mani&egrave;re plus ou moins souterraine<a href="#nbp20" id="footnoteref20_8awpd9y" name="liennbp20" title="Christian Rosset, « Recouvrir/dévoiler ou la méthode Gerner », Abstraction (1941-1968), Paris, l’Association, 2012, n. p.">20</a> &raquo; ; sans aller jusqu&rsquo;&agrave; la litt&eacute;rarit&eacute; du roman graphique, elles en c&ocirc;toient l&rsquo;intention pour mieux tirer le propos du c&ocirc;t&eacute; du dessin. &laquo;&nbsp;Je kidnappe le pass&eacute; pour explorer le futur&nbsp;&raquo;, d&eacute;clare Gerner dans un entretien avec Tom McCarthy<a href="#nbp21" id="footnoteref21_zrt8ugi" name="liennbp21" title="Jochen Gerner et Tom McCarthy, « Ping-Pong », Jochen Gerner, op. cit., p. 12.">21</a>; un futur de potentialit&eacute;s pour la bande dessin&eacute;e qui n&rsquo;exclut ni la force du r&eacute;cit, ni celle du graphisme.</p> <p>L&rsquo;autre tension explor&eacute;e par Gerner est celle entre l&rsquo;&oelig;uvre comme s&eacute;rie de tableaux et comme s&eacute;rie de planches. En effet, alors que les planches d&rsquo;<em>Abstraction</em> &eacute;taient originellement expos&eacute;es, elles sont ici &laquo;&nbsp;r&eacute;organis&eacute;es, ordonn&eacute;es en un livre reli&eacute; dans lequel elles se font d&eacute;sormais face. Elles adoptent ainsi une logique de lecture<a href="#nbp22" id="footnoteref22_kalmj87" name="liennbp22" title="Jean-Charles Andrieu de Lévis, « Abstraction (1941-1968) », art. cit.">22</a> &raquo;. Gerner, qui de son aveu m&ecirc;me s&rsquo;int&eacute;resse &laquo;&nbsp;plus qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;original, vraiment au support livre, au support imprim&eacute;<a href="#nbp23" id="footnoteref23_mgohsn2" name="liennbp23" title="Xavier Guilbert, « Jochen Gerner », du9, février 2013, en ligne : http://www.du9.org/entretien/jochen-gerner/ (consulté le 25 juin 2016).">23</a> &raquo; partage en ce sens avec le roman graphique, ainsi qu&rsquo;avec nos autres exemples, l&rsquo;id&eacute;e du livre comme unit&eacute;, pour reprendre les propos de Jan Baetens<a href="#nbp24" id="footnoteref24_wnpjjz5" name="liennbp24" title="Jan Baetens, « Le roman graphique », art. cit., p. 213.">24</a>. C&rsquo;est cette unit&eacute; du volume qui permet de remettre au centre du propos sa mat&eacute;rialit&eacute;.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>2. La bande dessin&eacute;e face &agrave; sa mat&eacute;rialit&eacute;</strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>Consid&eacute;rer le livre de bande dessin&eacute;e comme unit&eacute;, c&rsquo;est aller du c&ocirc;t&eacute; de ce qu&rsquo;Henri Meschonnic appelle en po&eacute;sie la forme-sens&nbsp;: &laquo;&nbsp;Seule une conception de l&rsquo;&oelig;uvre comme &eacute;criture, non ornement, peut se garder du vieux dualisme du &ldquo;fond&rdquo; et de la &ldquo;forme&rdquo; et montrer l&rsquo;&oelig;uvre comme forme-sens &ndash; rh&eacute;torique travers&eacute;e prenant le nouveau visage d&rsquo;un style<a href="#nbp25" id="footnoteref25_sew73rf" name="liennbp25" title="Henri Meschonnic, Pour la poétique I, Paris, Éditions Gallimard, 1970, pp. 20-21.">25</a> &raquo;. Le livre ne peut plus &ecirc;tre un espace neutre, et devient n&eacute;cessairement un &laquo;&nbsp;objet total&nbsp;&raquo;, pour utiliser les termes de Carl Malmgren<a href="#nbp26" id="footnoteref26_bs4hs9j" name="liennbp26" title="Carl Malmgren, Fictional Space in the Modernist and Postmodernist American Novel, Londres, Associated University Presses, 1985, p. 25.">26</a>. Il a une existence spatiale, qui remet &eacute;galement en jeu (dans tous les sens du terme) l&rsquo;acte de lecture lui-m&ecirc;me, poussant le lecteur, dans la tradition postmoderniste, &agrave; manipuler le r&eacute;cit tout autant que ce dernier le manipule. Nous pensons ici, bien &eacute;videmment, aux &oelig;uvres de Chris Ware comme exemples d&rsquo;objets o&ugrave; tout, des dimensions des livres au grammage du papier, est r&eacute;fl&eacute;chi pour faire &eacute;cho, voire sens, avec le r&eacute;cit propos&eacute;. D&rsquo;autres exp&eacute;rimentations, rendues possibles par les avanc&eacute;es techniques en mati&egrave;re de conception et d&rsquo;impression, existent ; ainsi <em>Thomas &amp; Manon</em> (2015) de Alex Chauvrel et R&eacute;mi Farnos, dont rien n&rsquo;indique de prime abord qu&rsquo;il s&rsquo;agisse d&rsquo;une bande dessin&eacute;e si ce n&rsquo;est la mention discr&egrave;te des &Eacute;ditions Polystyr&egrave;ne sur l&rsquo;une des faces du cube que constitue l&rsquo;objet (on ne peut gu&egrave;re continuer &agrave; le qualifier de livre). Les objets litt&eacute;raires ou dessin&eacute;s cubiques sont rares&nbsp;: en bande dessin&eacute;e, on peut citer <em>Un fanzine carr&eacute; num&eacute;ro C</em> (2013) et <em>Le pav&eacute; de Paris </em>d&rsquo;Emmanuel Guibert (2004), qui demeurent des livres &agrave; feuilleter, tandis que <em>Thomas &amp; Manon </em>est davantage destin&eacute; &agrave; s&rsquo;&eacute;taler. En effet, le r&eacute;cit se pr&eacute;sente ici sous la forme de 200 tuiles qui sont autant de cases que le lecteur peut agencer &agrave; loisir, permutant les <em>strips </em>potentiels en qu&ecirc;te de sens. La lecture cesse alors de s&rsquo;envisager comme l&rsquo;exploration d&rsquo;une s&eacute;rie de couches s&eacute;dimenteuses ou d&rsquo;un &laquo;&nbsp;multicadre