<p style="text-align:left"><span style="font-size:large"><strong>Le passage de L1 &agrave; L2 &agrave; l&rsquo;&eacute;cole primaire en Alg&eacute;rie&nbsp;: une m&eacute;diation tacite&nbsp;?</strong></span></p> <p style="text-align:left"><span style="font-size:small">Meriem STAMBOULI, Dr en sciences du langage, Maitre de conf&eacute;rences, ENPO-MA, Oran </span></p> <p style="text-align:left"><span style="font-size:small">&amp;</span></p> <p style="text-align:left"><span style="font-size:small">Amel Belkacemi, doctorante en sciences du langage, Universit&eacute; Oran II</span></p> <p style="text-align:left"><br /> &nbsp;</p> <p style="text-align:left"><strong>Mots-cl&eacute;s&nbsp;:</strong> arabe darija L1, arabe standard L2, m&eacute;diation, enfant, plurilinguisme soci&eacute;tal/scolaire, programme de L2 langue de scolarisation (1<sup>&egrave;re</sup> ann&eacute;e primaire)</p> <p style="text-align:left"><strong>R&eacute;sum&eacute; </strong></p> <p style="text-align:left">La scolarisation des enfants alg&eacute;riens se fait en arabe langue standard scolaire. A son entr&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, l&rsquo;enfant de 6-7 ans n&rsquo;a g&eacute;n&eacute;ralement pas de connaissances pr&eacute;alables en arabe standard L2 et la p&eacute;dagogie de l&rsquo;enseignement de L2 ne tient pas en consid&eacute;ration la premi&egrave;re langue L1 des enfants alg&eacute;riens. On s&rsquo;aper&ccedil;oit que les enseignants de L2 n&rsquo;ont pas de formation sur L1 et les curricula et programmes du primaire de L2 ne font aucune r&eacute;f&eacute;rence &agrave; L1. La L1 est pr&eacute;sente en classe de mani&egrave;re tacite et minoritaire, et on fait comme si elle n&rsquo;existe pas.</p> <p style="text-align:left">Des enseignants d&rsquo;arabe standard &agrave; l&rsquo;&eacute;cole primaire ont pourtant t&eacute;moign&eacute; d&rsquo;une m&eacute;diation tacite informelle et orale &ndash; mais pas &eacute;crite &ndash; de L1 &agrave; L2 en classe et inversement pour aider les enfants &agrave; apprendre. Formaliser le passage de L1 &agrave; L2/L2-L1 en classe rel&egrave;ve <em>de jure</em> des politiques linguistiques &eacute;ducatives, mais cette formalisation h&eacute;site et recule face &agrave; une r&eacute;alit&eacute; pr&eacute;sente et pesante.</p> <p style="text-align:left">Dans cet article, nous tenterons de trouver des solutions de continuit&eacute; de cette barri&egrave;re psychologique et politique de s&eacute;paration entre l&rsquo;arabe de scolarisation et les langues maternelles quotidiennes pr&eacute;sentes <em>de facto</em> dans les classes du primaire.</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left"><strong>Plan de l&rsquo;article</strong></p> <p style="text-align:left"><strong>Contexte et probl&eacute;matique&nbsp;: multilinguisme, plurilinguisme soci&eacute;tal/scolaire dans l&rsquo;Ouest alg&eacute;rien</strong></p> <p style="text-align:left"><strong>La scolarisation de l&rsquo;enfant en arabe standard L2&nbsp;: les enseignants d&rsquo;arabe sont-ils form&eacute;s &agrave; l&rsquo;&eacute;cart linguistique L1/L2&nbsp;?</strong></p> <p style="text-align:left"><strong>M&eacute;diation p&eacute;dagogique et linguistique&nbsp;</strong></p> <p style="text-align:left"><strong>La langue arabe, &eacute;volution entre norme(s) scolaire(s) et variations diachroniques</strong></p> <p style="text-align:left"><strong>R&eacute;sultats&nbsp;: Une L1 refoul&eacute;e, une L2 id&eacute;ologis&eacute;e</strong></p> <p style="text-align:left"><strong>Conclusion&nbsp;: l&rsquo;avenir de l&rsquo;enfant entre L1 et L2</strong></p> <p style="text-align:left">Annexes, 1, 2, 3</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left"><strong>Contexte et probl&eacute;matique&nbsp;: multilinguisme, plurilinguisme soci&eacute;tal/scolaire dans l&rsquo;Ouest alg&eacute;rien</strong></p> <p style="text-align:left">Le plurilinguisme alg&eacute;rien et m&ecirc;me maghr&eacute;bin est souvent vu en un plurilinguisme arabo-berbero-francophone. Ce plurilinguisme s&rsquo;&eacute;tend sur le large du Maghreb, en c&ocirc;te m&eacute;diterran&eacute;enne, en d&eacute;sert saharien et sur les pays voisins qui entourent l&rsquo;Alg&eacute;rie. Le plurilinguisme est ainsi d&eacute;fini par des param&egrave;tres g&eacute;opolitiques.</p> <p style="text-align:left">La probl&eacute;matique du pr&eacute;sent article tourne autour de la scolarisation de l&rsquo;enfant alg&eacute;rien en L2 qu&rsquo;est l&rsquo;arabe standard scolaire et de son patrimoine langagier et culturel en L1 qu&rsquo;est la darija ou le <em>maghribi</em> (terme repris d&rsquo;Elimam, 1997, 2003, 2015), d&egrave;s son entr&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;cole.</p> <p style="text-align:left">L&rsquo;arabe dit darija ou <em>maghribi</em>, quel est sa place &agrave; l&rsquo;&eacute;cole chez l&rsquo;institution&nbsp;? Chez les enseignants&nbsp;? Et chez l&rsquo;enfant&nbsp;? Et l&rsquo;arabe standard scolaire, comment est-il enseign&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;cole&nbsp;? Comment se fait la m&eacute;diation enseignant-&eacute;l&egrave;ve pour apprendre la langue arabe et les mati&egrave;res scientifiques<sup><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote1sym" name="sdfootnote1anc" style="font-size:57%"><sup>1</sup></a></sup> en arabe en premi&egrave;re ann&eacute;e primaire&nbsp;? Ce sont les questions fondamentales du pr&eacute;sent article, et des repr&eacute;sentations qui peuvent &ecirc;tre utiles pour comprendre et planifier le plurilinguisme alg&eacute;rien et/ou maghr&eacute;bin.</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left">La question des langues maternelles ou premi&egrave;res &agrave; l&rsquo;&eacute;cole et/ou dans la soci&eacute;t&eacute; a &eacute;t&eacute; &eacute;tudi&eacute;e dans diff&eacute;rents contextes et par de multiples chercheurs. Abdou Elimam (2009) a &eacute;tudi&eacute; la question des langues premi&egrave;res au Maghreb (Maroc, Alg&eacute;rie et Tunisie) et a toujours plaid&eacute; pour l&rsquo;&eacute;mancipation de la/des langue(s) premi&egrave;re(s) de l&rsquo;enfant &agrave; l&rsquo;&eacute;cole&nbsp;; et les travaux de la neuroscience ont valid&eacute; la th&egrave;se de la bonne acquisition de L1 pour pouvoir acqu&eacute;rir L2, L3,&hellip;.etc. La L1 est un support d&rsquo;apprentissage de L2, L x et L y.</p> <p style="text-align:left">La probl&eacute;matique a &eacute;galement &eacute;t&eacute; pos&eacute;e dans un contexte europ&eacute;en et africain. Dans son article <em>El&eacute;ments de r&eacute;flexion pour une didactique du plurilinguisme en Afrique francophone</em>, Bruno Maurer (2010) pose la question des langues maternelles ou premi&egrave;res &agrave; l&rsquo;&eacute;cole en Afrique, et oppose sa conception du plurilinguisme, multilinguisme africain, fortement inspir&eacute;e de Robert Chaudenson (1991) &agrave; celle de Daniel Coste (2010), qui est une conception sp&eacute;cifiquement europ&eacute;enne. Coste situe sa conception du plurilinguisme par rapport &agrave; l&rsquo;usage individuel du locuteur, et le multilinguisme, &agrave; l&rsquo;usage territorial&nbsp;: &laquo;&nbsp;La notion de plurilinguisme semble d&eacute;sormais bien &eacute;tablie en sociolinguistique et en didactique des langues, avec la distinction elle aussi devenue courante entre plurilinguisme des individus et multilinguisme des territoires, l&rsquo;un n&rsquo;impliquant pas l&rsquo;autre et inversement. A condition toutefois de s&rsquo;en tenir au fran&ccedil;ais, car la distinction ainsi pos&eacute;e n&rsquo;est pas toujours reproduite dans le lexique d&rsquo;autres langues. Et, surtout, dans le cas de l&rsquo;anglais, <em>multilingualism</em> tend &agrave; occuper tout l&rsquo;espace et &agrave; plus ou moins recouvrir les deux dimensions (individuelle et territoriale)&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align:left">Maurer est plut&ocirc;t dans une perspective d&rsquo;usage collectif, national/Etatique et supranational/supra-Etatique. Son argumentation est bas&eacute;e sur l&rsquo;&eacute;tymologie de pluri/multi-linguisme&nbsp;: pluri- du latin <em>plures</em> &laquo;&nbsp;plusieurs&nbsp;&raquo;, et multi- du latin <em>multus</em>, &laquo;&nbsp;beaucoup, nombreux&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align:left">Cependant, l&rsquo;individu peut avoir un usage pluriel de plusieurs langues ce qu&rsquo;on appelle une comp&eacute;tence plurilingue, forc&eacute;ment d&eacute;s&eacute;quilibr&eacute;e. Et on sait que le bi-plurilinguisme quasi-parfait n&rsquo;existe pas. Elle se manifeste &agrave; travers un r&eacute;pertoire verbal pluriel, riche, complexe, car c&rsquo;est l&rsquo;individu qui v&eacute;hicule en lui la/les langues/cultures, il est porteur de langue(s), et la nation est constitu&eacute;e/peupl&eacute;e d&rsquo;individus.</p> <p style="text-align:left">Une nation n&rsquo;est pas caract&eacute;ris&eacute;e seulement par le peuplement ou la population, le mot &laquo;&nbsp;nation&nbsp;&raquo; vient du latin <em>natio</em>. Au d&eacute;part, Cic&eacute;ron<sup><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote2sym" name="sdfootnote2anc" style="font-size:57%"><sup>2</sup></a></sup> l&rsquo;avait utilis&eacute; pour d&eacute;signer une peuplade, un peuple, ou une partie d&rsquo;un peuple. Plus tard, le mot &laquo;&nbsp;nation&nbsp;&raquo; s&rsquo;est forg&eacute; et s&rsquo;est distingu&eacute; du mot &laquo;&nbsp;peuple&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Un peuple est une multitude d&rsquo;hommes, vivant dans le m&ecirc;me pays et sous les m&ecirc;mes lois. Une nation est une multitude d&rsquo;hommes, ayant la m&ecirc;me origine, vivant dans le m&ecirc;me Etat et sous les m&ecirc;mes lois&nbsp;&raquo;<sup><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote3sym" name="sdfootnote3anc" style="font-size:57%"><sup>3</sup></a></sup>. Les mots &laquo;&nbsp;Etat&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;Origine&nbsp;&raquo; se rajoutent &agrave; la compr&eacute;hension et au fondement de la nation et donnent par cons&eacute;quent une orientation &agrave; la compr&eacute;hension et &agrave; l&rsquo;explication du plurilinguisme. L&rsquo;Origine d&rsquo;un peuple et l&rsquo;Etat qui le gouverne d&eacute;terminent son plurilinguisme, qu&rsquo;il soit formel ou informel, qu&rsquo;il soit soci&eacute;tal ou individuel.