<h2><span style="font-size:20px"><span style="color:black"><strong>Introduction </strong></span></span></h2> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Parmi tous les objets sur lesquels s&rsquo;est pench&eacute;e la philosophie politique, la question de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; constitue &agrave; l&rsquo;&eacute;vidence un sujet de r&eacute;flexion privil&eacute;gi&eacute;. L&rsquo;autre, celui avec lequel je suis amen&eacute; &agrave; faire soci&eacute;t&eacute;, me faut-il le consid&eacute;rer comme ennemi ou ami&nbsp;? Est-ce la d&eacute;fiance ou la confiance vis-&agrave;-vis d&rsquo;autrui qui fonde le contrat social ? Comment construire du commun &agrave; partir de la diversit&eacute; et de la diff&eacute;rence&nbsp;? Si l&rsquo;on en croit la longue tradition de pens&eacute;e qui, depuis <em>La R&eacute;publique</em><a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[1]</span></sup></sup></a><em> </em>de Platon jusqu&rsquo;&agrave; nos jours s&rsquo;est attach&eacute;e &agrave; interroger la notion d&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; d&rsquo;un point de vue sp&eacute;cifiquement politique, il semblerait qu&rsquo;en la mati&egrave;re, le sujet ait largement &eacute;t&eacute; travaill&eacute;, r&eacute;fl&eacute;chi, voire &eacute;puis&eacute;. Cet article se propose au contraire d&rsquo;envisager &agrave; nouveaux frais la notion d&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; &agrave; partir d&rsquo;une r&eacute;flexion de philosophie politique contemporaine ayant profond&eacute;ment contribu&eacute; &agrave; en renouveler la conception&nbsp;; il s&rsquo;agit de celle du philosophe Claude Lefort, qui par son approche originale, fera de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; une <em>&eacute;preuve</em> constitutive des soci&eacute;t&eacute;s modernes. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <h2 style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:20px"><span style="color:black"><strong>1. Une conception de la soci&eacute;t&eacute; moderne&nbsp;comme un &laquo;&nbsp;ensemble d&rsquo;exp&eacute;riences&nbsp;&raquo; </strong></span></span></h2> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Pour comprendre le renouvellement que Lefort fait subir &agrave; la notion d&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; dans le champ de la philosophie politique, il est n&eacute;cessaire de remonter pr&eacute;alablement &agrave; la source d&rsquo;une pens&eacute;e qui aura durablement marqu&eacute; son &eacute;poque. De la toute fin des ann&eacute;es 1940 jusqu&rsquo;&agrave; sa disparition en 2010, Claude Lefort aura en effet consacr&eacute; l&rsquo;ensemble de son &oelig;uvre &agrave; penser et interroger la modernit&eacute; politique. Ses travaux sur le totalitarisme, d&eacute;velopp&eacute;s d&egrave;s les ann&eacute;es cinquante &agrave; partir d&rsquo;une critique renouvel&eacute;e du totalitarisme sovi&eacute;tique, puis ses r&eacute;flexions sur la nature de la d&eacute;mocratie moderne, sont d&rsquo;une richesse et d&rsquo;une port&eacute;e singuli&egrave;res. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Mais &agrave; l&rsquo;image de celles de Raymond Aron<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[2]</span></sup></sup></a> et de Hannah Arendt<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[3]</span></sup></sup></a>, la pens&eacute;e de Lefort, au-del&agrave; de ce qu&rsquo;elle nous dit de la nature du totalitarisme et de la d&eacute;mocratie, propose plus exactement une analyse renouvel&eacute;e du politique. C&rsquo;est une<span style="color:#1a1a1a"> pens&eacute;e politique qui s&rsquo;enracine dans une r&eacute;flexion profonde des ph&eacute;nom&egrave;nes politiques. Pour le dire autrement,</span> Lefort interroge le<em> </em>politique et plus pr&eacute;cis&eacute;ment la modernit&eacute; politique &agrave; partir de certains de ses traits sp&eacute;cifiques, dont l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; constitue une figure essentielle. De fait, si l&rsquo;on veut comprendre comment l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; prend chez lui la forme d&rsquo;une &eacute;preuve, il faut en revenir &agrave; cette conception tr&egrave;s originale de la modernit&eacute;.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Dans une de ses premi&egrave;res &oelig;uvres, <em>&Eacute;l&eacute;ments d&rsquo;une critique de la bureaucratie</em>, recueils d&rsquo;articles r&eacute;dig&eacute;s durant une quinzaine d&rsquo;ann&eacute;es, Lefort s&rsquo;interroge d&eacute;j&agrave; sur la nature la modernit&eacute;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[4]</span></sup></sup></a>. Cette r&eacute;flexion le conduit &agrave; en proposer une d&eacute;finition tout &agrave; fait originale&nbsp;: il envisage en effet la modernit&eacute; comme <em>exp&eacute;rience</em>, et sans doute nous faudrait-il imm&eacute;diatement pr&eacute;ciser comme <em>exp&eacute;rience ayant valeur d&rsquo;&eacute;preuve</em>.<strong> </strong>L&rsquo;id&eacute;e de modernit&eacute; ne renverrait donc pas tant &agrave; un terme classificateur (les Modernes contre<em> </em>les Anciens), non pas m&ecirc;me &agrave; la repr&eacute;sentation d&rsquo;une &eacute;poque qui consacrerait le triomphe de la subjectivit&eacute;. En r&eacute;alit&eacute;, affirme Lefort, la modernit&eacute; doit &ecirc;tre bien plut&ocirc;t comprise comme l&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;une <em>dissolution des rep&egrave;res de la certitude</em>.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">C&rsquo;est sur ce ph&eacute;nom&egrave;ne, dont il convient de ne pas n&eacute;gliger la rupture qu&rsquo;il repr&eacute;sente, que Lefort va d&eacute;velopper toute sa conception de la philosophie politique moderne. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">S&rsquo;il ne s&rsquo;agit pas ici d&rsquo;analyser en d&eacute;tails ce processus de dissolution des rep&egrave;res de la certitude th&eacute;oris&eacute;e par Lefort comme t&eacute;moignant de l&rsquo;av&egrave;nement de la modernit&eacute;, il nous faut toutefois, pour les besoins de l&rsquo;argumentation, en &eacute;voquer quelques-uns des traits principaux. Car cette exp&eacute;rience est en r&eacute;alit&eacute; constitu&eacute;e de tout un ensemble de ruptures irr&eacute;m&eacute;diables de repr&eacute;sentation que les soci&eacute;t&eacute;s se font d&rsquo;elles-m&ecirc;mes dans l&rsquo;ordre du politique, dont nous ne pr&eacute;senterons succinctement ici que les principales.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Premi&egrave;rement, la mutation du rapport que les soci&eacute;t&eacute;s entretiennent au symbolique et au r&eacute;el. Dans <em>Les formes de l&rsquo;Histoire<a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title=""><sup><strong><sup><span style="font-size:12.0pt">[5]</span></sup></strong></sup></a>, </em>Claude Lefort fait de cette mutation une distinction fondamentale entre soci&eacute;t&eacute;s modernes et soci&eacute;t&eacute;s pr&eacute;-modernes, c&rsquo;est-&agrave;-dire tout autant les soci&eacute;t&eacute;s fond&eacute;es sur une approche th&eacute;ologico-politique du r&eacute;el, que ce qu&rsquo;il appelle &laquo;&nbsp;les soci&eacute;t&eacute;s sans histoire&nbsp;&raquo;. Pour les premi&egrave;res, Lefort se r&eacute;f&egrave;re sp&eacute;cifiquement au christianisme et &agrave; la monarchie europ&eacute;enne,<em> </em>au sujet desquelles on trouvera notamment une analyse originale dans son essai sur <em>La Modernit&eacute; de Dante</em> qui ouvre l&rsquo;&eacute;dition fran&ccedil;aise de<em> La Monarchie</em><a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[6]</span></sup></sup></a><em>. </em>Quant aux soci&eacute;t&eacute;s sans histoire, c&rsquo;est &agrave; partir d&rsquo;une discussion des travaux de Pierre Clastres<a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[7]</span></sup></sup></a> qu&rsquo;il d&eacute;veloppe sa th&eacute;orie. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Dans les r&eacute;gimes pr&eacute;-modernes, &eacute;crit Lefort, la dimension symbolique de la soci&eacute;t&eacute; se situerait dans un lieu et un temps<em> </em>situ&eacute; hors de la soci&eacute;t&eacute;<em> </em>(le Divin, la Nature, etc.). Ce lieu donnerait tout son sens au r&eacute;el, de sorte que dimension symbolique, dimension r&eacute;elle et dimension imaginaire &mdash;&nbsp;pour reprendre la distinction lacanienne qui a fort probablement influenc&eacute; Lefort&nbsp;&mdash; ne peuvent y &ecirc;tre distingu&eacute;es<a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[8]</span></sup></sup></a>. Dans les soci&eacute;t&eacute;s modernes, &agrave; l&rsquo;inverse,&nbsp;nous ferions l&rsquo;exp&eacute;rience de la distinction entre le r&eacute;el et le symbolique. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Deuxi&egrave;mement, la d&eacute;sincorporation du pouvoir au sein de la soci&eacute;t&eacute;. Il s&rsquo;agit ici de la fameuse conception lefortienne du pouvoir comme &laquo;&nbsp;lieu vide&nbsp;&raquo;, selon laquelle<em> </em>l&rsquo;autorit&eacute; politique moderne ne b&eacute;n&eacute;ficierait plus d&rsquo;une l&eacute;gitimit&eacute; absolue<a href="#_ftn9" name="_ftnref9" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[9]</span></sup></sup></a>. Exercer l&rsquo;autorit&eacute; s&rsquo;&eacute;prouverait d&eacute;sormais dans la recherche incessante de la l&eacute;gitimation&nbsp;de cet exercice. En d&rsquo;autres termes, la soci&eacute;t&eacute; moderne ne se voit plus comme unit&eacute; organique.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Troisi&egrave;mement, le passage aux soci&eacute;t&eacute;s historiques, c&rsquo;est-&agrave;-dire aux soci&eacute;t&eacute;s confront&eacute;es au changement. La modernit&eacute; romprait ici avec la conception platonicienne du politique, telle qu&rsquo;elle est par exemple expos&eacute;e dans <em>La R&eacute;publique</em><a href="#_ftn10" name="_ftnref10" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[10]</span></sup></sup></a><em>.</em> Accueillir l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement, accepter ce qu&rsquo;il porte en lui d&rsquo;inattendu et d&rsquo;incertain, voici ce qui constitue pour Lefort une autre exp&eacute;rience de dissolution des rep&egrave;res de la certitude. Peut-&ecirc;tre faudrait-il sur ce point pr&eacute;cis oser un rapprochement entre la th&eacute;orie de Lefort et celle du philosophe des sciences Karl Popper, telle qu&rsquo;il la d&eacute;veloppe dans <em>La soci&eacute;t&eacute; ouverte et ses ennemis, </em>malgr&eacute; toutes les exag&eacute;rations et les approximations peu philosophiques dont il fait parfois preuve<a href="#_ftn11" name="_ftnref11" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[11]</span></sup></sup></a><em>.</em></span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Enfin, quatri&egrave;me et derni&egrave;re exp&eacute;rience d&eacute;cisive de dissolution des rep&egrave;res de la certitude&nbsp;propre &agrave; la modernit&eacute;&nbsp;: l&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <h2 style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:20px"><span style="color:black"><strong>2. L&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;&nbsp;: une exp&eacute;rience proprement moderne</strong></span></span></h2> <h2 style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Pour appr&eacute;hender pleinement ce qui se joue d&rsquo;une nouvelle exp&eacute;rience de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; dans la modernit&eacute; politique, il nous faut en revenir &agrave; l&rsquo;interpr&eacute;tation compl&eacute;mentaire que Lefort propose de deux philosophes qui l&rsquo;ont profond&eacute;ment influenc&eacute;&nbsp;: Nicolas Machiavel et &Eacute;tienne de La Bo&eacute;tie. &Agrave; premi&egrave;re vue, ce rapprochement pourrait surprendre. Quoi de commun en effet entre l&rsquo;auteur du <em>Prince</em> et celui du <em>Discours de la servitude volontaire&nbsp;</em>? Le premier ne s&rsquo;int&eacute;resse-t-il pas &agrave; l&rsquo;art de gouverner quand le second s&rsquo;attache tout au contraire &agrave; d&eacute;finir les moyens de ne plus l&rsquo;&ecirc;tre trop&nbsp;? Mais ce serait l&agrave; lecture trop rapide, peu attentive aux d&eacute;tails de deux pens&eacute;es complexes qui se r&eacute;pondent et se compl&egrave;tent.</span></span></h2> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Si dans leur pr&eacute;sentation &agrave; l&rsquo;&eacute;dition Payot du <em>Discours de la servitude volontaire</em>, les philosophes Miguel Abensour et Marcel Gauchet consid&egrave;rent que Machiavel et La Bo&eacute;tie pensent depuis deux lieux oppos&eacute;s &mdash;&nbsp;le premier au plus pr&egrave;s du Prince, le second aux c&ocirc;t&eacute;s de ceux qui le servent&nbsp;&mdash;, ils affirment n&eacute;anmoins que s&rsquo;agissant de la question sp&eacute;cifique de la domination, &laquo;&nbsp;le rapprochement de La Bo&eacute;tie avec Machiavel&nbsp;s&rsquo;impose, comme le montre Claude Lefort<a href="#_ftn12" name="_ftnref12" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[12]</span></sup></sup></a>&nbsp;&raquo;. Nous souhaiterions pour notre part aller plus loin.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Machiavel et La Bo&eacute;tie sont &eacute;galement des &laquo; figures s&rsquo;&eacute;clairant l&rsquo;une par l&rsquo;autre<a href="#_ftn13" name="_ftnref13" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[13]</span></sup></sup></a>&nbsp;&raquo; sur la question tout aussi essentielle de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. Le premier parce qu&rsquo;il a su &eacute;laborer la th&eacute;orie d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute;<strong> </strong>au caract&egrave;re irr&eacute;ductiblement pluriel et conflictuel, une soci&eacute;t&eacute; qui se constitue pr&eacute;cis&eacute;ment dans l&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;Autre.<em> </em>Le second parce qu&rsquo;il a vu que lorsqu&rsquo;elle n&rsquo;est pas surmont&eacute;e, cette &eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; pouvait mener &agrave; pr&eacute;f&eacute;rer aux soci&eacute;t&eacute;s plurielles ce que Lefort nomme &laquo;&nbsp;les soci&eacute;t&eacute;-Une&nbsp;&raquo;.</span></span></p> <h3 style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:18px"><span style="color:black"><strong>2.1 L&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; chez Lefort&nbsp;: la d&eacute;couverte de Machiavel</strong></span></span></h3> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Dans son &oelig;uvre magistrale de 1972 consacr&eacute;e &agrave; Machiavel, Claude Lefort dit du philosophe florentin qu&rsquo;il est le premier &agrave; avoir pens&eacute; une soci&eacute;t&eacute;<strong> </strong>dans laquelle &laquo;&nbsp;la politique requise est celle qui s&rsquo;accorde avec l&rsquo;&ecirc;tre de la soci&eacute;t&eacute;, qui accueille les contraires, s&rsquo;enracine dans le temps, s&rsquo;ordonne de c&ocirc;toyer le gouffre sur lequel repose la soci&eacute;t&eacute;, d&rsquo;affronter la limite que lui constitue l&rsquo;incompossibilit&eacute; des d&eacute;sirs humains<a href="#_ftn14" name="_ftnref14" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[14]</span></sup></sup></a><em> </em>&raquo;. