<p><q><i>&nbsp;Le lieu que nous habitons, l&rsquo;air que nous respirons suffisent &agrave; former le porte-empreinte de toutes nos images et de toute notre m&eacute;moire. Ce qu&rsquo;on appelle un fant&ocirc;me n&rsquo;est pas plus que ceci&nbsp;: une image de m&eacute;moire qui a trouv&eacute; dans l&rsquo;art &ndash; dans l&rsquo;atmosph&egrave;re de la maison, dans l&rsquo;ombre des pi&egrave;ces, dans la salet&eacute; des murs, dans la poussi&egrave;re qui retombe &ndash; son porte-empreinte le plus efficace. </i></q></p> <p style="text-align: right;">Georges Didi-Huberman,<i> Le G&eacute;nie du non-lieu</i></p> <p style="text-align: right;">&nbsp;</p> <p>Associer habitation et ville fant&ocirc;me tient <i>a priori</i> du paradoxe&nbsp;: la ville fant&ocirc;me est pr&eacute;cis&eacute;ment d&eacute;finie par le fait qu&rsquo;elle est abandonn&eacute;e, que personne n&rsquo;y <i>habite</i> &ndash; &agrave; l&rsquo;exception des animaux et de la nature qui y reprennent leurs droits. C&rsquo;est pourtant cette association, interrogation de l&rsquo;inhabitable et de la possession, de la hantise et de la d&eacute;shabitation, que nous souhaitons examiner &agrave; travers un cas paradigmatique d&rsquo;habitat d&eacute;sert&eacute;, objet de fascination et de trouble, qui constitue un formidable espace de figurations et d&rsquo;investigations imaginaires&nbsp;: la &laquo;&nbsp;<i>shrinking city</i><a href="#nbp1" name="liennbp1" title="L’expression, courante dans la littérature urbaine, repose sur l’image du rétrécissement. Cf. Robert Beauregard, Voices of Decline. The Postwar Fate of US Cities, Oxford, Blackwell, 2003.">1</a><i> </i>&raquo; Detroit, ancien fleuron industriel, parangon de&nbsp;la faillite n&eacute;o-lib&eacute;rale, cimeti&egrave;re du r&ecirc;ve am&eacute;ricain. Comment appr&eacute;hender un lieu &agrave; l&rsquo;abandon pourtant destin&eacute; initialement &agrave; &ecirc;tre un &laquo;&nbsp;chez-soi&nbsp;&raquo;&nbsp;? Comment habiter une ville o&ugrave; l&rsquo;on d&eacute;ambule &agrave; l&rsquo;infini dans des rues vid&eacute;es et des lieux d&eacute;labr&eacute;s&nbsp;? Le corpus contemporain (romans, films, photographies) offre un terrain d&rsquo;exploration privil&eacute;gi&eacute; pour examiner cette habitation paradoxale, par les rebuts (sinon d&eacute;tritus) et l&rsquo;imaginaire, cet espace habitable et en m&ecirc;me temps inhabitable qui se d&eacute;ploie en un &eacute;ventail de formes d&rsquo;<i>impr&eacute;sence</i><a href="#nbp2" id="footnoteref2_cksy2qu" name="liennbp2" title="Le néologisme évoque l’être sans présence, la cendre qui rappelle ce qu’elle n’est pas ou plus. Jacques Derrida, Feu la cendre, Paris, Éd. des Femmes, 1999, p. 23, 27 : « Elle reste de ce qui n’est pas, pour ne rappeler au fond friable d’elle que non-être ou imprésence. […] J’ai maintenant l’impression que le meilleur paradigme de la trace, […] ce n’est pas […] la piste de chasse, le frayage, le sillon dans le sable, le sillage dans la mer, l’amour du pas pour son empreinte, mais la cendre ».">2</a>. L&rsquo;habitation s&rsquo;envisage alors dans le va-et-vient entre ce que la ville a &eacute;t&eacute; et ce qu&rsquo;elle est aujourd&rsquo;hui&nbsp;: pr&eacute;sence dans l&rsquo;absence qui permet aussi de penser la diff&eacute;rence entre ruine antique et ruine postindustrielle. M&eacute;ditations sur le plein et le vide, sur la spectralit&eacute; et l&rsquo;existence dans les limbes et l&rsquo;entre-deux (non-lieu sauvage et non-lieu urbain, vivant et mort, r&eacute;el et r&ecirc;v&eacute;, pass&eacute; et pr&eacute;sent), les &oelig;uvres instaurent un principe de dilatation qui nous pousse &agrave; nous confronter &agrave; notre propre exp&eacute;rience et, par extension, &agrave; notre propre mortalit&eacute;, qui nous incite &agrave; ralentir et &agrave; nous laisser submerger par les images, les sons, les mots, tout en soulevant des enjeux &eacute;thiques autant qu&rsquo;esth&eacute;tiques.</p> <h2><b>La ville fant&ocirc;me&nbsp;: r&eacute;gime de hantise et r&eacute;gime de la ruine</b></h2> <p>Une ville abandonn&eacute;e, plus ou moins enti&egrave;rement d&eacute;sert&eacute;e (absence d&rsquo;habitants et d&rsquo;activit&eacute;s), ne devient <i>fant&ocirc;me</i> qu&rsquo;&agrave; travers le regard et la perception d&rsquo;un sujet qui l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve comme telle. S&rsquo;instaurent d&egrave;s lors un &laquo;&nbsp;r&eacute;gime de hantise<a href="#nbp3" id="footnoteref3_dcpxuys" name="liennbp3" title="Georges Didi-Huberman, Génie du non-lieu : air, poussière, empreinte, hantise, Paris, Minuit, 2001, p. 114. Lire les chapitres 5 (« Sculpture d’ombre ») et 6 (« Maison hantée »).">3</a> &raquo; et un r&eacute;gime de la ruine particuliers, avec la repr&eacute;sentation d&rsquo;espaces vacants que la ville fant&ocirc;me laisse percevoir, selon le principe de &laquo;&nbsp;hantologie&nbsp;&raquo; que Derrida oppose &agrave; l&rsquo;ontologie<a href="#nbp4" id="footnoteref4_8yrls01" name="liennbp4" title="Jacques Derrida, Spectres de Marx, Paris, Galilée, 1993, p. 31.">4</a>. Plus qu&rsquo;une classique po&eacute;sie des ruines et de la d&eacute;solation, m&ecirc;me si elle n&rsquo;est pas absente, il en va de la mise en place d&rsquo;un r&eacute;seau de r&eacute;sonances, survivances, latences et revenances, suivant le &laquo;&nbsp;mod&egrave;le fantomal&nbsp;&raquo; analys&eacute; par Didi-Huberman<a href="#nbp5" id="footnoteref5_yol6cwh" name="liennbp5" title="Georges Didi-Huberman, L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Minuit, 2002, p. 27-28.">5</a>, le &laquo;&nbsp;thanatotope&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;zone de hantise (<i>Ort der Heimsuchung</i>)&nbsp;&raquo; de Sloterdijk<a href="#nbp6" id="footnoteref6_ndm9181" name="liennbp6" title="Peter Sloterdijk, Écumes. Sphères III : Sphréologie plurielle, trad. Olivier Mannoni, Paris, Libella Maren Sell Éditeurs, 2005, p. 443. Le philosophe définit ainsi, au sein de sa théorie générale des systèmes affectés d’une co-fragilité, l’espace de coexistence avec les morts qui se révèle en des points de densification qui font seuil, superposant à l’espace du quotidien le pouvoir du passage, régulant la relation entre le présent et l’absent.">6</a>, qui donnent sa puissance au lieu et soulignent l&rsquo;interd&eacute;pendance conceptuelle entre espace et hantise. Ils figurent la capacit&eacute; de conservation de l&rsquo;espace, qui se fait hantise par le fait que le pass&eacute; s&rsquo;attarde dans le pr&eacute;sent. Permanence du temps dans le lieu, s&rsquo;y exprime la coexistence d&rsquo;un pass&eacute; encore-l&agrave; (fait de souvenirs r&eacute;els ou imaginaires, reconstruits &agrave; partir du pr&eacute;sent) et d&rsquo;un futur d&eacute;j&agrave;-l&agrave; (dans la mesure o&ugrave; les pr&eacute;visions &eacute;tablies &agrave; partir de l&rsquo;exp&eacute;rience ant&eacute;rieure influencent la perception du r&eacute;el), <i>i.e.</i> la persistance dans le pr&eacute;sent qui permet de penser la vacuit&eacute; et l&rsquo;abandon. La ville fant&ocirc;me (l&rsquo;&eacute;pith&egrave;te n&rsquo;est pas anodin dans son rapport &agrave; la spectralit&eacute;) est donc per&ccedil;ue comme un lieu liminal, qui n&rsquo;est plus assez ce qu&rsquo;il &eacute;tait, mais qui l&rsquo;est encore trop pour s&rsquo;en d&eacute;tacher compl&egrave;tement.</p> <p>Plus pr&eacute;cis&eacute;ment, c&rsquo;est le fait que la ville soit <i>d&eacute;sert&eacute;e</i> qui importe, donc de figurer le vide, le passage du temps per&ccedil;u &agrave; travers la d&eacute;cr&eacute;pitude grandissante, les signes de d&eacute;labrement. Les b&acirc;timents (une &eacute;cole, un cin&eacute;ma, une maison familiale) sont priv&eacute;s de leur fonction premi&egrave;re, la reconnaissance de la parent&eacute; avec la ville habit&eacute;e, entre notre propre mode de vie et ce qu&rsquo;il en reste &eacute;tant ici d&eacute;terminante. Sont donc par excellence mis en sc&egrave;ne les restes de ce qui structurait la vie sociale&nbsp;: gares, transports collectifs, biblioth&egrave;ques, &eacute;glises, th&eacute;&acirc;tres, grands magasins, places publiques, commerces, quartiers pavillonnaires, ces lieux d&eacute;sert&eacute;s o&ugrave; il n&rsquo;y a plus personne l&agrave; o&ugrave; il devrait y avoir des gens, ces lieux per&ccedil;us comme vid&eacute;s o&ugrave; l&rsquo;homme semble s&rsquo;&ecirc;tre retir&eacute; dans la pr&eacute;cipitation. Le vide (la d&eacute;sertion des lieux) l&agrave; o&ugrave; il devrait y avoir du plein (des habitants, des passants, du mouvement) cr&eacute;e l&rsquo;impression d&rsquo;absence de vie et d&rsquo;abandon, de vacance actuelle hant&eacute;e par le pass&eacute; habit&eacute;. L&rsquo;imaginaire de la ville fant&ocirc;me passe donc autant par la figuration des ruines et b&acirc;timents d&eacute;labr&eacute;s, que par les espaces vacants qu&rsquo;elle laisse percevoir, lieux d&eacute;laiss&eacute;s &agrave; la lente invasion des plantes et des animaux, ar&egrave;ne d&rsquo;un affrontement topique entre nature sauvage (conqu&eacute;rante) et territoire urbain domestiqu&eacute;<a href="#nbp7" id="footnoteref7_9uqn0wm" name="liennbp7" title="La série d’assauts portés à la ville contemporaine par la nature qui l’environne, mettrait en lumière la fragilité des constructions humaines, alors que les ruines antiques recouvertes de végétation foisonnante, qui semblent indestructibles, paraissent intégrées dans la nature.">7</a>. Ces vestiges nous mettent alors en demeure de parcourir les sites avec une conscience du temps d&eacute;chir&eacute;e et fragment&eacute;e. Espace liminaire et manifestation de l&rsquo;<i>impalpable</i>, la ville fant&ocirc;me est donc per&ccedil;ue &agrave; travers une oscillation continue entre ville habit&eacute;e et ville inhabit&eacute;e, entre mat&eacute;riel et immat&eacute;riel, entre disparu et revenant, copr&eacute;sence et superposition de temps et d&rsquo;images qui imposent une d&eacute;sorientation redoutable et interdisent toute lecture simple.