</p> <p style="text-align:left">Pour revenir aux deux th&egrave;ses de Coste et de Maurer, elles se tiennent et se d&eacute;fendent toutes les deux, et chacun est connaisseur et d&eacute;fenseur de son terrain. Nous aimerions cependant revenir au terrain maghr&eacute;bin &ndash; notre terrain de r&eacute;flexion, et dire que le Maghreb n&rsquo;est ni l&rsquo;Europe, ni l&rsquo;Afrique. Bien que nous estimions que l&rsquo;Alg&eacute;rie est plus proche du terrain africain sur le plan sociolinguistique si nous prenons en consid&eacute;ration que l&rsquo;Alg&eacute;rie se situe en Afrique du nord.</p> <p style="text-align:left">La langue de scolarisation en Afrique francophone est le fran&ccedil;ais &ndash; langue de l&rsquo;ancien colonisateur et une langue de puissance &eacute;conomique et diplomatique -, mais le terrain sociolinguistique africain qu&rsquo;est les langues africaines naturelles et/ou nationales, est diff&eacute;rent de la langue de scolarisation. Cela n&eacute;cessite une v&eacute;ritable r&eacute;flexion. Maurer<sup><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote4sym" name="sdfootnote4anc" style="font-size:57%"><sup>4</sup></a></sup> &ndash; mais pas seulement &ndash; estime que le syst&egrave;me &eacute;ducatif africain ne prend pas suffisamment en consid&eacute;ration l&rsquo;&eacute;mergence des langues premi&egrave;res nationales africaines dans la scolarit&eacute; et l&rsquo;&eacute;panouissement de l&rsquo;enfant africain. Il a propos&eacute; dans la continuit&eacute; des travaux de Roulet (1980), l&rsquo;approche de la didactique int&eacute;gr&eacute;e des langues qui int&egrave;gre les langues nationales africaines dans la scolarisation de l&rsquo;enfant africain, afin qu&rsquo;il se sente r&eacute;ellement proche de son environnement familial et social et qu&rsquo;il s&rsquo;&eacute;panouisse et se d&eacute;veloppe dans sa/ses langue(s) premi&egrave;re(s). Par cons&eacute;quent, la didactique du plurilinguisme prend son ancrage dans cette relation langues premi&egrave;res naturelles africaines ou pas-langue(s) de scolarisation. Une langue de scolarisation peut &ecirc;tre une langue non naturelle et c&rsquo;est souvent le cas. Certes, c&rsquo;est une langue norm&eacute;e par les politiques linguistiques et par les acad&eacute;miciens aussi, qui ont un regard important sur l&rsquo;&eacute;volution, l&rsquo;&eacute;mergence d&rsquo;une langue d&rsquo;un point soci&eacute;tal, litt&eacute;raire, psychologique, linguistique, p&eacute;dagogique&hellip;etc.</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left">En Alg&eacute;rie, le terrain est autre par rapport au contexte africain :</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <ul> <li> <p style="text-align:left">La langue de scolarisation n&rsquo;est plus la langue de l&rsquo;ancien colonisateur. Le fran&ccedil;ais n&rsquo;est plus langue officielle depuis 1962, et n&rsquo;est plus langue d&rsquo;enseignement &agrave; l&rsquo;&eacute;cole depuis la disparition des classes bilingues (arabe-fran&ccedil;ais) vers la fin des ann&eacute;es 80.</p> </li> <li> <p style="text-align:left">la langue de scolarisation n&rsquo;est pas non plus une langue de premi&egrave;re socialisation ou une L1. La scolarisation se fait en arabe standard scolaire L2, qu&rsquo;est une langue &eacute;tatique, nationale, officielle. C&rsquo;est une langue proche de la darija (la famille chamito-s&eacute;mitique), mais m&eacute;connue par l&rsquo;enfant avant son entr&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;cole.</p> </li> <li> <p style="text-align:left">Et m&ecirc;mes les langues maternelles alg&eacute;riennes ne sont pas d&rsquo;usage proportionn&eacute;, et n&rsquo;ont pas le m&ecirc;me poids ni le m&ecirc;me regard dans la soci&eacute;t&eacute;. La darija parl&eacute;e par presque 70 % de toute la population, et parl&eacute;e &agrave; presque &agrave; 95% dans l&rsquo;Ouest alg&eacute;rien (les statistiques ne sont jamais fiables &agrave; 100%, mais peuvent nous donner une id&eacute;e globale) est interdite d&rsquo;usage des &eacute;coles. Le tamazight, langue standardis&eacute;e &agrave; partir des parler berb&egrave;res. Ces parlers sont parl&eacute;s par plus de 30% de la population alg&eacute;rienne et concentr&eacute;s surtout &agrave; l&rsquo;Est du pays. Le tamazight sera introduite dans les &eacute;coles primaires alg&eacute;riennes de mani&egrave;re obligatoire et g&eacute;n&eacute;rale &agrave; partir de la rentr&eacute;e 2018/2019 pour r&eacute;pondre &agrave; une cause nationale &laquo;&nbsp;l&rsquo;identit&eacute; nationale&nbsp;&raquo;. La langue tamazight, nationalis&eacute;e en 2002, officialis&eacute;e au m&ecirc;me titre que l&rsquo;arabe standard en 2016 a certainement plus d&rsquo;enjeux politiques et id&eacute;ologiques que linguistiques et identitaires.</p> </li> <li> <p style="text-align:left">Ces deux grandes familles de langues et leurs vari&eacute;t&eacute;s (arabe darija et/ou parlers berb&egrave;res) constituent le r&eacute;pertoire verbal par excellence du locuteur alg&eacute;rien.</p> </li> </ul> <p style="margin-left:1.27cm; text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left">Le bi-plurilinguisme de l&rsquo;Ouest alg&eacute;rien &ndash; et le plurilinguisme oranais de mani&egrave;re sp&eacute;cifique, car nous avons enqu&ecirc;t&eacute; du c&ocirc;t&eacute; d&rsquo;une &eacute;cole primaire &agrave; Oran, de l&rsquo;ENS d&rsquo;Oran, et de l&rsquo;acad&eacute;mie<sup><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote5sym" name="sdfootnote5anc" style="font-size:57%"><sup>5</sup></a></sup> de l&rsquo;&eacute;ducation nationale de la ville d&rsquo;Oran &ndash; est visiblement darija-fran&ccedil;ais. La darija oranaise est constitu&eacute;e d&rsquo;arabe dialectal, d&rsquo;emprunt de mots fran&ccedil;ais et m&ecirc;me espagnol, et de turc aussi. Quelques Oranais parlent ais&eacute;ment l&rsquo;espagnol vu la proximit&eacute; de l&rsquo;Espagne de la c&ocirc;te oranaise, et tout cela s&rsquo;explique par l&rsquo;h&eacute;ritage historique culturel des conqu&ecirc;tes ottomanes et espagnoles &agrave; Oran.</p> <p style="text-align:left">Tout d&eacute;pend du contexte, le fran&ccedil;ais occupe la place de L2 en dehors de l&rsquo;&eacute;cole, et l&rsquo;arabe standard occupe la place de L2 &agrave; l&rsquo;&eacute;cole publique<sup><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote6sym" name="sdfootnote6anc" style="font-size:57%"><sup>6</sup></a></sup>. Dans cet article, c&rsquo;est l&rsquo;arabe standard scolaire qui est L2, car le fran&ccedil;ais est L3 dans un cadre scolaire, il est enseign&eacute; en 3<sup>&egrave;me</sup> ann&eacute;e primaire, apr&egrave;s deux ans d&rsquo;arabe.</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left"><strong>La scolarisation de l&rsquo;enfant en arabe standard L2&nbsp;: les enseignants d&rsquo;arabe sont-ils form&eacute;s &agrave; l&rsquo;&eacute;cart linguistique L1/L2&nbsp;?</strong></p> <p style="text-align:left">Les derni&egrave;res r&eacute;formes alg&eacute;riennes (Approche par comp&eacute;tences, p&eacute;dagogie par projet, par int&eacute;gration&hellip;.) se sont focalis&eacute;es sur l&rsquo;apprenant mais pas suffisamment sur les langues natives de l&rsquo;enfant alg&eacute;rien.</p> <p style="text-align:left">A ce sujet, il y a eu des tentatives de comprendre l&rsquo;&eacute;chec et le d&eacute;crochage scolaire de la part du minist&egrave;re de l&rsquo;&eacute;ducation nationale alg&eacute;rien. Pour la premi&egrave;re fois dans l&rsquo;histoire de l&rsquo;&eacute;ducation nationale, le Minist&egrave;re de l&rsquo;&eacute;ducation nationale (2015) a attribu&eacute; l&rsquo;&eacute;chec scolaire et le redoublement des enfants-&eacute;l&egrave;ves durant les deux premi&egrave;res ann&eacute;es de scolarisation primaire &agrave; l&rsquo;exclusion des langues maternelles en classe. Cette hypoth&egrave;se, - une premi&egrave;re dans le genre - tr&egrave;s mal prise par les conservateurs et militants de la langue de Sibawayh<sup><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote7sym" name="sdfootnote7anc" style="font-size:57%"><sup>7</sup></a></sup>, a pouss&eacute; le minist&egrave;re de l&rsquo;&eacute;ducation national &agrave; &eacute;claircir ses intentions et &agrave; d&eacute;velopper son plan d&rsquo;action.</p> <p style="text-align:left">Dans une interview accord&eacute;e par la t&eacute;l&eacute;vision alg&eacute;rienne (du 03/08/2015) &agrave; la Ministre de l&rsquo;&eacute;ducation nationale, Mme la Ministre<sup><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote8sym" name="sdfootnote8anc" style="font-size:57%"><sup>8</sup></a></sup> a justifi&eacute; la volont&eacute; d&rsquo;introduire la darija &agrave; l&rsquo;&eacute;cole primaire dans les deux premi&egrave;res ann&eacute;es de scolarisation de l&rsquo;enfant comme une fa&ccedil;on de &laquo;&nbsp;d&eacute;culpabiliser&nbsp;&raquo; cet usage tacite informel de la darija en classe, par les &eacute;l&egrave;ves et par les enseignants. Est-ce un passage de l&rsquo;informel vers le formel&nbsp;? Cette forme de reconnaissance et d&rsquo;usage de la darija en classe est une m&eacute;diation sociale, p&eacute;dagogique et linguistique.