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">C&rsquo;est la grande d&eacute;couverte de Machiavel, qu&rsquo;il d&eacute;veloppe moins dans <em>Le Prince </em>que dans ses <em>Discours sur la premi&egrave;re d&eacute;cade de Tite-Live</em>&nbsp;: dans la modernit&eacute;, l&rsquo;attache du pouvoir s&rsquo;articule autour d&rsquo;une opposition constitutive du politique au sein de la soci&eacute;t&eacute;, entre ceux qui d&eacute;sirent commander et opprimer (les Grands) et ceux qui d&eacute;sirent ne pas l&rsquo;&ecirc;tre (le Peuple).<em> </em>&Agrave; l&rsquo;origine du pouvoir princier, et sous-jacent &agrave; celui-ci une fois qu&rsquo;il s&rsquo;est &eacute;tabli, se trouve donc le conflit. En d&rsquo;autres termes, la soci&eacute;t&eacute; serait fond&eacute;e sur l&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;une irr&eacute;ductible alt&eacute;rit&eacute;<strong> </strong>entre ceux qui veulent gouverner et ceux qui veulent ne pas l&rsquo;&ecirc;tre. D&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;impossibilit&eacute; dans laquelle se trouve l&rsquo;&Eacute;tat &mdash;&nbsp;c&rsquo;est-&agrave;-dire ici le Prince&nbsp;&mdash; de r&eacute;duire la Soci&eacute;t&eacute; &agrave; une forme d&rsquo;unit&eacute;. C&rsquo;est bien dans l&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, envisag&eacute;e comme conflit incessant entre deux ordres qui ne peuvent se r&eacute;duire l&rsquo;un &agrave; l&rsquo;autre, que se fonde le politique moderne. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Dans la lecture que Lefort produit de Machiavel, il y a donc cette id&eacute;e d&eacute;cisive&nbsp;: l&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; entre deux classes, les Grands et le Peuple, engendre un conflit par lequel la soci&eacute;t&eacute; se constitue. Plus encore, cette &eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; est ce par quoi la soci&eacute;t&eacute; se maintient. Cet argument se retrouve dans la c&eacute;l&egrave;bre comparaison forg&eacute;e par Machiavel lui-m&ecirc;me entre les cit&eacute;s de Sparte et de Rome. L&agrave; o&ugrave; Sparte avait r&eacute;ussi &agrave; former un &Eacute;tat harmonieux, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; &eacute;liminer la discorde et &agrave; d&eacute;samorcer les effets possibles des accidents, la <em>virtu</em> de la r&eacute;publique romaine tiendrait tout au contraire &agrave; la d&eacute;sunion du S&eacute;nat et de la Pl&egrave;be. Ainsi s&rsquo;&eacute;bauche une th&egrave;se toute nouvelle&nbsp;: il y a dans le d&eacute;sordre m&ecirc;me de quoi produire un ordre. &laquo;&nbsp;Il n&rsquo;est pas d&rsquo;ordre qui puisse s&rsquo;&eacute;tablir sur l&rsquo;&eacute;limination du d&eacute;sordre, sinon au prix d&rsquo;une d&eacute;gradation de la loi et de la libert&eacute;&nbsp;&raquo; peut ainsi &eacute;crire Claude Lefort<a href="#_ftn15" name="_ftnref15" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[15]</span></sup></sup></a><em>.</em></span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Autrement dit, chez Machiavel l&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; prend la forme d&rsquo;une opposition entre deux forces qui se font face &mdash;&nbsp;les Grands et le Peuple&nbsp;&mdash;, opposition qui produit un conflit ind&eacute;passable au sein de la soci&eacute;t&eacute; moderne. Parce qu&rsquo;aucune forme politique ne porte en soi la stabilit&eacute;, et que l&rsquo;instabilit&eacute; est l&rsquo;essence m&ecirc;me des soci&eacute;t&eacute;s modernes, tout l&rsquo;objet du Prince consistera pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; d&eacute;chiffrer dans le pr&eacute;sent ce que sera la figure des conflits &agrave; venir. &Ecirc;tre dans le calcul et l&rsquo;anticipation permanente des conflits qui s&rsquo;annoncent&nbsp;: voil&agrave; quel doit &ecirc;tre l&rsquo;art de gouverner. Ici se d&eacute;voile le v&eacute;ritable projet philosophique de Machiavel.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Insistons encore sur ce point&nbsp;: ce que d&eacute;couvre Machiavel, c&rsquo;est que l&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; n&rsquo;est rien de moins que la condition de possibilit&eacute; de la soci&eacute;t&eacute; moderne tout enti&egrave;re, comprise comme soci&eacute;t&eacute; plurielle, qui ne co&iuml;ncide jamais avec elle-m&ecirc;me, et irr&eacute;m&eacute;diablement sujette au conflit. Mais Claude Lefort ne s&rsquo;arr&ecirc;te pas l&agrave;. Il remarque en effet que l&rsquo;Histoire est constitu&eacute;e &agrave; bien des &eacute;gards de tentatives successives de surmonter ce conflit. Comme si celui-ci, bien que constitutif de nos soci&eacute;t&eacute;s, &eacute;tait v&eacute;cu comme une forme de d&eacute;faite pour le politique. Comme si la t&acirc;che du politique &eacute;tait pr&eacute;cis&eacute;ment d&rsquo;inventer une soci&eacute;t&eacute; d&eacute;barrass&eacute;e du conflit. Ne retrouve-t-on pas l&agrave; le vieux r&ecirc;ve platonicien de <em>La R&eacute;publique</em>, repris bien plus tard dans l&rsquo;utopie communiste de Karl Marx<a href="#_ftn16" name="_ftnref16" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[16]</span></sup></sup></a>&nbsp;? Et ne peut-on pas lire le projet de Thomas Hobbes pr&eacute;cis&eacute;ment comme l&rsquo;entreprise de surmonter le conflit propre &agrave; la nature humaine dans l&rsquo;Etat-L&eacute;viathan&nbsp;? Ce serait l&agrave;, dit Lefort, le propre de la modernit&eacute; que donne &agrave; voir la figure de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;&nbsp;: elle porte toujours d&eacute;j&agrave; en elle la crise de la modernit&eacute;. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">C&rsquo;est l&agrave; qu&rsquo;interviennent pr&eacute;cis&eacute;ment La Bo&eacute;tie&nbsp;et ses r&eacute;flexions sur la servitude volontaire. L&rsquo;exp&eacute;rience de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, de la pluralit&eacute;, &eacute;crit-il, repr&eacute;sentent pour les hommes de telles &eacute;preuves qu&rsquo;ils sont constamment tent&eacute;s de les d&eacute;passer, de les r&eacute;soudre, voire de les nier. Cette tentation porte un nom, c&rsquo;est &laquo;&nbsp;l&rsquo;attrait pour l&rsquo;Un&nbsp;&raquo;.</span></span></p> <h3 style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:18px"><span style="color:black"><strong>2.2 Attrait pour l&rsquo;Un et n&eacute;gation de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;&nbsp;: la le&ccedil;on de La Bo&eacute;tie</strong></span></span></h3> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">R&eacute;dig&eacute; au mitan du seizi&egrave;me si&egrave;cle, le <em>Discours de la servitude volontaire </em>d&rsquo;&Eacute;tienne de La Bo&eacute;tie est un petit essai c&eacute;l&egrave;bre r&eacute;dig&eacute; &laquo;&nbsp;&agrave; l&rsquo;honneur de de la libert&eacute; contre les tyrans&nbsp;&raquo;, comme l&rsquo;&eacute;crira son ami Montaigne<a href="#_ftn17" name="_ftnref17" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[17]</span></sup></sup></a>. Le <em>Discours, </em>texte appartenant &agrave; la cat&eacute;gorie bien d&eacute;finie des &oelig;uvres politiques lib&eacute;rales et d&eacute;mocratiques&nbsp;? Ce serait l&agrave; encore succomber &agrave; la tentation d&rsquo;une lecture trop rapide, simpliste et univoque. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Comme l&rsquo;ont si bien compris les philosophes Miguel Abensour et Marcel Gauchet, La Bo&eacute;tie n&rsquo;affirme pas&nbsp;; il interroge. Et sa question est d&rsquo;une simplicit&eacute; si d&eacute;sarmante qu&rsquo;elle en est terrible&nbsp;: &laquo;&nbsp;Comment se fait-il que les hommes combattent pour leur servitude comme s&rsquo;il s&rsquo;agissait de leur salut<a href="#_ftn18" name="_ftnref18" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[18]</span></sup></sup></a>&nbsp;?&nbsp;&raquo;</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Le <em>Discours </em>est le r&eacute;sultat d&rsquo;un &eacute;tonnement philosophique, dont il faut bien mesurer la puissance et la radicalit&eacute;. Relisons attentivement cet &eacute;tonnement en le restituant dans son int&eacute;gralit&eacute;&nbsp;: </span></span></p> <p style="margin-left:40px; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;Je d&eacute;sirerais seulement qu&rsquo;on me fit comprendre comment il se peut que tant d&rsquo;hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d&rsquo;un Tyran seul, qui n&rsquo;a de puissance que celle qu&rsquo;on lui donne, qui n&rsquo;a de pouvoir de leur nuire, qu&rsquo;autant qu&rsquo;ils veulent bien l&rsquo;endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s&rsquo;ils n&rsquo;aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire. Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu&rsquo;il faut plut&ocirc;t en g&eacute;mir que s&rsquo;en &eacute;tonner)&nbsp;! C&rsquo;est de voir des millions de millions d&rsquo;hommes, mis&eacute;rablement asservis &agrave; un joug d&eacute;plorable, non qu&rsquo;ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu&rsquo;ils sont fascin&eacute;s et, pour ainsi dire, ensorcel&eacute;s par le seul nom <em>d&rsquo;un.</em><a href="#_ftn19" name="_ftnref19" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[19]</span></sup></sup></a>&nbsp;&raquo;</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Toute l&rsquo;entreprise de La Bo&eacute;tie est ici condens&eacute;e. &Agrave; la r&eacute;duire &agrave; un pamphlet d&eacute;mocratique &agrave; l&rsquo;adresse des tyrans, on en oublie la port&eacute;e scandaleuse. Peut-&ecirc;tre La Bo&eacute;tie est-il bien, &agrave; l&rsquo;instar de Machiavel, un philosophe m&eacute;connu parce que mal lu. C&rsquo;est en tout cas ce que Claude Lefort laisse entendre lorsqu&rsquo;il entreprend de relire l&rsquo;auteur du <em>Discours </em>et de redonner &agrave; son &eacute;tonnement sa dimension v&eacute;ritable<a href="#_ftn20" name="_ftnref20" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[20]</span></sup></sup></a>. Il nous met en garde, aiguise notre attention&nbsp;; prenons conscience du &laquo;&nbsp;choc&nbsp;&raquo; et du &laquo;&nbsp;scandale&nbsp;&raquo; que repr&eacute;sente la question de La Bo&eacute;tie&nbsp;: &laquo;&nbsp;D&rsquo;o&ugrave; vient, ne disons pas le consentement &agrave; la domination, car ce serait la supposer d&eacute;j&agrave; &eacute;tablie, mais l&rsquo;obstin&eacute;e volont&eacute; de la produire<a href="#_ftn21" name="_ftnref21" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[21]</span></sup></sup></a>&nbsp;?&nbsp;&raquo;</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">C&rsquo;est peu dire que La Bo&eacute;tie compte parmi les grandes figures philosophes qui ont jalonn&eacute; le parcours de Lefort, aux c&ocirc;t&eacute;s de Machiavel, Marx et Tocqueville. Ce qui chez lui impressionne sp&eacute;cifiquement Lefort, c&rsquo;est ce ph&eacute;nom&egrave;ne myst&eacute;rieux que ce dernier identifie au &laquo; nom d&rsquo;Un&nbsp;&raquo;. Dans son analyse proprement fascinante du <em>Discours</em>, Lefort fait de cet attrait envers l&rsquo;Un une sorte de r&eacute;action naturelle au sentiment d&rsquo;ind&eacute;termination qui nous habite &mdash;&nbsp;effet de la Modernit&eacute;&nbsp;&mdash; et que nous &eacute;prouvons dans l&rsquo;exp&eacute;rience de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; o&ugrave; nous nous d&eacute;couvrons comme des &ecirc;tres s&eacute;par&eacute;s. Cette ind&eacute;termination ne peut &ecirc;tre abolie, mais seulement d&eacute;ni&eacute;e&nbsp;; elle ne s&rsquo;&eacute;vanouit qu&rsquo;apparemment dans ce qu&rsquo;il nous faut bien appeler le &laquo; fantasme &raquo; d&rsquo;un corps-Un, d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute;-Une. Nous produirions constamment le consentement &agrave; la domination de l&rsquo;Un car nous croyons qu&rsquo;il est en mesure de nous d&eacute;livrer de l&rsquo;incertitude de notre condition.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Il &eacute;crit ainsi dans <em>L&rsquo;invention d&eacute;mocratique</em>&nbsp;: &laquo;&nbsp;En d&eacute;couvrant la pens&eacute;e de La Bo&eacute;tie, j&rsquo;avais &eacute;t&eacute; frapp&eacute; de la voir associ&eacute;e &agrave; celle d&rsquo;un attrait pour le corps du tyran, ou plus g&eacute;n&eacute;ralement du roi, du ma&icirc;tre dans lequel se trouvait incarn&eacute;e la fiction du corps social&nbsp;; et non moins frapp&eacute; de la voir se combiner avec l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un &ldquo;charme&rdquo; &eacute;manant du nom d&rsquo;Un, lequel d&eacute;livre les Sujets de la crainte de la division et de l&rsquo;&eacute;preuve du pluriel<a href="#_ftn22" name="_ftnref22" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[22]</span></sup></sup></a>. &raquo; Ainsi, l&rsquo;&eacute;preuve de la pluralit&eacute; entra&icirc;ne n&eacute;cessairement la crainte de la division. Et de cette crainte de la division na&icirc;t le sentiment du besoin d&rsquo;unit&eacute; par lequel<strong> &laquo;&nbsp;</strong>chacun se sent mis en demeure de vouloir, de penser, d&rsquo;agir pareillement&nbsp;&raquo;. Dans la soci&eacute;t&eacute; d&eacute;crite par La Bo&eacute;tie, l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; prend toujours la forme d&rsquo;une confrontation avec autrui&nbsp;: l&rsquo;autre est celui avec lequel j&rsquo;ai &agrave; vivre, avec lequel je dois composer. L&rsquo;&eacute;preuve du pluriel, comme l&rsquo;&eacute;crit Lefort, n&rsquo;est en fin de compte que le r&eacute;sultat d&rsquo;une exp&eacute;rience premi&egrave;re de reconnaissance de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; constitutive des soci&eacute;t&eacute;s.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Si pour Machiavel, le conflit avec l&rsquo;Autre est la condition de possibilit&eacute; de la soci&eacute;t&eacute; elle-m&ecirc;me, La Bo&eacute;tie d&eacute;couvre pour sa part la dynamique n&eacute;gative qui sous-tend cette exp&eacute;rience de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;&nbsp;: l&rsquo;&eacute;preuve, inacceptable et insoutenable d&rsquo;un corps social bris&eacute;, d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; plurielle form&eacute;e d&rsquo;individus s&eacute;par&eacute;s. C&rsquo;est ainsi que l&rsquo;attrait de l&rsquo;Un vient alors recouvrir ce sentiment de vuln&eacute;rabilit&eacute;&nbsp;; il nie l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, il nie l&rsquo;Autre, et entreprend de reconstituer un corps homog&egrave;ne, uni et pur. Ce faisant, il efface l&rsquo;incertitude propre &agrave; la modernit&eacute;. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Voil&agrave; pr&eacute;cis&eacute;ment ce qui conduira Claude Lefort, instruit de la d&eacute;couverte de Machiavel et de la le&ccedil;on de La Bo&eacute;tie, &agrave; identifier au c&oelig;ur des projets totalitaires du vingti&egrave;me si&egrave;cle l&rsquo;aboutissement de ce fantasme de n&eacute;gation. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm">&nbsp;</p> <h2 style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:20px"><span style="color:black"><strong>3. La tentation totalitaire ou la n&eacute;gation absolue de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;</strong></span></span></h2> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Le totalitarisme, comme le d&eacute;couvre en effet Lefort, est une machine &agrave; fabriquer de l&rsquo;invuln&eacute;rabilit&eacute; et de la certitude, du &laquo;&nbsp;m&ecirc;me&nbsp;&raquo; et de l&rsquo;Un. Il est par d&eacute;finition n&eacute;gation de l&rsquo;Autre. En r&eacute;alit&eacute;, tout le projet totalitaire peut pr&eacute;cis&eacute;ment s&rsquo;envisager comme la tentative de nier chacune des exp&eacute;riences modernes de dissolution des rep&egrave;res de la certitude &eacute;voqu&eacute;es plus haut&nbsp;: n&eacute;gation du conflit, n&eacute;gation de l&rsquo;Histoire, n&eacute;gation de la diff&eacute;renciation entre le r&eacute;el et le symbolique, n&eacute;gation de la d&eacute;sincorporation, et donc&nbsp;&eacute;galement n&eacute;gation de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">La soci&eacute;t&eacute; totalitaire se pr&eacute;sente tout &agrave; la fois comme r&eacute;gime de l&rsquo;affirmation du corps homog&egrave;ne et Un, comme r&eacute;gime qui tente de recr&eacute;er de la certitude, de souder la soci&eacute;t&eacute; et le r&eacute;gime qui fantasme sa puret&eacute; et son invuln&eacute;rabilit&eacute;. Le r&eacute;gime qui ne <em>peut</em> pas faire l&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">En cons&eacute;quence, celui-ci va chercher &agrave; s&rsquo;en d&eacute;faire en produisant tout un ensemble de discours, de pratiques et de m&eacute;canismes de d&eacute;ni de cette alt&eacute;rit&eacute;. C&rsquo;est ainsi que l&rsquo;on peut comprendre pourquoi l&rsquo;Autre, celui qui n&rsquo;est pas &laquo;&nbsp;nous&nbsp;&raquo;, est toujours per&ccedil;u dans les r&eacute;gimes totalitaires comme un &eacute;l&eacute;ment de vuln&eacute;rabilit&eacute;, qui d&eacute;stabilise et menace le corps social et politique. Il fera alors l&rsquo;objet d&rsquo;une &laquo;&nbsp;prophylaxie sociale&nbsp;&raquo;&nbsp;: on l&rsquo;&eacute;vacuera comme un &laquo;&nbsp;d&eacute;chet&nbsp;&raquo; pour reprendre un mot de Solj&eacute;nitsyne, en cr&eacute;ant le fantasme d&rsquo;un Ennemi malfaisant, agissant de l&rsquo;ext&eacute;rieur comme de l&rsquo;int&eacute;rieur, le fantasme de cet Autre qui vient affaiblir l&rsquo;int&eacute;grit&eacute; et de l&rsquo;unit&eacute; du corps. L&rsquo;Autre, par sa seule existence, rend impossible le fantasme de la soci&eacute;t&eacute;-Une. La logique conduit donc &agrave; son extermination absolue, d&eacute;finitive. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">De ce point de vue, Lefort a raison d&rsquo;affirmer que le r&eacute;gime totalitaire incarne prodigieusement cet attrait pour l&rsquo;Un dont parlait La Bo&eacute;tie, qu&rsquo;il &eacute;rige comme fantasme. On aurait tort pourtant de r&eacute;duire ce ph&eacute;nom&egrave;ne aux soci&eacute;t&eacute;s totalitaires, qui ne l&rsquo;&eacute;puisent pas. Ce ph&eacute;nom&egrave;ne est commun &agrave; toutes les soci&eacute;t&eacute;s modernes &ndash; m&ecirc;me les d&eacute;mocraties &ndash; et ne cesse de les menacer en profondeur. Telle est la g&eacute;niale intuition de La Bo&eacute;tie, la le&ccedil;on qu&rsquo;il l&egrave;gue ainsi aux modernes que nous sommes et que Lefort entreprend de restituer en la prolongeant.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Lefort n&rsquo;identifie-t-il pas par exemple la production de l&rsquo;id&eacute;ologie comme &eacute;tant anim&eacute;e par le d&eacute;sir de recr&eacute;er des marqueurs de certitude&nbsp;? De m&ecirc;me, ne comprend-il pas la permanence du th&eacute;ologico-politique au sein m&ecirc;me de nos soci&eacute;t&eacute;s modernes comme la manifestation d&rsquo;une r&eacute;sistance &agrave; cet ordre de l&rsquo;incertitude et de la vuln&eacute;rabilit&eacute;&nbsp;? C&rsquo;est que d&rsquo;une certaine mani&egrave;re, la pens&eacute;e de Lefort peut s&rsquo;appr&eacute;hender comme une r&eacute;flexion critique sur notre incapacit&eacute; &agrave; assumer notre modernit&eacute;. Nous ne voulons pas reconna&icirc;tre ce qu&rsquo;&ecirc;tre moderne implique pour nos soci&eacute;t&eacute;s&nbsp;: perte de certitude et sentiment de vuln&eacute;rabilit&eacute;. Comment comprendre autrement ces tentatives sans cesse r&eacute;p&eacute;t&eacute;es de nier ces exp&eacute;riences qui les constituent&nbsp;: d&eacute;sincorporation, changement, alt&eacute;rit&eacute;&nbsp;? </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Au sujet de cette derni&egrave;re, le tour de force th&eacute;orique de Lefort est de faire remarquer que, nous autres modernes, ne cessons jamais de la fuir. Il y aurait quelque chose de fondamentalement insupportable dans cette &eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. Il n&rsquo;est pas impossible que l&rsquo;exp&eacute;rience de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; et la dissolution des rep&egrave;res de la certitude qui en r&eacute;sulte conduisent les soci&eacute;t&eacute;s modernes vers le nihilisme ou le relativisme, un danger d&eacute;j&agrave; identifi&eacute; par Strauss, auquel Lefort consacre de nombreuses r&eacute;flexions<a href="#_ftn23" name="_ftnref23" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[23]</span></sup></sup></a>. Mais il n&rsquo;est pas impossible non plus que cette &eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; provoque un rejet, un m&eacute;canisme de d&eacute;ni de la part de nos soci&eacute;t&eacute;s. Qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience de la pluralit&eacute;, du conflit, r&eacute;ponde une violente exigence d&rsquo;unit&eacute;, d&rsquo;homog&eacute;n&eacute;it&eacute; et de recr&eacute;ation du corps politique et social. Comme l&rsquo;&eacute;crit Lefort&nbsp;: &laquo;&nbsp;C&rsquo;est en ce sens que l&rsquo;on peut dire que le totalitarisme n&rsquo;est pas &eacute;tranger &agrave; la d&eacute;mocratie. Il transforme en un fantasme, tr&egrave;s efficace d&rsquo;ailleurs, une aspiration qui se d&eacute;veloppe au sein m&ecirc;me du r&eacute;gime d&eacute;mocratique<a href="#_ftn24" name="_ftnref24" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[24]</span></sup></sup></a>.<sup> </sup>&raquo;</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <h2 style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:20px"><span style="color:black"><strong>4. Penser l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; dans la modernit&eacute;&nbsp;: vers une &laquo;&nbsp;d&eacute;mocratie sauvage&nbsp;&raquo;</strong></span></span></h2> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Comment rendre alors supportable l&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;&nbsp;? Comment r&eacute;sister aux tentations de l&rsquo;Un au sein de nos soci&eacute;t&eacute;s modernes et d&eacute;mocratiques&nbsp;?