<p>La mondialisation est un processus complexe partiellement gouvern&eacute; et dirig&eacute;, r&eacute;sultant en partie de changements impr&eacute;visibles et cumulatifs, qui unifie le monde sous le mod&egrave;le &eacute;conomique n&eacute;olib&eacute;ral, mais qui fragmente &eacute;galement l&rsquo;exp&eacute;rience de la vie sous le capitalisme. Au c&oelig;ur des mutations contemporaines, nous croisons les &eacute;volutions de notre rapport au temps, dont le bouleversement est devenu une figure obsessionnelle pour nos soci&eacute;t&eacute;s. L&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration du processus d&rsquo;industrialisation et d&rsquo;urbanisation de la plan&egrave;te, une exp&eacute;rience de l&rsquo;&eacute;poque moderne avanc&eacute;e, de la postmodernit&eacute;, ou de l&rsquo;hypermodernit&eacute;, a amen&eacute; certains scientifiques &agrave; &eacute;mettre l&rsquo;hypoth&egrave;se d&rsquo;une nouvelle &egrave;re g&eacute;ophysique, l&rsquo;Anthropoc&egrave;ne<a href="#nbp_1" id="footnoteref1_780ehbj" name="lien_nbp_1" title="Considéré comme une nouvelle période géologique, l’Anthropocène (Paul Jozef Crutzen, prix Nobel de Chimie 1995), soit l’ère de l’Homme, est un terme relatif à la chronologie de la géologie proposé pour caractériser l’époque de l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre. L’Anthropocène se définit par l’impact permanent des activités humaines sur Terre, comme la terraformation engendrée par l’exploitation minière, l’urbanisation et l’agriculture, l’extinction et la perte de biodiversité causées par l’homme, et la présence à travers le monde de matériaux comme le plastique ou le ciment.">1</a>. Cette grande acc&eacute;l&eacute;ration correspond au processus de naturalisation du capitalisme&nbsp;: devenu organique et universel, il est la loi naturelle de l&rsquo;Anthropoc&egrave;ne&nbsp;; et l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration est devenue une dimension fondamentale de la temporalit&eacute; de cette &eacute;poque, annon&ccedil;ant les trois aspects cl&eacute;s de la mondialisation&nbsp;: d&eacute;territorialisation, hyper-capitalisme et compression spatio-temporelle qui ont entra&icirc;n&eacute; des changements dans notre perception<a href="#nbp_2" id="footnoteref2_w1ia5zm" name="lien_nbp_2" title="Sur cette question, on se reportera à l’ouvrage de Camille de Toledo, Aliocha Imhoff, et Kantuta Quirós, Les potentiels du temps&amp;nbsp;: art &amp;amp; politique, Paris, Manuella Éditions, 2016.">2</a>, et dont l&rsquo;outil majeur est l&rsquo;algorithme, sur lequel se fondent d&eacute;sormais toutes les strates de la soci&eacute;t&eacute; postmoderne.</p> <p>Mais comment repr&eacute;senter la mondialisation, le capital, ses &eacute;changes et son acc&eacute;l&eacute;ration&nbsp;? La th&eacute;orie de l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;rationnisme<a href="#nbp_3" id="footnoteref3_j1cz2uu" name="lien_nbp_3" title="L’accélérationnisme est lié au capitalisme néolibéral mondialisé, qui entraîne inégalités croissantes, conflits et chaos. Cf. Alex Williams et Nick Srnicek, «&amp;nbsp;Manifeste accélérationniste&amp;nbsp;», Multitudes, vol.&amp;nbsp;56, n°&amp;nbsp;1:&amp;nbsp;23, 2014.">3</a>&nbsp;a trouv&eacute; sa place dans le discours socio-g&eacute;opolitique, mais &eacute;galement artistique puisque nombreux sont les artistes qui r&eacute;fl&eacute;chissent &agrave; la vitesse de la civilisation contemporaine dans des interpr&eacute;tations artistiques en pr&eacute;sentant une vision acc&eacute;l&eacute;ratrice d&eacute;crite &agrave; travers une &laquo;&nbsp;esth&eacute;tique de la mondialisation<a href="#nbp_4" id="footnoteref4_atji2my" name="lien_nbp_4" title="Nicolas Bourriaud, Radicant&amp;nbsp;: pour une esthétique de la globalisation, Paris, Denoël, 2009.">4</a>&nbsp;&raquo;. Le travail photographique de l&rsquo;artiste allemand Andreas Gursky<a href="#nbp_5" id="footnoteref5_rsumuie" name="lien_nbp_5" title="Andreas Gursky est né en 1955 à Leipzig et a grandi à Düsseldorf, où il a été initié à la photographie dès son plus jeune âge par son père, un photographe commercial à succès. À la fin des années&amp;nbsp;1970, il étudie à la Folkwangschule d’Essen, la principale école de photographie traditionnelle en Allemagne de l’Ouest créée par Otto Steinert. Puis au début des années&amp;nbsp;1980, il entre dans la classe de Bernd Becher à la Kunstakademie de Düsseldorf. Dès la fin des années&amp;nbsp;1950, Bernd et Hilla Becher développèrent une esthétique photographique distinctive, à l’architecture anonyme et négligée de l’industrie. Leur approche systématique et impersonnelle était étrangère au mouvement de photographie subjective de Steinert, mais dans les années&amp;nbsp;1960, leur travail fut adopté par les adhérents des nouveaux mouvements d’art minimal et conceptuel. En 1976, Bernd Becher devient professeur à la Kunstakademie, formant une nouvelle génération d’artistes-photographes. Grâce à Joseph Beuys, à Sigmar Polke, à Gerhard Richter et à d’autres, la Kunstakademie est devenue le centre de l’avant-garde allemande de l’après-guerre. Gursky adoptera un style et une méthode étroitement inspirés du travail des Bechers, à la différence qu’il travaillera uniquement en couleur. C’est bien entendu l’héritage de l’École de Düsseldorf et de l’enseignement des Bechers, que le travail de Gursky illustre.">5</a>&nbsp;incarne visuellement l&rsquo;abstraction et l&rsquo;&eacute;clatement du monde contemporain en acc&eacute;l&eacute;ration en explorant le potentiel de la mondialisation par le biais d&rsquo;une technique hybride combinant photographie et manipulation num&eacute;rique&nbsp;: une sophistication capitaliste, propre aux formes et au contexte dont elle est extraite<a href="#nbp_6" id="footnoteref6_ldfb4b3" name="lien_nbp_6" title="Notons que plusieurs photographies d’Andreas Gursky font partie de la liste des photographies vendues entre 1,6 et 4,3 millions de dollars, et dont la photographie Rhein II (1999) reste à ce jour la plus chère au monde. En ce sens, l’artiste participe lui aussi au flux accéléré du marché de l’art, de ce que l’on pourrait appeler une spéculation marchande, un capitalisme excessif de l’art contemporain. De même, en exposant ses œuvres lors de foires internationales d’art contemporain ou lors de grandes expositions dans de grands musées ou célèbres institutions à travers le monde, Gursky contribue aussi à la production d’une industrie artistique et culturelle globalisée.">6</a>. Largement ax&eacute; sur les possibilit&eacute;s industrielles et technologiques de la mondialisation, Gursky utilise la manipulation num&eacute;rique pour forcer notre sens de la perception au-del&agrave; de la cr&eacute;dibilit&eacute;, cr&eacute;ant ainsi un monde que nous reconnaissons, mais qui est aussi partiellement imagin&eacute; et encore non r&eacute;alis&eacute;. En photographiant les lieux du capitalisme et en proposant des images photographiques aux r&eacute;flexions sur la vitesse du temps, sur la notion de masse ou sur le fonctionnement socio-&eacute;conomique du monde contemporain, Gursky restitue un certain motif de la contemporan&eacute;it&eacute; par une sorte d&rsquo;arch&eacute;ologie du temps pr&eacute;sent, &agrave; l&rsquo;image de la rigueur taxinomique h&eacute;rit&eacute;e des Bechers, devenant autant sociologue que chroniqueur d&rsquo;une &eacute;conomie globale en acc&eacute;l&eacute;ration dans laquelle la valeur de v&eacute;racit&eacute; impr&egrave;gne la vision de l&rsquo;artiste sur le monde contemporain.</p> <p><strong>Lieux de l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration mondialis&eacute;e</strong></p> <figure><img alt="1.jpg" data-entity-type="" data-entity-uuid="" height="415" src="https://alepreuve.org/sites/default/files/1.jpg" width="700" /> <figcaption>Andreas Gursky,&nbsp;<em>Chicago Board of Trade II</em>, 157.4 x 284 cm, 1999.</figcaption> </figure> <p>Partout, sur les cinq continents, Gursky recherche les signes de notre &eacute;poque, se faisant le chroniqueur distant des sites de la postmodernit&eacute; en illustrant les lieux associ&eacute;s &agrave; l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration de la mondialisation. Chaque lieu pr&eacute;sente une image saisissante d&rsquo;un monde transform&eacute; par l&rsquo;industrie de la haute technologie, les march&eacute;s mondiaux, les d&eacute;placements humains et le flux commercial&nbsp;; dont les titres portent simplement et directement le lieu g&eacute;ographique o&ugrave; elles ont &eacute;t&eacute; prises. Les photographies sont des lieux embl&eacute;matiques de la surmodernit&eacute;, des structures architecturales ou des lieux symboles de richesse et de complaisance, des &laquo;&nbsp;non-lieux<a href="#nbp_7" id="footnoteref7_nkj764o" name="lien_nbp_7" title="Ce que l’anthropologue Marc Augé nomme les «&amp;nbsp;non-lieux&amp;nbsp;» de la surmodernité&amp;nbsp;: des espaces résiduels et de transit, tels des voies aériennes et ferroviaires, des autoroutes, des aéroports, des grands hôtels, des supermarchés, des parcs, des halls, qui sont produits par les changements socioéconomiques, l’urbanisme moderniste du début du XXe siècle et une société basée sur une nouvelle mobilité. Ce sont des espaces réels ou l’on coexiste ou cohabite sans y vivre ensemble, mais qui sont toutefois des lieux pour ceux qui y travaillent ou lorsque, parfois, un hasard y fonde une histoire fortuite. Les non-lieux n’existent jamais sous une forme pure&amp;nbsp;; selon nos attitudes des lieux s’y recomposent, des relations s’y reconstituent. Ils figurent comme des espaces de solitude habitables dans lesquels on peut s’échapper des réalités quotidiennes.">7</a>&nbsp;&raquo; photographiques au sens de Marc Aug&eacute;, des espaces qui sont la mesure de l&rsquo;&eacute;poque contemporaine&nbsp;; mesure quantifiable et que l&rsquo;on pourrait prendre en additionnant, les voies a&eacute;riennes, ferroviaires, les a&eacute;roports, les cha&icirc;nes h&ocirc;teli&egrave;res, les parcs de loisirs<a href="#nbp_8" id="footnoteref8_hybs0t9" name="lien_nbp_8" title="Marc Augé, Non-lieux&amp;nbsp;: introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Éditions du Seuil, 1992, p.&amp;nbsp;101-102.">8</a>. Les &laquo;&nbsp;non-lieux&nbsp;&raquo;, ces espaces d&rsquo;anonymat qui accueillent chaque jour des individus plus nombreux, sont aussi bien les installations n&eacute;cessaires &agrave; la circulation acc&eacute;l&eacute;r&eacute;e des personnes et des biens, voies rapides, &eacute;changeurs, gare, a&eacute;roports, que les moyens de transport eux-m&ecirc;mes, voitures, trains ou avions<a href="#nbp_9" id="footnoteref9_i2oyxzo" name="lien_nbp_9" title="Ibid., p.&amp;nbsp;1.">9</a>. Ceux que d&eacute;finit Michel Foucault comme des &laquo;&nbsp;h&eacute;t&eacute;rotopies<a href="#nbp_10" id="footnoteref10_5u6sbi6" name="lien_nbp_10" title="Ces lieux en négatif ou en marge de la société se laissent toutefois pénétrer, ils s’ouvrent et se ferment, communiquent et s’isolent. Aussi sont-ils souvent des espaces d’illusion ou de perfection, dotés de leur propre temporalité (hétérochronie). Les hétérotopies comme des espaces intemporels et contradictoires, mouvants et statiques, accessibles et fermés, éternels et contingents, libérateurs et oppresseurs. Les six grands principes des hétérotopies développés par Michel Foucault&amp;nbsp;: 1.&amp;nbsp;Elles sont une constante de tout groupe humain, concernent toutes les sociétés, universalité de l'homme, liée à la crise/la déviance. 2.&amp;nbsp;Elles varient dans le temps d’une société donnée dépendant synchroniquement de la culture dans laquelle elle se trouve, disparitions et apparitions des hétérotopies selon l’évolution de la société (cimetière). 3.&amp;nbsp;Elles ont le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu plusieurs espaces en eux-mêmes incompatibles. 4.&amp;nbsp;Elles ont un rapport au temps particulier (hétérochronie)&amp;nbsp;: rapport particulier au découpage du temps, rupture avec le temps traditionnel. 5.&amp;nbsp;Elles supposent un système d’ouverture et de fermeture qui les isole et les rend pénétrables, rites de passage, non publics. 6.