<p>&laquo;Tu m&rsquo;ennuies, Gaspard Winckler. Tu n&rsquo;&eacute;tais bon qu&rsquo;&agrave; faire des faux.&raquo;</p> <p>Georges Perec,&nbsp;<em>Le Condotti&egrave;re</em></p> <p>&nbsp;</p> <p>L&rsquo;&oelig;uvre de Georges Perec regorge de faussaires et d&rsquo;imposteurs, d&rsquo;escroqueries et de mystifications, d&rsquo;arnaqueurs et de mystificateurs, de forgeries et de plagiats. Le questionnement au sujet de l&rsquo;ambigu rapport entre le vrai et le faux est un trait fondamental de la po&eacute;tique de Perec, qu&rsquo;il d&eacute;veloppe tout au long de sa production, de son roman de jeunesse&nbsp;<em>Le Condotti&egrave;re</em>&nbsp;(1960, mais publi&eacute; en 2012), jusqu&rsquo;au dernier roman publi&eacute; de son vivant,&nbsp;<em>Un cabinet d&rsquo;amateur</em>&nbsp;(1979). La fascination de Perec pour les multiples figures du faux et de l&rsquo;imposture<a href="#nbp_1" id="footnoteref1_p0sj7na" name="lien_nbp_1" title="L’imposture se différencie du faux par la présence d’une intention frauduleuse. Les auteurs qui se sont occupés de catégories très proches de l’imposture, comme la falsification ou la forgerie, ne manquent pas de le rappeler: Umberto Eco, par exemple, dans son article «La falsification au Moyen Age», identifie dans la présence du dol l’élément définitoire de la falsification. Pareillement, Anthony Grafton fait appel à la notion de mens rea pour définir la forgerie. Voir Umberto Eco, «La falsification au Moyen Age», dans De l’arbre au labyrinthe. Études historiques sur le signe et l’interprétation, Paris, Librairie Générale Française, 2011, pp.297-332, et Anthony Grafton, Forgers and Critics. Creativity and Duplicity in Western Scholarship, Londres, Collins &amp; Brown, 1990.">1</a>&nbsp;investit ses textes &agrave; tous les niveaux: les sujets des histoires racont&eacute;es, les th&egrave;mes abord&eacute;s par le r&eacute;cit, les choix formels de l&rsquo;agencement de la machinerie narrative. Pour mieux saisir l&rsquo;importance du th&egrave;me de l&rsquo;imposture chez Perec, trois &eacute;l&eacute;ments retiendront notre attention: la pr&eacute;sence de personnages de faussaires et d&rsquo;escrocs, et la multiplication des r&eacute;cits de mystification; le lien &eacute;troit qui est affich&eacute; entre imposture et identit&eacute;, qui se d&eacute;cline dans les th&egrave;mes de l&rsquo;auto-imposture, du sujet pris au pi&egrave;ge de ses propres duperies; enfin, le go&ucirc;t du faire-semblant, du trompe-l&rsquo;&oelig;il, de la forgerie, qui semble placer l&rsquo;imposture au c&oelig;ur de la cr&eacute;ation litt&eacute;raire.</p> <p><strong>Gaspard Winckler, faussaire de g&eacute;nie</strong></p> <p>Depuis 2012, il est possible de lire&nbsp;<em>Le</em>&nbsp;<em>Condotti&egrave;re</em>, texte que Perec a d&eacute;fini comme le &laquo;premier roman &agrave; peu pr&egrave;s abouti<a href="#nbp_2" id="footnoteref2_nc63cz2" name="lien_nbp_2" title="Georges Perec, W ou Le Souvenir d’enfance, Paris, Gallimard (L’Imaginaire), 1993, p.146.">2</a>&raquo; qu&rsquo;il parv&icirc;nt &agrave; &eacute;crire&nbsp; et qui, refus&eacute; par Gallimard en 1960 et jamais publi&eacute; du vivant de l&rsquo;auteur, avait &eacute;t&eacute; consid&eacute;r&eacute; comme disparu pendant des d&eacute;cennies. L&rsquo;auteur, dans&nbsp;<em>W ou Le Souvenir d&rsquo;enfance</em>, en donne ce concis&nbsp;r&eacute;sum&eacute;: &laquo;le h&eacute;ros, Gaspard Winckler, est un faussaire de g&eacute;nie qui ne parvient pas &agrave; fabriquer un Antonello de Messine et qui est amen&eacute;, &agrave; la suite de cet &eacute;chec, &agrave; assassiner son commanditaire<a href="#nbp_3a" id="footnoteref3_d13zt0y" name="lien_nbp_3a" title="Idem.">3</a>.&raquo;&nbsp;<em>Le Condotti&egrave;re</em>&nbsp;affiche d&eacute;j&agrave; nombre de th&egrave;mes qui caract&eacute;riseront les &oelig;uvres successives de Perec: un personnage nomm&eacute; Gaspard Winckler; l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t pour la peinture, et pour la question du faux dans l&rsquo;art; le portrait du&nbsp;<em>Condotti&egrave;re</em>&nbsp;d&rsquo;Antonello de Messine, qui fait son apparition dans presque toutes les &oelig;uvres de Perec, en sorte de double de l&rsquo;auteur; le puzzle comme m&eacute;thode de composition&nbsp;et le questionnement, dramatique ici, sur l&rsquo;identit&eacute;, sur l&rsquo;authenticit&eacute; du soi, cach&eacute; sous d&rsquo;innombrables masques jusqu&rsquo;&agrave; ne plus pouvoir &ecirc;tre atteint. L&rsquo;entreprise insens&eacute;e que Gaspard se propose de mener &agrave; bien, &laquo;la cr&eacute;ation authentique d&rsquo;un chef-d&rsquo;&oelig;uvre du pass&eacute;<a href="#nbp_4" id="footnoteref4_n1pfpi1" name="lien_nbp_4" title="Georges Perec, Le Condottière, Paris, Éditions du Seuil (Points), 2012, p.56.">4</a>&raquo;, se retourne finalement contre lui car, une fois termin&eacute; son faux Antonello, il retrouve sur le tableau son propre visage, &laquo;le trouble &eacute;quivoque de son propre regard<a href="#nbp_5a" id="footnoteref5_zdng4co" name="lien_nbp_5a" title="Ibid., p.99.">5</a>&raquo;. Malgr&eacute; sa ma&icirc;trise parfaite de toutes les techniques du faussaire, Gaspard reste pris &agrave; son propre jeu: l&rsquo;imposteur s&rsquo;av&egrave;re &ecirc;tre lui-m&ecirc;me une imposture, son existence est fausse, son visage rien d&rsquo;autre qu&rsquo;un masque. Les pr&eacute;occupations principales de Perec, qui &eacute;mergent &agrave; travers cette histoire de faussaire en crise, en cavale apr&egrave;s avoir assassin&eacute; son commanditaire, sont &agrave; la fois d&rsquo;ordre esth&eacute;tique et &eacute;thique. Les techniques de production des faux permettent &agrave; Winckler de r&eacute;aliser des forgeries tr&egrave;s convaincantes, &agrave; la hauteur des faux Vermeer produits par Van Meegeren: &laquo;Je prenais trois ou quatre tableaux de n&rsquo;importe qui, je choisissais un peu partout des &eacute;l&eacute;ments, je remuais bien, et je construisais un puzzle<a href="#nbp_6" id="footnoteref6_cwq21yo" name="lien_nbp_6" title="Ibid., p.112. Cette technique de puzzle est la même qu’utilisait Hans Van Meegeren (1889 - 1947), le célèbre faussaire hollandais, comme Perec le rappelle: «De trois tableaux de Vermeer, Van Meegeren en créait un quatrième» (p.56). Au sujet de Van Meegeren, une lecture intéressante est Edward Dolnick, The Forger’s Spell. A True Story of Vermeer, Nazis, and the Greatest Art Hoax of the Twentieth Century, New York, Harper, 2008. Le Condottière convoque d’autres faussaires historiques, comme les Italiens Alceo Dossena (1878 - 1937) et Icilio Federico Joni (1866 – 1946).">6</a>&raquo;. La repr&eacute;sentation, par ce proc&eacute;d&eacute; de tableau-puzzle, devient pure question de savoir-faire technique, compl&egrave;tement d&eacute;tach&eacute;e de toute adh&eacute;sion au r&eacute;el; les faux de Winckler sont des simulacres qui renvoient &agrave; d&rsquo;autres simulacres, sans passer par la connaissance du monde, par l&rsquo;exp&eacute;rience du r&eacute;el.&nbsp;&laquo;Il connaissait mal le monde. Des fant&ocirc;mes seulement pouvaient na&icirc;tre de ses doigts. L&agrave; &eacute;tait peut-&ecirc;tre sa limite. Des techniques mill&eacute;naires qui ne servaient &agrave; rien, qui ne renvoyaient qu&rsquo;&agrave; elles-m&ecirc;mes<a href="#nbp_7a" id="footnoteref7_gcyn7nd" name="lien_nbp_7a" title="Ibid., p.55.">7</a>.&raquo; Le faussaire est condamn&eacute; &agrave; &ecirc;tre le seul &agrave; voir du composite l&agrave; o&ugrave; les autres personnes pensent voir de l&rsquo;authentique; alors que le regard des autres est leurr&eacute; par &laquo;l&rsquo;apparente ad&eacute;quation de l&rsquo;ensemble<a href="#nbp_5b" id="footnoteref5_361fp83" name="lien_nbp_5b" title="Ibid., p.99.">5</a>&raquo;, son regard per&ccedil;oit, par-del&agrave; cette&nbsp;<em>mimesis</em>&nbsp;illusoire, les craquelures, les failles, les fragments, l&rsquo;incoh&eacute;rence, la supercherie. De la fausset&eacute; de la repr&eacute;sentation &agrave; la fausset&eacute; de l&rsquo;existence, de la fausset&eacute; de l&rsquo;objet &agrave; la fausset&eacute; du sujet, il n&rsquo;y a qu&rsquo;un pas.</p> <p><q>C&rsquo;&eacute;tait une dr&ocirc;le d&rsquo;existence. Tellement fausse. Tellement plus fausse que ce que je voulais. Fausse &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de sa fausset&eacute;, tu comprends? Une vie sans racines, sans attaches. Sans autre pass&eacute; que le pass&eacute; du monde, abstrait et fig&eacute;, comme un catalogue de mus&eacute;e<a href="#nbp_8" id="footnoteref8_fnbyxx3" name="lien_nbp_8" title="Ibid., p.175.">8</a>.</q></p> <p>Le probl&egrave;me devient alors &eacute;thique, puisque la longue pratique du faux de Winckler se heurte &agrave; sa qu&ecirc;te de v&eacute;rit&eacute;: non pas la v&eacute;rit&eacute; du monde, ou de sa repr&eacute;sentation, mais sa propre v&eacute;rit&eacute;: &laquo;Avait-il eu conscience qu&rsquo;encore une fois &ccedil;&rsquo;avait &eacute;t&eacute; sa propre image qu&rsquo;il recherchait<a href="#nbp_9" id="footnoteref9_tq9geuq" name="lien_nbp_9" title="Ibid., p.65.">9</a>?&raquo; Winckler regrette la d&eacute;cision prise dans le pass&eacute; &laquo;d&rsquo;&ecirc;tre enti&egrave;rement et de n&rsquo;&ecirc;tre que cette absence, ce creux, ce moule, ce r&eacute;p&eacute;titeur, ce faux cr&eacute;ateur, cet agent m&eacute;canique des &oelig;uvres du pass&eacute;<a href="#nbp_10" id="footnoteref10_jlay2js" name="lien_nbp_10" title="Ibid., p.67.">10</a>&raquo;, et semble vouloir en finir avec une existence fausse, v&eacute;cue &laquo;sous le couvert d&rsquo;innombrables masques<a href="#nbp_11" id="footnoteref11_o1pyjeg" name="lien_nbp_11" title="Ibid., p.106.">11</a>.&raquo; Le portrait a bascul&eacute; dans un autoportrait de faussaire, qui restitue &agrave; son auteur, tel un miroir, sa propre fausset&eacute;. La r&eacute;flexion sur le th&egrave;me du visage et des masques se fait, au fil des pages, de plus en plus hallucin&eacute;e, obs&eacute;dante, d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;e: &laquo;les masques, encore les masques, le poids des masques<a href="#nbp_12" id="footnoteref12_ifzsb0a" name="lien_nbp_12" title="Ibid., p.133.">12</a>&hellip;&raquo;</p> <p><strong><em>Larvatus prodeo</em></strong><strong>: une difficile qu&ecirc;te d&rsquo;identit&eacute;</strong></p> <p>Par le biais de la th&eacute;matique du faussaire d&rsquo;art, commencent &agrave; se dessiner dans&nbsp;<em>Le Condotti&egrave;re</em>&nbsp;quelques-uns des axes majeurs de la r&eacute;flexion future de Perec sur les rapports entre r&eacute;el et fiction, sur les fronti&egrave;res entre authentique et faux, sur la po&eacute;tique du regard, sur l&rsquo;&eacute;criture de soi, sur la qu&ecirc;te difficile de l&rsquo;identit&eacute;. Prenons par exemple les flottements dans la narration, qui semble ne pas savoir choisir entre un r&eacute;cit &agrave; la premi&egrave;re, &agrave; la deuxi&egrave;me, ou &agrave; la troisi&egrave;me personne, et qui bascule finalement dans la neutralit&eacute; de la transcription de dialogues: cette apparente faiblesse d&rsquo;un &eacute;crivain &agrave; ses premi&egrave;res &eacute;preuves atteste d&eacute;j&agrave; un trait stylistique qui sera caract&eacute;ristique de l&rsquo;&eacute;criture de Perec, une difficult&eacute; &agrave; dire &laquo;Je&raquo; qui s&rsquo;exprime &agrave; travers une recherche incessante de la formule pronominale la plus ad&eacute;quate pour parler de soi.&nbsp;<em>Le Condotti&egrave;re</em>, &agrave; cet &eacute;gard, est le pr&eacute;curseur de la neutralit&eacute; flaubertienne des&nbsp;<em>Choses</em>, du&nbsp;<em>tu</em>&nbsp;utilis&eacute; dans&nbsp;<em>Un homme qui dort</em>, et du &laquo;Je&raquo; de&nbsp;<em>W ou Le Souvenir d&rsquo;enfance</em>, bien que dans ce dernier roman au &laquo;Je&raquo; de la partie autobiographique s&rsquo;accompagne un r&eacute;cit parall&egrave;le o&ugrave; la focalisation devient plus trouble, et o&ugrave; alternent chapitres &agrave; la premi&egrave;re personne (le r&eacute;cit du&nbsp;<em>t&eacute;moin</em>&nbsp;Gaspard Winckler), chapitres dialogu&eacute;s, et une troisi&egrave;me voix anonyme<a href="#nbp_13" id="footnoteref13_974liac" name="lien_nbp_13" title="On pourrait aussi signaler, à titre d’exemple, la narration à la troisième personne dans «Les Lieux d’une fugue», qui cède la place, dans le dernier paragraphe, à la première personne; ou encore, dans «Le Saut en parachute», ce passage très révélateur: «enfin non, ce n’est pas on, c’est je». Georges Perec, «Le Saut en parachute», dans Je suis né, Paris, Éditions du Seuil (La Librairie du XXIe siècle), 1990, p.41.">13</a>. Le jeu sur le vrai et le faux est alors li&eacute; aux probl&egrave;mes de l&rsquo;&eacute;criture autobiographique et de la qu&ecirc;te identitaire, une pr&eacute;occupation qui se refl&egrave;te aussi dans l&rsquo;insistance sur le th&egrave;me de la labilit&eacute; des fronti&egrave;res entre souvenirs vrais et faux, ou bien dans les multiples formes de fluctuation onomastique&nbsp;(pseudonymies, changements de noms &agrave; l&rsquo;&eacute;tat civil, disparition, attribution forc&eacute;e ou usurpation des noms). Avant d&rsquo;aboutir pleinement avec&nbsp;<em>W ou Le Souvenir d&rsquo;enfance</em>, ces interrogations autobiographiques se font, au fil des textes, de plus en plus pr&eacute;cises. Apr&egrave;s le refus du manuscrit du&nbsp;<em>Condotti&egrave;re</em>, et avant d&rsquo;atteindre la publication et le succ&egrave;s des<em>&nbsp;Choses</em>, en 1965, Perec continue de travailler &agrave; son &laquo;chantier autobiographique<a href="#nbp_14" id="footnoteref14_kewm8sf" name="lien_nbp_14" title="Claude Burgelin, Georges Perec, Paris, Éditions du Seuil (Les contemporains), 1988, p.19.">14</a>&raquo;, comme l&rsquo;atteste le projet de&nbsp;<em>J&rsquo;avance masqu&eacute;</em>&nbsp;/&nbsp;<em>Gradus ad Parnassum</em>, en 1961. Perec rappelle ce &laquo;mauvais roman&raquo;, perdu et d&eacute;savou&eacute;, dans un extrait du &laquo;Petit carnet noir&raquo; d&rsquo;avant-textes de&nbsp;<em>W</em>, qui a &eacute;t&eacute; posthum&eacute;ment intitul&eacute;&nbsp;<em>Je suis n&eacute;</em>: &laquo;dans&nbsp;<em>J&rsquo;avance masqu&eacute;</em>&nbsp;le narrateur racontait au moins 3 fois de suite sa vie, les 3 narrations &eacute;tant &eacute;galement fausses [&hellip;] mais peut-&ecirc;tre significativement diff&eacute;rentes<a href="#nbp_15" id="footnoteref15_t2m5ixn" name="lien_nbp_15" title="Georges Perec, «Je suis né», dans Je suis né, op. cit., pp.10-11.">15</a>.