</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Claude Lefort propose &agrave; cet effet l&rsquo;instauration d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; v&eacute;ritablement d&eacute;mocratique, qu&rsquo;il nomme &laquo;&nbsp;d&eacute;mocratie sauvage&nbsp;&raquo; &mdash;&nbsp;le terme sera repris et approfondi par son &eacute;l&egrave;ve Miguel Abensour. Bien que le terme soit fort peu d&eacute;velopp&eacute; dans les travaux de Lefort, il faut le comprendre comme le projet d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; qui, par un processus de r&eacute;flexivit&eacute; sur elle-m&ecirc;me, assume sa pluralit&eacute;, <em>reconna&icirc;t</em> et fait sienne l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; qui la d&eacute;finit. En quelque sorte, il s&rsquo;agit d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; fond&eacute;e sur les principes d&eacute;mocratiques mis en &eacute;vidence par Tocqueville<a href="#_ftn25" name="_ftnref25" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[25]</span></sup></sup></a>. Mais une soci&eacute;t&eacute; instruite du retournement que lui a fait subir le totalitarisme, et qui peut d&egrave;s lors renverser &agrave; son tour celui-ci pour assumer sa vuln&eacute;rabilit&eacute; intrins&egrave;que. Citons encore Lefort&nbsp;: </span></span></p> <p style="margin-left:40px; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;La d&eacute;mocratie est par excellence le r&eacute;gime qui accueille la division sous toutes ses formes, qui ne peut pas la ma&icirc;triser et accepte de ne pas le pouvoir. &Ccedil;a ne veut pas dire qu&rsquo;elle la l&eacute;gitime, qu&rsquo;elle l&rsquo;aime. La d&eacute;mocratie, au fond, est un r&eacute;gime qui reconna&icirc;t sa faiblesse dans la mesure o&ugrave; la question de la l&eacute;gitimit&eacute; de ce qui est, se trouve constamment pos&eacute;e dans chaque registre d&rsquo;activit&eacute;.<a href="#_ftn26" name="_ftnref26" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[26]</span></sup></sup></a>&nbsp;&raquo;</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Nos d&eacute;mocraties sont condamn&eacute;es &agrave; lutter continuellement contre l&rsquo;attrait myst&eacute;rieux et ensorceleur de l&rsquo;Un. Toujours &agrave; ce propos, Lefort &eacute;crit&nbsp;dans <em>L&rsquo;invention d&eacute;mocratique&nbsp;</em>: &laquo;&nbsp;Pour qu&rsquo;une telle soci&eacute;t&eacute; r&eacute;ussisse &agrave; tenir ensemble en d&eacute;pit de la multiplicit&eacute; des int&eacute;r&ecirc;ts, des opinions, des passions qui la d&eacute;chirent, il faut qu&rsquo;elle fasse sienne &agrave; quelque degr&eacute; une &eacute;thique du doute<a href="#_ftn27" name="_ftnref27" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[27]</span></sup></sup></a>.&nbsp;&raquo; Cette &eacute;thique du doute est au c&oelig;ur m&ecirc;me du projet d&eacute;mocratique&nbsp;: c&rsquo;est elle qui institue le d&eacute;bat sans cesse renouvel&eacute; sur le juste et l&rsquo;injuste, le l&eacute;gitime et l&rsquo;ill&eacute;gitime, le vrai et le faux, etc. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Ici appara&icirc;t une diff&eacute;rence fondamentale avec La Bo&eacute;tie. Celui-ci affirme en effet que pour cesser d&rsquo;&ecirc;tre attir&eacute; par l&rsquo;Un, il suffit de cesser de le vouloir &mdash;&nbsp;non pas faire quelque chose, mais arr&ecirc;ter de faire quelque chose. Lefort quant &agrave; lui consid&egrave;re au contraire que c&rsquo;est dans l&rsquo;activit&eacute; humaine de la pratique du doute que cet attrait de l&rsquo;Un peut &ecirc;tre stopp&eacute; et qu&rsquo;une v&eacute;ritable reconnaissance de l&rsquo;Autre peut &ecirc;tre engag&eacute;e.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Autre &eacute;l&eacute;ment de r&eacute;flexion possible en vue de conjurer l&rsquo;attrait de l&rsquo;Un&nbsp;: se pencher sur la relation entre langage, discours et reconnaissance de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. Il y a un rapport entre langage et libert&eacute;, discours et alt&eacute;rit&eacute;&nbsp;; parler, c&rsquo;est &eacute;voquer une dimension du pluriel. C&rsquo;est l&rsquo;enseignement de La Bo&eacute;tie. Fondamentalement politique, le langage n&rsquo;est ni dans l&rsquo;individu ni &agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur de lui&nbsp;; il est la condition de possibilit&eacute; de la pens&eacute;e du politique, qui nous d&eacute;livre par l&agrave;-m&ecirc;me de l&rsquo;illusion de l&rsquo;Un. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">De ce point de vue, le discours doit &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; en d&eacute;mocratie comme un instrument de pluralit&eacute;, car il fait entendre &mdash;&nbsp;litt&eacute;ralement&nbsp;&mdash; une multiplicit&eacute; de voix&nbsp;: il n&rsquo;y a pas <em>une</em> voix, mais <em>des </em>voix, et ces voix sont celles de l&rsquo;Autre. S&rsquo;attacher &agrave; faire entendre la voix de ceux que l&rsquo;on ne voit pas, que l&rsquo;on n&rsquo;entend pas ou plus &mdash;&nbsp;ces invisibles dont parle notamment le philosophe Guillaume Le Blanc<a href="#_ftn28" name="_ftnref28" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[28]</span></sup></sup></a>, <em>donner &agrave; entendre et &agrave; voir le pluriel, </em>voil&agrave; par exemple ce qui pourrait constituer une politique &eacute;minemment d&eacute;mocratique, au sens lefortien.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <h2 style="margin-left:0cm; margin-right:0cm"><span style="font-size:20px"><span style="color:black"><strong>Conclusion</strong></span></span></h2> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">On peut &eacute;videmment regretter que Claude Lefort, qui s&rsquo;est toujours d&eacute;fini comme philosophe du r&eacute;el et de la <em>praxis,</em> n&rsquo;ait pas eu l&rsquo;occasion de pousser plus loin sa r&eacute;flexion, qu&rsquo;il se soit content&eacute; d&rsquo;esquisser les contours de cette d&eacute;mocratie sauvage et v&eacute;ritablement moderne. C&rsquo;est du reste &agrave; prolonger et approfondir ces questions que se sont attel&eacute;s certains des plus fameux penseurs qu&rsquo;il a influenc&eacute;s&nbsp;: Miguel Abensour, Pierre Manent, Marcel Gauchet ou Pierre Rosanvallon pour ne citer qu&rsquo;eux. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Mais comment ne pas voir le formidable champ de r&eacute;flexion que Lefort a ouvert dans la philosophie politique contemporaine&nbsp;? Dans <em>L&rsquo;invention d&eacute;mocratique, </em>il affirme que les r&eacute;gimes totalitaires s&rsquo;&eacute;rigent sur un fantasme d&rsquo;invuln&eacute;rabilit&eacute;, de n&eacute;gation de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, se coupent du r&eacute;el et finissent d&egrave;s lors par s&rsquo;&eacute;crouler lorsque celui-ci se rappelle &agrave; eux, par cette grande col&egrave;re des faits dont parlait Foucault. &Agrave; l&rsquo;inverse, les d&eacute;mocraties, toujours ouvertes &agrave; l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement, coll&eacute;es au r&eacute;el, font certes l&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; et de la vuln&eacute;rabilit&eacute; qui en proc&egrave;de, mais y gagnent en retour une plasticit&eacute;, une adaptabilit&eacute; et une inventivit&eacute; qui constituent leur r&eacute;silience. De sorte que &laquo;&nbsp;faire l&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est faire l&rsquo;exp&eacute;rience de la libert&eacute;. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Au fond, ce que nous apprend cette lecture de Claude Lefort, avec l&rsquo;aide de Machiavel et La Bo&eacute;tie, c&rsquo;est peut-&ecirc;tre avant tout qu&rsquo;&agrave; travers l&rsquo;exp&eacute;rience de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; r&eacute;sident pour nos soci&eacute;t&eacute;s d&eacute;mocratiques un d&eacute;fi et une promesse.