&amp;nbsp;Elles ont une fonction par rapport à l’espace restant. Toute hétérotopie a une fonction vis-à-vis des espaces restants&amp;nbsp;: soit créer un espace d’illusion, soit de compensation.">10</a>&nbsp;&raquo; pour en montrer toutes les ambivalences&nbsp;: des espaces des possibles &agrave; la fois esth&eacute;tique et intellectuel<a href="#nbp_11" id="footnoteref11_bo6pfnr" name="lien_nbp_11" title="Michel Foucault, «&amp;nbsp;Des espaces autres&amp;nbsp;», conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967, Architecture, Mouvement, Continuité, n°&amp;nbsp;5, 1984.">11</a>. Gursky se concentre sur les faces cach&eacute;es de la mondialisation, avec un point de vue distant, en &eacute;tant tout pr&egrave;s de l&rsquo;&eacute;v&egrave;nement tout en n&rsquo;&eacute;tant plus dans le monde r&eacute;el. Depuis le milieu des ann&eacute;es&nbsp;1980, les ports, les salles de concert, les immenses immeubles de bureaux, les vastes halls d&rsquo;h&ocirc;tel de luxe, les immeubles r&eacute;sidentiels, les entrep&ocirc;ts industriels, les centres commerciaux, mais aussi les f&eacute;tiches commerciaux mis en sc&egrave;ne dans les vitrines des grandes marques de mode, font partie de ses sujets. Dans ses immenses vues panoramiques d&rsquo;&eacute;v&egrave;nements de masse sportifs et festifs, de lieux de pouvoir ou de salles des bourses internationales, il saisit la condition humaine &agrave; l&rsquo;&egrave;re postmoderne. Ces lieux repr&eacute;sentent un symbolisme &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de sites o&ugrave; s&rsquo;op&egrave;rent d&rsquo;importantes transactions financi&egrave;res, d&rsquo;espaces r&eacute;pondant &agrave; une logique du spectacle populaire, ou de manifestations dans lesquelles sont expos&eacute;es les angoisses de la soci&eacute;t&eacute; consum&eacute;riste. Le foss&eacute; entre la pauvret&eacute; et la richesse, la mise en regard du d&eacute;nuement et de la surabondance au sein d&rsquo;une culture mondiale de plus en plus globalis&eacute;e ne sauraient gu&egrave;re &ecirc;tre symbolis&eacute;s de mani&egrave;re plus frappante que par la confrontation entre les photographies du luxe dans&nbsp;<em>Parda I</em>&nbsp;(1996) et les d&eacute;charges dans&nbsp;<em>Untitled XIII</em>&nbsp;<em>Mexico&nbsp;</em>(2002). Ces &laquo;&nbsp;lieux communs<a href="#nbp_12" id="footnoteref12_8wpg1db" name="lien_nbp_12" title="Sur cette notion, cf. Bruce Bégout, Suburbia&amp;nbsp;: autour des villes, Paris, Éditions inculte, 2013.">12</a>&nbsp;&raquo; renvoient au monde de la globalisation des &eacute;changes comme dans&nbsp;<em>Chicago Board of Trade II</em>&nbsp;(1999), un site exemplaire de la postmodernit&eacute; o&ugrave; les relations humaines se m&ecirc;lent avec le potentiel de la finance associ&eacute; au flux, &agrave; la rapidit&eacute; et &agrave; la technologie dans une recherche constante de profits, contribuant &agrave; cr&eacute;er un march&eacute; mondial du &laquo;&nbsp;temps boursier&nbsp;&raquo;, une acc&eacute;l&eacute;ration de la finance mondialis&eacute;e aboutissant &agrave; un &laquo;&nbsp;mur du temps<a href="#nbp_13" id="footnoteref13_uu655gr" name="lien_nbp_13" title="Paul Virilio, Le Grand Accélérateur, Paris, Éditions Galilée, 2010.">13</a>&nbsp;&raquo;.</p> <figure><img alt="2.jpg" data-entity-type="" data-entity-uuid="" height="384" src="https://alepreuve.org/sites/default/files/2.jpg" width="700" /> <figcaption>Andreas Gursky,&nbsp;<em>Tokyo</em>, 236.5 x 414.7 cm, 2017.</figcaption> </figure> <p>Le capitalisme est le fruit de progr&egrave;s technologiques, repr&eacute;sentatif de la mobilit&eacute; due &agrave; l&rsquo;expansion des march&eacute;s &eacute;conomiques, &agrave; la colonisation et au d&eacute;veloppement des industries du transport et du tourisme&nbsp;: un univers, o&ugrave; r&egrave;gnent les r&eacute;seaux et la vitesse, la d&eacute;shumanisation et la standardisation du quotidien, avec l&rsquo;angoisse de l&rsquo;&eacute;ternel retour<a href="#nbp_14" id="footnoteref14_jzdxlw9" name="lien_nbp_14" title="Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p.&amp;nbsp;329.">14</a>. Ambivalences entre manifestations de masses &ndash;&nbsp;<em>Dance Valley</em>&nbsp;(1995) &ndash; et extr&ecirc;me individualisation &ndash;&nbsp;<em>Amberg, Siemens</em>&nbsp;(1991)&nbsp;; entre organismes urbains surpeupl&eacute;s et surconstruits &ndash;&nbsp;<em>Copan</em>&nbsp;(2002) &ndash; et espaces de friches urbaines en jach&egrave;res &ndash;&nbsp;<em>Ibiza</em>&nbsp;(2016)&nbsp;; entre monumentalit&eacute;s &ndash;&nbsp;<em>Kamiokande</em>&nbsp;(2007) &ndash; et fractures<em>&nbsp;&ndash; S&atilde;o Paulo, S&eacute;&nbsp;</em>(2002)&nbsp;; entre spectacles grandioses &ndash;&nbsp;<em>Monaco</em>&nbsp;(2004) &ndash; et pr&eacute;cipices de l&rsquo;anonyme &ndash;&nbsp;<em>Library</em>&nbsp;(1999). Tous les &eacute;v&egrave;nements spatio-temporels que le photographe d&eacute;crit existent dans le cadre d&rsquo;un contexte rationnel, voire empirique, aussi global soit-il. En m&ecirc;me temps, ses photographies semblent poser la question du r&ocirc;le de l&rsquo;homme au sein des r&eacute;seaux &eacute;conomiques et culturels mondiaux. Ce sont des lieux sur lesquels l&rsquo;homme semble ne plus avoir prise, comme un d&eacute;filement de paysages, au cours d&rsquo;un transport m&eacute;canis&eacute;, o&ugrave; l&rsquo;&oelig;il habituellement vacille face &agrave; ce temps non rentabilis&eacute; comme dans la photographie intitul&eacute;e&nbsp;<em>Tokyo</em>&nbsp;(2017). Gursky comprime des lieux communs de la vie contemporaine tout en s&rsquo;attachant toujours &agrave; repr&eacute;senter le rapport entre l&rsquo;homme et l&rsquo;espace. S&rsquo;il r&eacute;alise ses photographies de fa&ccedil;ades d&rsquo;architectures, d&rsquo;espaces int&eacute;rieurs, les hommes sont souvent montr&eacute;s &agrave; l&rsquo;&eacute;tat de masses, comme des abstractions ornementales, apparaissant souvent petits et insignifiants, voire totalement absents. Dans&nbsp;<em>Engadin II</em>&nbsp;(2006), les skieurs vus de tr&egrave;s loin sont r&eacute;duits &agrave; de simples points, des points de l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue int&eacute;gr&eacute;s au sc&eacute;nario photographique que Gursky d&eacute;ploie &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle mondiale. Tandis que dans&nbsp;<em>Madonna I</em>&nbsp;(2001), la&nbsp;<em>pop star</em>&nbsp;y appara&icirc;t microscopique debout sur la sc&egrave;ne au milieu d&rsquo;un nuage color&eacute; de fans. Les espaces photographi&eacute;s par Gursky montrent la circulation accrue des hommes et la communication acc&eacute;l&eacute;r&eacute;e des informations qui transforment les espaces en lieux de transit o&ugrave; l&rsquo;individu tend finalement &agrave; dispara&icirc;tre, absorber par la vitesse de la mondialisation. Dans cette grande acc&eacute;l&eacute;ration, les &ecirc;tres humains ne sont qu&rsquo;un &eacute;l&eacute;ment parmi d&rsquo;autres dans un r&eacute;seau tentaculaire, qui se propage &agrave; l&rsquo;infini, comme les &eacute;nergies de la mondialisation d&eacute;pla&ccedil;ant continuellement ses limites. Car le moteur de la globalisation &eacute;conomique est l&rsquo;id&eacute;ologie de la &laquo;&nbsp;croissance&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire le r&eacute;cit d&rsquo;un d&eacute;veloppement exponentiel dont d&eacute;pendrait l&rsquo;avenir de l&rsquo;humanit&eacute;. Pour Jean-Fran&ccedil;ois Lyotard, &laquo;&nbsp;le d&eacute;veloppement n&rsquo;est pas aimant&eacute; par une Id&eacute;e, comme celle d&rsquo;&eacute;mancipation de la raison et de la libert&eacute; humaines. Il se reproduit en s&rsquo;acc&eacute;l&eacute;rant, et en s&rsquo;&eacute;tendant selon sa seule dynamique interne<a href="#nbp_15" id="footnoteref15_ja2nbgs" name="lien_nbp_15" title="Jean-François Lyotard, L’Inhumain&amp;nbsp;: Causerie sur le temps, Paris, Éditions Galilée, 1988, p.&amp;nbsp;14.">15</a>&nbsp;&raquo;. Alors dans cette faillite de l&rsquo;&eacute;chelle humaine, c&rsquo;est l&rsquo;effondrement de la &laquo;&nbsp;dimension humaine&nbsp;&raquo; engloutie par les effets de la mondialisation qui nous est montr&eacute;, comme dans le parc de centrales photovolta&iuml;ques&nbsp;<em>Les M&eacute;es</em>&nbsp;(2016) ou dans le triomphe de la masse et de la multitude d&rsquo;un spectacle musical&nbsp;<em>Cocoon&nbsp;I</em>&nbsp;(2007). Ne reste alors qu&rsquo;un d&eacute;cor immobile, suspendu dans le temps et dans l&rsquo;espace, car l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration du monde nous rend immobiles et la vitesse se transforme en de multiples moments d&rsquo;inertie<a href="#nbp_16" id="footnoteref16_yg1b4dd" name="lien_nbp_16" title="Jérôme Lèbre, Vitesses, Paris, Éditions Hermann, 2011.">16</a>&nbsp;; un processus de th&eacute;&acirc;tralisation qui affecte le monde. Car la vue d&rsquo;ensemble de Gursky est aussi la n&ocirc;tre, comme si nous &eacute;tions perp&eacute;tuellement de &laquo;&nbsp;passage&nbsp;&raquo;, en train de traverser ces sc&egrave;nes, ni vraiment impliqu&eacute;s, ni excessivement conscients de leur port&eacute;e.</p> <p><strong>Spectres de la postmodernit&eacute;</strong></p> <p>Le travail photographique de Gursky implique des sujets d&rsquo;actualit&eacute; li&eacute;s &agrave; notre civilisation globale se situant paradoxalement au carrefour du romantisme par les dimensions, la modernit&eacute; pour le d&eacute;senchantement et le postmodernisme pour l&rsquo;usage de la photographie comme vecteur s&eacute;miologique. Cependant sa d&eacute;marche reste toujours ancr&eacute;e dans le r&eacute;el et le sociologique, mais pas celui de la reproduction qui est presque toujours d&eacute;tach&eacute;e de son objet imm&eacute;diat. Gursky est un photographe de l&rsquo;&egrave;re de la mondialisation, un t&eacute;moin de notre soci&eacute;t&eacute; qui vit un &laquo;&nbsp;passage d&rsquo;&eacute;poque&nbsp;&raquo;, qui fait face &agrave; une nouvelle esp&egrave;ce de catastrophes en voie d&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration, o&ugrave; la perception de l&rsquo;espace et du temps est en train de se modifier. Ce sentiment v&eacute;cu sur le mode de l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration traduit une nouvelle dynamique du monde faite d&rsquo;encha&icirc;nements de faits et de situations in&eacute;dites. Ce que Zaki La&iuml;di d&eacute;finit comme &laquo;&nbsp;le temps mondial<a href="#nbp_17" id="footnoteref17_3mq2bd1" name="lien_nbp_17" title="Zaki Laïdi, Le Temps mondial&amp;nbsp;: enchaînements, disjonctions et médiations, Paris, Fondation nationale des sciences politiques, Centre d’études et de recherches internationales, 1996.">17</a>&nbsp;&raquo;, dans un univers liquide, fluide et tentaculaire, qui d&eacute;fie toute id&eacute;e de repr&eacute;sentation. Dans son travail photographique, l&rsquo;artiste tente de traduire cette &laquo;&nbsp;modernit&eacute; liquide<a href="#nbp_18" id="footnoteref18_a6baj5a" name="lien_nbp_18" title="L’analyse de Zygmunt Bauman qui place le développement de la technique et sa complexification au centre, propose de mettre en relation l’expansion du numérique avec la situation inédite face à laquelle se trouve aujourd’hui confrontée l’humanité. L’auteur livre ainsi un regard critique à propos du rôle prédominant qu’ont acquis le web et des réseaux sociaux (qu’il qualifie de «&amp;nbsp;toxiques&amp;nbsp;») ces dernières années et leur corollaire, la «&amp;nbsp;data economy&amp;nbsp;». En effet,&amp;nbsp;l’économie est aujourd’hui gouvernée par les algorithmes et un usage croissant des données personnelles pour influencer les comportements des individus considérés comme de simples consommateurs. Cf. Zygmunt Bauman. Vies perdues&amp;nbsp;: la modernité et ses exclus, Paris, Payot &amp;amp; Rivages, 2009.">18</a>&nbsp;&raquo; pour d&eacute;finir un monde postmoderne r&eacute;gi par l&rsquo;imm&eacute;diatet&eacute; et la communication acc&eacute;l&eacute;r&eacute;e des &eacute;changes, qui &eacute;rode les liens entre les hommes en r&eacute;v&eacute;lant la fragilit&eacute; d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; fond&eacute;e d&eacute;sormais sur l&rsquo;individualisme et la vitesse d&rsquo;un changement perp&eacute;tuel&nbsp;; et nous sommes d&eacute;sormais sous l&rsquo;effet de la triple acc&eacute;l&eacute;ration de la postmodernit&eacute; troisi&egrave;me modernit&eacute; qui &eacute;volue au rythme des innovations technologiques.