<p>Le sc&eacute;nario n&rsquo;est pas consid&eacute;r&eacute; comme un genre litt&eacute;raire, ni comme un objet artistique. Genre &ndash; s&rsquo;il en est un &ndash; d&eacute;l&eacute;gitim&eacute; par excellence, il se d&eacute;finit g&eacute;n&eacute;ralement comme un objet transitoire, qui fait passer une &oelig;uvre du virtuel &agrave; la r&eacute;alisation. D&egrave;s lors, le geste de publication du sc&eacute;nario, l&rsquo;av&egrave;nement de cet objet pr&eacute;paratoire en livre, est embl&eacute;matique d&rsquo;une volont&eacute; de renversement de la valeur, en le proposant comme genre litt&eacute;raire autonome. Marcel Pagnol &eacute;dite les textes de ses films&nbsp;: il est un cas exemplaire d&rsquo;une entreprise de l&eacute;gitimation du genre sc&eacute;naristique. Il appelle les cin&eacute;astes &agrave; &laquo;&nbsp;introduire le cin&eacute;ma dans la litt&eacute;rature<a href="#nbp1" id="footnoteref1_aa2802m" name="liennbp1" title="Roger Régent, « Marcel Pagnol expose un programme révolutionnaire », Candide, grand hebdomadaire parisien et littéraire, n° 500, 12 octobre 1933, p. 15.">1</a> &raquo;, &agrave; proposer une forme &eacute;ditoriale de leur cin&eacute;ma, en prenant <em>in fine</em> pour mod&egrave;le le th&eacute;&acirc;tre. Se servant de la l&eacute;gitimit&eacute; institutionnelle de la pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre pour donner ses lettres de noblesse au genre sc&eacute;naristique, Marcel Pagnol aboutit &agrave; un brouillage g&eacute;n&eacute;rique entre sc&eacute;nario et pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre, deux genres &agrave; la marge du litt&eacute;raire, proches du livret d&rsquo;op&eacute;ra, qui reposent sur l&rsquo;alternance entre dialogue et didascalie. Nous &eacute;tudierons ainsi cette d&eacute;marche apor&eacute;tique qui n&rsquo;obtient la l&eacute;gitimation d&rsquo;un genre qu&rsquo;au prix de l&rsquo;abandon de ses sp&eacute;cificit&eacute;s.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>1. Le sc&eacute;nario et la pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre, deux genres non litt&eacute;raires ?</strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>Les traits g&eacute;n&eacute;riques donn&eacute;s au sc&eacute;nario r&eacute;pondent au besoin tenace d&rsquo;une sp&eacute;cificit&eacute; du m&eacute;dium cin&eacute;matographique face au m&eacute;dium litt&eacute;raire, et alimentent le clich&eacute; du sc&eacute;nario comme sous-genre. Les critiques cin&eacute;matographiques n&rsquo;accordent qu&rsquo;au film le statut d&rsquo;&oelig;uvre, qui a &eacute;t&eacute; au XX<sup>e</sup> si&egrave;cle si difficile &agrave; conqu&eacute;rir. Le m&eacute;canisme de d&eacute;fense du cin&eacute;ma se fait aux d&eacute;pens du sc&eacute;nario qui mettrait en p&eacute;ril l&rsquo;autonomie cin&eacute;matographique en tant qu&rsquo;art de l&rsquo;image. Il est d&egrave;s lors visible que les crit&egrave;res pr&eacute;tendument g&eacute;n&eacute;riques du sc&eacute;nario ne sont que des strat&eacute;gies qui visent &agrave; contourner le dangereux rapprochement avec le m&eacute;dium th&eacute;&acirc;tral. Quand Anne Huet &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Son &eacute;criture n&rsquo;a pas &agrave; &ecirc;tre litt&eacute;raire. Il doit &ecirc;tre concis et clair, sans commentaires superflus, &eacute;viter les &ldquo;effets&rdquo; de style, les digressions ou toutes remarques n&rsquo;ayant pas trait directement &agrave; ce qui est visible &agrave; l&rsquo;&eacute;cran<a href="#nbp2" id="footnoteref2_tl3tnwp" name="liennbp2" title="Anne Huet, Le Scénario, Paris, Cahiers du cinéma, SCEREN-CNDP, 2005, p. 13.">2</a> &raquo;, elle croit d&eacute;crire une sp&eacute;cificit&eacute; du sc&eacute;nario alors qu&rsquo;elle d&eacute;crit un fonctionnement possible du texte th&eacute;&acirc;tral, qui doit avoir trait &agrave; ce qui est visible sur sc&egrave;ne, et dont les didascalies ont demand&eacute; (du moins jusqu&rsquo;aux innovations du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle) la m&ecirc;me objectivit&eacute; et pr&eacute;cision pour permettre l&rsquo;adaptation de l&rsquo;&eacute;crit &agrave; la sc&egrave;ne<a href="#nbp3" id="footnoteref3_tksotps" name="liennbp3" title="Voir Frédérique Toudoire-Surlapierre « « Regarder l’impossible » : l’écriture didascalique dans le théâtre du XXe siècle », dans Florence Fix et Frédérique Toudoire-Surlapierre (dir.), La Didascalie dans le théâtre du XXe siècle : regarder l’impossible, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2007, p. 17. Elle parle notamment d’ « un certain mode d’écriture » de la didascalie.">3</a>. Ce qui fait d&eacute;faut au sc&eacute;nario pour &ecirc;tre un genre litt&eacute;raire, d&rsquo;apr&egrave;s les critiques, ce serait l&rsquo;autonomie&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le sc&eacute;nario est le point de d&eacute;part de travail du film, mais n&rsquo;est pas en soi un &ldquo;objet artistique&rdquo;. Il n&rsquo;aura pas d&rsquo;existence propre<a href="#nbp4" id="footnoteref4_xcq72as" name="liennbp4" title="Anne Huet, op. cit., p. 13.">4</a> &raquo;. &laquo;&nbsp;Structure tendant &agrave; &ecirc;tre une autre structure&nbsp;&raquo;, d&rsquo;apr&egrave;s Pasolini<a href="#nbp5" id="footnoteref5_5rilq3n" name="liennbp5" title="Pier Paolo Pasolini, « Le scénario comme structure tendant à être une autre structure », dans L’Expérience  hérétique, Paris, Editions Payot, 1976, p. 36-46">5</a>, le sc&eacute;nario oscillerait entre la &laquo;&nbsp;maquette<a href="#nbp6" id="footnoteref6_7th2rl2" name="liennbp6" title="Francis Vanoye, Scénarios modèles, modèles de scénarios, Paris, Armand Colin, 2005, p. 13.">6</a> &raquo; et le document de travail, et n&rsquo;aurait pas la perfection constitutive d&rsquo;un objet artistique qui existe en soi. Il serait ce brouillon, cette trace d&rsquo;un processus artistique dont le produit fini serait le film. Vou&eacute; &agrave; dispara&icirc;tre apr&egrave;s la r&eacute;alisation, le sc&eacute;nario rev&ecirc;tirait des traits techniques qui le rendent lisible seulement pour les professionnels du tournage. M&ecirc;me lorsqu&rsquo;il fait l&rsquo;objet d&rsquo;une publication, sa d&eacute;pendance voire son absence de valeur est soulign&eacute;e, comme on peut le constater chez Robbe-Grillet&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Le livre que l&rsquo;on va lire ne pr&eacute;tend pas &ecirc;tre une &oelig;uvre par lui-m&ecirc;me. L&rsquo;&oelig;uvre, c&rsquo;est le film, tel qu&rsquo;on peut le voir et l&rsquo;entendre dans un cin&eacute;ma. On n&rsquo;en trouvera ici qu&rsquo;une description&nbsp;: ce que serait, pour un op&eacute;ra, par exemple, le livret, accompagn&eacute; de la partition musicale et des indications de d&eacute;cor, de jeu etc<a href="#nbp7" id="footnoteref7_pltfheu" name="liennbp7" title="Robbe-Grillet, « Préface de L’Immortelle », dans L’Immortelle, Paris, Éditions de Minuit, 1963, p. 7.">7</a>. </em></q></p> <p>Cette comparaison avec la partition et le livret trahit l&rsquo;&eacute;vidence&nbsp;: le sc&eacute;nario et le texte de th&eacute;&acirc;tre ont un statut &eacute;quivalent, qui les place dans un rapport de d&eacute;pendance face &agrave; une repr&eacute;sentation qui doit les actualiser. Le sc&eacute;nario serait dans cette perspective un genre aussi peu litt&eacute;raire que l&rsquo;est le livret de th&eacute;&acirc;tre et pourrait de fait acqu&eacute;rir la m&ecirc;me valeur que celui-ci. Le cas de <em>C&eacute;sar</em> dans le corpus pagnolien est significatif de la position de Pagnol qui consid&egrave;re le sc&eacute;nario &agrave; &eacute;galit&eacute; en terme de valeur avec la pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre. En effet, le sc&eacute;nario de <em>C&eacute;sar</em> donne lieu &agrave; de multiples &eacute;ditions, l&agrave; o&ugrave; la pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre, adapt&eacute;e &agrave; partir du film, n&rsquo;est publi&eacute;e qu&rsquo;une fois de fa&ccedil;on confidentielle dans la revue <em>R&eacute;alit&eacute;s</em>. On aurait pu croire qu&rsquo;une fois la version th&eacute;&acirc;trale publi&eacute;e, elle serait la version de r&eacute;f&eacute;rence pour les &eacute;ditions &agrave; venir, respectant par l&agrave; la hi&eacute;rarchie institutionnelle entre pi&egrave;ce et sc&eacute;nario. Ce n&rsquo;est pourtant pas le cas et Pagnol assigne au sc&eacute;nario de <em>C&eacute;sar</em> une sup&eacute;riorit&eacute; parce qu&rsquo;il est l&rsquo;&oelig;uvre originale. Autant dire que le sc&eacute;nario ou la pi&egrave;ce ne valent ni plus ni moins l&rsquo;un que l&rsquo;autre et que seule l&rsquo;ant&eacute;riorit&eacute; est un crit&egrave;re pour hi&eacute;rarchiser les diff&eacute;rentes versions d&rsquo;un m&ecirc;me texte<a href="#nbp8" id="footnoteref8_i51wyu8" name="liennbp8" title="Le cycle romanesque L’Eau des collines qui novellise le film Manon des sources prend le pas sur l’édition du scénario, qui n’est que peu réédité. Ce n’est pas à cause de la supériorité générique du roman face au scénario, mais parce que le roman reconstitue l’intégralité de la fable, là où le film et le scénario, pour des raisons de longueur, ne l’ont pas permis.">8</a>. Si Francis Vanoye admet que &laquo;&nbsp;d&egrave;s que l&rsquo;on tente