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Le d&eacute;fi d&rsquo;&ecirc;tre aux prises avec le r&eacute;el, dans ce qu&rsquo;il a de radicalement pluriel, d&rsquo;inconnu et d&rsquo;incertain, dans ce qu&rsquo;il porte en lui de nouveau et d&rsquo;impr&eacute;visible. La promesse d&rsquo;une ouverture &agrave; l&rsquo;autre, d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; capable de se r&eacute;inventer sans cesse dans l&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, en d&rsquo;autres termes la promesse de r&eacute;sister &agrave; cette tentation de l&rsquo;Un et de gagner ainsi en retour le prix le plus pr&eacute;cieux de notre condition de modernes&nbsp;: notre libert&eacute;. </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <h2 style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:20px"><span style="color:black"><strong>Bibliographie</strong></span></span></h2> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">La Bo&eacute;tie Etienne (de), D<em>iscours de la servitude volontaire, </em>Paris, Payot, coll. &laquo;&nbsp;Critique de la politique&nbsp;&raquo;, 1993.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Lefort Claude, <em>&Eacute;l&eacute;ments d&rsquo;une critique de la bureaucratie, </em>Paris, Gallimard, coll. &laquo;&nbsp;Tel&nbsp;&raquo;, 1979.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Lefort Claude, <em>Le Travail de l&rsquo;oeuvre&nbsp;Machiavel</em>, Paris, Gallimard, coll. &laquo;&nbsp;Tel&nbsp;&raquo;, 1986.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Lefort Claude, <em>Les formes de l&rsquo;histoire, </em>Essais d&rsquo;anthropologie politique, Paris, Gallimard, coll. &laquo;&nbsp;Biblioth&egrave;que des sciences humaines&nbsp;&raquo;, 1978.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Lefort Claude, <em>L&rsquo;invention d&eacute;mocratique</em>, Paris, Fayard, 1994.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Lefort Claude, <em>Essais sur le politique&nbsp;: </em>XIXe-XXe si&egrave;cles, Paris, Seuil, coll. &laquo;&nbsp;Points Essais&nbsp;&raquo;, 2001.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Lefort Claude, <em>&Eacute;crire&nbsp;: &Agrave; l&rsquo;&eacute;preuve du politique</em>, Paris, Calmann-L&eacute;vy, coll. &laquo;&nbsp;Libert&eacute; de l&rsquo;esprit&nbsp;&raquo;, 1992.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Lefort Claude, <em>Le Temps pr&eacute;sent&nbsp;: &Eacute;crits 1945-2005,</em> Paris, Belin, coll. &laquo;&nbsp;Litt&eacute;rature et politique&nbsp;&raquo;, 2007.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Lefort Claude, <em>Le nom d&rsquo;Un</em>, dans <em>Discours de la servitude volontaire</em>, Paris, Payot, coll. &laquo;&nbsp;Critique de la politique&nbsp;&raquo;, 1993.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Machiavel Nicolas, <em>Le Prince, </em>Paris, Flammarion, coll. &laquo;&nbsp;GF&nbsp;&raquo;, 1997.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Machiavel Nicolas, <em>Discours sur la premi&egrave;re d&eacute;cade de Tite-Live, </em>Paris, Gallimard, coll. &laquo;&nbsp;Biblioth&egrave;que de Philosophie&raquo;, 2004.</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <h2 style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><strong><span style="color:#222222">Biographie de l&rsquo;auteur </span></strong></span></span></h2> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Dipl&ocirc;m&eacute; de Philosophie (Universit&eacute; Bordeaux Montaigne), de Th&eacute;orie politique (SciencesPo Paris) et de Communication Politique et sociale (Universit&eacute; Paris 1 Panth&eacute;on-Sorbonne), Ya&euml;l Gambarotto est doctorant en Philosophie &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; Paris Est Cr&eacute;teil, sous la direction du philosophe Guillaume Le Blanc. Ses recherches portent principalement sur la pens&eacute;e politique moderne et s&rsquo;inscrivent dans la continuit&eacute; des travaux de Claude Lefort sur la d&eacute;mocratie et le totalitarisme. Il enseigne la th&eacute;orie politique et la philosophie &agrave; SciencesPo Paris.<strong> </strong></span></span></p> <div>&nbsp; <hr /> <div id="ftn1"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[1]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Platon, <em>La R&eacute;publique, </em>dans <em>&OElig;uvres compl&egrave;tes,</em> t. 1, Paris, Gallimard, 1940.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn2"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[2]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Raymond Aron, <em>D&eacute;mocratie</em> et <em>Totalitarisme</em>, Paris<em>, </em>Gallimard, 1965.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn3"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[3]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Hannah Arendt, <em>The origins of totalitarianism, </em>Harcourt Brace &amp; Co., New York, 1951.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn4"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[4]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Claude Lefort, <em>&Eacute;l&eacute;ments d&rsquo;une critique de la bureaucratie</em>, Paris, Gallimard, 1986.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn5"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[5]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Claude Lefort, <em>Les formes de l&rsquo;histoire, Essais d&rsquo;anthropologie politique, </em>Paris, Gallimard, 1978.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn6"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[6]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Claude Lefort, <em>La Modernit&eacute; de Dante, </em>dans Alighieri Dante, <em>La Monarchie, </em>Paris, Belin, 2010.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn7"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[7]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Pour une pr&eacute;sentation plus d&eacute;taill&eacute;e des d&eacute;bats qui ont oppos&eacute;s Claude Lefort &agrave; Pierre Clastres, voir notamment &laquo;&nbsp;Dialogue avec Pierre Clastres &raquo; dans <em>&Eacute;crire&nbsp;: &Agrave; l&rsquo;&eacute;preuve du politique, </em>Paris, Calmann-L&eacute;vy, coll. &laquo;&nbsp;Libert&eacute; de l&rsquo;esprit&nbsp;&raquo;, 1992, p. 315-330 et &laquo; Sur Pierre Clastres&nbsp;&raquo;, dans <em>Le Temps Pr&eacute;sent </em>: &Eacute;crits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 384-388.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn8"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[8]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> &Agrave; ce sujet, voir la remarquable &eacute;tude du penseur am&eacute;ricain Samuel Moyn sur le rapport au symbolique dans les th&eacute;ories de Clastres et Lefort. Samuel Moyn, <em>Cl</em></span><em><span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:Times">aude Lefort, Political Anthropology, and Symbolic Division, </span></span></em><span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:Times">dans </span></span><span style="font-size:10.0pt">Constellations, vol. 19, 1, 2012.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn9"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[9]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Sur la conception du pouvoir comme lieu vide, voir Claude Lefort, <em>L&rsquo;invention d&eacute;mocratique, </em>Paris, Fayard, 1994</span></span></span></p> </div> <div id="ftn10"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[10]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Platon, <em>La R&eacute;publique,</em> <em>op. cit.