&raquo; Comme le sugg&eacute;rait&nbsp;<em>Le Condotti&egrave;re</em>, l&rsquo;imposture dans le r&eacute;cit autobiographique semble relever plut&ocirc;t de l&rsquo;automystification, que d&rsquo;une volont&eacute; de tromper le regard des autres. Perec en est on ne peut plus conscient:</p> <p><q>L&rsquo;&eacute;criture me prot&egrave;ge. J&rsquo;avance sous le rempart de mes mots, de mes phrases, de mes paragraphes habilement encha&icirc;n&eacute;s, de mes chapitres astucieusement programm&eacute;s. Je ne manque pas d&rsquo;ing&eacute;niosit&eacute;.</q></p> <p><q>Ai-je encore besoin d&rsquo;&ecirc;tre prot&eacute;g&eacute;&nbsp;? Et si le bouclier devient un carcan&nbsp;?</q></p> <p><q>Il faudra bien, un jour, que je commence &agrave; me servir des mots pour d&eacute;masquer le r&eacute;el, pour d&eacute;masquer ma r&eacute;alit&eacute;<a href="#nbp_16" id="footnoteref16_fljhq7l" name="lien_nbp_16" title="Georges Perec, «Les Gnocchis de l’automne ou Réponse à quelques questions me concernant», dans Je suis né, op. cit., p.73.">16</a>.</q></p> <p>Dans ces confessions de 1972, les questionnements expos&eacute;s dans&nbsp;<em>Le Condotti&egrave;re</em>&nbsp;semblent n&rsquo;avoir pas encore trouv&eacute; de r&eacute;ponse. Perec avance (entre 1965 et 1969 il a publi&eacute;&nbsp;<em>Les Choses</em>,&nbsp;<em>Quel petit v&eacute;lo &agrave; guidon chrom&eacute; au fond de la cour?</em>,&nbsp;<em>Un homme qui dort</em>, et&nbsp;<em>La Disparition</em>), mais le sentiment d&rsquo;&ecirc;tre, tout comme Gaspard Winckler, un faussaire, un imposteur, ne dispara&icirc;t pas. La question cruciale, explique-t-il, est celle de la sinc&eacute;rit&eacute;:</p> <p><q>Mon probl&egrave;me serait plut&ocirc;t d&rsquo;arriver, je ne dis pas &agrave; la v&eacute;rit&eacute; (pourquoi la conna&icirc;trais-je mieux que quiconque et, par cons&eacute;quent, de quel droit prendrais-je la parole&nbsp;?), je ne dis pas non plus &agrave; la validit&eacute; (cela, c&rsquo;est un probl&egrave;me entre les mots et moi), mais plut&ocirc;t &agrave; la sinc&eacute;rit&eacute;. Ce n&rsquo;est pas une question de morale, mais une question de pratique<a href="#nbp_17a" id="footnoteref17_43c65dq" name="lien_nbp_17a" title="Ibid., p.69.">17</a>.</q></p> <p>Dans une lettre de 1969 &agrave; Maurice Nadeau, Perec, qui vient de publier&nbsp;<em>La Disparition</em>, d&eacute;taille ses projets pour l&rsquo;avenir, qui tournent, dans la plupart des cas, autour de sa recherche autobiographique:&nbsp;<em>L&rsquo;Arbre</em>, histoire de ses familles paternelles, maternelles et adoptives;&nbsp;<em>Les Lieux de la trentaine</em>, devenu&nbsp;<em>L&rsquo;&Acirc;ge</em>, ensuite int&eacute;gr&eacute; dans un vaste ensemble autobiographique intitul&eacute;&nbsp;<em>Loci soli</em>, ou&nbsp;<em>Soli loci</em>, ou&nbsp;<em>Lieux</em>;&nbsp;<em>Les Lieux o&ugrave; j&rsquo;ai dormi</em>, qui esquisse &laquo;une sorte d&rsquo;autobiographie vesp&eacute;rale<a href="#nbp_18" id="footnoteref18_0cny2l0" name="lien_nbp_18" title="Georges Perec, «Lettre à Maurice Nadeau», dans Je suis né, op. cit., p.61. ">18</a>&raquo;; et, enfin,&nbsp;<em>W</em>, qui deviendra le projet le plus urgent, le seul &agrave; &ecirc;tre abouti. La p&eacute;riode qui pr&eacute;c&egrave;de la publication de&nbsp;<em>W ou Le Souvenir d&rsquo;enfance</em>&nbsp;est aussi une p&eacute;riode tr&egrave;s f&eacute;conde, d&rsquo;intenses &eacute;changes intellectuels&nbsp;et d&rsquo;importantes mises au point: il faudra au moins signaler l&rsquo;entr&eacute;e &agrave; l&rsquo;OuLiPo (1967), la participation &agrave; la revue&nbsp;<em>Cause commune</em>, de Jean Duvignaud et Paul Virilio (1972-1973), qui aboutira &agrave; la publication d&rsquo;<em>Esp&egrave;ces d&rsquo;espaces</em>&nbsp;(1974), et l&rsquo;analyse men&eacute;e avec le psychanalyste Jean-Bertrand Pontalis (1971-1975), racont&eacute;e ensuite dans l&rsquo;article&nbsp;<em>Les Lieux d&rsquo;une ruse</em>.</p> <p>Le th&egrave;me de la ruse est, encore une fois, strictement li&eacute; &agrave; la qu&ecirc;te identitaire, aux automystifications (&laquo;ce prestidigitateur qui savait si bien s&rsquo;illusionner lui-m&ecirc;me<a href="#nbp_19" id="footnoteref19_y9olbnn" name="lien_nbp_19" title="Georges Perec, «Les Lieux d’une ruse», dans Penser/Classer, Paris, Éditions du Seuil (Points), 2003, p.68.">19</a>&raquo;), &agrave; une &laquo;&eacute;criture carapace&raquo; que l&rsquo;auteur voudrait effriter<a href="#nbp_20a" id="footnoteref20_dulwqxy" name="lien_nbp_20a" title="Ibid., p.70.">20</a>. Perec se demande: &laquo;La ruse, c&rsquo;est ce qui contourne, mais comment contourner la ruse<a href="#nbp_21" id="footnoteref21_5i8250g" name="lien_nbp_21" title="Ibid., p.60.">21</a>?&raquo; Le Gaspard Winckler faussaire, imposteur contre lui-m&ecirc;me, semble n&rsquo;avoir pas disparu. L&rsquo;imposture investit les mots, mais aussi les r&ecirc;ves, comme si, m&ecirc;me au plus profond de soi-m&ecirc;me, il &eacute;tait impossible d&rsquo;&eacute;chapper&nbsp;&agrave; son emprise:</p> <p><q>Il y avait longtemps d&eacute;j&agrave; que j&rsquo;avais fait la m&ecirc;me chose avec mes r&ecirc;ves. Bien avant le d&eacute;but de l&rsquo;analyse, j&rsquo;avais commenc&eacute; &agrave; me r&eacute;veiller la nuit pour les noter sur des carnets noirs qui ne me quittaient jamais. Tr&egrave;s vite, j&rsquo;&eacute;tais arriv&eacute; &agrave; une telle pratique que les r&ecirc;ves me venaient tout &eacute;crits dans la main, y compris leurs titres. [&hellip;] j&rsquo;ai fini par admettre que ces r&ecirc;ves n&rsquo;avaient pas &eacute;t&eacute; v&eacute;cus pour &ecirc;tre r&ecirc;ves, mais r&ecirc;v&eacute;s pour &ecirc;tre textes, qu&rsquo;ils n&rsquo;&eacute;taient pas la voie royale que je croyais qu&rsquo;ils seraient, mais chemins tortueux m&rsquo;&eacute;loignant chaque fois davantage d&rsquo;une reconnaissance de moi-m&ecirc;me<a href="#nbp_17b" id="footnoteref17_hocfnlx" name="lien_nbp_17b" title="Ibid., p.69.">17</a>.</q></p> <p><strong>Rester cach&eacute;, &ecirc;tre d&eacute;couvert:&nbsp;<em>W ou Le Souvenir d&rsquo;enfance</em></strong></p> <p>Pourtant, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque o&ugrave; Perec r&eacute;fl&eacute;chit au sujet de son analyse, la situation a compl&eacute;tement chang&eacute;. L&rsquo;analyse est termin&eacute;e, l&rsquo;auteur estime avoir finalement eu &laquo;acc&egrave;s&nbsp;&agrave; [s]on histoire et &agrave; [s]a voix<a href="#nbp_20b" id="footnoteref20_s6cag6l" name="lien_nbp_20b" title="Ibid., p.70.">20</a>&raquo;. Dor&eacute;navant, l&rsquo;approche de l&rsquo;autobiographie, ainsi que le rapport de l&rsquo;&eacute;crivain aux th&egrave;mes de la ruse, des mystifications, de l&rsquo;imposture, du faux, changeront compl&eacute;tement, parce que &laquo;&nbsp;quelque chose s&rsquo;est d&eacute;plac&eacute;, quelque chose se d&eacute;place et se trace<a href="#nbp_22" id="footnoteref22_z8huhxp" name="lien_nbp_22" title="Ibid., p.61.">22</a>&raquo;: les mots sont venus, et ils ont donn&eacute; vie &agrave;&nbsp;<em>W ou Le Souvenir d&rsquo;enfance</em>, l&rsquo;&oelig;uvre que Perec consid&eacute;rait comme son livre &laquo;le plus important<a href="#nbp_23" id="footnoteref23_tw7as7g" name="lien_nbp_23" title="Georges Perec, «Entretien avec Bernard Pous», dans Entretiens et conférences. Vol.II, 1979-1981, Nantes, Joseph K., 2003, p.182.">23</a>&raquo;.</p> <p>En scindant son texte en deux parties, une premi&egrave;re autobiographique &agrave; la premi&egrave;re personne, et une deuxi&egrave;me fictionnelle, Perec aborde ce non-dit qui hante son autobiographie&nbsp;et son &eacute;criture: la disparition des siens quand il &eacute;tait enfant (le p&egrave;re mort en guerre, la m&egrave;re d&eacute;port&eacute;e &agrave; Auschwitz), trait&eacute;e de mani&egrave;re explicite dans les chapitres autobiographiques, et de mani&egrave;re chiffr&eacute;e dans le r&eacute;cit fictionnel de Gaspard Winckler et de l&rsquo;&icirc;le de&nbsp;<em>W</em>. Dans ce roman les th&egrave;mes du faux et du double ne sont plus un pr&eacute;texte pour esquiver la sinc&eacute;rit&eacute;, mais permettent &agrave; Perec de parvenir finalement &agrave; &laquo;mettre un terme&raquo; au &laquo;lent d&eacute;chiffrement<a href="#nbp_24" id="footnoteref24_bbmj5on" name="lien_nbp_24" title="Georges Perec, W ou Le Souvenir d’enfance, op. cit., p.18.">24</a>&raquo; de son histoire. Pour ce faire, l&rsquo;auteur pr&eacute;cise qu&rsquo;il a d&ucirc;&nbsp;&laquo;tracer les limites&raquo; aussi bien que &laquo;donner un nom<a href="#nbp_25" id="footnoteref25_6yuxuse" name="lien_nbp_25" title="Idem. «Aujourd’hui, quatre ans plus tard, j’entreprends de mettre un terme – je veux tout autant dire par là “tracer les limites” que “donner un nom” – à ce lent déchiffrement».">25</a>&raquo; &agrave; cet indicible qui le hante, et qu&rsquo;il arrive ici &agrave; dire<a href="#nbp_26" id="footnoteref26_ub5nfd3" name="lien_nbp_26" title="«Dire l’indicible» est aussi le titre du premier chapitre de l’ouvrage de Philippe Lejeune dédié à Georges Perec autobiographe, La Mémoire et l’oblique, qui propose une analyse détaillée de la genèse de W ou le Souvenir d’enfance. Selon Lejeune, Perec aurait été «un autobiographe qui lucidement, patiemment, non par choix, mais parce qu’il était le dos au mur, a pris exclusivement des voies obliques pour cerner ce qui avait été non publié, mais oblitéré, pour dire l’indicible». Philippe Lejeune, La Mémoire et l’oblique. Georges Perec autobiographe, Paris, P.O.L., 1991, p.12. ">26</a>.&nbsp;La coexistence au sein du m&ecirc;me texte du refoulement dans le fictionnel (&laquo;tracer des limites&raquo;) et de l&rsquo;ouverture &agrave; l&rsquo;objectivit&eacute; du t&eacute;moignage autobiographique (&laquo;donner un nom&raquo;) a donc permis d&rsquo;accomplir la qu&ecirc;te identitaire et de surmonter la tension entre d&eacute;sir de se d&eacute;voiler et envie de se cacher. Par une formule tr&egrave;s cit&eacute;e depuis<a href="#nbp_27" id="footnoteref27_fjf0jbl" name="lien_nbp_27" title="À titre d’exemple, on pourrait citer l’article de Maryline Heck, «“Rester caché, être découvert”: les paradoxes de l’incarnation de la lettre chez Georges Perec», dans @nalyses, vol.3, n°1, hiver 2008 [en ligne]. https://uottawa.scholarsportal.info/ojs/index.php/revue-analyses/issue/view/181 [Site consulté le 25 janvier 2017].">27</a>, Perec souligne comment cette opposition se refl&egrave;te dans son &eacute;criture: &laquo;Une fois de plus, les pi&egrave;ges de l&rsquo;&eacute;criture se mirent en place. Une fois de plus, je fus comme un enfant qui joue &agrave; cache-cache et qui ne sait pas ce qu&rsquo;il craint ou d&eacute;sire le plus: rester cach&eacute;, &ecirc;tre d&eacute;couvert<a href="#nbp_3b" id="footnoteref3_fd4xtm5" name="lien_nbp_3b" title="Idem.">3</a>.&raquo;</p> <p>Se cacher pour mieux &ecirc;tre d&eacute;couvert? Et si personne n&rsquo;arrive &agrave; d&eacute;couvrir, si personne ne re&ccedil;oit le signal de d&eacute;tresse, si l&rsquo;on se cache bien au point de ne plus savoir se reconna&icirc;tre, d&rsquo;oublier ce qui se trouve derri&egrave;re le masque? Ou bien afficher pour mieux cacher? Mais &agrave; quoi bon ces feintes, ces ruses, ces trompe-l&rsquo;&oelig;il, si aucun &oelig;il ne les d&eacute;masque, si tout &oelig;il tombe dans le pi&egrave;ge? Dans&nbsp;<em>W ou Le Souvenir d&rsquo;enfance</em>, Perec termine de jouer &agrave; cache-cache. Dans la partie autobiographique, il affronte &agrave; visage d&eacute;couvert ses propres souvenirs d&rsquo;enfance, son histoire: tel un historien de lui-m&ecirc;me, il interroge les survivants et les vieux documents, il corrige ses propres faux souvenirs, il se d&eacute;masque et, ce faisant, il peut finalement arriver &agrave; d&eacute;crire &laquo;le chemin [qu&rsquo;il a] parcouru, le cheminement de [s]on histoire et l&rsquo;histoire de [s]on cheminement<a href="#nbp_3c" id="footnoteref3_ej590f1" name="lien_nbp_3c" title="Idem.">3</a>.&raquo; C&rsquo;est au prix de cette difficile et douloureuse entreprise, qu&rsquo;il peut finalement r&eacute;soudre l&rsquo;&laquo;alternative sans fin entre la sinc&eacute;rit&eacute; d&rsquo;une parole &agrave; trouver et l&rsquo;artifice d&rsquo;une &eacute;criture exclusivement pr&eacute;occup&eacute;e de dresser ses remparts<a href="#nbp_28" id="footnoteref28_pto99pb" name="lien_nbp_28" title="Ibid., p.63.">28</a>&raquo;. La fiction de Perec, alors, se ressource, se renouvelle, d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; gr&acirc;ce &agrave; une parole autobiographique sinc&egrave;re et objective finalement assum&eacute;e, et d&rsquo;un autre c&ocirc;t&eacute; gr&acirc;ce &agrave; la prise de conscience que dans les ruses de son &eacute;criture est inscrite la trace ind&eacute;l&eacute;bile d&rsquo;un v&eacute;cu indicible, la disparition de ses parents<a href="#nbp_29" id="footnoteref29_s0rhkfg" name="lien_nbp_29" title="«J’écris: j’écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j’ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leur corps; j’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture: leur souvenir est mort à l’écriture; l’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie.» Ibid., pp.64-65.">29</a>. Perec semble d&eacute;sormais s&ucirc;r que son &eacute;criture n&rsquo;est plus carapace, n&rsquo;est plus carcan, mais qu&rsquo;elle peut dissimuler, chiffrer, illusionner, sans que pour autant l&rsquo;auteur soit pris &agrave; son jeu, sans que ce soit un acte d&rsquo;insinc&eacute;rit&eacute;, une imposture.