feuillet&eacute;<a href="#nbp27" id="footnoteref27_ic4seul" name="liennbp27" title="Thierry Groensteen, Bande dessinée et narration, op. cit., p. 119.">27</a> &raquo;, et s&rsquo;aborde, par l&rsquo;assemblage des cases, comme une exploration en mouvement, une cartographie &eacute;ph&eacute;m&egrave;re, rappelant en cela les observations de Marie-Claire Ropars-Wuilleumier &agrave; propos de la circulation dans un texte comme acte spatial : &laquo;&nbsp;Le point central est de dispersion, le volume se fait mouvement, la r&eacute;gion appartient &agrave; l&rsquo;errance, et la place se trouve soumise au d&eacute;placement incessant de ses coordonn&eacute;es<a href="#nbp28" id="footnoteref28_3noii98" name="liennbp28" title="Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, Écrire l’espace, Vincennes, Presses Universitaires de Vincennes, 2012, p. 10.">28</a> &raquo;. Le r&eacute;cit continue d&rsquo;&ecirc;tre une unit&eacute;, mais ce n&rsquo;est plus celle du livre &agrave; laquelle se rattache le roman graphique&nbsp;: au contraire, <em>Thomas &amp; Manon </em>se pr&eacute;sente au premier abord comme un volume inhabituel (car ne correspondant pas aux dimensions conventionnelles d&rsquo;une bande dessin&eacute;e) pour mieux d&eacute;jouer les attentes de ses lecteurs en insistant sur la surface plane que repr&eacute;sentent ses tuiles. &Agrave; cette bidimensionnalit&eacute; r&eacute;pond la possibilit&eacute; d&rsquo;une lecture forc&eacute;ment renouvel&eacute;e &agrave; chaque ouverture du cube, une fa&ccedil;on peut-&ecirc;tre de rappeler que le num&eacute;rique n&rsquo;a pas la primaut&eacute; du r&eacute;cit instable.</p> <p>L&agrave; o&ugrave; la manipulation de l&rsquo;objet <em>Thomas &amp; Manon </em>appelle &agrave; la relecture, celle de <em>Un cadeau </em>(2013), de Florent Ruppert et J&eacute;rome Mulot, refuse m&ecirc;me une seconde lecture de l&rsquo;ouvrage. Ruppert et Mulot, qui publient quasi-syst&eacute;matiquement en duo, interrogent dans leur &oelig;uvre &agrave; la fois le format de la bande dessin&eacute;e &ndash; de l&rsquo;album aux dimensions plus ou moins standards au petit format, en passant par la bande dessin&eacute;e sous forme de journal &ndash; et sa mat&eacute;rialit&eacute; depuis leurs d&eacute;buts. Le r&eacute;cit d&rsquo;<em>Un cadeau </em>se d&eacute;roule dans une salle d&rsquo;autopsie&nbsp;: l&rsquo;ouvrage se pr&eacute;sente comme une succession de couches de papier plut&ocirc;t que de pages, que le lecteur doit inciser et ouvrir pour progresser dans sa lecture, imitant ainsi les gestes des deux protagonistes du r&eacute;cit. &laquo;&nbsp;Le livre est un objet vivant&nbsp;&raquo;, rappellent les auteurs dans un entretien<a href="#nbp29" id="footnoteref29_x6rczof" name="liennbp29" title="Mélissa Bounoua et Amandine Schmitt, « On voulait parler de sexualité en BD sans donner envie de faire l’amour », BibliObs, 31 janvier 2014, en ligne : http://bibliobs.nouvelobs.com/angouleme-2014/20140201.OBS4684/ruppert-mulot-on-voulait-parler-de-sexualite-en-bd-sans-donner-envie-de-faire-l-amour.html (consulté le 25 juin 2016).">29</a>: ici, il serait plut&ocirc;t question de sa mise &agrave; mort, en tout cas en tant que succession de pages. Comme avec <em>Thomas &amp; Manon</em>, c&rsquo;est le principe m&ecirc;me de livre qui est remis en question, un peu plus violemment par Ruppert et Mulot que par Chauvrel et Farnos. Dans <em>Un cadeau</em>, la forme &eacute;pouse une fois de plus le sens, faisant du livre un objet fragile qu&rsquo;il ne faut pas h&eacute;siter &agrave; attaquer, tant &laquo;&nbsp;lire, c&rsquo;est devoir tailler dans le vif&nbsp;&raquo;, comme l&rsquo;&eacute;crit Christian Rosset<a href="#nbp30" id="footnoteref30_xilg1jj" name="liennbp30" title="  Christian Rosset, Éclaircies sur le terrain vague, Paris, l’Association, 2015, p. 252.">30</a>.</p> <p>La deuxi&egrave;me force de <em>Un cadeau</em>, au-del&agrave; de sa proposition de lecture en forme de blague potache, est d&rsquo;offrir une lecture en profondeur qui laisse les strates pr&eacute;c&eacute;dentes toujours visibles, venant l&agrave; aussi rappeler l&rsquo;importance du volume d&rsquo;un livre, m&ecirc;me peu &eacute;pais, dans le processus de dissection d&rsquo;une &oelig;uvre.&nbsp;&laquo;&nbsp;Ce qui aura marqu&eacute; le tournant du XIX<sup>e</sup> et du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle&nbsp;&raquo;, &eacute;crit Tristan Garcia, &laquo;&nbsp;&ccedil;a aura &eacute;t&eacute; la remise &agrave; plat du texte avec l&rsquo;image &ndash; l&rsquo;affiche, la feuille de journal, l&rsquo;enseigne publicitaire, la po&eacute;sie d&rsquo;avant-garde&hellip; Ce qui marque le passage du XX<sup>e</sup> au XXI<sup>e</sup> si&egrave;cle, c&rsquo;est la projection de ces images dans le fantasme de la tridimensionnalit&eacute;<a href="#nbp31" id="footnoteref31_98kbml2" name="liennbp31" title="Tristan Garcia, « Quelle est l’épaisseur d’une image ? », Transactions photolittéraires, Jean-Pierre Montier (éd.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015, p. 269.">31</a> &raquo;. On d&eacute;passe ici &laquo;&nbsp;l&rsquo;effet de surface<a href="#nbp32" id="footnoteref32_iupqbr2" name="liennbp32" title="Ibid., p. 261.">32</a> &raquo; habituellement pr&eacute;sent en bande dessin&eacute;e ou dans d&rsquo;autres m&eacute;diums faisant appel &agrave; l&rsquo;image (notamment en photographie) pour, &agrave; l&rsquo;instar de Jonathan Safran Foer avec son ouvrage <em>Tree of Codes </em>(2010), offrir au lecteur un vrai relief en creux qui permet de (se) plonger litt&eacute;ralement dans le livre.