de cerner une &eacute;ventuelle sp&eacute;cificit&eacute; entre les dialogues de th&eacute;&acirc;tre et de cin&eacute;ma, elle &eacute;chappe<a href="#nbp9" id="footnoteref9_qir1bz1" name="liennbp9" title="Francis Vanoye, op. cit., p. 177.">9</a> &raquo;, il tente d&rsquo;en &eacute;tablir une en proposant le crit&egrave;re de la continuit&eacute; et de la discontinuit&eacute;. Ce sont ces crit&egrave;res qui avaient, remarquons-le, d&eacute;termin&eacute; la r&eacute;ception de la pi&egrave;ce <em>C&eacute;sar</em> jou&eacute;e aux Vari&eacute;t&eacute;s en 1946&nbsp;: la discontinuit&eacute; cin&eacute;matographique envahissait la sc&egrave;ne, vou&eacute;e &agrave; la continuit&eacute;. Mais les critiques qui proposent ce crit&egrave;re pour distinguer sc&eacute;nario et pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre en admettent d&rsquo;embl&eacute;e les limites&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Au th&eacute;&acirc;tre, le dialogue, le texte, le tissu verbal se doivent d&rsquo;assurer la continuit&eacute;. La parole souveraine cr&eacute;e la di&eacute;g&egrave;se. Contraint d&rsquo;&ecirc;tre toujours dramatique, le th&eacute;&acirc;tre est contin&ucirc;ment dialogu&eacute;. Au cin&eacute;ma, la continuit&eacute; est assur&eacute;e par montage audio-visuel, l&rsquo;interaction du visuel et du verbal, l&rsquo;implication de l&rsquo;image et du dialogue. Mais on sait bien que la discontinuit&eacute; peut travailler l&rsquo;&eacute;criture dramaturgique, comme d&rsquo;ailleurs la mise en sc&egrave;ne th&eacute;&acirc;trale<a href="#nbp10" id="footnoteref10_jgmbg37" name="liennbp10" title="Francis Vanoye, op. cit., p. 179.">10</a>. </em></q></p> <p>De m&ecirc;me, Jean-Paul Torok convient que le d&eacute;coupage en sc&egrave;nes rapproche les unit&eacute;s th&eacute;&acirc;trales et cin&eacute;matographiques&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Il appara&icirc;t ainsi que la sc&egrave;ne n&rsquo;est qu&rsquo;un segment autonome parmi d&rsquo;autres, m&ecirc;me si c&rsquo;est le plus r&eacute;pandu. Sa d&eacute;finition est identique &agrave; celle de la sc&egrave;ne de th&eacute;&acirc;tre&nbsp;: une action autonome se d&eacute;roulant dans le m&ecirc;me d&eacute;cor et en temps continu. [&hellip;] Ce n&rsquo;est qu&rsquo;&agrave; partir du moment o&ugrave; la repr&eacute;sentation th&eacute;&acirc;trale se lib&egrave;re de la r&egrave;gle des trois unit&eacute;s et o&ugrave; l&rsquo;acte &eacute;clate en tableaux correspondant &agrave; un changement de d&eacute;cor et &agrave; une saute de temps que la d&eacute;finition de la sc&egrave;ne th&eacute;&acirc;trale tend &agrave; se rapprocher de celle de la sc&egrave;ne cin&eacute;matographique<a href="#nbp11" id="footnoteref11_dzk50we" name="liennbp11" title="Jean-Paul Torok, Le Scénario, histoire, théorie, pratique, Paris, Éditions Henri Veyrier, 1986, p. 141.">11</a>. </em></q></p> <p>Les distinctions entre les deux genres ne tiennent que si l&rsquo;on en reste &agrave; une dramaturgie classique qui fait du th&eacute;&acirc;tre un art d&eacute;clamatoire, reposant sur une unit&eacute; de lieu et de temps, et une pr&eacute;&eacute;minence de la langue litt&eacute;raire. D&egrave;s lors que l&rsquo;on confronte le sc&eacute;nario &agrave; une conception dramatique moderne, les d&eacute;marcations ne tiennent plus. Par exemple, le propos de Jean-Paul Torok repose sur une conception logocentr&eacute;e du th&eacute;&acirc;tre&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;La v&eacute;rit&eacute;, Jacques Feyder, ce grand cin&eacute;aste narratif, la d&eacute;tenait lorsqu&rsquo;il disait&nbsp;: &laquo;&nbsp;au th&eacute;&acirc;tre la situation est cr&eacute;&eacute;e par les mots&nbsp;; au cin&eacute;ma, les mots doivent surgir de la situation&nbsp;&raquo;.[&hellip;] Un &eacute;crivain de th&eacute;&acirc;tre peut &eacute;crire une r&eacute;plique sans se soucier de savoir si l&rsquo;acteur la dira assis, debout ou en train de marcher, de face ou de dos, et pourtant le sens ne sera pas le m&ecirc;me. Le sc&eacute;nariste, lui, d&eacute;termine le jeu physique de son personnage, sa position dans le d&eacute;cor et par rapport aux autres personnages, parce que ce sont autant d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments signifiants qui peuvent renforcer la signification du dialogue, et m&ecirc;me parfois la contredire<a href="#nbp12" id="footnoteref12_26pa5f5" name="liennbp12" title="Jean-Paul Torok, op. cit., p. 156-157.">12</a>. </em></q></p> <p>Ces propos ignorent compl&egrave;tement l&rsquo;importance de l&rsquo;espace sc&eacute;nique, qui lui aussi d&eacute;termine, modifie et contredit le sens du dialogue. Pour s&rsquo;octroyer une ind&eacute;pendance vis-&agrave;-vis du m&eacute;dium litt&eacute;raire, les critiques cin&eacute;matographiques feignent de ne pas prendre en compte la lib&eacute;ration du th&eacute;&acirc;tre face au texte. La visualisation est partie prenante du processus d&rsquo;&eacute;criture au th&eacute;&acirc;tre et au cin&eacute;ma, puisque l&rsquo;&eacute;crit dans les deux cas va &ecirc;tre perform&eacute; dans un espace d&eacute;termin&eacute;. Andr&eacute; Helbo<a href="#nbp13" id="footnoteref13_t85c2j4" name="liennbp13" title="André Helbo, L’adaptation : du théâtre au cinéma, Paris, Armand Colin, 1997, p. 98-99.">13</a>, de m&ecirc;me, pense que le texte et la repr&eacute;sentation doivent se penser dans une stricte &eacute;galit&eacute;, dans une synchronie, ce qui s&rsquo;opposerait &agrave; l&rsquo;assujettissement du sc&eacute;nario au film. D&rsquo;apr&egrave;s lui, alors que le sc&eacute;nario se situe dans une ant&eacute;riorit&eacute; qui permet la r&eacute;alisation du film, le texte de th&eacute;&acirc;tre n&rsquo;est pas vou&eacute; &agrave; s&rsquo;effacer mais poss&egrave;de une existence autonome au-del&agrave; de la repr&eacute;sentation. Il ajoute que le sc&eacute;nario propose une traduction, une r&eacute;alisation une fois pour toutes dans un film, l&agrave; o&ugrave; la pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre se performe dans plusieurs spectacles &eacute;ph&eacute;m&egrave;res, que le spectateur peut voir de diff&eacute;rents endroits dans la salle de spectacle. S&rsquo;il y a un tel d&eacute;calage en terme d&rsquo;autonomie entre sc&eacute;nario et pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre, cela rel&egrave;ve moins d&rsquo;une diff&eacute;rence de nature que d&rsquo;int&eacute;gration dans le canon litt&eacute;raire. Michel Mari&eacute; et Francis Vanoye soutiennent dans le m&ecirc;me sens que &laquo;&nbsp;les diff&eacute;rences essentielles r&eacute;sident dans le faible degr&eacute; d&rsquo;existence institutionnelle du dialogue filmique &eacute;crit<a href="#nbp14" id="footnoteref14_1i6a572" name="liennbp14" title="Michel Marié et Francis Vanoye, « Comment parler la bouche pleine », Communications : Enonciation et cinéma, n°38, 1983, p. 52.">14</a> &raquo;. D&rsquo;autre part les diff&eacute;rences de r&eacute;alisation (film et repr&eacute;sentation) n&rsquo;ont pas d&rsquo;inf&eacute;rence particuli&egrave;re sur leurs traces &eacute;crites, le sc&eacute;nario et la pi&egrave;ce. Un m&ecirc;me sc&eacute;nario peut &ecirc;tre l&rsquo;objet de plusieurs r&eacute;alisations, faisant du &laquo;&nbsp;<em>remake</em>&nbsp;&raquo; une voie pour sortir le sc&eacute;nario de ce seul statut de brouillon d&rsquo;une &oelig;uvre. La lecture du sc&eacute;nario comme de la pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre implique une repr&eacute;sentation imaginaire du film comme de la performance &agrave; venir. Nous retrouvons dans ces lignes de Jean-Claude Carri&egrave;re et de Pascal Bonitzer la description de cette posture paradoxale propre au lecteur de sc&eacute;nario et de th&eacute;&acirc;tre, confront&eacute; &agrave; des textes trou&eacute;s&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Il faut apprendre &agrave; voir et &agrave; entendre le film &agrave; travers cette chose &eacute;crite, m&ecirc;me au risque de se tromper, de voir un autre film. Il ne faut pas lire un sc&eacute;nario mais en le lisant le voir d&eacute;j&agrave; sous une autre forme<a href="#nbp15" id="footnoteref15_7ep4hx0" name="liennbp15" title="Jean Claude Carrière et Pascal Bonitzer, Exercice du scénario, Paris, La Femis, 1990, p. 36.">15</a>. </em></q></p> <p>Proches &agrave; la fois dans l&rsquo;&eacute;laboration scripturale, dans la pr&eacute;sentation livresque qui fait alterner dialogue et didascalie, dans le mode de lecture, dans le statut qui en font des textes tourn&eacute;s vers une r&eacute;alisation potentielle, le sc&eacute;nario et le texte de th&eacute;&acirc;tre sont deux genres jumeaux, qui se confrontent de fa&ccedil;on similaire aux fronti&egrave;res de la litt&eacute;rature. Ce serait ainsi la proximit&eacute; des usages d&rsquo;un texte plus que des crit&egrave;res formels qui d&eacute;terminent l&rsquo;appartenance g&eacute;n&eacute;rique. Et l&rsquo;on pourrait souscrire ainsi &agrave; la r&eacute;flexion de Jacqueline Van Nypelseer&nbsp;: &laquo;&nbsp;le sc&eacute;nario n&rsquo;est gu&egrave;re qu&rsquo;une version modifi&eacute;e par l&rsquo;introduction de l&rsquo;audiovisuel du texte de th&eacute;&acirc;tre, lui aussi &agrave; la fois outil et livre<a href="#nbp16" id="footnoteref16_i8xwncr" name="liennbp16" title="Jacqueline Van Nypelseer, « La Littérature de scénario », Cinémas : revue d’études cinématographiques / Cinemas: Journal of Film Studies, vol. 2, n° 1, 1991, p. 93.">16</a> &raquo;.