<p>Dans le panorama th&eacute;&acirc;tral contemporain force est de constater que depuis longtemps le r&eacute;cit n&rsquo;assure plus sa fonction structurelle dans la repr&eacute;sentation.&nbsp; La construction du spectacle peut d&eacute;sormais reposer autant sur sa dramaturgie visuelle<a href="#nbp_1" id="footnoteref1_p6binp7" name="lien_nbp_1" title=" Mon travail de thèse porte sur ce concept, qui a été premièrement introduit par le théoricien allemand Lehmann : « Au lieu de la re-présentation de faits et actes, [nous retrouvons] une “position” de sons, de paroles, de phrases, de bruits dont la logique ne résulte pas d’un “sens”, mais de la composition scénique, d’une dramaturgie visuelle et non pas orientée sur le texte ». Hans-Thies Lehmann, Le théâtre postdramatique, L’Arche, Paris, 2002, p. 237. ">1</a>. Mais, dans cette dramaturgie visuelle, il faut souligner que le spectateur retrouve un certain sens narratif. Effectivement,</p> <p><q>[s]i d&eacute;liaison il y a, elle concerne principalement la macrostructure du texte ou de la repr&eacute;sentation, tandis qu&rsquo;au niveau microstructural anecdotes, r&eacute;cits de vie, faits-divers, &eacute;v&eacute;nements historiques, myth&egrave;mes et autres&nbsp;<em>topo&iuml;</em>&nbsp;narratifs continuent d&rsquo;&ecirc;tre mobilis&eacute;s<a href="#nbp_2" id="footnoteref2_i749z6c" name="lien_nbp_2" title="Didier Plassard, « Le postdramatique, c’est-à-dire l’abstraction », in Prospero European Review, n° 3, 2012, en ligne : http://www.t-n-b.fr/en/prospero/european-review/fiche.php?id=91&amp;edition…. ">2</a></q></p> <p>Chez Romeo Castellucci, metteur en sc&egrave;ne italien qui travaille depuis les ann&eacute;es 1980 avec sa compagnie Societas Raffaello Sanzio, le spectacle devient un v&eacute;ritable d&eacute;fi d&rsquo;interpr&eacute;tation et de compr&eacute;hension pour le public. La difficult&eacute; d&rsquo;associations logiques n&rsquo;est pas facilit&eacute;e par le discours du metteur en sc&egrave;ne sur sa propre pratique artistique. Castellucci accorde une grande place au pouvoir d&rsquo;&eacute;vocation des images chez le spectateur&nbsp;:</p> <p><q>Contact, cr&eacute;ation partag&eacute;e&nbsp;: je crois profond&eacute;ment au r&ocirc;le du spectateur. Un spectacle ne consiste en rien, il est d&eacute;pourvu d&rsquo;objet&nbsp;: il est le langage artistique le plus fragile que l&rsquo;on puisse imaginer parce qu&rsquo;&agrave; la fin, le plateau se vide et il n&rsquo;en subsiste rien. [&hellip;] Qu&rsquo;en reste-t-il alors&nbsp;? L&rsquo;exp&eacute;rience de chaque spectateur. Chaque spectacle est une somme d&rsquo;objets, de formes, de couleurs, de sons, de lumi&egrave;res&nbsp;; mais, sans le v&eacute;cu, l&rsquo;histoire, les cicatrices de chaque spectateur qui le regarde, le spectacle ne sert &agrave; rien. C&rsquo;est le spectateur qui peut donner vie au spectacle et non l&rsquo;inverse<a href="#nbp_3" id="footnoteref3_663qjjn" name="lien_nbp_3" title="Romeo Castellucci, La quinta parete/ Le cinquième mur, dans Nancy Delhalle [dir.], Le théâtre et ses publics. La création partagée, Les solitaires intempestifs, Besançon 2013, p. 20-21.">3</a>.&nbsp;</q></p> <p>Dans son discours, le metteur en sc&egrave;ne exprime la volont&eacute; d&#39;effacer la dramaturgie de ses spectacles et de transmettre l&#39;acte de construction narrative aux spectateurs. Mais, si les images propos&eacute;es par le metteur en sc&egrave;ne peuvent effectivement trouver plusieurs interpr&eacute;tations selon les diff&eacute;rentes subjectivit&eacute;s des spectateurs, un ordre de composition dans le spectacle est bel et bien pr&eacute;sent&nbsp;:</p> <p><q>[&hellip;] l&rsquo;acte narratif ne peut pas &ecirc;tre simplement ray&eacute; d&rsquo;un coup de plume ; si la narration se trouve bel et bien probl&eacute;matis&eacute;e, son refus est une position dramaturgique voire id&eacute;ologique<a href="#nbp_4" id="footnoteref4_ype08fo" name="lien_nbp_4" title="Benoît Hennaut, Théâtre et récit, l’impossible rupture. Narrativité et spectacle postdramatique (1975- 2004), Classiques Garnier, Paris 2016, p. 120.">4</a></q>.</p> <p>En r&eacute;f&eacute;rence &agrave; Castellucci, Beno&icirc;t Hennaut confirme que son discours s&#39;apparente plut&ocirc;t &agrave; une prise de position id&eacute;ologique, voire une strat&eacute;gie communicative, qui s&#39;ins&egrave;re dans un effet de mode du th&eacute;&acirc;tre contemporain o&ugrave; souvent une participation plus active du spectateur est pr&ocirc;n&eacute;e. Toutefois, il importe de rep&eacute;rer une structure narrative caract&eacute;ristique non seulement du travail de Castellucci, mais aussi d&rsquo;une partie du th&eacute;&acirc;tre contemporain notamment italien. Cette modalit&eacute; peut &ecirc;tre d&eacute;finie comme m&eacute;ta-dramaturgique ou m&eacute;ta-narrative. Il est envisageable de prendre pour d&eacute;finition l&#39;expression suivante&nbsp;: le fond est la forme, la forme est le fond. En d&rsquo;autres termes, le contenu sc&eacute;nique du spectacle refl&egrave;te souvent les choix formels qui ont &eacute;t&eacute; pris pour la repr&eacute;sentation. Le travail d&#39;association entre le contenu et la forme est ensuite confi&eacute; au spectateur, le metteur en sc&egrave;ne &laquo;&nbsp;[&eacute;labore] une &ldquo;dramaturgie visuelle&rdquo; autonome, qui perd sa fonction de support dramatique pour inviter le spectateur &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir sur ses habitudes de perception<a href="#nbp_5" id="footnoteref5_qydrh1x" name="lien_nbp_5" title="Hans-Thies Lehmann, op. cit., p. 44.">5</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p>Si certains propos de Castellucci peuvent compliquer le rep&eacute;rage de &laquo;&nbsp;<em>topo&iuml;</em>&nbsp;narratifs&nbsp;&raquo; sugg&eacute;r&eacute;s au spectateur dans ses cr&eacute;ations, d&rsquo;autres au contraire &eacute;clairent sa modalit&eacute; de travail par rapport &agrave; sa vision du th&eacute;&acirc;tre&nbsp;:</p> <p><q>Chaque travail poss&egrave;de une qualit&eacute; organique, il satisfait &agrave; son animalit&eacute; sp&eacute;cifique. Chaque travail peut se r&eacute;sumer &agrave; une forme animale. C&rsquo;est une figure aristot&eacute;licienne de reconsid&eacute;rer le th&eacute;&acirc;tre. Un bon morceau de th&eacute;&acirc;tre doit pouvoir se condenser dans une image d&rsquo;un organisme, d&rsquo;un animal : avec cet esprit. Cet animal est une pr&eacute;sence, tr&egrave;s souvent un fant&ocirc;me, qui traverse la mati&egrave;re, et moi avec lui. Le probl&egrave;me est d&rsquo;&ecirc;tre p&egrave;lerin dans la mati&egrave;re. La mati&egrave;re est l&rsquo;ultime r&eacute;alit&eacute;. C&rsquo;est la r&eacute;alit&eacute; finale qui a pour limites la respiration et la chair du cadavre<a href="#nbp_6" id="footnoteref6_4l902il" name="lien_nbp_6" title="Claudia et Romeo Castellucci, Les Pèlerins de la matière, Les solitaires intempestifs, 2001 Besançon, p. 111.">6</a>.