</p> <p><strong>Gaspard Winckler, revenant</strong></p> <p>Gaspard Winckler, le faussaire du&nbsp;<em>Condotti&egrave;re</em>, revient dans&nbsp;<em>W</em>, de mani&egrave;re double. En effet, dans ce roman nous trouvons deux Winckler diff&eacute;rents: un adulte, d&eacute;serteur, en fuite, en exil; un enfant, sourd-muet, traumatis&eacute;, naufrag&eacute;, disparu, peut-&ecirc;tre mort, peut-&ecirc;tre enfui ou abandonn&eacute;, peut-&ecirc;tre survivant. Le premier Winckler a usurp&eacute; &agrave; son insu l&rsquo;identit&eacute; du deuxi&egrave;me; portant le nom d&rsquo;un autre, il est encore une fois un faussaire mais de mani&egrave;re involontaire, comme si l&rsquo;imposture n&rsquo;&eacute;tait pas un choix personnel, mais une condition existentielle. Comme le signale Claude Burgelin: &laquo;Quiconque s&rsquo;appelle Gaspard Winckler, chez Perec, est en rapport avec le faux<a href="#nbp_30" id="footnoteref30_t2a1yza" name="lien_nbp_30" title="Claude Burgelin, Georges Perec, op. cit., p.151.">30</a>&raquo;. Le Winckler adulte, dont le vrai nom n&rsquo;est jamais r&eacute;v&eacute;l&eacute;, est charg&eacute; de retrouver le Winckler enfant, tout comme Georges Perec adulte, dans la partie autobiographique parall&egrave;le, va &agrave; la recherche du Georges Perec enfant. Les deux histoires &laquo;sont &agrave; entendre dans leur dualit&eacute;, dans la fa&ccedil;on dont elles font rebondir sans cesse la th&eacute;matique du double et celle du faux<a href="#nbp_31" id="footnoteref31_gps6peq" name="lien_nbp_31" title="Ibid., p.152.">31</a>.&raquo;</p> <p>Le d&eacute;doublement qui a lieu dans&nbsp;<em>W</em>, avec ses effets de r&eacute;p&eacute;tition et de variation, semble repr&eacute;senter l&rsquo;issue d&eacute;finitive des questions qui ont longtemps taraud&eacute; Perec, concernant l&rsquo;identit&eacute;, l&rsquo;autobiographie, et le rapport entre fiction et sinc&eacute;rit&eacute;. D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, nous avons Georges Perec lui-m&ecirc;me, sans masques, qui se souvient, qui parle &agrave; la premi&egrave;re personne, qui &eacute;crit cette partie de sa vie qu&rsquo;il croyait avoir oubli&eacute;e (&laquo;Je n&rsquo;ai pas de souvenirs d&rsquo;enfance<a href="#nbp_32" id="footnoteref32_yxfawg2" name="lien_nbp_32" title="Georges Perec, W ou Le Souvenir d’enfance, op. cit., p.17.">32</a>&raquo;), qui r&eacute;tablit les raisons de l&rsquo;objectivit&eacute; en menant une v&eacute;ritable enqu&ecirc;te, en corrigeant les faux souvenirs, se mettant &agrave; nu comme jamais il n&rsquo;avait os&eacute; le faire auparavant; de l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute;, en &eacute;cho &agrave; cette entreprise autobiographique, la permettant m&ecirc;me, nous avons Gaspard Winckler, faussaire, usurpateur, qui raconte une fable gla&ccedil;ante, t&eacute;moin d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements qui ressemblent &agrave; des visions hallucin&eacute;es, &agrave; des cauchemars, qu&rsquo;on peut peut-&ecirc;tre raconter uniquement au prix de la perte de nom, de l&rsquo;anonymat. Ainsi, par le truchement de la fiction, Perec peut int&eacute;grer &agrave; son histoire cette Histoire dont il ne peut pas parler &agrave; la premi&egrave;re personne, car il n&rsquo;a pas&nbsp;<em>vu</em>: la mort de la m&egrave;re, les camps. Il peut aussi int&eacute;grer cette fiction d&rsquo;un t&eacute;moignage, ce&nbsp;<em>souvenir d&rsquo;enfance</em>&nbsp;fantomal d&rsquo;un monde dystopique, cauchemardesque, inhumain, &agrave; ses authentiques souvenirs d&rsquo;enfance, ainsi qu&rsquo;aux faux souvenirs qu&rsquo;il amende. Sinc&eacute;rit&eacute; autobiographique, objectivit&eacute; documentaire et fiction ne s&rsquo;excluent plus mutuellement, mais communiquent, s&rsquo;entrecroisent, se solidarisent; le faux, qu&rsquo;il se manifeste comme fausse m&eacute;moire ou bien comme fiction litt&eacute;raire, n&rsquo;est plus n&eacute;cessairement imposture.</p> <p>Le m&ecirc;me discours s&rsquo;&eacute;tend au probl&egrave;me de l&rsquo;identit&eacute;: Gaspard Winckler usurpe son nom, mais les noms peuvent changer, &ecirc;tre r&eacute;attribu&eacute;s, sans qu&rsquo;on ne soit pour autant des imposteurs. Ainsi du p&egrave;re, Icek Judko, Isie, Izy, ou Andr&eacute;; ainsi de la m&egrave;re, Cyrla, ou C&eacute;cile; et encore les oncles et les tantes, comme Elieser/L&eacute;on, ou Soura/Fanny; et encore les Bienenfeld qui deviennent Bienfait ou Beauchamp, les Chavranski qui deviennent Chevron, les Nordmann qui deviennent Normand. Derri&egrave;re tous ces noms m&eacute;tamorphos&eacute;s, fictifs ou enregistr&eacute;s &agrave; l&rsquo;&eacute;tat civil, s&rsquo;&eacute;crit le passage du r&eacute;el, de la contingence, comme Perec le signale quand il d&eacute;crit les flottements de l&rsquo;&eacute;criture de son nom de famille, tant&ocirc;t Peretz, tant&ocirc;t Perec, et dans le pass&eacute; Perez ou Pereisc, mais qui aurait aussi bien pu &ecirc;tre P&eacute;rec ou Perrec<a href="#nbp_33" id="footnoteref33_ubgcbts" name="lien_nbp_33" title="Ibid., pp.55-56.">33</a>&nbsp;: l&rsquo;auteur donnera une r&eacute;&eacute;criture de ce passage dans&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>, dans le chapitre consacr&eacute; &agrave; Albert Cinoc, le &laquo;tueur de mots&raquo; des dictionnaires Larousse, lui aussi juif, dont le nom peut se prononcer au moins d&rsquo;une vingtaine de mani&egrave;res diff&eacute;rentes (&laquo;il ne savait pas lui-m&ecirc;me qu&rsquo;elle &eacute;tait la mani&egrave;re la plus correcte de prononcer son nom<a href="#nbp_34" id="footnoteref34_tfj91b8" name="lien_nbp_34" title="Georges Perec, La Vie mode d’emploi, Paris, Hachette (P.O.L.), 1978, p.360.">34</a>&raquo;), et qui s&rsquo;est arr&ecirc;t&eacute; &agrave; la forme &laquo;Cinoc&raquo; apr&egrave;s des longues p&eacute;r&eacute;grinations&nbsp;onomastiques: Kleinhof, Klajnhoff, Keinhof, Klinov, Szinowcz, Linhaus, Khinoss, Kheinhoss, Kinoch, Chinoc, Tsinoc, etc.</p> <p>Ces effets de multiplication de noms, d&rsquo;identit&eacute;s, remettent en cause de mani&egrave;re radicale l&rsquo;opposition du vrai et du faux&nbsp;: il est possible de se fondre dans un foisonnement d&rsquo;identit&eacute;s multiples et diffuses, qui admet toutes les nuances de la copie et de la variation, de la contrainte et de l&rsquo;invention, toutes les ruses, tous les degr&eacute;s du faux et de l&rsquo;authentique. Gaspard Winckler/Georges Perec, une fois surmont&eacute; l&rsquo;opposition entre authenticit&eacute; et insinc&eacute;rit&eacute;, peut finalement ma&icirc;triser et d&eacute;ployer tout son art, fusionner d&eacute;sormais sans vergogne, tel un illusionniste, ses marques autobiographiques et ses trucs de faussaire. Le temps des forgeries, des arnaqueurs et arnaqu&eacute;s, des trompe-l&rsquo;&oelig;il, des milles ruses spectaculaires, des mises en abyme, des copies et des variations, du vol et du plagiat, du plaisir, et du frisson, du faire-semblant est arriv&eacute;.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</p> <p><strong><em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em></strong><strong>&nbsp;: sous le signe du multiple</strong></p> <p>En 1978, apr&egrave;s la publication de&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>, Perec publie dans&nbsp;<em>Le Figaro</em>&nbsp;un court texte dans lequel il essaye d&rsquo;indiquer ce qu&rsquo;il cherche dans son travail litt&eacute;raire. Par une formule ing&eacute;nieuse, il se compare &laquo;&agrave; un paysan qui cultiverait plusieurs champs<a href="#nbp_35" id="footnoteref35_uhsl6k0" name="lien_nbp_35" title="Georges Perec, «Notes sur ce que je cherche», dans Penser/Classer, op. cit., p.9.">35</a>&raquo;, tout en d&eacute;signant quatre champs diff&eacute;rents, quatre modes d&rsquo;interrogation, quatre horizons de son travail: le champ sociologique (<em>Les Choses</em>,&nbsp;<em>Esp&egrave;ces d&rsquo;espaces</em>,&nbsp;<em>Tentative de description de quelques lieux parisiens</em>, le travail autour de la revue&nbsp;<em>Cause commune</em>); le champ autobiographique (<em>W ou le Souvenir d&rsquo;enfance</em>,&nbsp;<em>La Boutique obscure</em>,&nbsp;<em>Je me souviens</em>,&nbsp;<em>Lieux o&ugrave; j&rsquo;ai dormi</em>); le champ ludique (ses travaux oulipiens); et, enfin, le champ romanesque, &laquo;le go&ucirc;t des histoires et des p&eacute;rip&eacute;ties, l&rsquo;envie d&rsquo;&eacute;crire des livres qui se d&eacute;vorent &agrave; plat ventre sur son lit;&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>&nbsp;en est l&rsquo;exemple type<a href="#nbp_36" id="footnoteref36_kstcsul" name="lien_nbp_36" title="Ibid., p.10.">36</a>&raquo;.</p> <p>Or, les ann&eacute;es qui suivent la publication de&nbsp;<em>W</em>&nbsp;semblent surtout consacr&eacute;es &agrave; l&rsquo;exploration de la veine ludique et romanesque, comme si la qu&ecirc;te autobiographique avait trouv&eacute; dans ce roman son accomplissement d&eacute;finitif<a href="#nbp_37" id="footnoteref37_rryhdct" name="lien_nbp_37" title="Philippe Lejeune aussi souligne comment la publication de W semble mettre un terme au vaste projet autobiographique de Perec, représentant ainsi une œuvre charnière dans sa production. «Le printemps et l’été 1975 marquent un brusque désinvestissement. Mon propos est ici de le constater, aux biographes futurs de l’expliquer. W ou le Souvenir d’enfance est publié (avril). Perec décide d’arrêter son analyse (juin), arrête Lieux (été), réduit son journal (été), met en veilleuse pour deux ans les Je me souviens. Tout se passe comme si, après avoir été une aide, l’écriture autobiographique était devenue un obstacle, qui devait à son tour être dépassé.» Philippe Lejeune, La Mémoire et l’oblique, op. cit., p.37.">37</a>. Bien que, comme Perec le signale, &laquo;aucun de [s]es livres n&rsquo;&eacute;chappe tout &agrave; fait &agrave; un certain marquage autobiographique<a href="#nbp_38" id="footnoteref38_qak9fcx" name="lien_nbp_38" title="Georges Perec, « Notes sur ce que je cherche », op. cit., p.10.">38</a>&raquo;, la n&eacute;cessit&eacute; de parvenir &agrave; raconter son histoire, qui fondait cette tension dramatique entre imposture et authenticit&eacute; dans&nbsp;<em>Le</em>&nbsp;<em>Condotti&egrave;re</em>, a laiss&eacute; la place au besoin de raconter de multiples histoires. Bien &eacute;videmment, l&rsquo;auteur aussi se refl&egrave;tera dans celles-ci avec son identit&eacute; et son histoire, mais comme dispers&eacute; dans les identit&eacute;s et les histoires des autres. Un projet apparemment autobiographique tel que&nbsp;<em>Je me souviens</em>&nbsp;et, &agrave; l&rsquo;oppos&eacute;, un projet d&rsquo;historien tel que&nbsp;<em>Ellis Island</em>, finissent alors par se rejoindre: dans l&rsquo;un, Perec essaye de d&eacute;sacraliser la m&eacute;moire pour la restituer dans sa collectivit&eacute;, comme &laquo;une chose qui est partag&eacute;e<a href="#nbp_39" id="footnoteref39_afy3msp" name="lien_nbp_39" title="Georges Perec, «Le Travail de la mémoire (entretien avec Frank Venaille)», dans Je suis né, op. cit., p.83.">39</a>&raquo;, et entamer une entreprise &laquo;unanimiste&raquo;, &laquo;un mouvement qui, partant de soi, va vers les autres<a href="#nbp_40" id="footnoteref40_7gdhsab" name="lien_nbp_40" title="Ibid., p.93.">40</a>&raquo;; dans l&rsquo;autre, il va &agrave; la recherche, &agrave; Ellis Island, du &laquo;lieu m&ecirc;me de l&rsquo;exil<a href="#nbp_41" id="footnoteref41_pe1e7p7" name="lien_nbp_41" title="Georges Perec, «Ellis Island. Description d’un projet», dans Je suis né, op. cit., p.98.">41</a>&raquo;, d&rsquo;&laquo;une m&eacute;moire fictionnelle, une m&eacute;moire qui aurait pu m&rsquo;appartenir<a href="#nbp_42" id="footnoteref42_6wj7se8" name="lien_nbp_42" title="Georges Perec, «Le Travail de la mémoire», op. cit., p.85. ">42</a>&raquo;, &laquo;d&rsquo;une autobiographie probable, d&rsquo;une m&eacute;moire potentielle<a href="#nbp_43" id="footnoteref43_hmjnr6j" name="lien_nbp_43" title="Georges Perec, «Ellis Island. Description d’un projet», op. cit., p.99.">43</a>&raquo;. L&rsquo;interrogation biographique s&rsquo;ouvre donc au potentiel, au multiple, au fictionnel; de m&ecirc;me, le romanesque aussi semble &eacute;pandre son domaine, s&rsquo;ouvrant au multiple le plus effr&eacute;n&eacute;, &agrave; toutes les modalit&eacute;s et &agrave; tous les plans du r&eacute;el et de l&rsquo;imaginaire. Surtout, Perec semble se d&eacute;lecter de plus en plus des effets de trompe-l&rsquo;&oelig;il, du jeu de la fausse &eacute;rudition et de la vraie intertextualit&eacute; camoufl&eacute;e, des possibilit&eacute;s de la r&eacute;p&eacute;tition l&eacute;g&egrave;rement modifi&eacute;e, et d&rsquo;un &eacute;change incessant et vertigineux entre ce qui est montr&eacute; et ce qui est cach&eacute;. Les histoires de faussaires, alors, se font de plus en plus fr&eacute;quentes dans ses textes, et l&rsquo;auteur lui-m&ecirc;me s&rsquo;inscrit dans le nombre des faussaires, des forgeurs: si l&rsquo;on veut suivre une distinction propos&eacute;e par Frank Wagner, il est possible d&rsquo;affirmer que Perec &eacute;crit aussi bien des &laquo;r&eacute;cits de mystification(s)&raquo; que des &laquo;r&eacute;cits &ldquo;mystifiants<a href="#nbp_44" id="footnoteref44_0kh6swa" name="lien_nbp_44" title="Frank Wagner, «À “mystificateur”, mystificateur et demi. Sur les degrés du rapport à la mystification dans le récit de fiction», dans Nathalie Preiss [dir.], Mélire? Lecture et mystification, Paris, Éditions de l’Improviste, 2006, pp.103-115. Après avoir mentionné Le Voyage d’hiver de Perec parmi les exemples de récit de mystification, Wagner s’étend sur Un cabinet d’amateur comme cas-limite de récit mystifiant.">44</a>&rdquo;&raquo;.