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>2. Qu&rsquo;est-ce que Marcel Pagnol publie ? Quelques &eacute;l&eacute;ments pour la d&eacute;finition du sc&eacute;nario comme genre</strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p><q><em>&nbsp;Je tiens compte de toutes les possibilit&eacute;s que m&rsquo;offre la technique cin&eacute;matographique. Mais cela ne m&rsquo;emp&ecirc;che pas de b&acirc;tir l&rsquo;action aussi solidement que je le ferais au th&eacute;&acirc;tre et d&rsquo;&eacute;crire le dialogue d&rsquo;un bout &agrave; l&rsquo;autre comme je le ferais s&rsquo;il &eacute;tait appel&eacute; &agrave; &ecirc;tre dit en sc&egrave;ne. D&rsquo;ailleurs, o&ugrave; est la diff&eacute;rence&nbsp;? Ne dit-on pas le texte au cin&eacute;ma comme au th&eacute;&acirc;tre&nbsp;?&nbsp; [&hellip;] Lorsque j&rsquo;ai transpos&eacute; Fanny &agrave; l&rsquo;&eacute;cran, non seulement j&rsquo;ai respect&eacute; tout le dialogue th&eacute;&acirc;tral, mais encore j&rsquo;ai &eacute;t&eacute; amen&eacute; &agrave; ajouter du texte, beaucoup de texte<a href="#nbp17" id="footnoteref17_aap0z5w" name="liennbp17" title="Yvon Nody, « « Je ne fais que du théâtre » nous dit Marcel Pagnol », Le Jour, 23 février 1935, p. 6.">17</a>. </em></q></p> <p>Cette proximit&eacute; entre des genres jumeaux nous conduit &agrave; poser la question suivante&nbsp;: que publie Marcel Pagnol&nbsp;? Pense-t-il proposer une forme de pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre qui au lieu d&rsquo;&ecirc;tre mise en sc&egrave;ne sera r&eacute;alis&eacute;e, ou marque-t-il une distinction g&eacute;n&eacute;rique lorsqu&rsquo;il s&rsquo;agit des textes de ses films&nbsp;? Les pratiques sc&eacute;naristiques font que des textes tr&egrave;s divers &ndash; une nouvelle, comme chez Rohmer, une continuit&eacute; dialogu&eacute;e, un d&eacute;coupage technique &ndash; peuvent &ecirc;tre commun&eacute;ment appel&eacute;s sc&eacute;narios. Pagnol publie essentiellement des continuit&eacute;s dialogu&eacute;es, dont les didascalies ne font presque jamais de place au d&eacute;coupage technique. Le seul d&eacute;coupage technique d&rsquo;un film de Marcel Pagnol disponible &agrave; la lecture n&rsquo;est pas de sa main, mais a &eacute;t&eacute; reconstitu&eacute; <em>a posteriori</em> apr&egrave;s visionnage du film par la revue <em>L&rsquo;Avant-sc&egrave;ne<a href="#nbp18" id="footnoteref18_ezf4n60" name="liennbp18" title="« Spécial Pagnol. Le Schpountz. Cinéma », L’Avant-Scène, n° 105-106, juillet-septembre 1970, p. 10. Vis-à-vis du Schpountz, remarquons que notre texte est différent de l’édition du découpage original, puisque nous avons visionné, selon notre habitude, le film tel qu’il a été monté définitivement. En cours de texte, nous signalons les différences, ainsi que les coupures, pour que nos lecteurs apprécient mieux le travail du scénariste-dialoguiste-cinéaste. J-G P.">18</a></em>: cela concerne le film <em>Le Schpountz</em>. Dans les sc&eacute;narios d&eacute;finitifs publi&eacute;s par Marcel Pagnol, seuls deux textes recourent, de fa&ccedil;on &eacute;pisodique, &agrave; des termes cin&eacute;matographiques, comme &laquo;&nbsp;g&eacute;n&eacute;rique&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;fondu encha&icirc;n&eacute;&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;gros plan&nbsp;&raquo;&nbsp;: ce sont <em>La Belle Meuni&egrave;re</em> et <em>La Fille du Puisatier</em>. Toutes les autres &eacute;ditions de films ne pr&eacute;sentent aucun d&eacute;tail concernant les champs, les encha&icirc;nements entre les sc&egrave;nes, les mouvements de cam&eacute;ra <em>etc</em>. Pour autant, le crit&egrave;re des donn&eacute;es techniques n&rsquo;est pas au fondement de la d&eacute;finition du genre du sc&eacute;nario&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Notons que nous excluons le d&eacute;coupage technique, dont la r&eacute;daction incombe au metteur en sc&egrave;ne et non au sc&eacute;nariste. Contrairement &agrave; ce qui est &eacute;crit dans de nombreux ouvrages, le d&eacute;coupage ne repr&eacute;sente pas le dernier stade du sc&eacute;nario avant le tournage mais constitue la premi&egrave;re op&eacute;ration de r&eacute;alisation proprement dite<a href="#nbp19" id="footnoteref19_6zk46pc" name="liennbp19" title="Jean-Paul Torok, op. cit., p. 98.">19</a>. </em></q></p> <p>Si l&rsquo;absence de donn&eacute;es techniques pourrait alimenter les accusations qualifiant Pagnol de cin&eacute;aste incomp&eacute;tent, elle peut &ecirc;tre surtout r&eacute;v&eacute;latrice de l&rsquo;importance du plein air dans le tournage. Le plein air exclut de pr&eacute;voir &agrave; l&rsquo;avance le d&eacute;coupage, qui se d&eacute;cide en fonction des donn&eacute;es du terrain<a href="#nbp20" id="footnoteref20_x9f5jti" name="liennbp20" title="C’est ce qu’expliquent Jean-Claude Carrière et Pascal Bonitzer, op. cit., p. 34-35 : « Naguère, quand tout le cinéma se faisait en studio et que le décorateur, le directeur de la photo et l’ensemble des techniciens pouvaient exécuter fidèlement tout ce qu’on leur demandait (ou presque), l’écriture du scénario offrait un aspect strictement technique, tout était découpé, souvent dessiné plan par plan avec des indications précises d’objectif, de durée de plan, de mouvements d’appareil etc. […] Le tournage en décors naturels, qui s’est généralisé avec la nouvelle vague (pour des raisons esthétiques et économiques) a fait évoluer l’écriture du scénario. On ne pourra pas repousser les murs, construire une chute d’eau : il faudra donc que le découpage et l’ensemble de la réalisation technique s’adaptent aux décors – et non le contraire. »">20</a>.</p> <p>La question de la retranscription<em> a posteriori </em>du dialogue dessine une limite g&eacute;n&eacute;rique au sc&eacute;nario, ou du moins &eacute;tablit un degr&eacute; d&rsquo;authenticit&eacute;. Isabelle Raynauld est formelle&nbsp;: &laquo;&nbsp;Une transcription &eacute;crite apr&egrave;s coup &agrave; partir du film n&rsquo;est pas un sc&eacute;nario<a href="#nbp21" id="footnoteref21_tsntzht" name="liennbp21" title="Isabelle Raynauld, Lire et écrire un scénario, le scénario de film comme texte, Paris, Armand Colin 2012, p. 17.">21</a> &raquo;. Il faut que le sc&eacute;nario soit le document authentique qui pr&eacute;c&egrave;de le tournage. Or, les &eacute;carts entre les diverses &eacute;ditions des sc&eacute;narios mettent en &eacute;vidence que Pagnol, peu soucieux d&rsquo;un tel crit&egrave;re, r&eacute;&eacute;crit ces textes et en propose des am&eacute;liorations &agrave; chaque nouvelle &eacute;dition. Ces modifications, loin de r&eacute;tablir des &eacute;carts entre le sc&eacute;nario initial et le texte tourn&eacute;, cherchent &agrave; proposer un nouveau film &agrave; venir. Aussi, les r&eacute;&eacute;critures sc&eacute;naristiques sont parall&egrave;les aux ph&eacute;nom&egrave;nes de r&eacute;alisations r&eacute;p&eacute;t&eacute;es, comme <em>Topaze</em>, tourn&eacute; en 1936 puis en 1951. Claude Gauteur a raison d&rsquo;&eacute;crire que &laquo;&nbsp;les films (&laquo;&nbsp;qu&rsquo;on peut lire&nbsp;&raquo;) de Marcel Pagnol ne vont pas, parfois, sans poser quelques probl&egrave;mes aux ex&eacute;g&egrave;tes<a href="#nbp22" id="footnoteref22_nfleyg1" name="liennbp22" title="Claude Gauteur, « À la recherche de Pagnol », La Revue du cinéma/Image et son, n° 275, juin-juillet 1969, p. 154.">22</a> &raquo;. Pour autant, l&rsquo;exemple de <em>Manon des sources</em> publi&eacute; en livre d&egrave;s le tournage, et dans les mains des acteurs d&egrave;s 1952, montre combien Pagnol &eacute;dite le travail pr&eacute;paratoire du film et ne l&rsquo;adapte pas pour coller au d&eacute;coupage du film. D&egrave;s lors, avec l&rsquo;&eacute;dition du film, on acc&egrave;de &agrave; la gen&egrave;se de la r&eacute;alisation, qui &laquo;&nbsp;rel&egrave;ve de la critique g&eacute;n&eacute;tique, un peu comme celle des &ldquo;avant textes&rdquo; pour la litt&eacute;rature<a href="#nbp23" id="footnoteref23_am5jqbq" name="liennbp23" title="Francis Vanoye, op. cit., p. 11.">23</a> &raquo;. Poser comme crit&egrave;re limite du genre l&rsquo;ant&eacute;riorit&eacute; revient de nouveau &agrave; discr&eacute;diter l&rsquo;autonomie du sc&eacute;nario et &agrave; en faire un sous-genre, un brouillon, dont l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t serait strictement g&eacute;n&eacute;tique. Robbe-Grillet y voyait un laboratoire g&eacute;n&eacute;tique&nbsp;qui permet de &laquo;&nbsp;suivre avec un &oelig;il critique l&rsquo;&eacute;volution g&eacute;n&eacute;ratrice d&rsquo;un film<a href="#nbp24" id="footnoteref24_d60jefl" name="liennbp24" title="Robbe-Grillet, « Préface pour Glissements progressifs du plaisir », dans Glissements progressifs du plaisir, Paris, Éditions de Minuit, 1974, p. 9.">24</a> &raquo;. Pagnol est loin de vouloir cantonner le sc&eacute;nario au statut de brouillon g&eacute;n&eacute;tique. Pourquoi, s&rsquo;il s&rsquo;agissait de rendre compte d&rsquo;un processus de r&eacute;alisation, publierait-il <em>La Pri&egrave;re aux &eacute;toiles</em>, film dont la pellicule