</p> <p>On voit ais&eacute;ment la tendance qui se d&eacute;gage, avec ces deux ouvrages, du jeu avec la mat&eacute;rialit&eacute;&nbsp;: insister sur celle-ci, c&rsquo;est aussi appeler &agrave; une plus grande immersion dans le r&eacute;cit, <em>via </em>l&rsquo;interaction avec l&rsquo;objet. On n&rsquo;est jamais tr&egrave;s loin de la &laquo;&nbsp;lecture comme jeu&nbsp;&raquo;, pour reprendre le titre de l&rsquo;ouvrage c&eacute;l&egrave;bre de Michel Picard<a href="#nbp33" id="footnoteref33_yb15sny" name="liennbp33" title="Michel Picard, La Lecture comme jeu, Paris, Éditions de Minuit, 1986. Voir notamment pp. 190-215.">33</a>, et ce basculement vers le ludique est tout &agrave; fait concr&eacute;tis&eacute; dans une bande dessin&eacute;e comme <em>Vanille ou chocolat&nbsp;?</em> (2012) du dessinateur am&eacute;ricain Jason Shiga<a href="#nbp34" id="footnoteref34_jhn4x5s" name="liennbp34" title="Publié aux États-Unis en 2010 sous le titre Meanwhile.">34</a>. L&rsquo;album, pourvu d&rsquo;un mode d&rsquo;emploi, se pr&eacute;sente explicitement comme ludique. Son protagoniste, Jimmy, rencontre en effet un savant qui lui propose de tester ses inventions, lui permettant de voyager dans le temps ou de contr&ocirc;ler l&rsquo;entropie en cr&eacute;ant des univers parall&egrave;les. L&agrave; encore, le lecteur est soumis aux m&ecirc;mes choix que Jimmy, et doit naviguer &agrave; travers un complexe syst&egrave;me d&rsquo;onglets et de connecteurs pour parvenir jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;une des fins que propose le r&eacute;cit. L&rsquo;ordre de lecture n&rsquo;est donc pas fixe puisque, comme le revendique la couverture de l&rsquo;ouvrage, &laquo;&nbsp;3856 possibilit&eacute;s narratives&nbsp;&raquo; s&rsquo;offrent au lecteur, et que l&rsquo;ordonnancement des cases ne suit que rarement le sens occidental conventionnel.</p> <p>Il est donc possible de gagner ou de perdre dans <em>Vanille ou chocolat&nbsp;?</em>, un livre qui comporte &eacute;galement des codes qui permettent de d&eacute;bloquer certaines possibilit&eacute;s narratives. Impossible de lire cette &oelig;uvre OuBaPienne par feuilletage&nbsp;: &agrave; la mani&egrave;re des univers parall&egrave;les imagin&eacute;s par le Professeur K., de nombreuses doubles pages pr&eacute;sentent plusieurs variantes d&rsquo;un m&ecirc;me &eacute;v&eacute;nement, voire se r&eacute;p&egrave;tent enti&egrave;rement, dans une tentative de d&eacute;courager toute tentative de triche (pour prolonger l&rsquo;analogie avec le jeu de soci&eacute;t&eacute;). Par ailleurs, deux doubles pages sont accessibles <em>seulement</em> par feuilletage, contribuant &agrave; accentuer la tension qui existe dans <em>Vanille ou chocolat&nbsp;?</em> entre deux modes de lecture irr&eacute;conciliables.</p> <p>Interactif par nature, l&rsquo;album de Shiga pr&eacute;sente une forme qui ne ressemble &agrave; aucune autre dans sa mat&eacute;rialit&eacute;. <em>Vanille ou chocolat </em>se d&eacute;tache presque enti&egrave;rement des codes de la bande dessin&eacute;e conventionnelle (sens de lecture, cases cons&eacute;cutives, etc.)&nbsp;: mod&egrave;le de r&eacute;cit pluri-narratif, il nous permet d&rsquo;envisager une troisi&egrave;me fa&ccedil;on de s&rsquo;&eacute;loigner du mod&egrave;le du roman graphique, et n&rsquo;est pas le seul &agrave; emprunter cette voie.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>3. De nouvelles modalit&eacute;s de lecture</strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>La pluri-narration telle qu&rsquo;elle est pr&eacute;sente dans <em>Vanille ou chocolat </em>peut se consid&eacute;rer, en bande dessin&eacute;e, comme une variante &agrave; grande &eacute;chelle de la pluri-lecturabilit&eacute;, contrainte OuBaPienne d&eacute;finie ainsi par Thierry Groensteen&nbsp;: &laquo;&nbsp;Une id&eacute;e simple&nbsp;: un dessin n&rsquo;a pas besoin d&rsquo;&ecirc;tre r&eacute;p&eacute;t&eacute; pour &ecirc;tre vu ou lu plusieurs fois. Il suffit que le lecteur soit invit&eacute; &agrave; suivre des yeux un parcours qui l&rsquo;am&egrave;ne &agrave; passer plus d&rsquo;une fois par la m&ecirc;me vignette, ou que plusieurs parcours concurrents lui soient propos&eacute;s, une m&ecirc;me vignette participant alors de diff&eacute;rentes s&eacute;quences et s&rsquo;offrant &agrave; autant de lectures<a href="#nbp35" id="footnoteref35_iruxi5t" name="liennbp35" title="Thierry Groensteen, « Premier bouquet de contraintes », Oupus 1, Paris, l’Association, 1997, p. 26.">35</a> &raquo;.</p> <p>S&rsquo;inspirant des travaux de l&rsquo;OuLiPo sur la litt&eacute;rature combinatoire<a href="#nbp36" id="footnoteref36_qcg0q98" name="liennbp36" title="Voir Claude Berge, « Pour une analyse potentielle de la littérature combinatoire », Oulipo, la littérature potentielle, Paris, Éditions Gallimard, 1973, pp. 47-61.">36</a>, l&rsquo;OuBaPo s&rsquo;est naturellement int&eacute;ress&eacute; assez rapidement aux fa&ccedil;ons d&rsquo;arranger autrement les cases sur la planche que par un encha&icirc;nement lin&eacute;aire&nbsp;; parce que la notion de mise en page constitue l&rsquo;un des piliers de l&rsquo;&eacute;criture graphique, il &eacute;tait n&eacute;cessaire pour l&rsquo;OuBaPo de la remettre en question.