</em></span></span></span></p> </div> <div id="ftn11"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[11]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Karl Popper, <em>La soci&eacute;t&eacute; ouverte et ses ennemis</em>, Paris, Seuil, 2 tomes, 1979. Dans cet essai aux allures de pamphlet, Popper d&eacute;veloppe une th&eacute;orie controvers&eacute;e sur la philosophie platonicienne qu&rsquo;il qualifie de totalitaire. Platon serait coupable d&rsquo;avoir d&eacute;velopp&eacute; le mod&egrave;le d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; close sur elle-m&ecirc;me, incapable d&rsquo;envisager le changement et l&rsquo;inattendu autrement que comme des dangers mortif&egrave;res pour le corps social. Cela conduit Popper &agrave; placer Platon dans la cat&eacute;gorie des ennemis des soci&eacute;t&eacute;s dites ouvertes, c&rsquo;est-&agrave;-dire lib&eacute;rales et d&eacute;mocratiques, aux c&ocirc;t&eacute;s de Hegel, Marx et m&ecirc;me Hitler.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn12"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[12]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> &laquo;&nbsp;Les le&ccedil;ons de la servitude et leur destin&nbsp;&raquo;, Miguel Abensour et Marcel Gauchet, dans <em>Discours de la servitude volontaire</em>, Payot, 1993, p. XXVIII. </span></span></span></p> </div> <div id="ftn13"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref13" name="_ftn13" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[13]</span></sup></span></sup></a><em><span style="font-size:10.0pt"> Ibid.</span></em></span></span></p> </div> <div id="ftn14"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref14" name="_ftn14" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[14]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Claude Lefort, <em>Le travail de l&rsquo;&oelig;uvre Machiavel, op. cit.</em>, p.427</span></span></span></p> </div> <div id="ftn15"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref15" name="_ftn15" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[15]</span></sup></span></sup></a><em> </em><span style="font-size:10.0pt">Claude Lefort, <em>Le travail de l&rsquo;&oelig;uvre Machiavel, op. cit., </em>p. 477.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn16"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref16" name="_ftn16" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[16]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Sur ce point, voir plus particuli&egrave;rement Karl Marx, <em>Le manifeste du parti communiste,</em> dans &OElig;uvres compl&egrave;tes, t. 1, Gallimard, 1994.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn17"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref17" name="_ftn17" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[17]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Michel de Montaigne, <em>Essais</em>, livre 1, chap. XXVII, dans <em>&OElig;uvres Compl&egrave;tes, </em>Paris, Gallimard, 2004.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn18"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref18" name="_ftn18" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[18]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> &laquo;&nbsp;Les le&ccedil;ons de la servitude et leur destin&nbsp;&raquo;, Miguel Abensour et Marcel Gauchet, dans <em>Discours de la servitude volontaire, op. cit</em>, p. XIII.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn19"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref19" name="_ftn19" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[19]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> &Eacute;tienne de La Bo&eacute;tie, <em>Discours de la servitude volontaire, op. cit.</em>, p.174-175.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn20"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref20" name="_ftn20" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[20]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Voir notamment Claude Lefort, <em>Le nom d&rsquo;Un</em>, dans <em>Discours de la servitude volontaire</em>, <em>op. cit.</em>, p. 247-307.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn21"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref21" name="_ftn21" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[21]</span></sup></span></sup></a><em> </em><span style="font-size:10.0pt">Claude Lefort, <em>Le nom d&rsquo;Un</em>, dans <em>Discours de la servitude volontaire</em>, <em>op. cit., </em>p. 248.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn22"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref22" name="_ftn22" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[22]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Claude Lefort, <em>&Eacute;crire, </em>&Agrave; l&rsquo;&eacute;preuve du politique<em>, op. cit</em>., p. 343.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn23"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref23" name="_ftn23" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[23]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt">&Agrave; titre d&rsquo;exemple, voir &laquo;&nbsp;3 notes sur L&eacute;o Strauss&nbsp;&raquo;, dans <em>Essais sur le politique, </em>XIXe-XXe si&egrave;cles<em>,</em> Paris, Seuil, 2011, p. 280-298.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn24"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref24" name="_ftn24" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[24]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Claude Lefort, <em>Aper&ccedil;u d&rsquo;un itin&eacute;raire, </em>dans <em>Le temps pr&eacute;sent </em>: &Eacute;crits 1945-2005, <em>op. cit.</em>, p. 350-35.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn25"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref25" name="_ftn25" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[25]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Alexis de Tocqueville, <em>De la d&eacute;mocratie en Am&eacute;rique,</em> Paris, Flammarion, 2010.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn26"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref26" name="_ftn26" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[26]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Claude Lefort, <em>Aper&ccedil;u d&rsquo;un itin&eacute;raire</em>, <em>op. cit.</em>, p. 350-351.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn27"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref27" name="_ftn27" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[27]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Claude Lefort, <em>L&rsquo;incertitude d&eacute;mocratique, </em>dans <em>Le temps pr&eacute;sent </em>: &Eacute;crits 1945-2005, <em>op. cit.</em>, p.743.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn28"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref28" name="_ftn28" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[28]</span></sup></span></sup></a> <span style="font-size:10.0pt">&Agrave;</span><span style="font-size:10.0pt"> ce sujet, voir notamment Guillaume le Blanc, <em>Vie ordinaires, vies pr&eacute;caires,</em> Paris, Seuil, 2007 ou encore <em>L&rsquo;invisibilit&eacute; sociale, </em>Paris, Presses Universitaires de France, 2009.</span></span></span></p> </div> </div>