</p> <p style="text-align:left">Des partisans de la darija, des scientifiques et des linguistes ont marqu&eacute; un petit pas de reconnaissance de la part de l&rsquo;Institution, mais ce discours institutionnel qui date de 2015 a aujourd&rsquo;hui chang&eacute; de braquet. Ce projet politique d&rsquo;institutionnaliser la darija f&ucirc;t abandonn&eacute;&nbsp;; en effet, il y a &eacute;t&eacute; interpr&eacute;t&eacute; par les conservateurs comme une atteinte &agrave; la langue du Coran.</p> <p style="text-align:left">Aujourd&rsquo;hui, ce n&rsquo;est plus la darija qui est discut&eacute;e et/ou valoris&eacute;e et mise en exergue, mais plut&ocirc;t le tamazight, c&rsquo;est &laquo;&nbsp;la nouvelle carte&nbsp;&raquo; de qu&ecirc;te de l&rsquo;identit&eacute; nationale. Les nouvelles mesures du gouvernement officialisent le tamazight au m&ecirc;me titre que l&rsquo;arabe standard institutionnel (janvier 2016), introduisent le tamazight &agrave; l&rsquo;&eacute;cole primaire en Kabylie d&rsquo;abord depuis la rentr&eacute;e scolaire 2015/2016, et g&eacute;n&eacute;ralisent son enseignement dans tout le territoire alg&eacute;rien &agrave; compter de 2018/2019.</p> <p style="text-align:left">Les formations en ENS et par les rectorats de l&rsquo;&eacute;ducation nationales n&rsquo;ont pas la pr&eacute;rogative d&rsquo;aborder la question de la darija au primaire pour les enseignants du primaire, mais s&rsquo;int&eacute;ressent de plus pr&egrave;s &agrave; la question de la langue et de la culture berb&egrave;re&nbsp;&agrave; l&rsquo;&eacute;cole. L&rsquo;&eacute;ducation nationale se voit former des enseignants du primaire au tamazight pour objectif de d&eacute;fendre une cause nationale. Mais alors&nbsp;? Quel serait le coup et les retomb&eacute;es de la formation&nbsp;&agrave; la &laquo;&nbsp; berb&eacute;risation&nbsp;&raquo; institutionnelle surtout dans les zones non berb&eacute;rophones ? Et pourquoi, la darija, la langue maternelle majoritaire, n&rsquo;est pas pr&eacute;vue dans les formations et curricula&nbsp;? Et quels sont les enjeux et les objectifs de ce nouveau plan d&rsquo;action&nbsp;?</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left">L&rsquo;arabe langue de scolarisation, langue de toutes les mati&egrave;res scientifiques &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, comment est-elle pr&eacute;sent&eacute;e dans le programme de langue arabe de l&rsquo;&eacute;cole primaire&nbsp;?</p> <p style="text-align:left">La langue arabe est pr&eacute;sent&eacute;e comme une langue particuli&egrave;re dans le syst&egrave;me &eacute;ducatif, &laquo;&nbsp;c&rsquo;est une langue nationale officielle et une composante essentielle de l&rsquo;identit&eacute; nationale, c&rsquo;est la langue d&rsquo;enseignement de toutes les mati&egrave;res scientifiques dans les trois paliers, elle est donc une comp&eacute;tence transversale. Et partant, la ma&icirc;triser est la cl&eacute; op&eacute;rationnelle de l&rsquo;enseignement et de l&rsquo;apprentissage, c&rsquo;est la voie pour assimiler les mati&egrave;res, nourrir les comp&eacute;tences qui permettent &agrave; l&rsquo;apprenant de construire sa pens&eacute;e, de former sa personnalit&eacute;, avec une m&eacute;diation orale et &eacute;crite dans diff&eacute;rentes situations de la vie courante&nbsp;&raquo; (Programme d&rsquo;arabe 1<sup>&egrave;re</sup> ann&eacute;e primaire, 2016&nbsp;: p. 9, traduction personnelle).</p> <p style="text-align:left">En aucun cas, il y a r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la darija, qui est pourtant la v&eacute;ritable langue de m&eacute;diation en classe &agrave; l&rsquo;oral surtout. Les enseignants du primaire ne sont pas form&eacute;s &agrave; l&rsquo;&eacute;cart linguistique L1/L2&nbsp;; les documents d&rsquo;accompagnement et les formations initiales et continues l&rsquo;attestent. Le politique institutionnel s&rsquo;&eacute;loigne de la darija, mais le soci&eacute;tal qu&rsquo;est le v&eacute;cu de l&rsquo;enfant, et de l&rsquo;adulte le vivent pleinement en famille, en soci&eacute;t&eacute;. Il y a une barri&egrave;re linguistique, psychologique entre l&rsquo;&eacute;cole et la soci&eacute;t&eacute;. Et dire que l&rsquo;approche par comp&eacute;tence sur laquelle se base l&rsquo;&eacute;cole aujourd&rsquo;hui prend en consid&eacute;ration le v&eacute;cu quotidien de l&rsquo;enfant et de ses langues.</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left"><strong>M&eacute;diation p&eacute;dagogique et linguistique&nbsp;</strong></p> <p style="text-align:left">Les enseignants du primaire que nous avons interrog&eacute;s &agrave; Oran n&rsquo;ont pas eu de formation sp&eacute;cifique &agrave; la darija, bien qu&rsquo;ils soient confront&eacute;s &agrave; son usage en classe. Comment se fait cette m&eacute;diation&nbsp;? C&rsquo;est une aide, un accompagnement pour l&rsquo;enfant, mais tacite et informel. A quel moment se fait la m&eacute;diation en darija ?</p> <p style="text-align:left">Les enseignants d&rsquo;arabe interrog&eacute;s pr&eacute;f&egrave;rent ne pas recourir &agrave; l&rsquo;arabe dialectal alg&eacute;rien en classe, l&rsquo;interdisent m&ecirc;me, pour garder la norme disent-ils. Certains reconnaissent de parler arabe alg&eacute;rien en classe lorsque les &eacute;l&egrave;ves ne comprennent pas en classe - &laquo;&nbsp;pour d&eacute;bloquer la situation&nbsp;&raquo;, disent la plus part.</p> <p style="text-align:left">Ce &laquo;&nbsp;d&eacute;blocage de situation&nbsp;&raquo; en langue maternelle est &laquo;&nbsp;une s&eacute;curit&eacute; linguistique&nbsp;&raquo; par opposition &agrave; &laquo;&nbsp;l&rsquo;ins&eacute;curit&eacute; linguistique&nbsp;&raquo; (Labov, 1976) qui est une stratification sociale des variables linguistiques. Bourdieu (1982), dans son &eacute;tude des classes sociales, a conclu la m&ecirc;me synth&egrave;se que Labov en rajoutant la variable de situation formelle/non formelle ou officielle/non officielle&nbsp;:</p> <p style="text-align:left">&laquo;&nbsp;Les locuteurs de la classe domin&eacute;e&hellip;.manifestent une ins&eacute;curit&eacute; linguistique lorsqu&rsquo;ils se trouvent plac&eacute;s en situation officielle&nbsp;&raquo; (1982&nbsp;:38).</p> <p style="text-align:left">La classe de langue est une situation formelle, et le discours v&eacute;hicul&eacute; par les enseignants et les &eacute;l&egrave;ves basculent entre le formel et l&rsquo;informel. Ceci rel&egrave;ve des strat&eacute;gies d&rsquo;enseignement et du r&eacute;pertoire verbal plurilingue de l&rsquo;enseignant &ndash; et m&ecirc;me de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve s&rsquo;il y est autoris&eacute; - et de sa capacit&eacute; de faire comprendre et d&rsquo;aider les enfants &agrave; comprendre. Dans ce cas, le vernaculaire peut remplacer le v&eacute;hiculaire pour faciliter l&rsquo;intercompr&eacute;hension et acc&eacute;der &agrave; la connaissance.</p> <p style="text-align:left">C&rsquo;est un cas de &laquo;&nbsp;force majeure&nbsp;&raquo; si la darija circule en classe, efficace certes mais non autoris&eacute; par l&rsquo;institution. Ces m&ecirc;mes enseignants qui emploient la darija, interdisent aux &eacute;l&egrave;ves de la parler en classe. Le r&eacute;pertoire verbal de l&rsquo;enfant est ainsi scind&eacute; en deux, une langue autoris&eacute;e, employ&eacute;e en classe, l&rsquo;arabe standard L2 &ndash; une nouvelle langue -&nbsp;; et une langue non autoris&eacute;e en classe &ndash; la premi&egrave;re langue L1 -. L&rsquo;enfant s&rsquo;y adapte, malgr&eacute; lui, et utilise ses propres strat&eacute;gies d&rsquo;apprentissage.</p> <p style="text-align:left">L&rsquo;&eacute;ducation plurilingue d&egrave;s l&rsquo;enfance d&eacute;veloppe la comp&eacute;tence plurilingue, qui est une &laquo;capacit&eacute; d&rsquo;acqu&eacute;rir successivement et d&rsquo;utiliser diverses comp&eacute;tences en plusieurs langues, &agrave; des degr&eacute;s de ma&icirc;trise diverses et pour des fonctions diff&eacute;rentes. La finalit&eacute;-cl&eacute; de l&rsquo;&eacute;ducation plurilingue est de d&eacute;velopper cette comp&eacute;tence&nbsp;&raquo; (B&eacute;acco &amp; Byram, 2007&nbsp;: 128), mais une comp&eacute;tence plurilingue d&eacute;velopp&eacute;e sans langue maternelle est comme si on apprenait d&rsquo;autres langues sur la base d&rsquo;un n&eacute;ant&nbsp;ou d&rsquo;un non existant&nbsp;!</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left">Le recours &agrave; la darija dans les activit&eacute;s de l&rsquo;oral prend la forme d&rsquo;une m&eacute;diation sociale p&eacute;dagogique adulte-enfant ou enseignant-&eacute;l&egrave;ve, notion emprunt&eacute;e &agrave; la psychologie de l&rsquo;enfant et aux travaux de Vygotski (1930/1985, 1997), et qui prend la forme de &laquo;&nbsp;&eacute;tayage&nbsp;&raquo; par la suite (Bruner, 1983). Le concept d&rsquo;&eacute;tayage est venu expliquer comment l&rsquo;adulte soutient et aide l&rsquo;enfant &agrave; atteindre un but&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;intervention d&rsquo;un tuteur (&hellip;) comprend une sorte de processus d&rsquo;&eacute;tayage qui rend l&rsquo;enfant ou le novice capable de r&eacute;soudre un probl&egrave;me, de mener &agrave; bien une t&acirc;che ou d&rsquo;atteindre un but qui aurait &eacute;t&eacute;, sans cette assistance, au-del&agrave; de ses possibilit&eacute;s&nbsp;&raquo; (Bruner, 1983&nbsp;: 263). La m&eacute;diation est effectivement une aide dans les t&acirc;ches et activit&eacute;s de classe&nbsp;:</p> <p style="text-align:left">&laquo;&nbsp;&hellip;l&rsquo;enfant apprend &agrave; l&rsquo;&eacute;cole non pas ce qu&rsquo;il sait faire tout seul mais ce qu&rsquo;il ne sait pas encore faire, ce qui lui est accessible en collaboration avec le ma&icirc;tre et sous sa direction. (&nbsp;&hellip;) En d&rsquo;autres termes, ce que l&rsquo;enfant sait faire aujourd&rsquo;hui en collaboration, il saura le faire tout seul demain&nbsp;&raquo; (Vygotski, 1997&nbsp;: 355).