</p> <p><em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>&nbsp;exemplifie tr&egrave;s bien ce qu&rsquo;on vient de d&eacute;crire. D&egrave;s la couverture, la d&eacute;signation g&eacute;n&eacute;rique officielle du livre, &laquo;romans&raquo;, indique sa nature multiple. Une multitude d&rsquo;histoires habite en effet le roman, qui parcourt les quatre-vingt-dix-neuf pi&egrave;ces d&rsquo;un immeuble parisien, s&rsquo;arr&ecirc;tant sur les vies de ses habitants, actuels et pass&eacute;s, et sur d&rsquo;autres biographies (les personnes rencontr&eacute;es au cours d&rsquo;une vie, les personnages repr&eacute;sent&eacute;s dans les peintures accroch&eacute;es aux murs, ou narr&eacute;s dans les livres lus, etc.) Revendiquant le mod&egrave;le du puzzle, technique d&eacute;j&agrave; affectionn&eacute;e par le Gaspard Winckler du&nbsp;<em>Condotti&egrave;re</em>&nbsp;pour produire ses faux d&rsquo;art, ce roman arrive &agrave; b&acirc;tir un trompe-l&rsquo;&oelig;il gigantesque, qui agit &agrave; plusieurs niveaux. Au niveau du texte: d&rsquo;innombrables fragments d&rsquo;autres textes ont &eacute;t&eacute; incorpor&eacute;s dans le roman, sans &ecirc;tre signal&eacute;s; une pratique qui fr&ocirc;le le plagiat, et qui sert &agrave; multiplier une fois de plus les voix qui contribuent &agrave; cette immense construction narrative. Participant de cette tension s&eacute;cr&egrave;te entre montrer et cacher, cette intertextualit&eacute; clandestine, abusive, presque frauduleuse, une fois d&eacute;cel&eacute;e par l&rsquo;&oelig;il attentif des lecteurs avis&eacute;s, change la mani&egrave;re dont le texte est per&ccedil;u: le texte se r&eacute;v&egrave;le &ecirc;tre, en m&ecirc;me temps, un et double. Au niveau di&eacute;g&eacute;tique: les puzzles commandit&eacute;s par Percival Bartlebooth &agrave; Gaspard Winckler (encore un retour, encore une m&eacute;tamorphose) deviennent de plus en plus difficiles &agrave; recomposer. Les longues batailles de Bartlebooth contre les ruses du faiseur de puzzles prennent fin quand il se trouve face &agrave; un puzzle impossible &agrave; achever, derni&egrave;re ruse de Winckler: le vieux milliardaire trouve ainsi la mort sur son fauteuil, tenant entre ses doigts une pi&egrave;ce de puzzle en forme de W, alors que &laquo;le trou noir de la seule pi&egrave;ce non encore pos&eacute;e dessine la silhouette parfaite d&rsquo;un X<a href="#nbp_45" id="footnoteref45_935k08z" name="lien_nbp_45" title="Georges Perec, La vie mode d’emploi, op. cit., p.600.">45</a>&raquo;. Au niveau de la structure: le roman aussi est un puzzle impossible &agrave; compl&eacute;ter; bien que l&rsquo;organisation des chapitres soit d&eacute;cid&eacute;e par le mouvement du cavalier sur les cases d&rsquo;un &eacute;chiquier 10x10, son soixante-sixi&egrave;me arr&ecirc;t (qui correspond &agrave; la case &agrave; l&rsquo;angle inf&eacute;rieur gauche) n&rsquo;est pas pris en compte dans le roman, qui d&eacute;ploie ainsi quatre-vingt-dix-neuf chapitres au lieu de cent: les fondations de l&rsquo;immeuble sont donc creus&eacute;es, trou&eacute;es. Au niveau de la narration, enfin: bien que le r&eacute;cit semble flotter entre une voix neutre et la focalisation sur le peintre Val&egrave;ne, comme si tout le roman &eacute;tait la description d&eacute;taill&eacute;e du tableau qu&rsquo;il a imagin&eacute; et dans lequel il veut rassembler les histoires de tous les habitants de l&rsquo;immeuble, cette&nbsp;<em>ekphrasis</em>&nbsp;est seulement une illusion: dans l&rsquo;&eacute;pilogue, le lecteur d&eacute;couvrira que sa toile &laquo;&eacute;tait pratiquement vierge<a href="#nbp_46" id="footnoteref46_aq22ckg" name="lien_nbp_46" title="Ibid., p.602. On remarquera, par ailleurs, qu’un procédé similaire est utilisé à la fin de la courte nouvelle de Perec Le Voyage d’hiver, où un carnet rassemblant un épais dossier sur un livre-mirage se trouve être, à la fin du texte, presque entièrement composé de pages blanches.">46</a>&raquo;. Tel un magicien, l&rsquo;auteur a mat&eacute;rialis&eacute; un tr&egrave;s long cort&egrave;ge de personnages, pour les faire dispara&icirc;tre&nbsp;<em>in extremis</em>, tout comme il a escamot&eacute; les fragments intertextuels, cach&eacute;s et montr&eacute;s &agrave; la fois; tout comme il a fait dispara&icirc;tre la soixante-sixi&egrave;me pi&egrave;ce de cet immense puzzle.</p> <p>Il semblerait alors que l&rsquo;imposture soit devenue un des moteurs de la machinerie narrative; non plus mystification existentielle, mais &eacute;l&eacute;ment structurel du roman multiple. Gaspard Winckler, le faiseur de puzzle, par l&rsquo;action de sa scie sauteuse et de son observation minutieuse, arrive &agrave; faire des plates imitations du r&eacute;el produites par Bartlebooth le moyen de cr&eacute;er du multiple, du potentiel; d&rsquo;une aquarelle il tire sept-cent cinquante fragments qui sont autant de ruses, autant d&rsquo;illusions, autant de pi&egrave;ges:</p> <p><q>Le probl&egrave;me principal &eacute;tait de rester neutre, objectif, et surtout disponible, c&rsquo;est-&agrave;-dire sans pr&eacute;jug&eacute;s. Mais c&rsquo;est l&agrave; pr&eacute;cis&eacute;ment que Gaspard Winckler lui tendait des pi&egrave;ges. Au fur et &agrave; mesure que Bartlebooth se familiarisait avec les petits morceaux de bois, il se mettait &agrave; les percevoir selon un axe privil&eacute;gi&eacute;, comme si ces pi&egrave;ces se polarisaient, se figeaient dans un mode de perception qui les assimilait, avec une irr&eacute;sistible s&eacute;duction, &agrave; des images, des formes, des silhouettes famili&egrave;res&nbsp;: un chapeau, un poisson, un oiseau &eacute;tonnamment pr&eacute;cis, &agrave; longue queue, au long bec courbe avec une protub&eacute;rance &agrave; la base, comme il se souvenait en avoir vu en Australie, ou bien, justement, la d&eacute;coupe de l&rsquo;Australie, ou l&rsquo;Afrique, l&rsquo;Angleterre, la p&eacute;ninsule Ib&eacute;rique, la botte italienne etc. Gaspard Winckler multipliait ces pi&egrave;ces &agrave; plaisir et comme dans ces puzzles pour enfant en gros bois, Bartlebooth se retrouvait parfois avec toute une m&eacute;nagerie, un python, une marmotte et deux &eacute;l&eacute;phants parfaitement constitu&eacute;s, l&rsquo;un d&rsquo;Afrique (avec de longues oreilles) et l&rsquo;autre d&rsquo;Asie, ou bien un Charlot (melon, badine et jambes arqu&eacute;es), une t&ecirc;te de Cyrano, un gnome, une sorci&egrave;re, une femme avec un hennin, un saxophone, une table de caf&eacute;, un poulet r&ocirc;ti, un homard, une bouteille de champagne, la danseuse des paquets de Gitanes ou le casque ail&eacute; des Gauloises, une main, un tibia, une fleur de lys, divers fruits, ou un alphabet presque complet avec des pi&egrave;ces en J, en K, en L, en M, en W, en Z, en X, en Y, et en T.<a href="#nbp_47" id="footnoteref47_4q0501o" name="lein_nbp_47" title="Ibid., p.414.">47</a></q></p> <p>&nbsp; Le jeu de l&rsquo;imposture se d&eacute;roule donc sur le plan de la perception. Une po&eacute;tique du regard est annonc&eacute;e par la double &eacute;pigraphe au d&eacute;but du livre, avec une citation du&nbsp;<em>Michel Strogoff</em>&nbsp;de Jules Verne (&laquo;Regarde de tous tes yeux, regarde<a href="#nbp_48" id="footnoteref48_h9c41wd" name="lien_nbp_48" title="Ibid., p.13.">48</a>&raquo;), et une autre de Paul Klee (&laquo;L&rsquo;&oelig;il suit les chemins qui lui ont &eacute;t&eacute; m&eacute;nag&eacute;s dans l&rsquo;&oelig;uvre<a href="#nbp_49" id="footnoteref49_f156dt6" name="lien_nbp_49" title="Ibid., p.15.">49</a>&raquo;), qui ensemble forment une sorte de&nbsp;<em>double bind</em>, une injonction paradoxale qui signale le jeu entre contrainte et libert&eacute;, entre regarder et voir<a href="#nbp_50" id="footnoteref50_e61zle3" name="lien_nbp_50" title="La tension constante entre liberté et contrainte chez Perec a été observée par de nombreux critiques, dont on rappellera au moins Philippe Lejeune, La Mémoire et l’oblique, op. cit., p.172 et passim. La poétique du regard chez Perec a aussi fait l’objet de nombreuses études, dont on peut mentionner au moins le chapitre «Des histoires de l’œil» dans la monographie de Maryline Heck, Georges Perec. Le corps à la lettre, Paris, José Corti, 2012. Le même Perec, multipliant les références aux trompe-l’œil, aux mises en abyme, aux jeux d’illusion optique, au sein de La Vie mode d’emploi comme dans d’autres textes (par exemple dans la préface à L’Œil ébloui), semble constamment suggérer que pour voir il faut s’arrêter à regarder de plus près; ou que, parfois, selon le regard différent qu’on pose sur les objets, il est possible de voir de choses différentes «comme dans cette caricature de W.E. Hill qui représente en même temps une jeune et une vieille femme» (Georges Perec, La Vie mode d’emploi, op. cit., p. 415). Par cet appel au regard, Perec exige du lecteur qu’il porte attention à ses pratiques intertextuelles, ses leurres et fausses pistes. Un exemple très commenté (par exemple par Claude Burgelin, Les parties de dominos chez Monsieur Lefèvre. Perec avec Freud, Perec contre Freud, Saulxures, Circé, 1996, pp.134-135) concerne la citation du Michel Strogoff qui ouvre le roman, «Regarde de tous tes yeux, regarde», qui renvoie à un réseau symbolique impliquant les thèmes du regard, de la cécité, de la figure de la mère. En effet, le héros de Jules Verne dans le passage cité par Perec regarde intensément sa mère alors qu’il est aveuglé par une lame ardente passée devant ses yeux: la vision de la mère est la dernière image qu’il pourra retenir. Mais pour voir cette relation, le lecteur doit s’efforcer, naturellement, de regarder le renvoi intertextuel de tous ses yeux.">50</a>. C&rsquo;est de cette tension que se nourrissent les deux histoires les plus formidables de mystification, d&rsquo;escrocs et d&rsquo;escroqu&eacute;s, dans&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>: l&rsquo;histoire de la Lorelei, alias Ingeborg Skrifter, &laquo;la femme qui fit appara&icirc;tre quatre-vingt-trois fois le diable<a href="#nbp_51" id="footnoteref51_y17rueg" name="lien_nbp_51" title="Georges Perec, La Vie mode d’emploi, op. cit., p.692. On remarquera, au passage, qu’à page 389 il est dit qu’elle le fit apparaître quatre-vingt-deux fois.">51</a>&raquo;, et l&rsquo;histoire de James Sherwood, &laquo;la victime d&rsquo;une des plus c&eacute;l&egrave;bres escroqueries de tous les temps: deux arnaqueurs de g&eacute;nie lui vendirent, en mille huit cent quatre-vingt-seize, le vase dans lequel D&rsquo;Arimathie avait recueilli le sang du Christ<a href="#nbp_52" id="footnoteref52_aro3mic" name="lien_nbp_52" title="Ibid., p.116.">52</a>&raquo;.</p> <p><strong>L&rsquo;&eacute;crivain en illusionniste&nbsp;: faire appara&icirc;tre, faire dispara&icirc;tre</strong></p> <p>L&rsquo;histoire d&rsquo;Ingeborg et Blunt Stanley occupe la premi&egrave;re partie du soixante-cinqui&egrave;me chapitre du roman, qui correspond &agrave; une des pi&egrave;ces de l&rsquo;appartement de Madame Moreau. C&rsquo;est un chapitre riche en effets d&rsquo;illusions, en apparitions et disparitions, escamotages, tromperies, qui se termine sur un tour de magie qui pourrait passer facilement inaper&ccedil;u: la disparition de ce qui aurait d&ucirc; &ecirc;tre le soixante-sixi&egrave;me chapitre. Il s&rsquo;agit donc d&rsquo;un chapitre qui occupe une position cruciale dans la structure de&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>, et qui m&eacute;rite d&rsquo;&ecirc;tre lu de pr&egrave;s.</p> <p>Ingeborg Skrifter, la fille d&rsquo;un pasteur danois &eacute;migr&eacute; aux &Eacute;tats-Unis, rencontre Blunt Stanley en 1948, dans un music-hall du Missouri, o&ugrave;, sous le pseudonyme de Florence Cook, elle met en sc&egrave;ne un num&eacute;ro de voyante. Blunt Stanley est officier dans l&rsquo;arm&eacute;e am&eacute;ricaine: en 1950 il est mobilis&eacute; en Cor&eacute;e o&ugrave;, afin de rejoindre Ingeborg, il d&eacute;cide de d&eacute;serter, en compagnie de son guide philippin Aurelio Lopez, qui commencera d&egrave;s lors &agrave; lui faire du chantage. Quand Ingeborg rejoint Stanley &agrave; Hong Kong, Aurelio Lopez les laisse presque sans argent. Le couple se d&eacute;place &agrave; Ceylan, o&ugrave; ils s&rsquo;exhibent dans un cin&eacute;ma &agrave; attractions sous le nom de Joy et Hyeronimus, les devins du Nouveau Monde. Leur spectacle devient un v&eacute;ritable succ&egrave;s quand Ingeborg commence &agrave; faire appara&icirc;tre Swedenborg, le &laquo;Bouddha du Nord&raquo;. Ils partent en tourn&eacute;e, remontant de l&rsquo;Inde &agrave; la Turquie; &agrave; Ankara, apr&egrave;s la fin d&rsquo;un spectacle, un homme propose &agrave; Ingeborg cinq mille livres sterling pour &ecirc;tre mis en pr&eacute;sence de M&eacute;phistoph&eacute;l&egrave;s: Ingeborg accepte, et sa s&eacute;ance d&rsquo;&eacute;vocation du Diable satisfait totalement son client. Peu de temps apr&egrave;s, un client parisien propose de faire venir Ingeborg en France, sous paiement d&rsquo;une grosse somme, afin qu&rsquo;elle organise une s&eacute;ance chez lui. Avant de partir pour Paris, le couple est malheureusement rejoint par Aurelio Lopez, d&eacute;cid&eacute; &agrave; continuer son chantage. Ainsi, tous les trois s&rsquo;installent dans l&rsquo;appartement de la rue Simon-Crubellier. Ingeborg dit s&rsquo;appeler Joy Slowburn, mais les habitants de l&rsquo;immeuble se mettent &agrave; appeler cette myst&eacute;rieuse Am&eacute;ricaine &laquo;la Lorelei&raquo;; Aurelio Lopez se fait appeler Carlos, et joue le r&ocirc;le de garde du corps et de chauffeur de la Lorelei; Stanley est gard&eacute; prisonnier chez lui, sans le droit de sortir de l&rsquo;appartement, ni de se montrer. Les s&eacute;ances de la Lorelei remportent un &eacute;norme succ&egrave;s, et les nombreux clients sont pr&ecirc;ts &agrave; payer des dizaines de millions de francs pour conclure le pacte diabolique, sommes qu&rsquo;Aurelio Lopez garde pour lui. L&rsquo;histoire conna&icirc;t un &eacute;pilogue&nbsp;tragique: Blunt et Ingeborg arrivent finalement &agrave; tuer le Philippin, mais Ingeborg est elle aussi tu&eacute;e, accidentellement, par son mari, qui est enfin extrad&eacute; aux &Eacute;tats-Unis o&ugrave; il est condamn&eacute; &agrave; la prison &agrave; vie pour haute trahison.