</p> <figure><img alt="3.jpg" data-entity-type="" data-entity-uuid="" height="522" src="https://alepreuve.org/sites/default/files/3.jpg" width="350" /> <figcaption>Andreas Gursky,&nbsp;<em>Rimini</em>, 298.1 x 207 cm</figcaption> </figure> <figure><img alt="4.jpg" data-entity-type="" data-entity-uuid="" height="518" src="https://alepreuve.org/sites/default/files/4.jpg" width="350" /> <figcaption> <p>Andreas Gursky,&nbsp;<em>Nha Trang</em>, 295.5 x 207 cm, 2004.</p> <p>&nbsp;</p> </figcaption> </figure> <p>Car l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration est une dimension constitutive du mode de production et de consommation d&rsquo;une &eacute;conomie globale, recherche de profit, productivit&eacute;, augmentation de la quantit&eacute; produite par unit&eacute; de temps&nbsp;: l&rsquo;expression &laquo;&nbsp;<em>time is money</em>&nbsp;&raquo; exprime le lien entre l&rsquo;&eacute;conomie capitaliste et le temps. C&rsquo;est un message clair sur la vitesse de la monnaie et ses effets d&eacute;sordonn&eacute;s sur l&rsquo;&eacute;conomie mondiale. Le march&eacute; absorbe de vastes vagues de capitaux et les rejette dans une logique qui lui est propre. La vitesse du monde renvoie &agrave; l&rsquo;&eacute;mergence de la mondialisation, du tourisme de masse comme dans&nbsp;<em>Rimini</em>&nbsp;(2003), o&ugrave; les parasols align&eacute;s sur une plage dessinent une procession pr&eacute;visible, rationnelle et apparemment sans fin.&nbsp;Cette grande acc&eacute;l&eacute;ration, synonyme du n&eacute;o-lib&eacute;ralisme, comme le montre la photographie&nbsp;<em>Nha Trang</em>&nbsp;(2004) o&ugrave; des centaines de femmes vietnamiennes fabriquent &agrave; la main du mobilier Ikea dans une usine ou dans&nbsp;<em>Salerno I&nbsp;</em>(1990) o&ugrave; des centaines de v&eacute;hicules attendent leur embarcation &agrave; destination de contr&eacute;es lointaines. La vitesse sugg&egrave;re aussi l&rsquo;industrialisation &agrave; grande &eacute;chelle, avec l&rsquo;&eacute;levage intensif et excessif comme&nbsp;<em>Greeley</em>&nbsp;(2002) ou&nbsp;<em>Beelitz</em>&nbsp;(2007), mais aussi la d&eacute;gradation de l&rsquo;environnement, comme dans&nbsp;<em>Bangkok IX&nbsp;</em>(2011) o&ugrave; les rives qui traversent la capitale tha&iuml;landaise sont pollu&eacute;es &agrave; un niveau &eacute;lev&eacute;, ou dans&nbsp;<em>El Ejido</em>&nbsp;(2017) montrant des milliers de d&eacute;chets se propageant avec les vents. Le changement climatique illustr&eacute; par la photographie&nbsp;<em>Antarctic</em>&nbsp;(2010), un continent en son centre d&rsquo;une blancheur rugueuse semblant &eacute;merger comme un signe apocalyptique, avec toute la beaut&eacute; de ses d&eacute;tails, mais subissant les signes avant-coureurs du r&eacute;chauffement climatique, qui pourrait bien &ecirc;tre &laquo;&nbsp;l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;rateur du XXI<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, en pr&eacute;cipitant les contradictions du capitalisme tardif<a href="#nbp_19" id="footnoteref19_ydyyrri" name="lien_nbp_19" title="Andreas Malm, L’Anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’ère du capital, Paris, La Fabrique, 2017, p.&amp;nbsp;192.">19</a>&nbsp;&raquo;. L&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration des technologies et des &eacute;changes financiers dans les salles de march&eacute;, c&rsquo;est ce que l&rsquo;on d&eacute;couvre en regardant l&rsquo;image de la&nbsp;<em>Tokyo Stock Exchange</em>&nbsp;(1990), o&ugrave; l&rsquo;on se perd dans un mirage d&rsquo;&eacute;changes entre op&eacute;rateurs et n&eacute;gociants, pareils &agrave; une soci&eacute;t&eacute; d&rsquo;insectes, illustrant le chaos du march&eacute; lib&eacute;ral. Vertige de la communication, avec les images des &eacute;normes spectacles chor&eacute;graphi&eacute;s en Cor&eacute;e du Nord dans&nbsp;<em>Pyongyang</em>&nbsp;(2007), qui se heurtent &agrave; des &eacute;v&egrave;nements culturels occidentaux tels les concerts&nbsp;<em>Tote Hosen</em>&nbsp;(2000), &agrave; des &eacute;v&egrave;nements sportifs de boxe dans&nbsp;<em>Klitschko</em>&nbsp;(1999) ou de football dans&nbsp;<em>Amsterdam, EM Arena&nbsp;I</em>&nbsp;(2000) ou encore de cyclisme dans&nbsp;<em>Tour de France&nbsp;</em>(2007). L&rsquo;intensification d&rsquo;un capitalisme sans scrupule envahit la soci&eacute;t&eacute; de consommation &agrave; l&rsquo;image de la photographie&nbsp;<em>99&nbsp;Cent</em>&nbsp;(1999) qui montre les rang&eacute;es d&rsquo;articles regroup&eacute;s et dispos&eacute;s selon une logique rationnelle dans les all&eacute;es d&rsquo;un supermarch&eacute; s&rsquo;&eacute;talant en une succession de lignes horizontales se perdant &agrave; l&rsquo;infini. Dans&nbsp;<em>Amazon</em>&nbsp;(2016) c&rsquo;est l&rsquo;int&eacute;rieur de l&rsquo;un des &eacute;normes entrep&ocirc;ts du g&eacute;ant am&eacute;ricain de la vente au d&eacute;tail avec son ordre st&eacute;rile et ses &eacute;tag&egrave;res infinies de produits, que photographie Gursky, comme s&rsquo;il voulait nous montrer les &eacute;conomies d&rsquo;&eacute;chelle vues non par les consommateurs, car contenant et contenu sont d&eacute;finis de fa&ccedil;on similaire. Le facteur d&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration renvoie aussi aux limitations humaines et &agrave; la d&eacute;personnalisation, ce que Gursky nous montre dans les bourses d&rsquo;&eacute;changes telles que&nbsp;<em>Kuwait Stock Exchange&nbsp;</em>(2000),&nbsp;<em>Mayday&nbsp;V</em>&nbsp;(2006) ou&nbsp;<em>Dortmund</em>&nbsp;(2009), des sites qui deviennent des ruches effrayantes d&rsquo;individus qui vus &agrave; la bonne distance apparaissent tous identiques, car mus par les m&ecirc;mes valeurs dans des comportements qui &eacute;vident la personne.</p> <figure><img alt="5.jpg" data-entity-type="" data-entity-uuid="" height="681" src="https://alepreuve.org/sites/default/files/5.jpg" width="480" /> <figcaption>Andreas Gursky,&nbsp;<em>Pyongyang</em>, 305 x 206 cm, 2007.</figcaption> </figure> <p>Dans ses images, c&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment la finitude qui est montr&eacute;e, mais dans un sens contemporain, voire sociologique. Nous ne sommes, de son point de vue d&rsquo;&eacute;thologue, que d&rsquo;infimes particules d&rsquo;une esp&egrave;ce end&eacute;mique, fr&eacute;quemment entropique tout du moins &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de son environnement et des individus composant le tout normatif. L&rsquo;humanit&eacute; dessine un monde &agrave; sa ressemblance, nous sugg&egrave;re Gursky. Ce sentiment d&rsquo;impuissance individuelle va ainsi de pair avec les effets av&eacute;r&eacute;s et massifs de l&rsquo;esp&egrave;ce, tandis que la techno-structure g&eacute;n&eacute;r&eacute;e par celle-ci appara&icirc;t incontr&ocirc;lable. Impuissant face &agrave; un syst&egrave;me &eacute;conomique informatis&eacute; dont les d&eacute;cisions reposent sur des algorithmes capables d&rsquo;effectuer des op&eacute;rations &agrave; la vitesse de la lumi&egrave;re, l&rsquo;homme est &agrave; la fois spectateur et victime de sa propre infrastructure. Un monde dans lequel l&rsquo;individu anonyme se trouve submerg&eacute; par l&rsquo;environnement impersonnel parmi tant d&rsquo;autres. L&rsquo;individu passe d&rsquo;un milieu clos &agrave; un autre<a href="#nbp_20" id="footnoteref20_ufhcd47" name="lien_nbp_20" title="Gilles Deleuze, «&amp;nbsp;Post-scriptum sur les sociétés de contrôle&amp;nbsp;», L’autre journal, n°&amp;nbsp;1, mai&amp;nbsp;1990, repris dans Pourparlers (1972-1990), Paris, Les Éditions de Minuit, 2003, p.&amp;nbsp;240.">20</a>, il ne semble jamais pouvoir s&rsquo;extirper de la mainmise institutionnelle et sociale, m&ecirc;me en agissant &agrave; ciel ouvert.</p> <p><strong>Processus &agrave; la sophistication capitaliste</strong></p> <p>Le sujet, mais aussi les choix formels de la photographie de Gursky, semble &ecirc;tre un moyen particuli&egrave;rement appropri&eacute; pour reproduire visuellement la mondialisation, le capital, ses &eacute;changes et son acc&eacute;l&eacute;ration, mais aussi pour enqu&ecirc;ter sur la relation entre l&rsquo;imagerie, le capitalisme et le postmodernisme. Le postmodernisme &laquo;&nbsp;est la consommation de la pure marchandise en tant que processus<a href="#nbp_21" id="footnoteref21_0tiboeg" name="lien_nbp_21" title="Fredric Jameson, Postmodernism, or, the Cultural Logic of Late Capitalism, Durham, Duke University Press, 1991.">21</a>&nbsp;&raquo;, comme le processus artistique utilis&eacute; par Gursky. Car &laquo;&nbsp;la boucle du capital, commerce, spectacle et surface r&eacute;p&eacute;t&eacute;e de Gursky est clairement un commentaire sur les conditions de la postmodernit&eacute;<a href="#nbp_22" id="footnoteref22_x512tiz" name="lien_nbp_22" title="Alan Gilbert, Another Future&amp;nbsp;: Poetry and Art in a Postmodern Twilight, Middletown, Wesleyan University Press, 2006, p.&amp;nbsp;134.">22</a>&nbsp;&raquo;. Gursky prolonge l&rsquo;approche documentaire de ses ma&icirc;tres Bernd et Hilla Becher en capturant le monde contemporain sous une autre forme, une composition intrigante rendue possible par un montage photographique devenu le style iconique du photographe.</p> <figure><img alt="6.jpg" data-entity-type="" data-entity-uuid="" height="692" src="https://alepreuve.org/sites/default/files/6.jpg" width="450" /> <figcaption>Andreas Gursky,&nbsp;<em>Shanghai</em>, 280 x 200 cm, 2000.</figcaption> </figure> <p>Le lien entre l&rsquo;image de Gursky et le capitalisme peut expliquer la pertinence de son processus de production. Depuis les ann&eacute;es&nbsp;1990, le photographe int&egrave;gre la manipulation num&eacute;rique &agrave; ses m&eacute;thodes de travail. Au d&eacute;but, il utilisait l&rsquo;ordinateur uniquement comme outil de retouche, mais il a rapidement commenc&eacute; &agrave; red&eacute;ployer le mat&eacute;riau brut de ses n&eacute;gatifs avec une libert&eacute; imaginative, voire flamboyante. La m&eacute;thode de Gursky implique des processus informatiques, utilisant des images analogiques en les scannant num&eacute;riquement ou produisant ses photographies num&eacute;riquement avant de les manipuler&nbsp;: un processus qui compresse un monde d&rsquo;&eacute;change en une image &agrave; m&eacute;diation &eacute;lectronique, avant de le convertir en un objet physique<a href="#nbp_23" id="footnoteref23_467pwww" name="lien_nbp_23" title="Peter Galassi, «&amp;nbsp;Gursky’s World&amp;nbsp;», Andreas Gursky, Ostfildern-Ruit, Hatje Cantz, 2001, p.&amp;nbsp;38-39.">23</a>. Ce changement diff&eacute;rencie la photographie num&eacute;rique de la photographie analogique. Comme la photographie analogique implique des processus photochimiques, ce qui peut &ecirc;tre impr&eacute;visible, il existe un &eacute;l&eacute;ment de pr&eacute;visualisation de la part du photographe, car l&rsquo;image finale doit &ecirc;tre imagin&eacute;e avant que la photographie ne soit prise et d&eacute;velopp&eacute;e. La photographie num&eacute;rique implique toutefois &laquo;&nbsp;la pr&eacute;cision absolue, la pr&eacute;visibilit&eacute; et les limites nettes de sa grille num&eacute;rique<a href="#nbp_24" id="footnoteref24_1tuelj1" name="lien_nbp_24" title="Sean Cubitt, Daniel Palmer, et Les Walkling, «&amp;nbsp;Enumerating Photography from Spot Meter to CCD&amp;nbsp;», Theory, Culture &amp;amp; Society, vol.&amp;nbsp;32, n°&amp;nbsp;7-8, 2015, p.&amp;nbsp;255.">24</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;; ce qui signifie que la photographie est toujours m&eacute;diatis&eacute;e &agrave; travers une s&eacute;rie de calculs math&eacute;matiques pr&eacute;d&eacute;termin&eacute;s d&rsquo;algorithmes, dont la dur&eacute;e temporelle du flux de lumi&egrave;re est condens&eacute;e en une unit&eacute; num&eacute;rique unique pouvant &ecirc;tre manipul&eacute;e facilement<a href="#nbp_25" id="footnoteref25_ii34k1p" name="lien_nbp_25" title="Sean Cubitt, The Practice of Light&amp;nbsp;: A Genealogy of Visual Technologies from Prints to Pixels, Cambridge, MA and London, The MIT Press, 2014, p.