<p>Le FOU &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve des comp&eacute;tences interdisciplinaires des &eacute;tudiants en droit : entre rh&eacute;torique d&eacute;centr&eacute;e et discours r&eacute;flexif</p> <p>L&rsquo;Universit&eacute; de Fribourg (CH) offre aux &eacute;tudiants la possibilit&eacute; de faire leurs &eacute;tudes soit enti&egrave;rement en fran&ccedil;ais, soit enti&egrave;rement en allemand, ou alors &laquo;&nbsp;en bilingue&nbsp;&raquo;[1]. A titre indicatif, &agrave; la facult&eacute; de droit, environ un tiers des &eacute;tudiants suit les &eacute;tudes disciplinaires au niveau du Bachelor en fran&ccedil;ais, un tiers en allemand et un tiers en bilingue. Parmi ce dernier groupe, les &eacute;tudiants qui le souhaitent et qui attestent d&rsquo;un niveau B2 en langue 2 &agrave; l&rsquo;issue d&rsquo;un entretien d&rsquo;admission, peuvent s&rsquo;inscrire &agrave; la formation compl&eacute;mentaire &laquo;&nbsp;bilingue plus-droit&nbsp;&raquo;[2]. Celle-ci a &eacute;t&eacute; con&ccedil;ue comme un dispositif de soutien linguistique et culturel en langue 2 ayant pour objectif d&rsquo;amener les &eacute;tudiants au niveau C1 (voire du C1 au C2). Or, afin de mieux tenir compte de la double finalit&eacute; d&eacute;finie par le Rectorat de l&rsquo;Universit&eacute; de Fribourg &ndash; &agrave; savoir le renforcement du bilinguisme et de l&rsquo;interdisciplinarit&eacute;[3] &ndash; le dispositif &laquo;&nbsp;bilingue plus-droit&nbsp;&raquo; a &eacute;volu&eacute; depuis 2014. En effet,&nbsp;il s&rsquo;est mu&eacute; en une formation plus complexe ayant pour ambition d&rsquo;offrir aux &eacute;tudiants en droit, outre la possibilit&eacute; d&rsquo;approfondir leurs comp&eacute;tences linguistiques et culturelles en langue 2, un espace formatif qui leur permet d&rsquo;&eacute;voluer non seulement dans les deux aires linguistiques pr&eacute;sentes &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; de Fribourg/Freiburg mais aussi dans plusieurs disciplines acad&eacute;miques[4].</p> <p>Afin de d&eacute;velopper des outils suppl&eacute;mentaires favorisant l&rsquo;&eacute;veil des capacit&eacute;s bilingues et interdisciplinaires, l&rsquo;&eacute;quipe &laquo;&nbsp;bilingue plus-droit&nbsp;&raquo; a choisi de placer au centre d&rsquo;un nouveau projet d&rsquo;apprentissage de la langue 2 (le fran&ccedil;ais ou l&rsquo;allemand) des soir&eacute;es cin&eacute;ma-d&eacute;bat organis&eacute;es &ndash; en dehors des cursus officiels et pour l&rsquo;ensemble de la communaut&eacute; universitaire &ndash; par la Chaire de droit &eacute;conomique et de droit international. Consacr&eacute; chaque ann&eacute;e &agrave; un nouveau th&egrave;me transversal (la libert&eacute; / Freiheit 2016, la r&eacute;volution / Revolution 2017, la v&eacute;rit&eacute; / Wahrheit 2018, l&rsquo;identit&eacute; / Identit&auml;t 2019, l&rsquo;erreur / Irrtum 2020), cet &eacute;v&eacute;nement bilingue intitul&eacute; &laquo; Le Droit dans le cin&eacute;ma / Recht im Film &raquo;[5] nous permet de constituer, &agrave; l&rsquo;intersection des langues et des disciplines, un r&eacute;seau d&rsquo;&eacute;changes et de rencontres au sein duquel l&rsquo;&eacute;tudiant pourra devenir un v&eacute;ritable acteur de son apprentissage. Loin de son cadre disciplinaire habituel, il se voit &laquo;&nbsp;contraint&nbsp;&raquo; d&rsquo;avancer sur des terrains inexplor&eacute;s et de r&eacute;investir la langue &eacute;trang&egrave;re dans une r&eacute;alit&eacute; &laquo;&nbsp;hors classe&nbsp;&raquo; &ndash; l&agrave; o&ugrave;, pr&eacute;cis&eacute;ment, le bilinguisme ainsi que la pluridisciplinarit&eacute; sont v&eacute;cus comme une normalit&eacute; et non comme une exception.</p> <p>Autrement dit, sans vouloir abolir les fronti&egrave;res entre les langues et les disciplines, nous mettons &agrave; la disposition des &eacute;tudiants un nouvel espace formatif o&ugrave; ces fronti&egrave;res sont perm&eacute;ables, la circulation des id&eacute;es encourag&eacute;e ainsi que les rapprochements valoris&eacute;s. Concr&egrave;tement, l&rsquo;objectif demand&eacute; aux &eacute;tudiants est de se pr&eacute;parer &agrave; ces soir&eacute;es cin&eacute;ma-d&eacute;bat, de les suivre activement et de r&eacute;aliser, en langue cible, un dossier-m&eacute;moire qui mat&eacute;rialisera leurs r&eacute;flexions et leurs analyses relatives au th&egrave;me de l&rsquo;ann&eacute;e en y int&eacute;grant des apports th&eacute;oriques et pratiques en provenance de la litt&eacute;rature, du cin&eacute;ma, de la philosophie, etc. et, bien s&ucirc;r, du droit. En fin de formation, ce travail interdisciplinaire devra &ecirc;tre d&eacute;fendu lors d&rsquo;une soutenance devant un jury bilingue compos&eacute; d&rsquo;un professeur de droit, d&rsquo;un sp&eacute;cialiste des m&eacute;dias et des lecteurs de langues en charge de la formation &laquo;&nbsp;bilingue plus-droit&nbsp;&raquo;. Op&eacute;rationnel depuis l&rsquo;ann&eacute;e universitaire 2015&ndash;2016, ce dispositif tripartite &ndash; comprenant donc les soir&eacute;es cin&eacute;ma-d&eacute;bat, le dossier-m&eacute;moire et l&rsquo;&eacute;valuation finale &ndash; constitue la partie &eacute;mergente et &eacute;valuable d&rsquo;un nouveau r&eacute;seau d&rsquo;&eacute;changes et de collaborations entre les langues et les disciplines qui, en d&eacute;passant les clivages disciplinaires traditionnels, bouscule la mani&egrave;re d&rsquo;aborder l&rsquo;enseignement du FOS/FOU en milieu universitaire.</p> <p>Cr&eacute;&eacute;e d&rsquo;une mani&egrave;re relativement spontan&eacute;e afin de suivre rapidement les directives du Rectorat en mati&egrave;re de bilinguisme et d&rsquo;interdisciplinarit&eacute;, cette nouvelle orientation de la formation &laquo;&nbsp;bilingue plus-droit&nbsp;&raquo;, comme nous l&rsquo;avons d&eacute;j&agrave; mentionn&eacute;, ne pourra plus &ecirc;tre con&ccedil;ue ni comme un simple cours de soutien linguistique compl&eacute;mentaire (FLE) ni comme un cours de langue sur objectifs juridiques (FOU/FOS-droit). Ces nouveaux besoins &agrave; la fois linguistiques et interdisciplinaires &ndash; dict&eacute;s par l&rsquo;universit&eacute; bilingue de Fribourg ainsi que par les exigences du m&eacute;tier de juriste en Suisse &ndash;, nous contraignent &agrave; &eacute;voluer sur un terrain &laquo;&nbsp;d&rsquo;entre-deux&nbsp;&raquo; pour lequel ni l&rsquo;un ni l&rsquo;autre cadre m&eacute;thodologique semblent adapt&eacute;s &ndash; un terrain en r&eacute;alit&eacute; assez mouvant et d&eacute;stabilisant o&ugrave; enseignants et &eacute;tudiants sont confront&eacute;s &agrave; une nouvelle approche pluriperspectiviste[6] pour laquelle nous avons forg&eacute; la notion op&eacute;ratoire de &laquo;&nbsp;digression m&eacute;thodique&nbsp;&raquo; (RACINE et al. 2018, p. 26).</p> <p>Bien que l&rsquo;exp&eacute;rience men&eacute;e depuis 2015 semble avoir donn&eacute; enti&egrave;re satisfaction &agrave; tous les acteurs impliqu&eacute;s &ndash; investissement des &eacute;tudiants dans les activit&eacute;s de terrain, relectures enthousiastes des dossiers-m&eacute;moires de la part des lecteurs de langue, partenaires de la facult&eacute; de droit oubliant m&ecirc;me que l&rsquo;&eacute;preuve est tout d&rsquo;abord une performance en langue-culture &eacute;trang&egrave;re avant d&rsquo;&ecirc;tre un &eacute;crit disciplinaire[7] &ndash; nous ressentons aujourd&rsquo;hui le besoin d&rsquo;une prise de distance. Dans cette r&eacute;ussite, quelle est la part effectivement attribuable &agrave; l&rsquo;enseignement mis en place&nbsp;? La qualit&eacute; des dossiers-m&eacute;moires ne serait-elle pas, plus simplement, attribuable &agrave; des ph&eacute;nom&egrave;nes de transfert de comp&eacute;tences d&eacute;j&agrave; acquises en langue 1&nbsp;? Comment, en d&eacute;finitive, mieux cibler sur le plan didactique des savoir-dire[8] pouvant &ecirc;tre reconduits, de mani&egrave;re sp&eacute;cifique, &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;une interdisciplinarit&eacute; &eacute;prouv&eacute;e, v&eacute;cue en contexte (et non ornementale)&nbsp;?</p> <p>Nous ne pourrons &eacute;videmment pas r&eacute;pondre de mani&egrave;re exhaustive &agrave; toutes ces questions, mais elles nous bousculent dans notre confort didactique et nous incitent &agrave; nous repositionner. Dans cet article, nous proposons donc de consid&eacute;rer les dossiers-m&eacute;moires produits depuis 2015 par les &eacute;tudiants inscrits en seconde ann&eacute;e de &laquo;&nbsp;bilingue plus-droit&nbsp;&raquo; comme un corpus d&rsquo;analyse[9]. Ces &eacute;crits semblent &ecirc;tre &ndash; pour de nombreux &eacute;tudiants germanophones &ndash; le lieu d&rsquo;une appropriation op&eacute;ratoire de la culture francophone&nbsp;: quelles sont les traces de ce processus dans leurs discours ? Peut-on, &agrave; partir de nos observations, &eacute;tablir une typologie d&rsquo;unit&eacute;s discursives caract&eacute;ristiques de ce corpus&nbsp;?