a &eacute;t&eacute; d&eacute;truite, ou <em>Premier Amour</em>, film qui n&rsquo;a jamais &eacute;t&eacute; r&eacute;alis&eacute;&nbsp;? Outre la fascination qu&rsquo;exercent ces textes tourn&eacute;s vers une absence, exhibant leurs manques et leurs &eacute;checs, ces sc&eacute;narios fant&ocirc;mes d&eacute;signent la possibilit&eacute; du genre d&rsquo;acqu&eacute;rir une autonomie, de valoir en eux-m&ecirc;mes, en d&eacute;pit de cet &agrave; venir qui ne s&rsquo;est pas r&eacute;alis&eacute;. Le statut de genre litt&eacute;raire est accord&eacute; lorsque celui-ci ne se destine pas &agrave; un tournage et n&rsquo;appelle que la lecture. Ainsi, Michel Collomb &eacute;voque ce projet de Robert Desnos, symptomatique d&rsquo;une accession du sc&eacute;nario au genre litt&eacute;raire&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Cette m&ecirc;me nostalgie est sensible dans le sc&eacute;nario que Robert Desnos avait remis aux Cahiers du mois &agrave; titre de participation &agrave; un num&eacute;ro sp&eacute;cial consacr&eacute; au sc&eacute;nario litt&eacute;raire. Le projet des animateurs de cette revue, Andr&eacute; et Fran&ccedil;ois Berge, &eacute;tait de promouvoir le sc&eacute;nario en tant que nouveau genre litt&eacute;raire. [&hellip;] Les six sc&eacute;narios publi&eacute;s dans la revue n&rsquo;avaient nullement &eacute;t&eacute; &eacute;crits en vue d&rsquo;un tournage. Ils se voulaient des textes litt&eacute;raires, qui d&eacute;passant le stade du simple canevas s&rsquo;effor&ccedil;aient d&rsquo;atteindre &agrave; l&rsquo;efficacit&eacute; narrative du cin&eacute;ma<a href="#nbp25" id="footnoteref25_12edi23" name="liennbp25" title="Michel Collomb, La Littérature art déco, sur le style d’époque, Paris, Méridiens Klincksieck, 1987, p. 177.">25</a>. </em></q></p> <p>Il est d&rsquo;ores et d&eacute;j&agrave; &eacute;vident que la publication du sc&eacute;nario repr&eacute;sente un enjeu de l&eacute;gitimation m&eacute;diatique, qui l&rsquo;apparente &agrave; la pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre et le fait gagner en autonomie et en valeur. Loin de chercher &agrave; diff&eacute;rencier g&eacute;n&eacute;riquement le sc&eacute;nario de la pi&egrave;ce, Pagnol s&rsquo;est &eacute;vertu&eacute; &agrave; aller vers l&rsquo;indistinction des deux genres. Forme instable, dont la sp&eacute;cificit&eacute; est remise en question par les cin&eacute;astes, le sc&eacute;nario se d&eacute;finit <em>a minima</em> comme une histoire filmable<a href="#nbp26" id="footnoteref26_xcid8f0" name="liennbp26" title="Francis Vanoye, op. cit., p. 7 : « Mais l’histoire semble montrer que le scénario a toujours connu la relative instabilité de forme et de fonction que nous observons aujourd’hui ».">26</a>.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>3. &laquo;&nbsp;Faire entrer le cin&eacute;ma dans la litt&eacute;rature&nbsp;&raquo; ou faire du sc&eacute;nario un genre litt&eacute;raire</strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>Pour Pagnol, faire du sc&eacute;nario un genre litt&eacute;raire consiste avant tout &agrave; l&rsquo;introduire dans le monde litt&eacute;raire, par l&rsquo;&eacute;dition, par la revue, par la reconnaissance d&rsquo;institutions litt&eacute;raires. La publication des sc&eacute;narios entre dans une strat&eacute;gie auctoriale qui consiste &agrave; conf&eacute;rer une l&eacute;gitimit&eacute; au m&eacute;dium cin&eacute;matographique en le rapprochant de la litt&eacute;rature. L&rsquo;&eacute;dition, les revendications de l&rsquo;auctorialit&eacute; du cin&eacute;aste, l&rsquo;entr&eacute;e &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie, les participations &agrave; des comit&eacute;s litt&eacute;raires du cin&eacute;ma, la fondation de la revue <em>Les Cahiers du film</em> sont autant de gestes qui participent de ce projet&nbsp;: &laquo;&nbsp;faire entrer le cin&eacute;ma dans la litt&eacute;rature&nbsp;&raquo;. Cette expression de Pagnol est l&rsquo;une des lignes de force de sa doctrine cin&eacute;matographique, qui le distingue et en fait un des premiers auteurs du cin&eacute;ma&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;En somme, on peut admettre que les producteurs, depuis deux ans, ont essay&eacute; de faire entrer la litt&eacute;rature dans le cin&eacute;ma&nbsp;: leur r&eacute;ussite, de ce c&ocirc;t&eacute;, n&rsquo;est pas contestable. Ce qu&rsquo;il faudrait faire, maintenant, ce serait &eacute;crire directement un film. Un film dont l&rsquo;histoire e&ucirc;t une valeur humaine, une valeur dramatique, une valeur picturale. Un film dont le texte e&ucirc;t une valeur litt&eacute;raire et dont on pourrait citer une sc&egrave;ne dans un manuel de morceaux choisis. Celui qui le premier &eacute;crira un tel film, son nom restera dans l&rsquo;histoire de notre temps parce qu&rsquo;il aura fait entrer le cin&eacute;ma dans la litt&eacute;rature<a href="#nbp27" id="footnoteref27_1ut6c0u" name="liennbp27" title="D’après une page manuscrite exposée à Aubagne, centre d’art des Pénitents noirs, lors de l’exposition « Marcel Pagnol de l’encrier au projecteur », du 2 octobre 2015 au 30 janvier 2016.">27</a>. </em></q></p> <p>Pagnol est conscient de l&rsquo;importance symbolique du livre et de l&rsquo;&eacute;criture pour donner un statut artistique au sc&eacute;nario et par extension au film. Nul doute qu&rsquo;il cherche &agrave; &ecirc;tre ce pionnier qui entre dans l&rsquo;histoire litt&eacute;raire et cin&eacute;matographique par la publication de ses sc&eacute;narios. Jean F&eacute;lix dans <em>Le Film Sonore</em> qualifie Pagnol de &laquo;&nbsp;pr&eacute;curseur&nbsp;&raquo;, qui &laquo;&nbsp;inaugure une &egrave;re nouvelle dans l&rsquo;art cin&eacute;matographique [&hellip;]&nbsp;: l&rsquo;av&egrave;nement du vrai intellectuel au cin&eacute;ma<a href="#nbp28" id="footnoteref28_l924rex" name="liennbp28" title="Cité dans la Revue de presse des Cahiers du Cinéma, 19 janvier 1934">28</a> &raquo;. Albert Thibaudet, plus sceptique, commentant la publication de <em>Merlusse</em>, d&eacute;clare que &laquo;&nbsp;l&rsquo;heure du cin&eacute;ma litt&eacute;raire n&rsquo;a pas encore sonn&eacute;<a href="#nbp29" id="footnoteref29_9mj74nq" name="liennbp29" title="Albert Thibaudet, « Cinéma et littérature » [1er février 1936], dans Réflexions sur la littérature, Paris, Éditions Gallimard, 2007, p. 1597.">29</a> &raquo;.</p> <p>Pour autant, &agrave; l&rsquo;heure des bilans, habilit&eacute;s par un regard r&eacute;trospectif, les historiens du cin&eacute;ma ne manquent pas de souligner l&rsquo;innovation de Pagnol, qui m&eacute;rite d&rsquo;entrer dans l&rsquo;histoire du cin&eacute;ma &agrave; ce titre. Ces &eacute;ditions transforment un genre marginal en succ&egrave;s de librairie&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;On peut citer comme unique dans l&rsquo;histoire du cin&eacute;ma le fait que, sur un plan litt&eacute;raire, Pagnol ait obtenu avec le texte d&rsquo;un sc&eacute;nario un succ&egrave;s populaire &eacute;quivalent &agrave; celui d&rsquo;un roman ou d&rsquo;une pi&egrave;ce. [&hellip;] Pagnol fut ainsi le premier &ndash; et sans doute le seul &ndash; cin&eacute;aste au monde &agrave; publier lui-m&ecirc;me ses sc&eacute;narios. Cinquante ans plus tard, ces m&ecirc;mes textes, ainsi que beaucoup d&rsquo;autres, se vendent toujours en librairie sous forme de livre de poche. Avoir donn&eacute; un statut litt&eacute;raire durable &agrave; des sc&eacute;narios de films que les lecteurs ach&egrave;tent au m&ecirc;me titre que des romans ou des pi&egrave;ces de th&eacute;&acirc;tre participe aussi &agrave; ce qu&rsquo;a d&rsquo;absolument unique le destin de Pagnol comme cin&eacute;aste<a href="#nbp30" id="footnoteref30_148tin3" name="liennbp30" title="Dictionnaire du Cinéma, tome III, Paris, Les Films de Jacques Lourcelles (Robert Laffont), coll. « Bouquins », 1992, p. 224 -226 et p. 1332-1333.">30</a>. </em></q></p> <p>&laquo;&nbsp;Donne[r] un statut&nbsp;&raquo;, voil&agrave; la gageure que se propose Marcel Pagnol, qui cherche &agrave; institutionnaliser le texte d&rsquo;un film. Il le r&eacute;p&egrave;te lors de plusieurs entretiens avec des journalistes&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Ce que je veux &ndash; et c&rsquo;est ce que j&rsquo;ai d&eacute;j&agrave; essay&eacute; depuis Le Gendre de M. Poirier &ndash; c&rsquo;est introduire la litt&eacute;rature dans le cin&eacute;ma. Avant tout, il faut un texte &eacute;crit. Ensuite, mon ambition serait d&rsquo;introduire le cin&eacute;ma dans la litt&eacute;rature. Je suis s&ucirc;r que j&rsquo;&eacute;crirai un jour un livre, un roman qui sera sans qu&rsquo;une virgule en soit chang&eacute;e un sc&eacute;nario, un d&eacute;coupage de film. Et je voudrais avec ce roman &ndash; formule de demain &ndash; obtenir un prix litt&eacute;raire<a href="#nbp31" id="footnoteref31_65uncsf" name="liennbp31" title="Roger Régent, « Marcel Pagnol expose un programme révolutionnaire », Candide, grand hebdomadaire parisien et littéraire, n° 500, 12 octobre 1933, p. 15.">31</a>. </em></q></p> <p>Quelle que soit la forme g&eacute;n&eacute;rique que choisit le sc&eacute;nario, roman, dialogue, d&eacute;coupage, le livre des films de Pagnol a pour ambition d&rsquo;entrer au palmar&egrave;s de la litt&eacute;rature. Ne souscrivant pas &agrave; une