&amp;nbsp;104-111.">25</a>. Cette quantification ou ratiocination est un principe fondamental des syst&egrave;mes informatiques, notamment de la technologie num&eacute;rique<a href="#nbp_26" id="footnoteref26_4gkgnhq" name="lien_nbp_26" title="David Golumbia, The Cultural Logic of Computation, Cambridge, MA and London, Harvard University Press, 2009.">26</a>. Ces photographies manipul&eacute;es num&eacute;riquement, satur&eacute;es par les couleurs et les d&eacute;tails d&rsquo;un monde grouillant, aux courbes g&eacute;om&eacute;triques, droites et anguleuses, entre le flou boug&eacute; et le vertige de la r&eacute;p&eacute;tition uniformis&eacute;e, portent les traces de proc&eacute;dures d&rsquo;imagerie num&eacute;rique, qui font &eacute;cho structurellement &agrave; une image&nbsp;<em>bitmap</em>&nbsp;&ndash; une image num&eacute;rique constitu&eacute;e d&rsquo;une matrice de pixels rectangulaires. L&rsquo;imposante sym&eacute;trie frontale d&rsquo;images telles que&nbsp;<em>Paris, Montparnasse</em>&nbsp;(1993),&nbsp;<em>Untitled V</em>&nbsp;(1997) et&nbsp;<em>Shanghai</em>&nbsp;(2000) est le produit d&rsquo;une fusion inventive de description directe et d&rsquo;invention num&eacute;rique. Ses images d&eacute;crivent des lieux communs qui n&rsquo;existent pas r&eacute;ellement, et c&rsquo;est par la manipulation num&eacute;rique que le photographe nettoie ces lieux communs pour obtenir une vision personnelle dans une sophistication capitaliste, puisque la th&eacute;orie de l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;rationnisme repose grandement sur l&rsquo;omnipr&eacute;sence des technologies num&eacute;riques. Pour obtenir ses r&eacute;sultats, Gursky compose plusieurs images pour former l&rsquo;apparence d&rsquo;un ensemble homog&egrave;ne, et sa m&eacute;thode de production consiste en de nombreuses prises de vues combin&eacute;es auxquelles sont apport&eacute;es de l&eacute;g&egrave;res modifications&nbsp;: une production hybride d&rsquo;images composites, &agrave; l&rsquo;image de la complexit&eacute; du capitalisme globalis&eacute; et de sa structure relationnelle en r&eacute;seau qui ne peut &ecirc;tre comprise en r&eacute;f&eacute;rence &agrave; une seule image. Ces photographies sont au sens strict des synth&egrave;ses, combinant photographie analogique et traitement num&eacute;rique d&rsquo;images dans des formats gigantesques compos&eacute;s num&eacute;riquement &agrave; partir d&rsquo;une s&eacute;rie de plusieurs plans, qui renvoient &agrave; l&rsquo;univers dont elle traite. L&rsquo;artiste met sciemment &agrave; profit les possibilit&eacute;s offertes par le traitement num&eacute;rique de l&rsquo;image, non pas pour inventer ses motifs, mais pour souligner les effets visuels qu&rsquo;il recherche. Des images aux compositions &agrave; la domination g&eacute;om&eacute;trique, tendant vers l&rsquo;abstraction o&ugrave; il se joue quelque chose d&rsquo;autre qu&rsquo;une simple mise en garde face &agrave; la vacuit&eacute; de nos soci&eacute;t&eacute;s devenues frivoles&nbsp;; comme dans l&rsquo;abstraction de la photographie intitul&eacute;e&nbsp;<em>Bahrain&nbsp;I</em>&nbsp;(2005) o&ugrave; les conditions m&ecirc;mes de d&eacute;finition de l&rsquo;abstrait sont la caract&eacute;ristique m&ecirc;me de l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration du monde&nbsp;: l&rsquo;abstraction de la mondialisation et la rationalit&eacute; du capitalisme, repr&eacute;sentant l&rsquo;abstraction de la r&eacute;alit&eacute; mat&eacute;rielle associ&eacute;e aux &eacute;changes mondiaux dans laquelle le capital a atteint sa d&eacute;mat&eacute;rialisation ultime.</p> <figure><img alt="7.jpg" data-entity-type="" data-entity-uuid="" height="681" src="https://alepreuve.org/sites/default/files/7.jpg" width="480" /> <figcaption>Andreas Gursky,&nbsp;<em>Bahrain I</em>, 301.9 x 219.7 cm, 2005.</figcaption> </figure> <p>La tension et l&rsquo;effet tr&egrave;s frappants dans de nombreuses photographies reposent sur la visualisation simultan&eacute;e de la structure et du d&eacute;tail des diff&eacute;rents motifs. Le photographe montre les &eacute;conomies d&rsquo;&eacute;chelle d&eacute;j&agrave; pr&eacute;sentes dans le syst&egrave;me capitaliste, et la composition du microcosme au macrocosme renforce ainsi l&rsquo;illogisme de la perception produit par l&rsquo;aller-retour entre la structure quasi ornementale de l&rsquo;ensemble et la profusion de d&eacute;tails&nbsp;; ce qui appara&icirc;t dans les rassemblements de masse de Cor&eacute;e du Nord comme dans&nbsp;<em>Pyongyang&nbsp;VII</em>&nbsp;(2007). Certains dispositifs formels, tels que les grilles, repr&eacute;sentent les forces organisationnelles de la mondialisation. Gursky utilise plusieurs dispositifs de composition notamment les structures de grille, la taille de l&rsquo;image et la profondeur du champ. Ces aspects contribuent &agrave; l&rsquo;objectivit&eacute;, car ils r&eacute;duisent l&rsquo;accent mis sur l&rsquo;exp&eacute;rience subjective du spectateur en contribuant ainsi &agrave; l&rsquo;interpr&eacute;tation d&rsquo;arch&eacute;types id&eacute;aux dans ses images<a href="#nbp_27" id="footnoteref27_2d817im" name="lien_nbp_27" title="Frederik Stjernfelt, «&amp;nbsp;Ideal Types Made Visible&amp;nbsp;», Andreas Gursky at Louisiana, Ostfildern, Hatje Cantz, 2012, p.&amp;nbsp;111-115.">27</a>. De m&ecirc;me que la pr&eacute;sence de la grille r&eacute;v&egrave;le la pr&eacute;dominance de la pens&eacute;e rationalis&eacute;e, la grille &eacute;tant &laquo;&nbsp;un point d&rsquo;appui dans le type d&rsquo;&eacute;conomie ax&eacute; sur des proc&eacute;dures standards optimis&eacute;es dans diff&eacute;rents domaines<a href="#nbp_28" id="footnoteref28_9p93x7s" name="lien_nbp_28" title="Martin Hentschel,&amp;nbsp;«&amp;nbsp;The Totality of the World, Viewed in Its Component Forms&amp;nbsp;: Andreas Gursky’s Photographs 1980 to 2008&amp;nbsp;», Andreas Gursky&amp;nbsp;: Werke/Works 80–08, Ostfildern, Hatje Cantz, 2008, p.&amp;nbsp;29.">28</a>&nbsp;&raquo;. Ce dispositif formel devient un symbole pour les principes centr&eacute;s sur la raison instrumentale et l&rsquo;efficacit&eacute; &eacute;conomique. La composition photographique, avec sa r&eacute;p&eacute;tition presque &agrave; l&rsquo;infini de lignes color&eacute;es, montre une certaine g&eacute;om&eacute;trie o&ugrave; rien n&rsquo;est laiss&eacute; au hasard&nbsp;: tout est ordonn&eacute;, rien ne peut &eacute;chapper &agrave; cet exc&egrave;s d&rsquo;ordre. On retrouve ici une constante dans les &oelig;uvres de Gursky, par l&rsquo;usage de la r&eacute;p&eacute;tition qui vient &laquo;&nbsp;inqui&eacute;ter&nbsp;&raquo; le paysage. Beaucoup de d&eacute;tails apparaissent, mais en m&ecirc;me temps, ils sont noy&eacute;s dans un champ homog&egrave;ne et r&eacute;p&eacute;titif. Ces structures formelles renforcent encore davantage le mod&egrave;le de visualisation dynamique, encouragent la circulation visuelle, en invitant &agrave; une activit&eacute; oculaire, en compl&eacute;ment du dynamisme implicite des transactions de la mondialisation.</p> <p>Gursky sature les couleurs, ce qui accentue le rythme de l&rsquo;action. Cette pro&eacute;minence de couleurs primaires fait allusion &agrave; un ordre coh&eacute;rent sous-jacent &agrave; ses sc&egrave;nes photographi&eacute;es. Les photographies sont satur&eacute;es de d&eacute;tails aux couleurs tr&egrave;s vives et tr&egrave;s contrast&eacute;es, au point de nous agresser visuellement&nbsp;; renfor&ccedil;ant d&rsquo;embl&eacute;e la sophistication de l&rsquo;espace semblant bien trop accentu&eacute;e pour &ecirc;tre r&eacute;elle, rappelant les contrastes color&eacute;s des cartes postales peu co&ucirc;teuses produites en masse. Les couleurs satur&eacute;es et les surfaces brillantes soulignent &laquo;&nbsp;l&rsquo;urbanisme en d&eacute;sordre et fragment&eacute;&nbsp;&raquo; qui caract&eacute;rise la vie contemporaine et les processus de la mondialisation<a href="#nbp_29" id="footnoteref29_d9kmnsx" name="lien_nbp_29" title="Francesca Ferguson, «&amp;nbsp;Andreas Gursky and the Urban Age&amp;nbsp;», Andreas Gursky&amp;nbsp;: Architecture, Ostfildern, Hatje Cantz, 2008, p.&amp;nbsp;22.">29</a>. Les masses de formes color&eacute;es semblent d&eacute;border des limites de la photographie. Comme souvent, certains &eacute;l&eacute;ments repr&eacute;sent&eacute;s vers les bords sont recadr&eacute;s, ce qui implique une extension de la sc&egrave;ne au-del&agrave; des bords du cadre. Interpr&eacute;t&eacute; m&eacute;taphoriquement, ce dispositif de cadrage indique une incapacit&eacute; &agrave; repr&eacute;senter l&rsquo;&eacute;tendue du r&eacute;seau capitaliste au sein d&rsquo;une image singuli&egrave;re&nbsp;; et plut&ocirc;t que de repr&eacute;senter la totalit&eacute; de ces connexions, cela ne peut &ecirc;tre qu&rsquo;implicite.</p> <p>Les images de Gursky op&egrave;rent une compression m&eacute;taphorique de la distance, parall&egrave;le &agrave; la totalit&eacute; de l&rsquo;&eacute;conomie mondiale mise en r&eacute;seau. La perspective l&eacute;g&egrave;rement en plong&eacute;e donne un regard bien particulier et in&eacute;dit sur ce type de lieux. G&eacute;n&eacute;ralement prises depuis un point de vue &eacute;lev&eacute;, les images de prime abord distantes et au point de vue impartial, mais omniscient cr&eacute;ent une vaste toile, qui donnent l&rsquo;impression de tout englober, jusqu&rsquo;&agrave; une sensation de vertige<a href="#nbp_30" id="footnoteref30_41bqhih" name="lien_nbp_30" title="«&amp;nbsp;Le vertige, c’est l’état de vacillement que nous cherchons à apprivoiser, à habiter. Nous pensons à un état de vertige où nous parviendrions à nous tenir dans un repère de coordonnées mouvantes, de migrances, d’instabilité […]. Le vertige est un motif de transformation, de vacillement, de mouvement. Le vertige est une sensation inquiétante que nous devons apprendre à apprivoiser. Vivre dans la quiétude de ce qui est inquiet&amp;nbsp;», Camille de Toledo, Aliocha Imhoff, et Kantuta Quirós. Les Potentiels du temps&amp;nbsp;: art &amp;amp; politique, op.&amp;nbsp;cit., p.&amp;nbsp;271.">30</a>. Le jeu des &eacute;carts entre la pr&eacute;cision microscopique de chaque d&eacute;tail, face &agrave; la grandiloquence d&rsquo;une photographie aux dimensions plus proches de la peinture historique, renvoie &agrave; une sensation icarienne d&rsquo;image-satellite, ou de carte g&eacute;ographique qui rappelle sans conteste les peintures de Peter Bruegel ou de J&eacute;r&ocirc;me Bosch, dont les fresques d&eacute;j&agrave; grandioses pour l&rsquo;&eacute;poque, sont &agrave; l&rsquo;image de ce qu&rsquo;indique Christine Buci-Glucksmann<a href="#nbp_31" id="footnoteref31_yoo0ny1" name="lien_nbp_31" title="Christine Buci-Glucksmann, L’Œil cartographique de l’art, Paris, Galilée, 1996.">31</a>&nbsp;: elles donnent une impression de globalisation de l&rsquo;espace vu depuis l&rsquo;&oelig;il du divin, &laquo;&nbsp;car voir le monde d&rsquo;en haut dans ses d&eacute;tails les plus infimes d&eacute;finit l&rsquo;empire d&rsquo;un Dieu omnivoyant<a href="#nbp_32" id="footnoteref32_95t1tzj" name="lien_nbp_32" title="Ibid., p.&amp;nbsp;17.">32</a>&nbsp;&raquo;. La composition globale d&eacute;tourne ainsi l&rsquo;image de la r&eacute;alit&eacute; en niant l&rsquo;autorit&eacute; ou la possibilit&eacute; d&rsquo;un seul point de vue. Tous ces espaces sont observ&eacute;s sous ce m&ecirc;me regard m&eacute;canique et indiff&eacute;rent, celui d&rsquo;un dieu assistant narquois &agrave; toute l&rsquo;agitation d&eacute;risoire&nbsp;de cette vue fantasm&eacute;e et dominante&nbsp;:</p> <p><q>Si bien que ce regard sans centre ni horizon d&eacute;finit d&rsquo;embl&eacute;e un espace abstrait-concret et un va-et-vient permanent entre regard esth&eacute;tique et emprise politique. Une des g&eacute;n&eacute;alogies possibles du &laquo;&nbsp;regard panoptique&nbsp;&raquo; selon Foucault, bien avant son origine classique. Car pour tout voir, de toutes les mani&egrave;res, pour surveiller et contr&ocirc;ler le monde, une carte suffit<a href="#nbp_33" id="footnoteref33_r3e4nc9" name="lien_nbp_33" title="Ibid., p.&amp;nbsp;24.">33</a>.