</q></p> <p>Dans cette citation, le metteur en sc&egrave;ne reprend la comparaison aristot&eacute;licienne entre le th&eacute;&acirc;tre et le bel animal accompli, dot&eacute; d&rsquo;une t&ecirc;te, d&rsquo;un corps et d&rsquo;une queue<a href="#nbp_7" id="footnoteref7_j01eb56" name="lien_nbp_7" title="« […] disons quel doit être l’assemblage des faits, puisque c’est la première et la plus importante des parties de la tragédie. Nous avons établi que la tragédie est l’imitation d’une action achevée et complète […]. Un tout, c’est ce qui possède un commencement, un milieu et une fin. […] De plus, puisqu’une belle chose composée de parties – qu’il s’agisse d’un animal ou de tout autre chose – suppose non seulement de l’ordre dans ces parties, mais aussi une étendue qui ne soit pas n’importe laquelle : en effet, la beauté réside dans l’étendue et dans l’ordre et c’est pourquoi un animal ne saurait être beau s’il est très petit […] ni s’il est très grand […]». Aristote, Poétique, Les belles lettres, 2002 Paris, p. 29.">7</a>. Pour l&rsquo;artiste italien le th&eacute;&acirc;tre contemporain ne peut plus aspirer &agrave; cette forme parfaite&nbsp;: ne pouvant se montrer que par morceaux, il a un rapport d&eacute;finitivement rompu avec la tradition th&eacute;&acirc;trale. Cette r&eacute;flexion est un&nbsp;<em>leitmotiv</em>&nbsp;dans son parcours artistique que l&rsquo;on trouvait d&eacute;j&agrave; dans les premiers spectacles de sa compagnie comme le&nbsp;<em>Giulio Cesare</em>, mis en sc&egrave;ne en 1997 et repris depuis 2015, avec un sous-titre tr&egrave;s signifiant&nbsp;:&laquo; morceaux d&eacute;coup&eacute;s &raquo; (&laquo; pezzi staccati&nbsp;&raquo;). Dans cette derni&egrave;re reprise, le spectateur ne peut plus avoir acc&egrave;s ni &agrave; l&rsquo;histoire de Jules C&eacute;sar telle qu&rsquo;elle est racont&eacute;e dans le texte shakespearien, ni m&ecirc;me &agrave; la version de 1997 de Castellucci, d&eacute;sormais fragmentaire<a href="#nbp_8" id="footnoteref8_0ehiqaf" name="lien_nbp_8" title="L’un des moments visuellement marquants de celui-ci a, par exemple, disparu dans la version actuelle. Dans la version de 1997, un énorme bélier d’assaut sur scène essaie de détruire une barrière transparente qui se trouve entre le public et le plateau, mais n’y arrive pas. Cette action suggère au spectateur une tentative de destruction du quatrième mur et renvoie à l’étymologie du terme « tragédie », qui contient le mot grec tragos, en français bélier : le spectateur n’a donc pas la possibilité d’accéder pleinement à la tragédie, car le quatrième mur n’est finalement pas détruit.">8</a>.</p> <p>De mani&egrave;re syst&eacute;matique, les passages centraux du texte shakespearien ont &eacute;t&eacute; coup&eacute;s : le fameux discours de Marc Antoine apr&egrave;s l&rsquo;assassinat de Jules C&eacute;sar est jou&eacute; par un laryngectomis&eacute; debout sur un podium o&ugrave; est &eacute;crit le mot latin&nbsp;<em>ars</em>. Il est n&eacute;cessaire de souligner que le terme&nbsp;<em>ars</em>&nbsp;fait r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la rh&eacute;torique, l&rsquo;art de la parole, dans laquelle excelle Marc Antoine. Cet art, essentiel dans la Rome antique, est ici r&eacute;duit &agrave; une impossibilit&eacute; de communication.&nbsp;Le spectacle met en sc&egrave;ne une impossibilit&eacute; de repr&eacute;sentation du pass&eacute;, celui de l&rsquo;histoire romaine et celui de Shakespeare, dont on ne peut voir que des images fragment&eacute;es, des ruines, des fant&ocirc;mes. Ce n&rsquo;est pas un hasard si&nbsp;<em>Giulio Cesare &ndash; pezzi staccati</em>&nbsp;a &eacute;t&eacute; mis en sc&egrave;ne, entre autres, dans les ruines des Thermes de Diocl&eacute;tien &agrave; Rome.</p> <p>Le parcours artistique de Castellucci &eacute;volue par la suite, par exemple avec&nbsp;<em>Inferno</em>&nbsp;et&nbsp;<em>Paradiso</em>, cr&eacute;&eacute;s au Festival d&rsquo;Avignon en 2008, ann&eacute;e o&ugrave; il est d&eacute;sign&eacute; artiste associ&eacute;. Ces pi&egrave;ces font partie, avec&nbsp;<em>Purgatorio</em>, de la trilogie inspir&eacute;e de la&nbsp;<em>Divine Com&eacute;die</em>&nbsp;de Dante Alighieri. Ces deux cr&eacute;ations sont assez diff&eacute;rentes l&rsquo;une de l&rsquo;autre.&nbsp;<em>Inferno&nbsp;</em>est un spectacle qui pr&eacute;sente une structure dramaturgique, avec une composition chorale et plusieurs performeurs, dont Castellucci lui-m&ecirc;me au tout d&eacute;but du spectacle.&nbsp;<em>Paradiso&nbsp;</em>est au contraire une installation artistique, qui ne comporte pas &agrave; proprement parler de structure dramaturgique. Elles ont pour point commun la r&eacute;&eacute;criture d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments formels (les proc&eacute;d&eacute;s stylistiques) et de&nbsp;<em>topo&iuml;</em>&nbsp;narratifs du texte de Dante. Ces&nbsp;<em>topo&iuml;&nbsp;</em>sont r&eacute;employ&eacute;s au niveau formel dans les cr&eacute;ations de Castellucci&nbsp;: &agrave; nouveau le fond est la forme, la forme est le fond. Il y a ainsi l&rsquo;instauration d&rsquo;une m&eacute;ta-narration ou m&eacute;ta-dramaturgie, car la forme sc&eacute;nique de la cr&eacute;ation &eacute;voque les th&eacute;matiques structurelles des &oelig;uvres auxquelles elle s&rsquo;inspire.</p> <p>Par le biais d&rsquo;une vision tr&egrave;s limit&eacute;e de la sc&egrave;ne pour le spectateur, l&rsquo;installation<em>&nbsp;Paradiso&nbsp;</em>reprend le&nbsp;<em>topos</em>&nbsp;de la grande difficult&eacute; de repr&eacute;senter le paradis que le po&egrave;te exprime d&rsquo;un point de vue aussi stylistique (donc formel) dans son troisi&egrave;me cantique<a href="#nbp_9" id="footnoteref9_46iltdy" name="lien_nbp_9" title=" « Trasumanar. Décrire le Paradis est une entreprise excessive – elle signifie « trasumanar par verba » – outrepasser l’humain par les mots. Écrire prend le sens d’un défi, d’un passage à la limite – il faut donc forcer les ressources du langage, et risquer à mesure que le voyage se rapproche de son centre indicible, l’échec pur et simple, le silence, l’aphasie… ». Jacqueline Risset, introduction à Dante, La divine comédie. Le paradis. Flammarion, 1990, p.11. « Deux aspects contradictoires frappent dans la langue du Paradis : d’une part, un aspect disharmonique, âpre, irrégulier – beaucoup de ruptures syntaxiques, d’enjambements, de dissymétries voulues, un nombre très élevé de néologismes […] construits selon des procédés particulièrement hardis, à la limite de tolérance de la langue […]. D’autre part, un aspect fluide, lié, comme un chant unique […]. » Ibidem, p. 14.">9</a>. Le public ne peut pas entrer dans l&rsquo;&eacute;glise des C&eacute;lestins d&rsquo;Avignon, le lieu de l&rsquo;installation, et ne peut qu&rsquo;entrevoir par un trou une portion de la sc&egrave;ne.