</p> <p style="text-align:left">Ce travail collaboratif enseignant-&eacute;l&egrave;ve et &eacute;l&egrave;ve-&eacute;l&egrave;ve caract&eacute;rise la m&eacute;diation p&eacute;dagogique. On le voit lorsque une enseignante interrog&eacute;e accompagne et aide les enfants dans les t&acirc;ches p&eacute;dagogiques (dialogue, lecture &agrave; haute voix, r&eacute;citation de po&egrave;me, r&eacute;citation de versets coraniques, &eacute;criture cursive scripturale, projet &agrave; r&eacute;aliser, dessin&hellip;), et aussi lorsque les enfants se parlent et se posent des questions en darija en intime en classe.</p> <p style="text-align:left">La darija est effectivement pr&eacute;sente oralement informellement dans le bavardage et les explications orales, tacitement puisque ces activit&eacute;s ne font pas partie du programme p&eacute;dagogique (cf. le programme d&rsquo;arabe en annexes 2, 3). C&rsquo;est une m&eacute;diation linguistique langue source (darija L1) &ndash; langue cible (arabe standard scolaire L2) et inversement.</p> <p style="text-align:left">Il n&rsquo;y a pas non plus de traduction &eacute;crite&nbsp;en classe ; il n&rsquo;y a pas d&rsquo;exercices de traduction (arabe standard-darija-arabe standard), en effet la darija n&rsquo;a gu&egrave;re de statut formel &eacute;crit.</p> <p style="text-align:left">Ce sont des activit&eacute;s &laquo;&nbsp;improvis&eacute;es&nbsp;&raquo; d&rsquo;interpr&eacute;tariat &agrave; l&rsquo;oral, qui permettent &agrave; l&rsquo;apprenant de comprendre le sens, de communiquer et d&rsquo;acc&eacute;der au savoir. Par le biais de cette m&eacute;diation L1/L2, qu&rsquo;est finalement un apprentissage informel dans un cadre institutionnel, les acteurs de la classe d&rsquo;arabe peuvent communiquer, comprendre et faire comprendre. C&rsquo;est par les activit&eacute;s d&rsquo;interpr&eacute;tariat que se font les interactions didactiques, verbales et non verbales. La didactique de l&rsquo;oral pourrait s&rsquo;inspirer de supports oraux en langues premi&egrave;res.</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left"><strong>La langue arabe, &eacute;volution entre norme(s) scolaire(s) et variation diachronique</strong></p> <p style="text-align:left">Comment la langue arabe standard, est-elle rendue accessible &agrave; l&rsquo;enfant&nbsp;? Une langue pratiquement jamais parl&eacute;e par l&rsquo;enfant avant son entr&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;cole. Par la m&eacute;diation linguistique L1/L2, informelle certes, mais aussi par apprentissage par des textes simples qui ressemblent &agrave; de l&rsquo;arabe langue &eacute;trang&egrave;re. Mais les curricula et les programmes ne parlent jamais d&rsquo;arabe langue &eacute;trang&egrave;re. C&rsquo;est une langue norm&eacute;e d&eacute;crite comme langue officielle et nationale.</p> <p style="text-align:left">Nous relevons &agrave; la page 129 du manuel d&rsquo;arabe (1<sup>&egrave;re</sup> ann&eacute;e primaire) des textes fabriqu&eacute;s &agrave; partir de th&eacute;matiques qui rel&egrave;vent de la vie courante et de l&rsquo;approche par comp&eacute;tence&nbsp;: le th&egrave;me de l&rsquo;<em>Aid</em> du sacrifice que les enfants aiment beaucoup (le contact avec le petit mouton et le contact avec les traditions). Le manuel fait une bonne illustration avec usage de phrases simples et de supports d&rsquo;images pour faciliter la compr&eacute;hension.</p> <p style="text-align:left">La langue arabe, per&ccedil;ue trop classique pour &ecirc;tre enseign&eacute;e et/ou apprise &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, est pass&eacute;e par des mouvements de r&eacute;forme, de simplification et d&rsquo;unification. Va-t-on parler de v&eacute;ritable standardisation&nbsp;? Les mouvements pr&eacute;curseurs de cette standardisation, voire &laquo;&nbsp;modernisation&nbsp;&raquo; d&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;appellation d&rsquo;&laquo;arabe moderne &eacute;crit&nbsp;&raquo; sont essentiellement des &eacute;crivains du Proche-Orient, Egyptiens d&rsquo;abord sous l&rsquo;influence de Napol&eacute;on, ensuite Libanais et Syriens non musulmans qui ont os&eacute; toucher &agrave; &laquo;&nbsp;langue du sacr&eacute;&nbsp;&raquo; pour ainsi faire la distinction entre le Coran et la langue du Coran. Cette planification de la modernisation est pass&eacute;e par une &laquo;&nbsp;d&eacute;poussi&eacute;risation&nbsp;&raquo; des archa&iuml;smes fig&eacute;s de la po&eacute;sie b&eacute;douine &ndash; ce que Rimbaud appelle &laquo;&nbsp;les vieilleries po&eacute;tiques&nbsp;&raquo; en se r&eacute;f&eacute;rant &agrave; la litt&eacute;rature fran&ccedil;aise -&nbsp;; et cet allongement de la langue arabe a commenc&eacute; vers la fin du XIX<sup>&egrave;me</sup> si&egrave;cle/d&eacute;but XX<sup>&egrave;me</sup> si&egrave;cle avec le mouvement <em>Nahda</em> ou la Renaissance arabe qui est un mouvement r&eacute;formiste syro-libanais. Les &eacute;crivains arabes appartenant &agrave; ce mouvement ont produit une litt&eacute;rature accessible dans une langue arabe simple et parfois dans un arabe levantin, un dialecte libanais, syrien, palestinien, jordanien et &eacute;gyptien, un registre de langue compris par toute population confondue.</p> <p style="text-align:left">Khalil Gibran, &eacute;crivain libanais r&eacute;formiste de la <em>Nahda</em> et de la langue arabe a d&eacute;fendu la litt&eacute;rature arabe et surtout la libert&eacute; pour se d&eacute;tacher du classicisme arabe. Il a d&eacute;s-arabis&eacute; la langue arabe tout en respectant les valeurs de l&rsquo;Islam.</p> <p style="text-align:left">Son premier roman romantique(<em>Les Ailes bris&eacute;es, 1911</em>), inspir&eacute; de Fran&ccedil;is Marrache<sup><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote9sym" name="sdfootnote9anc" style="font-size:57%"><sup>9</sup></a></sup>, et dont l&rsquo;histoire parle d&rsquo;un amour bris&eacute; par le poids du religieux et des religions&nbsp;: l&rsquo;Islam, les maronites&hellip;.il format avec d&rsquo;autres &eacute;crivains &laquo;&nbsp;La ligue de la plume arabe&nbsp;&raquo; en 1920. Il a toutefois essay&eacute; de s&eacute;parer la langue arabe du religieux. Le style de Gibran est d&eacute;crit comme &laquo;&nbsp;refl&eacute;tant le langage quotidien entendu lorsqu&rsquo;il &eacute;tait enfant &agrave; Bcharr&eacute;&nbsp;&raquo;. Ce &laquo;&nbsp;langage quotidien&nbsp;&raquo; de l&rsquo;enfance inspire notre r&eacute;flexion, et, est notre probl&eacute;matique centrale. Gibran a &eacute;crit dans une langue arabe proche de L1 au Moyen-Orient.</p> <p style="text-align:left">Cette litt&eacute;rature arabe moderne proche de l&rsquo;arabe du quotidien, nous la trouvons dans les programmes de l&rsquo;&eacute;ducation nationale en Alg&eacute;rie dans le secondaire et le sup&eacute;rieur.</p> <p style="text-align:left">Pourquoi donc la litt&eacute;rature orale du Maghreb n&rsquo;est pas pr&eacute;sente dans les manuels scolaires du Maghreb et de l&rsquo;Alg&eacute;rie plus pr&eacute;cis&eacute;ment&nbsp;? Et pourtant, le patrimoine de litt&eacute;rature maghr&eacute;bine &eacute;crites en darija, et lues par le Maghreb et le monde arabe n&rsquo;est pas n&eacute;gligeable. Nous citons &agrave; juste titre, des po&egrave;tes du registre <em>Malhoun</em>, Chikh Abderrahman Majdoubn Chikh Hamada, Chikh Khaldi&hellip;.etc. On revient au pr&eacute;misse que l&rsquo;arabe darija n&rsquo;a pas de statut &eacute;crit formel.</p> <p style="text-align:left">L&rsquo;arabe standard est n&eacute; d&rsquo;une standardisation des vari&eacute;t&eacute;s de la langue arabe sous une/des norme(s) enseign&eacute;e(s) ou relev&eacute;e(s) politiquement et g&eacute;ographiquement. Et l&rsquo;arabe dialectal maghr&eacute;bin est n&eacute; d&rsquo;une fragmentation des parlers et des brassages de populations puniques et libyques.</p> <p style="text-align:left">La variation diachronique &agrave; travers l&rsquo;Histoire marqu&eacute; par ce brassage de civilisations, de conqu&ecirc;tes, des &eacute;poques a permis &agrave; la langue arabe d&rsquo;&eacute;voluer, pour ne pas rester fig&eacute; sur l&rsquo;arabe classique ou le classicisme des Arabes. Cette variation est une continuit&eacute; linguistique dans le temps.</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left"><strong>R&eacute;sultats&nbsp;: Une L1 refoul&eacute;e, une L2 id&eacute;ologis&eacute;e</strong></p> <p style="text-align:left">La langue maternelle est &laquo;&nbsp;un attribut d&rsquo;humanit&eacute; qui assigne, au petit d&rsquo;homme, une place d&eacute;finitive dans la soci&eacute;t&eacute;. Elle est &agrave; la fois manifestation d&rsquo;une subjectivit&eacute; et lieu de ralliement &agrave; une communaut&eacute; (langagi&egrave;re)&nbsp;&raquo;. (Elimam, 2004, 2015&nbsp;: 25). Cette th&egrave;se quasi inn&eacute;e, rejoint l&rsquo;inn&eacute;isme de Chomsky lorsqu&rsquo;il &eacute;met la th&egrave;se que l&rsquo;enfant peut produire une s&eacute;rie de sons et de phrases jamais entendus auparavant, et rejoint aussi la th&egrave;se de Pinker (1994) lorsque celui-ci d&eacute;fend la th&egrave;se selon laquelle l&rsquo;&ecirc;tre humain nait avec une capacit&eacute; inn&eacute;e pour le langage.</p> <p style="text-align:left">A voir de pr&egrave;s la couverture du manuel d&rsquo;arabe alg&eacute;rien de 1<sup>&egrave;re</sup> ann&eacute;e primaire, il est &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mon livre de langue arabe, d&rsquo;&eacute;ducation islamique et d&rsquo;&eacute;ducation civique&nbsp;&raquo;, 1<sup>&egrave;re</sup> ann&eacute;e de l&rsquo;enseignement primaire. C&rsquo;est un livre &laquo;&nbsp;3 en 1&nbsp;&raquo;&nbsp;; la langue arabe est transversale pour apprendre la langue, le Coran, et le civisme. La langue arabe ne peut &eacute;chapper aux repr&eacute;sentations religieuses et id&eacute;ologiques.