</p> <p>Cela conduit &eacute;galement &agrave; distinguer entre villes consid&eacute;r&eacute;es comme mortes et villes abandonn&eacute;es (ou fant&ocirc;mes), entre ruines antiques et ruines modernes (ou postindustrielles). La diff&eacute;rence repose en particulier sur la distance temporelle et culturelle ainsi que sur l&rsquo;implication &eacute;motive&nbsp;: les ruines antiques, objets classiques de beaut&eacute; intemporelle, ne reposent pas sur les m&ecirc;mes ressorts de proximit&eacute; et familiarit&eacute;, ne renvoient pas une image navrante et inqui&eacute;tante de <i>notre</i> quotidien<a href="#nbp8" id="footnoteref8_2biakha" name="liennbp8" title="C’est l’argument de Bernard Blaise et Francis Lacassin : « Pompéi, Tikal, Carthage, Ankgor ou Thèbes appartiennent à des civilisations trop éloignées, trop différentes de nous pour éveiller en nous autre chose qu’un sentiment esthétique. Au contraire, ces tombeaux de l’aventure moderne que sont les villes fantômes de l’Ouest américain arrachent notre compassion avec leur cinéma au toit crevé dont le premier programme jaunit à l’entrée, ou avec l’école silencieuse dont le tableau noir porte les chiffres du dernier problème » (Villes mortes et villes fantômes de l’Ouest américain, Rennes, Éditions Ouest-France, 1990, p. 13).">8</a>. C&rsquo;est ce que d&eacute;veloppe Diana Scott dans une r&eacute;flexion qui s&rsquo;appuie sur Hashima, Detroit et Pripjat, et qui porte plus g&eacute;n&eacute;ralement sur les ruines postmodernes dans leur rapport avec leurs cousines, la ruine antique, &laquo;&nbsp;socle &agrave; la fois r&eacute;el et fantasm&eacute; de toute la modernit&eacute; europ&eacute;enne<a href="#nbp9" id="footnoteref9_s9ae8ee" name="liennbp9" title="Diana Scott, « Nos ruines », Vacarme, n° 60, 2012, p. 177.">9</a> &raquo;, et la ruine de guerre. Les ruines postmodernes, caract&eacute;ris&eacute;es par leur domesticit&eacute;, contemporan&eacute;it&eacute; et nature post-catastrophique, produits de <i>notre</i> civilisation, se rattacheraient de mani&egrave;re privil&eacute;gi&eacute;e &agrave; <i>l&rsquo;int&eacute;rieur</i>,&nbsp;public ou priv&eacute;, montrant des b&acirc;timents publics, des boutiques, des maisons, des usines, des salles de bal, des h&ocirc;tels.</p> <p><q>&nbsp;La question n&rsquo;est plus du tout de se sentir emport&eacute; par la monumentalit&eacute; des empires pass&eacute;s et de travailler avec l&rsquo;&eacute;lan que cette identification aura suscit&eacute;. Le rapport &agrave; la ruine n&rsquo;est plus d&rsquo;exaltation [&hellip;] le rapport &agrave; la perte n&rsquo;est pas le m&ecirc;me. La ruine antique qualifie la perte, la ruine postmoderne la sature. Elle est l&rsquo;objet plus quelque chose, et l&rsquo;effondrement n&rsquo;est pas v&eacute;cu sur le mode du manque mais de l&rsquo;exc&egrave;s<a href="#nbp10" id="footnoteref10_uih34uf" name="liennbp10" title="Idem., p. 180.">10</a>. </q></p> <p>Le &laquo;&nbsp;r&eacute;gime de la ruine<a href="#nbp11" id="footnoteref11_cw4o77h" name="liennbp11" title="Idem., p. 182. ">11</a> &raquo; qu&rsquo;elle identifie se marquerait de surcro&icirc;t par le fait que ces images de villes fant&ocirc;mes (Scott s&rsquo;appuie sur la photographie) ne <i>datent</i> pas mais ouvrent une &laquo;&nbsp;p&eacute;riode sans &acirc;ge qui n&rsquo;a pour seule d&eacute;termination que de se savoir apr&egrave;s<a href="#nbp12" id="footnoteref12_96qh40z" name="liennbp12" title="Idem, p. 181.">12</a> &raquo;. La catastrophe initiale (explosion &agrave; Tchernobyl ou faillite &eacute;conomique de Detroit) est connue, mais ce qui en r&eacute;sulte &laquo;&nbsp;ne l&rsquo;est pas, il <i>flotte</i> dans cet apr&egrave;s de l&rsquo;accident que la ruine &eacute;nonce<a href="#nbp13" id="footnoteref13_9in7ts2" name="liennbp13" title="Idem., p. 182.">13</a> &raquo;, ouvre une zone temporelle incertaine, un futur ind&eacute;termin&eacute; comme infini. La ruine actuelle ferait d&egrave;s lors monde &agrave; part enti&egrave;re, dans une forme de pr&eacute;sent absolu, &laquo;&nbsp;&eacute;tat d&rsquo;&eacute;ternit&eacute; lente<a href="#nbp14" id="footnoteref14_6mfexco" name="liennbp14" title="Idem, p. 183.">14</a> &raquo; o&ugrave; elle m&egrave;ne sa vie propre, sorte de sauvagerie prolong&eacute;e et autonome, o&ugrave; r&egrave;gnent les objets qui remplacent les habitants&nbsp;:</p> <p><q>&nbsp;Les ruines actuelles [&hellip;] ne montrent nulle mort, au contraire, les objets sont en vie, dans une vie intense, non-v&eacute;g&eacute;tative, mais il n&rsquo;y a pas de mot pour d&eacute;signer le r&egrave;gne des objets et la vie qui leur est attach&eacute;e. On parle de r&egrave;gnes animal ou min&eacute;ral, nos ruines inventent le r&egrave;gne des choses. C&rsquo;est pourquoi il n&rsquo;y a personne dans ces ruines, parce que la vie a tout enti&egrave;re bascul&eacute; du c&ocirc;t&eacute; des objets, et qu&rsquo;il n&rsquo;y a aucune n&eacute;cessit&eacute; de contrepoint ou d&rsquo;effet de contraste<a href="#nbp15" id="footnoteref15_o479k15" name="liennbp15" title="Idem, p. 185.">15</a>. </q></p> <p>Ce &laquo;&nbsp;r&egrave;gne des objets&nbsp;&raquo; figure ainsi un &eacute;tat incertain qui s&rsquo;exprime non seulement &agrave; travers l&rsquo;habitat d&eacute;shabit&eacute;, mais qui instaure &eacute;galement un lien fondamental avec l&rsquo;omnipr&eacute;sence des d&eacute;chets<a href="#nbp16" id="footnoteref16_m4itk4r" name="liennbp16" title="Cf. Greg Kennedy, An Ontology of Trash. The Disposable and its Problematic Nature, Albany, SUNY Press, 2007 ; Martin Procházka, « Monument or Trash ? Ghost Towns in American History and Culture », Litteraria Pragensia, vol. 17, n° 34, 2007, p. 58-76.">16</a>. La ville fant&ocirc;me inspire une rh&eacute;torique mortuaire qui est associ&eacute;e aux rebuts, o&ugrave; corps et maisons se rejoignent en une m&ecirc;me finalit&eacute; de cadavre, de carcasse, de squelette, insistant sur la mat&eacute;rialit&eacute;, la d&eacute;composition, le d&eacute;labrement, selon un principe de convergence entre corps humain et organisation sociale. La ville fant&ocirc;me est corr&eacute;l&eacute;e &agrave; des corps malmen&eacute;s, formes d&rsquo;entit&eacute;s spectrales montrant que la vie a quitt&eacute; la ville pulv&eacute;ris&eacute;e autant qu&rsquo;elle a quitt&eacute; les corps, d&eacute;sagr&eacute;geant les structures des b&acirc;timents, per&ccedil;ant murs et fen&ecirc;tres, faisant craquer les planchers et s&rsquo;accumuler la poussi&egrave;re et la cendre<a href="#nbp17" id="footnoteref17_sqrepc7" name="liennbp17" title="On en comprend aussi l’exploitation par le cinéma d’horreur qui montre à loisir les invasions de zombies dans les villes abandonnées, où la majorité de la population a été décimée et où toute l’organisation sociale est à refaire, les corps humains putréfiés réfléchissant l’espace demi effondré. Cf. Jeff May, « Zombie Geographies and the Undead City », Social and Cultural Geography, vol. 11, n° 3, 2010, p. 285-298 ; Leon Hunt, Sharon Lockyer et Milly Williamson (éds.), Screening the Undead : Vampires and Zombies in Film and Television, New York, Palgrave, 2014. Sur l’analogie fondatrice entre corps urbain et humain : Elizabeth Grosz, « Bodies-cities », dans Heidi J. Nast, Steve Pile (dir.), Places Through the Body, Londres, Routledge, 1998, p. 42-51.">17</a>. Ce qu&rsquo;il reste de la ville est alors rempli de ce qu&rsquo;il reste de la vie&nbsp;: des fant&ocirc;mes, des vampires et autres morts-vivants qui &laquo;&nbsp;habitent&nbsp;&raquo; et hantent proprement ce monde d&eacute;vast&eacute;.&nbsp;Figures solitaires de survie, elles investissent ainsi les gigantesques usines d&eacute;saffect&eacute;es qui faisaient vibrer Detroit &eacute;croul&eacute;e, veines et art&egrave;res d&eacute;sert&eacute;es de l&rsquo;ancienne capitale de l&rsquo;automobile dans lesquelles le sang humain et l&rsquo;huile des machines ne circulent plus, rendue &agrave; la grande prairie am&eacute;ricaine.</p> <h2><b><i>No man&rsquo;s land</i></b><b> et beaut&eacute; de la d&eacute;solation&nbsp;: enjeux &eacute;thiques et esth&eacute;tiques</b></h2> <p>Ces aspects sont particuli&egrave;rement pr&eacute;gnants dans le cas paradigmatique de Detroit, ville de voitures et de musique (<i>Motor &amp; Motown City</i>), romantique et d&eacute;vast&eacute;e, investie d&rsquo;une dimension all&eacute;gorique. Detroit cristallise et condense les r&eacute;alit&eacute;s et l&rsquo;imaginaire des &eacute;volutions du capitalisme postindustriel et de ses impasses&nbsp;: ville industrielle par excellence, o&ugrave; prosp&egrave;rent les trois g&eacute;ants de l&rsquo;automobile (General Motors, Ford, Chrysler), elle a perdu la moiti&eacute; de sa population en un demi-si&egrave;cle apr&egrave;s une croissance fulgurante, pour devenir une des villes les plus dangereuses et les plus pauvres des &Eacute;tats-Unis. Les causes en sont connues&nbsp;: effets de la d&eacute;sindustrialisation (perte d&rsquo;emplois et faillites de General Motors et Chrysler en 2009), paup&eacute;risation des villes-centres (afro-am&eacute;ricaines), accentuation des processus de s&eacute;gr&eacute;gation socio-spatiale, &eacute;talement urbain (banlieues blanches prosp&egrave;res), l&rsquo;ensemble ayant encore &eacute;t&eacute; accentu&eacute; par la crise des <i>subprimes </i>(en 2013 Detroit est d&eacute;clar&eacute; en faillite). &laquo;&nbsp;Catastrophe du r&ecirc;ve&nbsp;&raquo;, symbole d&rsquo;une banqueroute civilisationnelle, exemplaire d&rsquo;&eacute;volutions urbaines am&eacute;ricaines globales et sp&eacute;cifiques articulant facteurs &eacute;conomiques, raciaux et culturels, Detroit a produit une litt&eacute;rature consid&eacute;rable, croisant g&eacute;ographie urbaine, &eacute;conomie, sociologie, histoire et t&eacute;moignage<a href="#nbp18" id="footnoteref18_k4nqwgk" name="liennbp18" title="Thomas J. Sugrue, The Origins of the Urban Crisis : Race and Inequality in Postwar Detroit, Princeton, Princeton UP, 1996 ; Jean-François Staszak, « Détruire Detroit. La crise urbaine comme produit culturel », Annales de géographie, n° 607, 1999, p. 277-299 ; Allan Popelard, « Detroit, catastrophe du rêve », Hérodote, n° 132, 2009, p. 202-215 ; Mathieu Hikaru Desan, « Bankrupted Detroit », Thesis Eleven, vol. 121, n° 1, 2014, p. 122-130.">18</a>. Ville autrefois prosp&egrave;re et d&eacute;sormais