&nbsp;</p> <p>1. Le travestissement rh&eacute;torique transculturel</p> <p>&nbsp;</p> <p>Paradoxalement, suite &agrave; son remaniement bilingue et interdisciplinaire, il semble que la formation &laquo;&nbsp;bilingue plus-droit&nbsp;&raquo; vise d&eacute;sormais davantage au c&oelig;ur du m&eacute;tier de juriste &ndash; ce qui a priori est surprenant. En effet, si l&rsquo;on s&rsquo;&eacute;loigne de l&rsquo;id&eacute;e sans doute trop r&eacute;ductrice du bachotage des premi&egrave;res ann&eacute;es de droit consistant &agrave; accumuler le maximum de connaissances disciplinaires, on s&rsquo;aper&ccedil;oit que le point commun &agrave; tous les juristes, universitaires ou non universitaires, est la pratique du langage juridique, impr&eacute;gn&eacute;e de postures culturelles et acad&eacute;miques tout &agrave; fait sp&eacute;cifiques. Selon Didier Truchet, sp&eacute;cialiste du droit public &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; Paris II Panth&eacute;on-Assas, ce langage sp&eacute;cialis&eacute;, qu&rsquo;il soit ancr&eacute; dans un contexte universitaire ou professionnel, est enti&egrave;rement fa&ccedil;onn&eacute; par un raisonnement juridique dont &laquo;&nbsp;toutes les &eacute;tapes [&hellip;] appellent un effort particulier d&rsquo;argumentation&nbsp;&raquo;. Autrement dit, le m&eacute;tier de juriste est, d&rsquo;apr&egrave;s lui, essentiellement &laquo;&nbsp;rh&eacute;torique&nbsp;&raquo;[10].</p> <p>Sans vouloir reprendre la distinction st&eacute;r&eacute;otyp&eacute;e entre le sophiste, qui ma&icirc;trise tous les (en)jeux du discours au point de pouvoir faire passer pour vrai ce qui est faux, et le philosophe, qui lui se contente du questionnement du vrai pour d&eacute;noncer le faux, il n&rsquo;emp&ecirc;che que dans le m&eacute;tier de juriste, l&rsquo;argumentation juridique se situe au-dessus &ndash; ou au-del&agrave; &ndash; des points de vue individuels et des convictions collectives. Ainsi, il n&rsquo;est pas rare qu&rsquo;un avocat soit amen&eacute; &agrave; argumenter &agrave; l&rsquo;encontre de celles-ci &ndash; nous pensons notamment &agrave; Me Robert Badinter qui pour sauver son client Bontems plaidait &agrave; l&rsquo;&eacute;poque, en vain, contre la peine capitale voulue par l&rsquo;opinion publique &ndash; ou &agrave; d&eacute;fendre un client dont les actes sont a priori ind&eacute;fendables aux yeux de la soci&eacute;t&eacute; et, qui sait, aux yeux de l&rsquo;avocat lui-m&ecirc;me &ndash; pour s&rsquo;en convaincre, il suffit de citer Me Jacques Verg&egrave;s, avocat de Klaus Barbie, et Me Francis Vuillemin, jeune avocat d&eacute;fenseur de Maurice Papon. C&rsquo;est donc avant tout la fonction que rev&ecirc;t chaque juriste (juge, avocat, conseil, m&eacute;diateur, etc.) qui, dans le cadre &eacute;troit du raisonnement juridique et celui des proc&eacute;dures judiciaires, lui dicte sa prise de position particuli&egrave;re et, de ce fait, son argumentaire sp&eacute;cifique.</p> <p>Afin de ma&icirc;triser &agrave; la fois l&rsquo;art du raisonnement juridique, qui a son fonctionnement propre, et celui de la rh&eacute;torique, qui se construit ind&eacute;pendamment d&rsquo;un quelconque point de vue personnel, les &eacute;tudiants sont m&eacute;thodiquement contraints, d&egrave;s la premi&egrave;re ann&eacute;e de droit, de se glisser dans les m&eacute;andres de proc&eacute;dures sp&eacute;cifiques, de se d&eacute;centrer dans un syst&egrave;me de pens&eacute;e autre et, au cours de leur parcours professionnel, de rev&ecirc;tir diff&eacute;rentes fonctions, parfois oppos&eacute;es, du m&eacute;tier de juriste. A d&eacute;faut d&rsquo;acqu&eacute;rir l&rsquo;habilet&eacute; langagi&egrave;re et la capacit&eacute; intellectuelle de pouvoir argumenter en &laquo;&nbsp;camouflant&nbsp;&raquo; leur propre position, les &eacute;tudiants en droit ne passeront gu&egrave;re le cap des premiers examens. Il s&rsquo;agit donc, pour eux, de s&rsquo;approprier, &agrave; une &eacute;chelle totalisante, la m&eacute;taphore du d&eacute;centrement, du d&eacute;guisement voire du travestissement afin de faire corps &agrave; tout moment avec le raisonnement juridique idoine et de pouvoir l&rsquo;appliquer &agrave; toute situation litigieuse qui se pr&eacute;sentera &agrave; eux tout au long de leur carri&egrave;re[11].&nbsp;</p> <p>En d&eacute;finitive, si l&rsquo;appropriation du raisonnement juridique demande un effort certain &agrave; l&rsquo;&eacute;tudiant en droit de langue maternelle, que dire alors de l&rsquo;&eacute;tudiant allophone&nbsp;? Ce dernier devra r&eacute;ussir le tour de force de r&eacute;aliser un double travestissement&nbsp;: &agrave; la fois &eacute;pouser la conception juridique francophone (de Suisse romande) tout en se fondant dans la langue-culture &eacute;trang&egrave;re dont la premi&egrave;re est indissociable et s&rsquo;aventurer dans des disciplines inconnues jusqu&rsquo;alors, plus &laquo;&nbsp;humaines&nbsp;&raquo;, plus &laquo;&nbsp;litt&eacute;raires&nbsp;&raquo;. En effet, si nous souhaitons que le futur juriste helv&eacute;tique devienne un &laquo;&nbsp;acteur&nbsp;&raquo; bilingue &ndash; &agrave; l&rsquo;instar du com&eacute;dien paradoxal de Diderot qui, d&eacute;guisant son moi intime originel, sait prendre de la hauteur et &laquo;&nbsp;dit qu&rsquo;[il] pleure mais [il] ne pleure pas&nbsp;&raquo;[12] &ndash;, il nous semble utile de ne point se limiter &agrave; l&rsquo;acquisition de comp&eacute;tences linguistiques en langue &eacute;trang&egrave;re mais de proposer une formation plus rh&eacute;torique et plus globalisante qui mette en valeur ces m&eacute;canismes de d&eacute;centration et de camouflage &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans le m&eacute;tier de juriste &ndash; ceux-l&agrave; m&ecirc;mes qui op&egrave;rent syst&eacute;matiquement lors du passage entre les langues-cultures, les disciplines universitaires et les fonctions professionnelles.</p> <p>2. Croisements et changements de perspectives m&eacute;thodologiques&nbsp;</p> <p>Bien que des propositions m&eacute;thodologiques innovantes aient r&eacute;guli&egrave;rement vu le jour concernant l&rsquo;insertion d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments culturels en classe de langue[13], les appareillages didactiques qui les englobent oscillent, encore aujourd&rsquo;hui, entre objectifs de r&eacute;tention d&rsquo;informations factuelles (dans des exercices de type compte-rendu ou synth&egrave;se de documents, par exemple, pour le FOU) ou de jugement m&eacute;ta-litt&eacute;raire (dans des explications de texte, se rapprochant de ce que l&rsquo;on ferait produire en langue maternelle). Dans un contexte helv&eacute;tique o&ugrave; l&rsquo;influence de la langue fran&ccedil;aise (et, &agrave; travers elle, des valeurs culturelles qu&rsquo;elle v&eacute;hicule) est en perte de vitesse[14], nous nous posons donc la question de savoir quel autre r&ocirc;le la culture francophone pourrait avoir dans la formation en langue de juristes allophones qui &ndash; sans se destiner &agrave; des m&eacute;tiers artistiques ou litt&eacute;raires &ndash; vont faire de cette langue-culture une marque de distinction professionnelle.</p> <p>Avant de d&eacute;crire pr&eacute;cis&eacute;ment ces nouveaux enjeux auxquels nous pensons, ainsi que les savoir-dire rh&eacute;toriques qui leur sont reli&eacute;s, il semble n&eacute;cessaire de les situer au sein d&rsquo;un cadre didactique centr&eacute; sur la didactisation de l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment culturel, envisag&eacute; dans une perspective diachronique. Ce cadre nous permettra ensuite de situer la troisi&egrave;me voie &ndash; celle que nous avons choisie &ndash; se frayant un chemin dans le paysage des m&eacute;thodologies.</p> <p>2.1. Lire la dimension culturelle en classe de FOU&nbsp;: les limites de l&rsquo;actionnel</p> <p>Le document culturel &ndash; litt&eacute;raire, en particulier &ndash; avait centralis&eacute; tous les apprentissages jusqu&rsquo;&agrave; ce que les m&eacute;thodologies dites traditionnelles soient remplac&eacute;es par la SGAV (structuro-globale audiovisuelle): apprendre une langue, c&rsquo;&eacute;tait avant tout se cultiver dans cette langue (GOHARD-RADENKOVIC [1999] 2004). De mani&egrave;re cyclique, ensuite, la culture a &eacute;t&eacute; &eacute;vinc&eacute;e des programmes au profit de mat&eacute;riaux relevant (plus clairement) de la langue orale, pour &ecirc;tre &agrave; nouveau exploit&eacute;e &ndash; mais &agrave; des fins diff&eacute;rentes&hellip;</p> <p>Sans contester sa valeur en tant que t&eacute;moin d&rsquo;un monde et d&rsquo;une langue id&eacute;alis&eacute;s, la m&eacute;thodologie active avait con&ccedil;u des objectifs autour de l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment culturel, s&rsquo;appuyant sur des sources diverses et des connaissances apport&eacute;es par l&rsquo;enseignant (LUSCHER 2009). Puis les m&eacute;thodologies communicatives, en envisageant les progressions autour de documents authentiques ayant pour (seul) but de d&eacute;clencher des &eacute;changes verbaux en classe, ont bris&eacute; ce lien entre discours et contextes de production&nbsp;: l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment culturel devenait un ph&eacute;nom&egrave;ne civilisationnel isol&eacute; rapidement p&eacute;rissable.