</p> <p>Dans cette histoire d&rsquo;illusionnisme, d&rsquo;impostures, de noms qui changent sans cesse, alors que les escrocs sont eux-m&ecirc;mes les victimes d&rsquo;un cruel chantage, les escroqu&eacute;s restent compl&egrave;tement satisfaits des apparitions sataniques et des pactes conclus. &laquo;Pour autant qu&rsquo;Ingeborg et Stanley purent s&rsquo;en rendre compte, l&rsquo;effet des pactes fut presque toujours b&eacute;n&eacute;fique: la certitude de l&rsquo;omnipotence suffisait g&eacute;n&eacute;ralement &agrave; faire accomplir &agrave; ceux qui avaient vendu leur &acirc;me au Diable les prodiges qu&rsquo;ils s&rsquo;attendaient d&rsquo;eux-m&ecirc;mes<a href="#nbp_53" id="footnoteref53_3a75r7x" name="lien_nbp_53" title="Ibid., p.390.">53</a>.&nbsp;&raquo;. La mise en sc&egrave;ne fictive, la tromperie, produit donc, paradoxalement, des effets parfaitement concrets: le faux engendre le vrai.</p> <p>Comme l&rsquo;a aussi observ&eacute; Rinaldo Rinaldi dans son ouvrage d&eacute;di&eacute; &agrave;&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>,&nbsp;<em>La grande catena</em><a href="#nbp_54" id="footnoteref54_u2s8cy5" name="lien_nbp_54" title="Rinaldo Rinaldi, La grande catena: studi su La vie mode d’emploi di Georges Perec, Genova; Milano, Marietti, 2004.">54</a>, un &eacute;l&eacute;ment tr&egrave;s int&eacute;ressant dans l&rsquo;&eacute;pisode de la Lorelei est la forte pr&eacute;sence symbolique du noir et du blanc. La Lorelei sort de son appartement parisien seulement &agrave; la tomb&eacute;e de la nuit, dans une robe de soir en faille de soie blanche, avec un grand &eacute;ventail de plumes noires; sa voiture est une longue Pontiac noire; au cours du num&eacute;ro de l&rsquo;apparition de Swedenborg, Stanley/Swedenborg est v&ecirc;tu d&rsquo;une longue tunique blanche; la premi&egrave;re apparition du Diable a lieu &laquo;dans une pi&egrave;ce presque sans meubles, enti&egrave;rement peinte en noir mat&raquo;&nbsp;et une poule noire est sacrifi&eacute;e au cours de la s&eacute;ance; ensuite, des cylindres noirs seront int&eacute;gr&eacute;s &agrave; la mise en sc&egrave;ne. Le seul pacte diabolique narr&eacute; concerne une chanteuse d&rsquo;op&eacute;ra noire qui ambitionne de jouer le r&ocirc;le de Desd&eacute;mone: peu de temps apr&egrave;s la s&eacute;ance chez la Lorelei, elle r&eacute;alise son r&ecirc;ve gr&acirc;ce &agrave; une mise en sc&egrave;ne en n&eacute;gatif d&rsquo;<em>Otello</em>, o&ugrave; le r&ocirc;le de ce dernier est chant&eacute; par un blanc et tous les autres r&ocirc;les par des noirs, tandis que les d&eacute;cors et les costumes se trouvent &eacute;galement invers&eacute;s. Or, les th&egrave;mes de l&rsquo;imposture aux effets b&eacute;n&eacute;fiques, de la magie accept&eacute;e de bon gr&eacute; par ses spectateurs, du noir et blanc, semblent signaler la pr&eacute;sence du th&egrave;me de l&rsquo;&eacute;criture, de l&rsquo;illusionnisme de la fiction; hypoth&egrave;se qui est corrobor&eacute;e par le nom de famille de la Lorelei, n&eacute;e Ingeborg Skrifter, c&rsquo;est-&agrave;-dire: scripteur, &eacute;crivain.</p> <p>Ce commerce magique implique le jeu entre deux mouvements oppos&eacute;s: cacher et montrer, cacher l&rsquo;acteur pour faire appara&icirc;tre le Diable, montrer la chambre vide pour mieux cacher la pr&eacute;sence de quelqu&rsquo;un. Ce m&ecirc;me th&egrave;me est repris dans la suite du chapitre, l&rsquo;histoire de la cuisine que Madame Moreau fait installer par le d&eacute;corateur Henry Fleury, dans la m&ecirc;me pi&egrave;ce o&ugrave; la Lorelei &eacute;voquait M&eacute;phisto. Le principe est celui de l&rsquo;escamotage: des dispositifs ultra-modernes sont compl&egrave;tement dissimul&eacute;s dans des meubles &agrave; l&rsquo;ancienne. Cette mystification, par contre, est refus&eacute;e par la cuisini&egrave;re de Madame Moreau, Gertrude, qui pr&eacute;vient sa ma&icirc;tresse &laquo;qu&rsquo;elle ne ferait jamais rien cuire dans une cuisine pareille o&ugrave; rien n&rsquo;&eacute;tait &agrave; sa place et o&ugrave; rien ne marchait comme elle savait<a href="#nbp_55" id="footnoteref55_6wbum0o" name="lien_nbp_55" title="Georges Perec, La Vie mode d’emploi, op. cit., p.394.">55</a>&raquo;, et r&eacute;clame le d&eacute;mant&egrave;lement des &laquo;grossiers artifices<a href="#nbp_56" id="footnoteref56_mqfql67" name="lien_nbp_56" title="Idem.">56</a>&raquo; du d&eacute;corateur, ce que Madame Moreau lui accorde. Le chapitre se cl&ocirc;t sur une description des divers ustensiles et accessoires que la cuisini&egrave;re bourguignonne a rapport&eacute;s de la campagne: le faux aurait-il c&eacute;d&eacute; sa place &agrave; l&rsquo;authentique? Rien n&rsquo;est moins s&ucirc;r: dans la pi&egrave;ce o&ugrave; le Diable apparaissait, une derni&egrave;re disparition se produit, une nouvelle ruse se met en place. Elle a lieu sur &laquo;une vieille bo&icirc;te &agrave; biscuits en fer-blanc, carr&eacute;e, sur le couvercle de laquelle on voit une petite fille mordre dans un coin de son petit-beurre<a href="#nbp_57" id="footnoteref57_m15fnc9" name="lien_nbp_57" title="Ibid., p.394. Perec en personne a dévoilé cette ruse; voir Georges Perec, «Quatre figures pour La vie mode d’emploi», dans L’Arc, XIX, n°76, 1979, pp.50-54.">57</a>.&raquo; Ainsi, l&rsquo;angle inf&eacute;rieur gauche du plan de l&rsquo;immeuble, qui devait &ecirc;tre d&eacute;crit dans le chapitre successif, dispara&icirc;t: dernier tour de magie dans cette histoire d&rsquo;apparitions et de disparitions.</p> <p><strong>La forgerie au c&oelig;ur du romanesque: James Sherwood</strong></p> <p>L&rsquo;autre grande histoire d&rsquo;imposture dans&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>&nbsp;est l&rsquo;escroquerie dont est victime James Sherwood. Il s&rsquo;agit d&rsquo;un des &eacute;pisodes les plus importants du roman: il est plac&eacute; au d&eacute;but de la deuxi&egrave;me partie, au vingt-deuxi&egrave;me chapitre, significativement dans le hall d&rsquo;entr&eacute;e. Le protagoniste, un pharmacien am&eacute;ricain nomm&eacute; James Sherwood, est le grand-oncle de Bartlebooth, un des personnages centraux du roman; sa naissance, en 1833, est aussi la premi&egrave;re entr&eacute;e des&nbsp;<em>Rep&egrave;res chronologiques</em>&nbsp;plac&eacute;s en appendice, apr&egrave;s l&rsquo;index.</p> <p>Sherwood, devenu riche gr&acirc;ce &agrave; une recette de bonbons pour la toux, est atteint d&rsquo;une neurasth&eacute;nie att&eacute;nu&eacute;e par sa seule passion: la recherche des&nbsp;<em>unica</em>, objets dont il n&rsquo;existe qu&rsquo;un exemplaire. Sherwood, comme tout amateur d&rsquo;<em>unica</em>, a deux grands traits de caract&egrave;re: la m&eacute;fiance, qui conduit le collectionneur &agrave; accumuler les preuves de l&rsquo;authenticit&eacute; et de l&rsquo;unicit&eacute; de l&rsquo;objet qu&rsquo;il recherche; et la passion, qui le conduit &laquo;&agrave; une cr&eacute;dulit&eacute; parfois sans bornes<a href="#nbp_58" id="footnoteref58_wab11at" name="lien_nbp_58" title="Georges Perec, La vie mode d’emploi, op. cit., p.118.">58</a>&raquo;. L&rsquo;escroquerie subie par Sherwood est tr&egrave;s articul&eacute;e, sophistiqu&eacute;e, et romanesque. Les escrocs titillent d&rsquo;abord la passion de Sherwood, l&rsquo;app&acirc;tant avec un&nbsp;<em>unicum</em>&nbsp;exceptionnel: le vase dans lequel D&#39;Arimathie avait recueilli le sang du Christ. Ensuite, ils &eacute;talent une incroyable accumulation de preuves&nbsp;afin de d&eacute;jouer sa m&eacute;fiance: un vieux livre (une &eacute;dition Quarli de la&nbsp;<em>Vita brevis Helenae</em>) avec une poche cousue sur la garde de v&eacute;lin, qui contient cinq anciens feuillets manuscrits d&eacute;taillant une recension des reliques en Europe par le po&egrave;te Jean-Baptiste Rousseau; une documentation historique et scientifique au sujet du vase &eacute;tablie par le r&eacute;put&eacute; Professeur Shaw; une lettre de Cesare Beccaria; une lettre de Maurice de Saxe; un article du Professeur Berzelius de l&rsquo;universit&eacute; de Lund; des coupures du journal hollandais&nbsp;<em>Nieuwe Courant</em>; des lettres de Jakob Van Deekt, biblioth&eacute;caire des Archives d&eacute;partementales de Rotterdam, ainsi que du conservateur du Museum van Oudheden. Tous les passages concernant l&rsquo;arriv&eacute;e du vase en Europe sont reconstitu&eacute;s minutieusement, &agrave; l&rsquo;appui de nombreux documents, par Sherwood et par le Professeur Shaw&nbsp;qui l&rsquo;aide dans sa qu&ecirc;te. Ils d&eacute;couvrent que le vase aurait &eacute;t&eacute; vol&eacute; &agrave; Utrecht&nbsp;le 4 ao&ucirc;t 1891, par l&rsquo;&eacute;tudiant des Beaux-Arts Theo Van Schallaert. Or, le&nbsp;<em>Quarli</em>&nbsp;contenant la plupart des informations sur le Vase, qui avait &eacute;t&eacute; vol&eacute; au Professeur Shaw, avait &eacute;t&eacute; vendu &agrave; Sherwood par un ouvrier italien nomm&eacute; Longhi, qui &agrave; son tour l&rsquo;avait trouv&eacute; dans la chambre lou&eacute;e &agrave; un compatriote, un certain Guido Mandetta, qui aurait quitt&eacute; les lieux en demeurant d&egrave;s lors introuvable. Sherwood conclut: Mandetta et Van Schallaert doivent &ecirc;tre la m&ecirc;me personne. Mais comment retrouver&nbsp;le voleur? Une r&eacute;apparition de Longhi le met sur la bonne piste: l&rsquo;ouvrier confie &agrave; Sherwood avoir retrouv&eacute; Mandetta-Van Schallaert dans un h&ocirc;tel &agrave; New Bedford, o&ugrave; il est log&eacute; sous le nom de Jim Brown. Sherwood et le Professeur Shaw vont lui rendre visite, et d&eacute;couvrent qu&rsquo;il poss&egrave;de en effet le vase: Sherwood s&rsquo;offre de l&rsquo;acheter pour un million de dollars. Sur proposition du Professeur Shaw, il est d&eacute;cid&eacute; que la transaction se fera en un lieu neutre et s&ucirc;r: le bureau du doyen de l&rsquo;Universit&eacute; de Harvard, Micha&euml;l Stefensson. Le soir m&ecirc;me advient l&rsquo;&eacute;change: une valise contenant le vase convoit&eacute;&nbsp;contre un sac de voyage contenant deux-cent-cinquante liasses de deux cents billets de vingt dollars. Apr&egrave;s quelques verres pour f&ecirc;ter cette nouvelle acquisition, Sherwood reste, avec le Professeur Shaw, dormir chez le Professeur Stefensson. Mais le lendemain matin, il trouve la maison compl&eacute;tement d&eacute;serte: la valise contenant le vase est toujours l&agrave;, mais la riche demeure du doyen o&ugrave; il avait pass&eacute; la nuit s&rsquo;est transform&eacute;e en une petite pi&egrave;ce peu meubl&eacute;e: il d&eacute;couvrira qu&rsquo;il s&rsquo;agissait en effet d&rsquo;une simple salle de r&eacute;ception, lou&eacute;e par un certain Arthur King au nom d&rsquo;une soi-disant Galahad Society<a href="#nbp_59" id="footnoteref59_dsfxno7" name="lien_nbp_59" title="Le sous-texte arthurien dans l’histoire de Sherwood est très largement affiché: rappelons, au passage, que son descendant, Bartlebooth, a pour prénom Percival.">59</a>. Un coup de t&eacute;l&eacute;phone au doyen Stefensson, le vrai cette fois, lui donne la certitude d&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; la victime d&rsquo;une escroquerie.</p> <p>Dans le hall d&rsquo;entr&eacute;e de l&rsquo;immeuble de la rue Simon-Crubellier, une femme est debout devant la loge de la gardienne: il s&rsquo;agit de la romanci&egrave;re am&eacute;ricaine Ursula Sobieski, qui esp&egrave;re pouvoir s&rsquo;enqu&eacute;rir aupr&egrave;s de Bartlebooth de l&rsquo;affaire Sherwood, sur laquelle elle veut &eacute;crire un livre. En reconstituant l&rsquo;affaire, elle a &eacute;t&eacute; amen&eacute;e &agrave; se demander&nbsp;si Sherwood n&rsquo;avait pas, d&egrave;s le d&eacute;but, devin&eacute; qu&rsquo;il s&rsquo;agissait d&rsquo;une mystification: il n&rsquo;aurait pas pay&eacute; pour le vase, mais pour la mise en sc&egrave;ne, se laissant app&acirc;ter, r&eacute;pondant au programme pr&eacute;par&eacute; par le soi-disant Shaw avec un m&eacute;lange ad&eacute;quat de cr&eacute;dulit&eacute;, de doute et d&rsquo;enthousiasme, et trouvant &agrave; ce jeu un d&eacute;rivatif &agrave; sa m&eacute;lancolie plus efficace encore que s&rsquo;il s&rsquo;&eacute;tait agi d&rsquo;un vrai tr&eacute;sor.<a href="#nbp_60" id="footnoteref60_0ek34hl" name="lien_nbp_60" title="Ibid., p.130.">60</a></p> <p>Cette hypoth&egrave;se trouverait d&rsquo;ailleurs sa confirmation dans un fait divers advenu quelques ann&eacute;es plus tard: &laquo;l&rsquo;arrestation, en Argentine, en 1898, d&rsquo;un r&eacute;seau de faux-monnayeurs tentant d&rsquo;&eacute;couler massivement des coupures de vingt dollars<a href="#nbp_3d" id="footnoteref3_49urh1g" name="lien_nbp_3d" title="Idem.">3</a>&raquo;. Sherwood aurait-il donc pay&eacute; son vase, ou bien le spectacle auquel il a assist&eacute;, par de la fausse monnaie, escroquant &agrave; son tour ses escrocs? Il s&rsquo;agirait, dans ce cas, d&rsquo;un retournement inattendu en un jeu de r&ocirc;les virevoltant, une fiction qui incite &agrave; la suspension de toute incr&eacute;dulit&eacute;, de toute m&eacute;fiance, le temps d&rsquo;appr&eacute;cier le num&eacute;ro. Si Ingeborg Skrifter &eacute;tait une figure de l&rsquo;&eacute;crivain, Sherwood, dans cette histoire, se fait le mod&egrave;le du lecteur: il se laisse attirer par le grand spectacle des mystifications, des forgeries pr&eacute;par&eacute;es par l&rsquo;auteur, mais en fin de compte il ne se laisse pas vraiment duper; il sait que le spectacle est faux, et il l&rsquo;appr&eacute;cie en tant que tel. L&rsquo;imposture est ici, v&eacute;ritablement, le moteur de l&rsquo;aventure fictionnelle, de l&rsquo;illusion romanesque.