abandonn&eacute;e, o&ugrave; les traces des &eacute;meutes et les stigmates du ch&ocirc;mage sont omnipr&eacute;sents, aux quartiers d&eacute;serts, squelettes de maisons incendi&eacute;es, friches &agrave; l&rsquo;abandon, b&acirc;timents grandioses vides et partiellement d&eacute;truits, Detroit ne cesse de susciter l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t des m&eacute;dias, et devient le support de figurations r&eacute;it&eacute;r&eacute;es, r&eacute;pertoire d&rsquo;images dans lesquels puiser &agrave; l&rsquo;envi<a href="#nbp19" id="footnoteref19_poyxsya" name="liennbp19" title="Le géographe Mike Davis propose ainsi, à partir des photographies de Camilo José Vergara, une enquête d’« écologie urbaine », les territoires laissés à l’abandon de Detroit constituant « une archive unique pour la compréhension de la déréliction comme processus paysager » (Dead Cities, trad. Maxime Boidy, Stéphane Roth, Paris, Les Presses Ordinaires, 2009, p. 79). Lire aussi Crystel Pinçonnat, « Detroit, Acropole américaine ? », dans Chantal Liaroutzos (dir.), Que faire avec des ruines ? Poétique et politique des vestiges, Rennes, PUR, 2015, p. 131-144.">19</a>. Concentrant un imaginaire particuli&egrave;rement n&eacute;gatif, voire inqui&eacute;tant, la ville est ainsi le d&eacute;cor privil&eacute;gi&eacute; pour le cin&eacute;ma d&rsquo;anticipation apocalyptique disant la ruine dans le futur (<i>Robocop, </i>1987, Paul Verhoeven<i>&nbsp;</i>;<i> Transformers,</i> 2007, Michael Bay), les mis&egrave;res et d&eacute;sagr&eacute;gations sociales actuelles (<i>Virgin Suicides,</i> 1999, Sofia Coppola<i>&nbsp;</i>; <i>8 Mile</i>, 2002, Curtis Hanson&nbsp;; <i>Gran Torino, </i>2008, Clint Eastwood&nbsp;; <i>Lost River, </i>2014,&nbsp; Ryan Gosling), les origines de la d&eacute;shabitation et de la violence end&eacute;miques (<i>Detroit, </i>2017, Kathryn Bigelow, qui revient sur les jours d&rsquo;&eacute;meute de 1967 qui restent l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement sans pareil dans la m&eacute;moire collective).</p> <p>Une attention particuli&egrave;re y est port&eacute;e &agrave; la fois aux b&acirc;timents les plus embl&eacute;matiques, profusion d&rsquo;architectures remarquables et d&rsquo;&eacute;l&eacute;gantes constructions baroques qui en ont fait un mod&egrave;le d&rsquo;urbanisme moderne (Michigan Central Station, Vanity Ballroom, Broderick Tower, Michigan Theater), et aux rues vides d&eacute;fonc&eacute;es et maisons ordinaires vandalis&eacute;es et calcin&eacute;es, la &laquo;&nbsp;vie r&eacute;siduelle<a href="#nbp20" id="footnoteref20_inh81t1" name="liennbp20" title="Cf. Maurice Blanchot, L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 357 : « Le quotidien, c’est la platitude (ce qui retarde et ce qui retombe, la vie résiduelle dont se remplissent nos poubelles et nos cimetières, rebuts et détritus), mais cette banalité est pourtant aussi ce qu’il y a de plus important, si elle renvoie à l’existence dans sa spontanéité même et telle que celle-ci se vit, au moment où, vécue, elle se dérobe à toute mise en forme spéculative, peut-être à toute cohérence, toute régularité » (je souligne).">20</a> &raquo; quotidienne o&ugrave; ne restent dans cette vaste surface inhabit&eacute;e de Detroit que la cendre et les d&eacute;chets&nbsp;: immeubles incendi&eacute;s ouverts au vent et &agrave; la pluie, terrains vagues, voitures rouill&eacute;es, fen&ecirc;tres mur&eacute;es et toits incendi&eacute;s, usines cath&eacute;drales abandonn&eacute;es, art&egrave;res envahies par les herbes folles, zones pavillonnaires d&eacute;sert&eacute;es. Les photographies rendent compte de ce paysage comme fossilis&eacute;, montrant un h&ocirc;tel de luxe &eacute;ventr&eacute; ou le ventre creux d&rsquo;une maison abandonn&eacute;e o&ugrave; g&icirc;t toujours une collection d&rsquo;objets familiers et us&eacute;s, des poup&eacute;es crev&eacute;es et le capot fendu d&rsquo;une Cadillac rouge. L&rsquo;absence des pi&eacute;tons dans les rues accentue encore cette impression de d&eacute;sh&eacute;rence. L&rsquo;esth&eacute;tisation des vestiges de la monumentalit&eacute; de la ville en d&eacute;clin, collection des st&eacute;r&eacute;otypes d&rsquo;une ville fant&ocirc;me d&eacute;sagr&eacute;g&eacute;e, ouvrant &agrave; la d&eacute;ploration et &agrave; un discours &eacute;l&eacute;giaque envers la majest&eacute; pass&eacute;e et une affliction face &agrave; sa d&eacute;ch&eacute;ance actuelle, face &agrave; ces &laquo;&nbsp;b&acirc;timents fant&ocirc;mes&nbsp;&raquo; qui nous &laquo;&nbsp;font pleurer&nbsp;&raquo; selon le critique d&rsquo;architecture John Gallagher<a href="#nbp21" id="footnoteref21_7o28xas" name="liennbp21" title="John Gallagher, « Foreword », dans Dan Austin et Sean Doerr, Lost Detroit. Stories Behind the Motor City’s Majestic Ruins, Charleston, The History Press, 2013, p. 9 : « These structures stand today as ghost buildings, to be sure, and some of the photos may make you cry […] the photographs here will have you staring in wonder at the splendour and the plenty of what once was ».">21</a>, n&rsquo;est cependant jamais loin d&rsquo;une fascination tr&egrave;s ambigu&euml;, complaisance face au spectacle tr&egrave;s photog&eacute;nique de la mis&egrave;re et de la d&eacute;r&eacute;liction, bref du &laquo;&nbsp;<i>Ruin Porn</i>&nbsp;&raquo; qui m&egrave;ne droit au tourisme de catastrophe, et qui tend &agrave; orienter la perception vers l&rsquo;apitoiement et le voyeurisme, soulevant de mani&egrave;re centrale des enjeux &eacute;thiques.</p> <p>L&rsquo;imbrication de ces enjeux esth&eacute;tiques et &eacute;thiques est express&eacute;ment au centre du roman de Thomas Reverdy, <i>Il &eacute;tait une ville </i>(2015), inspir&eacute; par les photographies d&rsquo;Yves Marchand et Romain Meffre qui montrent le d&eacute;labrement de Detroit o&ugrave;, au milieu des quartiers d&eacute;serts, des &eacute;difices aux vitres bris&eacute;es, des vastes voies d&eacute;sert&eacute;es, envahis par le lierre et les ronces, travers&eacute;s par les faucons, ratons laveurs, renards, coqs et sauterelles, r&ocirc;dent les coyotes et meutes de chiens errants<a href="#nbp22" id="footnoteref22_awxa0tz" name="liennbp22" title="Yves Marchand et Romain Meffre, The Ruins of Detroit, Göttingen, Steidl, 2000. Reverdy ajoute avoir trouvé une « toile de fond documentée » dans ce qu’il considère comme le « meilleur document sur Detroit » : Charlie LeDuff, Detroit, an American Autopsy, New York, Penguin, 2013. Cf. le blog de l’écrivain : http://www.thomasreverdy.com/blog/category/detroit/ (consulté le 2 mai 2018).">22</a>. Sous couvert d&rsquo;une enqu&ecirc;te polici&egrave;re sur la disparition d&rsquo;enfants, Reverdy montre l&rsquo;effondrement de la ville en pleine d&eacute;cr&eacute;pitude, &laquo;&nbsp;partie &eacute;merg&eacute;e du cauchemar am&eacute;ricain&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;sorte de ruine hant&eacute;e dans laquelle errent des fant&ocirc;mes inutiles<a href="#nbp23" id="footnoteref23_9undig1" name="liennbp23" title="Thomas B. Reverdy, Il était une ville, Paris, Flammarion, 2015, p. 44, 53.">23</a> &raquo;, qui se d&eacute;ploie &agrave; travers sa propre grammaire topique (maisons incendi&eacute;es, immeubles vides sans fen&ecirc;tres, magasins &agrave; l&rsquo;abandon, <i>etc.</i>), ces ruines install&eacute;es dans leur &eacute;ternit&eacute; sans humains, tout en posant la question de savoir quelle place elles nous proposent. Comment &eacute;crire cette r&eacute;alit&eacute; sans verser dans le catastrophisme et le mis&eacute;rabilisme&nbsp;? Comment montrer l&rsquo;&eacute;croulement d&rsquo;un monde en &eacute;vitant les registres de la d&eacute;ploration et de l&rsquo;anath&egrave;me&nbsp;? Comment rendre compte du ph&eacute;nom&egrave;ne sans invisibiliser et confisquer l&rsquo;exp&eacute;rience des gens qui y restent<a href="#nbp24" id="footnoteref24_m9oi2td" name="liennbp24" title="Le questionnement rejoint alors la problématique exposée par Gayatri Chakravorty Spivak dans son essai fondateur de 1988 : Les Subalternes peuvent-elles parler ?, trad. Jérôme Vidal, Paris, Éditions Amsterdam, 2009.">24</a> ? La question de l&rsquo;habitation est d&egrave;s lors centrale, tout comme celle de savoir que faire de nos ruines, selon une perspective morale qui ne se contente pas de faire ricaner du d&eacute;sastre, ni se satisfasse de regarder la beaut&eacute; de la d&eacute;vastation.</p> <p><q>&nbsp;Le week-end dernier pour la nuit du Diable, ils ont encore br&ucirc;l&eacute; quatre cents maisons, on a dit deux cents pour les journalistes. Mais o&ugrave; sont pass&eacute;s tous ces gens dont les maisons br&ucirc;lent&nbsp;? O&ugrave; partent donc tous ces gens qui n&rsquo;ont pas de boulot, pas d&rsquo;argent&nbsp;? Ce n&rsquo;est pas s&eacute;rieux de dire simplement qu&rsquo;ils sont partis, &ccedil;a ne r&eacute;sout rien<a href="#nbp25" id="footnoteref25_lle7dkc" name="liennbp25" title="Thomas B. Reverdy, op. cit., p. 56-58. La question de l’éthique du regard posé sur ce « genre d’images qui faisaient mal à contempler » (p. 32), de ses dérives potentielles, est explicite : « “Traverser la ville me donne toujours l’impression de regarder un porno. Tu sais, une fascination coupable” » (p. 40).">25</a>. </q></p> <p>La question de savoir que faire de la ville fant&ocirc;me, en proposant une reprise g&eacute;n&eacute;alogique et en ouvrant sur un avenir possible, pour comprendre les m&eacute;canismes d&rsquo;une faillite et les dispositifs pour faire rena&icirc;tre la ville de ses cendres<a href="#nbp26" id="footnoteref26_uanhnzh" name="liennbp26" title="La devise latine de Detroit, Speramus meliora Resurget cineribus, l’indique expressément, renvoyant au « gigantesque incendie [qui] arasa la ville, qui ne fut plus qu’un tas de cendres dispersées sur le sol, cependant vouée à en renaître » (Tanguy Viel, La Disparition de Jim Sullivan, Paris, Minuit, 2017, p. 13). Cf. Thomas B. Reverdy, op. cit. p. 315 : « C’est un tel terrain pour tout recommencer, Detroit, le monde qu’ils nous ont laissé ».">26</a>, tout en redonnant la parole aux acteurs et habitants r&eacute;els, est aussi au c&oelig;ur des deux documentaires, de Steve