</p> <p>Groensteen, apr&egrave;s cette premi&egrave;re d&eacute;finition de la pluri-lecturabilit&eacute;, a &eacute;largi la question en pr&eacute;f&eacute;rant &agrave; ce premier terme, dans un ouvrage paru en 2011, celui de plurilin&eacute;arit&eacute; ou &laquo;&nbsp;r&eacute;cit bifurquant&nbsp;&raquo;. La pluri-lecturabilit&eacute; correspond &agrave; des exemples comme l&rsquo;acrostrip (on peut lire une s&eacute;rie de strips horizontalement ou verticalement), la bande dessin&eacute;e palindrome (chaque case est r&eacute;p&eacute;t&eacute;e sym&eacute;triquement &agrave; partir de l&rsquo;apparition d&rsquo;une case centrale), ou encore les bandes dessin&eacute;es dans lesquelles il y aurait, physiquement, un trou dans l&rsquo;album, qui am&egrave;nerait le lecteur &agrave; lire deux fois la (les) m&ecirc;me(s) case(s). La contrainte de pluri-lecturabilit&eacute; peut donc ne concerner qu&rsquo;une case, et ne remettre en jeu qu&rsquo;un seul passage de lecture, l&agrave; ou la plurilin&eacute;arit&eacute; concerne un r&eacute;cit entier. Ce qui est d&egrave;s lors en jeu, c&rsquo;est bien &laquo;&nbsp;la notion de page&nbsp;&raquo; telle que la d&eacute;finit Groensteen&nbsp;: &laquo; &Agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;une page, le parcours de lecture propos&eacute; ne peut mener que d&rsquo;un point d&eacute;termin&eacute; &agrave; un autre point d&eacute;termin&eacute;. L&rsquo;introduction de la plurilin&eacute;arit&eacute;, c&rsquo;est-&agrave;-dire de chemins qui se croisent, lib&egrave;re l&rsquo;op&eacute;ration du d&eacute;coupage de l&rsquo;interaction &eacute;troite qu&rsquo;il entretient ordinairement avec la mise en page. Toute l&rsquo;&eacute;conomie du syst&egrave;me spatio-topique s&rsquo;en trouve boulevers&eacute;e<a href="#nbp37" id="footnoteref37_p1oqdy7" name="liennbp37" title="Thierry Groensteen, Bande dessinée et narration, op. cit., p.79.">37</a> &raquo;.</p> <p>Cependant, le terme &laquo;&nbsp;plurilin&eacute;arit&eacute;&nbsp;&raquo; nous semble trop restreint puisqu&rsquo;il met en avant cette notion de lin&eacute;arit&eacute; qui est battue en br&egrave;che, par exemple, dans <em>Vanille ou chocolat&nbsp;?</em>. Par ailleurs, comme le note Ann Miller,&nbsp;&laquo;&nbsp;la potentialit&eacute; de la bande dessin&eacute;e &agrave; encourager la prise de conscience des relations non-lin&eacute;aires est d&eacute;courag&eacute;e lorsque le lecteur est incit&eacute; &agrave; suivre une s&eacute;rie de connections lin&eacute;aires, la plupart du temps assur&eacute;es par la continuit&eacute; (relativement t&eacute;nue) du dialogue, les images &eacute;tant r&eacute;duites &agrave; une fonction illustratives<a href="#nbp38" id="footnoteref38_i9elrfe" name="liennbp38" title="Ann Miller, « Oubapo: A Verbal/Visual Medium Is Subjected To Constraints », Word &amp; Image XXIII/2 (2007), p. 124.">38</a> &raquo;. &Eacute;riger la lin&eacute;arit&eacute; au rang de principe, c&rsquo;est encore et toujours encourager une certaine conception du r&eacute;cit qui, malgr&eacute; ses atours exp&eacute;rimentaux, ne s&rsquo;&eacute;loigne gu&egrave;re de la litt&eacute;rarit&eacute; pr&ocirc;n&eacute;e par le roman graphique. Il est donc pr&eacute;f&eacute;rable d&rsquo;y pr&eacute;f&eacute;rer le terme &laquo;&nbsp;plurinarration&nbsp;&raquo;, qui permet d&rsquo;aller plus loin et d&rsquo;examiner des r&eacute;cits labyrinthiques (comme celui de Shiga), ou cycliques, comme ceux de Leif Tande et Ray Fawkes.</p> <p><em>Morlac</em>, de Leif Tande (2005), est un exemple int&eacute;ressant &agrave; plus d&rsquo;un titre, &agrave; commencer par son absence de texte qui nous autorise &agrave; minimiser les critiques d&rsquo;Ann Miller sur les r&eacute;cits bifurquants. D&rsquo;autre part, son r&eacute;cit, relativement sobre &ndash; un homme en costume et portant une mallette d&eacute;ambule dans un b&acirc;timent &ndash; nous permet de nous concentrer sur sa m&eacute;canique de mise en page. Les cases de <em>Morlac</em>, &agrave; premi&egrave;re vue, ne r&eacute;pondent pas &agrave; un principe de s&eacute;quentialit&eacute; (l&rsquo;action d&eacute;but&eacute;e dans une case se prolonge dans la suivante selon l&rsquo;ordre de lecture occidental) mais de superposition&nbsp;: l&rsquo;action d&eacute;but&eacute;e dans une case se prolonge dans la case occupant les m&ecirc;mes coordonn&eacute;es spatiales sur la page suivante. Ce principe d&eacute;j&agrave; d&eacute;routant se complexifie lorsque l&rsquo;on comprend, &agrave; l&rsquo;instar de Xavier Guilbert, que Tande &laquo;&nbsp;utilise la &ldquo;grille&rdquo; de trois cases par quatre d&rsquo;une page comme autant d&rsquo;univers parall&egrave;les [&hellip;] permettant &agrave; certains de ses personnages de descendre d&rsquo;un &eacute;tage, de passer d&rsquo;une case-couloir &agrave; l&rsquo;autre, voire m&ecirc;me de se croiser [soi-m&ecirc;me] dans un jeu de paradoxes r&eacute;jouissant<a href="#nbp39" id="footnoteref39_018l9a8" name="liennbp39" title="Xavier Guilbert, « Morlac », du9, avril 2006, en ligne : http://www.du9.org/chronique/morlac/ (consulté le 25 juin 2016).">39</a> &raquo;. <em>Morlac </em>met volontairement &agrave; mal le