</p> <p><em>Inferno&nbsp;</em>&eacute;labore le&nbsp;<em>topos</em>&nbsp;de la chute caract&eacute;ristique du premier cantique qu&rsquo;on retrouve de nouveau autant dans le fond que dans la forme de l&rsquo;&oelig;uvre de Dante<a href="#nbp_10" id="footnoteref10_hrutudz" name="lien_nbp_10" title="« Dante, lorsqu’il marche, déplace les cailloux des pentes infernales : c’est un corps qui pèse, et les ombres le regardent, incrédules. A chaque instant c’est ce corps encombrant qui rappelle l’enjeu et la progression chamanique du récit […]. En Enfer – première étape – il trébuche, il tombe […] » Jacqueline Risset, introduction à Dante, La divine comédie. L’enfer. Flammarion, 1985, p. 9.">10</a>. La dramaturgie visuelle, ainsi que le d&eacute;montre Marie Madeleine Mervant Roux, est structur&eacute;e de fa&ccedil;on &agrave; repr&eacute;senter cette chute&nbsp;:</p> <p><q>De tous les motifs catastrophiques pr&eacute;sents dans&nbsp;<em>Inferno</em>, celui de la chute est probablement le plus riche. Pr&eacute;sent chez Dante, il a &eacute;t&eacute; privil&eacute;gi&eacute; par le metteur en sc&egrave;ne, qui voit en lui le mouvement m&ecirc;me de l&rsquo;&oelig;uvre. De deux fa&ccedil;ons. Il est d&rsquo;abord un effondrement ressenti physiquement, le po&egrave;te semblant pr&eacute;cipit&eacute; vertigineusement dans l&rsquo;ab&icirc;me [&hellip;] L&rsquo;artiste &eacute;prouve empathiquement cette plong&eacute;e sans fin. Mais lorsqu&rsquo;il &eacute;voque son rapport personnel au texte de&nbsp;<em>La Divine Com&eacute;die</em>, il d&eacute;crit une autre sensation, physique elle aussi, celle que pourrait &eacute;prouver le t&eacute;moin d&rsquo;un effondrement apocalyptique. &laquo;&nbsp;Dans&nbsp;<em>Inferno</em>, tout est fragment&eacute;, comme un objet qui tombe et se brise en mille morceaux.&nbsp;&raquo; Ainsi, le topos de la chute a donn&eacute; au spectacle un leitmotiv plastique &agrave; double d&eacute;clinaison selon que c&rsquo;est un homme ou une chose qui tombe<a href="#nbp_11" id="footnoteref11_87n5sz5" name="lien_nbp_11" title="Marie Madeleine Mervant Roux, Les soundscapes hantés d’Inferno, in Josette Féral (dir.), Pratiques performatives. Body Remix, Presses Universitaires du Québec, 2012, p.255.">11</a>.</q></p> <p>&nbsp;L&rsquo;analyse de Roux souligne comment dans le spectacle s&rsquo;op&egrave;re une m&eacute;tamorphose du&nbsp;<em>topos&nbsp;</em>litt&eacute;raire en&nbsp;<em>topos</em>&nbsp;visuel&nbsp;: si dans le texte de Dante le&nbsp;<em>topos</em>&nbsp;de la chute peut se retrouver dans les proc&eacute;d&eacute;s stylistiques choisis par le po&egrave;te, dans le spectacle cette th&eacute;matique se traduit visuellement par des chutes r&eacute;currentes dans les chor&eacute;graphies et dans les nombreux objets qui tombent sur le plateau. Le renvoi au topos du texte de Dante dans&nbsp;<em>Inferno&nbsp;</em>appara&icirc;t plus pr&eacute;gnant par rapport &agrave; l&rsquo;op&eacute;ration dramaturgique dans le&nbsp;<em>Giulio Cesare&nbsp;</em>: dans l&rsquo;&eacute;volution de son parcours artistique le metteur en sc&egrave;ne semble accepter la pr&eacute;sence de l&rsquo;acte narratif dans le spectacle. Dans&nbsp;<em>Inferno</em>&nbsp;la composition des sons et lumi&egrave;res, des objets et corps, fait appel &agrave; l&rsquo;imaginaire du spectateur concernant la repr&eacute;sentation de l&rsquo;Enfer. Appara&icirc;t par exemple sur sc&egrave;ne un piano en flammes, des cercles de lumi&egrave;res rouges circulent sur le mur de la Cour d&rsquo;Honneur en m&ecirc;me temps que des cris et g&eacute;missement angoissants se laissent entendre. De m&ecirc;me dans le&nbsp;<em>Giulio Cesare</em>&nbsp;les costumes et les d&eacute;cors &eacute;voquent la Rome antique et renvoient le spectateur au contexte de l&rsquo;histoire shakespearienne. Toutefois, dans&nbsp;<em>Inferno</em>, les associations dramaturgiques proposent un niveau d&rsquo;interaction plus profond avec le texte originel&nbsp;: dans ce dernier spectacle le&nbsp;<em>topo</em>s litt&eacute;raire est directement pr&eacute;sent, sous forme de&nbsp;<em>t</em><em>opos</em>&nbsp;visuel.</p> <p>Un troisi&egrave;me exemple de la modalit&eacute; de travail de Castellucci peut &ecirc;tre tir&eacute; du spectacle&nbsp;<em>Le Sacre du printemps&nbsp;</em>(2014), hommage de l&rsquo;artiste italien pour le centenaire du ballet de Vaslav Nijinski. Dans cette derni&egrave;re cr&eacute;ation, la pens&eacute;e de Castellucci sur le th&eacute;&acirc;tre contemporain comme fant&ocirc;me et cadavre, comme ce qui ne peut qu&rsquo;&ecirc;tre un r&eacute;sidu de la forme originaire et parfaite du th&eacute;&acirc;tre, est plus explicite<a href="#nbp_12" id="footnoteref12_qls8m7n" name="lien_nbp_12" title="Voir note 6.">12</a>. Pour le centenaire de la cr&eacute;ation de Nijinski, l&rsquo;artiste italien propose &laquo;&nbsp;une chor&eacute;graphie sans danseurs, seulement pour machines et poussi&egrave;re<a href="#nbp_13" id="footnoteref13_zsab6uu" name="lien_nbp_13" title="“[...] una coreografia senza danzatori, per sole macchine e polvere”. Noemi Rzewski, « Stravinskij per 40 macchine : firmato Castellucci » in doppiozero en ligne le 4/09/2014. (Site consulté le 07/05/2017).">13</a>&raquo;, une poussi&egrave;re qui est celle d&rsquo;os d&rsquo;animaux morts, utilis&eacute;e dans l&rsquo;agriculture industrielle pour fertiliser les terrains, comme le spectateur le d&eacute;couvre juste avant la fin du spectacle. Castellucci utilise comme objet chor&eacute;graphique ces farines animales, soit la mat&eacute;rialisation sc&eacute;nique d&rsquo;un des termes symboliques choisis par l&rsquo;artiste pour d&eacute;finir le th&eacute;&acirc;tre contemporain (le th&eacute;&acirc;tre comme &laquo;&nbsp;image d&rsquo;un organisme, d&rsquo;un animal&nbsp;&raquo;). De nouveau, avec la pr&eacute;sence et l&rsquo;utilisation de cette poussi&egrave;re, il se d&eacute;gage une r&eacute;flexion m&eacute;ta-dramaturgique, qui, par son lien avec la cr&eacute;ation originelle du&nbsp;<em>Sacre</em>, interroge ce qu&rsquo;il reste aujourd&rsquo;hui de cette &oelig;uvre. Premi&egrave;rement l&rsquo;utilisation de la poussi&egrave;re comme &eacute;l&eacute;ment principal est une m&eacute;taphore concr&egrave;te de l&rsquo;accumulation de strates qui dans le temps et par le biais de nombreuses reprises<a href="#nbp_14" id="footnoteref14_n2rguc2" name="lien_nbp_14" title="Voir Ada d’Adamo, Danzare il rito. Le sacre du Printemps attraverso il novecento, Bulzoni editore, Roma, 1999.">14</a>&nbsp;se sont d&eacute;pos&eacute;es sur le ballet de Nijinski. Il est n&eacute;cessaire de d&eacute;finir quels sont les liens de la version de Castellucci avec le spectacle de Nijinski, ainsi qu&rsquo;avec ses plus c&eacute;l&egrave;bres reprises, celle de Maurice B&eacute;jart (1959) et celle de Pina Bausch (1975).