Faigenbaum (<i>City of Dreams, </i>2013) et Florent Tillon (<i>Detroit, ville sauvage, </i>2011), qui restituent leur puissance d&rsquo;agir et d&rsquo;expression aux t&eacute;moins directs et o&ugrave; la d&eacute;shabitation ne constitue pas le fin mot (m&ecirc;me si la disparition est centrale dans les figurations du vide et de l&rsquo;absence comme dans les intrigues<a href="#nbp27" id="footnoteref27_wwc1jct" name="liennbp27" title="Les romans de Reverdy et Viel placent ainsi les disparitions en leur centre (dès le titre pour Viel), tout comme la menace de disparition et d’extinction est au cœur du film de Jarmusch.">27</a>). Tillon montre la ville retourn&eacute;e &agrave; son &eacute;tat premier de vaste prairie, mais en s&rsquo;attachant aux gens qui vivent dans ces d&eacute;combres, transformant la ville fant&ocirc;me en lieu de tous les possibles, les habitants, nouveaux pionniers de l&rsquo;Am&eacute;rique postindustrielle, y inventant d&rsquo;autres horizons au milieu des ruines et des terres en friches. Faigenbaum, revenant apr&egrave;s vingt-cinq ans dans sa ville natale &agrave; la mort de son p&egrave;re<a href="#nbp28" id="footnoteref28_gczbxaz" name="liennbp28" title="Cf. l’entretien avec le réalisateur : « J’avais des souvenirs, je savais que l’industrie automobile était en difficulté, j’avais vu des images de maisons en ruine, mais rien ne m’avait préparé à la vision apocalyptique que j’ai découverte : des milliers de logements calcinés envahissaient le paysage. Des immeubles jadis majestueux étaient en ruine. Des meutes de chiens errants traînaient dans le centre ville. Ma propre maison avait disparu. La nature avait réinvesti des espaces vides d’une superficie trois fois plus grande que Manhattan ». [en ligne] http://www.tsproductions-cityofdreams-stevefaigenbaum-kitpress.pdf [consulté le 2 mai 2018].">28</a>, propose une enqu&ecirc;te personnelle, m&eacute;langeant souvenirs familiaux (sa famille d&rsquo;immigr&eacute;s juifs polonais), de nombreuses archives (comme des reportages et films institutionnels d&rsquo;&eacute;poque), t&eacute;moignages d&rsquo;habitants et ses propres commentaires en voix off, pour esquisser l&rsquo;effondrement de l&rsquo;usine &agrave; r&ecirc;ves. Les sc&egrave;nes de d&eacute;ambulation du r&eacute;alisateur dans le Detroit ruin&eacute; d&rsquo;aujourd&rsquo;hui, en particulier dans le centre des affaires et face &agrave; la maison laiss&eacute;e &agrave; l&rsquo;abandon de ses grands-parents, et les entretiens t&eacute;moignant de moments de vie quotidienne des habitants, entendent rendre l&rsquo;exp&eacute;rience r&eacute;elle des r&eacute;sidents, tout en documentant les vestiges de vies enti&egrave;res en train de dispara&icirc;tre.</p> <h2><b><i>Nachleben</i></b><b>, &laquo;&nbsp;vie r&eacute;siduelle&nbsp;&raquo; et imaginaire spectral</b></h2> <p>Deux fictions nous paraissent exemplaires d&rsquo;une mani&egrave;re de figurer le <i>Nachleben</i><a href="#" id="footnoteref29_hyjek92" name="liennbp29" title="Georges Didi-Huberman, L’Image survivante, op. cit., p. 33 : « Tel est bien le sens du mot Nachleben, ce mot de l’“après-vivre” : un être du passé n’en finit pas de survivre ». Ce principe est bien par excellence la condition des vampires (Jarmusch) comme des mythes (Jim Sullivan).">29</a> et la &laquo;&nbsp;vie r&eacute;siduelle&nbsp;&raquo;, le r&egrave;gne des objets et des rebuts, l&rsquo;habitation spectrale de la ville fant&ocirc;me, sans tomber dans un voyeurisme facile&nbsp;: <i>Only Lovers Left Alive </i>(2013) de Jim Jarmusch<a href="#" id="footnoteref30_n4otnjl" name="liennbp30" title="Dira-t-on jamais assez la splendeur des titres de Jarmusch ? C’est encore le cas avec Only Lovers Left Alive qui peut se lire de deux manières au moins, s’inscrivant pleinement dans le paradigme du reste et de l’après : « seuls les amants demeurent vivants » ou « les derniers amants encore vivants ».">30</a> et <i>La Disparition de Jim Sullivan</i> (2013) de Tanguy Viel. Cela passe par un surinvestissement du fantasme, de la virtualit&eacute;, le d&eacute;ploiement de la topique, <i>i.e.</i> une conscience de travailler un imaginaire sans se complaire dans la beaut&eacute; du rien et le sublime de la d&eacute;vastation. Une place nodale est conf&eacute;r&eacute;e aux d&eacute;ambulations dans les ruines de Detroit, mais en proposant un changement de focale en d&eacute;pliant le temps, en laissant s&rsquo;installer la lenteur qui ne cache jamais que c&rsquo;est bien un Detroit fantasm&eacute; qui est mis en sc&egrave;ne.</p> <p>Les auteurs explicitent ainsi le statut de ville fant&ocirc;me en accordant leur attention aux objets abandonn&eacute;s, aux d&eacute;chets et rebuts, &agrave; la nature sauvage qui envahit l&rsquo;urbanit&eacute;, r&eacute;investissant l&rsquo;imaginaire topique. Dans le film de Jarmusch, on croise putois, champignons amanite tue-mouche ou coyotes dans un ville qui est, de mani&egrave;re frappante, vid&eacute;e de ses habitants, &laquo;&nbsp;l&rsquo;une des plus inhabit&eacute;es, du moins au regard des grands quartiers comme quitt&eacute;s &agrave; la h&acirc;te, abandonn&eacute;s &agrave; la rouille, au verre cass&eacute;, &agrave; des centaines de chiens errants qui sillonnent le froid des usines mortes et s&rsquo;effondrent dans la neige avant la fin de l&rsquo;hiver<a href="#" id="footnoteref31_0qiitoc" name="liennbp31" title="Tanguy Viel, op. cit., p. 13. Cf. l’échange entre Adam (Tom Hiddleston) et Ève (Tilda Swinton) dans le film : « Eve : Canis latrans. How lovely. I think they’re clocking you. Adam : Yeah. They’re all over Detroit ».">31</a> &raquo;. Ainsi le narrateur-&eacute;crivain de Viel, celui qui veut composer un &laquo;&nbsp;roman international&nbsp;&raquo;, et les vampires-artistes sophistiqu&eacute;s et &eacute;l&eacute;gants, &agrave; la beaut&eacute; cadav&eacute;rique et sauvage, de Jarmusch investissent-ils express&eacute;ment un h&eacute;ritage, <i>hantent</i> proprement cet imaginaire de la splendeur d&eacute;vast&eacute;e de Detroit, sans verser dans l&rsquo;apitoiement, le mis&eacute;rabilisme ou le voyeurisme, dans des &oelig;uvres o&ugrave; voitures et musique tiennent, de mani&egrave;re appropri&eacute;e, une place centrale<a href="#" id="footnoteref32_mb77xgl" name="liennbp32" title="Outre l’omniprésence de la musique chez Jarmusch, Viel place Jim Sullivan et le « concert mythique d’Iggy Pop au Masonic Temple, le 23 mars 1977 » (p. 29) à l’honneur, et Reverdy les « Who [qui] avaient donné leur premier concert en Amérique ici, à Detroit » (p. 38). La voiture devient également un nouvel espace central d’habitation, en plus du moyen de déplacement privilégié.">32</a>. Jarmusch signe un sc&eacute;nario &eacute;pur&eacute; o&ugrave; il ne se passe presque rien, hormis quelques rebondissements catalys&eacute;s par Ava (Mia Wasikowska), la s&oelig;ur d&rsquo;&Egrave;ve, o&ugrave;, dans de longs et superbes plans contemplatifs et enivrants, le couple d&rsquo;amants traverse Detroit spectral lors de vir&eacute;es nocturnes en voiture au milieu des friches industrielles et urbaines, qui en appellent pleinement &agrave; l&rsquo;imaginaire (et o&ugrave; on ne <i>voit</i> d&rsquo;ailleurs que peu de choses<a href="#" id="footnoteref33_zfom5uw" name="liennbp33" title="Jarmusch privilégie le plan large faisant ressentir la vacance des rues et le caractère imposant des bâtiments industriels longés en voiture, ainsi que l’arrêt, au sens propre, sur tel détail significatif (la maison, très anodine, où a grandi le fondateur des White Stripes) ou à l’inverse un mouvement de giration vertigineux (sur l’intérieur et le plafond délabré d’un théâtre déchu en parking), adoptant toujours le point de vue des vampires sur le monde fantôme. La très belle photographie nocturne de Yorik Le Saux est aussi pour beaucoup dans l’impression de spectralité.">33</a>.) Detroit est exemplairement choisi par ces &ecirc;tres en marge menant une vie de boh&egrave;me, en particulier Adam, &eacute;nigmatique et sombre compositeur de rock ind&eacute;pendant, qui vit en reclus dans une grande maison d&eacute;catie pleine de bric-&agrave;-brac et est compar&eacute; &agrave; un fant&ocirc;me par un des rares humains rencontr&eacute;s<a href="#" id="footnoteref34_p8zmkxe" name="liennbp34" title="Adam est comparé à un fantôme par le docteur (Jeffrey Wright) qui lui vend le sang non contaminé (« You scared the shit out of me […] just appearing unexpectedly like a phantom »), il partage avec Ève une fascination pour la théorie « fantomale » d’intrication quantique (phénomène qu’Einstein lui-même nomme « spooky action at a distance »), et réside dans une maison à l’écart, au milieu d’une banlieue abandonnée : « No one fucking lives out here ! » remarque Ian (Anton Yelchin).">34</a>. D&eacute;troit est une ville d&eacute;sert&eacute;e qui incarne la d&eacute;rive de l&rsquo;humanit&eacute; face &agrave; un monde aux ressources qui se font rares (sang et eau contamin&eacute;s). Elle est surtout oppos&eacute;e aux nuits de Tanger, deuxi&egrave;me lieu principal, l&rsquo;ancienne cit&eacute; des hippies et beatniks, ville vivante baign&eacute;e de couleurs chaudes et aux rues peupl&eacute;es, o&ugrave; r&eacute;side la lumineuse &Egrave;ve.