</q></p> <p>L&rsquo;action, dans chaque photographie, implique &eacute;galement de r&eacute;partir l&rsquo;attention du spectateur sur la photographie. Diss&eacute;min&eacute;s dans l&rsquo;image, les &eacute;l&eacute;ments incitent le regard du spectateur &agrave; circuler jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;&eacute;tourdissement, &agrave; l&rsquo;image de la rapidit&eacute; avec laquelle les informations deviennent obsol&egrave;tes&nbsp;: les d&eacute;tritus mat&eacute;riels du capital immat&eacute;riel. De m&ecirc;me que certaines images sont accentu&eacute;es par un certain flou r&eacute;sultant de la faible vitesse d&rsquo;obturation de Gursky&nbsp;; le flou du mouvement qui indique le rythme et l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration des &eacute;changes et des flux de la mondialisation. Gursky choisit l&rsquo;horizon comme &laquo;&nbsp;notion strat&eacute;gique&nbsp;&raquo; au sens de Michel Foucault, pour transmettre un sentiment de compression de l&rsquo;espace-temps. En aplatissant la profondeur de champ dans ses images, il r&eacute;duit la puissance de l&rsquo;horizon jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;effacer d&eacute;finitivement, cr&eacute;ant ainsi un nouveau sens de la perspective, en donnant une surface plate &agrave; ses images photographiques comme des instants de vide, cr&eacute;ant un vertige abyssal qui invite &agrave; un nouveau rapport, &agrave; une nouvelle conscience du monde. Car la perspective de Gursky est tr&egrave;s impersonnelle, comme si ce genre d&rsquo;espace ne pouvait s&eacute;cr&eacute;ter autre chose que de la distance, soit envers les personnes qu&rsquo;on est susceptible d&rsquo;y rencontrer et qui se dissimulent dans le fouillis de marchandises, soit dans notre rapport aux choses m&ecirc;mes. Le monde de Gursky ne se d&eacute;tourne plus du spectateur, mais il est &agrave; son attention, plat, illumin&eacute;, renforc&eacute; par la mise au point nette que Gursky obtient dans ses photographies. Cette clart&eacute; visuelle r&eacute;duisant la distance de perspective implicite dans ses photographies, les d&eacute;tails de l&rsquo;avant-plan et de l&rsquo;arri&egrave;re-plan &eacute;tant rendus avec la m&ecirc;me clart&eacute;. Ses photographies sont en surface insaisissables&nbsp;: selon l&rsquo;artiste, son approche du monde est de nature ph&eacute;nom&eacute;nologique et s&rsquo;int&eacute;resse &agrave; l&rsquo;aspect ext&eacute;rieur du monde, &agrave; sa surface tactile, tout en gardant &agrave; l&rsquo;esprit une description exacte du monde. Ramenant le regard du spectateur &agrave; la surface, les photographies de Gursky t&eacute;moignent de la profondeur picturale et s&eacute;miotique du postmodernisme. L&rsquo;absence de profondeur fait r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la superficialit&eacute; accrue du monde postmoderne, selon laquelle toute profondeur implicite dans une image est drain&eacute;e et o&ugrave; le centre focal est tourn&eacute; vers la surface, mettant ainsi l&rsquo;accent sur la qualit&eacute; ou sur la sup&eacute;riorit&eacute; litt&eacute;rale et m&eacute;taphorique<a href="#nbp_34" id="footnoteref34_ga7ng9p" name="lien_nbp_34" title="Fredric Jameson, Postmodernism, or, the Cultural Logic of Late Capitalism, op.&amp;nbsp;cit., p.&amp;nbsp;9.">34</a>. Car contrairement &agrave; l&rsquo;image moderniste, l&rsquo;image postmoderne ne permet pas au spectateur de reconstituer un monde au-del&agrave; de lui-m&ecirc;me, mais se confronte &agrave; une surface obstin&eacute;e. Ce sens global de la perspective &eacute;voque &laquo;&nbsp;l&rsquo;espace lisse<a href="#nbp_35" id="footnoteref35_6irewt5" name="lien_nbp_35" title="«&amp;nbsp;L’espace lisse est occupé par des événements ou heccéités, beaucoup plus que par des choses formées et perçues. C’est un espace d’affects, plus que de propriétés. C’est une perception haptique, plutôt qu’optique. Alors que dans le strié les formes organisent une matière, dans le lisse des matériaux signalent des forces ou leur servent de symptômes. C’est un espace intensif, plutôt qu’extensif, de distances et non pas de mesures. Spatium intense au lieu d’Extensio. Corps sans organe, au lieu d’organisme et d’organisation. La perception y est faite de symptômes et d’évaluations, plutôt que de mesures et de propriétés. C’est pourquoi ce qui occupe l’espace lisse, ce sont les intensités, les bruits, les forces et les qualités tactiles et sonores, comme dans le désert, la steppe ou les glaces. Craquement de la glace et chant des sables&amp;nbsp;», Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, mille plateaux, op.&amp;nbsp;cit., p.&amp;nbsp;598.">35</a>&nbsp;&raquo; de la mondialisation d&eacute;crit par Mich&aelig;l Hardt et Antonio Negri dans&nbsp;<em>Empire&nbsp;</em>(2004)<a href="#nbp_36" id="footnoteref36_pjg53y4" name="lien_nbp_36" title="Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, Paris, 10-18, 2004.">36</a>. C&rsquo;est l&rsquo;espace lisse insaisissable, celui qui ne peut &ecirc;tre saisi dans sa globalit&eacute; tant il est &eacute;tendu, &agrave; la finitude incertaine. Pas de limites, cet espace est ouvert, d&eacute;territorialis&eacute;, o&ugrave; les fronti&egrave;res n&rsquo;y ont plus cours permettant &eacute;changes interculturels ou marchands.</p> <p>Gursky, qui est historiquement affili&eacute; &agrave; la photographie objective allemande et l&rsquo;&Eacute;cole de D&uuml;sseldorf, est formellement proche de ce courant, mais sur le fond il se rapproche davantage d&rsquo;une certaine forme de romantisme en particulier s&rsquo;agissant du sentiment du sublime. Gursky n&rsquo;est &eacute;videmment pas un romantique sur le fond, il n&rsquo;y a, pour ainsi dire, aucune empathie, ni sentiment de communion avec la Nature ou une forme profane du sacr&eacute;, encore moins de m&eacute;lancolie ou d&rsquo;exaltation de l&rsquo;individualit&eacute; subjective, comme chez les romantiques. Mais le sentiment du sublime est une forme de transcendance face &agrave; l&rsquo;infini. Le sublime de Gursky est un sublime postmoderne, il ne retient que la dimension sans le pathos en &eacute;crasant et en aplatissant l&rsquo;&eacute;l&eacute;vation spirituelle. L&rsquo;image elle-m&ecirc;me se transforme en un motif chaotique tel un pan d&eacute;chir&eacute; d&rsquo;une tapisserie diabolique. De mani&egrave;re plus cons&eacute;quente, Gursky choisit de rendre compte, de documenter, par un discours visuel tr&egrave;s &eacute;labor&eacute; et savant &agrave; la limite de l&rsquo;&eacute;tourdissement baroque. Pourtant, pour la foule de spectateurs autour de ses photographies, le tumulte et le d&eacute;sarroi deviennent envo&ucirc;tants, puisqu&rsquo;une compr&eacute;hension litt&eacute;rale de l&rsquo;espace physique est impossible, il est plus facile de prendre du recul par rapport &agrave; la photographie et d&rsquo;absorber l&rsquo;impression g&eacute;n&eacute;rale de l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration de la mondialisation. Car les images photographiques de Gursky sont aussi famili&egrave;res que le terme de &laquo;&nbsp;mondialisation&nbsp;&raquo; responsable du processus qui a cr&eacute;&eacute; le royaume de l&rsquo;abondance, des rassemblements massifs, des grilles enrob&eacute;es et de surfaces brillantes. Gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;industrie de l&rsquo;omnipr&eacute;sence de l&rsquo;image, nous connaissons d&eacute;j&agrave; fort bien l&rsquo;aspect fabriqu&eacute; de cet environnement auquel nous sommes confront&eacute;s vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais l&rsquo;originalit&eacute; de Gursky r&eacute;side dans la vivacit&eacute; avec laquelle il distille les images saisissantes de la pl&eacute;nitude de notre monde d&rsquo;images globalis&eacute;, qui m&ecirc;le &agrave; la fois des environnements physiques et virtuels avec des aspects analogiques et num&eacute;riques.</p> <p><strong>R&eacute;alit&eacute; d&rsquo;un monde fauss&eacute;&nbsp;?</strong></p> <p>Le discours photographique &agrave; la fin des ann&eacute;es&nbsp;1980 et au d&eacute;but des ann&eacute;es&nbsp;1990, centr&eacute; sur l&rsquo;impact de la technologie, sur la production et l&rsquo;interpr&eacute;tation des photographies num&eacute;riques ont notamment port&eacute; sur la capacit&eacute; relative de la photographie analogique et num&eacute;rique &agrave; d&eacute;crire avec exactitude la r&eacute;alit&eacute;<a href="#nbp_37" id="footnoteref37_f4wjo7z" name="lien_nbp_37" title="Martin Lister, «&amp;nbsp;Photography in the Age of Electronic Imaging&amp;nbsp;», Photography&amp;nbsp;: A Critical Introduction, London and New York, Routledge, 2009, p.&amp;nbsp;311-344.">37</a>. Alors que la photographie analogique est historiquement consid&eacute;r&eacute;e comme un outil de la repr&eacute;sentation authentique bas&eacute;e sur ses processus photochimiques, la photographie num&eacute;rique est consid&eacute;r&eacute;e comme suspicieuse. Son existence en tant que code &eacute;lectronique mall&eacute;able ne semble pas garantir la juste correspondance &agrave; la r&eacute;alit&eacute;&nbsp;: les photographies analogiques &laquo;&nbsp;&eacute;taient consid&eacute;r&eacute;es comme des d&eacute;clarations v&eacute;ridiques sur les choses dans le monde r&eacute;el<a href="#nbp_38" id="footnoteref38_orig6i5" name="lien_nbp_38" title="William J. Mitchell, The Reconfugured Eye&amp;nbsp;: Visual Truth in the Post-Photographic Era. Cambridge, MA and London, The MIT Press, 1992, p.&amp;nbsp;225.">38</a>&nbsp;&raquo;, et donc associ&eacute;es &agrave; des notions d&rsquo;authenticit&eacute;, de cr&eacute;dibilit&eacute; et de positivisme&nbsp;; alors que les photographies num&eacute;riques permettent d&rsquo;&ecirc;tre d&eacute;construites par la manipulation et la recombinaison d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments picturaux<a href="#nbp_39" id="footnoteref39_c6n654h" name="lien_nbp_39" title="Ibid., p.&amp;nbsp;19-20.">39</a>. Ce changement refl&egrave;te la pr&eacute;dominance des th&eacute;ories poststructuralistes du sens, selon lesquelles un syst&egrave;me symbolique non fig&eacute; ne peut revendiquer un acc&egrave;s transparent &agrave; la r&eacute;alit&eacute; en dehors de la repr&eacute;sentation<a href="#nbp_40" id="footnoteref40_qoen44q" name="lien_nbp_40" title="Ibid., p.&amp;nbsp;8.">40</a>. Mais une focalisation excessive sur la seule technologie risque de favoriser le d&eacute;terminisme technologique selon lequel le passage de m&eacute;langes chimiques &agrave; des circuits &eacute;lectroniques engendre diff&eacute;rentes interpr&eacute;tations et significations. Car le traitement de l&rsquo;information et la photographie se sont imbriqu&eacute;s dans le fonctionnement du capitalisme. La photographie est devenue une &laquo;&nbsp;petite partie vorace de l&rsquo;&eacute;conomie de donn&eacute;es qui caract&eacute;rise la vie capitaliste contemporaine en g&eacute;n&eacute;ral<a href="#nbp_41" id="footnoteref41_djfg6ws" name="lien_nbp_41" title="Geoffrey Batchen, Each Wild Idea&amp;nbsp;: Writing, Photography, History, Cambridge, The MIT Press, 2000, p.&amp;nbsp;179.">41</a>&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est en notant cette capacit&eacute; durable de la photographie &agrave; v&eacute;hiculer des aspects du monde contemporain que le traitement num&eacute;rique t&eacute;moigne de la pr&eacute;dominance et de l&rsquo;omnipr&eacute;sence de la technologie de l&rsquo;information et de sa logique d&rsquo;&eacute;change. Cependant, d&rsquo;apr&egrave;s une logique d&rsquo;&eacute;change, il semble important de penser que les technologies de l&rsquo;information peuvent inviter &agrave; une nouvelle compr&eacute;hension de l&rsquo;indice photographique.</p> <p>Fonctionnant au centre de la vision et des donn&eacute;es, les photographies de Gursky portent les traces de cette technologie num&eacute;rique et offrent une compr&eacute;hension indirecte des processus et de l&rsquo;&eacute;tat de ce monde en vertu de la repr&eacute;sentation. Cependant, la manipulation num&eacute;rique complique l&rsquo;analyse visuelle. D&rsquo;une part, la manipulation &eacute;loigne l&rsquo;image de son r&eacute;f&eacute;rent en composant plusieurs images, et d&rsquo;autre part, le processus de manipulation lui-m&ecirc;me &ndash; processus de fusion analogiques et num&eacute;riques, du r&eacute;el et virtuel &ndash; pose la question de la v&eacute;racit&eacute; de l&rsquo;image. Car malgr&eacute; ce lien entre la photographie num&eacute;rique et le monde contemporain, les techniques de traitement num&eacute;rique compromettent le lien suppos&eacute; entre la photographie et la r&eacute;alit&eacute; mat&eacute;rielle, puisque le contenu de l&rsquo;image est stock&eacute; sous une forme immat&eacute;rielle d&eacute;finie par des algorithmes math&eacute;matiques<a href="#nbp_42" id="footnoteref42_b3gz74n" name="lien_nbp_42" title="Martin Lister, «&amp;nbsp;A Sack in the Sand: Photography in the Age of Information&amp;nbsp;», Convergence&amp;nbsp;: The International Journal of Research into New Media Technologies 13 (3), 2007, p.