</p> <p style="text-align:left">Or, un manuel scolaire de langue est fait d&rsquo;abord pour apprendre &agrave; comprendre et &agrave; parler, lire et &agrave; &eacute;crire, &agrave; interagir&hellip;.selon les quatre comp&eacute;tences basiques linguistiques et selon les comp&eacute;tences langagi&egrave;res globales (linguistiques, sociolinguistiques et pragmatiques) connues par la didactique des langues (&eacute;trang&egrave;res et non &eacute;trang&egrave;res).</p> <p style="text-align:left">Le livre d&rsquo;arabe n&rsquo;est pas seulement un manuel d&rsquo;arabe, c&rsquo;est un manuel de trois disciplines ou mati&egrave;res&nbsp;&agrave; la fois : langue arabe, &eacute;ducation islamique, &eacute;ducation civique&hellip;. Les capacit&eacute;s cognitives d&rsquo;un enfant de premi&egrave;re ann&eacute;e d&rsquo;apprentissage &agrave; l&rsquo;&eacute;cole sont surcharg&eacute;es.</p> <p style="text-align:left">La lecture en arabe apparait d&egrave;s les premi&egrave;res pages du manuel avec un support en trois phases&nbsp;:</p> <ol> <li> <p style="text-align:left">Je d&eacute;couvre la phrase</p> </li> <li> <p style="text-align:left">Je d&eacute;couvre les mots</p> </li> <li> <p style="text-align:left">Je renforce</p> </li> </ol> <p style="text-align:left">La m&eacute;thode globale en lecture est encore d&rsquo;actualit&eacute; dans le manuel d&rsquo;arabe&nbsp;; alors que les nouveaux travaux de neurosciences sont retourn&eacute;s &agrave; l&rsquo;approche syllabique traditionnelle de base.</p> <p style="text-align:left">A vrai dire, l&rsquo;enfant alg&eacute;rien a toujours lu et &eacute;crit en arabe standard, mais il pense en darija. Nous ne pouvons pas occulter ce fait. Cette distance psychologique entre L1 et L2 de l&rsquo;enfant dans un contexte scolaire, met L1 dans une position de langue interdite, voire refoul&eacute;e en classe. Elle existe toutefois dans le subconscient de l&rsquo;enfant et dans le quotidien extra-scolaire de l&rsquo;enfant. Il y a une distance psychologique entre L1 et L2, une distance &eacute;voqu&eacute; par Arendlt (2015), une scientifique allemande qui a fui l&rsquo;Allemagne durant la deuxi&egrave;me guerre mondiale &ndash; pas pour sa langue maternelle mais pour sa religion juda&iuml;que -, qui a continu&eacute; &agrave; &eacute;crire en anglais, sa langue scientifique&nbsp;:</p> <p style="text-align:left">&laquo;&nbsp;J&rsquo;&eacute;cris en anglais, mais j&rsquo;ai toujours gard&eacute; le sentiment d&rsquo;une certaine distance avec cette langue. Il existe une diff&eacute;rence &eacute;norme entre la langue maternelle et une autre langue. Dans mon cas, je le formule assez simplement de la mani&egrave;re suivante&nbsp;: en allemand, je connais un nombre important de po&egrave;mes par c&oelig;ur&nbsp;; les po&egrave;mes sont toujours quelque part pr&eacute;sents dans le fond de ma m&eacute;moire. Cela m&rsquo;est devenu impossible aujourd&rsquo;hui. Je fais des choses en allemand que je ne me serais jamais permise de faire en anglais. Non que je ne le fasse en anglais mais &agrave; force d&rsquo;audace, car d&rsquo;une mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale, j&rsquo;ai toujours maintenu cette distance. La langue allemande est toujours rest&eacute;e quelque chose d&rsquo;essentiel que j&rsquo;ai toujours conserv&eacute; consciemment intact&nbsp;&raquo; (Arendt, 2015&nbsp;: 34-35).</p> <p style="text-align:left">Cette distance qui s&eacute;pare L1 de L2 et qui s&eacute;pare l&rsquo;enfant de sa L1 en classe mets la darija dans une position de langue refoul&eacute;e en classe, d&rsquo;un point de vue psychanalytique. Lorsque l&rsquo;enfant se tait en classe, ne parvient pas &agrave; s&rsquo;exprimer &agrave; cause de l&rsquo;interdiction de L1, la terreur s&rsquo;installe et les interactions didactiques s&rsquo;&eacute;tiolent en classe&nbsp;: &laquo;&nbsp;lorsque L1 est refoul&eacute;e, l&rsquo;acquisition de L2 est largement limit&eacute;e, sinon &laquo;&nbsp;sabot&eacute;e&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est l&agrave; la grande le&ccedil;on &agrave; tirer de l&rsquo;&eacute;chec du structuralisme en didactique des langues. D&rsquo;autant que l&rsquo;on avait cru, &agrave; tort, qu&rsquo;il &eacute;tait possible d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; la langue seconde en faisant comme si elle &eacute;tait la langue premi&egrave;re (c.-&agrave;-d. en taisant, en interdisant [&laquo;&nbsp;un-taire-disant&nbsp;&raquo;] L1)&nbsp;&raquo; (Elimam, 2015&nbsp;: 24-25).</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left">Le manuel d&rsquo;arabe de la 1<sup>&egrave;re</sup> ann&eacute;e primaire est un m&eacute;lange de paroles de Dieu (des sourates et des versets coraniques) et de textes (po&egrave;mes, comptines, litt&eacute;rature&hellip;). La langue arabe, langue d&rsquo;acc&egrave;s au savoir, devient liturgique, voire sacr&eacute;e en classe et dans les esprits des enfants. Comment l&rsquo;enfant va-t-il d&eacute;couvrir l&rsquo;erreur et sa solution si la langue apprise est intouchable, voire sacr&eacute;e&nbsp;?</p> <p style="text-align:left">Selon Choubachy (2007), la langue arabe est rest&eacute;e fig&eacute;e, classique de crainte de toucher au sacr&eacute;, il y a de l&rsquo;amalgame selon lui entre le Coran et la langue du Coran&nbsp;: &laquo;&nbsp;Si donc, pour les musulmans, le Coran est le livre saint r&eacute;v&eacute;l&eacute; par Dieu, on ne saurait en tirer la conclusion que la langue arabe est &eacute;galement sacr&eacute;e. Il s&rsquo;agit l&agrave; d&rsquo;une extrapolation d&eacute;lib&eacute;r&eacute;ment entretenue par les litt&eacute;ralistes&nbsp;&raquo; (2007&nbsp;: 74-75), et il rajoute plus loin&nbsp;: &laquo;&nbsp;l&rsquo;arabe est la langue officielle de vingt et un Etats membres des Nations unies. Elle est notre principal mode de communication quotidienne. Elle a admis dans son lexique des termes &eacute;trangers qui n&rsquo;ont &agrave; voir avec la religion ni de pr&egrave;s ni de loin. Enfin, elle doit &ecirc;tre remani&eacute;e et r&eacute;adapt&eacute;e aux besoins que nous cr&eacute;e le XXIe si&egrave;cle. C&rsquo;est une condition sine qua non de sa survie m&ecirc;me&nbsp;&raquo; (Choubachy, 2007&nbsp;: 87-88). Il pr&ocirc;ne pour la modernisation et l&rsquo;adaptation de la langue arabe au profil du public apprenant.</p> <p style="text-align:left">Id&eacute;ologiser l&rsquo;arabe standard scolaire L2 pour des raisons politiques ou religieuses n&rsquo;aiderait certainement pas les enfants &agrave; l&rsquo;apprendre et &agrave; r&eacute;duire la distance entre L1 et L2. C&rsquo;est le refus de voir la r&eacute;alit&eacute; en face dit Elimam&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Or comment s&eacute;rieusement occulter le fait que tout sujet apprenant est toujours-d&eacute;j&agrave; structur&eacute;&hellip;dans sa langue maternelle. C&rsquo;est le refus de voir cela qui a g&eacute;n&eacute;r&eacute;, irr&eacute;m&eacute;diablement, les conditions de&nbsp;: l&rsquo;&eacute;chec, avec tout ce que cela implique comme amertume et d&eacute;sarroi. Une telle exp&eacute;rience est &agrave; m&eacute;diter, notamment pour l&rsquo;analyse (critique) du choix de la langue d&rsquo;enseignement dans le syst&egrave;me scolaire alg&eacute;rien. Ici, la langue seconde (arabe moderne) est &agrave; tel point id&eacute;ologis&eacute;e que l&rsquo;on ne fait m&ecirc;me plus l&rsquo;effort de l&rsquo;enseigner&nbsp;; elle s&rsquo;impose comme langue d&rsquo;enseignement, comme langue d&rsquo;acc&egrave;s au savoir en place et lieu des langues maternelles (ou natives).&nbsp;&raquo; (Elimam, 2015&nbsp;: 24-25).</p> <p style="text-align:left">Toutefois, des linguistes arabophones alg&eacute;riens reconnaissent que la darija L1 est vecteur de premi&egrave;re socialisation&nbsp;:</p> <p style="text-align:left">&laquo;&nbsp;Ces parlers sont les premi&egrave;res langues des locuteurs de cette r&eacute;gion. A ce titre, ils sont le vecteur de leur premi&egrave;re socialisation et sont porteurs d&rsquo;une culture populaire riche, diverse et vari&eacute;e mais malheureusement, malgr&eacute; l&rsquo;attachement ind&eacute;fectible des peuples arabes &agrave; leurs langues maternelles, ces derniers souvent l&rsquo;objet de stigmatisation dans le discours des gardiens du temple soucieux de maintenir toute forme d&rsquo;expression populaire sous le boisseau de la domination implacable de la norme&nbsp;&raquo; (Taleb Ibrahimi, 2017&nbsp;: 27 ).</p> <p style="text-align:left">Nous rajoutons que ce n&rsquo;est pas seulement les Arabes qui s&rsquo;y attachent, mais l&rsquo;&ecirc;tre humain de mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;ral s&rsquo;attache &agrave; sa m&egrave;re et &agrave; la langue de sa m&egrave;re ou de son substitut (cf. la th&eacute;orie de l&rsquo;attachement<sup><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote10sym" name="sdfootnote10anc" style="font-size:57%"><sup>10</sup></a></sup> en psychologie).Dans un po&egrave;me de Mahmoud Darwich d&eacute;di&eacute; &agrave; sa m&egrave;re Houria, le po&egrave;te palestinien saisit l&rsquo;occasion pour donner son avis sur la <em>fassiha</em> et la <em>darija</em>&nbsp;:</p> <p style="text-align:left">&laquo;&nbsp; [Ma m&egrave;re]&hellip;Et l&rsquo;exil nous institua deux langues,</p> <p style="text-align:left">Dialectale, pour que les pigeons l&rsquo;entendent et gardent le souvenir</p> <p style="text-align:left">Et litt&eacute;rale pour que j&rsquo;explique aux ombres leur ombre&nbsp;&raquo;<sup><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote11sym" name="sdfootnote11anc" style="font-size:57%"><sup>11</sup></a></sup> Les le&ccedil;on de Houriyya</p> <p style="text-align:left">L&rsquo;auteur voit l&rsquo;arabe dialectal maternel comme une langue de m&eacute;diation, d&rsquo;&eacute;coute, de compr&eacute;hension, d&rsquo;enfance et de souvenir ineffa&ccedil;ables. Et la <em>fassiha</em> ou l&rsquo;arabe moderne standard, comme une langue de l&rsquo;obscurit&eacute; et de la diplomatie,&nbsp;&laquo;&nbsp;la langue de bois&nbsp;&raquo; et de &laquo;&nbsp;l&rsquo;ombre&nbsp;&raquo; pour habiller la r&eacute;alit&eacute; et refuser de la voir d&eacute;nud&eacute;e.