</p> <p>Bien que le lecteur de Perec soit invit&eacute; &agrave; assister &agrave; cette histoire de forgeries avec le m&ecirc;me enchantement ressenti par le personnage Sherwood, l&rsquo;auteur semble aussi sugg&eacute;rer qu&rsquo;une dose ad&eacute;quate de m&eacute;fiance, de doute, est &eacute;galement n&eacute;cessaire &agrave; la lecture. L&rsquo;adoption du mod&egrave;le de Sherwood pr&eacute;voit que le lecteur consente de bon gr&eacute; &agrave; se faire duper, mais aussi qu&rsquo;il sache reconna&icirc;tre la forgerie pour l&rsquo;appr&eacute;cier en tant que telle. &Agrave; bien observer, le lecteur peut se rendre compte que Perec s&rsquo;amuse &agrave; jouer les faussaires, et pour son histoire de mystifications, pour son r&eacute;cit d&rsquo;arnaqu&eacute; arnaqueur, d&rsquo;arnaqueurs arnaqu&eacute;s, il n&rsquo;h&eacute;site pas &agrave; r&eacute;utiliser des &eacute;l&eacute;ments d&rsquo;un autre de ses textes: mirage de biblioth&egrave;que tournante, comme celle ayant appartenu &agrave; Sherwood, et dont Bartlebooth a h&eacute;rit&eacute;. C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment une photographie de Sherwood &agrave; c&ocirc;t&eacute; de cette biblioth&egrave;que pivotante qu&rsquo;Ursula Sobieski tient dans sa main dans ce chapitre. Or, &agrave; l&rsquo;origine du r&eacute;cit, il y a deux imposteurs anonymes (le faux Professeur Shaw, et le &laquo;faussaire de talent&raquo; Schallaert-Mandetta-Brown) et un livre, cette &eacute;dition du&nbsp;<em>Vita brevis Helenae</em>&nbsp;qui cache, dans une poche cousue sur la garde, cinq feuillets manuscrits. Ce livre est d&eacute;crit comme &laquo;un vieux Quarli, un de ces prestigieux livres &agrave; reliure de bois et aux tranches peintes que les Quarli imprim&egrave;rent &agrave; Venise entre 1530 et 1570 et qui sont, pour la plupart, devenus introuvables<a href="#nbp_61" id="footnoteref61_qoe6u40" name="lien_nbp_61" title="Ibid., p.118.">61</a>.&raquo; O&ugrave; le lecteur peut-il trouver un autre Quarli? Et de surcro&icirc;t, un Quarli dont une poche cach&eacute;e dans la reliure contient cinq feuillets? Comme l&rsquo;a observ&eacute; Bernard Magn&eacute;, &laquo;chez Perec, un texte peut toujours en cacher un autre<a href="#nbp_62" id="footnoteref62_osumpao" name="lien_nbp_62" title="Bernard Magné, «Les figures du lecteur dans La vie mode d’emploi», dans Yvonne Goga [dir.], Actes du colloque international Georges Perec de Cluj-Napoca 17-19 octobre 1996, Cluj- Napoca, Dacia, 1997, p.57.">62</a>&raquo;: il faudra donc suivre la piste des noms de famille italiens des faussaires Mandetta et Longhi, pour remonter jusqu&rsquo;&agrave; Venise, et plus pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave;&nbsp;<em>Roussel et Venise. Esquisse d&rsquo;une g&eacute;ographie m&eacute;lancolique</em>, r&eacute;cit pseudo-savant &eacute;crit &agrave; quatre mains avec le complice Harry Mathews (encore une fois deux imposteurs) et publi&eacute; en 1977, ex&eacute;g&egrave;se d&rsquo;un myst&eacute;rieux in&eacute;dit de Raymond Roussel qui est forg&eacute; de toutes pi&egrave;ces par les deux larrons, et m&ecirc;me reproduit en appendice au texte. Cet in&eacute;dit consiste pr&eacute;cis&eacute;ment en cinq feuillets manuscrits, encart&eacute;s dans la reliure &agrave; poche d&rsquo;une &eacute;dition de la&nbsp;<em>Tragoedia Ducis Partibonis</em>, imprim&eacute;e &agrave; Venise en 1532 par Andrea Quarli<a href="#nbp_63" id="footnoteref63_bq60qmb" name="lien_nbp_63" title="Georges Perec et Harry Mathews, «Roussel et Venise. Esquisse d’une géographie mélancolique», dans Georges Perec, Cantatrix sopranica L. et autres écrits scientifiques, Paris, Éditions du Seuil (Points), 1991, pp.73-115. Il faudra aussi souligner le lien très étroit entre cette intertextualité de plagiaire et la résistance du marquage autobiographique perecquien: dans «Les Lieux d’une fugue», récit autobiographique d’une fugue enfantine, il est aussi question d’une petite poche dans la reliure d’un carnet de timbres, pratiquée pour y glisser les plus belles pièces de sa collection. (Georges Perec, «Les Lieux d’une fugue», dans Je suis né, op. cit., pp.15-31).">63</a>. Les renvois entre&nbsp;<em>Roussel &agrave; Venise</em>&nbsp;et l&rsquo;&eacute;pisode de Sherwood s&rsquo;arr&ecirc;tent ici, mais ils sont suffisants pour impliquer ces deux r&eacute;cits dans un r&eacute;seau plus vaste de forgeries, de jeux de copies et de variations, de trompe-l&rsquo;&oelig;il: &eacute;l&eacute;ments du r&eacute;cit de Sherwood et du r&eacute;cit de&nbsp;<em>Roussel et Venise</em>&nbsp;seront en effet aussi r&eacute;utilis&eacute;s dans le dernier roman publi&eacute; par Perec de son vivant,&nbsp;<em>Un cabinet d&rsquo;amateur</em>.</p> <p><strong><em>Un cabinet d&rsquo;amateur</em></strong><strong>: le plaisir et le frisson du faire-semblant</strong></p> <p>Interview&eacute; par Jean-Marie Le Sidaner en 1979, Perec semble confirmer son go&ucirc;t prononc&eacute; pour le jeu entre r&eacute;el et imaginaire, quand il soutient: &laquo;le texte n&rsquo;est pas producteur de savoir, mais producteur de fiction, de fiction de savoir, de savoir-fiction<a href="#nbp_64" id="footnoteref64_nmzjur3" name="lien_nbp_64" title="«Entretien Perec/Jean-Marie Le Sidaner», L’Arc, XIX, n°76, 1979,  p.4.">64</a>.&raquo; &Agrave; travers l&rsquo;art de la copie et de la variation, Perec multiplie et m&ecirc;le vertigineusement savoir et fiction.&nbsp;<em>Un cabinet d&rsquo;amateur</em>&nbsp;est encore une fois un trompe-l&rsquo;&oelig;il &agrave; grande &eacute;chelle: bien que le texte soit tr&egrave;s court, il fait d&eacute;filer une centaine de tableaux. Le roman relate l&rsquo;histoire, qu&rsquo;on conna&icirc;tra dans ses d&eacute;tails seulement &agrave; la fin, de l&rsquo;escroquerie sophistiqu&eacute;e organis&eacute;e par le collectionneur d&rsquo;art Hermann Raffke, avec la complicit&eacute; de son neveu Humbert Raffke (alias le peintre Heinrich K&uuml;rz) et du critique Lester Nowak. Pour se venger d&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; tromp&eacute; par des marchands de tableaux, Raffke d&eacute;cide de consacrer le reste de sa vie &agrave;&nbsp;mystifier &agrave; son tour les collectionneurs et les experts, et cela, m&ecirc;me apr&egrave;s sa mort. Il confie &agrave; son neveu la r&eacute;alisation des faux et, surtout, du&nbsp;<em>Cabinet d&rsquo;amateur</em>, un tableau dans lequel le collectionneur est repr&eacute;sent&eacute; assis dans son cabinet devant les &oelig;uvres de sa collection qu&rsquo;il aime le plus (une centaine de toiles environ). Parmi les &oelig;uvres repr&eacute;sent&eacute;es dans le tableau, on trouve aussi&nbsp;<em>Un cabinet d&rsquo;amateur</em>, dans une mise en abyme qui se r&eacute;p&egrave;te jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;infiniment petit. Les r&eacute;ductions des tableaux dans chaque r&eacute;p&eacute;tition du&nbsp;<em>Cabinet d&rsquo;amateur</em>&nbsp;affichent pourtant des diff&eacute;rences: le peintre ne se contente pas de les copier, mais y introduit &agrave; chaque fois des &eacute;tonnantes variations, qui font le charme, et le succ&egrave;s, de l&rsquo;&oelig;uvre: expos&eacute; &agrave; Pittsburgh en 1913, le tableau obtient un succ&egrave;s retentissant, qui suscite un fort int&eacute;r&ecirc;t pour la collection Raffke. Il s&rsquo;agit, pourtant, d&rsquo;une ruse: &laquo;les tableaux de la collection, affich&eacute;s comme copies, comme pastiches, comme r&eacute;pliques, auraient tout naturellement l&rsquo;air d&rsquo;&ecirc;tre les copies, les pastiches, les r&eacute;pliques, de tableaux&nbsp;<em>r&eacute;els</em><a href="#nbp_65" id="footnoteref65_iw7qcac" name="lien_nbp_65" title="Georges Perec, Un cabinet d’amateur, Paris, Éditions du Seuil (Points), 1994, p.84.">65</a>&raquo;: on montre, donc, pour mieux cacher. Apr&egrave;s l&rsquo;exposition de Pittsburgh, d&rsquo;autres &eacute;v&eacute;nements servent d&rsquo;app&acirc;t pour la r&eacute;ussite de l&rsquo;escroquerie: l&rsquo;article titr&eacute;&nbsp;<em>Art and reflection</em>&nbsp;par Lester Nowak, longue &eacute;tude concernant le tableau de K&uuml;rz; la premi&egrave;re vente Raffke (qui meurt en 1914), qui d&eacute;&ccedil;oit les amateurs par l&rsquo;absence des &oelig;uvres repr&eacute;sent&eacute;es dans le tableau&nbsp;<em>Un cabinet d&rsquo;amateur</em>; la publication en 1921 d&rsquo;une autobiographie posthume d&rsquo;Hermann Raffke &eacute;dit&eacute;e par son neveu Humbert; la th&egrave;se de Lester Nowak&nbsp;<em>Heinrich K&uuml;rz, an American artist. 1884-1914</em>, publi&eacute;e en 1923, o&ugrave; sont longuement &eacute;tudi&eacute;s les tableaux inclus dans&nbsp;<em>Un cabinet d&rsquo;amateur</em>; la deuxi&egrave;me vente Raffke, en 1924, au cours de laquelle ces tableaux seront, finalement, mis aux ench&egrave;res. L&rsquo;acte final de la vengeance, de l&rsquo;escroquerie, arrive quelques ann&eacute;es plus tard, quand les acheteurs des tableaux re&ccedil;oivent une lettre d&rsquo;Humbert Raffke les informant que la plupart des &oelig;uvres qu&rsquo;ils ont achet&eacute;es sont des faux, et qu&rsquo;il en est l&rsquo;auteur. Mais les marchands d&rsquo;art n&rsquo;ont pas &eacute;t&eacute; les seuls &agrave; &ecirc;tre dup&eacute;s par les mises en abyme, par les trompe-l&rsquo;&oelig;il, par les pastiches: &laquo;Des v&eacute;rifications entreprises avec diligence ne tard&egrave;rent pas &agrave; d&eacute;montrer qu&rsquo;en effet la plupart des tableaux de la collection Raffke &eacute;taient des faux, comme sont faux la plupart des d&eacute;tails de ce r&eacute;cit fictif, con&ccedil;u pour le seul plaisir, et le seul frisson, du faire-semblant<a href="#nbp_66" id="footnoteref66_mssmepu" name="lien_nbp_66" title="Ibid., p.85.">66</a>.&raquo;</p> <p>Par un double retournement final, la falsification se d&eacute;masque au niveau de l&rsquo;histoire aussi bien qu&rsquo;au niveau du r&eacute;cit, qui s&rsquo;av&egrave;re &ecirc;tre mystifiant<a href="#nbp_67" id="footnoteref67_9s2bd0d" name="lien_nbp_67" title="Nous renvoyons à Frank Wagner qui analyse Un cabinet d’amateur comme un cas-limite de la catégorie de «ces récits fictionnels qui, certes, relatent eux aussi une ou plusieurs mystifications mais ce faisant en profitent pour “piéger” leurs lecteurs, les vouant à partager, non plus le rôle valorisant du mystificateur ou de son complice, mais celui infiniment moins enviable de mystifié.» Frank Wagner, «À “mystificateur”, mystificateur et demi», op. cit., pp.112-113.">67</a>. Il est tr&egrave;s difficile pour le lecteur, s&rsquo;il n&rsquo;est pas un expert d&rsquo;art, de reconna&icirc;tre les fronti&egrave;res entre le r&eacute;el et l&rsquo;imaginaire dans les r&eacute;f&eacute;rences faites aux tableaux, aux peintres, aux donn&eacute;es historiques, montr&eacute;es avec d&eacute;sinvolture, avec l&rsquo;objectivit&eacute; d&rsquo;un catalogue. Quelques noms, quelques titres, pourtant, pourraient sembler familiers. Ainsi, le portrait de Bronco McGinnis, l&rsquo;homme le plus tatou&eacute; du monde, dont seuls les tatouages de la poitrine sont en v&eacute;rit&eacute; authentiques, se r&eacute;v&egrave;le &ecirc;tre le portrait d&rsquo;un Breton nomm&eacute; Le Marech&rsquo;: or, dans&nbsp;<em>Roussel et Venise</em>, il est question de &laquo;l&rsquo;histoire du faussaire Le Marech&rsquo;<a href="#nbp_68" id="footnoteref68_typyrtg" name="lien_nbp_68" title="Georges Perec et Harry Mathews, «Roussel et Venise», op. cit., p.78.">68</a>&raquo;. Encore, il est racont&eacute; qu&rsquo;&agrave; la vente Vianello du 17 septembre 1895 au Palazzo Sarezin, Raffke &laquo;poussa jusqu&rsquo;&agrave; deux cent mille francs un&nbsp;<em>Saint Jean-Baptiste</em>&nbsp;du Groziano avant de l&rsquo;abandonner &agrave; sa concurrente&raquo;, qu&rsquo;il d&eacute;finit comme &laquo;une grosse dondon fran&ccedil;aise accompagn&eacute;e d&rsquo;un jeune gommeux<a href="#nbp_69" id="footnoteref69_ymxwq6i" name="lien_nbp_69" title="Georges Perec, Un cabinet d’amateur, op. cit., p.44.">69</a>&raquo;: or, &agrave; cette m&ecirc;me date, dans&nbsp;<em>Roussel et Venise</em>, nous trouvons Raymond Roussel et sa m&egrave;re en train d&rsquo;acheter le&nbsp;<em>Saint Jean-Baptiste</em>&nbsp;de Groziano. D&rsquo;ailleurs, &agrave; propos de plagiat, les deux textes pr&eacute;sentent chacun une digression &eacute;rudite sur un ph&eacute;nom&egrave;ne nomm&eacute;&nbsp;<em>incorporation</em>: dans&nbsp;<em>Roussel et Venise</em>&nbsp;il s&rsquo;agit, de surcro&icirc;t, de l&rsquo;accaparement non d&eacute;clar&eacute; (et l&eacute;g&egrave;rement modifi&eacute;) d&rsquo;un article des psychanalystes Nicolas Abraham et Maria Torok. Enfin, il faudra aussi remarquer la pr&eacute;sence &agrave; la deuxi&egrave;me vente Raffke d&rsquo;une&nbsp;<em>Visitation</em>&nbsp;ayant appartenu &agrave; James Sherwood, et achet&eacute;e par Raffke &agrave; une &laquo;vente Sherwood<a href="#nbp_7b" id="footnoteref7_dputlbf" name="lien_nbp_7b" title="Ibid., p.55.">7</a>&raquo; en 1900, ainsi que le tableau &laquo;Pietro Longhi:&nbsp;<em>F&ecirc;te au palais Quarli</em><a href="#nbp_70" id="footnoteref70_npue3rf" name="lien_nbp_70" title="Ibid., p.75. Nous signalons que Longhi, une des comparses dans l’escroquerie contre Sherwood, a son entrée dans le monumental index de La Vie mode d’emploi, où il est défini comme «peintre en bâtiment».">70</a><em>.</em>&raquo;</p> <p>Comme dans&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>, les derni&egrave;res lignes semblent vouloir effacer tout ce qui les a pr&eacute;c&eacute;d&eacute;es, d&eacute;masquer l&rsquo;illusion. Mais ce coup de baguette final sert moins &agrave; tout cacher qu&rsquo;&agrave; mieux montrer les questionnements de l&rsquo;auteur au sujet du processus de cr&eacute;ation, au sujet du rapport entre le r&eacute;el et l&rsquo;imaginaire, au sujet de la vie, de son mode d&rsquo;emploi. Comment affirmer soi-m&ecirc;me, survivre, s&rsquo;&eacute;crire, vivre, et cr&eacute;er, dans le faux, dans le jeu sans fin de la copie et de la variation? La recherche de la sinc&eacute;rit&eacute;, de l&rsquo;authenticit&eacute;, a peut-&ecirc;tre trouv&eacute; de nouvelles voies, de nouvelles r&eacute;ponses:</p> <p><q>ces variations minuscules de copie &agrave; copie, qui avaient tant exacerb&eacute; les visiteurs, &eacute;taient peut-&ecirc;tre l&rsquo;expression ultime de la m&eacute;lancolie de l&rsquo;artiste&nbsp;: comme si, peignant la propre histoire de ses &oelig;uvres &agrave; travers l&rsquo;histoire des &oelig;uvres des autres, il [Heinrich K&uuml;rz] avait pu, un instant, faire semblant de troubler &ldquo; l&rsquo;ordre &eacute;tabli &rdquo; de l&rsquo;art, et retrouver l&rsquo;invention au-del&agrave; de la citation, la libert&eacute; au-del&agrave; de la m&eacute;moire<a href="#nbp_71" id="footnoteref71_nlzxbpy" name="lien_nbp_71" title="Ibid., p.28">71</a>.