principe de coordination espace-temps qui r&eacute;git la plupart des bandes dessin&eacute;es, faisant de ses cases des lieux fixes, comme l&rsquo;&eacute;crit Jean-Michel Berthiaume&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Le personnage escalade les goutti&egrave;res afin de passer d&rsquo;une case &agrave; l&rsquo;autre. Par cons&eacute;quent, l&rsquo;espace auparavant virtuel de la goutti&egrave;re devient tangible. La goutti&egrave;re devient simultan&eacute;ment un lieu et un non-lieu dans la bande dessin&eacute;e, offrant donc un paradoxe fort riche &agrave; l&rsquo;exploitation<a href="#nbp40" id="footnoteref40_0r36rty" name="liennbp40" title="Jean-Michel Berthiaume, Concaténation en continu, Montréal, Université de Concordia, 2012, p. 55.">40</a> &raquo;. Le titre du r&eacute;cit, enfin, nous &eacute;claire &ndash; comme dans le cas des &oelig;uvres abstraites &ndash; sur sa volont&eacute; d&rsquo;abolir toute lin&eacute;arit&eacute;&nbsp;: il d&eacute;rive en effet de la contrainte OuBaPienne du &laquo;&nbsp;Morlaque&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire des r&eacute;cits qui se &laquo;&nbsp;mordent la queue&nbsp;&raquo; (inspir&eacute; de la contrainte OuLiPienne des cylindres<a href="#nbp41" id="footnoteref41_7yos1tf" name="liennbp41" title="Une application de cette contrainte est lisible dans Chamboula de Paul Fournel.">41</a>). Il n&rsquo;y a pas d&rsquo;autre issue au r&eacute;cit que son recommencement, et l&rsquo;on comprend alors pourquoi il est n&eacute;cessaire &agrave; <em>Morlac</em> de rev&ecirc;tir les atours formels d&rsquo;un album conventionnel&nbsp;: la surprise n&rsquo;en est que plus grande lorsque l&rsquo;on comprend &ecirc;tre en face d&rsquo;un r&eacute;cit qui ne r&eacute;pond &agrave; presque aucun code connu de la bande dessin&eacute;e.</p> <p>Il convient cependant d&rsquo;observer, avec Xavier Guilbert, que les cases <em>Morlac </em>ont une &laquo;&nbsp;tendance r&eacute;p&eacute;t&eacute;e [&hellip;] &agrave; entrer &ldquo;en r&eacute;sonnance&rdquo; les unes avec les autres<a href="#nbp42" id="footnoteref42_n1x5td0" name="liennbp42" title="Xavier Guilbert, « Morlac », art. cit.">42</a> &raquo; : ramenant ponctuellement l&rsquo;attention du lecteur &agrave; l&rsquo;organisation de la planche, Tande s&rsquo;amuse ponctuellement &agrave; faire co&iuml;ncider des motifs visuels (comme un gros plan sur un visage) dans toutes les cases d&rsquo;une m&ecirc;me page. C&rsquo;est la m&ecirc;me tension, de fa&ccedil;on beaucoup plus syst&eacute;matique, qui habite &eacute;galement <em>One Soul </em>de Ray Fawkes (2011), qualifi&eacute; de &laquo;&nbsp;graphic novel&nbsp;&raquo; sur son quatri&egrave;me de couverture et en reprenant les codes, y compris l&rsquo;ambition litt&eacute;raire. <em>One Soul</em>, dont les huit premi&egrave;res planches &eacute;voquent la bande dessin&eacute;e abstraite, peut en effet se lire de deux fa&ccedil;ons&nbsp;: conventionnellement, en lisant une case apr&egrave;s l&rsquo;autre, ce qui r&eacute;v&egrave;le de nombreux jeux de sym&eacute;trie (visuels comme verbaux), chaque double page &eacute;tant math&eacute;matiquement divis&eacute;e en dix-huit cases de m&ecirc;me taille qui pr&eacute;sentent dix-huit vies diff&eacute;rentes &agrave; la m&ecirc;me p&eacute;riode de d&eacute;veloppement (naissance, enfance, adolescence, &acirc;ge adulte, vieillesse, mort). Ces vies se r&eacute;pondent mais s&rsquo;effleurent seulement, et il appara&icirc;t vite, sans que rien ne l&rsquo;indique, que relire <em>One Soul </em>de la m&ecirc;me mani&egrave;re que <em>Morlac</em> est essentiel pour saisir les subtilit&eacute;s du (ou des) r&eacute;cit(s). C&rsquo;est l&agrave; encore le titre de l&rsquo;ouvrage qui en fournit la clef&nbsp;: ces dix-huit vies sont en r&eacute;alit&eacute; diff&eacute;rentes incarnations d&rsquo;une m&ecirc;me &acirc;me &agrave; travers les &acirc;ges, un r&eacute;cit &agrave; la fois unique et multiple.</p> <p>Comme l&rsquo;&eacute;crit Tamryn Bennet &agrave; propos des bandes dessin&eacute;es po&eacute;tiques, &laquo;&nbsp;<em>One Soul </em>r&eacute;v&egrave;le que les interpr&eacute;tations lin&eacute;aires conventionnelles ne sont pas n&eacute;gatives, elles sont simplement trop &eacute;troites pour contenir toutes les formes de bandes dessin&eacute;es, y compris les &oelig;uvres po&eacute;tiques, multi-s&eacute;quentielles et non-lin&eacute;aires, en particulier celles qui &ocirc;tent les structures de case et de grille. &Agrave; l&rsquo;oppos&eacute;, la segmentivit&eacute; ne limite pas la po&eacute;sie ou la bande dessin&eacute;e &agrave; des formes purement lin&eacute;aires ou non-lin&eacute;aires, et ne sugg&egrave;re pas non plus que la po&eacute;sie est ce qui permet &agrave; la bande dessin&eacute;e de s&rsquo;&eacute;chapper des contraintes lin&eacute;aires ou narratives. Elle d&eacute;montre plut&ocirc;t que consid&eacute;rer la bande dessin&eacute;e par le biais de la segmentivit&eacute; nous permet d&rsquo;analyser des composants individuels sous diverses combinaisons, qu&rsquo;elles soient lin&eacute;aires, non-lin&eacute;aires, multi-lin&eacute;aires, abstraites, narratives ou non-narratives<a href="#nbp43" id="footnoteref43_7usx5pc" name="liennbp43" title="Tamryn Bennet, « Comics Poetry », Image [&amp;] Narrative 15.2 (2014), p. 119 (notre traduction).">43</a> &raquo;. La