</p> <p style="text-align:left">Ces deux langues dialectale et litt&eacute;rale ou vari&eacute;t&eacute;s (arabe classique/arabe dialectal), Taleb Ibrahimi (2017) ne les voit pas isol&eacute;es l&rsquo;une de l&rsquo;autre, elles marquent un continuum pour beaucoup de linguistes arabophones&nbsp;:</p> <p style="text-align:left">&laquo;&nbsp;&hellip;ces deux vari&eacute;t&eacute;s que nous avons isol&eacute;es pour les besoins de notre argumentation, s&rsquo;ins&egrave;rent par un faisceau de relations et de contacts dans un continuum dans lequel se d&eacute;clinent les nombreux registres interm&eacute;diaires exclusivement oraux et &eacute;crits et/ou participant des deux ordres oral et scriptural. Et c&rsquo;est dans la capacit&eacute; de d&eacute;m&ecirc;ler les fils de cette diversit&eacute; et de diff&eacute;rencier ce qui rel&egrave;ve de l&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&egrave;ne, donc de la variation dans toutes ses formes, que chaque locuteur acc&egrave;de &agrave; une v&eacute;ritable comp&eacute;tence en langue arabe et est reconnu comme membre de cette communaut&eacute; sociolinguistique&nbsp;&raquo; (Taleb Ibrahimi, 2017&nbsp;: 27).</p> <p style="text-align:left">De quel continuum parle-t-on si la darija est stigmatis&eacute;e et interdite d&rsquo;usage dans les classes &agrave; l&rsquo;&eacute;cole&nbsp;? Ou alors c&rsquo;est un continuum tacite informel oral en classe si on veut v&eacute;ritablement parler de continuum langagier scolaire. Qu&rsquo;il soit un rapport de continuum ou diglossique, il y a de la distance entre L1 et L2. La L1 est bloqu&eacute;e et/ou refoul&eacute;e en classe pour des raisons psychologiques et politiques, et ceux qui ont parl&eacute; de continuum en langue arabe, reconnaissent ce blocage ou ce non courage institutionnel d&rsquo;affronter la question des langues premi&egrave;res &agrave; l&rsquo;&eacute;cole&nbsp;:</p> <p style="text-align:left">&laquo;&nbsp;il faudra, bien, un jour, avoir le courage politique d&rsquo;affronter la question du passage de langue du milieu social &agrave; celle de l&rsquo;&eacute;cole et des institutions formelles afin de donner les moyens &agrave; tous les apprenants de se mouvoir dans leur r&eacute;pertoire verbal d&rsquo;une mani&egrave;re souple et dynamique et surtout de ma&icirc;triser tous les codes de l&rsquo;expression arabe sans discrimination&nbsp;&raquo; dit Khaoula Taleb Ibrahimi (2017&nbsp;: 29)&nbsp;; enfin la responsabilit&eacute; de ce passage tacite informel de L1 &agrave; L2 dans un cadre scolaire est coll&eacute;giale.</p> <p style="text-align:left">Ce blocage linguistique et institutionnel, l&rsquo;institution le justifie par la qu&ecirc;te de l&rsquo;identit&eacute; nationale linguistique collective, mais il ne faudrait pas oublier que l&rsquo;identit&eacute; se construit d&rsquo;abord par les langues premi&egrave;res natives avant qu&rsquo;elle se construise par la/les langue(s) nationale(s) et/ou officielle(s).</p> <p style="text-align:left">Que dit le programme alg&eacute;rien de la langue arabe de premi&egrave;re ann&eacute;e primaire&nbsp;? &nbsp;: &laquo;&nbsp;A travers les textes de langue arabe&nbsp;: [l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve-enfant] est fier de Sa langue, valorise les composantes de l&rsquo;identit&eacute; alg&eacute;rienne et respecte ses symboles&nbsp;; nourrit les valeurs morales, religieuses et civiques cultiv&eacute;es des composantes de l&rsquo;identit&eacute; nationale&nbsp;&raquo; (programme de langue arabe, 2016).</p> <p style="text-align:left">Si nous pouvons ouvrir une petite parenth&egrave;se de comparaison, la question de l&rsquo;identit&eacute; et des langues nationales a &eacute;t&eacute; pos&eacute;e &agrave; Malte, et les maltais ne savaient plus s&rsquo;ils &eacute;taient d&rsquo;origine europ&eacute;enne ou arabe, bien que la langue maltaise soit constitu&eacute;e &agrave; 80% de mots arabes ou d&rsquo;origine arabe. Malte poss&egrave;de une langue nationale, le maltais, et deux langues officielle &ndash; pour r&eacute;soudre justement le probl&egrave;me de l&rsquo;identit&eacute; linguistique et nationale mais pas seulement -, le maltais et l&rsquo;anglais. L&rsquo;italien est fortement pr&eacute;sent d&rsquo;un point de vue sociolinguistique, mais n&rsquo;a aucun statut politique.</p> <p style="text-align:left">Sur les origines de la langue maltaise, les recherches attestent avec r&eacute;serve sur le plan linguistique&nbsp;:</p> <p style="text-align:left">&laquo;&nbsp;&hellip;si l&rsquo;interpr&eacute;tation actuelle du manuscrit d&rsquo;Al-Himyari r&eacute;cemment d&eacute;couvert &eacute;tait d&eacute;finitivement confirm&eacute;e, les racines de la langue maltaise pourraient alors &ecirc;tre fix&eacute;es autour de l&rsquo;an 870, voire 1048. Les descendants des survivants de l&rsquo;incursion de 870 auraient alors &eacute;t&eacute; peu nombreux au point d&rsquo;&ecirc;tre en mesure d&rsquo;influencer la langue des nouveaux occupants. La communaut&eacute; arabophone et religieusement mixte que d&eacute;crit le manuscrit serait alors venue de Sicile o&ugrave; les attaques des Normands avaient commenc&eacute; (Brincat, 2008). Ainsi, l&rsquo;arabe sicilien serait vraisemblablement devenu la langue de Malte sans l&rsquo;on puisse toutefois confirmer la parfaite identit&eacute; linguistique (Varvaro, 1987)&nbsp;&raquo; (Chaouachi, 2014&nbsp;: 24-25).</p> <p style="text-align:left">L&rsquo;id&eacute;ologie du nationalisme d&rsquo;Abdelhamid Ibn Badis avec le fameux adage &laquo;&nbsp;le peuple alg&eacute;rien est musulman et &agrave; l&rsquo;arabit&eacute; il appartient&nbsp;&raquo; est peut-&ecirc;tre &agrave; l&rsquo;origine du refoulement du plurilinguisme alg&eacute;rien sur le plan institutionnel. On revient aux notions d&rsquo;<em>origine</em> et d&rsquo;<em>Etat</em> qui b&acirc;tissent une nation. Le peuple alg&eacute;rien appartient-il seulement &agrave; l&rsquo;arabit&eacute;&nbsp;? Et l&rsquo;identit&eacute; berb&egrave;re&nbsp;? On en parle que r&eacute;cemment &ndash; depuis 2016 - de mani&egrave;re officielle comme langue officielle, mais o&ugrave; est pass&eacute;e donc l&rsquo;identit&eacute; arabe dialectale&nbsp;? L&rsquo;identit&eacute; libyque est bien reconnue tardivement, et l&rsquo;identit&eacute; punique&nbsp;? Et le brassage de l&rsquo;identit&eacute; libyque avec l&rsquo;identit&eacute; punique&nbsp;?</p> <p style="text-align:left">La conception de Ibn Badis est purement puriste &eacute;litiste de la langue arabe, et il faudrait peut-&ecirc;tre mettre des &oelig;ill&egrave;res pour ne pas voir &laquo;&nbsp;les langues du march&eacute;&nbsp;&raquo; selon l&rsquo;appellation d&rsquo;Ibn Badis. Ces &laquo;&nbsp;langues du march&eacute;&nbsp;&raquo; sont la darija, les parlers berb&egrave;res et le fran&ccedil;ais (le butin de guerre comme disait Kateb Yacine), ce sont des langues de communication quotidienne des Alg&eacute;riens et qui font partie de l&rsquo;identit&eacute; linguistique et culturelle alg&eacute;rienne collective actuelle.</p> <p style="text-align:left">Ibn Badis &eacute;tait dans une position diglossique (langue haute/langue base) et ne voulait pas m&eacute;langer le langage de la masse avec celui de la plume&nbsp;:</p> <p style="text-align:left">&laquo;&nbsp;Le langage utilis&eacute; par les &laquo;&nbsp;langues du march&eacute;&nbsp;&raquo;, sur les chemins et tous autres lieux populaires fr&eacute;quent&eacute;s par la masse ne peut pas &ecirc;tre confondu avec le langage des plumes et du papier, des cahiers et des &eacute;tudes, bref d&rsquo;une &eacute;lite (arabe)&nbsp;&raquo; (Ibn Basis). Le refus de la darija &agrave; l&rsquo;&eacute;cole vient peut-&ecirc;tre de cette conception Ibn-badiste de s&eacute;paration des langues de la soci&eacute;t&eacute; alg&eacute;riennes de la langue arabe sacr&eacute;e et &eacute;litiste.</p> <p style="text-align:left">Dans la continuit&eacute; d&rsquo;Ibn Badis, Khaoula Taleb Ibrahimi propose de promouvoir l&rsquo;arabe standard dans les diff&eacute;rentes soci&eacute;t&eacute;s arabes comme langue d&rsquo;acc&egrave;s au savoir. Ce maintien d&rsquo;une norme arabe standard absolue &agrave; l&rsquo;&eacute;cole et cette obstination de ne pas m&ecirc;ler &laquo;&nbsp;des langues du march&eacute;&nbsp;&raquo; - qui sont les langues maternelles du peuple et donc de la nation - &agrave; la scolarisation de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve n&rsquo;est pas propre &agrave; l&rsquo;Alg&eacute;rie. Le Maroc, pour rester proche de la situation sociolinguistique du Maghreb, l&rsquo;a connu avec le d&eacute;bat froissant de l&rsquo;introduction du parler marocain dans les &eacute;coles. Les nouveaux manuels scolaires marocains ont introduit quelques mots marocains&nbsp;&agrave; l&rsquo;&eacute;crit :<em> baghrir, ghreiba, birouate</em><sup><em><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote12sym" name="sdfootnote12anc" style="font-size:57%"><sup>12</sup></a></em></sup>, ce qui caus&eacute; pol&eacute;mique et scandale dans les milieux conservateurs marocains et chez les partisans du purisme arabe. Le minist&egrave;re de l&rsquo;&eacute;ducation nationale marocain a mis fin &agrave; cette pol&eacute;mique (&eacute;t&eacute; 2018) en disant qu&rsquo;il ne s&rsquo;agit nullement d&rsquo;introduire la darija &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, ce sont des noms propres marocains, utilis&eacute;s pour des fins p&eacute;dagogiques. Des &eacute;quipes p&eacute;dagogiques ont travaill&eacute; sur ce manuel de 2<sup>&egrave;me</sup> ann&eacute;e primaire &agrave; partir de curricula. Ce manuel a &eacute;t&eacute; bel et bien valid&eacute; par l&rsquo;&eacute;ducation nationale marocaine.