&amp;nbsp;251–274.">42</a>. En cons&eacute;quence, la photographie risque de perdre sa capacit&eacute; &agrave; repr&eacute;senter les conditions de la r&eacute;alit&eacute; autour d&rsquo;id&eacute;es d&rsquo;authenticit&eacute;, de v&eacute;rit&eacute; ou de manipulation&nbsp;; ce qui appara&icirc;t intenable dans le travail de Gursky, qui est l&rsquo;illustration d&rsquo;une m&eacute;tamorphose du vrai&nbsp;; et qui renvoie au concept deleuzien de la &laquo;&nbsp;Puissance du faux<a href="#nbp_43" id="footnoteref43_3nmdman" name="lien_nbp_43" title="Sur le concept de la «&amp;nbsp;Puissance du faux&amp;nbsp;», Deleuze dira que «&amp;nbsp;seul l’artiste créateur porte la puissance du faux à un degré qui s’effectue, non plus dans la forme, mais dans la transformation. Il n’y a plus ni vérité ni apparence. Il n’y a plus ni forme invariable ni point de vue variable sur une forme. Il y a un point de vue qui appartient si bien à la chose que la chose ne cesse de se transformer dans un devenir identique au point de vue. Métamorphose du vrai. Ce que l’artiste est, c’est le créateur de vérité, car la vérité n’a pas à être atteinte, trouvée ni reproduite, elle doit être créée&amp;nbsp;», Gilles Deleuze, L’image-temps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985, p.&amp;nbsp;191.">43</a>&nbsp;&raquo;. Pour Deleuze, autrement dit, la puissance du faux, c&rsquo;est l&rsquo;indiscernabilit&eacute; &ndash; et non pas la confusion &ndash; du r&eacute;el et de l&rsquo;imaginaire&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ce qui s&rsquo;oppose &agrave; la fiction, ce n&rsquo;est pas le r&eacute;el, ce n&rsquo;est pas la v&eacute;rit&eacute;, qui est toujours celle des ma&icirc;tres ou des colonisateurs, c&rsquo;est la fonction fabulatrice des pauvres, en tant qu&rsquo;elle donne au faux une puissance qui en fait une m&eacute;moire, une l&eacute;gende, un monstre<a href="#nbp_44" id="footnoteref44_41cuucs" name="lien_nbp_44" title="Ibid., chap.&amp;nbsp;6, «&amp;nbsp;Les puissances du faux&amp;nbsp;».">44</a>&nbsp;&raquo;. Mais en quoi l&rsquo;image de Gursky correspond-elle &agrave; la description deleuzienne de la puissance du faux&nbsp;? Car bien que Gursky soit plut&ocirc;t engag&eacute; politiquement, socialement en revendiquant une d&eacute;marche documentaire, l&rsquo;ensemble de son travail semble d&eacute;montrer que la photographie ne dit jamais la v&eacute;rit&eacute;, qu&rsquo;elle n&rsquo;est pas une reproduction, mais une reconstruction au m&ecirc;me titre que toute repr&eacute;sentation&nbsp;; puisque la photographie permet uniquement de sonder le quotient de r&eacute;alit&eacute; de ces mensonges hyperboliques. Car en r&eacute;alit&eacute;, l&rsquo;image de Gursky a &eacute;t&eacute; compl&egrave;tement modifi&eacute;e, images alt&eacute;r&eacute;es, couleurs retravaill&eacute;es, un montage de greffes de diff&eacute;rentes prises de vues photographiques qui change les perspectives, dissous les lignes et efface les surfaces.</p> <p>Son travail ne fait donc pas de lui un simple photographe documentaliste, mais bien un constructeur d&rsquo;image, un constructeur de v&eacute;rit&eacute;, dans la mesure o&ugrave; ces &laquo;&nbsp;fausses images&nbsp;&raquo; &ndash; comprises comme fausses ou comme une modification de la r&eacute;alit&eacute; &ndash; atteignent une sorte de v&eacute;rit&eacute; exp&eacute;rientielle&nbsp;: la puissance des images de Gursky est alors une puissance du faux, un art qui retourne la repr&eacute;sentation en &eacute;loignant le spectateur des lieux r&eacute;els, et en transformant les relations r&eacute;elles de pouvoir en objets de fascination esth&eacute;tique&nbsp;: il invite le spectateur &agrave; plonger au c&oelig;ur m&ecirc;me de l&rsquo;&laquo;&nbsp;horreur&nbsp;&raquo; v&eacute;cue de ces lieux contemporains aseptis&eacute;s. Ainsi, toute continuit&eacute; suppos&eacute;e entre l&rsquo;image photographique et la r&eacute;alit&eacute; du monde semble cependant compliqu&eacute;e par la manipulation informatique. Mais l&rsquo;am&eacute;lioration num&eacute;rique permet &agrave; Gursky d&rsquo;impr&eacute;gner l&rsquo;image de sa vision personnelle, une fiction de l&rsquo;artiste, mais qui repr&eacute;sente aussi notre propre monde. L&rsquo;utilisation par Gursky de la manipulation num&eacute;rique est un moyen de pr&eacute;senter une r&eacute;ponse visuelle sp&eacute;cifique et personnelle d&rsquo;un espace dans l&rsquo;image photographique finale<a href="#nbp_45" id="footnoteref45_lattnyo" name="lien_nbp_45" title="Rupert Pfab,&amp;nbsp;«&amp;nbsp;Perception and Communication&amp;nbsp;: Thoughts on New Motifs by Andreas Gursky&amp;nbsp;», Andreas Gursky&amp;nbsp;: Photographs from 1984 to the Present, Munich, Schirmer/Mosel, 1998, p.&amp;nbsp;9-11.">45</a>. Son interpr&eacute;tation demande que cette vision priv&eacute;e doive &ecirc;tre connue et transmise au spectateur, en supposant une image mentale pr&eacute;existante.</p> <p>L&rsquo;id&eacute;ologie capitaliste en colonisant toute la plan&egrave;te favorise l&rsquo;essor des nouvelles technologies qui tend &agrave; brouiller davantage les limites entre r&eacute;alit&eacute; et v&eacute;rit&eacute;. Et en cette p&eacute;riode de mutation profonde, globale et acc&eacute;l&eacute;r&eacute;e, le changement d&rsquo;&egrave;re historique marqu&eacute; par le passage au capitalisme industriel entra&icirc;ne des discours sur la &laquo;&nbsp;post-v&eacute;rit&eacute;<a href="#nbp_46" id="footnoteref46_u8d4qg7" name="lien_nbp_46" title="La «&amp;nbsp;post-vérité&amp;nbsp;» est définie comme ce qui se rapporte aux circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence sur le public que ceux qui font appel à l’émotion ou aux croyances personnelles. Cette formule fut employée pour la première fois par l’essayiste américain Ralph Keyes, en 2004. La «&amp;nbsp;post-vérité&amp;nbsp;» s’attaque à l’imaginaire social dans une époque où les politiques populistes profiteraient de l’irrationalité des masses en diffusant des informations infondées nourrissant un dispositif de stigmatisation des classes populaires. Outre leur propension à réécrire l’histoire, les régimes populistes critiquent eux aussi ceux qui «&amp;nbsp;savent&amp;nbsp;», les élites, qui, malgré leur faillibilité, font la distinction entre le vrai et le faux. Elle fabrique une fiction, mais contrairement à la fiction productive (artistique ou sociale), elle n’enrichit pas le réel, elle contribue à le détruire.">46</a>&nbsp;&raquo; r&eacute;v&eacute;lant un affaiblissement du concept de v&eacute;rit&eacute; dans les soci&eacute;t&eacute;s contemporaines. Cette prolif&eacute;ration d&rsquo;images, notamment par le biais des &eacute;crans, et plus g&eacute;n&eacute;ralement le recours &agrave; toutes sortes de techniques, a pour cons&eacute;quences de d&eacute;samorcer l&rsquo;esprit critique et de discr&eacute;diter la notion m&ecirc;me de v&eacute;rit&eacute;, au profit d&rsquo;un r&eacute;gime d&rsquo;indiff&eacute;rence, d&rsquo;un relativisme, o&ugrave; les v&eacute;rit&eacute;s historiques, &laquo;&nbsp;les v&eacute;rit&eacute;s de fait<a href="#nbp_47" id="footnoteref47_fr6r3i2" name="lien_nbp_47" title="Hannah Arendt, «&amp;nbsp;Vérité et politique&amp;nbsp;», La Crise de la culture (1954), Paris, Gallimard, 1972.">47</a>&nbsp;&raquo; sont remplac&eacute;es par des v&eacute;rit&eacute;s &laquo;&nbsp;alternatives&nbsp;&raquo;, o&ugrave; le r&eacute;el n&rsquo;a plus son mot &agrave; dire<a href="#nbp_48" id="footnoteref48_ddw03qg" name="lien_nbp_48" title="Myriam Revault-d’Allonnes, La faiblesse du vrai&amp;nbsp;: ce que la post-vérité fait à notre monde commun, Paris, Éditions du Seuil, 2018.">48</a>.</p> <p>&nbsp;</p> <p>Face &agrave; un monde r&eacute;gi par l&rsquo;id&eacute;ologie de la v&eacute;locit&eacute; de la croissance infinie&nbsp;et &agrave; ses menaces en voie d&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration, la seule limite connue &agrave; ce &laquo;&nbsp;d&eacute;veloppement&nbsp;&raquo; industriel r&eacute;side, nous dit Lyotard, dans l&rsquo;esp&eacute;rance de vie du soleil, seul d&eacute;fi lanc&eacute; au d&eacute;veloppement<a href="#nbp_49" id="footnoteref49_pp55shd" name="lien_nbp_49" title="Jean-François Lyotard, L’Inhumain&amp;nbsp;: Causerie sur le temps, op. cit., p.&amp;nbsp;14.">49</a>. Car il semble, en effet, plus facile d&rsquo;imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme<a href="#nbp_50" id="footnoteref50_hzdwr1y" name="lien_nbp_50" title="Selon Mark Fisher, la citation «&amp;nbsp;il est plus facile d’imaginer une fin du monde que celle du capitalisme&amp;nbsp;» est attribuée à la fois à Fredric Jameson et Slavoj Žižek. Cf. Mark Fisher, Le Réalisme capitaliste. N’y a-t-il pas d’alternative ? (2009), Genève-Paris, Entremonde, 2018.">50</a>. Mais l&agrave; encore, face au danger qu&rsquo;est la mort du soleil et l&rsquo;explosion de la plan&egrave;te, nous devenons les t&eacute;moins majoritairement inconscients d&rsquo;une mutation globale acc&eacute;l&eacute;r&eacute;e si profonde qu&rsquo;elle appara&icirc;tra r&eacute;trospectivement comme une explosion au ralenti, &agrave; l&rsquo;image de la&nbsp;<em>&laquo;</em>&nbsp;<em>slow</em>&nbsp;<em>catastrophy&nbsp;&raquo;</em>&nbsp;du r&eacute;chauffement climatique, dont l&rsquo;ampleur d&eacute;passera la seule histoire de l&rsquo;humanit&eacute; pour s&rsquo;inscrire dans celle beaucoup plus vaste de l&rsquo;univers.</p> <hr /> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>Arendt, Hannah, &laquo;&nbsp;V&eacute;rit&eacute; et politique&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>La Crise de la culture</em>&nbsp;(1954), Paris, Gallimard, 1972.</p> <p>Aug&eacute;, Marc,&nbsp;<em>Non-lieux&nbsp;: introduction &agrave; une anthropologie de la surmodernit&eacute;</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil, 1992.</p> <p>Bauman, Zygmunt,&nbsp;<em>Vies perdues&nbsp;: la modernit&eacute; et ses exclus,</em>&nbsp;Paris, Payot &amp; Rivages, 2009.</p> <p>&ndash;,&nbsp;<em>La Vie liquide,</em>&nbsp;Paris, Pluriel, 2013.</p> <p>B&eacute;gout, Bruce,&nbsp;<em>Suburbia&nbsp;: autour des villes,&nbsp;</em>Paris, &Eacute;ditions Inculte, 2013.</p> <p>Buci-Glucksmann, Christine,&nbsp;<em>L&rsquo;&OElig;il cartographique de l&rsquo;art</em>, Paris, Galil&eacute;e, 1996.</p> <p>Cubitt, Sean,&nbsp;<em>The Practice of Light&nbsp;: A Genealogy of Visual Technologies from Prints to Pixels</em>, Cambridge, MA and London, The MIT Press, 2014.</p> <p>&ndash;, Daniel Palmer et Les Walkling, &laquo;&nbsp;Enumerating Photography from Spot Meter to CCD&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Theory, Culture &amp; Society</em>, vol.&nbsp;32, n&deg;&nbsp;7-8, 2015, p.&nbsp;245-265.</p> <p>Deleuze, Gilles,&nbsp;<em>L&rsquo;Image-temps</em>, Paris, Les &Eacute;ditions de Minuit, 1985.</p> <p>&ndash;, &laquo;&nbsp;Post-scriptum sur les soci&eacute;t&eacute;s de contr&ocirc;le&nbsp;&raquo;, in&nbsp;<em>L&rsquo;autre journal</em>, n&deg;&nbsp;1, mai 1990, repris dans&nbsp;<em>Pourparlers (1972-1990)</em>, Paris, Les &Eacute;ditions de Minuit, 2003, p.&nbsp;240.</p> <p>Ferguson, Francesca, &laquo;&nbsp;Andreas Gursky and the Urban Age&nbsp;&raquo;, in&nbsp;<em>Andreas Gursky&nbsp;: Architecture,</em>&nbsp;Ostfildern, Hatje Cantz, 2008, p.&nbsp;18-23.</p> <p>Fisher, Mark,&nbsp;<em>Le R&eacute;alisme capitaliste. N&rsquo;y a-t-il pas d&rsquo;alternative&nbsp;?&nbsp;</em>(2009), Gen&egrave;ve-Paris, Entremonde, 2018.</p> <p>Foucault, Michel, &laquo;&nbsp;Des espaces autres&nbsp;&raquo;, conf&eacute;rence au Cercle d&rsquo;&eacute;tudes architecturales, 14 mars 1967, in&nbsp;<em>Architecture, Mouvement, Continuit&eacute;</em>, n&deg;&nbsp;5, 1984.</p> <p>&ndash;, &laquo;&nbsp;Des espaces autres&nbsp;&raquo;, in&nbsp;<em>Dits et &eacute;crits II. 1976-1988</em>, Paris, Gallimard, 2001, p.&nbsp;1571-1581.</p> <p>Galassi, Peter,<em>&nbsp;Andreas Gursky</em>, Ostfildern-Ruit, Hatje Cantz, 2001.</p> <p>Gilbert, Alan,&nbsp;<em>Another Future&nbsp;: Poetry and Art in a Postmodern Twilight</em>, Middletown, Wesleyan University Press, 2006.