</p> <p>C&rsquo;est un film singulier, &agrave; la lisi&egrave;re des genres, un film de motifs, d&rsquo;atmosph&egrave;res et de couleurs, tout en nuances et r&eacute;sonances, assez languissant, o&ugrave; Detroit incarne le go&ucirc;t de l&rsquo;errance, de la marginalit&eacute; et la spectralit&eacute;. Les images de Detroit, cette nouvelle terre &laquo;&nbsp;sauvage<a href="#" id="footnoteref35_yrtjk70" name="liennbp35" title="« Eve : This is your wilderness. Detroit. Adam : Everybody left ». Cf. Thomas B. Reverdy, op. cit., p. 87 : « Detroit est comme ça la nuit. […] Il y a des silhouettes qui se promènent dans les lieux abandonnés et les allées sans éclairage, la plupart comme des zombies à la démarche traînante ».">35</a> &raquo; avec ses longues rues d&eacute;sertes, ses usines vid&eacute;es comme le Packard Plant ferm&eacute; depuis 1958, l&agrave; o&ugrave; nagu&egrave;re on construisait les plus belles voitures du monde (&laquo;&nbsp;<i>Where they once built the most beautiful cars in the world</i>&nbsp;&raquo;)<a href="#" id="footnoteref36_k7eduek" name="liennbp36" title="Packard figure aussi de manière centrale dans Il était une ville : « Il restait […] des déchets en tous genres, des braseros et des bouteilles, des blousons pourrissant comme des tas d’algues mortes, des milliers de sacs en plastique qui hantaient les salles gigantesques en se déplaçant doucement au gré du vent, petits fantômes ridicules et sales. […] On y trouvait des voitures désossées, un bateau cassé en deux. Les vestiges des bâtiments eux-mêmes n’en finissaient pas de tomber en ruine morceau par morceau » (Idem., p. 118-119).">36</a>, ses maisons individuelles ordinaires o&ugrave; ont grandi les musiciens mythiques comme Jack White, ou encore son fameux Michigan Theater, salle de spectacle avec des anges rococo au plafond, transform&eacute;e en parking, o&ugrave; on n&rsquo;a d&rsquo;autre choix que d&rsquo;<i>imaginer</i> les r&eacute;alit&eacute;s pass&eacute;es<a href="#" id="footnoteref37_luun595" name="liennbp37" title="« Adam : They built it back in the 1920s. […] It’s built ironically on the exact same site as Henry Ford made his very first prototype. […] Concerts and there’s a movie house, can you imagine ? Mirrors used to reflect the chandeliers. And now : a car park » (je souligne).">37</a>, est la sc&egrave;ne parfaite dont le film tire un parti saisissant le temps des longues travers&eacute;es en voiture, o&ugrave; on ne croise jamais personne. Vid&eacute;e de son contenu humain, la ville, rong&eacute;e par la d&eacute;composition et rendue &agrave; la vie sauvage, o&ugrave; perdurent quelques poches vivantes (en particulier dans la sc&egrave;ne musicale), est en effet fantomale, habit&eacute;e par le r&egrave;gne des objets et les survivants, mais la d&eacute;vastation n&rsquo;en est pas le fin mot&nbsp;: outre que sa renaissance est annonc&eacute;e (une fois que les guerres de l&rsquo;eau auront commenc&eacute;), les vampires int&eacute;ressent aussi Jarmusch parce qu&rsquo;ils lui donnent le principe d&rsquo;immortalit&eacute;, changeant notre perspective et nos perceptions de la ville fant&ocirc;me. La stase propre &agrave; l&rsquo;&eacute;ternit&eacute; vampirique, l&rsquo;&eacute;tirement temporel figure le fait de se survivre &agrave; soi-m&ecirc;me en une s&eacute;rie d&rsquo;exp&eacute;riences cumulatives, mais sans tomber dans la d&eacute;r&eacute;liction ou la d&eacute;ploration.</p> <p>Le roman de Viel, immobile tout en &eacute;tant un roman de voitures, assez d&eacute;sincarn&eacute;, o&ugrave; il ne se passe rien dans la mesure o&ugrave; il s&rsquo;agit d&rsquo;un r&eacute;cit virtuel rendant compte d&rsquo;un r&eacute;cit d&rsquo;actions qui auraient pu &ecirc;tre &eacute;crites, fond&eacute; sur des projections o&ugrave; l&rsquo;on ne sait plus bien ce qui est r&eacute;alis&eacute; ou non, se situe de m&ecirc;me dans des limbes flottantes d&rsquo;une Detroit fant&ocirc;me qui nous est devenue si famili&egrave;re avec la multiplication des images montrant sa ruine&nbsp;:</p> <blockquote> <p>La ville [&hellip;] semble en partie retourn&eacute;e aux cendres qui hantaient sa naissance, partout o&ugrave; la vie enfuie laisse appara&icirc;tre ce m&ecirc;me abandon qu&rsquo;on peut voir sur mille photos qui circulent sur Internet&nbsp;: un piano d&eacute;truit dans une salle poussi&eacute;reuse, un Caddie rouill&eacute; dans un centre commercial, un num&eacute;ro du <i>Times</i> dans une chambre d&eacute;vast&eacute;e, un lustre de cristal &eacute;cras&eacute; sur le sol, un lit d&rsquo;h&ocirc;pital surmont&eacute; de gravats. En fait, Detroit ressemble &agrave; une sorte de Pomp&eacute;i moderne, dont la lave ne proviendrait pas d&rsquo;une roche incandescente, plut&ocirc;t des cr&eacute;dits et des dettes, poussant &agrave; cet exode urbain dont la question se pose d&rsquo;o&ugrave; ils sont all&eacute;s, tous ces gens, laissant leurs chiens et leurs poubelles pleines, les balan&ccedil;oires dans les jardins qui la nuit avec le vent laisseraient croire que les enfants reviennent<a href="#" id="footnoteref38_zeiqzt6" name="liennbp38" title="Tanguy Viel, op. cit., p. 14.">38</a>.</p> </blockquote> <p>Objet aussi singulier que le film de Jarmusch, le roman de Tanguy Viel est un &laquo;&nbsp;vrai-faux&nbsp;&raquo; roman am&eacute;ricain, un roman virtuel, non &eacute;crit, r&ecirc;v&eacute; et fantasm&eacute; par un &eacute;crivain-narrateur fran&ccedil;ais en qu&ecirc;te de renouvellement. L&rsquo;histoire de Dwayne Koster est ainsi int&eacute;gr&eacute;e au r&eacute;cit de son invention, tricotant tous les <i>topo&iuml;</i> et invariants (ou rebuts&nbsp;?) que le narrateur a rep&eacute;r&eacute;s et qui expliqueraient peut-&ecirc;tre le succ&egrave;s international de la prose am&eacute;ricaine&nbsp;: un professeur d&rsquo;universit&eacute; cocu et adult&egrave;re, divorc&eacute; et en d&eacute;sh&eacute;rence, des &eacute;v&eacute;nements historiques aux r&eacute;percussions mondiales (la crise financi&egrave;re, l&rsquo;&eacute;lection d&rsquo;Obama, la guerre en Irak), de grands espaces travers&eacute;s au volant d&rsquo;une voiture <i>vintage</i> (la Dodge Coronet 1969 de Koster), un soup&ccedil;on de <i>thriller</i>, un sens scrupuleux du d&eacute;tail, les passages oblig&eacute;s du barbecue, du <i>diner, </i>du base-ball, ou&nbsp;plut&ocirc;t du hockey sur glace, puisque nous sommes &agrave; Detroit,&nbsp;&laquo;&nbsp;ville parfaite, ai-je suppos&eacute;, pour placer le d&eacute;cor d&rsquo;un roman<a href="#" id="footnoteref39_in85yep" name="liennbp39" title="Idem., p. 11. Cf. p. 12 : « […] d’une manière générale, il n’était pas question de déroger aux grands principes qui ont fait leur preuve dans le roman américain ».">39</a> &raquo;. Or Detroit op&egrave;re ici comme figuration exemplaire de ce &laquo;&nbsp;grand d&eacute;j&agrave; l&agrave;&nbsp;&raquo; &agrave; partir duquel Tanguy Viel dit travailler&nbsp;: puiser dans le &laquo;&nbsp;capital d&rsquo;images disponibles [&hellip;] une m&eacute;moire et donc un mat&eacute;riau [&hellip;] ce champ de ruines&nbsp;&raquo;, lui permet d&rsquo;exprimer par une &eacute;criture &laquo;&nbsp;sur des cendres&nbsp;&raquo;, <b>&laquo;&nbsp;</b>&agrave; partir des fant&ocirc;mes d&rsquo;une biblioth&egrave;que&nbsp;<b>&raquo; </b>qui ne tombe pas dans la d&eacute;r&eacute;liction pour autant, le &laquo;&nbsp;sentiment que nous arrivons &ldquo;apr&egrave;s&rdquo; [&hellip;] que nous appartenons &agrave; un monde de spectres<a href="#" id="footnoteref40_yfz056x" name="liennbp40" title="Roger-Michel Allemand, « Tanguy Viel : imaginaires d’un romancier », @nalyses, vol. 3, n° 3, 2008, p. 301, 303, 308, 309. Les écrivains qui s’inscrivent dans la postmodernité, parmi lesquels Viel se compte, appartiendraient « à un monde de spectres, entièrement reconstitué, parce qu’entièrement détruit avant [eux] ». Cf. l’entretien avec Christine Marcandier (9 mars 2013) : « J’écris à partir des fantômes d’une bibliothèque » [en ligne]. https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/080313/tanguy-viel-jecris-partir-des-fantomes-d-une-bibliotheque?onglet=full (consulté le 2 mai 2018).">40</a> &raquo;.</p> <p>Le roman fonctionne ainsi par virtualit&eacute;s, surimpressions, r&eacute;fl&eacute;chissements et projections<a href="#" id="footnoteref41_kepliej" name="liennbp41" title="Tanguy Viel, La Disparition de Jim Sullivan, op. cit., p. 11-12 : « Par exemple, à Detroit, d’après ce que j’ai lu sur Internet, un habitant peut percevoir dans son champ visuel jusqu’à trois mille deux cents vitres en même temps. Je n’ai jamais bien compris ce que ça voulait dire, trois mille deux cents vitres en même temps, mais, me suis-je dit, si j’écris une chose comme ça dans mon roman, alors on pourra comprendre que mes personnages habitent une grande ville complexe et internationale, une ville pleine de promesses et de surfaces vitrées ».">41</a>, o&ugrave; il ne s&rsquo;agit pas tant de suivre l&rsquo;intrigue qui raconte la vie sentimentale et professionnelle (d&eacute;sastreuse) de Koster, qui finit sur les traces de son idole Jim Sullivan, disparu myst&eacute;rieusement en 1975 dans le d&eacute;sert du Nouveau-Mexique, que d&rsquo;observer la puissance imaginaire de l&rsquo;Am&eacute;rique &laquo;&nbsp;qu&rsquo;il avait r&ecirc;v&eacute;e toutes ces ann&eacute;es dans tant de livres lus<a href="#" id="footnoteref42_elgtb27" name="liennbp42" title="Idem., p. 110.">42</a> &raquo; en g&eacute;n&eacute;ral et de Detroit en particulier, par la d&eacute;nudation de ses principes de fabrication. Cette saturation et superposition d&rsquo;images, ce r&eacute;el hyperm&eacute;diatis&eacute;, o&ugrave; l&rsquo;on ne sait jamais bien ce qui est vraiment &eacute;crit ou seulement r&ecirc;v&eacute;, est incarn&eacute; paradigmatiquement par la ville fant&ocirc;me et par le dispositif m&eacute;tafictionnel, ce double ph&eacute;nom&egrave;ne produisant une certaine inconsistance ou dissolution, manifestant l&rsquo;imaginaire spectral qui touche les personnages, la repr&eacute;sentation et s&rsquo;&eacute;tend jusqu&rsquo;&agrave; la construction du r&eacute;cit, dans un roman qui se construit pour mieux se d&eacute;rober<a href="#" id="footnoteref43_q4qaete" name="liennbp43" title="Idem., p. 20 : « Je sais seulement qu’un jour de juin, tandis que je regardais la carte des États-Unis accrochée sur le mur de mon bureau, est apparu ce nom-là, Dwayne Koster, posé sur sa silhouette dans les rues de Detroit, et je me suis dit que c’était ça, qu’avec ce nom-là je pouvais commencer à construire quelque chose, avec tout ce qui est apparu au presque même instant, Jim Sullivan et sa vieille Dodge, Susan son ex-épouse et la ville de Detroit, cette même ville dont au fil du temps il était devenu l’habitant type, ou plutôt l’âme damnée qui en aurait épousé tous les drames et les ruines » ; p. 119 : « […] tellement le temps passait et tellement dans l’attente tout semblait se déliter ».">43</a>. Avec la reprise ou tentative d&rsquo;&eacute;puisement du roman am&eacute;ricain, T. Viel interroge ce qu&rsquo;il d&eacute;signe comme &laquo;&nbsp;questionnement sur la trace d&rsquo;un original, sur l&rsquo;effacement, le recyclage d&rsquo;un objet<a href="#" id="footnoteref44_h9n9odi" name="liennbp44" title="Tanguy Viel, « Éléments pour une écriture cinéphile », dans Jean-Louis Leutrat (dir.), Cinéma et littérature : le grand jeu, Le Havre, De l’incidence, 2010, p. 266.">44</a> &raquo;, pr&eacute;sent&eacute; avec une pr&eacute;cision distanci&eacute;e, une acuit&eacute; ironique dans une prose virtuelle qui fonctionne par son jeu de r&eacute;f&eacute;rences. Detroit, m&eacute;tonymie du roman comme laboratoire de la fiction, jeu d&rsquo;&eacute;clipses et d&rsquo;ellipses, est au c&oelig;ur de cet &eacute;tonnant roman hypoth&eacute;tique ou sp&eacute;culatif o&ugrave; l&rsquo;on ne sait jamais avec certitude ce que l&rsquo;auteur-narrateur a v&eacute;ritablement &eacute;crit et ce qui appartient &agrave; son projet, dans un jeu mi-s&eacute;rieux, mi-ludique avec les codes de la litt&eacute;rature et du cin&eacute;ma<a href="#" id="footnoteref45_pfeu6ig" name="liennbp45" title="Ce sont l’ironie et la distance qui fonctionnent, chez Jarmusch et Viel, comme antidote empêchant de verser dans la déploration pesante ou la pure contemplation esthétique du désastre, dénoncées comme tentations dangereuses et vaines. Les deux fictions n’ont en effet rien de lugubre ni de sinistre.">45</a>.