</p> <p>Ces liens se tissent par le biais de l&rsquo;utilisation, en tant qu&rsquo;objets chor&eacute;graphiques, de la poussi&egrave;re et des machines qui la d&eacute;versent sur le plateau. Les mouvements des machines sont sch&eacute;matiques et g&eacute;om&eacute;triques, ils r&eacute;pondent &agrave; un langage algorithmique tr&egrave;s pr&eacute;cis. La sch&eacute;matisation des mouvements &eacute;voque le travail de simplification et de r&eacute;p&eacute;tition du geste que Nijinski appliqua dans le&nbsp;<em>Sacre</em>, et qui fut une des raisons du scandale provoqu&eacute; par le spectacle chez le public parisien de l&rsquo;&eacute;poque<a href="#nbp_15" id="footnoteref15_ttt7zee" name="lien_nbp_15" title="« Dans la chorégraphie en revanche, tout ou presque tout était nouveau. […] Ce que nous avons coutume de nommer danse était remplacé par des trépignements, des piétinements et des tremblotements confus. […] Parfois, de ces silhouettes massives se détachait un geste, mais brusque, saccadé, déséquilibré comme un geste d’ataxique ; et ce geste unique était alors répété cent fois de suite, ainsi que par des pantins détraqués. Quant aux figures d’ensemble, elles consistaient à tasser les hommes et les femmes en troupeaux compacts, aussi serrés que des troupeaux de moutons et à les pousser de-ci de-là sur la scène, comme des moutons pressés par leur chien. » Pierre Lalo, Le temps, 5 août 1913, in François Lesure (dir.), Igor Stravinsky. Le sacre du printemps. Dossier de presse, Éditions Minkoff, Genève, 1980, p. 32. Les dessins chorégraphiques laissés par Nijinski, par exemple ceux effectués entre 1918 et 1919 (Untitled (Arcs and Segments: lines), témoignent aussi de ce travail de schématisation apparemment assez mal reçu par la critique et le public français de l’époque.">15</a>. Cet effet de g&eacute;om&eacute;trisation et de r&eacute;p&eacute;tition dans la danse de Nijinski est transpos&eacute;e dans la version de Castellucci par les machines en mouvement.</p> <p>En plus de faire partie de la chor&eacute;graphie, les machines pr&eacute;sent&eacute;es par Castellucci v&eacute;hiculent des messages et proposent de possibles contenus narratifs. Elles symbolisent &laquo;&nbsp;l&rsquo;industrialisation victorieuse<a href="#nbp_16" id="footnoteref16_0xk6pjf" name="lien_nbp_16" title="Marie-Pierre Génécand, « Le fabuleux sacre de la poussière », Le Temps (Schweiz), 13 août 2014.">16</a>&nbsp;&raquo; &agrave; l&rsquo;&eacute;poque de la cr&eacute;ation nijinskienne et qui est remise en cause dans la r&eacute;&eacute;criture de Castellucci. Leurs mouvements circulaires rappellent ceux des machines agricoles qui servent &agrave; irriguer le sol. Quant &agrave; la poussi&egrave;re d&rsquo;animaux morts, d&eacute;vers&eacute;e par les machines sur sc&egrave;ne, elle fertilise aussi bien le sol sc&eacute;nique que le terrain agricole dans l&rsquo;industrie. Le choix dramaturgique de Castellucci sur les objets chor&eacute;graphiques est tout sauf neutre. L&rsquo;artiste lui-m&ecirc;me sugg&egrave;re un lien entre l&rsquo;action sc&eacute;nique des machines &laquo;&nbsp;qui nourrissent la sc&egrave;ne&nbsp;&raquo; par le biais de la poussi&egrave;re, et la fonction des machines agricoles :</p> <p><q><strong>Dans les versions du ballet de Maurice B&eacute;jart et de Pina Bausch la notion d&rsquo;affrontement homme-femme est centrale. Un aspect que vous avez laiss&eacute; de c&ocirc;t&eacute; ?&nbsp;</strong></q></p> <p><q>Pour moi, les machines sont clairement un principe masculin avec cette notion d&rsquo;ordre et de contr&ocirc;le. Et la poussi&egrave;re d&rsquo;os, qui nourrit la terre, et qui sur sc&egrave;ne danse de mani&egrave;re tr&egrave;s sensuelle, est un principe f&eacute;minin<a href="#nbp_17" id="footnoteref17_h3j7d87" name="lien_nbp_17" title=".      L’artiste affirme transposer « la notion d’affrontement homme-femme », qu’on retrouve dans les versions de Béjart et Bausch. Il n’exclut pas la présence de cette thématique narrative : son contenu est simplement déplacé par le choix des objets chorégraphiques. Il semble vouloir positionner son œuvre en continuité avec les versions précédentes du Sacre. Par ailleurs un lien peut être établi entre le choix de Castellucci de féminiser la poussière qui fertilise le sol scénique, et la présence de terre sur le plateau dans la version de Bausch. Dans le Sacre de la chorégraphe allemande cette présence a été interprétée comme une référence à la terre-mère par Gerald SiegmundVoir Gerald Siegmund, “Un piccolo frammento di sostanza vivente. Trauma, assenza e danza in Le Sacre du Printemps” de Pina Bausch, in Susanne Franco et Marina Nordera, (dir.) 2008 Ricordanze: Memoria in movimento e coreografia della Storia, Utet università, Novara, p. 287-303. ">17</a>. Si la terre-m&egrave;re chez Bausch mat&eacute;rialise la divinit&eacute; &agrave; laquelle les humains primitifs sacrifient l&rsquo;&eacute;lue pour avoir de bonnes r&eacute;coltes, chez Castellucci le sacrifice des animaux par l&rsquo;agriculture est n&eacute;cessaire au maintien du syst&egrave;me industriel&nbsp;: en forme de poussi&egrave;re ils fertilisent le sol du plateau et le sol du terrain agricole.</q></p> <p>&nbsp;La citation pr&eacute;c&eacute;dente permet de comprendre le sens de la pr&eacute;sence sc&eacute;nique des machines. Leur fonction est par ailleurs explicit&eacute;e dans le texte affich&eacute; sur un rideau opaque entre le plateau et le public, juste avant le passage final de la musique de Stravinski. Dans le ballet de Nijinski ce passage correspond au sacrifice de l&rsquo;&eacute;lue&nbsp;; le public de Castellucci d&eacute;couvre que la poussi&egrave;re qu&rsquo;ils ont vue danser jusque-l&agrave; avec tant de beaut&eacute; est un compos&eacute; d&rsquo;os d&rsquo;animaux finement fragment&eacute;s. Comme chez Nijinski, chez Castellucci aussi le printemps &eacute;voqu&eacute; par la danse est non seulement un printemps de vie, mais aussi de mort. Une fois la musique de Stravinski termin&eacute;e, le rideau s&rsquo;ouvre et les spectateurs voient des hommes en tenue blanche et masque &agrave; gaz qui avec des pelles remettent la poussi&egrave;re dans des &eacute;normes containers pour d&eacute;gager la sc&egrave;ne. Il ne s&rsquo;agit pas seulement d&rsquo;une action de nettoyage du plateau, mais d&rsquo;une puissante m&eacute;taphore narrative. Le spectacle devient lui-m&ecirc;me une parfaite machine de mort puisque les hommes masqu&eacute;s, en nettoyant le plateau, pr&eacute;parent le cycle de sacrifice suivant<a href="#nbp_18" id="footnoteref18_djkgotq" name="lien_nbp_18" title="Il s’agit d’un cycle jusqu’à ce qu’un accident dans la chaîne, se produisant, révèle la monstruosité dévoratrice de la machine. Nous faisons ici référence au Moloch du film Métropolis de Fritz Lang (1927).">18</a>. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une image assez sinistre qui peut &eacute;voquer les fant&ocirc;mes<a href="#nbp_19" id="footnoteref19_s7052wn" name="lien_nbp_19" title="Ce terme est choisi aussi en fonction de la définition de Castellucci sur le théâtre actuel. Voir note 6.">19</a>&nbsp;de notre histoire contemporaine, telle que la menace atomique, ou les pratiques d&rsquo;exterminations nazies dans les camps de concentration. D&rsquo;un point de vue dramaturgique le premier fant&ocirc;me pouvait &ecirc;tre d&eacute;j&agrave; sugg&eacute;r&eacute; au moment o&ugrave; un grand amas de poussi&egrave;re se concentre au milieu de la sc&egrave;ne, tel un champignon atomique. Cette image induit le spectateur &agrave; associer ensuite les hommes en tenue blanche &agrave; la menace nucl&eacute;aire. L&rsquo;action de ces hommes, qui r&eacute;cup&egrave;rent avec une pelle la poussi&egrave;re, fait penser en outre aux gardiens des camps, qui se chargeaient de nettoyer les cendres des prisonniers. Si la pr&eacute;sence de machines et de farines animales dans le spectacle peut &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e en g&eacute;n&eacute;ral comme une remise en question du syst&egrave;me industriel actuel, cette image finale est l&rsquo;acte le plus fort de cette critique. Cette comparaison entre l&rsquo;&eacute;v&egrave;nement historique et le syst&egrave;me industriel actuel est radicale et appuie l&rsquo;id&eacute;e que le spectacle dans sa forme se pr&eacute;sente aussi comme une machine de mort. La pi&egrave;ce a &eacute;t&eacute; par ailleurs cr&eacute;&eacute;e pour la Triennale de la Ruhr, la premi&egrave;re a &eacute;t&eacute; repr&eacute;sent&eacute;e dans une ancienne fonderie de Duisburg. Il est important de souligner que le festival utilise souvent de vieilles usines d&eacute;saffect&eacute;es pour ses spectacles&nbsp;: bon nombre d&rsquo;entre elles &eacute;taient utilis&eacute;es pour le r&eacute;armement dans l&rsquo;Allemagne nazie. Le choix du lieu de cr&eacute;ation n&rsquo;est pas anodin et influence les associations narratives propos&eacute;es au spectateur. Le spectacle a &eacute;t&eacute; ensuite repris au Th&eacute;&acirc;tre de la Villette, et l&agrave; aussi il s&rsquo;agit d&rsquo;un lieu signifiant par rapport aux contenus&nbsp;: le th&eacute;&acirc;tre se trouve sur l&rsquo;emplacement des anciens abattoirs de la ville de Paris. De plus, les lumi&egrave;res, souvent tr&egrave;s froides de ce spectacle, contribuent &agrave; rappeler l&rsquo;&eacute;clairage d&rsquo;une chambre froide&nbsp;: les fant&ocirc;mes des animaux ressurgissent aussi par ce biais.</p> <p>Le spectacle r&eacute;actualise ainsi la th&eacute;matique du sacrifice qui &eacute;tait celle du&nbsp;<em>Sacre</em>&nbsp;originel. Il en d&eacute;tourne sa fonction rituelle pour faire du sacrifice de l&rsquo;animal&nbsp;un acte industriel et quotidien : &laquo;&nbsp;[...] la poussi&egrave;re d&rsquo;os d&rsquo;animal qu&rsquo;on trouve sur le march&eacute; pour fertiliser les sols est le dernier stade du sacrifice<a href="#nbp_20" id="footnoteref20_qepxn28" name="lien_nbp_20" title="Marie-Pierre Génécand, op.cit.">20</a>&nbsp;&raquo;. Le spectacle de Castellucci semble m&eacute;tamorphoser l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment anthropologique et social&nbsp;du ballet originel, tel qu&rsquo;il a &eacute;t&eacute; interpr&eacute;t&eacute; par Jacques Rivi&egrave;re&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le&nbsp;<em>Sacre du printemps</em>, c&rsquo;est un ballet sociologique. Extraordinaire vision d&rsquo;un &acirc;ge qu&rsquo;il nous fallait jusqu&rsquo;ici reconstruire p&eacute;niblement &agrave; l&rsquo;aide de documents scientifiques et que voici rendu sensible &agrave; notre imagination<a href="#nbp_21" id="footnoteref21_qfrpauk" name="lien_nbp_21" title="Jacques Rivière, « Le sacre du printemps », Nouvelle revue française, août 1913, p. 95.">21</a>&nbsp;&raquo;. Tout comme le&nbsp;<em>Sacre</em>&nbsp;de Nijinski pouvait avoir une fonction sociologique, de m&ecirc;me la cr&eacute;ation de l&rsquo;artiste italien &laquo;&nbsp;rend sensible &agrave; notre imagination&nbsp;&raquo; le fonctionnement du syst&egrave;me industriel actuel.</p> <p>&Agrave; ce propos il est bon de souligner que l&rsquo;animal et ses restes sont un &eacute;l&eacute;ment important dans le ballet originel. Dans la reconstruction historique de ce dernier, effectu&eacute;e par le Joffrey Ballet en 1988, nous pouvons voir que le ch&oelig;ur porte comme costume des peaux d&rsquo;animaux&nbsp;: l&agrave; encore, il s&rsquo;agit de restes d&rsquo;animaux morts, r&eacute;utilis&eacute;s pour servir l&rsquo;homme. Castellucci conceptualisait son th&eacute;&acirc;tre comme les restes du bel animal aristot&eacute;licien, les restes de la forme narrative par excellence. La version du&nbsp;<em>Sacre</em>&nbsp;de Castellucci met en sc&egrave;ne les restes de la forme narrative du&nbsp;<em>Sacre</em>&nbsp;de Nijinski. Or dans celui-ci se trouvent d&eacute;j&agrave; les restes du bel animal, aussi bien d&rsquo;un point de vue physique, que d&rsquo;un point de vue m&eacute;taphorique. Il est int&eacute;ressant de souligner que dans les critiques du ballet de Nijinski cette m&eacute;taphore revient pour d&eacute;crire sa composition. Voici ce qu&rsquo;affirme la critique de Jacques Rivi&egrave;re&nbsp;:</p> <p><q>On croirait assister &agrave; un drame du microscope, c&rsquo;est l&rsquo;histoire de la karyokin&egrave;se&nbsp;; profonde besogne du noyau par quoi il se s&eacute;pare de lui-m&ecirc;me et se reproduit&nbsp;; division de la naissance&nbsp;; scissions et retours de la mati&egrave;re inqui&egrave;te jusque dans sa substance&nbsp;; larges amas tournants de protoplasme&nbsp;; plaques germinatives&nbsp;; zones, cercles, placentas. [&hellip;]&nbsp;Il y a une &eacute;norme question port&eacute;e par tous ces &ecirc;tres qui se meuvent sous nos yeux. Elle n&rsquo;est pas diff&eacute;rente d&rsquo;eux-m&ecirc;mes. Ils la prom&egrave;nent sans la comprendre, comme un animal qui touche du front les barreaux. Ils n&rsquo;ont pas d&rsquo;autre organe que leur organisme tout entier et c&rsquo;est avec lui qu&rsquo;ils cherchent<a href="#nbp_22" id="footnoteref22_tqrnk8g" name="lien_nbp_22" title="Ibidem, p. 96.">22</a>.</q></p> <p>Il est possible que cette critique ait inspir&eacute; Castellucci dans sa cr&eacute;ation&nbsp;: en tout cas &laquo; ce drame du microscope&nbsp;&raquo; fait penser &agrave; la danse castelluccienne de la poussi&egrave;re, tout en d&eacute;crivant le ballet de Nijinski. Par le biais de cette critique, il est d&rsquo;autant plus clair que la chor&eacute;graphie de Castellucci dans ses mouvements simplifi&eacute;s a suivi les traces propos&eacute;es par Nijinski (&laquo;&nbsp;larges amas tournants&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;zones, cercles&nbsp;&raquo;).