</p> <p>&nbsp;</p> <p>Si l&rsquo;approche communicative a install&eacute; l&rsquo;oral et la conversation au centre de l&rsquo;apprentissage, la perspective actionnelle, quant &agrave; elle, y a instaur&eacute;, &agrave; travers la &laquo;&nbsp;p&eacute;dagogie du projet&nbsp;&raquo;, la pens&eacute;e &eacute;conomique de l&rsquo;efficacit&eacute; et du rendement&nbsp;: le r&eacute;sultat (&laquo;&nbsp;le livrable&nbsp;&raquo;) devient l&rsquo;unique but vers lequel tendent et se focalisent tous les efforts d&rsquo;apprentissage et auquel tous les objectifs sont subordonn&eacute;s. Les &laquo;&nbsp;t&acirc;ches&nbsp;&raquo;, d&eacute;coupant le projet final en s&eacute;quences discursives et en actes de parole, incitent l&rsquo;apprenant &agrave; parcourir le plus rapidement possible toutes les &eacute;tapes qui m&egrave;nent &agrave; l&rsquo;accomplissement de celui-ci. Or dans cette course lin&eacute;aire o&ugrave; aucune digression enrichissante ni aucun travestissement rh&eacute;torique ou interdisciplinaire ne sont admises &ndash; comme dans la vraie vie &eacute;conomique &ndash;, l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment culturel est englouti dans un &laquo;&nbsp;acte social d&rsquo;expression et de communication&nbsp;&raquo; (PUREN, 2006) qui se borne &agrave; exploiter le fait culturel comme un &laquo;&nbsp;r&eacute;servoir de formes&nbsp;&raquo; en vue de la mise en mots du projet final. M&ecirc;me si Christian Puren, se rendant compte du d&eacute;ficit culturel inh&eacute;rent &agrave; la d&eacute;marche actionnelle, a tent&eacute; de r&eacute;habiliter le texte litt&eacute;raire en proposant une typologie pour l&rsquo;enseignement de la litt&eacute;rature, qui d&eacute;partage les savoir-faire li&eacute;s &agrave; la lecture de textes en sept macro-comp&eacute;tences (paraphraser / analyser / extrapoler / interpr&eacute;ter / comparer / r&eacute;agir / transposer), (PUREN, 2006), on ne peut s&rsquo;emp&ecirc;cher de constater que cette p&eacute;dagogie purement pragmatique a gomm&eacute; deux distinctions fondamentales&nbsp;: d&rsquo;une part, celle entre un travail accompli en langue-culture maternelle et un apprentissage intellectuel et culturel effectu&eacute; en langue-culture &eacute;trang&egrave;re o&ugrave; l&rsquo;obstacle de la langue oblige &agrave; une prise de distance (et de hauteur&nbsp;!) par rapport au projet &agrave; accomplir; et d&rsquo;autre part, celle entre l&rsquo;acquisition d&rsquo;une langue &eacute;trang&egrave;re en contexte homoglotte et l&rsquo;apprentissage de celle-ci dans un contexte h&eacute;t&eacute;roglotte o&ugrave; tout projet &ndash; avec &agrave; la clef un livrable &agrave; vis&eacute;e &laquo;&nbsp;sociale&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire hors classe et, le plus souvent, en milieu professionnel &ndash; n&rsquo;a in fine que peu d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t (CUQ, 2016).</p> <p>En d&eacute;finitive si, sur le plan m&eacute;thodologique, nous reconnaissons notre dette vis-&agrave;-vis de la perspective actionnelle puisque les programmes de FOS, et donc de FOU, dont nous nous revendiquons, se con&ccedil;oivent, en lien avec des analyses de besoin (RICHER, 2008, p. 23), autour de t&acirc;ches d&eacute;coupant l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment culturel en s&eacute;quences discursives afin de faciliter leur r&eacute;alisation en langue-cible, nous constatons, suite &agrave; la &laquo;&nbsp;pragmatisation&nbsp;&raquo; de l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment culturel, un manque de comp&eacute;tence interpr&eacute;tative, voire r&eacute;flexive, aupr&egrave;s des apprenants de langue, comp&eacute;tence pourtant indispensable en milieu universitaire. Non point que cette r&eacute;flexivit&eacute; soit totalement absente de la d&eacute;marche actionnelle, mais elle reste &ndash; telle qu&rsquo;elle est envisag&eacute;e &ndash; &agrave; l&rsquo;&eacute;tat implicite comme si l&rsquo;apprenant en langue &eacute;trang&egrave;re, &agrave; l&rsquo;instar du natif lors de la r&eacute;alisation d&rsquo;un projet en langue maternelle, pouvait faire l&rsquo;impasse sur l&rsquo;appropriation active et explicite d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments d&rsquo;ordre culturel[15]. A titre illustratif, on peut remarquer que, bien que les trois derni&egrave;res macro-comp&eacute;tences propos&eacute;es par Christian Puren&nbsp; &ndash; &nbsp;comparer / r&eacute;agir / transposer &ndash; soient, effectivement, d&eacute;clinables en consignes se rapportant au monde de l&rsquo;apprenant allophone, celui-ci ne saura pas concurrencer (et tel n&rsquo;est pas l&rsquo;objectif&nbsp;!) le natif dans les r&eacute;ponses qu&rsquo;il apportera aux quatre premi&egrave;res&nbsp;: dans l&rsquo;exercice de paraphrase, son obstacle sera d&rsquo;ordre linguistique&nbsp;; pour l&rsquo;analyse &ndash; l&rsquo;extrapolation et l&rsquo;interpr&eacute;tation &ndash; ce sont les r&eacute;f&eacute;rences socio-culturelles (ayant s&eacute;diment&eacute;, chez le natif, durant toute une scolarit&eacute;) qui lui feront d&eacute;faut. Et, dans les deux cas, aucune indication ne nous est donn&eacute;e pour savoir comment il acquerra la langue et la culture pour mettre en place ces &laquo;&nbsp;actions&nbsp;&raquo;.</p> <p>2.2. De l&rsquo;objet regard&eacute; &agrave; l&#39;&oelig;il qui regarde&nbsp;: du positionnement d&eacute;centr&eacute; &agrave; la posture r&eacute;flexive</p> <p>Consid&eacute;rant nos publics sp&eacute;cifiques &ndash; des &eacute;tudiants en droit allophones pour lesquels la culture-cible[16] n&rsquo;est pas, a priori, une culture exotique &agrave; d&eacute;couvrir, mais un bagage de r&eacute;f&eacute;rences dont il s&rsquo;agit de comprendre le fonctionnement intrins&egrave;que pour pouvoir l&rsquo;exploiter &ndash; nous ressentons donc le besoin de compl&eacute;ter la r&eacute;flexion amorc&eacute;e sur le statut du regard&eacute; (la culture), en nous questionnant davantage sur le r&ocirc;le du regardeur (l&rsquo;apprenant lui-m&ecirc;me). En alternative aux d&eacute;marches impliquant des savoir-faire factuels ou des r&eacute;flexions de type m&eacute;ta-litt&eacute;raire, encore tr&egrave;s pr&eacute;sentes en FLE, comment reformuler les objectifs pour que se r&eacute;alise l&rsquo;alchimie de l&rsquo;appropriation, de l&rsquo;incorporation, du travestissement dans le sens d&rsquo;une mise en corps intellectuelle et sensorielle ?</p> <p>A l&rsquo;&eacute;poque o&ugrave; la didactique du FLE a crois&eacute; le chemin des anthropologues, Louis Porcher avait d&eacute;crit le processus de construction de comp&eacute;tences culturelles &ndash; en proposant d&rsquo;organiser le travail en classe autour d&rsquo;&laquo;&nbsp;universels singuliers&nbsp;&raquo;&nbsp;: ces th&egrave;mes, comme l&rsquo;amour, le temps ou l&rsquo;eau, pr&eacute;sents dans toutes les soci&eacute;t&eacute;s, mais incarnant, dans leur mise en mots/mise en sc&egrave;ne, la singularit&eacute; des rapports au monde (PORCHER, 1987)[17]. Par ces propositions p&eacute;dagogiques, l&rsquo;auteur entendait contrer le r&eacute;flexe rassurant &ndash; pour l&rsquo;enseignant, comme pour l&rsquo;apprenant &ndash; d&rsquo;un catalogage hi&eacute;rarchis&eacute; de donn&eacute;es culturelles immuables &agrave; m&eacute;moriser par blocs[18]. La construction de savoirs &eacute;tant un processus dynamique, la classe de langue devenait alors le lieu-m&ecirc;me o&ugrave; s&rsquo;amorce un syst&egrave;me de classement, pour une mise en lien &eacute;volutive de faits culturels &ndash; entre de ce qui est connu et ce qu&rsquo;il reste &agrave; conna&icirc;tre. Au gr&eacute; des exp&eacute;riences (faites intra- et extra- muros), la pens&eacute;e interpr&eacute;tative &eacute;mergeait au sein de productions individuelles ou en co-construction avec le groupe-classe &ndash; la verbalisation devenant, en elle-m&ecirc;me, le lieu o&ugrave; s&rsquo;explicitent les &eacute;tonnements (ZARATE 1986, pp. 16 &ndash; 19, GOHARD-RADENKOVIC, 2004, GODARD, 2015, pp. 75 et ss.). Au centre de ce syst&egrave;me, pour que les fils de ces mises en lien puissent se tisser, la notion de positionnement &ndash; associ&eacute;e depuis Georg Simmel &agrave; une &laquo;&nbsp;sociologie [du regard] &eacute;tranger&nbsp;&raquo; (SIMMEL, 1979 [1908]&nbsp;; MOLINIE, 2002 et 2009). Car, de par sa position liminaire, l&rsquo;&eacute;tranger porte un regard &laquo;&nbsp;plus objectif&nbsp;&raquo; sur le monde dans lequel il p&eacute;n&egrave;tre &ndash; ce qui ne veut pas n&eacute;cessairement dire une vision plus juste. Les cadres de r&eacute;f&eacute;rence, acquis par ses socialisations ant&eacute;rieures, questionneront n&eacute;cessairement ce qu&rsquo;il observe dans la nouvelle soci&eacute;t&eacute; &ndash; des pratiques et des discours que les membres eux-m&ecirc;mes ne pourront pas toujours expliquer parce qu&rsquo;elles rel&egrave;vent, pour eux, d&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;vidences invisibles&nbsp;&raquo; (CARROLL, 1987).