pens&eacute;e essentialiste du genre litt&eacute;raire, Pagnol con&ccedil;oit de fa&ccedil;on pragmatique le genre litt&eacute;raire comme une pratique. L&rsquo;enjeu est bien toujours d&rsquo;obtenir pour ce texte d&eacute;consid&eacute;r&eacute; un prestige et une reconnaissance institutionnels. Le cin&eacute;aste confie &eacute;galement &agrave; George Berni&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Tous mes films seront d&eacute;sormais &eacute;dit&eacute;s en librairie, d&eacute;clara Pagnol en 1935. Il ajoutera, en ne plaisantant qu&rsquo;&agrave; demi&nbsp;: bien que je ne brigue aucun honneur, je ne serais pas f&acirc;ch&eacute; d&rsquo;obtenir pour le texte d&rsquo;un film, un prix de l&rsquo;Acad&eacute;mie Fran&ccedil;aise. Cela marquerait d&rsquo;embl&eacute;e l&rsquo;entr&eacute;e du cin&eacute;ma dans la litt&eacute;rature<a href="#nbp32" id="footnoteref32_419hiul" name="liennbp32" title="Georges Berni, Merveilleux Pagnol: l’histoire de ses œuvres à travers celle de sa carrière, Monte-Carlo, Pastorelly, 1993, p. 79 : Marcel Pagnol à Charles A. Rickard, Le Vingtième siècle, Bruxelles, 13 décembre 1935.">32</a>. </em></q></p> <p>Sans avoir re&ccedil;u de prix litt&eacute;raire de l&rsquo;Acad&eacute;mie pour ses films, il a &eacute;t&eacute; &eacute;lu &agrave; l&rsquo;un de ses si&egrave;ges, r&eacute;alisant ainsi symboliquement l&rsquo;institutionnalisation de la figure de l&rsquo;auteur de films et de sc&eacute;narios. Son geste est proprement symbolique lorsque le jour de son &eacute;lection &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie Fran&ccedil;aise, il d&eacute;cide de faire entrer pour la premi&egrave;re fois l&rsquo;appareil cin&eacute;matographique dans le temple de la cons&eacute;cration de la litt&eacute;rature et de la langue fran&ccedil;aises. Filmer son entr&eacute;e &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie revient ainsi &agrave; dater l&rsquo;entr&eacute;e du cin&eacute;ma dans la litt&eacute;rature. Michel Aubriant analyse de m&ecirc;me l&rsquo;entr&eacute;e du premier cin&eacute;aste &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Mais en la personne d&rsquo;un jeune homme de quarante ans, boh&egrave;me et d&eacute;sinvolte, le cin&eacute;ma, pour la premi&egrave;re fois, recevait comme des lettres de noblesse. Dor&eacute;navant, il ne serait plus d&eacute;shonorant, pour l&rsquo;&eacute;crivain soucieux de sa gloire, d&rsquo;&eacute;crire des films, puisque cela risquait d&rsquo;ouvrir les portes de l&rsquo;Acad&eacute;mie. En la personne de M. Marcel Pagnol, le film entrait dans les manuels de litt&eacute;rature, sur le m&ecirc;me pied que l&rsquo;oraison fun&egrave;bre, la trag&eacute;die en cinq actes et le sonnet, l&rsquo;&eacute;pop&eacute;e et les autres genres reconnus. [&hellip;] Il &nbsp;&eacute;tait recommand&eacute; d&rsquo;&eacute;crire des films&nbsp;; selon son humeur, comme l&rsquo;on &eacute;crit un roman. [&hellip;] Le film se mettait &agrave; vivre d&egrave;s que la derni&egrave;re ligne du d&eacute;coupage et des dialogues avait &eacute;t&eacute; &eacute;crite. Le reste n&rsquo;&eacute;tait plus que formalit&eacute;. Comme il existe un th&eacute;&acirc;tre qui se lit, on pouvait imaginer une cin&eacute;math&egrave;que compos&eacute;e de films qui n&rsquo;auraient jamais connu la cam&eacute;ra. [&hellip;] Le film perdait de sa valeur unique. Il n&rsquo;&eacute;tait plus que certaine mani&egrave;re, pas meilleure, pas plus mauvaise qu&rsquo;une autre, de repr&eacute;senter un sujet. [&hellip;] Ce qu&rsquo;il pouvait y avoir d&rsquo;insolite, en 1947, &agrave; ne voir dans le film qu&rsquo;une nouvelle forme litt&eacute;raire, aujourd&rsquo;hui ne surprend plus<a href="#nbp33" id="footnoteref33_aed084e" name="liennbp33" title="Michel Aubriant, « Marcel Pagnol et les historiens de cinéma », Paris-Théâtre, n°115, décembre 1956, p. 9-10.">33</a>.&raquo;</em></q></p> <p>Outre la mise en sc&egrave;ne m&eacute;nag&eacute;e par les projecteurs et les <em>sunlights</em> sous la Coupole, Marcel Pagnol prononce le terme de &laquo;&nbsp;cin&eacute;math&egrave;que&nbsp;&raquo; dans son <em>Discours de</em> <em>r&eacute;ception</em><a href="#nbp34" id="footnoteref34_nyqzfya" name="liennbp34" title="Marcel Pagnol, Discours de réception, op. cit. : « Mais il est certain que les chefs-d’œuvre anciens prendront place, l’un après l’autre, dans la cinémathèque qui se complète chaque année : c’est grâce à cette forme nouvelle du théâtre d’ombres que l’œuvre de Maurice Donnay ne subira point l’éclipse fatale ».">34</a><em>,</em> r&eacute;affirmant discr&egrave;tement qu&rsquo;il ne se pr&eacute;sente pas seulement &agrave; l&rsquo;immortalit&eacute; comme dramaturge mais comme le premier homme qui a aliment&eacute; une biblioth&egrave;que du cin&eacute;ma. &Agrave; c&ocirc;t&eacute; des symboles dramatiques, l&rsquo;&eacute;p&eacute;e de l&rsquo;immortel exhibe l&rsquo;identit&eacute; de cin&eacute;aste de son propri&eacute;taire&nbsp;: elle comporte sur la fus&eacute;e une pellicule de film et en dessous de la garde une croix de Malte, rappelant la forme d&rsquo;une pi&egrave;ce que comportaient les premi&egrave;res cam&eacute;ras. Cette intronisation est le r&eacute;sultat de nombreuses d&eacute;marches qui tendent vers la &laquo;&nbsp;litt&eacute;rarisation&nbsp;&raquo; ou l&rsquo;institutionnalisation du cin&eacute;ma. Les liens que Pagnol essaie de tisser entre le monde litt&eacute;raire et cin&eacute;matographique contribuent &agrave; donner leurs lettres de noblesse au sc&eacute;nario comme genre dramatique. De m&ecirc;me, la fondation de la revue <em>Les Cahiers du film</em>, &laquo;&nbsp;dont la pr&eacute;tention est d&rsquo;&ecirc;tre &agrave; la fois cin&eacute;matographique et litt&eacute;raire<a href="#nbp35" id="footnoteref35_7zbf9k5" name="liennbp35" title="Anonyme, « Marcel Pagnol fonde une revue », Comoedia, 16 décembre 1933.">35</a> &raquo;, vise &agrave; inscrire le m&eacute;dium cin&eacute;matographique dans les us et coutumes de la litt&eacute;rature, qui se commente et s&rsquo;&eacute;labore dans les pages des revues. Marcel Pagnol confie &agrave; Roger R&eacute;gent le programme de cette revue de doctrine&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;En t&ecirc;te de notre programme est &eacute;crit ceci&nbsp;: le texte avant tout. On a jusqu&rsquo;&agrave; pr&eacute;sent fait trop bon march&eacute; de l&rsquo;auteur&nbsp;: nous voulons le r&eacute;habiliter et fonder toute une &eacute;cole nouvelle et dont les principes m&ecirc;me seront &eacute;nonc&eacute;s et d&eacute;fendus dans une revue cin&eacute;matographique mensuelle que je fonderai bient&ocirc;t<a href="#nbp36" id="footnoteref36_x92kiny" name="liennbp36" title="Roger Régent, op. cit., p. 15.">36</a>. </em></q></p> <p>Le texte de Charles Fasquelle, dans le premier num&eacute;ro de la revue, fait plus que promouvoir le dialogue sc&eacute;naristique et pr&eacute;sente le film comme un support m&eacute;diatique, qui propose une nouvelle impression, un nouveau mode de conservation, une nouvelle &eacute;dition du texte litt&eacute;raire. Cette r&eacute;duction du film au m&eacute;dium, qui en fait une simple technique d&rsquo;enregistrement, est sans doute la th&eacute;orie qui va le plus loin dans le rapprochement du litt&eacute;raire et du cin&eacute;ma, l&rsquo;inscrivant dans la production &eacute;ditoriale du livre et non du cin&eacute;ma.</p> <p><q><em>&nbsp;L&rsquo;&eacute;dition, c&rsquo;est-&agrave;-dire la pr&eacute;sentation au public d&rsquo;une &oelig;uvre litt&eacute;raire, ne doit plus se borner &agrave; la simple transformation d&rsquo;un manuscrit en un livre. Le manuscrit, du reste, ne m&eacute;rite plus son nom. La plupart des &eacute;crivains publient d&rsquo;abord leur &oelig;uvre dans un journal, un hebdomadaire ou une revue. La publication en livre est surtout pour l&rsquo;auteur, le moyen de livrer dans sa forme la plus d&eacute;finitive son &oelig;uvre&nbsp;; sans plus avoir &agrave; se soucier de la client&egrave;le de la revue ou des n&eacute;cessit&eacute;s du nombre de lignes et de divisions de chapitres. C&rsquo;est pourquoi du reste, le livre repr&eacute;sente pour l&rsquo;&eacute;crivain le moyen d&rsquo;expression qui lui permet de s&rsquo;approcher le plus possible de la perfection de son art litt&eacute;raire.