segmentivit&eacute;, y compris dans une &oelig;uvre relativement conventionnelle dans son format et sa pr&eacute;sentation, peut &ecirc;tre utilis&eacute;e &agrave; des fins po&eacute;tiques qui d&eacute;multiplient les potentialit&eacute;s narratives de la bande dessin&eacute;e. Elle permet d&rsquo;&eacute;voluer depuis une lecture lin&eacute;aire de l&rsquo;&oelig;uvre vers une lecture tabulaire, telle qu&rsquo;elle est d&eacute;finie par Christian Vandendorpe&nbsp;: &laquo;&nbsp;La tabularit&eacute; d&eacute;signe tout ce qui rompt la lin&eacute;arit&eacute; du pr&eacute;l&egrave;vement d&rsquo;indices que le lecteur effectue en cours de lecture ; elle consiste &agrave; faire intervenir dans l&rsquo;&eacute;tablissement de la signification des informations puis&eacute;es &agrave; divers niveaux de la mat&eacute;rialit&eacute; du texte ou &agrave; des textes parall&egrave;les<a href="#nbp44" id="footnoteref44_93xtsrq" name="liennbp44" title="Christian Vandendorpe, « Sur l’avenir du livre : linéarité, tabularité et hypertextualité », Le livre. De Gutenberg à la carte à puce, J. Bénard et J.J. Hamm (éds.), New York, Legas, 1996, p. 151.">44</a> &raquo;. Outre la transformation du r&eacute;cit en un espace non n&eacute;cessairement chronologique, la lecture tabulaire &laquo;&nbsp;s&rsquo;oppose &agrave; une lecture lin&eacute;aire en ceci qu&rsquo;elle est le r&eacute;sultat de cette derni&egrave;re et de la relecture<a href="#nbp45" id="footnoteref45_8cxsem0" name="liennbp45" title="Groupe μ, Rhétorique de la poésie, Paris, Éditions du Seuil, 1990, p. 65.">45</a> &raquo;. En d&rsquo;autres termes, la tabularit&eacute; va de pair avec la relecture, et c&rsquo;est bien ce &agrave; quoi nous incite <em>One Soul</em>, &oelig;uvre chorale qui ne livre ses subtilit&eacute;s qu&rsquo;apr&egrave;s plusieurs parcours attentifs &agrave; travers ses pages.</p> <p>&nbsp;</p> <p>L&rsquo;ouvrage de Ray Fawkes le prouve&nbsp;: si d&rsquo;autres formes de bande dessin&eacute;e s&rsquo;organisent aujourd&rsquo;hui bien loin des codes &eacute;rig&eacute;s par le roman graphique, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse de r&eacute;duire &agrave; sa plus simple expression la notion de r&eacute;cit ou de remettre en question les caract&eacute;ristiques formelles de la bande dessin&eacute;e que l&rsquo;on pourrait tenir pour acquises, il est tout autant possible d&rsquo;innover en restant &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de cat&eacute;gories pr&eacute;d&eacute;finies.</p> <p>Les exemples d&eacute;velopp&eacute;s dans cet article (auxquels nous aurions pu ajouter bien d&rsquo;autres ouvrages, comme la production du FRMK<a href="#nbp46" id="footnoteref46_d9q30qd" name="liennbp46" title="La collection FRMK est issue du Frémok, un collectif regroupant les éditions du Fréon et d’Amok depuis 2002. Regroupant des auteurs comme Olivier Deprez, Dominique Goblet ou Vincent Fortemps, cette collection se rapproche davantage d’une forme de poésie visuelle mais trouve également des points de résonance vers la peinture, le cinéma ou la danse. Notons par ailleurs que, dans le discours du Frémok, la bande dessinée est située sur le même plan que les spectacles, installations et performances réalisées par les auteurs du collectif.">46</a>) montrent, d&rsquo;une part, que le roman graphique n&rsquo;est pas exactement aujourd&rsquo;hui un lieu d&rsquo;avant-garde pour la bande dessin&eacute;e. Il l&rsquo;a &eacute;t&eacute;, lorsqu&rsquo;il ne portait pas encore ce nom, jusqu&rsquo;aux ann&eacute;es 1990, mais il est raisonnable de penser que la r&eacute;cup&eacute;ration, par les gros &eacute;diteurs, du format et du contenu d&eacute;velopp&eacute; par les maisons d&rsquo;&eacute;ditions ind&eacute;pendantes, a n&eacute;cessairement limit&eacute; les terrains d&rsquo;exp&eacute;rimentation. La situation est parfaitement r&eacute;sum&eacute;e par &Eacute;ric Maigret&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le roman graphique devient une position avanc&eacute;e en territoire anciennement ennemi [&hellip;] L&rsquo;exemple le plus r&eacute;cent et probablement le plus spectaculaire est fourni par <em>Asterios Polyp </em>de David Mazzuchelli [&hellip;] L&rsquo;ouvrage, acclam&eacute; par la presse et volontiers consid&eacute;r&eacute; comme &ldquo;arty&rdquo;, brise de nombreux codes narratifs et graphiques [&hellip;] L&agrave; o&ugrave; cette avanc&eacute;e formelle devrait mener &agrave; un herm&eacute;tisme, dans un sch&eacute;ma distinctif classique, elle r&eacute;v&egrave;le la grande valeur (hi&eacute;rarchie intra-genre) d&rsquo;un auteur qui ne renonce pas dans son discours comme dans son &oelig;uvre &agrave; viser le grand public<a href="#nbp47" id="footnoteref47_6jwh45y" name="liennbp47" title="Éric Maigret, « Bande dessinée et postlégitimité », in La bande dessinée : une médiaculture, op. cit., pp. 143-144.">47</a> &raquo;. Une &oelig;uvre comme <em>Asterios Polyp </em>repr&eacute;sente l&rsquo;extr&eacute;mit&eacute; du territoire couvert par le roman graphique&nbsp;: la lib&eacute;ration du format et des formes par rapport &agrave; l&rsquo;album franco-belge ou le <em>comics </em>am&eacute;ricain permet &agrave; Mazzuchelli de s&rsquo;aventurer au-del&agrave; de ses productions pr&eacute;c&eacute;dentes, mais elle contraint dans le m&ecirc;me temps le roman graphique &agrave; ne pas d&eacute;passer les barri&egrave;res de ce qui peut &ecirc;tre &laquo;&nbsp;acclam&eacute; par la presse&nbsp;&raquo;, tant les consid&eacute;rations &eacute;conomiques jouent un r&ocirc;le important dans l&rsquo;affaire.