</p> <p>C&rsquo;est donc dans cet espace interstitiel de mise en lien des discours que le sentiment d&#39;inad&eacute;quation face &agrave; l&rsquo;objet culturel produit dans la culture-cible pourra se d&eacute;samorcer, permettant ainsi une appropriation de nouvelles connaissances. L&rsquo;espace-classe, dans sa mat&eacute;rialit&eacute; m&ecirc;me, aura un r&ocirc;le &agrave; jouer en tant que lieu de rencontre, semi-prot&eacute;g&eacute;, entre les &oelig;uvres et leurs nouveaux lecteurs. Mais pour que ce type de lecture ne se traduise pas en versions d&eacute;lav&eacute;es de discours savants prononc&eacute;s ailleurs ou qu&rsquo;il serve, au contraire, des r&eacute;flexions intimistes d&eacute;contextualis&eacute;es &ndash; le texte devenant un pr&eacute;texte pour de l&#39;introspection &ndash; nous proposons de r&eacute;articuler les orientations didactiques que nous venons bri&egrave;vement d&rsquo;exposer: de la perspective actionnelle, nous retiendrons l&rsquo;analyse s&eacute;quentielle m&eacute;ticuleuse des discours-support pour leur reproduction totale ou partielle (l&rsquo;objet culturel lui-m&ecirc;me, ou le discours sur, devenant une matrice formelle pour la mise en mots du livrable final). De la perspective anthropologique, en revanche, nous retiendrons l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une inversion des regards, pour que soient associ&eacute;es aux visions diachroniques sur les objets culturels (issues des m&eacute;thodologies traditionnelles) des lectures synchroniques qui, entrem&ecirc;l&eacute;es aux premi&egrave;res, permettent des perspectives d&eacute;centr&eacute;es et des croisements de perspectives plus approfondis. Afin de parvenir &agrave; une s&eacute;dimentation de ces op&eacute;rations de transformation et de d&eacute;centrement, notre d&eacute;marche s&rsquo;inspire de l&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;en FOU, il s&rsquo;agit de travailler non plus au niveau du mot, de la phrase ou de l&rsquo;acte de parole &agrave; travers des t&acirc;ches &ndash; comme on le propose encore souvent &ndash; mais sur du discours analys&eacute; selon les sch&egrave;mes rh&eacute;toriques attendus dans la soci&eacute;t&eacute;-cible et d&eacute;coup&eacute; en s&eacute;quences prototypiques dont il s&rsquo;agit d&rsquo;&eacute;valuer le degr&eacute; de ritualisation (RICHER, 2008).</p> <p>3. &Eacute;bauche d&rsquo;une typologie des savoir-dire propres au regard interdisciplinaire et r&eacute;flexif&nbsp;</p> <p>Les &oelig;uvres d&rsquo;art, produites au sein d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute;, sont un lieu de choix pour une lecture des universaux face au singulier (GOHARD-RADENKOVIC, 2004)&nbsp;: par le truchement d&rsquo;une voix qui raconte, ou d&rsquo;une main qui peint, elles ouvrent des fen&ecirc;tres sur des mondes &ndash; des imaginaires sociaux et culturels &ndash; ancr&eacute;s dans des contextes spatio-temporels donn&eacute;s. Solidaires des mani&egrave;res de dire et de se dire dans ces mondes, donnant d&rsquo;ailleurs &agrave; l&rsquo;auteur le loisir de tout r&eacute;inventer &ndash; mais ne se r&eacute;invente-t-on pas toujours en lien avec quelque chose&nbsp;? &ndash; elles incitent aussi celui qui lit &agrave; se situer. Qu&rsquo;il s&rsquo;agisse de films, d&rsquo;art plastique ou de litt&eacute;rature, ces discours mettent en sc&egrave;ne des narrateurs &ndash; correspondant peut-&ecirc;tre &agrave; l&rsquo;auteur lui-m&ecirc;me&nbsp;? &ndash; et des autres repr&eacute;sent&eacute;s interrogeant, &agrave; leur tour, les images de soi du lecteur / observateur.</p> <p>Dans cette partie, nous proc&eacute;derons &agrave; une relecture des dossiers-m&eacute;moires existants &ndash; produits depuis 2015 &ndash; en nous posons la question suivante&nbsp;: ce type d&rsquo;&eacute;crit porte-t-il la trace de l&rsquo;&eacute;mergence du futur juriste bi/plurilingue et, si tel est le cas, peut-on en tirer des savoir-dire&nbsp;potentiellement transf&eacute;rables &agrave; d&rsquo;autres contextes de formation&nbsp;? Afin d&rsquo;&eacute;tablir la &laquo;&nbsp;table des savoirs-dire&nbsp;&raquo; de la partie 3, nous avons donc entrepris&nbsp;une analyse typologique du discours de nos &eacute;tudiants&nbsp;: nous les avons observ&eacute;s durant leur va-et-vient entre les langues et les disciplines, en laissant de c&ocirc;t&eacute; nos crit&egrave;res d&rsquo;&eacute;valuation habituels. Au travers de leurs textes, nous avons rep&eacute;r&eacute; &agrave; quels endroits se posaient leurs regards sur la culture-support et comment ces d&eacute;couvertes &eacute;taient r&eacute;investies dans leur propre argumentaire. Nos cat&eacute;gorisations se suivront ici en fonction du jeu de focale que les auteurs adoptent, en limitant les exemples par manque de place&nbsp;: de la construction d&rsquo;une vision intime, li&eacute;e &agrave; la logique d&rsquo;un personnage remis en sc&egrave;ne pour les n&eacute;cessit&eacute;s du discours, &agrave; la r&eacute;flexion plus g&eacute;n&eacute;rale relative &agrave; l&rsquo;impact du dispositif de formation en lui-m&ecirc;me sur la pens&eacute;e qui se formule.</p> <p>Avant de poursuivre&nbsp;notre r&eacute;flexion, une petite pr&eacute;cision reste &agrave; faire concernant le contexte de production original des extraits s&eacute;lectionn&eacute;s dans nos analyses. Il s&rsquo;agit majoritairement d&rsquo;&eacute;crits initialement pens&eacute;s comme des exercices de style pour s&rsquo;essayer &agrave; diff&eacute;rentes matrices discursives (le compte-rendu d&rsquo;article de presse, de conf&eacute;rence ou la critique litt&eacute;raire&nbsp;; l&rsquo;analyse de sc&egrave;ne de film ou de roman&nbsp;; le r&eacute;cit autobiographique d&rsquo;une sc&egrave;ne o&ugrave; l&rsquo;on s&rsquo;est senti en d&eacute;calage avec son environnement), produits durant des cours-blocs d&rsquo;une semaine en amont des soir&eacute;es-cin&eacute;ma. Ces exercices pouvaient, si les auteurs y voyaient un int&eacute;r&ecirc;t en relation au sujet de leur dossier-m&eacute;moire, &ecirc;tre retravaill&eacute;s pour s&rsquo;y ins&eacute;rer dans une perspective interdisciplinaire. Ceci explique que les documents d&eacute;clencheurs des discours que nous analysons ici n&rsquo;&eacute;taient pas syst&eacute;matiquement attach&eacute;s au cin&eacute;ma, ou de th&egrave;me juridique&nbsp;; ils &eacute;taient s&eacute;lectionn&eacute;s en lien avec la th&eacute;matique g&eacute;n&eacute;rale annonc&eacute;e par le festival &agrave; venir (la libert&eacute;, l&rsquo;identit&eacute;, la v&eacute;rit&eacute;, etc.). Il pouvait s&rsquo;agir aussi bien d&rsquo;extraits de romans, de sc&egrave;nes de films ou de comptes-rendus de discussions impliquant initialement plusieurs locuteurs (en s&eacute;ance tandem, par exemple[19]).</p> <p>3.1. Inclusion de voix tierces dans un argumentaire</p> <p>Une pr&eacute;occupation apparaissant syst&eacute;matiquement dans le corpus des dossiers-m&eacute;moires est la volont&eacute;, de la part des auteurs, de s&rsquo;approprier d&rsquo;autres voix pour les inclure dans leur propre argumentaire, en particulier celles de personnages de fiction. L&rsquo;extrait ci-dessous porte sur Premier amour, un texte de Samuel Beckett se d&eacute;veloppant sur le mode de la digression &ndash; le narrateur parle pour ne pas dispara&icirc;tre, comme si seule sa voix le maintenait en vie&nbsp;:</p> <p>Bien que l&rsquo;on pourrait imaginer qu&rsquo;il soit indiff&eacute;rent de l&rsquo;opinion des autres, le narrateur [&hellip;] admet qu&rsquo;il pourrait mourir de honte (p. 29)&nbsp;: &laquo; Alors je pensais &agrave; Anne, moi qui avais appris &agrave; ne penser &agrave; rien, sinon &agrave; mes douleurs, tr&egrave;s rapidement, puis aux mesures &agrave; prendre pour ne pas mourir de faim, ou de froid, ou de honte, mais jamais sous aucun pr&eacute;texte aux &ecirc;tres vivants en tant que tels &raquo;. Ce manque de confiance en soi, et la n&eacute;cessit&eacute; du regard de l&rsquo;autre, appara&icirc;t &eacute;galement &agrave; la page 32 : &laquo; Que pouvait-elle voir en moi ? &raquo;. (Cours-bloc &laquo;&nbsp;Identit&eacute;&nbsp;&raquo; SP19).