</q></p> <p>Le lieu des ruses, dans le dernier Perec, semble s&rsquo;&ecirc;tre d&eacute;plac&eacute; de l&rsquo;int&eacute;riorit&eacute; du travail de l&rsquo;analyse, de la difficile qu&ecirc;te identitaire, &agrave; l&rsquo;ext&eacute;riorit&eacute; du jeu universel de la fiction, o&ugrave; l&rsquo;imaginaire et le r&eacute;el contribuent &agrave; parts &eacute;gales &agrave; la constitution de r&eacute;cits multiples, d&rsquo;identit&eacute;s tournantes. Comme l&rsquo;&eacute;crit Claude Burgelin: &laquo;Les d&eacute;tours de la ruse ram&egrave;nent aux ruses m&ecirc;mes qui nous constituent. Il semble que ces pi&egrave;ges, leurres et autres chausse-trapes ne soient mis en place que pour capter des instants de r&eacute;v&eacute;lation, d&rsquo;av&egrave;nement de l&rsquo;improbable: pour saisir fugacement un faux peut-&ecirc;tre plus vrai que le vrai<a href="#nbp_72" id="footnoteref72_7wm1a06" name="lien_nbp_72" title="Claude Burgelin, Georges Perec, op. cit., p.208.">72</a>?&raquo; Fausser le r&eacute;el pour en montrer le spectacle fascinant, ou bien retrouver dans le fictif, dans le jeu, dans le plaisir du faire-semblant, une v&eacute;rit&eacute; plus authentique&nbsp;: tout cela ne rel&egrave;ve plus d&rsquo;une imposture, mais, en fin de compte, d&rsquo;un mouvement qui de l&rsquo;int&eacute;riorit&eacute; du soi va vers la multiplicit&eacute; du r&eacute;el, vers les autres. S&rsquo;affirme ainsi la volont&eacute; d&rsquo;une complicit&eacute; avec les lecteurs, celle que Perec appelle&nbsp;<em>sympathie</em>: &laquo;cette esp&egrave;ce de projection et, en m&ecirc;me temps, d&rsquo;appel<a href="#nbp_73" id="footnoteref73_pyle5hi" name="lien_nbp_73" title="Georges Perec, «Le travail de la mémoire», op. cit., p.93.">73</a>!&raquo;</p> <hr /> <p><strong>Notes et bibliographie</strong></p> <p>Sources primaires</p> <p>Perec, Georges,&nbsp;<em>Je suis n&eacute;</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (La Librairie du XXI<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle), 1990.</p> <p>- - - ,&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>, Paris, Hachette (P.O.L.), 1978.</p> <p>- - - ,&nbsp;<em>Le Condotti&egrave;re</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Points), 2012.</p> <p>- - - ,&nbsp;<em>Penser/Classer</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Points), 2003.</p> <p>- - - ,&nbsp;<em>Un cabinet d&rsquo;amateur</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Points), 1994.</p> <p>- - - ,&nbsp;<em>W ou Le Souvenir d&rsquo;enfance</em>, Paris, Gallimard (L&rsquo;Imaginaire), 1993.</p> <p>- - - et Harry Mathews, &laquo;Roussel et Venise. Esquisse d&rsquo;une g&eacute;ographie m&eacute;lancolique&raquo;, dans Georges Perec,&nbsp;<em>Cantatrix sopranica L. et autres &eacute;crits scientifiques</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Points), 1991, pp.73-115.</p> <p>&nbsp;</p> <p>Sources secondaires</p> <p>Burgelin, Claude,&nbsp;<em>Georges Perec</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Les contemporains), 1988.</p> <p>- - - ,&nbsp;<em>Les parties de dominos chez Monsieur Lef&egrave;vre. Perec avec Freud, Perec contre Freud</em>, Saulxures, Circ&eacute;, 1996.</p> <p>Chiche, Sarah, &laquo;Sur le divan, la longue qu&ecirc;te d&rsquo;une ouverture&raquo;,&nbsp;<em>Le Magazine litt&eacute;raire</em>, n&deg; 579, mai 2017, pp.80-81.</p> <p>Heck, Maryline,&nbsp;<em>Georges Perec. Le corps &agrave; la lettre</em>, Paris, Jos&eacute; Corti, 2012.</p> <p>- - - , &laquo;&ldquo;Rester cach&eacute;, &ecirc;tre d&eacute;couvert&rdquo;: les paradoxes de l&rsquo;incarnation de la lettre chez Georges Perec&raquo;, dans&nbsp;<em>@nalyses</em>, vol.3, n&deg;1, hiver 2008 [en ligne].&nbsp;<a href="https://uottawa.scholarsportal.info/ojs/index.php/revue-analyses/issue/view/181">https://uottawa.scholarsportal.info/ojs/index.php/revue-analyses/issue/view/181</a>&nbsp;[Site consult&eacute; le 25 janvier 2018].</p> <p>Lancelot, Bernard-Olivier, &laquo;Perec ou les m&eacute;tamorphoses du nom&raquo;,&nbsp;<em>L&rsquo;Arc</em>, XIX, n&deg;76, 1979, pp.11-18.</p> <p>Lejeune, Philippe,&nbsp;<em>La M&eacute;moire et l&rsquo;oblique. Georges Perec autobiographe</em>, Paris, POL, 1991.</p> <p>- - - , &laquo;Une autobiographie sous contrainte&raquo;,&nbsp;<em>Le Magazine litt&eacute;raire</em>, n&deg;579, mai 2017, pp.75-78. &nbsp;</p> <p>Magn&eacute;, Bernard, &laquo;Les figures du lecteur dans La vie mode d&rsquo;emploi&raquo;, dans Yvonne Goga [dir.],&nbsp;<em>Actes du colloque international Georges Perec de Cluj-Napoca 17-19 octobre 1996</em>, Cluj- Napoca, Dacia, 1997, pp.53-65.</p> <p>- - - ,&nbsp;<em>Perecollages 1981-1988</em>, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail-Toulouse,</p> <p>1989.</p> <p>Martin, Marie-Odile, &laquo;L&rsquo;inscription de la pi&egrave;ce du lecteur dans le puzzle de&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>&raquo;, dans Bernard Magn&eacute; [dir.],&nbsp;<em>Cahiers Georges Perec 1: Colloque de Cerisy (1984)</em>, Paris, POL, 1985, pp.247-264.</p> <p>McAnally, Deirdre, &laquo;Fabrication, d&eacute;chiffrement, et chiasme: l&rsquo;Autobiographie dans&nbsp;<em>W ou le souvenir d&rsquo;enfance</em>&nbsp;et&nbsp;<em>53 jours</em>&nbsp;de Georges Perec&raquo;, dans&nbsp;<em>Romance studies</em>, vol.29 n&deg;1, janvier 2011, pp.19&ndash;26.</p> <p>Pedersen, John, &laquo;Perec ou les textes crois&eacute;es&raquo;,&nbsp;<em>&Eacute;tudes romanes de l&rsquo;Universit&eacute; de Copenhague</em>, XIX, 29, 1985.</p> <p>Rinaldi, Rinaldo,&nbsp;<em>La grande catena: studi su La vie mode d&rsquo;emploi di Georges Perec</em>, Genova; Milano, Marietti, 2004.</p> <p>Vălimăreanu, Ela, &laquo;Pour une po&eacute;tique du faux dans la recette de l&rsquo;&oelig;uvre perecquienne: faux-semblant, fausse piste, faux-fuyant&raquo;, dans&nbsp;<em>Le cabinet d&rsquo;amateur</em>, juin 2012 [en ligne].&nbsp;<a href="http://associationgeorgesperec.fr/IMG/pdf/EValimareanu.pdf">http://associationgeorgesperec.fr/IMG/pdf/EValimareanu.pdf</a>&nbsp;[Site consult&eacute; le 25 janvier 2018].</p> <p>van Montfrans, Manet, &laquo;Perec, Roussel et Proust: trois voyages extraordinaires &agrave; Venise&raquo;, dans&nbsp;<em>Le Cabinet d&rsquo;amateur</em>, juin 2015 [en ligne].&nbsp;<a href="https://associationgeorgesperec.fr/IMG/pdf/montfrans.pdf">https://associationgeorgesperec.fr/IMG/pdf/montfrans.pdf</a>&nbsp;[Site consult&eacute; le 26 janvier 2018].</p> <p>Wagner, Frank, &laquo;&Agrave; &ldquo;mystificateur&rdquo;, mystificateur et demi. Sur les degr&eacute;s du rapport &agrave; la mystification dans le r&eacute;cit de fiction&raquo;, dans Nathalie Preiss [dir.],&nbsp;<em>M&eacute;lire? Lecture et mystification</em>, Paris, &Eacute;ditions de l&rsquo;Improviste, 2006, pp.103-115&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><a href="#lien_nbp_1" name="nbp_1">1</a>&nbsp;L&rsquo;imposture se diff&eacute;rencie du faux par la pr&eacute;sence d&rsquo;une intention frauduleuse. Les auteurs qui se sont occup&eacute;s de cat&eacute;gories tr&egrave;s proches de l&rsquo;imposture, comme la falsification ou la forgerie, ne manquent pas de le rappeler: Umberto Eco, par exemple, dans son article &laquo;La falsification au Moyen Age&raquo;, identifie dans la pr&eacute;sence du dol l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment d&eacute;finitoire de la falsification. Pareillement, Anthony Grafton fait appel &agrave; la notion de&nbsp;<em>mens rea</em>&nbsp;pour d&eacute;finir la forgerie. Voir Umberto Eco, &laquo;La falsification au Moyen Age&raquo;, dans&nbsp;<em>De l&rsquo;arbre au labyrinthe. &Eacute;tudes historiques sur le signe et l&rsquo;interpr&eacute;tation</em>, Paris, Librairie G&eacute;n&eacute;rale Fran&ccedil;aise, 2011, pp.297-332, et Anthony Grafton,&nbsp;<em>Forgers and Critics. Creativity and Duplicity in Western Scholarship</em>, Londres, Collins &amp; Brown, 1990.</p> <p><a href="#lien_nbp_2" name="nbp_2">2</a>&nbsp;Georges Perec,&nbsp;<em>W ou Le Souvenir d&rsquo;enfance</em>, Paris, Gallimard (L&rsquo;Imaginaire), 1993, p.146.</p> <p>3<br /> <a href="#lien_nbp_3a" name="nbp_3a">a</a><br /> <a href="#lien_nbp_3b" name="nbp_3b">b</a><br /> <a href="#lien_nbp_3c" name="nbp_3c">c</a><br /> <a href="#lien_nbp_3d" name="nbp_3d">d</a><br /> <em>Idem</em>.</p> <p><a href="#lien_nbp_4" name="nbp_4">4</a>&nbsp;Georges Perec,&nbsp;<em>Le Condotti&egrave;re</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Points), 2012, p.56.</p> <p>5<br /> <a href="#lien_nbp_5a" name="nbp_5a">a</a><br /> <a href="#lien_nbp_5b" name="nbp_5b">b</a><br /> <em>Ibid.</em>, p.99.</p> <p><a href="#lien_nbp_6" name="nbp_6">6</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.112. Cette technique de puzzle est la m&ecirc;me qu&rsquo;utilisait Hans Van Meegeren (1889 - 1947), le c&eacute;l&egrave;bre faussaire hollandais, comme Perec le rappelle: &laquo;De trois tableaux de Vermeer, Van Meegeren en cr&eacute;ait un quatri&egrave;me&raquo; (p.56). Au sujet de Van Meegeren, une lecture int&eacute;ressante est Edward Dolnick,&nbsp;<em>The Forger&rsquo;s Spell. A True Story of Vermeer, Nazis, and the Greatest Art Hoax of the Twentieth Century</em>, New York, Harper, 2008.&nbsp;<em>Le Condotti&egrave;re</em>&nbsp;convoque d&rsquo;autres faussaires historiques, comme les Italiens Alceo Dossena (1878 - 1937) et Icilio Federico Joni (1866 &ndash; 1946).</p> <p>7<br /> <a href="#lien_nbp_7a" name="nbp_7a">a</a><br /> <a href="#lien_nbp_7b" name="nbp_7b">b</a><br /> <em>Ibid.</em>, p.55.</p> <p><a href="#lien_nbp_8" name="nbp_8">8</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.175.</p> <p><a href="#lien_nbp_9" name="nbp_9">9</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.65.</p> <p><a href="#lien_nbp_10" name="nbp_10">10</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.67.</p> <p><a href="#lien_nbp_11" name="nbp_11">11</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.106.</p> <p><a href="#lien_nbp_12" name="nbp_12">12</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.133.</p> <p><a href="#lien_nbp_13" name="nbp_13">13</a>&nbsp;On pourrait aussi signaler, &agrave; titre d&rsquo;exemple, la narration &agrave; la troisi&egrave;me personne dans &laquo;Les Lieux d&rsquo;une fugue&raquo;, qui c&egrave;de la place, dans le dernier paragraphe, &agrave; la premi&egrave;re personne; ou encore, dans &laquo;Le Saut en parachute&raquo;, ce passage tr&egrave;s r&eacute;v&eacute;lateur: &laquo;enfin non, ce n&rsquo;est pas&nbsp;<em>on</em>, c&rsquo;est&nbsp;<em>je</em>&raquo;. Georges Perec, &laquo;Le Saut en parachute&raquo;, dans&nbsp;<em>Je suis n&eacute;</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (La Librairie du XXI<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle), 1990, p.41.</p> <p><a href="#lien_nbp_14" name="nbp_14">14</a>&nbsp;Claude Burgelin,&nbsp;<em>Georges Perec</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Les contemporains), 1988, p.19.</p> <p><a href="#lien_nbp_15" name="nbp_15">15</a>&nbsp;Georges Perec, &laquo;Je suis n&eacute;&raquo;, dans&nbsp;<em>Je suis n&eacute;</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, pp.10-11.</p> <p><a href="#lien_nbp_16" name="nbp_16">16</a>&nbsp;Georges Perec, &laquo;Les Gnocchis de l&rsquo;automne ou R&eacute;ponse &agrave; quelques questions me concernant&raquo;, dans&nbsp;<em>Je suis n&eacute;</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.73.</p> <p><a href="https://alepreuve.org/content/des-arnaqueurs-de-genie-imposteurs-et-figures-de-limposture-dans-loeuvre-de-georges-perec#footnoteref17_43c65dq">17</a><br /> <a href="#lien_nbp_17a" name="nbp_17a">a</a><br /> <a href="#lien_nbp_17b" name="nbp_17b">b</a><br /> <em>Ibid.</em>, p.69.</p> <p><a href="#lien_nbp_18" name="nbp_18">18</a>&nbsp;Georges Perec, &laquo;Lettre &agrave; Maurice Nadeau&raquo;, dans&nbsp;<em>Je suis n&eacute;</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.61.&nbsp;</p> <p><a href="#lien_nbp_19" name="nbp_19">19</a>&nbsp;Georges Perec, &laquo;Les Lieux d&rsquo;une ruse&raquo;, dans&nbsp;<em>Penser/Classer</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Points), 2003, p.68.</p> <p><a href="https://alepreuve.org/content/des-arnaqueurs-de-genie-imposteurs-et-figures-de-limposture-dans-loeuvre-de-georges-perec#footnoteref20_dulwqxy">20</a><br /> <a href="#lien_nbp_20a" name="nbp_20a">a</a><br /> <a href="#lien_nbp_20b" name="nbp_20b">b</a><br /> <em>Ibid.</em>, p.70.</p> <p><a href="#lien_nbp_21" name="nbp_21">21</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.60.</p> <p><a href="#lien_nbp_22" name="nbp_22">22</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.61.</p> <p><a href="#lien_nbp_23" name="nbp_23">23</a>&nbsp;Georges Perec, &laquo;Entretien avec Bernard Pous&raquo;, dans&nbsp;<em>Entretiens et conf&eacute;rences. Vol.II, 1979-1981</em>, Nantes, Joseph K., 2003, p.182.</p> <p><a href="#lien_nbp_24" name="nbp_24">24</a>&nbsp;Georges Perec,&nbsp;<em>W ou Le Souvenir d&rsquo;enfance</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.18.</p> <p><a href="#lien_nbp_25" name="nbp_25">25</a>&nbsp;<em>Idem</em>. &laquo;Aujourd&rsquo;hui, quatre ans plus tard, j&rsquo;entreprends de mettre un terme &ndash; je veux tout autant dire par l&agrave; &ldquo;tracer les limites&rdquo; que &ldquo;donner un nom&rdquo; &ndash; &agrave; ce lent d&eacute;chiffrement&raquo;.</p> <p><a href="#lien_nbp_26" name="nbp_26">26</a>&nbsp;&laquo;Dire l&rsquo;indicible&raquo; est aussi le titre du premier chapitre de l&rsquo;ouvrage de Philippe Lejeune d&eacute;di&eacute; &agrave; Georges Perec autobiographe,&nbsp;<em>La M&eacute;moire et l&rsquo;oblique</em>, qui propose une analyse d&eacute;taill&eacute;e de la gen&egrave;se de&nbsp;<em>W ou le Souvenir d&rsquo;enfance</em>. Selon Lejeune, Perec aurait &eacute;t&eacute; &laquo;un autobiographe qui lucidement, patiemment, non par choix, mais parce qu&rsquo;il &eacute;tait le dos au mur, a pris exclusivement des voies obliques pour cerner ce qui avait &eacute;t&eacute; non publi&eacute;, mais oblit&eacute;r&eacute;, pour dire l&rsquo;indicible&raquo;. Philippe Lejeune,&nbsp;<em>La M&eacute;moire et l&rsquo;oblique. Georges Perec autobiographe</em>, Paris, P.O.L., 1991, p.12.