</p> <p style="text-align:left">Cette introduction de la darija marocaine &agrave; l&rsquo;&eacute;cole par l&rsquo;institution pourrait &ecirc;tre interpr&eacute;t&eacute;e comme un test, surtout que les &eacute;tudes de la neuroscience ont reconnu l&rsquo;importance des langues premi&egrave;res dans l&rsquo;acquisition des savoirs. Les conservateurs puristes ne l&rsquo;ont pas adopt&eacute;e, le minist&egrave;re de l&rsquo;&eacute;ducation nationale et les politiques linguistiques ont recul&eacute; devant une telle r&eacute;sistance et devant une telle avanc&eacute;e de la science. Les exp&eacute;riences et les tests de l&rsquo;enseignement dans les langues maternelles ont conduit les enfants &agrave; sortir de l&rsquo;&eacute;chec et du d&eacute;crochage scolaire en Afrique<sup><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote13sym" name="sdfootnote13anc" style="font-size:57%"><sup>13</sup></a></sup>. Le cadre financier et technique de ces op&eacute;rations &agrave; budget colossal est appuy&eacute; par de grands organismes tels que l&rsquo;UNESCO et la banque mondiale. Cela ne pourrait s&rsquo;y r&eacute;aliser sans l&rsquo;appui non plus des d&eacute;cideurs politiques des pays concern&eacute;s, des chercheurs linguistes, psychologues, didacticiens, sociologues, parents et citoyens. L&rsquo;avenir de la darija reste cependant incertain &agrave; l&rsquo;&eacute;cole et au Maghreb.</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left"><strong>Conclusion&nbsp;: l&rsquo;avenir de l&rsquo;enfant entre L1 et L2</strong></p> <p style="text-align:left">L&rsquo;importance de la probl&eacute;matique des langues natives premi&egrave;res dans la scolarisation ne date pas d&rsquo;aujourd&rsquo;hui. Cette probl&eacute;matique a &eacute;t&eacute; abord&eacute;e par l&rsquo;UNESCO en Afrique subsaharienne o&ugrave; les langues premi&egrave;res nationales sont diff&eacute;rentes de la langue de scolarisation. La langue de scolarisation est souvent une langue &eacute;trang&egrave;re pour l&rsquo;enfant et la d&eacute;marche pr&eacute;conis&eacute;e est une d&eacute;marche de bi-plurilinguisme soustractif o&ugrave; la langue maternelle c&egrave;de la place progressivement &agrave; la langue d&rsquo;enseignement final, g&eacute;n&eacute;ralement une langue de l&rsquo;ex-colonisateur.</p> <p style="text-align:left">C&rsquo;est l&rsquo;enfant qui est au c&oelig;ur de ce d&eacute;bat plus que la/les langue(s), et la langue de scolarisation en Alg&eacute;rie est la langue arabe standard scolaire, une langue transversale dans le quotidien scolaire des enfants. C&rsquo;est une langue majoritaire &agrave; l&rsquo;&eacute;cole mais minoritaire dans la soci&eacute;t&eacute;&nbsp;; &agrave; l&rsquo;inverse, la darija est minoritaire &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, mais majoritaire dans la soci&eacute;t&eacute;. Pour que la norme scolaire soit apprise, il faudrait tenir compte des langues vernaculaires premi&egrave;res pouvant servir de variation linguistique synchronique entre L1 et L2.</p> <p style="text-align:left">Sur l&rsquo;avenir de la langue arabe standard, Khalil Gibran disait&nbsp;:</p> <p style="text-align:left">&laquo;&nbsp;Quel avenir pour la langue arabe&nbsp;?</p> <p style="text-align:left">La langue n&rsquo;est que l&rsquo;un des aspects de la cr&eacute;ativit&eacute; de la nation ou de la personnalit&eacute; collective de celle-ci. Lorsque la force cr&eacute;atrice s&rsquo;assouplit, la langue cesse d&rsquo;avancer et cet arr&ecirc;t est synonyme de recul, lequel est synonyme de mort et d&rsquo;effacement. [&hellip;.] Qu&rsquo;est-ce donc que cette force que nous appelons cr&eacute;atrice&nbsp;? C&rsquo;est la d&eacute;termination de la nation &agrave; aller de l&rsquo;avant. C&rsquo;est d&rsquo;avoir, dans son c&oelig;ur, la faim, la soif et le d&eacute;sir de l&rsquo;inconnu&nbsp;; c&rsquo;est d&rsquo;avoir dans son esprit une s&eacute;rie de r&ecirc;ves que l&rsquo;on s&rsquo;efforce, jour et nuit, de concr&eacute;tiser&nbsp;&raquo;<sup><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote14sym" name="sdfootnote14anc" style="font-size:57%"><sup>14</sup></a></sup>.</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left">Si la darija, langue de premi&egrave;re socialisation acc&eacute;derait un jour au statut de langue nationale, on pourrait parler de reconnaissance et d&rsquo;int&eacute;gration de la darija &agrave; l&rsquo;&eacute;cole dans les premi&egrave;res ann&eacute;es de scolarisation de l&rsquo;enfant. L&rsquo;&eacute;chec de la didactique des langues est de vouloir enseigner L2 comme L1 ou d&rsquo;enseigner L2 sans tenir compte de L1 de l&rsquo;enfant&nbsp;: &laquo;&nbsp;vouloir enseigner la langue seconde comme s&rsquo;il s&rsquo;agissait de la langue premi&egrave;re, revient &agrave; vouloir (inconsciemment) restituer les conditions dans lesquelles le petit d&rsquo;homme a forg&eacute; sa personnalit&eacute; psychique&nbsp;&raquo; (Elimam, 2015&nbsp;: 25).</p> <p style="text-align:left">Roulet (1980) parlait d&eacute;j&agrave; de la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;int&eacute;grer les p&eacute;dagogies de langues maternelles et secondes. Dans un contexte europ&eacute;en, il a soulign&eacute; le manque de coordination entre les p&eacute;dagogies des langues maternelles et les p&eacute;dagogies des langues secondes&nbsp;: &laquo;&nbsp;&hellip;les autorit&eacute;s, les m&eacute;thodologues, les enseignants n&rsquo;ont pas l&rsquo;occasion de prendre conscience de ces absurdit&eacute;s, mais les enfants, qui passent constamment de l&rsquo;heure de langue maternelle &agrave; celle de langue seconde, les affrontent quotidiennement et sont les seuls &agrave; en souffrir&nbsp;&raquo; (Roulet, 1980&nbsp;: 17). Mais bien avant, des chercheurs linguistes (Adamczewski, 1973) avaient compris l&rsquo;importance de L1 dans l&rsquo;appropriation de L2, et l&rsquo;acc&egrave;s au langage ne peut se faire qu&rsquo;&agrave; travers L1.</p> <p style="text-align:left">Roulet replace la langue maternelle comme &laquo;&nbsp;un auxiliaire pr&eacute;cieux&nbsp;&raquo; dans l&rsquo;appropriation de L2&nbsp;:</p> <p style="text-align:left">&laquo;&nbsp;La langue maternelle ne constitue plus, comme pour les partisans d&rsquo;une approche structuraliste de l&rsquo;enseignement des langues secondes, une source f&acirc;cheuse d&rsquo;interf&eacute;rences, qu&rsquo;il faut neutraliser par tous les moyens (refus de la comparaison explicite, de la traduction, etc.). Elle peut devenir au contraire un auxiliaire pr&eacute;cieux de l&rsquo;apprentissage d&rsquo;une langue &eacute;trang&egrave;re. Il faut, pour cela, concevoir l&rsquo;&eacute;tude de la langue maternelle &agrave; l&rsquo;&eacute;cole comme une occasion privil&eacute;gi&eacute;e pour saisir intuitivement et exp&eacute;rimentalement les principes fondamentaux de structure et de fonctionnement d&rsquo;une langue en g&eacute;n&eacute;ral et acqu&eacute;rir ainsi progressivement des connaissances qui faciliteront l&rsquo;approche et l&rsquo;acquisition de la structure et du fonctionnement de langues secondes&nbsp;&raquo; (Roulet, 1980&nbsp;: 26-27).</p> <p style="text-align:left">La langue maternelle devrait servir de support pour apprendre toute langue ult&eacute;rieure, L2, L3,&nbsp;&hellip;.et c&rsquo;est l&rsquo;enfant qui est au c&oelig;ur du d&eacute;bat et de l&rsquo;apprentissage. Laissons-le donc s&rsquo;exprimer en plusieurs langues et &ocirc;tons les barri&egrave;res psychologiques entre les langues.</p> <p style="text-align:left"><br /> &nbsp;</p> <p style="text-align:left"><strong>Bibliographie</strong></p> <p style="text-align:left">Arendt, Hannah (2015)&nbsp;: La langue maternelle, traduit de l&rsquo;anglais par Justine Audrain, &eacute;d. Association culturelle Eterotopia France, Paris.</p> <p style="text-align:left">B&eacute;acco, Jean-Claude &amp; Byram, Michael (2007) : Guide pour l&rsquo;&eacute;laboration des politiques linguistiques &eacute;ducatives en Europe. De la diversit&eacute; linguistique &agrave; l&rsquo;&eacute;ducation plurilingue, Strasbourg&nbsp;: Conseil de l&rsquo;Europe.</p> <p style="text-align:left">Bourdieu, Pierre (1982)&nbsp;: Ce que parler veut dire&nbsp;: l&rsquo;&eacute;conomie des &eacute;changes linguistiques, &eacute;d. Fayard, Paris.</p> <p style="text-align:left">Bruner, J&eacute;r&ocirc;me (1983)&nbsp;: Le d&eacute;veloppement de l&rsquo;enfant&nbsp;: savoir faire, savoir dire, &eacute;d. PUF, Paris.</p> <p style="text-align:left">Chaouachi, Kamal (2014)&nbsp;: La culture orale commune &agrave; Malte et &agrave; la Tunisie&nbsp;: contribution anthropo-linguistique au long d&eacute;bat sur la nature de la langue maltaise, &eacute;d. L&rsquo;Harmattan, Paris.</p> <p style="text-align:left">Choubachy, Ch&eacute;rif (2007)&nbsp;: Le sabre et la virgule. La langue du Coran est-elle &agrave; l&rsquo;origine du mal arabe&nbsp;?, &eacute;d. De l&rsquo;Archipel, Paris.</p> <p style="text-align:left">Coste, Daniel (2010)&nbsp;: &laquo;&nbsp;Diversit&eacute; des plurilinguismes et formes de l&rsquo;&eacute;ducation plurilingue et interculturelle&nbsp;&raquo;, in Les cahiers de l&rsquo;Acedle, 7-1&nbsp;: Notions en questions en didactique des langues &ndash; les plurilinguismes, https://journals.openedition.org/rdlc/2031.