</p> <p>Dans un dossier-m&eacute;moire portant sur les relations entre identit&eacute; personnelle et identit&eacute; collective, l&rsquo;analyse du fonctionnement mental d&rsquo;un protagoniste beckettien offre un cas extr&ecirc;me de d&eacute;tachement du monde servant pourtant, par la concessive &laquo;&nbsp;bien qu&#39;on pourrait imaginer que&hellip;&nbsp;&raquo;, l&rsquo;id&eacute;e inverse&nbsp;: celle d&rsquo;une d&eacute;pendance in&eacute;luctable de tout homme &agrave; ses cadres sociaux. Afin d&rsquo;illustrer sa th&egrave;se, l&rsquo;&eacute;tudiant relut le texte litt&eacute;raire &agrave; la recherche de ces rares passages o&ugrave; les autres (le monde) ont un impact sur la pens&eacute;e du narrateur. Il fallut ensuite relier ces citations prises &agrave; des moments diff&eacute;rents de l&rsquo;histoire pour qu&rsquo;elles jouent le r&ocirc;le d&rsquo;exempla dans le discours global (mention des pages rappelant un rythme de lecture, usage de connecteurs pour souligner les liens entre les citations choisies, phrases de commentaire sur ces m&ecirc;mes citations et retour sur la th&egrave;se en guise de conclusion).</p> <p>Si elle fait partie des savoir-faire attendus d&rsquo;un &eacute;tudiant en litt&eacute;rature, l&rsquo;imbrication de citations &agrave; bon escient au sein d&rsquo;une d&eacute;monstration n&rsquo;est pas une comp&eacute;tence &eacute;vidente pour un &eacute;tudiant inscrit en droit dans une universit&eacute; helv&eacute;tique. Nos &eacute;tudiants germanophones &ndash; contrairement aux italophones[20] &ndash; attestent n&rsquo;avoir jamais fait l&rsquo;exercice dans leur propre langue maternelle. Une fois ce savoir-faire acquis, n&eacute;anmoins, ils r&eacute;alisent qu&rsquo;extraire les &eacute;l&eacute;ments d&rsquo;un discours-source pour reconstituer des logiques de pens&eacute;es &ndash; pouvoir d&eacute;fendre l&rsquo;ind&eacute;fendable ainsi que des personnalit&eacute;s peu dignes d&rsquo;empathie (voir supra, partie 1), comme celles mises en sc&egrave;ne par Beckett &ndash; est un atout dans la formation linguistique et professionnelle d&rsquo;un juriste.</p> <p>Tableau 1...............................................................................................................................................................................................</p> <p>VIS&Eacute;E RH&Eacute;TORIQUE</p> <p>SAVOIR-DIRE</p> <p>SAVOIR-FAIRE OPERATIONNELS (POUR LA CLASSE)</p> <p>Inclusion de voix tierces pour consolider un argumentaire</p> <p>Pr&eacute;senter la logique d&rsquo;une personne / d&rsquo;un personnage</p> <p>S&eacute;lectionner quelques traits (psychologiques / physiques / symboliques) servant &agrave; la d&eacute;monstration</p> <p>D&eacute;crire les &eacute;tapes d&rsquo;un mode de pens&eacute;e / d&rsquo;agir</p> <p>Extraire quelques passages repr&eacute;sentatifs d&rsquo;un mode de pens&eacute;e et d&rsquo;agir&nbsp;; les relier entre eux</p> <p>Faire un parall&egrave;le avec une exp&eacute;rience (personnelle) v&eacute;cue</p> <p>Intervenir, au fil du texte, par des phrases-liantes indiquant un positionnement personnel</p> <p>Mimer une exp&eacute;rience de lecture, &eacute;voquer des &eacute;motions ressenties</p> <p>Evoquer des personnages / personnalit&eacute;s &laquo;&nbsp;hors texte&nbsp;&raquo;, au profil similaire, pour soutenir sa th&egrave;se</p> <p>..................................................................................................................................................................................................................</p> <p>3.2. D&eacute;composition et recomposition de l&rsquo;artifice culturel&nbsp;: passer du statut d&rsquo;explorateur &agrave; celui d&rsquo;analyste</p> <p>Dans un deuxi&egrave;me texte consacr&eacute; &agrave; Premier amour, l&rsquo;&eacute;tudiant s&rsquo;inspire d&rsquo;une critique de film pour r&eacute;diger une critique litt&eacute;raire:&nbsp;</p> <p>Il y a certainement de l&rsquo;amour dans la nouvelle &laquo; Premier Amour &raquo; de Beckett, mais pas comme on peut l&rsquo;attendre. La personnalité du narrateur est beaucoup trop complexe pour donner de l&rsquo;élan à une simple histoire romantique. Non, cet homme &ndash; dont le nom nous est inconnu jusqu&rsquo;à la fin du livre &ndash; ne se prête pas à être une personne facilement 44compréhensible, ou aimée, ni même par le lecteur. En effet, &laquo; être aimé &raquo; n&rsquo;était jamais l`intention du narrateur ; même lorsqu`un jour une femme le rejoint sur le banc où il est habitué à passer ses après-midis depuis la mort de son père, et provoque chez lui &laquo; des sensations &raquo;. Mais il devra écrire dans des ex-créments de vache et changer le nom de la femme pour s&rsquo;habituer finalement au fait qu&rsquo;il ressent de l&rsquo;amour. Ce début de relation n`est pas du tout la fin de l`histoire : cela serait trop facile, vous ne le croyez pas ? Le dialogue intérieur continue et vers la fin, on découvre qu&rsquo;un &laquo; mariage &raquo; ne suffit pas pour aider à surmonter la mort d&rsquo;un père.</p> <p>Que peut-on donc attendre de cette nouvelle ? Évidemment pas de happy end. Mais Beckett nous offre une histoire sur l&rsquo;identité (ou plutôt la non-identité ?) habile et captivante, tellement hors la norme, qu&rsquo;on apprend, finalement, des choses sur soi-même (Cours-bloc &laquo;&nbsp;Identit&eacute;&nbsp;&raquo; SP19).</p> <p>Dans un &eacute;crit volontairement court, l&rsquo;auteur glisse quelques &eacute;l&eacute;ments de sc&eacute;nario (excr&eacute;ments de vache, banc), y m&ecirc;le des voix tir&eacute;es du texte, pour aboutir &agrave; une &eacute;valuation esth&eacute;tique. Ce tissage d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments disparates, apparaissant par touches, mime l&rsquo;activit&eacute; de lecture (le lecteur de la critique devient, par procuration, le lecteur de l&rsquo;&oelig;uvre). Ce partage de sensations se construit par l&rsquo;usage de &laquo;&nbsp;on&nbsp;&raquo; &agrave; valeur inclusive, et par une suite de questions rh&eacute;toriques.</p> <p>Dans le texte suivant, l&rsquo;&eacute;tudiante d&eacute;construit pour les comprendre des effets qui sont g&eacute;n&eacute;ralement subis inconsciemment lorsque l&rsquo;on regarde un film. En prenant l&rsquo;exemple d&rsquo;une m&ecirc;me sc&egrave;ne, elle passe en revue diff&eacute;rents proc&eacute;d&eacute;s techniques (la musique et les bruitages, les cadrages et les lumi&egrave;res, le langage m&eacute;taphorique). Son texte, dans son d&eacute;veloppement, suit le regard du spectateur&nbsp;: on rencontre, d&rsquo;abord, les deux protagonistes &ndash; deux jeunes filles en processus d&rsquo;embrigadement &ndash; pour glisser ensuite, sous la couverture, avec celle qui deviendra l&#39;h&eacute;ro&iuml;ne du film (qui gagnera, progressivement, notre empathie)&nbsp;:</p> <p>Le premier &eacute;l&eacute;ment visuel que nous aimerons illustrer est la pr&eacute;sentation des filles au d&eacute;but du film. Nous rencontrons deux jeunes filles&nbsp;: M&eacute;lanie, la fille sympathique, et Sonia, la folle. Mais m&ecirc;me si M&eacute;lanie est plus aimable, on garde la distance. Par contre on se sent plus proche de Sonia. Il y a une sc&egrave;ne o&ugrave; elle est couch&eacute;e dans son lit et nous, en temps que spectateurs, sommes &agrave; la m&ecirc;me hauteur. A la fin de cette sc&egrave;ne, nous sommes m&ecirc;me sous la couverture avec elle, donc nous devenons ses complices sans le vouloir.</p> <p>On continue &agrave; se distancier quand M&eacute;lanie dessine un c&oelig;ur sur sa fen&ecirc;tre avec son doigt. Elle fait ce geste directement apr&egrave;s sa premi&egrave;re conversation avec son rabatteur. Cette image est suivie par un shot de Sonia qui fait le m&ecirc;me geste. Par ce contraste, le spectateur comprend que M&eacute;lanie est en train de tomber dans le pi&egrave;ge. Les deux filles se trouvent &agrave; un stade tr&egrave;s diff&eacute;rent&nbsp;: Sonia est en train de se r&eacute;habiliter lorsque M&eacute;lanie vient de d&eacute;couvrir l&rsquo;Islam (Cours-bloc &laquo;&nbsp;Libert&eacute;&nbsp;&raquo; SP16).</p> <p>On voit ici le travail que requiert, sur le plan discursif, la mise en lien de s&eacute;quences &eacute;loign&eacute;es dans le document support. Ce commentaire s&rsquo;appuie sur une utilisation &agrave; bon escient de vocabulaire sp&eacute;cifique pour l&rsquo;analyse cin&eacute;matographique. L&rsquo;auteure guide son propre lecteur (qui n&rsquo;a pas forc&eacute;ment vu le film) en mentionnant quelques d&eacute;tails de d&eacute;cor &ndash; le lit, la couverture, la fen&ecirc;tre &ndash; et sugg&egrave;re la valeur symbolique de ces objets, le r&ocirc;le qu&rsquo;ils jouent au sein d&rsquo;une histoire d&rsquo;enfermement psychologique et physique.</p> <p>Tableau 2................................................................................................................................................................................................