</p> <p>Golumbia, David,&nbsp;<em>The Cultural Logic of Computation,</em>&nbsp;Cambridge, MA and London, Harvard University Press, 2009.</p> <p>Hardt, Michael et Antonio Negri.&nbsp;<em>Empire,</em>&nbsp;Paris, 10-18, 2004.</p> <p>Hentschel, Martin,&nbsp;&laquo;&nbsp;The Totality of the World, Viewed in Its Component Forms&nbsp;: Andreas Gursky&rsquo;s Photographs 1980 to 2008&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Andreas Gursky&nbsp;: Werke/Works 80&ndash;08</em>, Ostfildern, Hatje Cantz, 2008, p.&nbsp;22-33.</p> <p>Jameson, Fredric,&nbsp;<em>Postmodernism, or, the Cultural Logic of Late Capitalism</em>, Durham, Duke University Press, 1991.</p> <p>La&iuml;di, Zaki,&nbsp;<em>Le Temps mondial&nbsp;: encha&icirc;nements, disjonctions et m&eacute;diations,</em>&nbsp;Paris, Fondation nationale des sciences politiques, Centre d&rsquo;&eacute;tudes et de recherches internationales, 1996.</p> <p>&ndash;,&nbsp;<em>Un Monde priv&eacute; de sens</em>, Paris, Hachette, 2006.</p> <p>L&egrave;bre, J&eacute;r&ocirc;me,&nbsp;<em>Vitesses</em>, Paris, &Eacute;ditions Hermann, 2011.</p> <p>Lister, Martin,&nbsp;&laquo;&nbsp;A Sack in the Sand: Photography in the Age of Information&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Convergence&nbsp;: The International Journal of Research into New Media Technologies 13</em>&nbsp;(3), 2007, p.&nbsp;251&ndash;274.</p> <p>&ndash;,&nbsp;&laquo;&nbsp;Photography in the Age of Electronic Imaging&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Photography&nbsp;: A Critical Introduction</em>, London and New York, Routledge, 2009.</p> <p>Lyotard, Jean-Fran&ccedil;ois,&nbsp;<em>L&rsquo;Inhumain&nbsp;: Causerie sur le temps</em>, Paris, &Eacute;ditions Galil&eacute;e, 1988.</p> <p>Malm, Andreas,&nbsp;<em>L&rsquo;Anthropoc&egrave;ne contre l&rsquo;histoire. Le r&eacute;chauffement climatique &agrave; l&rsquo;&egrave;re du capital</em>, La Fabrique, 2017.</p> <p>Mitchell, William J.,&nbsp;<em>The Reconfigured Eye&nbsp;: Visual Truth in the Post-Photographic Era</em>, Cambridge, Mass, The MIT Press, 1992.</p> <p>Pfab, Rupert,&nbsp;&laquo;&nbsp;Perception and Communication&nbsp;: Thoughts on New Motifs by Andreas Gursky&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Andreas Gursky&nbsp;: Photographs from 1984 to the Present</em>, Munich, Schirmer/Mosel, 1998.</p> <p>Revault-d&rsquo;Allonnes, Myriam,&nbsp;<em>La Faiblesse du vrai&nbsp;: ce que la post-v&eacute;rit&eacute; fait &agrave; notre monde commun</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil, 2018.</p> <p>Stjernfelt, Frederik, &laquo;&nbsp;Ideal Types Made Visible&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Andreas Gursky at Louisiana</em>, Ostfildern, Hatje Cantz, 2012, p.&nbsp;111-115.</p> <p>Toledo, Camille de, Aliocha Imhoff, et Kantuta Quir&oacute;s,&nbsp;<em>Les Potentiels du temps&nbsp;: art &amp; politique</em>, Paris, Manuella &Eacute;ditions, 2016.</p> <p>Virilio, Paul,&nbsp;<em>Le Grand Acc&eacute;l&eacute;rateur</em>, Paris, &Eacute;ditions Galil&eacute;e, 2010.</p> <p>&nbsp;</p> <p>L&rsquo;ensemble des photographies d&rsquo;Andr&eacute;as Gursky est visible en ligne&nbsp;:&nbsp;<a href="http://www.andreasgursky.com/en/works&amp;nbsp">http://www.andreasgursky.com/en/works&amp;nbsp</a>;</p> <p><a href="#lien_nbp_1" name="nbp_1">1</a>&nbsp;Consid&eacute;r&eacute; comme une nouvelle p&eacute;riode g&eacute;ologique, l&rsquo;Anthropoc&egrave;ne (Paul Jozef Crutzen, prix Nobel de Chimie 1995), soit l&rsquo;&egrave;re de l&rsquo;Homme, est un terme relatif &agrave; la chronologie de la g&eacute;ologie propos&eacute; pour caract&eacute;riser l&rsquo;&eacute;poque de l&rsquo;histoire de la Terre qui a d&eacute;but&eacute; lorsque les activit&eacute;s humaines ont eu un impact global significatif sur l&rsquo;&eacute;cosyst&egrave;me terrestre. L&rsquo;Anthropoc&egrave;ne se d&eacute;finit par l&rsquo;impact permanent des activit&eacute;s humaines sur Terre, comme la terraformation engendr&eacute;e par l&rsquo;exploitation mini&egrave;re, l&rsquo;urbanisation et l&rsquo;agriculture, l&rsquo;extinction et la perte de biodiversit&eacute; caus&eacute;es par l&rsquo;homme, et la pr&eacute;sence &agrave; travers le monde de mat&eacute;riaux comme le plastique ou le ciment.</p> <p><a href="#lien_nbp_2" name="nbp_2">2</a>&nbsp;Sur cette question, on se reportera &agrave; l&rsquo;ouvrage de Camille de Toledo, Aliocha Imhoff, et Kantuta Quir&oacute;s,<em>&nbsp;Les potentiels du temps&nbsp;: art &amp; politique</em>, Paris, Manuella &Eacute;ditions, 2016.</p> <p><a href="#lien_nbp_3" name="nbp_3">3</a>&nbsp;L&rsquo;acc&eacute;l&eacute;rationnisme est li&eacute; au capitalisme n&eacute;olib&eacute;ral mondialis&eacute;, qui entra&icirc;ne in&eacute;galit&eacute;s croissantes, conflits et chaos. Cf. Alex Williams et Nick Srnicek, &laquo;&nbsp;Manifeste acc&eacute;l&eacute;rationniste&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Multitudes,</em>&nbsp;vol.&nbsp;56, n&deg;&nbsp;1:&nbsp;23, 2014.</p> <p><a href="#lien_nbp_4" name="nbp_4">4</a>&nbsp;Nicolas Bourriaud,&nbsp;<em>Radicant&nbsp;: pour une esth&eacute;tique de la globalisation</em>, Paris, Deno&euml;l, 2009.</p> <p><a href="#lien_nbp_5" name="nbp_5">5</a>&nbsp;Andreas Gursky est n&eacute; en 1955 &agrave; Leipzig et a grandi &agrave; D&uuml;sseldorf, o&ugrave; il a &eacute;t&eacute; initi&eacute; &agrave; la photographie d&egrave;s son plus jeune &acirc;ge par son p&egrave;re, un photographe commercial &agrave; succ&egrave;s. &Agrave; la fin des ann&eacute;es&nbsp;1970, il &eacute;tudie &agrave; la Folkwangschule d&rsquo;Essen, la principale &eacute;cole de photographie traditionnelle en Allemagne de l&rsquo;Ouest cr&eacute;&eacute;e par Otto Steinert. Puis au d&eacute;but des ann&eacute;es&nbsp;1980, il entre dans la classe de Bernd Becher &agrave; la Kunstakademie de D&uuml;sseldorf. D&egrave;s la fin des ann&eacute;es&nbsp;1950, Bernd et Hilla Becher d&eacute;velopp&egrave;rent une esth&eacute;tique photographique distinctive, &agrave; l&rsquo;architecture anonyme et n&eacute;glig&eacute;e de l&rsquo;industrie. Leur approche syst&eacute;matique et impersonnelle &eacute;tait &eacute;trang&egrave;re au mouvement de photographie subjective de Steinert, mais dans les ann&eacute;es&nbsp;1960, leur travail fut adopt&eacute; par les adh&eacute;rents des nouveaux mouvements d&rsquo;art minimal et conceptuel. En 1976, Bernd Becher devient professeur &agrave; la Kunstakademie, formant une nouvelle g&eacute;n&eacute;ration d&rsquo;artistes-photographes. Gr&acirc;ce &agrave; Joseph Beuys, &agrave; Sigmar Polke, &agrave; Gerhard Richter et &agrave; d&rsquo;autres, la Kunstakademie est devenue le centre de l&rsquo;avant-garde allemande de l&rsquo;apr&egrave;s-guerre. Gursky adoptera un style et une m&eacute;thode &eacute;troitement inspir&eacute;s du travail des Bechers, &agrave; la diff&eacute;rence qu&rsquo;il travaillera uniquement en couleur. C&rsquo;est bien entendu l&rsquo;h&eacute;ritage de l&rsquo;&Eacute;cole de D&uuml;sseldorf et de l&rsquo;enseignement des Bechers, que le travail de Gursky illustre.</p> <p><a href="#lien_nbp_6" name="nbp_6">6</a>&nbsp;Notons que plusieurs photographies d&rsquo;Andreas Gursky font partie de la liste des photographies vendues entre 1,6 et 4,3 millions de dollars, et dont la photographie&nbsp;<em>Rhein II</em>&nbsp;(1999) reste &agrave; ce jour la plus ch&egrave;re au monde. En ce sens, l&rsquo;artiste participe lui aussi au flux acc&eacute;l&eacute;r&eacute; du march&eacute; de l&rsquo;art, de ce que l&rsquo;on pourrait appeler une sp&eacute;culation marchande, un capitalisme excessif de l&rsquo;art contemporain. De m&ecirc;me, en exposant ses &oelig;uvres lors de foires internationales d&rsquo;art contemporain ou lors de grandes expositions dans de grands mus&eacute;es ou c&eacute;l&egrave;bres institutions &agrave; travers le monde, Gursky contribue aussi &agrave; la production d&rsquo;une industrie artistique et culturelle globalis&eacute;e.</p> <p><a href="#lien_nbp_7" name="nbp_7">7</a>&nbsp;Ce que l&rsquo;anthropologue Marc Aug&eacute; nomme les &laquo;&nbsp;non-lieux&nbsp;&raquo; de la surmodernit&eacute;&nbsp;: des espaces r&eacute;siduels et de transit, tels des voies a&eacute;riennes et ferroviaires, des autoroutes, des a&eacute;roports, des grands h&ocirc;tels, des supermarch&eacute;s, des parcs, des halls, qui sont produits par les changements socio&eacute;conomiques, l&rsquo;urbanisme moderniste du d&eacute;but du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle et une soci&eacute;t&eacute; bas&eacute;e sur une nouvelle mobilit&eacute;. Ce sont des espaces r&eacute;els ou l&rsquo;on coexiste ou cohabite sans y vivre ensemble, mais qui sont toutefois des lieux pour ceux qui y travaillent ou lorsque, parfois, un hasard y fonde une histoire fortuite. Les non-lieux n&rsquo;existent jamais sous une forme pure&nbsp;; selon nos attitudes des lieux s&rsquo;y recomposent, des relations s&rsquo;y reconstituent. Ils figurent comme des espaces de solitude habitables dans lesquels on peut s&rsquo;&eacute;chapper des r&eacute;alit&eacute;s quotidiennes.</p> <p><a href="#lien_nbp_8" name="nbp_8">8</a>&nbsp;Marc Aug&eacute;,&nbsp;<em>Non-lieux&nbsp;: introduction &agrave; une anthropologie de la surmodernit&eacute;</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil, 1992, p.&nbsp;101-102.</p> <p><a href="#lien_nbp_9" name="nbp_9">9</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;1.</p> <p><a href="#lien_nbp_10" name="nbp_10">10</a>&nbsp;Ces lieux en n&eacute;gatif ou en marge de la soci&eacute;t&eacute; se laissent toutefois p&eacute;n&eacute;trer, ils s&rsquo;ouvrent et se ferment, communiquent et s&rsquo;isolent. Aussi sont-ils souvent des espaces d&rsquo;illusion ou de perfection, dot&eacute;s de leur propre temporalit&eacute; (h&eacute;t&eacute;rochronie). Les h&eacute;t&eacute;rotopies comme des espaces intemporels et contradictoires, mouvants et statiques, accessibles et ferm&eacute;s, &eacute;ternels et contingents, lib&eacute;rateurs et oppresseurs. Les six grands principes des h&eacute;t&eacute;rotopies d&eacute;velopp&eacute;s par Michel Foucault&nbsp;: 1.&nbsp;Elles sont une constante de tout groupe humain, concernent toutes les soci&eacute;t&eacute;s, universalit&eacute; de l&#39;homme, li&eacute;e &agrave; la crise/la d&eacute;viance. 2.&nbsp;Elles varient dans le temps d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; donn&eacute;e d&eacute;pendant synchroniquement de la culture dans laquelle elle se trouve, disparitions et apparitions des h&eacute;t&eacute;rotopies selon l&rsquo;&eacute;volution de la soci&eacute;t&eacute; (cimeti&egrave;re). 3.&nbsp;Elles ont le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu plusieurs espaces en eux-m&ecirc;mes incompatibles. 4.&nbsp;Elles ont un rapport au temps particulier (h&eacute;t&eacute;rochronie)&nbsp;: rapport particulier au d&eacute;coupage du temps, rupture avec le temps traditionnel. 5.&nbsp;Elles supposent un syst&egrave;me d&rsquo;ouverture et de fermeture qui les isole et les rend p&eacute;n&eacute;trables, rites de passage, non publics. 6.&nbsp;Elles ont une fonction par rapport &agrave; l&rsquo;espace restant. Toute h&eacute;t&eacute;rotopie a une fonction vis-&agrave;-vis des espaces restants&nbsp;: soit cr&eacute;er un espace d&rsquo;illusion, soit de compensation.</p> <p><a href="#lien_nbp_11" name="nbp_11">11</a>&nbsp;Michel Foucault, &laquo;&nbsp;Des espaces autres&nbsp;&raquo;, conf&eacute;rence au Cercle d&rsquo;&eacute;tudes architecturales, 14 mars 1967,&nbsp;<em>Architecture, Mouvement, Continuit&eacute;</em>, n&deg;&nbsp;5, 1984.</p> <p><a href="#lien_nbp_12" name="nbp_12">12</a>&nbsp;Sur cette notion, cf. Bruce B&eacute;gout,<em>&nbsp;Suburbia&nbsp;: autour des villes</em>, Paris, &Eacute;ditions inculte, 2013.</p> <p><a href="#lien_nbp_13" name="nbp_13">13</a>&nbsp;Paul Virilio,&nbsp;<em>Le Grand Acc&eacute;l&eacute;rateur</em>, Paris, &Eacute;ditions Galil&eacute;e, 2010.</p> <p><a href="#lien_nbp_14" name="nbp_14">14</a>&nbsp;Gilles Deleuze et F&eacute;lix Guattari,&nbsp;<em>Capitalisme et schizophr&eacute;nie, mille plateaux</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1980, p.&nbsp;329.</p> <p><a href="#lien_nbp_15" name="nbp_15">15</a>&nbsp;Jean-Fran&ccedil;ois Lyotard,&nbsp;<em>L&rsquo;Inhumain&nbsp;: Causerie sur le temps</em>, Paris, &Eacute;ditions Galil&eacute;e, 1988, p.