<br /> Lorsque l&rsquo;auteur et l&rsquo;&eacute;diteur ont obtenu pour un roman, en plus de l&rsquo;&eacute;dition courante, une &eacute;dition de luxe, une &eacute;dition populaire et quelques traductions, ils consid&egrave;rent que l&rsquo;&oelig;uvre a &eacute;t&eacute; exploit&eacute;e &agrave; fond. C&rsquo;est &agrave; ce moment-l&agrave;, au contraire, que l&rsquo;&eacute;diteur doit poursuivre son effort, et puisqu&rsquo;il est admis que le film est l&rsquo;imprimerie du th&eacute;&acirc;tre, il est normal que l&rsquo;&eacute;diteur imprimeur du livre s&rsquo;int&eacute;resse &agrave; cette nouvelle &eacute;dition<a href="#nbp37" id="footnoteref37_bh65q23" name="liennbp37" title="Charles Fasquelle, « Le point de vue de l’éditeur », Les Cahiers du film, 15 décembre 1933, p. 9-10.">37</a>. </em></q></p> <p>Dans cette perspective, le film, devenu produit d&eacute;riv&eacute; du livre, tend &agrave; &ecirc;tre un objet d&eacute;valoris&eacute;&nbsp;: il n&rsquo;est pas premier dans la cr&eacute;ation &ndash; contrairement au sc&eacute;nario &ndash; il ne vise qu&rsquo;&agrave; la diffusion massive d&rsquo;une &oelig;uvre. Cette th&eacute;orie assimile le film &agrave; l&rsquo;impression d&rsquo;une &eacute;criture sc&eacute;naristique, pla&ccedil;ant le texte au centre de la cr&eacute;ation cin&eacute;matographique, &agrave; la fois origine et finalit&eacute; du film (diffuser le texte &eacute;crit). On voit combien cette th&eacute;orie &ndash; tr&egrave;s pol&eacute;mique &ndash; inverse la hi&eacute;rarchie entre le film et le sc&eacute;nario, et fait de la r&eacute;alisation non le geste d&rsquo;ach&egrave;vement d&rsquo;une &oelig;uvre, mais l&rsquo;ex&eacute;cution d&rsquo;une &oelig;uvre qui est d&eacute;j&agrave; finie. La sacralisation artistique ne se porte pas sur la mise en sc&egrave;ne du film mais sur l&rsquo;&eacute;criture sc&eacute;naristique d&rsquo;un &eacute;crivain. Cette hi&eacute;rarchie entre sc&eacute;nario et film se fonde sur le mod&egrave;le du th&eacute;&acirc;tre dans sa conception classique, qui fait de la pi&egrave;ce un objet fini dont la mise en sc&egrave;ne n&rsquo;est qu&rsquo;une actualisation. Ce faisant, Pagnol &eacute;prouve les limites et les contradictions de sa doctrine, quand pour le th&eacute;&acirc;tre, il admet l&rsquo;importance de l&rsquo;ex&eacute;cution sc&eacute;nique.</p> <p>Si la publication des sc&eacute;narios est un enjeu primordial, c&rsquo;est pour prouver d&rsquo;une part, que le texte est, non pas un brouillon, mais une &oelig;uvre aboutie, d&rsquo;autre part, que le cin&eacute;aste produit une &oelig;uvre de qualit&eacute;. Le titre que le cin&eacute;aste a donn&eacute; &agrave; sa collection, &laquo;&nbsp;Les films que l&rsquo;on peut lire&nbsp;&raquo;, souligne que la possibilit&eacute; de lecture ajoute &agrave; leur qualit&eacute;. Contre ces films illisibles, les films de Pagnol sont des &eacute;lus, ayant la capacit&eacute; d&rsquo;entrer dans la noble biblioth&egrave;que. Ces textes publi&eacute;s lui permettent d&rsquo;asseoir sa posture de cin&eacute;aste-auteur. &Eacute;mile Vuillermoz, commentant sa lecture de <em>La Femme du boulanger</em> et le titre de la collection, souligne combien le livre se fait le gage d&rsquo;un cin&eacute;ma de qualit&eacute;&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Ce principe &eacute;tant admis, je d&eacute;clare hautement que la lecture du livre de cent cinquante pages qui contient le dialogue tir&eacute; par Marcel Pagnol de la nouvelle de Jean Giono est un v&eacute;ritable r&eacute;gal. Ce texte est publi&eacute; dans une collection intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;les films que l&rsquo;on peut lire&nbsp;&raquo;. Cette &eacute;tiquette est tout un programme et situe parfaitement la question. &Agrave; partir de l&rsquo;instant o&ugrave; l&rsquo;on nous propose de lire un film au lieu de le regarder, il n&rsquo;y a plus d&rsquo;entente possible entre &eacute;crivains et cin&eacute;astes. Mais je suis parfaitement d&rsquo;accord avec l&rsquo;&eacute;diteur de cette brochure lorsqu&rsquo;il d&eacute;clare que La Femme du boulanger est un film que l&rsquo;on peut lire. J&rsquo;ajouterai m&ecirc;me que c&rsquo;est un film qu&rsquo;on doit lire, car ce texte est, d&rsquo;un bout &agrave; l&rsquo;autre, d&rsquo;une tr&egrave;s haute qualit&eacute;<a href="#nbp38" id="footnoteref38_drb6pfh" name="liennbp38" title="Emile Vuillermoz, « La Femme du boulanger », Le Temps, 8 octobre 1938.">38</a>. </em></q></p> <p>L&rsquo;&eacute;tude des diff&eacute;rentes &eacute;ditions des films met en &eacute;vidence que Marcel Pagnol joue sur la proximit&eacute; avec le dialogue de th&eacute;&acirc;tre. Si dans la premi&egrave;re &eacute;dition (aux &laquo;&nbsp;&Eacute;ditions Marcel Pagnol&nbsp;&raquo;), le m&eacute;dium filmique reste pr&eacute;sent par l&rsquo;inclusion d&rsquo;images notamment, la seconde aux &Eacute;ditions Fasquelle joue sur le trouble g&eacute;n&eacute;rique. La suppression du sous-titre &laquo;&nbsp;film&nbsp;&raquo; d&rsquo;une &eacute;dition &agrave; l&rsquo;autre est significative &agrave; cet &eacute;gard et invite &agrave; une labilit&eacute; des r&eacute;alisations qui peuvent se faire sur sc&egrave;ne ou &agrave; l&rsquo;&eacute;cran. Cette fluidit&eacute; m&eacute;diatique rappelle les pratiques g&eacute;n&eacute;riques de Marguerite Duras, qui sous-titre <em>India Song</em> &laquo;&nbsp;texte-th&eacute;&acirc;tre-film&nbsp;&raquo;, niant les fronti&egrave;res g&eacute;n&eacute;riques. Mais l&agrave; o&ugrave; Duras exhibe l&rsquo;hybridit&eacute;, Pagnol la dissimule. Le brouillage se pose comme crit&egrave;re d&rsquo;une modernit&eacute; esth&eacute;tique, dont Marcel Pagnol participe. Fasquelle supprime &eacute;galement les photographies du film, que l&rsquo;on trouvait pr&eacute;c&eacute;demment en guise d&rsquo;illustrations au texte. Avec ces illustrations, les &Eacute;ditions Marcel Pagnol ne proposaient pas un v&eacute;ritable aper&ccedil;u de la bande-image. Il est notable qu&rsquo;elles ne suivaient pas la progression du film, et qu&rsquo;elles &eacute;chouaient &agrave; illustrer v&eacute;ritablement le texte. Souvent d&eacute;cal&eacute;es par rapport au dialogue, ces images l&eacute;gend&eacute;es par une r&eacute;plique r&eacute;f&eacute;raient &agrave; une sc&egrave;ne lue bien ant&eacute;rieurement. La l&eacute;gende n&rsquo;&eacute;tait pas fid&egrave;le &agrave; la photographie propos&eacute;e. Autant d&rsquo;indices qui mettent en &eacute;vidence que l&rsquo;image ne se proposait pas du tout comme une possibilit&eacute; de lecture alternative. Sans coh&eacute;rence ni correspondance avec le film, l&rsquo;image ne constituait qu&rsquo;un aper&ccedil;u assez erron&eacute; de l&rsquo;&oelig;uvre film&eacute;e. D&egrave;s les &Eacute;ditions Marcel Pagnol, c&rsquo;est la lettre qui pr&eacute;vaut sur l&rsquo;image, et qui dit la conjuration du cin&eacute;matographe dans la version publi&eacute;e. L&rsquo;&eacute;dition Fasquelle indique clairement le statut dramatique des textes publi&eacute;s. En quatri&egrave;me de couverture, nous lisons &laquo;&nbsp;choix de pi&egrave;ces&nbsp;&raquo;, dans lequel nous trouvons&nbsp;: <em>Ang&egrave;le</em>, <em>Merlusse</em> &ndash; <em>Cigalon</em>, <em>C&eacute;sar</em>, <em>La Fille du Puisatier</em>, <em>Le Schpountz</em> et <em>Regain</em>. D&rsquo;autre part, ces &laquo;&nbsp;pi&egrave;ces de th&eacute;&acirc;tre&nbsp;&raquo; cohabitent sur cette quatri&egrave;me de couverture avec&nbsp; celles d&rsquo;Edmond Rostand, Maurice Maeterlinck, Octave Mirbeau ou Sacha Guitry. Ce choix &eacute;ditorial indique combien Marcel Pagnol entend l&eacute;gitimer l&rsquo;art cin&eacute;matographique en le faisant entrer dans une maison d&rsquo;&eacute;dition historique mais aussi en le rapprochant de l&rsquo;art th&eacute;&acirc;tral. Le processus &eacute;ditorial qui &laquo;&nbsp;th&eacute;&acirc;tralise&nbsp;&raquo; peut ainsi &ecirc;tre lu comme une tentative d&rsquo;&eacute;liminer ce qui est proprement &laquo;&nbsp;mineur&nbsp;&raquo;. L&rsquo;&eacute;dition ferait oublier combien il s&rsquo;agit d&rsquo;un art d&eacute;pendant de la technique, d&rsquo;un art pourrait-on dire d&rsquo;ex&eacute;cution, puisqu&rsquo;il &laquo;&nbsp;r&eacute;alise&nbsp;&raquo; une &eacute;criture. L&rsquo;&eacute;dition ferait ressortir davantage le &laquo;&nbsp;dramatique&nbsp;&raquo; qui ennoblit le cin&eacute;matographe, en l&rsquo;inscrivant dans un art quasi intemporel, &eacute;loign&eacute; des contingences mat&eacute;rielles.</p> <p>Pagnol donne la premi&egrave;re &eacute;dition d&rsquo;un sc&eacute;nario original avec <em>Merlusse</em> en 1935 dans la revue th&eacute;&acirc;trale <em>La Petite Illustration</em>. Cette publication doit repr&eacute;senter un &eacute;v&eacute;nement historique qui consacre le sc&eacute;nario comme genre litt&eacute;raire &agrave; part enti&egrave;re. &Agrave; l&rsquo;occasion de cette parution, un article de Robert de Beauplan accompagne le texte&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Le pr&eacute;sent fascicule de La Petite Illustration comporte une innovation remarquable&nbsp;: pour la premi&egrave;re fois est publi&eacute;, comme s&rsquo;il s&rsquo;agissait d&rsquo;une pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre, le texte int&eacute;gral d&rsquo;un film parlant. [&hellip;] Au temps du film muet, La Petite Illustration avait consacr&eacute; un certain nombre de ses num&eacute;ros &agrave; des productions cin&eacute;matographiques. Le jour o&ugrave; un texte parl&eacute; s&rsquo;est ajout&eacute; au d&eacute;roulement des images, il est devenu impossible sans trahir un film, d&rsquo;en reproduire seulement l&rsquo;aspect visuel. [&hellip;] Mais une autre difficult&eacute; alors a surgi. Dans la plupart des cas ce dialogue &eacute;tait &eacute;l&eacute;mentaire, sch&eacute;matique ou d&rsquo;une valeur litt&eacute;raire manifestement insuffisante pour m&eacute;riter qu&rsquo;on en f&icirc;t cas. Il tenait lieu, &agrave; peu pr&egrave;s, des anciens sous-titres dont le film muet ponctuait son d&eacute;veloppement. [&hellip;] Cette r&eacute;invention du th&eacute;&acirc;tre par le film parlant, c&rsquo;est ce que M. Marcel Pagnol a voulu tenter. Sans pr&eacute;juger du film lui-m&ecirc;me, qu&rsquo;ils auront d&rsquo;autant plus envie d&rsquo;aller voir