</p> <p>VIS&Eacute;E RH&Eacute;TORIQUE</p> <p>SAVOIR-DIRE</p> <p>SAVOIR-FAIRE OPERATIONNELS (POUR LA CLASSE)</p> <p>Composition de son propre artifice pour rendre l&rsquo;argumentaire coh&eacute;rent et convaincant</p> <p>1. d&eacute;composer et expliciter</p> <p>(analyser)</p> <p>Circonscrire&nbsp;(artificiellement) des &eacute;l&eacute;ments du langage cin&eacute;matographique (fonctionnant simultan&eacute;ment en temps r&eacute;el)</p> <p>Expliciter des m&eacute;taphores et parler de leur port&eacute;e symbolique g&eacute;n&eacute;rale, pour la sc&egrave;ne et pour l&rsquo;histoire</p> <p>2. recomposer une nouvelle matrice</p> <p>(synth&eacute;tiser / recr&eacute;er)</p> <p>Evoquer, en lien, des &eacute;l&eacute;ments esth&eacute;tiques comme la musique / la lumi&egrave;re / les cadrages / les mouvements de cam&eacute;ra</p> <p>Mimer (par les mots) l&rsquo;exp&eacute;rience du spectateur (le mouvement du regard sur des objets / des personnages / des parties de corps / des paysages, guid&eacute; par la cam&eacute;ra)</p> <p>Synth&eacute;tiser, en quelques phrases, des &eacute;l&eacute;ments de narration n&eacute;cessaires &agrave; comprendre la sc&egrave;ne</p> <p>.................................................................................................................................................................................................................</p> <p>3.3. Mise en sc&egrave;ne de connaissances patrimoniales dans une perspective interdisciplinaire et biculturelle</p> <p>A l&rsquo;occasion d&rsquo;une s&eacute;ance tandem (une classe en mode bilingue, mettant en dialogue des &eacute;tudiants germanophones dont la langue-cible &eacute;tait le fran&ccedil;ais et des &eacute;tudiants francophones dont la langue-cible &eacute;tait l&rsquo;allemand), les participants des deux groupes linguistiques se sont &eacute;chang&eacute; des caricatures en provenance de leur propre sph&egrave;re culturelle. Dans l&rsquo;un des bin&ocirc;mes, la discussion a port&eacute; sur la figure f&eacute;minine aux yeux band&eacute;s, &eacute;l&eacute;gamment d&eacute;hanch&eacute;e, &agrave; gauche dans la caricature. Puisant dans son encyclop&eacute;die de connaissances personnelles, l&rsquo;&eacute;tudiant francophone a fait le rapprochement avec une figure repr&eacute;sentant la Synagogue, provenant de la cath&eacute;drale de Strasbourg en France[21]&nbsp;: &nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>C&rsquo;est parce que nous partageons, sans doute, avec l&rsquo;&eacute;tudiant francophone des repr&eacute;sentations sur ce qu&rsquo;il faut savoir-dire dans une conversation pour para&icirc;tre cultiv&eacute; que nous d&eacute;masquons ici (avec beaucoup d&rsquo;amusement et de connivence) une mise en sc&egrave;ne (pour impressionner&nbsp;!) de connaissances patrimoniales&hellip; Au-del&agrave; de la boutade, cet exemple sert &agrave; montrer qu&rsquo;&ecirc;tre comp&eacute;tent en rh&eacute;torique, c&rsquo;est aussi savoir choisir &ndash; &agrave; travers les objets que l&rsquo;on nomme &ndash; un r&eacute;seau de connotations qui, &agrave; son tour, parlera de nous...</p> <p>Tableau 3...............................................................................................................................................................................................</p> <p>VIS&Eacute;E RH&Eacute;TORIQUE</p> <p>SAVOIR-DIRE</p> <p>SAVOIR-FAIRE OPERATIONNELS (POUR LA CLASSE)</p> <p>Mise en sc&egrave;ne d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments (culturels) interdisciplinaires pour enrichir le d&eacute;bat et impressionner</p> <p>(posture culturelle et interdisciplinaire)</p> <p>Rapprocher des &eacute;l&eacute;ments de diff&eacute;rentes disciplines</p> <p>Pr&eacute;senter des d&eacute;finitions (divergentes&nbsp;?) portant sur un concept</p> <p>Adopter une &laquo;&nbsp;bo&icirc;te &agrave; outils d&rsquo;analyse&nbsp;&raquo; appropri&eacute;e au domaine choisi (ex&nbsp;: le lexique pour parler d&rsquo;iconographie ou du style d&rsquo;une &oelig;uvre d&rsquo;art)</p> <p>&Eacute;mettre des hypoth&egrave;ses expliquant le transfert / emprunt de figures iconographiques / th&egrave;mes ou symboles dans le temps et entre les disciplines (ici sculpture du Moyen-&acirc;ge / caricature contemporaine)</p> <p>Expliciter la mani&egrave;re dont le concept op&egrave;re dans le domaine choisi</p> <p>Exposer les r&eacute;sultats de la relecture du domaine</p> <p>A la lumi&egrave;re du concept (&laquo;&nbsp;autre&nbsp;&raquo;) introduit, remonter &eacute;ventuellement &agrave; des observations de terrain et revenir dans le domaine d&rsquo;origine</p> <p>..........................................................................................................................................................................................................</p> <p>3.4. De la succession &agrave; la simultan&eacute;it&eacute; des perspectives&nbsp;: entrem&ecirc;ler les visions diachroniques et synchroniques</p> <p>Chaque mercredi soir je d&icirc;ne avec ma grand-m&egrave;re. C&rsquo;&eacute;tait ainsi un mercredi soir en f&eacute;vrier apr&egrave;s avoir pass&eacute; ma journ&eacute;e au cours bloc bilingue plus. En lui expliquant ce qu&rsquo;on faisait, elle m&rsquo;a pos&eacute; la question d&rsquo;o&ugrave; venaient mes coll&egrave;gues participants &agrave; ce cours bloc. Ma r&eacute;ponse &eacute;tait qu&rsquo;ils venaient un peu de partout mais elle &eacute;tait &eacute;tonn&eacute;e d&rsquo;apprendre qu&rsquo;il y avait des Zurichois. Selon elle, il y a juste une seule raison pourquoi des zurichois font leurs &eacute;tudes &agrave; Fribourg, alors elle m&rsquo;a dit : &laquo; Les zurichois qui sont &agrave; Fribourg&hellip; c&rsquo;est bien parce qu&rsquo;ils sont catholiques ? &raquo;</p> <p>&nbsp;</p> <p>Apr&egrave;s un petit moment de r&eacute;flexion je me suis rendu compte que je n&rsquo;ai aucune id&eacute;e de la confession de mes coll&egrave;gues d&rsquo;&eacute;tudes. Et cela parce que l&rsquo;orientation religieuse ne joue aucune importance pour ma g&eacute;n&eacute;ration. Ayant fait l&rsquo;&eacute;cole avec des catholiques, protestants, musulmans etc., l&rsquo;orientation religieuse d&rsquo;une autre personne m&rsquo;est compl&egrave;tement &eacute;gale et je n&rsquo;aurais jamais choisi le lieu de mes &eacute;tudes sur la base de ma confession. Apr&egrave;s discussion avec mes coll&egrave;gues d&rsquo;&eacute;tudes j&rsquo;ai constat&eacute; qu&rsquo;ils sont du m&ecirc;me avis que moi. Mais cela ne veut pas dire que ma grand-m&egrave;re a tort ! Dans la g&eacute;n&eacute;ration o&ugrave; elle a grandi c&rsquo;&eacute;tait une r&eacute;alit&eacute;, la confession avait une grande importance, non seulement concernant le choix de l&rsquo;universit&eacute; mais aussi concernant l&rsquo;identit&eacute; de cette g&eacute;n&eacute;ration. (Cours-bloc &laquo;&nbsp;Identit&eacute;&nbsp;&raquo; SP18).</p> <p>Ce texte a pour objet une prise de conscience qui transformera de mani&egrave;re irr&eacute;versible le regard que l&rsquo;auteur porte sur son monde. Il se met en sc&egrave;ne &ndash; au moment du cours-bloc qui vient de se conclure &ndash; face &agrave; des figures (des voix, presque des slogans) porteuses de messages discordants. Par sa personne, il se fait le v&eacute;hicule de ces messages qu&rsquo;il transporte d&rsquo;un cercle social &agrave; l&rsquo;autre (de la maison &agrave; la classe), pour tester leur effet. Comme le veut la rh&eacute;torique, l&rsquo;argumentaire se d&eacute;noue par un retour &agrave; la r&eacute;alit&eacute; de l&rsquo;&eacute;criture et au th&egrave;me g&eacute;n&eacute;ral du cours-bloc (l&rsquo;identit&eacute;).</p> <p>Il s&rsquo;agit ici d&rsquo;une autre forme de travestissement rh&eacute;torique et de d&eacute;centration car l&rsquo;auteur se met &agrave; la place des personnes qu&rsquo;il interroge (la grand-m&egrave;re / les camarades), adopte/se glisse dans l&rsquo;argumentation &laquo;&nbsp;historique&nbsp;&raquo; de sa grand-m&egrave;re pour la confronter &agrave; &laquo;&nbsp;l&rsquo;artefact&nbsp;&raquo; cr&eacute;&eacute; en classe (argumentaire &eacute;voluant de fa&ccedil;on synchronique).</p> <p>Tableau 4.....................................................................................................................................................................................................