&nbsp;14.</p> <p><a href="#lien_nbp_16" name="nbp_16">16</a>&nbsp;J&eacute;r&ocirc;me L&egrave;bre,&nbsp;<em>Vitesses</em>, Paris, &Eacute;ditions Hermann, 2011.</p> <p><a href="#lien_nbp_17" name="nbp_17">17</a>&nbsp;Zaki La&iuml;di,&nbsp;<em>Le Temps mondial&nbsp;: encha&icirc;nements, disjonctions et m&eacute;diations,</em>&nbsp;Paris, Fondation nationale des sciences politiques, Centre d&rsquo;&eacute;tudes et de recherches internationales, 1996.</p> <p><a href="#lien_nbp_18" name="nbp_18">18</a>&nbsp;L&rsquo;analyse de Zygmunt Bauman qui place le d&eacute;veloppement de la technique et sa complexification au centre, propose de mettre en relation l&rsquo;expansion du num&eacute;rique avec la situation in&eacute;dite face &agrave; laquelle se trouve aujourd&rsquo;hui confront&eacute;e l&rsquo;humanit&eacute;. L&rsquo;auteur livre ainsi un regard critique &agrave; propos du r&ocirc;le pr&eacute;dominant qu&rsquo;ont acquis le web et des r&eacute;seaux sociaux (qu&rsquo;il qualifie de &laquo;&nbsp;toxiques&nbsp;&raquo;) ces derni&egrave;res ann&eacute;es et leur corollaire, la &laquo;&nbsp;<em>data economy</em>&nbsp;&raquo;. En effet,&nbsp;l&rsquo;&eacute;conomie est aujourd&rsquo;hui gouvern&eacute;e par les algorithmes et un usage croissant des donn&eacute;es personnelles pour influencer les comportements des individus consid&eacute;r&eacute;s comme de simples consommateurs. Cf. Zygmunt Bauman.&nbsp;<em>Vies perdues&nbsp;: la modernit&eacute; et ses exclus,</em>&nbsp;Paris, Payot &amp; Rivages, 2009.</p> <p><a href="#lien_nbp_19" name="nbp_19">19</a>&nbsp;Andreas Malm,&nbsp;<em>L&rsquo;Anthropoc&egrave;ne contre l&rsquo;histoire. Le r&eacute;chauffement climatique &agrave; l&rsquo;&egrave;re du capital</em>, Paris, La Fabrique, 2017, p.&nbsp;192.</p> <p><a href="#lien_nbp_20" name="nbp_20">20</a>&nbsp;Gilles Deleuze, &laquo;&nbsp;Post-scriptum sur les soci&eacute;t&eacute;s de contr&ocirc;le&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>L&rsquo;autre journal</em>, n&deg;&nbsp;1, mai&nbsp;1990, repris dans&nbsp;<em>Pourparlers (1972-1990)</em>, Paris, Les &Eacute;ditions de Minuit, 2003, p.&nbsp;240.</p> <p><a href="#lien_nbp_21" name="nbp_21">21</a>&nbsp;Fredric Jameson,&nbsp;<em>Postmodernism, or, the Cultural Logic of Late Capitalism</em>, Durham, Duke University Press, 1991.</p> <p><a href="#lien_nbp_22" name="nbp_22">22</a>&nbsp;Alan Gilbert,&nbsp;<em>Another Future&nbsp;: Poetry and Art in a Postmodern Twilight</em>, Middletown, Wesleyan University Press, 2006, p.&nbsp;134.</p> <p><a href="#lien_nbp_23" name="nbp_23">23</a>&nbsp;Peter Galassi, &laquo;&nbsp;Gursky&rsquo;s World&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Andreas Gursky</em>, Ostfildern-Ruit, Hatje Cantz, 2001, p.&nbsp;38-39.</p> <p><a href="#lien_nbp_24" name="nbp_24">24</a>&nbsp;Sean Cubitt, Daniel Palmer, et Les Walkling, &laquo;&nbsp;Enumerating Photography from Spot Meter to CCD&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Theory, Culture &amp; Society</em>, vol.&nbsp;32, n&deg;&nbsp;7-8, 2015, p.&nbsp;255.</p> <p><a href="#lien_nbp_25" name="nbp_25">25</a>&nbsp;Sean Cubitt,&nbsp;<em>The Practice of Light&nbsp;: A Genealogy of Visual Technologies from Prints to Pixels</em>, Cambridge, MA and London, The MIT Press, 2014, p.&nbsp;104-111.</p> <p><a href="#lien_nbp_26" name="nbp_26">26</a>&nbsp;David Golumbia,&nbsp;<em>The Cultural Logic of Computation,</em>&nbsp;Cambridge, MA and London, Harvard University Press, 2009.</p> <p><a href="#lien_nbp_27" name="nbp_27">27</a>&nbsp;Frederik Stjernfelt, &laquo;&nbsp;Ideal Types Made Visible&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Andreas Gursky at Louisiana</em>, Ostfildern, Hatje Cantz, 2012, p.&nbsp;111-115.</p> <p><a href="#lien_nbp_28" name="nbp_28">28</a>&nbsp;Martin Hentschel,&nbsp;&laquo;&nbsp;The Totality of the World, Viewed in Its Component Forms&nbsp;: Andreas Gursky&rsquo;s Photographs 1980 to 2008&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Andreas Gursky&nbsp;: Werke/Works 80&ndash;08</em>, Ostfildern, Hatje Cantz, 2008, p.&nbsp;29.</p> <p><a href="#lien_nbp_29" name="nbp_29">29</a>&nbsp;Francesca Ferguson, &laquo;&nbsp;Andreas Gursky and the Urban Age&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Andreas Gursky&nbsp;: Architecture,</em>&nbsp;Ostfildern, Hatje Cantz, 2008, p.&nbsp;22.</p> <p><a href="#lien_nbp_30" name="nbp_30">30</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;Le vertige, c&rsquo;est l&rsquo;&eacute;tat de vacillement que nous cherchons &agrave; apprivoiser, &agrave; habiter. Nous pensons &agrave; un &eacute;tat de vertige o&ugrave; nous parviendrions &agrave;&nbsp;<em>nous tenir</em>&nbsp;dans un rep&egrave;re de coordonn&eacute;es mouvantes, de migrances, d&rsquo;instabilit&eacute; [&hellip;]. Le&nbsp;<em>vertige</em>&nbsp;est un motif de transformation, de vacillement, de mouvement. Le&nbsp;<em>vertige</em>&nbsp;est une sensation inqui&eacute;tante que nous devons apprendre &agrave; apprivoiser. Vivre dans la&nbsp;<em>qui&eacute;tude</em>&nbsp;de ce qui est&nbsp;<em>inquiet</em>&nbsp;&raquo;, Camille de Toledo, Aliocha Imhoff, et Kantuta Quir&oacute;s.&nbsp;<em>Les Potentiels du temps&nbsp;: art &amp; politique</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;271.</p> <p><a href="#lien_nbp_31" name="nbp_31">31</a>&nbsp;Christine Buci-Glucksmann,&nbsp;<em>L&rsquo;&OElig;il cartographique de l&rsquo;art</em>, Paris, Galil&eacute;e, 1996.</p> <p><a href="#lien_nbp_32" name="nbp_32">32</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;17.</p> <p><a href="#lien_nbp_33" name="nbp_33">33</a>&nbsp;<em>Ibid.,</em>&nbsp;p.&nbsp;24.</p> <p><a href="#lien_nbp_34" name="nbp_34">34</a>&nbsp;Fredric Jameson,&nbsp;<em>Postmodernism, or, the Cultural Logic of Late Capitalism</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;9.</p> <p><a href="#lien_nbp_35" name="nbp_35">35</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;L&rsquo;espace lisse est occup&eacute; par des &eacute;v&eacute;nements ou hecc&eacute;it&eacute;s, beaucoup plus que par des choses form&eacute;es et per&ccedil;ues. C&rsquo;est un espace d&rsquo;affects, plus que de propri&eacute;t&eacute;s. C&rsquo;est une perception haptique, plut&ocirc;t qu&rsquo;optique. Alors que dans le stri&eacute; les formes organisent une mati&egrave;re, dans le lisse des mat&eacute;riaux signalent des forces ou leur servent de sympt&ocirc;mes. C&rsquo;est un espace intensif, plut&ocirc;t qu&rsquo;extensif, de distances et non pas de mesures. Spatium intense au lieu d&rsquo;Extensio. Corps sans organe, au lieu d&rsquo;organisme et d&rsquo;organisation. La perception y est faite de sympt&ocirc;mes et d&rsquo;&eacute;valuations, plut&ocirc;t que de mesures et de propri&eacute;t&eacute;s. C&rsquo;est pourquoi ce qui occupe l&rsquo;espace lisse, ce sont les intensit&eacute;s, les bruits, les forces et les qualit&eacute;s tactiles et sonores, comme dans le d&eacute;sert, la steppe ou les glaces. Craquement de la glace et chant des sables&nbsp;&raquo;, Gilles Deleuze et F&eacute;lix Guattari,&nbsp;<em>Capitalisme et schizophr&eacute;nie, mille plateaux</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;598.</p> <p><a href="#lien_nbp_36" name="nbp_36">36</a>&nbsp;Michael Hardt et Antonio Negri,&nbsp;<em>Empire,</em>&nbsp;Paris, 10-18, 2004.</p> <p><a href="#lien_nbp_37" name="nbp_37">37</a>&nbsp;Martin Lister, &laquo;&nbsp;Photography in the Age of Electronic Imaging&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Photography&nbsp;: A Critical Introduction</em>, London and New York, Routledge, 2009, p.&nbsp;311-344.</p> <p><a href="#lien_nbp_38" name="nbp_38">38</a>&nbsp;William J. Mitchell,&nbsp;<em>The Reconfugured Eye&nbsp;: Visual Truth in the Post-Photographic Era.</em>&nbsp;Cambridge, MA and London, The MIT Press, 1992, p.&nbsp;225.</p> <p><a href="#lien_nbp_39" name="nbp_39">39</a>&nbsp;<em>Ibid.,</em>&nbsp;p.&nbsp;19-20.</p> <p><a href="#lien_nbp_40" name="nbp_40">40</a>&nbsp;<em>Ibid.,</em>&nbsp;p.&nbsp;8.</p> <p><a href="#lien_nbp_41" name="nbp_41">41</a>&nbsp;Geoffrey Batchen,&nbsp;<em>Each Wild Idea&nbsp;: Writing, Photography, History,</em>&nbsp;Cambridge, The MIT Press, 2000, p.&nbsp;179.</p> <p><a href="#lien_nbp_42" name="nbp_42">42</a>&nbsp;Martin Lister, &laquo;&nbsp;A Sack in the Sand: Photography in the Age of Information&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Convergence&nbsp;: The International Journal of Research into New Media Technologies 13</em>&nbsp;(3), 2007, p.&nbsp;251&ndash;274.</p> <p><a href="#lien_nbp_43" name="nbp_43">43</a>&nbsp;Sur le concept de la &laquo;&nbsp;Puissance du faux&nbsp;&raquo;, Deleuze dira que &laquo;&nbsp;seul l&rsquo;artiste cr&eacute;ateur porte la puissance du faux &agrave; un degr&eacute; qui s&rsquo;effectue, non plus dans la forme, mais dans la transformation. Il n&rsquo;y a plus ni v&eacute;rit&eacute; ni apparence. Il n&rsquo;y a plus ni forme invariable ni point de vue variable sur une forme. Il y a un point de vue qui appartient si bien &agrave; la chose que la chose ne cesse de se transformer dans un devenir identique au point de vue. M&eacute;tamorphose du vrai. Ce que l&rsquo;artiste est, c&rsquo;est le cr&eacute;ateur de v&eacute;rit&eacute;, car la v&eacute;rit&eacute; n&rsquo;a pas &agrave; &ecirc;tre atteinte, trouv&eacute;e ni reproduite, elle doit &ecirc;tre cr&eacute;&eacute;e&nbsp;&raquo;, Gilles Deleuze,&nbsp;<em>L&rsquo;image-temps</em>, Paris, Les &Eacute;ditions de Minuit, 1985, p.&nbsp;191.</p> <p><a href="#lien_nbp_44" name="nbp_44">44</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, chap.&nbsp;6, &laquo;&nbsp;Les puissances du faux&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#lien_nbp_45" name="nbp_45">45</a>&nbsp;Rupert Pfab,&nbsp;&laquo;&nbsp;Perception and Communication&nbsp;: Thoughts on New Motifs by Andreas Gursky&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Andreas Gursky&nbsp;: Photographs from 1984 to the Present</em>, Munich, Schirmer/Mosel, 1998, p.&nbsp;9-11.</p> <p><a href="#lien_nbp_46" name="nbp_46">46</a>&nbsp;La &laquo;&nbsp;post-v&eacute;rit&eacute;&nbsp;&raquo; est d&eacute;finie comme ce qui se rapporte aux circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d&rsquo;influence sur le public que ceux qui font appel &agrave; l&rsquo;&eacute;motion ou aux croyances personnelles. Cette formule fut employ&eacute;e pour la premi&egrave;re fois par l&rsquo;essayiste am&eacute;ricain Ralph Keyes, en 2004. La &laquo;&nbsp;post-v&eacute;rit&eacute;&nbsp;&raquo; s&rsquo;attaque &agrave; l&rsquo;imaginaire social dans une &eacute;poque o&ugrave; les politiques populistes profiteraient de l&rsquo;irrationalit&eacute; des masses en diffusant des informations infond&eacute;es nourrissant un dispositif de stigmatisation des classes populaires. Outre leur propension &agrave; r&eacute;&eacute;crire l&rsquo;histoire, les r&eacute;gimes populistes critiquent eux aussi ceux qui &laquo;&nbsp;savent&nbsp;&raquo;, les &eacute;lites, qui, malgr&eacute; leur faillibilit&eacute;, font la distinction entre le vrai et le faux. Elle fabrique une fiction, mais contrairement &agrave; la fiction productive (artistique ou sociale), elle n&rsquo;enrichit pas le r&eacute;el, elle contribue &agrave; le d&eacute;truire.</p> <p><a href="#lien_nbp_47" name="nbp_47">47</a>&nbsp;Hannah Arendt, &laquo;&nbsp;V&eacute;rit&eacute; et politique&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>La Crise de la culture</em>&nbsp;(1954), Paris, Gallimard, 1972.</p> <p><a href="#lien_nbp_48" name="nbp_48">48</a>&nbsp;Myriam Revault-d&rsquo;Allonnes,&nbsp;<em>La faiblesse du vrai&nbsp;: ce que la post-v&eacute;rit&eacute; fait &agrave; notre monde commun</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil, 2018.</p> <p><a href="#lien_nbp_49" name="nbp_49">49</a>&nbsp;Jean-Fran&ccedil;ois Lyotard,&nbsp;<em>L&rsquo;Inhumain&nbsp;: Causerie sur le temps</em>,&nbsp;<em>op. cit</em>., p.&nbsp;14.</p> <p><a href="#lien_nbp_50" name="nbp_50">50</a>&nbsp;Selon Mark Fisher, la citation &laquo;&nbsp;il est plus facile d&rsquo;imaginer une fin du monde que celle du capitalisme&nbsp;&raquo; est attribu&eacute;e &agrave; la fois &agrave; Fredric Jameson et Slavoj Žižek. Cf. Mark Fisher,&nbsp;<em>Le R&eacute;alisme capitaliste. N&rsquo;y a-t-il pas d&rsquo;alternative ?</em>&nbsp;(2009), Gen&egrave;ve-Paris, Entremonde, 2018.</p>