</p> <p>D&rsquo;autre part, des &oelig;uvres comme <em>Abstraction (1941-1968)</em>, <em>Thomas &amp; Manon </em>ou <em>Morlac</em> d&eacute;montrent la n&eacute;cessit&eacute; de ne consid&eacute;rer le roman graphique que comme l&rsquo;une des extensions possibles de la bande dessin&eacute;e, aujourd&rsquo;hui majoritaire en termes de nombre d&rsquo;ouvrages mais nullement en termes d&rsquo;importance. Il est crucial d&rsquo;accorder la place qui convient &agrave; ces &oelig;uvres qui forcent la critique et la recherche &agrave; reconsid&eacute;rer ce que l&rsquo;on entend par &laquo;&nbsp;bande dessin&eacute;e&nbsp;&raquo;, et montrent que l&rsquo;avant-garde est toujours pr&eacute;sente dans ce champ&nbsp;: elle s&rsquo;est simplement d&eacute;plac&eacute;e vers d&rsquo;autres lieux.</p> <p>&nbsp;</p> <p>(<em>Universit&eacute; Paris-Sorbonne</em>)</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><strong>Notes et r&eacute;f&eacute;rences</strong></p> <p><a href="#liennbp1" name="nbp1">1</a> Thierry Groensteen, &laquo;&nbsp;Roman graphique&nbsp;&raquo;, <em>Neuvi&egrave;me art</em>, septembre 2012, en ligne&nbsp;: <a href="http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article448">http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article448</a> (consult&eacute; le 25 juin 2016).</p> <p><a href="#liennbp2" name="nbp2">2</a> Jean-Matthieu M&eacute;on, &laquo;&nbsp;Introduire le &ldquo;<em>graphic novel</em>&rdquo;&nbsp;&raquo;, communication au sein du congr&egrave;s international de l&rsquo;AFEA, 26 mai 2016 (texte communiqu&eacute; par l&rsquo;auteur).</p> <p><a href="#liennbp3" name="nbp3">3</a> Jan Baetens, &laquo;&nbsp;Le roman graphique&nbsp;&raquo;,<em> La Bande dessin&eacute;e. Une m&eacute;diaculture</em>, &Eacute;ric Maigret et Matteo Stefanelli (&eacute;d.), Paris, Armand Collin, 2012, p. 203.</p> <p><a href="#liennbp4" name="nbp4">4</a> Jean-Matthieu M&eacute;on, &laquo;&nbsp;Of Fumetti and Graphic Novels&nbsp;&raquo;, <em>Studies in Comics 4.1</em> (2013), p. 128 (notre traduction).</p> <p><a href="#liennbp5" name="nbp5">5</a> Thierry Groensteen, &laquo;&nbsp;Roman graphique&nbsp;&raquo;, <em>art. cit.</em></p> <p><a href="#liennbp6" name="nbp6">6</a><em> Idem.</em></p> <p><a href="#liennbp7" name="nbp7">7</a> Jan Baetens, &laquo;&nbsp;Le roman graphique&nbsp;&raquo;, <em>art. cit.</em>, p. 209.</p> <p><a href="#liennbp8" name="nbp8">8</a><em> Ibid.</em>, p. 212.</p> <p><a href="#liennbp9" name="nbp9">9</a> Jacques D&uuml;rrenmatt, <em>Bande dessin&eacute;e et litt&eacute;rature</em>, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 113.</p> <p><a href="#liennbp10" name="nbp10">10</a> Voir, par exemple, <em>The Graphic Novel. An Introduction </em>de Jan Baetens et Hugo Frey (Cambridge University Press, 2014).</p> <p><a href="#liennbp11" name="nbp11">11</a> Thierry Groensteen, <em>Bande dessin&eacute;e et narration</em>, Paris, Presses Universitaires de France, 2011, p. 196.</p> <p><a href="#liennbp12" name="nbp12">12</a> Jan Baetens, &laquo;&nbsp;Abstraction in Comics&nbsp;&raquo;, <em>SubStance</em> 40.1 (2011), p. 96 (notre traduction).</p> <p><a href="#liennbp13" name="nbp13">13</a><em> Ibid.</em>, p. 107.</p> <p><a href="#liennbp14" name="nbp14">14</a><em> Ibid.</em>, p. 108.</p> <p><a href="#liennbp15" name="nbp15">15</a> Thierry Groensteen, <em>Bande dessin&eacute;e et narration</em>, <em>op. cit.</em>, p. 8.</p> <p><a href="#liennbp16" name="nbp16">16</a><em> Ibid.</em>, p. 9.</p> <p><a href="#liennbp17" name="nbp17">17</a> Ainsi que d&rsquo;autres sources visuelles, comme les catalogues des magasins Ikea. Rappelons que Jochen Gerner fait &eacute;galement partie de l&rsquo;OuBaPo, ce qui explique ce go&ucirc;t pour les contraintes transformatives.</p> <p><a href="#liennbp18" name="nbp18">18</a> Christophe Gallois, &laquo;&nbsp;Jochen Gerner, le travail de la citation&nbsp;&raquo;, <em>Jochen Gerner</em>, Paris, &Eacute;ditions B42, 2015, p. 12.</p> <p><a href="#liennbp19" name="nbp19">19</a> Jean-Charles Andrieu de L&eacute;vis, &laquo;&nbsp;Abstraction (1941-1968)&nbsp;&raquo;, <em>du9</em>, mars 2012, en ligne&nbsp;: <a href="http://www.du9.org/chronique/abstraction-1941-1968/">http://www.du9.org/chronique/abstraction-1941-1968/</a> (consult&eacute; le 25 juin 2016).</p> <p><a href="#liennbp20" name="nbp20">20</a> Christian Rosset, &laquo;&nbsp;Recouvrir/d&eacute;voiler ou la m&eacute;thode Gerner&nbsp;&raquo;, <em>Abstraction (1941-1968)</em>, Paris, l&rsquo;Association, 2012, n. p.</p> <p><a href="#liennbp21" name="nbp21">21</a> Jochen Gerner et Tom McCarthy, &laquo;&nbsp;Ping-Pong&nbsp;&raquo;, <em>Jochen Gerner</em>, <em>op. cit.</em>, p. 12.</p> <p><a href="#liennbp22" name="nbp22">22</a> Jean-Charles Andrieu de L&eacute;vis, &laquo;&nbsp;Abstraction (1941-1968)&nbsp;&raquo;, <em>art. cit.</em></p> <p><a href="#liennbp23" name="nbp23">23</a> Xavier Guilbert, &laquo;&nbsp;Jochen Gerner&nbsp;&raquo;, <em>du9</em>, f&eacute;vrier 2013, en ligne&nbsp;: <a href="http://www.du9.org/entretien/jochen-gerner/">http://www.du9.org/entretien/jochen-gerner/</a> (consult&eacute; le 25 juin 2016).