</p> <p>VIS&Eacute;E RH&Eacute;TORIQUE</p> <p>SAVOIR-DIRE</p> <p>SAVOIR-FAIRE OPERATIONNELS (POUR LA CLASSE)</p> <p>Mise en sc&egrave;ne de soi face &agrave; des visions du monde incompatibles (&agrave; premi&egrave;re vue)</p> <p>Exposer une probl&eacute;matique existentielle / un cas de conscience</p> <p>Introduire une th&eacute;matique / une question importante</p> <p>Expliciter la port&eacute;e de la th&eacute;matique / question par rapport au moment v&eacute;cu</p> <p>Proc&eacute;der &agrave; un d&eacute;centrement diachronique (= voix tierce diachronique) pour mettre en perspective le point de vue de d&eacute;part, construit &agrave; partir de visions synchroniques</p> <p>Se mettre en sc&egrave;ne, successivement, face &agrave; des figures porteuses, par leurs voix, de logiques contraires &gt; d&eacute;cider d&rsquo;une succession de ces sc&egrave;nes (chronologique ici)</p> <p>Produire un discours liant permettant de montrer ce que l&rsquo;on retient de chacune des logiques mises en jeu</p> <p>Trancher, ou ne pas trancher&hellip;</p> <p>&hellip;et remonter au th&egrave;me g&eacute;n&eacute;ral de l&rsquo;argumentaire</p> <p>......................................................................................................................................................................................................................</p> <p>Enfin, dans ce dernier exemple, la langue-cible devient, en elle-m&ecirc;me, le terrain de libert&eacute; qui permet de devenir &laquo;&nbsp;autre&nbsp;&raquo; (RICOEUR, 1990)&nbsp;: s&rsquo;exprimer en langue &eacute;trang&egrave;re permet le d&eacute;centrement, l&rsquo;explicitation des implicites qui rend plus objectif. Pour soutenir sa th&egrave;se, l&rsquo;&eacute;tudiant a saisi l&rsquo;outil de l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; que lui offre la formation &laquo;&nbsp;bilingue plus-droit&nbsp;&raquo; pour aller puiser dans des th&eacute;ories &eacute;manant de domaines autres que le sien, en psychologie et en didactique des langues :</p> <p>Nous avons vu qu&rsquo;une langue est bien plus qu&rsquo;un seul outil pour exprimer des pens&eacute;es et id&eacute;es seulement. Dans des exp&eacute;riences faites avec des personnes polyglottes, des chercheurs ont trouv&eacute; des indications selon lesquelles l&rsquo;utilisation d&rsquo;une langue &eacute;trang&egrave;re nous rendrait moins impulsifs et nous feraient prendre des d&eacute;cisions plus r&eacute;fl&eacute;chies face &agrave; un probl&egrave;me. De plus, la th&eacute;orie de la &laquo;&nbsp;relativit&eacute; linguistique&nbsp;&raquo; propose que la perception m&ecirc;me de la r&eacute;alit&eacute; puisse d&eacute;pendre de notre langue maternelle.</p> <p>Par cons&eacute;quent, force est de constater qu&rsquo;il faudrait ajouter la question de la langue utilis&eacute;e &agrave; la longue liste des param&egrave;tres qui fa&ccedil;onnent notre relation &agrave; la v&eacute;rit&eacute;. True, isn&rsquo;t it&nbsp;? (Cours-bloc &laquo;&nbsp;V&eacute;rit&eacute;&nbsp;&raquo; SP17).</p> <p>C&rsquo;est l&rsquo;apologie du plurilingue qui voit mieux, au sens de Simmel&nbsp;&ndash; dont l&rsquo;allophonie n&rsquo;est plus per&ccedil;ue comme handicap, mais comme un atout&nbsp;: c&rsquo;est l&rsquo;av&egrave;nement du juriste suisse-allemand &laquo;&nbsp;augment&eacute; d&rsquo;une nouvelle dimension, le fran&ccedil;ais&nbsp;&raquo; (KELLER-GERBER, CHOMENTOWSKI, &agrave; para&icirc;tre).</p> <p>En guise de conclusion&nbsp;: une troisi&egrave;me voie&nbsp;pour le FOU interdisciplinaire ?</p> <p>En d&eacute;finitive, ce chantier complexe et vaste relatif au d&eacute;veloppement des comp&eacute;tences interdisciplinaires des &eacute;tudiants en droit que nous sommes en train d&rsquo;ouvrir nous oblige &agrave; emprunter des sentiers sinueux, sem&eacute;s d&rsquo;emb&ucirc;ches, et tr&egrave;s &eacute;loign&eacute;s de nos chemins didactiques habituels (et confortables), qui rel&egrave;vent soit des m&eacute;thodologies du FLE/FOS soit de celles des m&eacute;thodologies disciplinaires&hellip; Or, ce que nous entr&rsquo;apercevons d&rsquo;ores et d&eacute;j&agrave; &ndash; et que nous esp&eacute;rons avoir pu d&eacute;montrer dans cet article &ndash;, c&rsquo;est que, sur cette voie tierce qui transgresse sans cesse les fronti&egrave;res linguistiques, culturelles et disciplinaires, l&rsquo;&eacute;tudiant en droit (et futur juriste bilingue), s&rsquo;il veut r&eacute;ussir ses &eacute;tudes et exercer avec succ&egrave;s son m&eacute;tier, est amen&eacute; &agrave; changer radicalement de posture, et ce &agrave; diff&eacute;rents niveaux&nbsp;: il lui faut non seulement r&eacute;ussir un double travestissement rh&eacute;torique et transculturel afin de s&rsquo;approprier et reproduire le raisonnement juridique en langue &eacute;trang&egrave;re, mais encore op&eacute;rer syst&eacute;matiquement des revirements de perspectives au niveau culturel et (inter)disciplinaire afin de parvenir &agrave; se hisser &agrave; un haut degr&eacute; de r&eacute;flexivit&eacute; qui r&eacute;sulte de l&rsquo;explicitation et de la synth&eacute;tisation de tous ces &laquo;&nbsp;d&eacute;guisements&nbsp;&raquo; et d&eacute;centrements successifs.</p> <p>Si ces observations th&eacute;oriques sont indispensables pour saisir en quoi consiste une formation ax&eacute;e sur l&rsquo;inter/transdisciplinaire (et, qui plus est, en langue &eacute;trang&egrave;re) et expliciter les m&eacute;canismes de transformation qui y sont &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre, il n&rsquo;en est pas moins d&eacute;cisif de circonscrire les comp&eacute;tences interdisciplinaires y aff&eacute;rentes en vue de les &eacute;valuer dans le cadre d&rsquo;un cursus universitaire. En effet, il nous semble important que l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; devienne &eacute;valuable de crainte qu&rsquo;elle ne demeure purement ornementale&hellip; Pour cela, nous avons tent&eacute;, dans la derni&egrave;re partie de cet article, d&rsquo;&eacute;baucher une typologie culturelle et interdisciplinaire &agrave; partir de s&eacute;quences discursives que nous avons relev&eacute;es dans les dossiers-m&eacute;moires r&eacute;dig&eacute;s par les &eacute;tudiants en droit, afin de pouvoir, &agrave; terme, passer d&rsquo;une d&eacute;marche spontan&eacute;e &agrave; une m&eacute;thode reproductible avec &agrave; la clef une &eacute;valuation pertinente.</p> <p>Au regard de tous ces &eacute;l&eacute;ments &eacute;tudi&eacute;s, qui nous conduisent, sans doute au-del&agrave; du FOU traditionnel, vers une approche digressive et pluriperspectiviste o&ugrave; les savoir-dire sont indissociables des &laquo;&nbsp;savoir-r&eacute;fl&eacute;chir&nbsp;&raquo; en r&eacute;seaux transdisciplinaires, on pourrait se demander si la m&eacute;thode &laquo;&nbsp;actionnelle&nbsp;&raquo;, qui pr&eacute;cipite l&rsquo;apprentissage de fa&ccedil;on lin&eacute;aire vers un but pragmatique (pour ne pas dire pratique), est encore adapt&eacute;e aux nouveaux contextes et enjeux universitaires. Face &agrave; ces derniers (bien que la pression financi&egrave;re se fasse de plus en plus sentir), l&rsquo;&eacute;tudiant en droit bi/plurilingue, avant d&rsquo;&ecirc;tre un acteur social et &eacute;conomique pr&ecirc;t &agrave; se lancer sur le terrain professionnel et scientifique, est en premier lieu un acteur-com&eacute;dien intellectuel et culturel qui, confront&eacute; &agrave; des disciplines et des rh&eacute;toriques inconnues, effectue nombre de digressions, de travestissements et de d&eacute;centrements dans et au moyen de la langue-culture &eacute;trang&egrave;re afin de parvenir &agrave; un excellent niveau de r&eacute;flexivit&eacute; et de mobilit&eacute; intellectuelle. Il nous semble donc que les comp&eacute;tences interdisciplinaires &ndash; qui sont peut-&ecirc;tre avant tout des savoir-&ecirc;tre &ndash; ne pourront &ecirc;tre acquises qu&rsquo;&agrave; ce prix.</p> <p>BIBLIOGRAPHIE</p> <p>CARROLL R. (1987). Evidences invisibles&nbsp;: Am&eacute;ricains et Fran&ccedil;ais au quotidien. Paris&nbsp;: Seuil.</p> <p>CUQ J.-P. (2016). &laquo;&nbsp;Quelles transpositions m&eacute;thodologiques en didactique du FLE&nbsp;?&nbsp;&raquo;, Le Fran&ccedil;ais dans le monde, no 403, janvier-f&eacute;vrier, pp. 28-29.</p> <p>GODARD A. dir. (2015). La litt&eacute;rature dans l&rsquo;enseignement du FLE. Paris&nbsp;: Didier.</p> <p>GOHARD-RADENKOVIC A. ([1999] 2004). Communiquer en langue &eacute;trang&egrave;re&nbsp;: de comp&eacute;tences culturelles vers des comp&eacute;tences linguistiques. Berne&nbsp;: Peterlang.</p> <p>GOHARD-RADENKOVIC A. (2004). &laquo;&nbsp;Alt&eacute;rit&eacute;s et identit&eacute;s dans les litt&eacute;ratures de langue fran&ccedil;aise&nbsp;&raquo;, Le Fran&ccedil;ais dans le Monde, Recherches et Applications. (juillet). Paris&nbsp;: Cl&eacute; International.</p> <p>KELLER-GERBER A., CHOMENTOWSKI M. (&agrave; para&icirc;tre). &laquo;&nbsp;Les ateliers d&rsquo;&eacute;criture en contexte universitaire&nbsp;: de l&rsquo;autobiographie litt&eacute;raire &agrave; l&rsquo;acte de parole r&eacute;flexif&nbsp;&raquo;. Synergies Italie, n. 16.</p> <p>LUSCHER J.-M. (2009). L&rsquo;enseignement de la litt&eacute;rature selon la perspective actionnelle. Que pourrait &ecirc;tre une t&acirc;che litt&eacute;raire, in Le Fran&ccedil;ais &agrave; l&rsquo;universit&eacute;, n. 2. 14-02.</p> <p>MOLINI&Eacute; M. (2002). &laquo;&nbsp;Discontinuit&eacute; socio-linguistique et coh&eacute;rence biographique&nbsp;&raquo;, Bulletin suisse de linguistique appliqu&eacute;e VALS ASLA, pp. 99-113.