</p> <p>&nbsp;</p> <p>La ville fant&ocirc;me, exemplairement figur&eacute;e par Detroit, incarne en somme un espace <i>habit&eacute; </i>par l&rsquo;imaginaire, de mani&egrave;re &agrave; en montrer la saturation par les objets abandonn&eacute;s et &agrave; en faire sentir la vacance laiss&eacute;e par le d&eacute;part des gens<a href="#" id="footnoteref46_1kylqzd" name="liennbp46" title="La question est bien centrale aux deux romans : « Mais où sont passés tous ces gens dont les maisons brûlent ? », « Bon Dieu, mais où est-ce qu’ils sont tous passés ? Si encore c’était un village, Detroit, on se dirait qu’ils ont fui en ville pour chercher du travail, il y en a plein des villages déserts, partout, des petites cités fantômes dans les plaines balayées par les vents. Mais bon dieu la ville, c’est ici. On dirait qu’ils se sont envolés » (Reverdy, p. 263) ; « […] cet exode urbain dont la question se pose d’où ils sont allés, tous ces gens » (Viel).">46</a>, habitation paradoxale qui offre un formidable terrain &agrave; investir et s&rsquo;approprier, qui se d&eacute;ploie dans un r&eacute;pertoire de <i>topo&iuml; </i>et d&rsquo;invariants constamment repris, &laquo;&nbsp;porte-empreinte de toutes nos images et de toute notre m&eacute;moire<a href="#" id="footnoteref47_m6f9q3w" name="liennbp47" title="Georges Didi Huberman, Le Génie du non-lieu, op. cit., p. 113.">47</a> &raquo;. La spectralit&eacute; et la ruine, ou la temporalit&eacute; longue (<i>i.e.</i> ce qui ne passe pas, ce qui traverse et se prolonge, dans un &eacute;tat d&rsquo;&eacute;ternit&eacute; lente), deviennent alors pleinement constitutives de notre perception de la ville, all&eacute;gorie du monde moderne, ce monde qui se laisse &laquo;&nbsp;<i>habiter</i> en son dedans, c&rsquo;est-&agrave;-dire <i>hanter</i><a href="#" id="footnoteref48_qhre8bw" name="liennbp48" title="Jacques Derrida, Spectres de Marx, op. cit., p. 23.">48</a>&raquo;, un monde qu&rsquo;on habite sans y r&eacute;sider et sans jamais s&rsquo;y confiner. Dans Detroit sinistr&eacute;, o&ugrave; peu &agrave; peu la nature reprend ses droits, o&ugrave; une v&eacute;g&eacute;tation luxuriante transperce le bitume, o&ugrave; une renaissance est toujours possible, se jouent en somme de mani&egrave;re exemplaire les enjeux les plus pressants de notre modernit&eacute;.</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><strong>Notes et r&eacute;f&eacute;rences</strong></p> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>Allemand,<b> </b>Roger-Michel, &laquo;&nbsp;Tanguy Viel&nbsp;: imaginaires d&rsquo;un romancier&nbsp;&raquo;, <i>@nalyses</i>, vol.&nbsp;3, n&deg;&nbsp;3, 2008, p.&nbsp;297-314.</p> <p>Austin, Dan et Sean Doerr, <i>Lost Detroit. Stories Behind the Motor City&rsquo;s Majestic Ruins, </i>Charleston, The History Press, 2013.</p> <p>Beauregard, Robert, <i>Voices of Decline. The Postwar Fate of US Cities, </i>Oxford, Blackwell<i>, </i>2003.</p> <p>Blaise, Bernard et Francis Lacassin, <i>Villes mortes et villes fant&ocirc;mes de l&rsquo;Ouest am&eacute;ricain, </i>Rennes, &Eacute;ditions Ouest-France, 1990.</p> <p>Blanchot, Maurice, <i>L&rsquo;Entretien infini, </i>Paris, Gallimard, 1969.</p> <p>Davis, Mike, <i>Dead Cities</i>, trad. Maxime Boidy, St&eacute;phane Roth, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2009.</p> <p>Derrida, Jacques, <i>Spectres de Marx,</i> Paris, Galil&eacute;e, 1993.</p> <p>&ndash;, <i>Feu la cendre, </i>Paris, &Eacute;d. des Femmes, 1999.&nbsp;</p> <p>Desan, Mathieu Hikaru, &laquo;&nbsp;Bankrupted Detroit&nbsp;&raquo;,&nbsp;<i>Thesis Eleven</i>, vol.&nbsp;121, n&deg;&nbsp;1, 2014, p.&nbsp;122-130.</p> <p>Didi-Huberman, Georges, <i>G&eacute;nie du non-lieu&nbsp;: air, poussi&egrave;re, empreinte, hantise, </i>Paris, Minuit, 2001.</p> <p>Didi-Huberman, Georges, <i>L&rsquo;Image survivante. Histoire de l&rsquo;art et temps des fant&ocirc;mes selon Aby Warburg, </i>Paris, Minuit, 2002.</p> <p>Faigenbaum, Steve, <i>City of Dreams, </i>France, TS Productions, 87 min., 2013.</p> <p>Grosz, Elizabeth, &laquo;&nbsp;Bodies-cities&nbsp;&raquo;, dans Heidi J. Nast, Steve Pile (dir.), <i>Places Through the Body</i>, Londres, Routledge, 1998, p.&nbsp;42-51.</p> <p>Hunt, Leon, Sharon Lockyer et Milly Williamson (&eacute;ds.), <i>Screening the Undead&nbsp;: Vampires and Zombies in Film and Television, </i>New York, Palgrave, 2014.</p> <p>Jarmusch, Jim, <i>Only Lovers Left Alive, </i>Royaume-Uni, Allemagne, Recorded Picture Company, 123 min., 2013.</p> <p>Kennedy, Greg, <i>An Ontology of Trash. The Disposable and its Problematic Nature, </i>Albany, SUNY Press, 2007.</p> <p>LeDuff, Charlie, <i>Detroit, an American Autopsy, </i>New York, Penguin<i>, </i>2013.</p> <p>Marchand, Yves et Romain Meffre, <i>The Ruins of Detroit</i>, G&ouml;ttingen, Steidl, 2000.</p> <p>May, Jeff, &laquo;&nbsp;Zombie Geographies and the Undead City&nbsp;&raquo;, <i>Social and Cultural Geography,</i> vol.&nbsp;11, n&deg;&nbsp;3, 2010, p.&nbsp;285-298.</p> <p>Pin&ccedil;onnat, Crystel, &laquo;&nbsp;Detroit, Acropole am&eacute;ricaine&nbsp;?&nbsp;&raquo;, dans Chantal Liaroutzos (dir.), <i>Que faire avec des ruines&nbsp;? Po&eacute;tique et politique des vestiges, </i>Rennes, PUR, 2015, p.&nbsp;131-144.</p> <p>Popelard, Allan, &laquo;&nbsp;Detroit, catastrophe du r&ecirc;ve&nbsp;&raquo;, <i>H&eacute;rodote,</i> n&deg;&nbsp;132, 2009, p.&nbsp;202-215.</p> <p>Proch&aacute;zka, Martin, &laquo;&nbsp;Monument or Trash? Ghost Towns in American History and Culture&nbsp;&raquo;, <i>Litteraria Pragensia, </i>vol.&nbsp;17, n&deg;&nbsp;34, 2007, p.&nbsp;58-76.</p> <p>Reverdy, Thomas B., <i>Il &eacute;tait une ville</i>, Paris, Flammarion, 2015.</p> <p>Scott, Diane, &laquo;&nbsp;Nos ruines&nbsp;&raquo;, <i>Vacarme,</i> n&deg;&nbsp;60, 2012, p.&nbsp;164-198.</p> <p>Sloterdijk Peter, <i>&Eacute;cumes. Sph&egrave;res III&nbsp;:&nbsp;Sphr&eacute;ologie plurielle, </i>trad. Olivier Mannoni, Paris, Libella Maren Sell &Eacute;diteurs, 2005.</p> <p>Staszak, Jean-Fran&ccedil;ois, &laquo;&nbsp;D&eacute;truire Detroit. La crise urbaine comme produit culturel&nbsp;&raquo;, <i>Annales de g&eacute;ographie, </i>n&deg;&nbsp;607, 1999, p.&nbsp;277-299.</p> <p>Spivak, Gayatri Chakravorty, <i>Les Subalternes peuvent-elles parler&nbsp;?</i>, trad. J&eacute;r&ocirc;me Vidal, Paris, &Eacute;ditions Amsterdam, 2009.</p> <p>Sugrue, Thomas J., <i>The Origins of the Urban Crisis&nbsp;: Race and Inequality in Postwar Detroit, </i>Princeton, Princeton UP, 1996.</p> <p>Tillon, Florent, <i>Detroit ville sauvage, </i>France, Ego Production, 80 min., 2010.</p> <p>Viel, Tanguy, &laquo;&nbsp;J&rsquo;&eacute;cris &agrave; partir des fant&ocirc;mes d&rsquo;une biblioth&egrave;que&nbsp;&raquo;, <i>Mediapart,</i> 9 mars 2013, [En ligne]. <a href="about:blank">https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/080313/tanguy-viel-jecris-partir-des-fantomes-d-une-bibliotheque?onglet=full</a> (consult&eacute; le 2 mai 2018).</p> <p>&ndash; &laquo;&nbsp;&Eacute;l&eacute;ments pour une &eacute;criture cin&eacute;phile&nbsp;&raquo;, dans Jean-Louis Leutrat (dir.), <i>Cin&eacute;ma et litt&eacute;rature&nbsp;: le grand jeu, </i>Le Havre, De l&rsquo;incidence, 2010, p.&nbsp;263-273.</p> <p>&ndash; <i>La Disparition de Jim Sullivan, </i>Paris, Minuit, 2017.</p> <hr /> <p><a href="#liennbp1" name="nbp1">1</a> L&rsquo;expression, courante dans la litt&eacute;rature urbaine, repose sur l&rsquo;image du r&eacute;tr&eacute;cissement. <i>Cf. </i>Robert Beauregard, <i>Voices of Decline. The Postwar Fate of US Cities, </i>Oxford, Blackwell<i>, </i>2003.</p> <p><a href="#liennbp2" name="nbp2">2</a> Le n&eacute;ologisme &eacute;voque l&rsquo;&ecirc;tre sans pr&eacute;sence, la cendre qui rappelle ce qu&rsquo;elle n&rsquo;est pas ou plus. Jacques Derrida, <i>Feu la cendre, </i>Paris, &Eacute;d. des Femmes, 1999, p.&nbsp;23, 27&nbsp;: &laquo;&nbsp;Elle reste de ce qui n&rsquo;est pas, pour ne rappeler au fond friable d&rsquo;elle que non-&ecirc;tre ou impr&eacute;sence. [&hellip;] J&rsquo;ai maintenant l&rsquo;impression que le meilleur paradigme de la trace, [&hellip;] ce n&rsquo;est pas [&hellip;] la piste de chasse, le frayage, le sillon dans le sable, le sillage dans la mer, l&rsquo;amour du pas pour son empreinte, mais la cendre&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp3" name="nbp3">3</a> Georges Didi-Huberman, <i>G&eacute;nie du non-lieu&nbsp;: air, poussi&egrave;re, empreinte, hantise, </i>Paris, Minuit, 2001, p.&nbsp;114. Lire les chapitres 5 (&laquo;&nbsp;Sculpture d&rsquo;ombre&nbsp;&raquo;) et 6 (&laquo;&nbsp;Maison hant&eacute;e&nbsp;&raquo;).</p> <p><a href="#liennbp4" name="nbp4">4</a> Jacques Derrida, <i>Spectres de Marx,</i> Paris, Galil&eacute;e, 1993, p.&nbsp;31.</p> <p><a href="#liennbp5" name="nbp5">5</a> Georges Didi-Huberman, <i>L&rsquo;image survivante. Histoire de l&rsquo;art et temps des fant&ocirc;mes selon Aby Warburg</i>, Paris, Minuit, 2002, p.&nbsp;27-28.