qu&rsquo;ils en auront eu la connaissance anticip&eacute;e, ils pourront constater que le texte de M. Pagnol est comparable pour sa qualit&eacute; &agrave; celui de ses meilleures pi&egrave;ces et que cette simple histoire o&ugrave; l&rsquo;&eacute;motion se m&ecirc;le &agrave; l&rsquo;humour, au pittoresque et au mouvement est en tous points digne de l&rsquo;auteur auquel on doit l&rsquo;inoubliable premier acte de Topaze qui se passait, lui aussi, parmi les enfants d&rsquo;une institution scolaire<a href="#nbp39" id="footnoteref39_i4qwpmb" name="liennbp39" title="Robert de Beauplan, « M. Marcel Pagnol et le cinéma parlant », La Petite Illustration, 1er juin 1935, n° 725, p. 31.">39</a>. </em></q></p> <p><em>La Petite Illustration</em> met en sc&egrave;ne le caract&egrave;re pionnier de cette publication, qui marquerait l&rsquo;av&egrave;nement du sc&eacute;nario comme genre litt&eacute;raire. La pr&eacute;sentation et le choix d&rsquo;une revue th&eacute;&acirc;trale soulignent le parti pris de donner la m&ecirc;me forme g&eacute;n&eacute;rique qu&rsquo;une pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre. D&rsquo;autre part, la d&eacute;cision de faire para&icirc;tre le texte avant la sortie du film en salle se veut symbolique de l&rsquo;ant&eacute;riorit&eacute; et de l&rsquo;ind&eacute;pendance du texte sc&eacute;naristique face &agrave; la r&eacute;alisation cin&eacute;matographique. La strat&eacute;gie auctoriale de Marcel Pagnol fait syst&egrave;me&nbsp;: s&rsquo;adonnant &agrave; un nouveau genre litt&eacute;raire, il pousse les journalistes &agrave; pratiquer eux aussi un genre in&eacute;dit, le compte-rendu de lecture de sc&eacute;nario, inscrivant subtilement le sc&eacute;nario dans les usages litt&eacute;raires. Ren&eacute; Bizet propose ainsi son compte-rendu de lecture&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Voici un petit &eacute;v&eacute;nement &agrave; la fois litt&eacute;raire et cin&eacute;matographique. Pour la premi&egrave;re fois, dans L&rsquo;Illustration th&eacute;&acirc;trale, para&icirc;t le texte d&rsquo;un film&nbsp;: Merlusse&nbsp;; il est sign&eacute; Marcel Pagnol. L&rsquo;auteur de Marius a pris l&rsquo;excellente pr&eacute;caution de ne pas nous donner un d&eacute;coupage du travail, mais une v&eacute;ritable pi&egrave;ce, fid&egrave;le en cela d&rsquo;ailleurs &agrave; son esth&eacute;tique personnelle dont on sait qu&rsquo;il applique les r&egrave;gles avec rigueur. [&hellip;] Nous ne la raconterons pas pour ne pas g&acirc;ter le plaisir de ceux qui verront la pr&eacute;sentation prochaine du film. [&hellip;] On a pris un grand plaisir &agrave; cette lecture de Merlusse. Nous ne pr&eacute;jugeons pas de celui que nous aurons &agrave; la vue des images. Mais f&eacute;licitons Marcel Pagnol, dans un temps o&ugrave; l&rsquo;on b&acirc;cle tant de scenarii et o&ugrave; la plupart semblent avoir &eacute;t&eacute; faits sans souci de la composition, ni du style, de nous en donner un qui se pr&eacute;sente comme un beau conte<a href="#nbp40" id="footnoteref40_uoofma7" name="liennbp40" title="René Bizet, « Le texte de Merlusse de Marcel Pagnol », Le Jour, 4 juin 1935.">40</a>. </em></q></p> <p>Le film comme le sc&eacute;nario de Pagnol se distinguent nettement de la production courante par ce parti-pris litt&eacute;raire, et engagent le cin&eacute;aste sur les voies des honneurs et de la reconnaissance. Maurice Bard&egrave;che donne lui aussi un commentaire int&eacute;ressant du texte du film&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;La Petite Illustration, qui ne se pique pas d&rsquo;&ecirc;tre &agrave; l&rsquo;avant-garde, vient pourtant d&rsquo;offrir &agrave; son public la primeur d&rsquo;une exp&eacute;rience ing&eacute;nieuse&nbsp;: elle a en effet publi&eacute; un &laquo;&nbsp;dialogue pour film&nbsp;&raquo; de M. Marcel Pagnol. Ce n&rsquo;est pas du th&eacute;&acirc;tre, ce n&rsquo;est pas un sc&eacute;nario, c&rsquo;est un genre nouveau sorti tout arm&eacute; comme Minerve du cerveau de son cr&eacute;ateur, un genre litt&eacute;raire comme le sonnet, le po&egrave;me &eacute;pique et la lettre aux sels Kruschen. [&hellip;] Il en vint &agrave; cette conclusion qu&rsquo;on devait &eacute;crire pour le cin&eacute;ma comme on &eacute;crit pour le th&eacute;&acirc;tre, et cr&eacute;er, avant toute r&eacute;alisation du film, un texte sc&eacute;nique qui emprunterait au th&eacute;&acirc;tre l&rsquo;art du dialogue et au cin&eacute;ma les facilit&eacute;s du mouvement. On obtiendrait ainsi des &oelig;uvres courtes &eacute;crites comme une pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre mais disposant de la mobilit&eacute; du roman. [&hellip;] Seulement ce genre amphibie qui tient du roman ou plus exactement de la nouvelle par sa maniabilit&eacute; et du th&eacute;&acirc;tre par sa pr&eacute;sentation, n&rsquo;&eacute;chappe pas au reproche de sacrifier &agrave; l&rsquo;apparence litt&eacute;raire et &agrave; l&rsquo;apparence seulement<a href="#nbp41" id="footnoteref41_glogbmw" name="liennbp41" title="Maurice Bardèche, « Sur un film inédit de Marcel Pagnol », 1935, 17 juillet 1935.">41</a>. </em></q></p> <p>Le journaliste, s&rsquo;il conteste la valeur litt&eacute;raire du texte qui n&rsquo;est qu&rsquo;une &laquo;&nbsp;historiette&nbsp;&raquo;, remarque l&rsquo;innovation que rev&ecirc;t une telle d&eacute;marche, qualifi&eacute;e tour &agrave; tour d&rsquo;avant-garde et d&rsquo;exp&eacute;rience. Surtout, Bard&egrave;che rel&egrave;ve l&rsquo;hybridit&eacute; d&rsquo;un tel genre, entre le roman et le th&eacute;&acirc;tre. Cette pratique amphibie des genres et des m&eacute;dias concentre les intentions modernistes de Marcel Pagnol.</p> <p>&nbsp;</p> <p>Ainsi, la d&eacute;marche pagnolienne, qui consiste &agrave; th&eacute;&acirc;traliser et &agrave; donner une forme litt&eacute;raire au cin&eacute;ma, est pionni&egrave;re. Contrairement &agrave; ce que pr&eacute;tend Michel Aubriant, l&rsquo;assimilation du sc&eacute;nario &agrave; un genre litt&eacute;raire est loin d&rsquo;aller de soi. Malgr&eacute; les multiples possibilit&eacute;s de passage d&rsquo;une sph&egrave;re &agrave; l&rsquo;autre, la relation entre cin&eacute;ma et litt&eacute;rature reste habituellement de l&rsquo;ordre de l&rsquo;adaptation, pr&eacute;supposant deux modalit&eacute;s distinctes d&rsquo;&eacute;criture. Marcel Pagnol mart&egrave;le dans ses interviews l&rsquo;identit&eacute; entre l&rsquo;&eacute;criture dramatique et cin&eacute;matographique, ce qui ram&egrave;ne <em>in fine</em> le film en territoire litt&eacute;raire au m&ecirc;me titre que le th&eacute;&acirc;tre. Le cin&eacute;aste calque les modes de r&eacute;ception du th&eacute;&acirc;tre et du cin&eacute;ma, genres qui peuvent &ecirc;tre &agrave; la fois vus sur sc&egrave;ne et &agrave; l&rsquo;&eacute;cran, lus dans un fauteuil, comment&eacute;s dans des comptes-rendus journalistiques, publi&eacute;s en revue. Les auteurs de la cin&eacute;math&egrave;que fran&ccedil;aise comme les dramaturges peuvent &ecirc;tre &eacute;lus au rang des Immortels. Le livre de cin&eacute;ma est un enjeu symbolique pour faire du r&eacute;alisateur et sc&eacute;nariste un auteur, qui garantit une l&eacute;gitimit&eacute; artistique &agrave; la fois &agrave; son film et &agrave; son sc&eacute;nario. Dissimulant les traits distinctifs qui pourraient s&eacute;parer l&rsquo;&eacute;criture sc&eacute;naristique et dramatique, Pagnol rend invisibles les d&eacute;marcations g&eacute;n&eacute;riques et brouillent les fronti&egrave;res, au point que ces textes deviennent des histoires disponibles aussi bien pour la sc&egrave;ne que pour l&rsquo;&eacute;cran.</p> <p>&nbsp;</p> <p><em>(CELLF 19e-20e, Paris IV)</em></p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><b>Notes et r&eacute;f&eacute;rences</b></p> <p><a href="#liennbp1" name="nbp1">1</a> Roger R&eacute;gent, &laquo;&nbsp;Marcel Pagnol expose un programme r&eacute;volutionnaire&nbsp;&raquo;, <em>Candide, grand hebdomadaire parisien et litt&eacute;raire</em>, n&deg; 500, 12 octobre 1933, p. 15.</p> <p><a href="#liennbp2" name="nbp2">2</a> Anne Huet, <em>Le Sc&eacute;nario</em>, Paris, Cahiers du cin&eacute;ma, SCEREN-CNDP, 2005, p. 13.</p> <p><a href="#liennbp3" name="nbp3">3</a> Voir Fr&eacute;d&eacute;rique Toudoire-Surlapierre &laquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;Regarder l&rsquo;impossible&nbsp;&raquo;&nbsp;: l&rsquo;&eacute;criture didascalique dans le th&eacute;&acirc;tre du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle&nbsp;&raquo;, dans Florence Fix et Fr&eacute;d&eacute;rique Toudoire-Surlapierre (dir.), <em>La Didascalie dans le th&eacute;&acirc;tre du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle&nbsp;: regarder l&rsquo;impossible</em>, Dijon, &Eacute;ditions Universitaires de Dijon, 2007, p. 17. Elle parle notamment d&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;un certain mode d&rsquo;&eacute;criture&nbsp;&raquo; de la didascalie.</p> <p><a href="#liennbp4" name="nbp4">4</a> Anne Huet, <em>op. cit.</em>, p. 13.</p> <p><a href="#liennbp5" name="nbp5">5</a> Pier Paolo Pasolini, &laquo;&nbsp;Le sc&eacute;nario comme structure tendant &agrave; &ecirc;tre une autre structure&nbsp;&raquo;, dans <em>L&rsquo;Exp&eacute;rience&nbsp; h&eacute;r&eacute;tique</em>, Paris, Editions Payot, 1976, p. 36-46</p> <p><a href="#liennbp6" name="nbp6">6</a> Francis Vanoye, <em>Sc&eacute;narios mod&egrave;les, mod&egrave;les de sc&eacute;narios</em>, Paris, Armand Colin, 2005, p.