&nbsp; Selon Rivi&egrave;re, Nijinski coupe la possibilit&eacute; de voir chaque organisme des danseurs&nbsp;: leur corps ne semble plus poss&eacute;der d&rsquo;individualit&eacute;, formant un seul animal en captivit&eacute;. Le bel animal aristot&eacute;licien subit une premi&egrave;re amputation&nbsp;: Nijinski avait d&eacute;j&agrave; &oelig;uvr&eacute; contre la tradition chor&eacute;graphique, en coupant le geste classique en faveur de gestes saccad&eacute;s, r&eacute;p&eacute;titifs et fr&eacute;n&eacute;tiques en rapport avec la musique de Stravinski. Par rapport &agrave; Nijinski, Castellucci coupe toute possibilit&eacute; de repr&eacute;sentation d&rsquo;un corps entier, dont on ne voit plus que les restes sous forme de poussi&egrave;re.&nbsp; Pour l&rsquo;artiste italien, le th&eacute;&acirc;tre et dans ce cas sp&eacute;cifique la danse ne peuvent plus trouver de repr&eacute;sentation accomplie, ils doivent donc &ecirc;tre sacrifi&eacute;s. C&rsquo;est aussi pour cette raison, probablement, que Castellucci d&eacute;cide de ne donner aucune repr&eacute;sentation du moment culminant du ballet original, soit le sacrifice de l&rsquo;&eacute;lue. Lors du passage musical de Stravinski repr&eacute;sentant le sacrifice, il obstrue la vision du spectateur avec le rideau o&ugrave; est projet&eacute; le texte d&eacute;crivant le sacrifice de l&rsquo;animal dans le syst&egrave;me industriel contemporain. Le sujet narratif choisi par Nijinski, le sacrifice humain pour le retour du printemps, reste chez Castellucci mais se d&eacute;place au double niveau du contenu et de la forme du spectacle. Pour ce qui est du contenu, Castellucci change le sujet et le contexte : le sacrifice de l&rsquo;&eacute;lue pour le printemps est maintenant celui des animaux pour l&rsquo;industrie. La forme du spectacle est aussi sacrifi&eacute;e&nbsp;: le spectateur ne peut plus voir la sc&egrave;ne du sacrifice, il peut lire l&rsquo;objet du sacrifice sur le texte projet&eacute;.</p> <p>En conclusion la poussi&egrave;re symbolise une accumulation de sens et de r&eacute;flexions m&eacute;ta-narratives propos&eacute;es au spectateur.&nbsp;Cet &eacute;l&eacute;ment d&rsquo;un point de vue mat&eacute;riel agr&egrave;ge plusieurs concepts dont Castellucci semble &ecirc;tre bien conscient. La poussi&egrave;re a d&rsquo;abord une origine divine et une fonction vitale&nbsp;: dans la Bible l&rsquo;&ecirc;tre humain est cr&eacute;&eacute; &agrave; partir de la poussi&egrave;re et de la terre. Il convient de souligner combien la r&eacute;f&eacute;rence &agrave; des th&eacute;matiques religieuses est importante chez l&rsquo;artiste italien&nbsp;: il suffit de penser &agrave;&nbsp;<em>Il concetto di volto nel figlio di Dio&nbsp;</em>(2011), la trilogie inspir&eacute;e de Dante d&eacute;j&agrave; cit&eacute;e auparavant, et &agrave; d&rsquo;autres cr&eacute;ations de Castellucci. Cette fonction vitale est reprise dans la philosophie atomique de Lucr&egrave;ce&nbsp;: la conception de son&nbsp;<em>clinamen</em>, o&ugrave; les atomes qui constituent la mati&egrave;re sont en mouvement continu, semble trouver une concr&eacute;tisation dans le mouvement ininterrompu de la poussi&egrave;re sur la sc&egrave;ne castelluccienne<a href="#nbp_23" id="footnoteref23_zqr0tur" name="lien_nbp_23" title="Le poète philosophe théorise en effet que par le biais du clinamen («déclinaison »), les atomes qui constituent la matière, donc la vie, sont en mouvement continu : « Si tu penses que les éléments premiers des choses peuvent interrompre leurs mouvements, et en les interrompant continuer à engendrer des mouvements nouveaux dans les choses, tu sors de la route et tu t’égares bien loin de la vérité. Car puisqu’ils errent à travers le vide, tous, nécessairement ou bien, sous l’effet de leur propre poids, les éléments premiers sont emportés, ou bien parfois c’est par le choc avec un autre. » Lucrèce, La nature des choses Editions Gallimard, 2010 Paris, p. 97. ">23</a>. La poussi&egrave;re est donc symbole de vie dans ce spectacle, puisqu&rsquo;elle est compos&eacute;e de mati&egrave;re animale et, tels les atomes qui composent la mati&egrave;re, elle tombe sur la sc&egrave;ne et la fertilise, tout comme la terre est fertilis&eacute;e au printemps. La question de la fertilit&eacute; de la mati&egrave;re &eacute;tait d&eacute;j&agrave; pr&eacute;sente chez Nijinski selon Rivi&egrave;re et dans la version de Bausch selon Siegmund.</p> <p>Toutefois la poussi&egrave;re est en m&ecirc;me temps symbole de mort. Elle est bel et bien compos&eacute;e de restes d&rsquo;animaux morts, et &eacute;voque les poussi&egrave;res mortif&egrave;res du XX<sup>&egrave;me</sup>&nbsp;si&egrave;cle, telles que celles des camps de concentration nazis ou des nu&eacute;es atomiques. La poussi&egrave;re est enfin le symbole de restes artistiques, en premier lieu du ballet de Nijinski, mais il est possible de rep&eacute;rer dans le spectacle de Castellucci des r&eacute;f&eacute;rences aux r&eacute;&eacute;critures successives du&nbsp;<em>Sacre du Printemps</em>, comme celle de B&eacute;jart ou de Bausch. Dans ce cas, Castellucci semble citer la m&eacute;thode de travail de l&rsquo;artiste italien Claudio Parmiggiani et ses&nbsp;<em>Delocazioni</em>&nbsp;:</p> <p><q>En d&eacute;pla&ccedil;ant les objets pour &laquo;&nbsp;faire de l&rsquo;espace&nbsp;&raquo;, comme on dit &ndash; premier acte de&nbsp;<em>delocazione</em>, donc &ndash;, l&rsquo;artiste fut saisi par la vision, paysage ou nature morte, des traces laiss&eacute;es en n&eacute;gatif par la poussi&egrave;re. Et c&rsquo;est cela m&ecirc;me qu&rsquo;il d&eacute;cida, par cons&eacute;quent d&rsquo;&oelig;uvrer. Il s&rsquo;agissait d&rsquo;intensifier, d&rsquo;accentuer, de redonner consistance aux empreintes existantes [&hellip;]<a href="#nbp_24" id="footnoteref24_d2ck6rh" name="lien_nbp_24" title="Georges Didi-Huberman, Génie du non-lieu, Editions de minuit, Paris 2001, p. 18.">24</a>.</q></p> <p>L&rsquo;&oelig;uvre de Parmiggiani est en fin de compte celle qui est plus &agrave; m&ecirc;me d&rsquo;&eacute;clairer la narrativit&eacute; dans la d&eacute;marche de Castellucci. Alors que la poussi&egrave;re semble marquer une absence cruelle du ballet de Nijinski, elle en repr&eacute;sente en m&ecirc;me temps une trace vive et dansante qui condense signifiants et sens que le spectateur peut apporter comme r&eacute;ponses narratives aux manques apparents de la cr&eacute;ation.</p> <hr /> <p><strong>&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; Notes et bibliographie</strong></p> <p>ARISTOTE,&nbsp;<em>Po&eacute;tique</em>, Les belles lettres, 2002 Paris.</p> <p>LES CARNETS DU THEATRE DES CHAMPS-ELYSEES, L<em>e sacre du printemps de Nijinski</em>, Cicero Editeurs.</p> <p>CASTELLUCCI, Romeo, Chiara GUIDI et Claudia CASTELLUCCI,&nbsp;<em>Epopea della polvere. Il teatro della Soc&igrave;etas Raffaello Sanzio 1992-1999. Amleto, Masoch, Orestea, Giulio Cesare, Genesi.&nbsp;</em>Ubulibri, Milano 2001.</p> <p>D&rsquo;ADAMO, Ada&nbsp;<em>Danzare il rito.&nbsp;</em>Le sacre du Printemps<em>&nbsp;attraverso il novecento</em>, Bulzoni editore, Roma, 1999</p> <p>DIDI-HUBERMAN, Georges,&nbsp;<em>L&rsquo;image survivante.