&nbsp;</p> <p><a href="#lien_nbp_27" name="nbp_27">27</a>&nbsp;&Agrave; titre d&rsquo;exemple, on pourrait citer l&rsquo;article de Maryline Heck, &laquo;&ldquo;Rester cach&eacute;, &ecirc;tre d&eacute;couvert&rdquo;: les paradoxes de l&rsquo;incarnation de la lettre chez Georges Perec&raquo;, dans&nbsp;<em>@nalyses</em>, vol.3, n&deg;1, hiver 2008 [en ligne].&nbsp;<a href="https://uottawa.scholarsportal.info/ojs/index.php/revue-analyses/issue/view/181">https://uottawa.scholarsportal.info/ojs/index.php/revue-analyses/issue/view/181</a>&nbsp;[Site consult&eacute; le 25 janvier 2017].</p> <p><a href="#lien_nbp_28" name="nbp_28">28</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.63.</p> <p><a href="#lien_nbp_29" name="nbp_29">29</a>&nbsp;&laquo;J&rsquo;&eacute;cris: j&rsquo;&eacute;cris parce que nous avons v&eacute;cu ensemble, parce que j&rsquo;ai &eacute;t&eacute; un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps pr&egrave;s de leur corps; j&rsquo;&eacute;cris parce qu&rsquo;ils ont laiss&eacute; en moi leur marque ind&eacute;l&eacute;bile et que la trace en est l&rsquo;&eacute;criture: leur souvenir est mort &agrave; l&rsquo;&eacute;criture; l&rsquo;&eacute;criture est le souvenir de leur mort et l&rsquo;affirmation de ma vie.&raquo;&nbsp;<em>Ibid.</em>, pp.64-65.</p> <p><a href="#lien_nbp_30" name="nbp_30">30</a>&nbsp;Claude Burgelin,&nbsp;<em>Georges Perec</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.151.</p> <p><a href="#lien_nbp_31" name="nbp_31">31</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.152.</p> <p><a href="#lien_nbp_32" name="nbp_32">32</a>&nbsp;Georges Perec,&nbsp;<em>W ou Le Souvenir d&rsquo;enfance</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.17.</p> <p><a href="#lien_nbp_33" name="nbp_33">33</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, pp.55-56.</p> <p><a href="#lien_nbp_34" name="nbp_34">34</a>&nbsp;Georges Perec,&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>, Paris, Hachette (P.O.L.), 1978, p.360.</p> <p><a href="#lien_nbp_35" name="nbp_35">35</a>&nbsp;Georges Perec, &laquo;Notes sur ce que je cherche&raquo;, dans&nbsp;<em>Penser/Classer</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.9.</p> <p><a href="#lien_nbp_36" name="nbp_36">36</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.10.</p> <p><a href="#lien_nbp_37" name="nbp_37">37</a>&nbsp;Philippe Lejeune aussi souligne comment la publication de&nbsp;<em>W</em>&nbsp;semble mettre un terme au vaste projet autobiographique de Perec, repr&eacute;sentant ainsi une &oelig;uvre charni&egrave;re dans sa production. &laquo;Le printemps et l&rsquo;&eacute;t&eacute; 1975 marquent un brusque d&eacute;sinvestissement. Mon propos est ici de le constater, aux biographes futurs de l&rsquo;expliquer.&nbsp;<em>W ou le Souvenir d&rsquo;enfance</em>&nbsp;est publi&eacute; (avril). Perec d&eacute;cide d&rsquo;arr&ecirc;ter son analyse (juin), arr&ecirc;te&nbsp;<em>Lieux</em>&nbsp;(&eacute;t&eacute;), r&eacute;duit son journal (&eacute;t&eacute;), met en veilleuse pour deux ans les&nbsp;<em>Je me souviens</em>. Tout se passe comme si, apr&egrave;s avoir &eacute;t&eacute; une aide, l&rsquo;&eacute;criture autobiographique &eacute;tait devenue un obstacle, qui devait &agrave; son tour &ecirc;tre d&eacute;pass&eacute;.&raquo; Philippe Lejeune,&nbsp;<em>La M&eacute;moire et l&rsquo;oblique</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.37.</p> <p><a href="#lien_nbp_38" name="nbp_38">38</a>&nbsp;Georges Perec, &laquo; Notes sur ce que je cherche &raquo;,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.10.</p> <p><a href="#lien_nbp_39" name="nbp_39">39</a>&nbsp;Georges Perec, &laquo;Le Travail de la m&eacute;moire (entretien avec Frank Venaille)&raquo;, dans&nbsp;<em>Je suis n&eacute;</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.83.</p> <p><a href="#lien_nbp_40" name="nbp_40">40</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.93.</p> <p><a href="#lien_nbp_41" name="nbp_41">41</a>&nbsp;Georges Perec, &laquo;Ellis Island. Description d&rsquo;un projet&raquo;, dans&nbsp;<em>Je suis n&eacute;</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.98.</p> <p><a href="#lien_nbp_42" name="nbp_42">42</a>&nbsp;Georges Perec, &laquo;Le Travail de la m&eacute;moire&raquo;,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.85.&nbsp;</p> <p><a href="#lien_nbp_43" name="nbp_43">43</a>&nbsp;Georges Perec, &laquo;Ellis Island. Description d&rsquo;un projet&raquo;,<em>&nbsp;op. cit</em>., p.99.</p> <p><a href="#lien_nbp_44" name="nbp_44">44</a>&nbsp;Frank Wagner, &laquo;&Agrave; &ldquo;mystificateur&rdquo;, mystificateur et demi. Sur les degr&eacute;s du rapport &agrave; la mystification dans le r&eacute;cit de fiction&raquo;, dans Nathalie Preiss [dir.],&nbsp;<em>M&eacute;lire? Lecture et mystification</em>, Paris, &Eacute;ditions de l&rsquo;Improviste, 2006, pp.103-115. Apr&egrave;s avoir mentionn&eacute;&nbsp;<em>Le Voyage d&rsquo;hiver</em>&nbsp;de Perec parmi les exemples de r&eacute;cit de mystification, Wagner s&rsquo;&eacute;tend sur&nbsp;<em>Un cabinet d&rsquo;amateur</em>&nbsp;comme cas-limite de r&eacute;cit mystifiant.</p> <p><a href="#lien_nbp_45" name="nbp_45">45</a>&nbsp;Georges Perec,&nbsp;<em>La vie mode d&rsquo;emploi</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.600.</p> <p><a href="#lien_nbp_46" name="nbp_46">46</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.602. On remarquera, par ailleurs, qu&rsquo;un proc&eacute;d&eacute; similaire est utilis&eacute; &agrave; la fin de la courte nouvelle de Perec&nbsp;<em>Le Voyage d&rsquo;hiver</em>, o&ugrave; un carnet rassemblant un &eacute;pais dossier sur un livre-mirage se trouve&nbsp;&ecirc;tre, &agrave; la fin du texte, presque enti&egrave;rement compos&eacute; de pages blanches.</p> <p><a href="#lein_nbp_47" name="nbp_47">47</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.414.</p> <p><a href="#lien_nbp_48" name="nbp_48">48</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.13.</p> <p><a href="#lien_nbp_49" name="nbp_49">49</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.15.</p> <p><a href="#lien_nbp_50" name="nbp_50">50</a>&nbsp;La tension constante entre libert&eacute; et contrainte chez Perec a &eacute;t&eacute; observ&eacute;e par de nombreux critiques, dont on rappellera au moins Philippe Lejeune,&nbsp;<em>La M&eacute;moire et l&rsquo;oblique</em>, op. cit., p.172 et&nbsp;<em>passim</em>. La po&eacute;tique du regard chez Perec a aussi fait l&rsquo;objet de nombreuses &eacute;tudes, dont on peut mentionner au moins le chapitre &laquo;Des histoires de l&rsquo;&oelig;il&raquo; dans la monographie de Maryline Heck,&nbsp;<em>Georges Perec. Le corps &agrave; la lettre</em>, Paris, Jos&eacute; Corti, 2012. Le m&ecirc;me Perec, multipliant les r&eacute;f&eacute;rences aux trompe-l&rsquo;&oelig;il, aux mises en abyme, aux jeux d&rsquo;illusion optique, au sein de&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>&nbsp;comme dans d&rsquo;autres textes (par exemple dans la pr&eacute;face &agrave;&nbsp;<em>L&rsquo;&OElig;il &eacute;bloui</em>), semble constamment sugg&eacute;rer que pour voir il faut s&rsquo;arr&ecirc;ter &agrave; regarder de plus pr&egrave;s; ou que, parfois, selon le regard diff&eacute;rent qu&rsquo;on pose sur les objets, il est possible de voir de choses diff&eacute;rentes &laquo;comme dans cette caricature de W.E. Hill qui repr&eacute;sente en m&ecirc;me temps une jeune et une vieille femme&raquo; (Georges Perec,&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p. 415). Par cet appel au regard, Perec exige du lecteur qu&rsquo;il porte attention &agrave; ses pratiques intertextuelles, ses leurres et fausses pistes. Un exemple tr&egrave;s comment&eacute; (par exemple par Claude Burgelin,&nbsp;<em>Les parties de dominos chez Monsieur Lef&egrave;vre. Perec avec Freud, Perec contre Freud</em>, Saulxures, Circ&eacute;, 1996, pp.134-135) concerne la citation du&nbsp;<em>Michel Strogoff</em>&nbsp;qui ouvre le roman, &laquo;Regarde de tous tes yeux, regarde&raquo;, qui renvoie &agrave; un r&eacute;seau symbolique impliquant les th&egrave;mes du regard, de la c&eacute;cit&eacute;, de la figure de la m&egrave;re. En effet, le h&eacute;ros de Jules Verne dans le passage cit&eacute; par Perec regarde intens&eacute;ment sa m&egrave;re alors qu&rsquo;il est aveugl&eacute; par une lame ardente pass&eacute;e devant ses yeux: la vision de la m&egrave;re est la derni&egrave;re image qu&rsquo;il pourra retenir. Mais pour voir cette relation, le lecteur doit s&rsquo;efforcer, naturellement, de regarder le renvoi intertextuel de tous ses yeux.</p> <p><a href="#lien_nbp_51" name="nbp_51">51</a>&nbsp;Georges Perec,&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.692. On remarquera, au passage, qu&rsquo;&agrave; page 389 il est dit qu&rsquo;elle le fit appara&icirc;tre quatre-vingt-deux fois.</p> <p><a href="#lien_nbp_52" name="nbp_52">52</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.116.</p> <p><a href="#lien_nbp_53" name="nbp_53">53</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.390.</p> <p><a href="#lien_nbp_54" name="nbp_54">54</a>&nbsp;Rinaldo Rinaldi,&nbsp;<em>La grande catena: studi su La vie mode d&rsquo;emploi di Georges Perec</em>, Genova; Milano, Marietti, 2004.</p> <p><a href="#lien_nbp_55" name="nbp_55">55</a>&nbsp;Georges Perec,<em>&nbsp;La Vie mode d&rsquo;emploi</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.394.</p> <p><a href="#lien_nbp_56" name="nbp_56">56</a>&nbsp;<em>Idem.</em></p> <p><a href="#lien_nbp_57" name="nbp_57">57</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.394. Perec en personne a d&eacute;voil&eacute; cette ruse; voir Georges Perec, &laquo;Quatre figures pour&nbsp;<em>La vie mode d&rsquo;emploi</em>&raquo;, dans&nbsp;<em>L&rsquo;Arc</em>, XIX, n&deg;76, 1979, pp.50-54.</p> <p><a href="#lien_nbp_58" name="nbp_58">58</a>&nbsp;Georges Perec,&nbsp;<em>La vie mode d&rsquo;emploi</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.118.</p> <p><a href="#lien_nbp_59" name="nbp_59">59</a>&nbsp;Le sous-texte arthurien dans l&rsquo;histoire de Sherwood est tr&egrave;s largement affich&eacute;: rappelons, au passage, que son descendant, Bartlebooth, a pour pr&eacute;nom Percival.</p> <p><a href="#lien_nbp_60" name="nbp_60">60</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.130.</p> <p><a href="#lien_nbp_61" name="nbp_61">61</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.118.</p> <p><a href="#lien_nbp_62" name="nbp_62">62</a>&nbsp;Bernard Magn&eacute;, &laquo;Les figures du lecteur dans La vie mode d&rsquo;emploi&raquo;, dans Yvonne Goga [dir.],&nbsp;<em>Actes du colloque international Georges Perec de Cluj-Napoca 17-19 octobre 1996</em>, Cluj- Napoca, Dacia, 1997, p.57.</p> <p><a href="#lien_nbp_63" name="nbp_63">63</a>&nbsp;Georges Perec et Harry Mathews, &laquo;Roussel et Venise. Esquisse d&rsquo;une g&eacute;ographie m&eacute;lancolique&raquo;, dans Georges Perec,&nbsp;<em>Cantatrix sopranica L. et autres &eacute;crits scientifiques</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Points), 1991, pp.73-115. Il faudra aussi souligner le lien tr&egrave;s &eacute;troit entre cette intertextualit&eacute; de plagiaire et la r&eacute;sistance du marquage autobiographique perecquien: dans &laquo;Les Lieux d&rsquo;une fugue&raquo;, r&eacute;cit autobiographique d&rsquo;une fugue enfantine, il est aussi question d&rsquo;une petite poche dans la reliure&nbsp;d&rsquo;un carnet de timbres, pratiqu&eacute;e pour y glisser les plus belles pi&egrave;ces de sa collection. (Georges Perec, &laquo;Les Lieux d&rsquo;une fugue&raquo;, dans&nbsp;<em>Je suis n&eacute;</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, pp.15-31).</p> <p><a href="#lien_nbp_64" name="nbp_64">64</a>&nbsp;&laquo;Entretien Perec/Jean-Marie Le Sidaner&raquo;,&nbsp;<em>L&rsquo;Arc</em>, XIX, n&deg;76, 1979,&nbsp; p.4.</p> <p><a href="#lien_nbp_65" name="nbp_65">65</a>&nbsp;Georges Perec,&nbsp;<em>Un cabinet d&rsquo;amateur</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Points), 1994, p.84.</p> <p><a href="#lien_nbp_66" name="nbp_66">66</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.85.</p> <p><a href="#lien_nbp_67" name="nbp_67">67</a>&nbsp;Nous renvoyons &agrave; Frank Wagner qui analyse&nbsp;<em>Un cabinet d&rsquo;amateur</em>&nbsp;comme un cas-limite de la cat&eacute;gorie de &laquo;ces r&eacute;cits fictionnels qui, certes, relatent eux aussi une ou plusieurs mystifications mais ce faisant en profitent pour &ldquo;pi&eacute;ger&rdquo; leurs lecteurs, les vouant &agrave; partager, non plus le r&ocirc;le valorisant du mystificateur ou de son complice, mais celui infiniment moins enviable de mystifi&eacute;.&raquo; Frank Wagner, &laquo;&Agrave; &ldquo;mystificateur&rdquo;, mystificateur et demi&raquo;,&nbsp;<em>op. cit.</em>, pp.112-113.</p> <p><a href="#lien_nbp_68" name="nbp_68">68</a>&nbsp;Georges Perec et Harry Mathews, &laquo;Roussel et Venise&raquo;,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.78.</p> <p><a href="#lien_nbp_69" name="nbp_69">69</a>&nbsp;Georges Perec,&nbsp;<em>Un cabinet d&rsquo;amateur</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.44.</p> <p><a href="#lien_nbp_70" name="nbp_70">70</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.75. Nous signalons que Longhi, une des comparses dans l&rsquo;escroquerie contre Sherwood, a son entr&eacute;e dans le monumental index de&nbsp;<em>La Vie mode d&rsquo;emploi</em>, o&ugrave; il est d&eacute;fini comme &laquo;peintre en b&acirc;timent&raquo;.</p> <p><a href="#lien_nbp_71" name="nbp_71">71</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.28</p> <p><a href="#lien_nbp_72" name="nbp_72">72</a>&nbsp;Claude Burgelin,&nbsp;<em>Georges Perec</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.208.</p> <p><a href="#lien_nbp_73" name="nbp_73">73</a>&nbsp;Georges Perec, &laquo;Le travail de la m&eacute;moire&raquo;,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.93.</p>