</p> <p><a href="#liennbp6" name="nbp6">6</a> Peter Sloterdijk, <i>&Eacute;cumes. Sph&egrave;res III&nbsp;:&nbsp;Sphr&eacute;ologie plurielle, </i>trad. Olivier Mannoni, Paris, Libella Maren Sell &Eacute;diteurs, 2005, p.&nbsp;443. Le philosophe d&eacute;finit ainsi, au sein de sa th&eacute;orie g&eacute;n&eacute;rale des syst&egrave;mes affect&eacute;s d&rsquo;une co-fragilit&eacute;<b>,</b> l&rsquo;espace de coexistence avec les morts qui se r&eacute;v&egrave;le en des points de densification qui font seuil, superposant &agrave; l&rsquo;espace du quotidien le pouvoir du passage, r&eacute;gulant la relation entre le pr&eacute;sent et l&rsquo;absent.</p> <p><a href="#liennbp7" name="nbp7">7 </a>La s&eacute;rie d&rsquo;assauts port&eacute;s &agrave; la ville contemporaine par la nature qui l&rsquo;environne, mettrait en lumi&egrave;re la fragilit&eacute; des constructions humaines, alors que les ruines antiques recouvertes de v&eacute;g&eacute;tation foisonnante, qui semblent indestructibles, paraissent int&eacute;gr&eacute;es dans la nature.</p> <p><a href="#liennbp8" name="nbp8">8</a> C&rsquo;est l&rsquo;argument de Bernard Blaise et Francis Lacassin&nbsp;: &laquo;&nbsp;Pomp&eacute;i, Tikal, Carthage, Ankgor ou Th&egrave;bes appartiennent &agrave; des civilisations trop &eacute;loign&eacute;es, trop diff&eacute;rentes de nous pour &eacute;veiller en nous autre chose qu&rsquo;un sentiment esth&eacute;tique. Au contraire, ces tombeaux de l&rsquo;aventure moderne que sont les villes fant&ocirc;mes de l&rsquo;Ouest am&eacute;ricain arrachent notre compassion avec leur cin&eacute;ma au toit crev&eacute; dont le premier programme jaunit &agrave; l&rsquo;entr&eacute;e, ou avec l&rsquo;&eacute;cole silencieuse dont le tableau noir porte les chiffres du dernier probl&egrave;me<i>&nbsp;</i>&raquo; (<i>Villes mortes et villes fant&ocirc;mes de l&rsquo;Ouest am&eacute;ricain, </i>Rennes, &Eacute;ditions Ouest-France, 1990, p.&nbsp;13).</p> <p><a href="#liennbp9" name="nbp9">9</a> Diana Scott, &laquo;&nbsp;Nos ruines&nbsp;&raquo;, <i>Vacarme,</i> n&deg;&nbsp;60, 2012, p.&nbsp;177.</p> <p><a href="#liennbp10" name="nbp10">10 </a><i>Idem.,</i> p.&nbsp;180.</p> <p><a href="#liennbp11" name="nbp11">11</a> <i>Idem., </i>p.&nbsp;182.</p> <p><a href="#liennbp12" name="nbp12">12 </a><i>Idem</i>, p.&nbsp;181.</p> <p><a href="#liennbp13" name="nbp13">13</a><i> Idem., </i>p.&nbsp;182.</p> <p><a href="#liennbp14" name="nbp14">14</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;183.</p> <p><a href="#liennbp15" name="nbp15">15 </a><i>Idem</i>, p.&nbsp;185.</p> <p><a href="#liennbp16" name="nbp16">16 </a><i>Cf</i>. Greg Kennedy, <i>An Ontology of Trash. The Disposable and its Problematic Nature, </i>Albany, SUNY Press, 2007&nbsp;; Martin Proch&aacute;zka, &laquo;&nbsp;Monument or Trash&nbsp;? Ghost Towns in American History and Culture&nbsp;&raquo;, <i>Litteraria Pragensia, </i>vol.&nbsp;17, n&deg;&nbsp;34, 2007, p.&nbsp;58-76.</p> <p><a href="#liennbp17" name="nbp17">17 </a>On en comprend aussi l&rsquo;exploitation par le cin&eacute;ma d&rsquo;horreur qui montre &agrave; loisir les invasions de zombies dans les villes abandonn&eacute;es, o&ugrave; la majorit&eacute; de la population a &eacute;t&eacute; d&eacute;cim&eacute;e et o&ugrave; toute l&rsquo;organisation sociale est &agrave; refaire, les corps humains putr&eacute;fi&eacute;s r&eacute;fl&eacute;chissant l&rsquo;espace demi effondr&eacute;. <i>Cf</i>.&nbsp;Jeff May, &laquo;&nbsp;Zombie Geographies and the Undead City&nbsp;&raquo;, <i>Social and Cultural Geography,</i> vol.&nbsp;11, n&deg;&nbsp;3, 2010, p.&nbsp;285-298&nbsp;; Leon Hunt, Sharon Lockyer et Milly Williamson (&eacute;ds.), <i>Screening the Undead&nbsp;: Vampires and Zombies in Film and Television, </i>New York, Palgrave, 2014. Sur l&rsquo;analogie fondatrice entre corps urbain et humain&nbsp;: Elizabeth Grosz, &laquo;&nbsp;Bodies-cities&nbsp;&raquo;, dans Heidi J. Nast, Steve Pile (dir.), <i>Places Through the Body</i>, Londres, Routledge, 1998, p.&nbsp;42-51.</p> <p><a href="#liennbp18" name="nbp18">18 </a>Thomas J. Sugrue, <i>The Origins of the Urban Crisis&nbsp;: Race and Inequality in Postwar Detroit, </i>Princeton, Princeton UP, 1996&nbsp;; Jean-Fran&ccedil;ois Staszak, &laquo;&nbsp;D&eacute;truire Detroit. La crise urbaine comme produit culturel&nbsp;&raquo;, <i>Annales de g&eacute;ographie, </i>n&deg;&nbsp;607, 1999, p.&nbsp;277-299&nbsp;; Allan Popelard, &laquo;&nbsp;Detroit, catastrophe du r&ecirc;ve&nbsp;&raquo;, <i>H&eacute;rodote,</i> n&deg;&nbsp;132, 2009, p.&nbsp;202-215&nbsp;; Mathieu Hikaru Desan, &laquo;&nbsp;Bankrupted Detroit&nbsp;&raquo;,&nbsp;<i>Thesis Eleven</i>, vol.&nbsp;121, n&deg;&nbsp;1, 2014, p.&nbsp;122-130.</p> <p><a href="#liennbp19" name="nbp19">19 </a>Le g&eacute;ographe Mike Davis propose ainsi, &agrave; partir des photographies de Camilo Jos&eacute; Vergara, une enqu&ecirc;te d&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;cologie urbaine&nbsp;&raquo;, les territoires laiss&eacute;s &agrave; l&rsquo;abandon de Detroit constituant &laquo;&nbsp;une archive unique pour la compr&eacute;hension de la d&eacute;r&eacute;liction comme processus paysager&nbsp;&raquo; (<i>Dead Cities</i>, trad. Maxime Boidy, St&eacute;phane Roth, Paris, Les Presses Ordinaires, 2009, p.&nbsp;79). Lire aussi Crystel Pin&ccedil;onnat, &laquo;&nbsp;Detroit, Acropole am&eacute;ricaine&nbsp;?&nbsp;&raquo;, dans Chantal Liaroutzos (dir.), <i>Que faire avec des ruines&nbsp;? Po&eacute;tique et politique des vestiges, </i>Rennes, PUR, 2015, p.&nbsp;131-144.</p> <p><a href="#liennbp20" name="nbp20">20 </a><i>Cf.</i> Maurice Blanchot, <i>L&rsquo;Entretien infini</i>, Paris, Gallimard, 1969, p.&nbsp;357&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le quotidien, c&rsquo;est la platitude <i>(ce qui retarde et ce qui retombe, la vie r&eacute;siduelle dont se remplissent nos poubelles et nos cimeti&egrave;res, rebuts et d&eacute;tritus)</i>, mais cette banalit&eacute; est pourtant aussi ce qu&rsquo;il y a de plus important, si elle renvoie &agrave; l&rsquo;existence dans sa spontan&eacute;it&eacute; m&ecirc;me et telle que celle-ci se vit, au moment o&ugrave;, v&eacute;cue, elle se d&eacute;robe &agrave; toute mise en forme sp&eacute;culative, peut-&ecirc;tre &agrave; toute coh&eacute;rence, toute r&eacute;gularit&eacute;&nbsp;&raquo; (je souligne).</p> <p><a href="#liennbp21" name="nbp21">21</a> John Gallagher, &laquo;&nbsp;Foreword&nbsp;&raquo;, dans Dan Austin et Sean Doerr, Lost Detroit. <i>Stories Behind the Motor City&rsquo;s Majestic Ruins</i>, Charleston, The History Press, 2013, p.&nbsp;9&nbsp;: <i>&laquo;&nbsp;These structures stand today as ghost buildings, to be sure, and some of the photos may make you cry [&hellip;] the photographs here will have you staring in wonder at the splendour and the plenty of what once was&nbsp;&raquo;</i>.</p> <p><a href="#liennbp22" name="nbp22">22 </a>Yves Marchand et Romain Meffre, <i>The Ruins of Detroit</i>, G&ouml;ttingen, Steidl, 2000. Reverdy ajoute avoir trouv&eacute; une &laquo;&nbsp;toile de fond document&eacute;e&nbsp;&raquo; dans ce qu&rsquo;il consid&egrave;re comme le &laquo;&nbsp;meilleur document sur Detroit&nbsp;&raquo;&nbsp;: Charlie LeDuff, <i>Detroit, an American Autopsy, </i>New York, Penguin<i>, </i>2013. <i>Cf.</i> le blog de l&rsquo;&eacute;crivain&nbsp;: <a href="about:blank">http://www.thomasreverdy.com/blog/category/detroit/</a> (consult&eacute; le 2 mai 2018).</p> <p><a href="#liennbp23" name="nbp23">23</a> Thomas B. Reverdy, <i>Il &eacute;tait une ville</i>, Paris, Flammarion, 2015, p.&nbsp;44, 53.</p> <p><a href="#liennbp24" name="nbp24">24</a> Le questionnement rejoint alors la probl&eacute;matique expos&eacute;e par Gayatri Chakravorty Spivak dans son essai fondateur de 1988&nbsp;: <i>Les Subalternes peuvent-elles parler&nbsp;?</i>, trad. J&eacute;r&ocirc;me Vidal, Paris, &Eacute;ditions Amsterdam, 2009.</p> <p><a href="#liennbp25" name="nbp25">25</a> Thomas B. Reverdy, <i>op. cit.</i>, p.&nbsp;56-58. La question de l&rsquo;&eacute;thique du regard pos&eacute; sur ce &laquo;&nbsp;genre d&rsquo;images qui faisaient mal &agrave; contempler&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;32), de ses d&eacute;rives potentielles, est explicite&nbsp;: &laquo;&nbsp;&ldquo;Traverser la ville me donne toujours l&rsquo;impression de regarder un porno. Tu sais, une fascination coupable&rdquo;&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;40).</p> <p><a href="#liennbp26" name="nbp26">26 </a>La devise latine de Detroit, <i>Speramus meliora Resurget cineribus</i>, l&rsquo;indique express&eacute;ment, renvoyant au &laquo;&nbsp;gigantesque incendie [qui] arasa la ville, qui ne fut plus qu&rsquo;un tas de cendres dispers&eacute;es sur le sol, cependant vou&eacute;e &agrave; en rena&icirc;tre&nbsp;&raquo; (Tanguy Viel, <i>La Disparition de Jim Sullivan, </i>Paris, Minuit, 2017, p.&nbsp;13). <i>Cf</i>. Thomas B. Reverdy<i>, op. cit.</i> p.&nbsp;315&nbsp;: &laquo;&nbsp;C&rsquo;est un tel terrain pour tout recommencer, Detroit, le monde qu&rsquo;ils nous ont laiss&eacute;&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp27" name="nbp27">27 </a>Les romans de Reverdy et Viel placent ainsi les <i>disparitions</i> en leur centre (d&egrave;s le titre pour Viel), tout comme la menace de disparition et d&rsquo;extinction est au c&oelig;ur du film de Jarmusch.</p> <p><a href="#liennbp28" name="nbp28">28</a><i> Cf</i>. l&rsquo;entretien avec le r&eacute;alisateur&nbsp;: &laquo;&nbsp;J&rsquo;avais des souvenirs, je savais que l&rsquo;industrie automobile &eacute;tait en difficult&eacute;, j&rsquo;avais vu des images de maisons en ruine, mais rien ne m&rsquo;avait pr&eacute;par&eacute; &agrave; la vision apocalyptique que j&rsquo;ai d&eacute;couverte&nbsp;: des milliers de logements calcin&eacute;s envahissaient le paysage. Des immeubles jadis majestueux &eacute;taient en ruine. Des meutes de chiens errants tra&icirc;naient dans le centre ville. Ma propre maison avait disparu. La nature avait r&eacute;investi des espaces vides d&rsquo;une superficie trois fois plus grande que Manhattan&nbsp;&raquo;. [en ligne] <a href="about:blank">http://www.tsproductions-cityofdreams-stevefaigenbaum-kitpress.pdf</a> [consult&eacute; le 2 mai 2018].