&nbsp;</em><em>Histoire de l&rsquo;art et temps des fant&ocirc;mes selon Aby Warburg</em>, Paris, Les Editions de minuit, 2002.</p> <p>DIDI-HUBERMAN, Georges,&nbsp;<em>G&eacute;nie du non-lieu</em>, Paris Les Editions de minuit, 2001.</p> <p>Piersandra DI MATTEO, (dir.)&nbsp;<em>Toccare il reale</em>,<em>&nbsp;L&rsquo;arte di Romeo Castellucci</em>, Cronopio, Napoli, 2015.</p> <p>EKSTEIN, Modris,&nbsp;<em>Rites of Spring</em>, Houghton Mifflin Company, Roma, 1989.</p> <p>GAUTHIER, Brigitte,&nbsp;<em>Le langage chor&eacute;graphique de Pina Bausch</em>, L&rsquo;arche, Paris, 2008.</p> <p>GRAZIOLI, Elio,&nbsp;<em>La polvere nell&rsquo;arte</em>, Milano, Bruno Mondadori, 2004.</p> <p>HAHN, Thomas,&nbsp;<em>Le Sacre du printemps, un rituel industriel</em>, in &laquo;Actualit&eacute; de la sc&eacute;nographie&raquo;, n&deg;1, 2015, pp. 30-32.</p> <p>HENNAUT Beno&icirc;t,&nbsp;<em>Th&eacute;&acirc;tre et r&eacute;cit, l&rsquo;impossible rupture. Narrativit&eacute; et spectacle postdramatique (1975- 2004)</em>, Classiques Garnier, Paris 2016.</p> <p>Fran&ccedil;ois LESURE, (dir),<em>&nbsp;Igor Stravinsky. Le sacre du printemps. Dossier de presse</em>, &Eacute;ditions Minkoff, Gen&egrave;ve, 1980.</p> <p>Lucr&egrave;ce,&nbsp;<em>La nature des choses&nbsp;</em>Editions Gallimard, 2010 Paris.</p> <p>MARINETTI, Filippo Tommaso,&nbsp;<em>Fondazione e manifesto del futurismo</em>, Edizioni del Cavallino, Venezia, 1950.</p> <p>PERRIER, Jean-Louis,&nbsp;<em>Ces ann&eacute;es Castellucci</em>, Les Solitaires Intempestifs, Besan&ccedil;on, 2014.</p> <p>RIVIERE, Jacques,&nbsp;<em>Le sacre du printemps</em>, in &laquo;&nbsp;Nouvelles revue fran&ccedil;aise&nbsp;&raquo;, ao&ucirc;t-novembre, 1913, pp. 68-96.</p> <p>Jacqueline RISSET, introduction &agrave; Dante,&nbsp;<em>La divine com&eacute;die</em>.&nbsp;<em>L&rsquo;enfer</em>. Flammarion, 1985, pp. 6-22.</p> <p>Jacqueline RISSET, introduction &agrave; Dante,&nbsp;<em>La divine com&eacute;die</em>.&nbsp;<em>Le paradis</em>. Flammarion, 1990, pp. 5-17.</p> <p>Susanne FRANCO et Marina NORDERA (dir.),&nbsp;<em>Ricordanze: Memoria in movimento e coreografia della Storia</em>, Utet universit&agrave;, Novara, 2008.</p> <p>TACKELS, Bruno,&nbsp;<em>Les Castellucci (Ecrivains de Plateau I)</em>, Les solitaires intempestifs, Besan&ccedil;on, 2005.</p> <p><strong>Sites internet consult&eacute;s</strong></p> <p>Site italien de critiques th&eacute;&acirc;trales&nbsp;:&nbsp;<a href="http://www.doppiozero.com/">http://www.doppiozero.com</a></p> <p>Mus&eacute;e Rodin&nbsp;:&nbsp;<a href="http://www.musee-rodin.fr/fr/collections/sculptures/nijinski">http://www.musee-rodin.fr/fr/collections/sculptures/nijinski</a></p> <p>Site fran&ccedil;ais de critiques th&eacute;&acirc;trales&nbsp;:&nbsp;<a href="http://www.parismatch.com/">http://www.parismatch.com</a></p> <p>Compagnie Societas Raffaello Sanzio :&nbsp;<a href="http://www.societas.es/romeo-castellucci-archivio/">http://www.societas.es/romeo-castellucci-archivio/</a></p> <p>&nbsp;</p> <blockquote>&nbsp;</blockquote> <p><a href="#" name="nbp_1">1</a>&nbsp;Mon travail de th&egrave;se porte sur ce concept, qui a &eacute;t&eacute; premi&egrave;rement introduit par le th&eacute;oricien allemand Lehmann&nbsp;: &laquo;&nbsp;Au lieu de la&nbsp;<em>re</em>-pr&eacute;sentation de faits et actes, [nous retrouvons] une &ldquo;position&rdquo; de sons, de paroles, de phrases, de bruits dont la logique ne r&eacute;sulte pas d&rsquo;un &ldquo;sens&rdquo;, mais de la composition sc&eacute;nique, d&rsquo;une dramaturgie visuelle et non pas orient&eacute;e sur le texte&nbsp;&raquo;. Hans-Thies Lehmann,&nbsp;<em>Le th&eacute;&acirc;tre postdramatique</em>, L&rsquo;Arche, Paris, 2002, p. 237.</p> <p><a href="#" name="nbp_2">2</a>&nbsp;Didier Plassard, &laquo; Le postdramatique, c&rsquo;est-&agrave;-dire l&rsquo;abstraction &raquo;, in Prospero European Review, n&deg; 3, 2012, en ligne :&nbsp;<a href="http://www.t-n-b.fr/en/prospero/european-review/fiche.php?id=91&amp;edition=10&amp;lang=1">http://www.t-n-b.fr/en/prospero/european-review/fiche.php?id=91&amp;edition&hellip;</a>.</p> <p><a href="#" name="nbp_3">3</a>&nbsp;Romeo Castellucci, La quinta parete/ Le cinqui&egrave;me mur, dans Nancy Delhalle [dir.], Le th&eacute;&acirc;tre et ses publics. La cr&eacute;ation partag&eacute;e, Les solitaires intempestifs, Besan&ccedil;on 2013, p. 20-21.</p> <p><a href="#" name="nbp_4">4</a>&nbsp;Beno&icirc;t Hennaut, Th&eacute;&acirc;tre et r&eacute;cit, l&rsquo;impossible rupture. Narrativit&eacute; et spectacle postdramatique (1975- 2004), Classiques Garnier, Paris 2016, p. 120.</p> <p><a href="#" name="nbp_5">5</a>&nbsp;Hans-Thies Lehmann, op. cit., p. 44.</p> <p><a href="#" name="nbp_6">6</a>&nbsp;Claudia et Romeo Castellucci, Les P&egrave;lerins de la mati&egrave;re, Les solitaires intempestifs, 2001 Besan&ccedil;on, p. 111.</p> <p><a href="#" name="nbp_7">7</a>&nbsp;&laquo; [&hellip;] disons quel doit &ecirc;tre l&rsquo;assemblage des faits, puisque c&rsquo;est la premi&egrave;re et la plus importante des parties de la trag&eacute;die. Nous avons &eacute;tabli que la trag&eacute;die est l&rsquo;imitation d&rsquo;une action achev&eacute;e et compl&egrave;te [&hellip;]. Un tout, c&rsquo;est ce qui poss&egrave;de un commencement, un milieu et une fin. [&hellip;] De plus, puisqu&rsquo;une belle chose compos&eacute;e de parties &ndash; qu&rsquo;il s&rsquo;agisse d&rsquo;un animal ou de tout autre chose &ndash; suppose non seulement de l&rsquo;ordre dans ces parties, mais aussi une &eacute;tendue qui ne soit pas n&rsquo;importe laquelle : en effet, la beaut&eacute; r&eacute;side dans l&rsquo;&eacute;tendue et dans l&rsquo;ordre et c&rsquo;est pourquoi un animal ne saurait &ecirc;tre beau s&rsquo;il est tr&egrave;s petit [&hellip;] ni s&rsquo;il est tr&egrave;s grand [&hellip;]&raquo;. Aristote, Po&eacute;tique, Les belles lettres, 2002 Paris, p. 29.</p> <p><a href="#" name="nbp_8">8</a>&nbsp;L&rsquo;un des moments visuellement marquants de celui-ci a, par exemple, disparu dans la version actuelle. Dans la version de 1997, un &eacute;norme b&eacute;lier d&rsquo;assaut sur sc&egrave;ne essaie de d&eacute;truire une barri&egrave;re transparente qui se trouve entre le public et le plateau, mais n&rsquo;y arrive pas. Cette action sugg&egrave;re au spectateur une tentative de destruction du quatri&egrave;me mur et renvoie &agrave; l&rsquo;&eacute;tymologie du terme &laquo; trag&eacute;die &raquo;, qui contient le mot grec tragos, en fran&ccedil;ais b&eacute;lier : le spectateur n&rsquo;a donc pas la possibilit&eacute; d&rsquo;acc&eacute;der pleinement &agrave; la trag&eacute;die, car le quatri&egrave;me mur n&rsquo;est finalement pas d&eacute;truit.