&nbsp;13.</p> <p><a href="#liennbp7" name="nbp7">7</a> Robbe-Grillet, &laquo;&nbsp;Pr&eacute;face de <em>L&rsquo;Immortelle</em>&nbsp;&raquo;, dans <em>L&rsquo;Immortelle</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1963, p. 7.</p> <p><a href="#liennbp8" name="nbp8">8</a> Le cycle romanesque <em>L&rsquo;Eau des collines</em> qui novellise le film <em>Manon des sources</em> prend le pas sur l&rsquo;&eacute;dition du sc&eacute;nario, qui n&rsquo;est que peu r&eacute;&eacute;dit&eacute;. Ce n&rsquo;est pas &agrave; cause de la sup&eacute;riorit&eacute; g&eacute;n&eacute;rique du roman face au sc&eacute;nario, mais parce que le roman reconstitue l&rsquo;int&eacute;gralit&eacute; de la fable, l&agrave; o&ugrave; le film et le sc&eacute;nario, pour des raisons de longueur, ne l&rsquo;ont pas permis.</p> <p><a href="#liennbp9" name="nbp9">9</a> Francis Vanoye, <em>op. cit.</em>, p. 177.</p> <p><a href="#liennbp10" name="nbp10">10</a> Francis Vanoye, <em>op. cit.</em>, p. 179.</p> <p><a href="#liennbp11" name="nbp11">11</a> Jean-Paul Torok, <em>Le Sc&eacute;nario, histoire, th&eacute;orie, pratique</em>, Paris, &Eacute;ditions Henri Veyrier, 1986, p.&nbsp;141.</p> <p><a href="#liennbp12" name="nbp12">12</a> Jean-Paul Torok, <em>op. cit</em>., p. 156-157.</p> <p><a href="#liennbp13" name="nbp13">13</a> Andr&eacute; Helbo, <em>L&rsquo;adaptation&nbsp;: du th&eacute;&acirc;tre au cin&eacute;ma</em>, Paris, Armand Colin, 1997, p. 98-99.</p> <p><a href="#liennbp14" name="nbp14">14</a> Michel Mari&eacute; et Francis Vanoye, &laquo;&nbsp;Comment parler la bouche pleine&nbsp;&raquo;, <em>Communications : Enonciation et cin&eacute;ma</em>, n&deg;38, 1983, p. 52.</p> <p><a href="#liennbp15" name="nbp15">15</a> Jean Claude Carri&egrave;re et Pascal Bonitzer, <em>Exercice du sc&eacute;nario</em>, Paris, La Femis, 1990, p. 36.</p> <p><a href="#liennbp16" name="nbp16">16</a> Jacqueline Van Nypelseer, &laquo;&nbsp;La Litt&eacute;rature de sc&eacute;nario&nbsp;&raquo;, <em>Cin&eacute;mas&nbsp;: revue d&rsquo;&eacute;tudes cin&eacute;matographiques&nbsp;/ </em>Cinemas: Journal of Film Studies, vol. 2, n&deg; 1, 1991, p. 93.</p> <p><a href="#liennbp17" name="nbp17">17</a> Yvon Nody, &laquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;Je ne fais que du th&eacute;&acirc;tre&nbsp;&raquo; nous dit Marcel Pagnol&nbsp;&raquo;, <em>Le Jour</em>, 23 f&eacute;vrier 1935, p. 6.</p> <p><a href="#liennbp18" name="nbp18">18</a> &laquo;&nbsp;Sp&eacute;cial Pagnol. Le Schpountz. Cin&eacute;ma&nbsp;&raquo;, <em>L&rsquo;Avant-Sc&egrave;ne</em>, n&deg; 105-106, juillet-septembre 1970, p. 10. Vis-&agrave;-vis du <em>Schpountz</em>, remarquons que notre texte est diff&eacute;rent de l&rsquo;&eacute;dition du d&eacute;coupage original, puisque nous avons visionn&eacute;, selon notre habitude, le film tel qu&rsquo;il a &eacute;t&eacute; mont&eacute; d&eacute;finitivement. En cours de texte, nous signalons les diff&eacute;rences, ainsi que les coupures, pour que nos lecteurs appr&eacute;cient mieux le travail du sc&eacute;nariste-dialoguiste-cin&eacute;aste. J-G P.</p> <p><a href="#liennbp19" name="nbp19">19</a> Jean-Paul Torok, <em>op. cit.</em>, p. 98.</p> <p><a href="#liennbp20" name="nbp20">20</a> C&rsquo;est ce qu&rsquo;expliquent Jean-Claude Carri&egrave;re et Pascal Bonitzer, <em>op. cit.</em>, p. 34-35&nbsp;: &laquo;&nbsp;Nagu&egrave;re, quand tout le cin&eacute;ma se faisait en studio et que le d&eacute;corateur, le directeur de la photo et l&rsquo;ensemble des techniciens pouvaient ex&eacute;cuter fid&egrave;lement tout ce qu&rsquo;on leur demandait (ou presque), l&rsquo;&eacute;criture du sc&eacute;nario offrait un aspect strictement technique, tout &eacute;tait d&eacute;coup&eacute;, souvent dessin&eacute; plan par plan avec des indications pr&eacute;cises d&rsquo;objectif, de dur&eacute;e de plan, de mouvements d&rsquo;appareil etc. [&hellip;] Le tournage en d&eacute;cors naturels, qui s&rsquo;est g&eacute;n&eacute;ralis&eacute; avec la nouvelle vague (pour des raisons esth&eacute;tiques et &eacute;conomiques) a fait &eacute;voluer l&rsquo;&eacute;criture du sc&eacute;nario. On ne pourra pas repousser les murs, construire une chute d&rsquo;eau&nbsp;: il faudra donc que le d&eacute;coupage et l&rsquo;ensemble de la r&eacute;alisation technique s&rsquo;adaptent aux d&eacute;cors &ndash; et non le contraire.&nbsp;&raquo;</p> <p><a href="#liennbp21" name="nbp21">21</a> Isabelle Raynauld, <em>Lire et &eacute;crire un sc&eacute;nario, le sc&eacute;nario de film comme texte</em>, Paris, Armand Colin 2012, p.&nbsp;17.</p> <p><a href="#liennbp22" name="nbp22">22</a> Claude Gauteur, &laquo;&nbsp;&Agrave; la recherche de Pagnol&nbsp;&raquo;, <em>La Revue du cin&eacute;ma/Image et son</em>, n&deg; 275, juin-juillet 1969, p.&nbsp;154.</p> <p><a href="#liennbp23" name="nbp23">23</a> Francis Vanoye, <em>op. cit.</em>, p. 11.</p> <p><a href="#liennbp24" name="nbp24">24</a> Robbe-Grillet, &laquo;&nbsp;Pr&eacute;face pour <em>Glissements progressifs du plaisir&nbsp;</em>&raquo;, dans <em>Glissements progressifs du plaisir</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1974, p. 9.</p> <p><a href="#liennbp25" name="nbp25">25</a> Michel Collomb, <em>La Litt&eacute;rature art d&eacute;co, sur le style d&rsquo;&eacute;poque</em>, Paris, M&eacute;ridiens Klincksieck, 1987, p. 177.</p> <p><a href="#liennbp26" name="nbp26">26</a> Francis Vanoye, <em>op. cit.</em>, p. 7&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mais l&rsquo;histoire semble montrer que le sc&eacute;nario a toujours connu la relative instabilit&eacute; de forme et de fonction que nous observons aujourd&rsquo;hui&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp27" name="nbp27">27</a> D&rsquo;apr&egrave;s une page manuscrite expos&eacute;e &agrave; Aubagne, centre d&rsquo;art des P&eacute;nitents noirs, lors de l&rsquo;exposition &laquo;&nbsp;Marcel Pagnol de l&rsquo;encrier au projecteur&nbsp;&raquo;, du 2 octobre 2015 au 30 janvier 2016.</p> <p><a href="#liennbp28" name="nbp28">28</a> Cit&eacute; dans la Revue de presse des <em>Cahiers du Cin&eacute;ma</em>, 19 janvier 1934</p> <p><a href="#liennbp29" name="nbp29">29</a> Albert Thibaudet, &laquo;&nbsp;Cin&eacute;ma et litt&eacute;rature&nbsp;&raquo; [1<sup>er</sup> f&eacute;vrier 1936], dans <em>R&eacute;flexions sur la litt&eacute;rature</em>, Paris, &Eacute;ditions Gallimard, 2007, p. 1597.</p> <p><a href="#liennbp30" name="nbp30">30</a><em> Dictionnaire du Cin&eacute;ma</em>, tome III, Paris, Les Films de Jacques Lourcelles (Robert Laffont), coll. &laquo;&nbsp;Bouquins&nbsp;&raquo;, 1992, p. 224 -226 et p. 1332-1333.</p> <p><a href="#liennbp31" name="nbp31">31</a> Roger R&eacute;gent, &laquo;&nbsp;Marcel Pagnol expose un programme r&eacute;volutionnaire&nbsp;&raquo;, <em>Candide, grand hebdomadaire parisien et litt&eacute;raire</em>, n&deg; 500, 12 octobre 1933, p. 15.</p> <p><a href="#liennbp32" name="nbp32">32</a> Georges Berni, <em>Merveilleux Pagnol: l&rsquo;histoire de ses &oelig;uvres &agrave; travers celle de sa carri&egrave;re</em>, Monte-Carlo, Pastorelly, 1993, p. 79&nbsp;: Marcel Pagnol &agrave; Charles A. Rickard, Le Vingti&egrave;me si&egrave;cle, Bruxelles, 13 d&eacute;cembre 1935.</p> <p><a href="#liennbp33" name="nbp33">33</a> Michel Aubriant, &laquo;&nbsp;Marcel Pagnol et les historiens de cin&eacute;ma&nbsp;&raquo;, <em>Paris-Th&eacute;&acirc;tre</em>, n&deg;115, d&eacute;cembre 1956, p. 9-10.</p> <p><a href="#liennbp34" name="nbp34">34</a> Marcel Pagnol, <em>Discours de r&eacute;ception</em>, <em>op. cit.</em>&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mais il est certain que les chefs-d&rsquo;&oelig;uvre anciens prendront place, l&rsquo;un apr&egrave;s l&rsquo;autre, dans la cin&eacute;math&egrave;que qui se compl&egrave;te chaque ann&eacute;e : c&rsquo;est gr&acirc;ce &agrave; cette forme nouvelle du th&eacute;&acirc;tre d&rsquo;ombres que l&rsquo;&oelig;uvre de Maurice Donnay ne subira point l&rsquo;&eacute;clipse fatale&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp35" name="nbp35">35</a> Anonyme, &laquo;&nbsp;Marcel Pagnol fonde une revue&nbsp;&raquo;, <em>Comoedia</em>, 16 d&eacute;cembre 1933.</p> <p><a href="#liennbp36" name="nbp36">36</a> Roger R&eacute;gent, <em>op. cit</em>., p. 15.</p> <p><a href="#liennbp37" name="nbp37">37</a> Charles Fasquelle, &laquo;&nbsp;Le point de vue de l&rsquo;&eacute;diteur&nbsp;&raquo;, <em>Les Cahiers du film</em>, 15 d&eacute;cembre 1933, p. 9-10.</p> <p><a href="#liennbp38" name="nbp38">38</a> Emile Vuillermoz, &laquo;&nbsp;<em>La Femme du boulanger</em>&nbsp;&raquo;, <em>Le Temps</em>, 8 octobre 1938.</p> <p><a href="#liennbp39" name="nbp39">39</a> Robert de Beauplan, &laquo;&nbsp;M. Marcel Pagnol et le cin&eacute;ma parlant&nbsp;&raquo;, <em>La Petite Illustration</em>, 1<sup>er</sup> juin 1935, n&deg; 725, p.&nbsp;31.</p> <p><a href="#liennbp40" name="nbp40">40</a> Ren&eacute; Bizet, &laquo;&nbsp;Le texte de <em>Merlusse</em>&nbsp;de Marcel Pagnol&nbsp;&raquo;, <em>Le Jour</em>, 4 juin 1935.</p> <p><a href="#liennbp41" name="nbp41">41 </a>Maurice Bard&egrave;che, &laquo;&nbsp;Sur un film in&eacute;dit de Marcel Pagnol&nbsp;&raquo;, <em>1935</em>, 17 juillet 1935.</p>