</p> <p style="text-align:left">Elimam, Abdou (1997)&nbsp;: Le maghribi, langue trois fois mill&eacute;naire, &eacute;d. ANEP, Alger.</p> <p style="text-align:left">Elimam, Abdou (2009)&nbsp;: &laquo;&nbsp;Du punique au maghribi&nbsp;: trajectoires d&rsquo;une langue s&eacute;mito- m&eacute;diterran&eacute;enne&nbsp;&raquo;, in Synergie Tunisie, n&deg;1, pp. 25-38.</p> <p style="text-align:left">Elimam, Abdou (2015)&nbsp;: Le maghribi, alias &laquo;&nbsp;ed-derija&nbsp;&raquo; (La langue consensuelle du Maghreb), &eacute;d. Frantz Fanon, Tizi-Ouzou. (1<sup>&egrave;re</sup> &eacute;dition en 2003 chez Dar el-Gharb, Oran).</p> <p style="text-align:left">Maurer, Bruno (2010)&nbsp;: El&eacute;ments de r&eacute;flexion pour une didactique du plurilinguisme en Afrique francophone. R&eacute;ponse &agrave; Daniel Coste, in Les Cahiers de l&rsquo;Acedle, 7-1&nbsp;: Notions en questions en didactique des langues &ndash; les plurilinguismes, https://journals.openedition.org/rdlc/2036.</p> <p style="text-align:left">Labov, William (1976)&nbsp;: Sociolinguistique, traduction fran&ccedil;aise d&rsquo;A. Kihm, &eacute;d. Minui, Paris.</p> <p style="text-align:left">Pinker, Steven (1994)&nbsp;: L&rsquo;instinct du langage, traduction fran&ccedil;aise par Marie-France Desjeux (2013), &eacute;d. Odile Jacob, Paris.</p> <p style="text-align:left">Roulet, Eddy (1980)&nbsp;: Langue maternelle et langues secondes, vers une p&eacute;dagogie int&eacute;gr&eacute;e, &eacute;d. Hatier, Paris.</p> <p style="text-align:left">Taleb Ibrahimi, Khaoula (2017)&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;arabe standard, une langue en qu&ecirc;te de reconnaissance et de promotion&nbsp;&raquo;, in Arabe standard et variations r&eacute;gionales&nbsp;: Quelle(s) politique(s) linguistique(s)&nbsp;? Quelle(s) didactique(s)&nbsp;?, sous la direction de H&eacute;ba Medhat-Lecocq, &eacute;d. Des archives contemporaines, Paris, pp.25-31.</p> <p style="text-align:left">Vygotski, L. (1997)&nbsp;: Pens&eacute;e et langage, (traduction fran&ccedil;aise F. S&egrave;ve), &eacute;d. La dispute, Paris.</p> <p style="text-align:left"><strong>Documents d&rsquo;accompagnement</strong></p> <p style="text-align:left">Manuel d&rsquo;arabe, 1<sup>&egrave;re</sup> ann&eacute;e primaire, MEN, Alg&eacute;rie, 2016-2017.</p> <p style="text-align:left">Programme de langue arabe, MEN, Alg&eacute;rie, 2016</p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> <p style="text-align:left"><br /> &nbsp;</p> <p style="text-align:left"><br /> &nbsp;</p> <p style="text-align:left">Annexe 1&nbsp;: 1<sup>&egrave;re</sup> page du manuel d&rsquo;arabe, 1<sup>&egrave;re</sup> ann&eacute;e primaire, Minist&egrave;re de l&rsquo;&eacute;ducation nationale, Alg&eacute;rie</p> <p style="text-align:left"><img alt="" src="/img/6/images/73_meriem_1.jpg" style="height:1075px; width:900px" /></p> <p style="text-align:left">Annexe 2&nbsp;: Programme de langue arabe, 1<sup>&egrave;re</sup> ann&eacute;e primaire, MED, Alg&eacute;rie, 2016</p> <p style="text-align:left"><img alt="" src="/img/6/images/73_meriem_2.jpg" style="height:1200px; width:900px" /></p> <p style="text-align:left">Annexe 3&nbsp;: tableau des contenus, manuel d&rsquo;arabe, 1<sup>&egrave;re</sup> ann&eacute;e primaire, MED, Alger</p> <p style="text-align:left"><img alt="" src="/img/6/images/73_meriem_3.jpg" style="height:1200px; width:900px" /></p> <div id="sdfootnote1"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote1anc" name="sdfootnote1sym">1</a><sup></sup> Les mati&egrave;res scientifiques (math&eacute;matiques, physique&hellip;) &eacute;taient enseign&eacute;es en fran&ccedil;ais en Alg&eacute;rie m&ecirc;me apr&egrave;s l&rsquo;arabisation. L&rsquo;enseignement bilingue (arabe-fran&ccedil;ais) a cess&eacute; &agrave; la fin des ann&eacute;es 80. Mais, la langue fran&ccedil;aise revient en force &agrave; l&rsquo;universit&eacute; dans l&rsquo;enseignement scientifique. Les mati&egrave;res scientifiques sont enseign&eacute;es aujourd&rsquo;hui en arabe standard scolaire &agrave; l&rsquo;&eacute;cole alg&eacute;rienne publique, mais pas &agrave; l&rsquo;universit&eacute;. L&rsquo;arabe standard est une langue de scolarisation &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, et le fran&ccedil;ais est une langue de sp&eacute;cialisation et de recherche &agrave; l&rsquo;universit&eacute; pour les fili&egrave;res scientifiques. L&rsquo;anglais commence &agrave; avoir une petite place &agrave; l&rsquo;universit&eacute;, surtout en mati&egrave;re de coop&eacute;ration internationale universitaire.</span></p> </div> <div id="sdfootnote2"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote2anc" name="sdfootnote2sym">2</a><sup></sup> Dictionnaire Latin-fran&ccedil;ais, F. Gaffiot (&eacute;d. Originale 1936), cf. aussi la Nouvelle &eacute;dition revue et augment&eacute;e dite La Gaffiot (2016), p. 883&nbsp;: &laquo;&nbsp;peuplade, nation [partie d&rsquo;une gens, peuple, race], Ciceron&nbsp;&raquo;.</span></p> </div> <div id="sdfootnote3"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote3anc" name="sdfootnote3sym">3</a><sup></sup> Le Nouveau dictionnaire universel des synonymes de la langue fran&ccedil;aise de Fran&ccedil;oit Guizot (1822), consult&eacute; &agrave; la BNF (Paris).</span></p> </div> <div id="sdfootnote4"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote4anc" name="sdfootnote4sym">4</a><sup></sup> Cf. le projet LASCOLAF (2008-2009).</span></p> </div> <div id="sdfootnote5"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote5anc" name="sdfootnote5sym">5</a><sup></sup> Nous remercions le service de la formation des formateurs de l&rsquo;acad&eacute;mie d&rsquo;Oran (&eacute;ducation nationale) pour toutes les informations utiles. Nous remercions &eacute;galement l&rsquo;&eacute;cole primaire Mohamed Ben Abderrahmane, Gambetta, Oran.</span></p> </div> <div id="sdfootnote6"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote6anc" name="sdfootnote6sym">6</a><sup></sup> Il serait int&eacute;ressant d&rsquo;&eacute;tablir une &eacute;tude comparative des langues enseign&eacute;es avec les &eacute;coles priv&eacute;es alg&eacute;riennes et les &eacute;coles de la mission la&iuml;que fran&ccedil;aise AEFE (Agence pour l&rsquo;enseignement fran&ccedil;ais &agrave; l&rsquo;&eacute;tranger). Retenons pour le cas des &eacute;tablissements fran&ccedil;ais, le lyc&eacute;e (plut&ocirc;t le groupe scolaire) Alexandre Dumas d&rsquo;Alger et ses annexes d&rsquo;Oran et d&rsquo;Annaba.</span></p> </div> <div id="sdfootnote7"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote7anc" name="sdfootnote7sym">7</a><sup></sup> Sibawih (760-796), grammairien, linguiste de la langue arabe d&rsquo;origine perse. Consid&eacute;r&eacute; parmi les plus importants grammairiens de la langue arabe. C&rsquo;est un linguiste &eacute;minent de l&rsquo;&eacute;cole de Basra (Iraq).</span></p> </div> <div id="sdfootnote8"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote8anc" name="sdfootnote8sym">8</a><sup></sup> A lire cet article sur le Monde.fr par Charlotte Bozonnet, La ministre de l&rsquo;&eacute;ducation, b&ecirc;te noire des conservateurs en Alg&eacute;rie, https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2016/06/17/la-ministre-de-l-education-bete-noire-des-conservateurs-en-algerie_4952748_4497186.html</span></p> </div> <div id="sdfootnote9"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote9anc" name="sdfootnote9sym">9</a><sup></sup> Francis Marrache (1837-1873)&nbsp;: &eacute;crivain, po&egrave;te et m&eacute;decin syrien, consid&eacute;r&eacute; comme le 1<sup>er</sup> intellectuel arabe cosmopolite des temps modernes. Il a modernis&eacute; la litt&eacute;rature arabe et a pr&ocirc;n&eacute; pour une modernisation des &eacute;coles arabes, et surtout pour une s&eacute;paration de l&rsquo;Etat et de la religion. Il fait partie du mouvement <em>Nahda</em>.</span></p> </div> <div id="sdfootnote10"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote10anc" name="sdfootnote10sym">10</a><sup></sup> La th&eacute;orie de l&rsquo;attachement, formalis&eacute;e par le psychiatre et psychanaliste John Bowlby (1907-1990). Il d&eacute;montra qu&rsquo;un enfant a besoin, pour son d&eacute;veloppement et son &eacute;quilibre social et &eacute;motionnel, de d&eacute;velopper une relation coh&eacute;rente, continue et s&eacute;curisante (<em>caregiver</em>) avec la personne qui prend soin de lui, g&eacute;n&eacute;ralement sa m&egrave;re ou son substitut.</span></p> </div> <div id="sdfootnote11"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote11anc" name="sdfootnote11sym">11</a><sup></sup> Darwich (2000)&nbsp;: La terre nous est &eacute;troite et d&rsquo;autres po&egrave;mes, 1966-1999, Traduit de l&rsquo;arabe par Elias Sanbar, &eacute;d. Gallimard Paris.</span></p> </div> <div id="sdfootnote12"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote12anc" name="sdfootnote12sym">12</a><sup></sup> Ce sont des g&acirc;teaux marocains.</span></p> </div> <div id="sdfootnote13"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote13anc" name="sdfootnote13sym">13</a><sup></sup> Cf. les recherches men&eacute;es par l&rsquo;UNESCO sur les langues maternelles&nbsp;: https://fr.unesco.org/courier/supplement-numerique/langue-maternelle-ecole-c-est-crucial</span></p> </div> <div id="sdfootnote14"> <p style="text-align:left"><span style="font-size:10pt"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote14anc" name="sdfootnote14sym">14</a><sup></sup> Traduction fran&ccedil;aise par Heidi Toelle, Extrait de Histoire de la litt&eacute;rature arabe moderne, tome II, Anthlogie bilingue, sous la direction de Boutros Hallaq et Heidi Toelle, Sindbad/Actes sud, 2013.</span></p> <p style="text-align:left">&nbsp;</p> </div>