</p> <p><a href="#" name="nbp_9">9</a>&nbsp;&laquo; Trasumanar. D&eacute;crire le Paradis est une entreprise excessive &ndash; elle signifie &laquo; trasumanar par verba &raquo; &ndash; outrepasser l&rsquo;humain par les mots. &Eacute;crire prend le sens d&rsquo;un d&eacute;fi, d&rsquo;un passage &agrave; la limite &ndash; il faut donc forcer les ressources du langage, et risquer &agrave; mesure que le voyage se rapproche de son centre indicible, l&rsquo;&eacute;chec pur et simple, le silence, l&rsquo;aphasie&hellip; &raquo;. Jacqueline Risset, introduction &agrave; Dante, La divine com&eacute;die. Le paradis. Flammarion, 1990, p.11. &laquo; Deux aspects contradictoires frappent dans la langue du Paradis : d&rsquo;une part, un aspect disharmonique, &acirc;pre, irr&eacute;gulier &ndash; beaucoup de ruptures syntaxiques, d&rsquo;enjambements, de dissym&eacute;tries voulues, un nombre tr&egrave;s &eacute;lev&eacute; de n&eacute;ologismes [&hellip;] construits selon des proc&eacute;d&eacute;s particuli&egrave;rement hardis, &agrave; la limite de tol&eacute;rance de la langue [&hellip;]. D&rsquo;autre part, un aspect fluide, li&eacute;, comme un chant unique [&hellip;]. &raquo; Ibidem, p. 14.</p> <p><a href="#" name="nbp_10">10</a>&nbsp;&laquo; Dante, lorsqu&rsquo;il marche, d&eacute;place les cailloux des pentes infernales : c&rsquo;est un corps qui p&egrave;se, et les ombres le regardent, incr&eacute;dules. A chaque instant c&rsquo;est ce corps encombrant qui rappelle l&rsquo;enjeu et la progression chamanique du r&eacute;cit [&hellip;]. En Enfer &ndash; premi&egrave;re &eacute;tape &ndash; il tr&eacute;buche, il tombe [&hellip;] &raquo; Jacqueline Risset, introduction &agrave; Dante, La divine com&eacute;die. L&rsquo;enfer. Flammarion, 1985, p. 9.</p> <p><a href="#" name="nbp_11">11</a>&nbsp;Marie Madeleine Mervant Roux, Les soundscapes hant&eacute;s d&rsquo;Inferno, in Josette F&eacute;ral (dir.), Pratiques performatives. Body Remix, Presses Universitaires du Qu&eacute;bec, 2012, p.255.</p> <p><a href="#" name="nbp_12">12</a>&nbsp;Voir note 6.</p> <p><a href="#" name="nbp_13">13</a>&nbsp;&ldquo;[...] una coreografia senza danzatori, per sole macchine e polvere&rdquo;. Noemi Rzewski, &laquo; Stravinskij per 40 macchine : firmato Castellucci &raquo; in doppiozero en ligne le 4/09/2014. (Site consult&eacute; le 07/05/2017).</p> <p><a href="#" name="nbp_14">14</a>&nbsp;Voir Ada d&rsquo;Adamo, Danzare il rito. Le sacre du Printemps attraverso il novecento, Bulzoni editore, Roma, 1999.</p> <p><a href="#" name="nbp_15">15</a>&nbsp;&laquo; Dans la chor&eacute;graphie en revanche, tout ou presque tout &eacute;tait nouveau. [&hellip;] Ce que nous avons coutume de nommer danse &eacute;tait remplac&eacute; par des tr&eacute;pignements, des pi&eacute;tinements et des tremblotements confus. [&hellip;] Parfois, de ces silhouettes massives se d&eacute;tachait un geste, mais brusque, saccad&eacute;, d&eacute;s&eacute;quilibr&eacute; comme un geste d&rsquo;ataxique ; et ce geste unique &eacute;tait alors r&eacute;p&eacute;t&eacute; cent fois de suite, ainsi que par des pantins d&eacute;traqu&eacute;s. Quant aux figures d&rsquo;ensemble, elles consistaient &agrave; tasser les hommes et les femmes en troupeaux compacts, aussi serr&eacute;s que des troupeaux de moutons et &agrave; les pousser de-ci de-l&agrave; sur la sc&egrave;ne, comme des moutons press&eacute;s par leur chien. &raquo; Pierre Lalo, Le temps, 5 ao&ucirc;t 1913, in Fran&ccedil;ois Lesure (dir.), Igor Stravinsky. Le sacre du printemps. Dossier de presse, &Eacute;ditions Minkoff, Gen&egrave;ve, 1980, p. 32. Les dessins chor&eacute;graphiques laiss&eacute;s par Nijinski, par exemple ceux effectu&eacute;s entre 1918 et 1919 (Untitled (Arcs and Segments: lines), t&eacute;moignent aussi de ce travail de sch&eacute;matisation apparemment assez mal re&ccedil;u par la critique et le public fran&ccedil;ais de l&rsquo;&eacute;poque.</p> <p><a href="#" name="nbp_16">16</a>&nbsp;Marie-Pierre G&eacute;n&eacute;cand, &laquo; Le fabuleux sacre de la poussi&egrave;re &raquo;, Le Temps (Schweiz), 13 ao&ucirc;t 2014.</p> <p><a href="#" name="nbp_17">17</a>. L&rsquo;artiste affirme transposer &laquo;&nbsp;la notion d&rsquo;affrontement homme-femme&nbsp;&raquo;, qu&rsquo;on retrouve dans les versions de B&eacute;jart et Bausch. Il n&rsquo;exclut pas la pr&eacute;sence de cette th&eacute;matique narrative : son contenu est simplement d&eacute;plac&eacute; par le choix des objets chor&eacute;graphiques. Il semble vouloir positionner son &oelig;uvre en continuit&eacute; avec les versions pr&eacute;c&eacute;dentes du&nbsp;<em>Sacre</em>. Par ailleurs un lien peut &ecirc;tre &eacute;tabli entre le choix de Castellucci de f&eacute;miniser la poussi&egrave;re qui fertilise le sol sc&eacute;nique, et la pr&eacute;sence de terre sur le plateau dans la version de Bausch. Dans le&nbsp;<em>Sacre</em>&nbsp;de la chor&eacute;graphe allemande cette pr&eacute;sence a &eacute;t&eacute; interpr&eacute;t&eacute;e comme une r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la terre-m&egrave;re par Gerald SiegmundVoir Gerald Siegmund, &ldquo;Un piccolo frammento di sostanza vivente. Trauma, assenza e danza in Le Sacre du Printemps&rdquo; de Pina Bausch, in Susanne Franco et Marina Nordera, (dir.) 2008 Ricordanze: Memoria in movimento e coreografia della Storia, Utet universit&agrave;, Novara, p. 287-303.</p> <p><a href="#" name="nbp_18">18</a>&nbsp;Il s&rsquo;agit d&rsquo;un cycle jusqu&rsquo;&agrave; ce qu&rsquo;un accident dans la cha&icirc;ne, se produisant, r&eacute;v&egrave;le la monstruosit&eacute; d&eacute;voratrice de la machine. Nous faisons ici r&eacute;f&eacute;rence au Moloch du film M&eacute;tropolis de Fritz Lang (1927).</p> <p><a href="#" name="nbp_19">19</a>&nbsp;Ce terme est choisi aussi en fonction de la d&eacute;finition de Castellucci sur le th&eacute;&acirc;tre actuel. Voir note 6.</p> <p><a href="#" name="nbp_20">20</a>&nbsp;Marie-Pierre G&eacute;n&eacute;cand, op.cit.</p> <p><a href="#" name="nbp_21">21</a>&nbsp;Jacques Rivi&egrave;re, &laquo; Le sacre du printemps &raquo;, Nouvelle revue fran&ccedil;aise, ao&ucirc;t 1913, p. 95.</p> <p><a href="#" name="nbp_22">22</a>&nbsp;Ibidem, p. 96.</p> <p><a href="#" name="nbp_23">23</a>&nbsp;Le po&egrave;te philosophe th&eacute;orise en effet que par le biais du clinamen (&laquo;d&eacute;clinaison &raquo;), les atomes qui constituent la mati&egrave;re, donc la vie, sont en mouvement continu : &laquo; Si tu penses que les &eacute;l&eacute;ments premiers des choses peuvent interrompre leurs mouvements, et en les interrompant continuer &agrave; engendrer des mouvements nouveaux dans les choses, tu sors de la route et tu t&rsquo;&eacute;gares bien loin de la v&eacute;rit&eacute;. Car puisqu&rsquo;ils errent &agrave; travers le vide, tous, n&eacute;cessairement ou bien, sous l&rsquo;effet de leur propre poids, les &eacute;l&eacute;ments premiers sont emport&eacute;s, ou bien parfois c&rsquo;est par le choc avec un autre. &raquo; Lucr&egrave;ce, La nature des choses Editions Gallimard, 2010 Paris, p. 97.</p> <p><a href="#" name="nbp_24">24</a>&nbsp;Georges Didi-Huberman, G&eacute;nie du non-lieu, Editions de minuit, Paris 2001, p. 18.</p>