</p> <p><a href="#liennbp24" name="nbp24">24</a> Jan Baetens, &laquo;&nbsp;Le roman graphique&nbsp;&raquo;, <em>art. cit.</em>, p. 213.</p> <p><a href="#liennbp25" name="nbp25">25</a> Henri Meschonnic, <em>Pour la po&eacute;tique I</em>, Paris, &Eacute;ditions Gallimard, 1970, pp. 20-21.</p> <p><a href="#liennbp26" name="nbp26">26</a> Carl Malmgren, <em>Fictional Space in the Modernist and Postmodernist American Novel</em>, Londres, Associated University Presses, 1985, p. 25.</p> <p><a href="#liennbp27" name="nbp27">27</a> Thierry Groensteen, <em>Bande dessin&eacute;e et narration</em>, <em>op. cit.</em>, p. 119.</p> <p><a href="#liennbp28" name="nbp28">28</a> Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, <em>&Eacute;crire l&rsquo;espace</em>, Vincennes, Presses Universitaires de Vincennes, 2012, p. 10.</p> <p><a href="#liennbp29" name="nbp29">29</a> M&eacute;lissa Bounoua et Amandine Schmitt, &laquo;&nbsp;On voulait parler de sexualit&eacute; en BD sans donner envie de faire l&rsquo;amour&nbsp;&raquo;, <em>BibliObs</em>, 31 janvier 2014, en ligne&nbsp;: <a href="http://bibliobs.nouvelobs.com/angouleme-2014/20140201.OBS4684/ruppert-mulot-on-voulait-parler-de-sexualite-en-bd-sans-donner-envie-de-faire-l-amour.html">http://bibliobs.nouvelobs.com/angouleme-2014/20140201.OBS4684/ruppert-mulot-on-voulait-parler-de-sexualite-en-bd-sans-donner-envie-de-faire-l-amour.html</a> (consult&eacute; le 25 juin 2016).</p> <p><a href="#liennbp30" name="nbp30">30</a> Christian Rosset, <em>&Eacute;claircies sur le terrain vague</em>, Paris, l&rsquo;Association, 2015, p. 252.</p> <p><a href="#liennbp31" name="nbp31">31</a> Tristan Garcia, &laquo;&nbsp;Quelle est l&rsquo;&eacute;paisseur d&rsquo;une image&nbsp;?&nbsp;&raquo;, <em>Transactions photolitt&eacute;raires</em>, Jean-Pierre Montier (&eacute;d.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015, p. 269.</p> <p><a href="#liennbp32" name="nbp32">32</a><em> Ibid.</em>, p. 261.</p> <p><a href="#liennbp33" name="nbp33">33</a> Michel Picard, <em>La Lecture comme jeu</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1986. Voir notamment pp. 190-215.</p> <p><a href="#liennbp34" name="nbp34">34</a> Publi&eacute; aux &Eacute;tats-Unis en 2010 sous le titre <em>Meanwhile</em>.</p> <p><a href="#liennbp35" name="nbp35">35</a> Thierry Groensteen, &laquo;&nbsp;Premier bouquet de contraintes&nbsp;&raquo;, <em>Oupus </em>1, Paris, l&rsquo;Association, 1997, p. 26.</p> <p><a href="#liennbp36" name="nbp36">36</a> Voir Claude Berge, &laquo;&nbsp;Pour une analyse potentielle de la litt&eacute;rature combinatoire&nbsp;&raquo;, <em>Oulipo, la litt&eacute;rature potentielle</em>, Paris, &Eacute;ditions Gallimard, 1973, pp. 47-61.</p> <p><a href="#liennbp37" name="nbp37">37</a> Thierry Groensteen, <em>Bande dessin&eacute;e et narration</em>, <em>op. cit.</em>, p.79.</p> <p><a href="#liennbp38" name="nbp38">38</a> Ann Miller, &laquo;&nbsp;Oubapo: A Verbal/Visual Medium Is Subjected To Constraints&nbsp;&raquo;, <em>Word &amp; Image </em>XXIII/2 (2007), p. 124.</p> <p><a href="#liennbp39" name="nbp39">39</a> Xavier Guilbert, &laquo;&nbsp;Morlac&nbsp;&raquo;, <em>du9</em>, avril 2006, en ligne&nbsp;: <a href="http://www.du9.org/chronique/morlac/">http://www.du9.org/chronique/morlac/</a> (consult&eacute; le 25 juin 2016).</p> <p><a href="#liennbp40" name="nbp40">40</a> Jean-Michel Berthiaume, <em>Concat&eacute;nation en continu</em>, Montr&eacute;al, Universit&eacute; de Concordia, 2012, p. 55.</p> <p><a href="#liennbp41" name="nbp41">41</a> Une application de cette contrainte est lisible dans <em>Chamboula </em>de Paul Fournel.</p> <p><a href="#liennbp42" name="nbp42">42</a> Xavier Guilbert, &laquo;&nbsp;Morlac&nbsp;&raquo;, <em>art. cit.</em></p> <p><a href="#liennbp43" name="nbp43">43</a> Tamryn Bennet, &laquo;&nbsp;Comics Poetry&nbsp;&raquo;, <em>Image [&amp;] Narrative</em> 15.2 (2014), p. 119 (notre traduction).</p> <p><a href="#liennbp44" name="nbp44">44</a> Christian Vandendorpe,&nbsp;&laquo; Sur l&rsquo;avenir du livre : lin&eacute;arit&eacute;, tabularit&eacute; et hypertextualit&eacute; &raquo;, <em>Le livre. De Gutenberg &agrave; la carte &agrave; puce,</em> J. B&eacute;nard et J.J. Hamm (&eacute;ds.), New York, Legas, 1996, p. 151.</p> <p><a href="#liennbp45" name="nbp45">45</a> Groupe &mu;, <em>Rh&eacute;torique de la po&eacute;sie</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil, 1990, p. 65.</p> <p><a href="#liennbp46" name="nbp46">46</a> La collection FRMK est issue du Fr&eacute;mok, un collectif regroupant les &eacute;ditions du Fr&eacute;on et d&rsquo;Amok depuis 2002. Regroupant des auteurs comme Olivier Deprez, Dominique Goblet ou Vincent Fortemps, cette collection se rapproche davantage d&rsquo;une forme de po&eacute;sie visuelle mais trouve &eacute;galement des points de r&eacute;sonance vers la peinture, le cin&eacute;ma ou la danse. Notons par ailleurs que, dans le discours du Fr&eacute;mok, la bande dessin&eacute;e est situ&eacute;e sur le m&ecirc;me plan que les spectacles, installations et performances r&eacute;alis&eacute;es par les auteurs du collectif.</p> <p><a href="#liennbp47" name="nbp47">47</a> &Eacute;ric Maigret, &laquo;&nbsp;Bande dessin&eacute;e et postl&eacute;gitimit&eacute;&nbsp;&raquo;, <em>in La bande dessin&eacute;e&nbsp;: une m&eacute;diaculture</em>, <em>op. cit.</em>, pp. 143-144.</p>