</p> <p><a href="#liennbp29" name="nbp29">29</a> Georges Didi-Huberman, <i>L&rsquo;Image survivante</i>, <i>op. cit., </i>p.&nbsp;33&nbsp;: &laquo;&nbsp;Tel est bien le sens du mot <i>Nachleben,</i> ce mot de l&rsquo;&ldquo;apr&egrave;s-vivre&rdquo;&nbsp;: un &ecirc;tre du pass&eacute; n&rsquo;en finit pas de survivre&nbsp;&raquo;. Ce principe est bien par excellence la condition des vampires (Jarmusch) comme des mythes (Jim Sullivan).</p> <p><a href="#liennbp30" name="nbp30">30</a> Dira-t-on jamais assez la splendeur des titres de Jarmusch&nbsp;? C&rsquo;est encore le cas avec&nbsp;<i>Only Lovers Left Alive </i>qui peut se lire de deux mani&egrave;res au moins, s&rsquo;inscrivant pleinement dans le paradigme du reste et de l&rsquo;apr&egrave;s&nbsp;: &laquo;&nbsp;seuls les amants demeurent vivants&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;les derniers amants encore vivants&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp31" name="nbp31">31 </a>Tanguy Viel, <i>op. cit., </i>p.&nbsp;13. <i>Cf.</i> l&rsquo;&eacute;change entre Adam (Tom Hiddleston) et &Egrave;ve (Tilda Swinton) dans le film&nbsp;: &laquo;&nbsp;Eve&nbsp;: <i>Canis latrans</i>. <i>How lovely. I think they&rsquo;re clocking you</i>. Adam&nbsp;: <i>Yeah. They&rsquo;re all over Detroit&nbsp;</i>&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp32" name="nbp32">32 </a>Outre l&rsquo;omnipr&eacute;sence de la musique chez Jarmusch, Viel place Jim Sullivan et le &laquo;&nbsp;concert mythique d&rsquo;Iggy Pop au Masonic Temple, le 23 mars 1977&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;29) &agrave; l&rsquo;honneur, et Reverdy les &laquo;&nbsp;Who [qui] avaient donn&eacute; leur premier concert en Am&eacute;rique ici, &agrave; Detroit&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;38). La voiture devient &eacute;galement un nouvel espace central d&rsquo;<i>habitation</i>, en plus du moyen de d&eacute;placement privil&eacute;gi&eacute;.</p> <p><a href="#liennbp33" name="nbp33">33 </a>Jarmusch privil&eacute;gie le plan large faisant ressentir la vacance des rues et le caract&egrave;re imposant des b&acirc;timents industriels long&eacute;s en voiture, ainsi que l&rsquo;arr&ecirc;t, au sens propre, sur tel d&eacute;tail significatif (la maison, tr&egrave;s anodine, o&ugrave; a grandi le fondateur des White Stripes) ou &agrave; l&rsquo;inverse un mouvement de giration vertigineux (sur l&rsquo;int&eacute;rieur et le plafond d&eacute;labr&eacute; d&rsquo;un th&eacute;&acirc;tre d&eacute;chu en parking), adoptant toujours le point de vue des vampires sur le monde fant&ocirc;me. La tr&egrave;s belle photographie nocturne de Yorik Le Saux est aussi pour beaucoup dans l&rsquo;impression de spectralit&eacute;.</p> <p><a href="#liennbp34" name="nbp34">34</a> Adam est compar&eacute; &agrave; un fant&ocirc;me par le docteur (Jeffrey Wright) qui lui vend le sang non contamin&eacute; (&laquo;&nbsp;<i>You scared the shit out of me [&hellip;] just appearing unexpectedly like a phantom&nbsp;</i>&raquo;), il partage avec &Egrave;ve une fascination pour la th&eacute;orie &laquo;&nbsp;fantomale&nbsp;&raquo; d&rsquo;intrication quantique (ph&eacute;nom&egrave;ne qu&rsquo;Einstein lui-m&ecirc;me nomme &laquo;&nbsp;<i>spooky action at a distance</i>&nbsp;&raquo;), et r&eacute;side dans une maison &agrave; l&rsquo;&eacute;cart,<b> </b>au milieu d&rsquo;une banlieue abandonn&eacute;e&nbsp;:<b>&nbsp;</b>&laquo;&nbsp;<i>No one fucking lives out here&nbsp;!&nbsp;</i>&raquo; remarque Ian (Anton Yelchin).</p> <p><a href="#liennbp35" name="nbp35">35</a> &laquo;&nbsp;Eve&nbsp;:<i>&nbsp;</i><i>This is your wilderness. Detroit. </i>Adam&nbsp;:<i> Everybody left&nbsp;</i>&raquo;. <i>Cf.</i> Thomas B. Reverdy, <i>op. cit., </i>p.&nbsp;87&nbsp;: &laquo;&nbsp;Detroit est comme &ccedil;a la nuit. [&hellip;] Il y a des silhouettes qui se prom&egrave;nent dans les lieux abandonn&eacute;s et les all&eacute;es sans &eacute;clairage, la plupart comme des zombies &agrave; la d&eacute;marche tra&icirc;nante&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp36" name="nbp36">36</a> Packard figure aussi de mani&egrave;re centrale dans <i>Il &eacute;tait une ville</i>&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il restait [&hellip;] des d&eacute;chets en tous genres, des braseros et des bouteilles, des blousons pourrissant comme des tas d&rsquo;algues mortes, des milliers de sacs en plastique qui hantaient les salles gigantesques en se d&eacute;pla&ccedil;ant doucement au gr&eacute; du vent, petits fant&ocirc;mes ridicules et sales. [&hellip;] On y trouvait des voitures d&eacute;soss&eacute;es, un bateau cass&eacute; en deux. Les vestiges des b&acirc;timents eux-m&ecirc;mes n&rsquo;en finissaient pas de tomber en ruine morceau par morceau&nbsp;&raquo; (<i>Idem., </i>p.&nbsp;118-119).</p> <p><a href="#liennbp37" name="nbp37">37</a> &laquo;&nbsp;Adam&nbsp;: <i>They built it back in the 1920s. [&hellip;] It&rsquo;s built ironically on the exact same site as Henry Ford made his very first prototype. [&hellip;] Concerts and there&rsquo;s a movie house, </i>can you imagine&nbsp;?<i> Mirrors used to reflect the chandeliers. And now&nbsp;: a car park</i>&nbsp;&raquo; (je souligne).</p> <p><a href="#liennbp38" name="nbp38">38 </a>Tanguy Viel, <i>op. cit., </i>p.&nbsp;14.</p> <p><a href="#liennbp39" name="nbp39">39</a><i> Idem.</i>, p.&nbsp;11. <i>Cf.</i> p.&nbsp;12&nbsp;: &laquo;&nbsp;[&hellip;] d&rsquo;une mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale, il n&rsquo;&eacute;tait pas question de d&eacute;roger aux grands principes qui ont fait leur preuve dans le roman am&eacute;ricain&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp40" name="nbp40">40</a> Roger-Michel Allemand, &laquo;&nbsp;Tanguy Viel&nbsp;: imaginaires d&rsquo;un romancier&nbsp;&raquo;, <i>@nalyses</i>, vol.&nbsp;3, n&deg;&nbsp;3, 2008, p.&nbsp;301, 303, 308, 309. Les &eacute;crivains qui s&rsquo;inscrivent dans la postmodernit&eacute;, parmi lesquels Viel se compte, appartiendraient &laquo;&nbsp;&agrave; un monde de spectres, enti&egrave;rement reconstitu&eacute;, parce qu&rsquo;enti&egrave;rement d&eacute;truit avant [eux]&nbsp;&raquo;. <i>Cf. </i>l&rsquo;entretien avec Christine Marcandier (9 mars 2013)&nbsp;: &laquo;&nbsp;J&rsquo;&eacute;cris &agrave; partir des fant&ocirc;mes d&rsquo;une biblioth&egrave;que&nbsp;&raquo; [en ligne]. <a href="about:blank">https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/080313/tanguy-viel-jecris-partir-des-fantomes-d-une-bibliotheque?onglet=full</a> (consult&eacute; le 2 mai 2018).</p> <p><a href="#liennbp41" name="nbp41">41</a> Tanguy Viel, <i>La Disparition de Jim Sullivan, op. cit., </i>p.&nbsp;11-12&nbsp;: &laquo;&nbsp;Par exemple, &agrave; Detroit, d&rsquo;apr&egrave;s ce que j&rsquo;ai lu sur Internet, un habitant peut percevoir dans son champ visuel jusqu&rsquo;&agrave; trois mille deux cents vitres en m&ecirc;me temps. Je n&rsquo;ai jamais bien compris ce que &ccedil;a voulait dire, trois mille deux cents vitres en m&ecirc;me temps, mais, me suis-je dit, si j&rsquo;&eacute;cris une chose comme &ccedil;a dans mon roman, alors on pourra comprendre que mes personnages habitent une grande ville complexe et internationale, une ville pleine de promesses et de surfaces vitr&eacute;es&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp42" name="nbp42">42 </a><i>Idem., </i>p.&nbsp;110.</p> <p><a href="#liennbp43" name="nbp43">43 </a><i>Idem., </i>p.&nbsp;20&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je sais seulement qu&rsquo;un jour de juin, tandis que je regardais la carte des &Eacute;tats-Unis accroch&eacute;e sur le mur de mon bureau, est apparu ce nom-l&agrave;, Dwayne Koster, pos&eacute; sur sa silhouette dans les rues de Detroit, et je me suis dit que c&rsquo;&eacute;tait &ccedil;a, qu&rsquo;avec ce nom-l&agrave; je pouvais commencer &agrave; construire quelque chose, avec tout ce qui est apparu au presque m&ecirc;me instant, Jim Sullivan et sa vieille Dodge, Susan son ex-&eacute;pouse et la ville de Detroit, cette m&ecirc;me ville dont au fil du temps il &eacute;tait devenu l&rsquo;habitant type, ou plut&ocirc;t l&rsquo;&acirc;me damn&eacute;e qui en aurait &eacute;pous&eacute; tous les drames et les ruines&nbsp;&raquo;&nbsp;; p.&nbsp;119&nbsp;: &laquo;&nbsp;[&hellip;]&nbsp;tellement le temps passait et tellement dans l&rsquo;attente tout semblait se d&eacute;liter&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp44" name="nbp44">44</a> Tanguy Viel, &laquo;&nbsp;&Eacute;l&eacute;ments pour une &eacute;criture cin&eacute;phile&nbsp;&raquo;, dans Jean-Louis Leutrat (dir.), <i>Cin&eacute;ma et litt&eacute;rature&nbsp;: le grand jeu, </i>Le Havre, De l&rsquo;incidence, 2010, p.&nbsp;266.</p> <p><a href="#liennbp45" name="nbp45">45</a> Ce sont l&rsquo;ironie et la distance qui fonctionnent, chez Jarmusch et Viel, comme antidote emp&ecirc;chant de verser dans la d&eacute;ploration pesante ou la pure contemplation esth&eacute;tique du d&eacute;sastre, d&eacute;nonc&eacute;es comme tentations dangereuses et vaines. Les deux fictions n&rsquo;ont en effet rien de lugubre ni de sinistre.</p> <p><a href="#liennbp46" name="nbp46">46</a> La question est bien centrale aux deux romans&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mais o&ugrave; sont pass&eacute;s tous ces gens dont les maisons br&ucirc;lent&nbsp;?&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Bon Dieu, mais o&ugrave; est-ce qu&rsquo;ils sont tous pass&eacute;s&nbsp;? Si encore c&rsquo;&eacute;tait un village, Detroit, on se dirait qu&rsquo;ils ont fui en ville pour chercher du travail, il y en a plein des villages d&eacute;serts, partout, des petites cit&eacute;s fant&ocirc;mes dans les plaines balay&eacute;es par les vents. Mais bon dieu la ville, c&rsquo;est ici. On dirait qu&rsquo;ils se sont envol&eacute;s&nbsp;&raquo; (Reverdy, p.&nbsp;263)&nbsp;; &laquo;&nbsp;[&hellip;]&nbsp;cet exode urbain dont la question se pose d&rsquo;o&ugrave; ils sont all&eacute;s, tous ces gens&nbsp;&raquo; (Viel).</p> <p><a href="#liennbp47" name="nbp47">47</a> Georges Didi Huberman, <i>Le G&eacute;nie du non-lieu, op. cit.</i>, p.&nbsp;113.</p> <p><a href="#liennbp48" name="nbp48">48</a> Jacques Derrida, <i>Spectres de Marx</i>, <i>op. cit.</i>, p.&nbsp;23.</p>