</p> <p>MOLINI&Eacute; M. (2009). &laquo;&nbsp;Approche biographique et sciences humaines&nbsp;: l&rsquo;acquisition des langues comme processus de formation&nbsp;&raquo;, Revue japonaise du fran&ccedil;ais, vol. 4, n. 1.</p> <p>OLIVERI C. (1996). &laquo;&nbsp;La culture cultiv&eacute;e et ses m&eacute;tamorphoses&nbsp;&raquo;, in PORCHER L. coord. Culture, cultures, Le fran&ccedil;ais dans le monde (num&eacute;ro sp&eacute;cial de janvier), pp. 8 &ndash; 18.</p> <p>PORCHER L. (1987). Mani&egrave;res de classe. Paris&nbsp;: Didier.</p> <p>PUREN C. (2006). &laquo;&nbsp;Explication de textes et perspective actionnelle : la litt&eacute;rature entre le dire scolaire et le faire social&nbsp;&raquo;. Article consultable sur le Site&nbsp;personnel de l&rsquo;auteur&nbsp;: aplv.languesmodernes.org.</p> <p>RACINE R., KELLER-GERBER A., BURKHALTER K. (2018). &laquo;&nbsp;Cr&eacute;er un espace bilingue et interdisciplinaire : ein Sprachlernprojekt zwischen Sprachen, Disziplinen, Perspektiven &raquo;, Language Learning in Higher Education.&nbsp;Journal of the European Confederation of Language Centres in Higher Education (CerlceS), vol. 8 (1),&nbsp;Berlin: De Gruyter Mouton, pp. 21-44.</p> <p>RICHER J.-J. (2008). &laquo;&nbsp;Le fran&ccedil;ais sur objectifs sp&eacute;cifiques (F.O.S.)&nbsp;: une didactique sp&eacute;cialis&eacute;e&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p> <p>RICOEUR P. (1990). Soi-m&ecirc;me comme un autre. Paris&nbsp;: Seuil.</p> <p>SIMMEL G., (1979) [1908], &laquo; Digression sur l&rsquo;&eacute;tranger &raquo;, in Grafmeyer Y. &amp; Joseph I, L&rsquo;&Eacute;cole de Chicago, naissance de l&#39;&eacute;cologie urbaine, Paris : Ed. Du Champ urbain, p.53-77.</p> <p>ZARATE G. (1986). Enseigner une culture &eacute;trang&egrave;re. Paris&nbsp;: Hachette.</p> <p>&nbsp;</p> <p>[1] Par exemple, pour le Bachelor de droit &laquo;&nbsp;mention bilingue/Zusatz zweisprachig&nbsp;&raquo;, il faut obtenir 72 cr&eacute;dits ECTS (sur 180) dans la deuxi&egrave;me langue d&rsquo;&eacute;tudes (le fran&ccedil;ais ou l&rsquo;allemand).</p> <p>[2] C&rsquo;est cet appui compl&eacute;mentaire et parall&egrave;le aux &eacute;tudes disciplinaires visant la &laquo;&nbsp;mention bilingue&nbsp;&raquo; qui explique le plus dans l&rsquo;intitul&eacute; de la formation.</p> <p>[3] Le Rectorat de l&rsquo;universit&eacute; de Fribourg, dans son rapport &laquo;&nbsp;Strat&eacute;gie Horizon 2020&nbsp;&raquo; ainsi que dans sa &laquo;&nbsp;Planification pluriannuelle 2018-2020&nbsp;&raquo;, identifie un potentiel d&rsquo;am&eacute;lioration dans le d&eacute;veloppement du bilinguisme et de l&rsquo;interdisciplinarit&eacute;. Il consid&egrave;re en effet que, si ce syst&egrave;me, organis&eacute; au niveau linguistique selon un bilinguisme parall&egrave;le (&laquo;&nbsp;double monolinguisme&nbsp;&raquo;) et au niveau disciplinaire selon une coordination facultaire, a prouv&eacute; son efficacit&eacute;, il n&rsquo;en demeure pas moins qu&rsquo;un renforcement des &eacute;changes entre les langues et les disciplines est souhaitable pour augmenter la qualit&eacute; de la recherche et de l&rsquo;enseignement.</p> <p>[4] Les heures de cours dont dispose la formation &laquo;&nbsp;bilingue plus-droit&nbsp;&raquo; se r&eacute;partissement entre des cours en face &agrave; face p&eacute;dagogique (cours de FOS/FOU pour les &eacute;tudiants germanophones et de DAFF-Deutsch als Fremd- und Fachsprache an Hochschulen pour les &eacute;tudiants francophones), des s&eacute;ances tandem (o&ugrave; les deux groupes linguistiques travaillent ensemble sous l&rsquo;&eacute;gide des lecteurs de FOS/FOU et/ou de DAFF), du travail personnel (pour la recherche et la r&eacute;daction du dossier-m&eacute;moire de fin de formation) ainsi que des activit&eacute;s en bin&ocirc;mes bilingues semi-dirig&eacute;es pour participer &agrave; des &eacute;v&eacute;nements &laquo;&nbsp;hors classe&nbsp;&raquo; (soir&eacute;es-cin&eacute;ma, visites d&rsquo;institutions bilingues, interviews de sp&eacute;cialistes juridiques et non juridiques, concours de plaidoiries, etc.). Vu l&rsquo;entrecroisement complexe d&rsquo;une partie des activit&eacute;s, il est d&eacute;sormais n&eacute;cessaire que les enseignants de FOS/FOU et de DAFF travaillent en &eacute;troite collaboration afin de garantir l&rsquo;harmonisation syst&eacute;mique de ce nouvel espace formatif commun (voir https://www3.unifr.ch/centredelangues/fr/bilingueplus/).</p> <p>[5] Cf. https://www3.unifr.ch/ius/stoffel/fr/droitcinema/edition-2020/</p> <p>[6] Si pour le champ interdisciplinaire Jules DUCHASTEL et Danielle LABERGE (1999), en r&eacute;f&eacute;rence aux sciences &eacute;conomiques et sociales, parlent d&rsquo;approche &laquo;&nbsp;extensive&nbsp;&raquo; (&laquo;&nbsp;La recherche comme espace de m&eacute;diation interdisciplinaire&nbsp;&raquo;, Sociologie et soci&eacute;t&eacute;s, vol. 31, no 1, p. 68 [en ligne]), nous pr&eacute;f&eacute;rons parler d&rsquo;approche pluriperspectiviste.</p> <p>[7] Nous faisons r&eacute;f&eacute;rence ici &agrave; une critique adress&eacute;e par un professeur de droit, membre du jury de soutenance, lors de la d&eacute;fense orale d&rsquo;un dossier-m&eacute;moire. Ce professeur avait attir&eacute; l&rsquo;attention &ndash; &agrave; juste titre &ndash; sur le fait qu&rsquo;une candidate avait int&eacute;gr&eacute; dans son &eacute;crit des &eacute;l&eacute;ments entendus durant une table-ronde, sans citer ses sources. Tout en reconnaissant que cette observation a sa raison d&rsquo;&ecirc;tre &ndash; surtout concernant un travail universitaire &ndash; nous avions n&eacute;anmoins attir&eacute; l&rsquo;attention du jury sur le fait qu&rsquo;&eacute;crire un compte-rendu de soir&eacute;e cin&eacute;ma est un exercice complexe, bas&eacute; uniquement sur une prise de notes. Il est assez facile de comprendre, de ce fait, qu&rsquo;un &eacute;tudiant allophone, dans le feu de l&rsquo;action, puisse ne pas r&eacute;ussir &agrave; noter syst&eacute;matiquement &ndash; ou m&ecirc;me entendre &ndash; le nom des personnes s&rsquo;alternant pour prendre la parole. Ce cas pose, de mani&egrave;re int&eacute;ressante de notre point de vue, la question des crit&egrave;res d&rsquo;&eacute;valuation d&rsquo;un travail &eacute;manant &agrave; la fois de comp&eacute;tences (inter)disciplinaires, (inter)culturelles et (inter)linguistiques.&nbsp;</p> <p>[8] Nous visons ici le rep&eacute;rage de savoir-dire, ce qui pourrait para&icirc;tre r&eacute;ducteur. En effet, ces savoir-dire r&eacute;pertori&eacute;s dans le corpus des dossiers-m&eacute;moires&nbsp;sont la trace visible, analysables et palpables, de savoir-faire / savoir-&ecirc;tre / savoir-apprendre qu&rsquo;ils impliquent.</p> <p>[9] Le corpus, limit&eacute; aux textes r&eacute;dig&eacute;s en fran&ccedil;ais, comprend 42 dossiers produits entre 2015 et 2020. Durant l&rsquo;analyse, nous nous sommes aper&ccedil;us qu&rsquo;au fil des ann&eacute;es la ma&icirc;trise des formats, sur le plan m&eacute;thodologique, augmentait chez les &eacute;tudiants &ndash; en lien, sans doute, avec l&rsquo;affinement du dispositif d&rsquo;enseignement (et donc des consignes donn&eacute;es). Dans cet article, nous n&rsquo;avons retenu que des extraits issus des promotions&nbsp;2018-2020.</p> <p>[10] Didier Truchet (2002), &laquo;&nbsp;La rh&eacute;torique universitaire des juristes contemporains&nbsp;&raquo;, Droits, vol. 36 (2), consultable en ligne sur Cairn.info, p. 59.</p> <p>[11] Que le discours juridique soit essentiellement rh&eacute;torique pourrait para&icirc;tre &eacute;vident pour un lecteur francophone. Cependant, nous employons ici la notion de rh&eacute;torique dans son acception la plus large, incluant toutes les postures et attitudes, y compris vestimentaires, qui sous-tendent et encadrent ledit discours juridique. A titre illustratif, il suffit de mentionner l&rsquo;aspect solennel &ndash; certains diraient &laquo;&nbsp;th&eacute;&acirc;tral&nbsp;&raquo; - d&rsquo;une audience se d&eacute;roulant dans un canton enti&egrave;rement francophone lors de laquelle le langage ch&acirc;ti&eacute; ainsi que les robes d&rsquo;avocat et de magistrat sont en g&eacute;n&eacute;ral de rigueur. Par contre, la rh&eacute;torique en est tout autre dans les cantons germanophones o&ugrave; les audiences, afin de souligner la proximit&eacute; de la justice vis-&agrave;-vis du peuple, se d&eacute;roulent en g&eacute;n&eacute;ral en dialecte suisse allemand et sans accessoires vestimentaires. Dans ce contexte, on mesure ais&eacute;ment la surprise des &eacute;tudiants germanophones devant le d&eacute;corum des proc&eacute;dures judiciaires en Suisse francophone.</p> <p>[12] Denis Diderot, Paradoxe sur le com&eacute;dien [1773, 1830], &eacute;d. de Robert Abirached, Paris, Gallimard, folio no 2575, 1994, p. 67.</p> <p>[13] Nous pensons en particulier &agrave; une publication qui date, mais qui n&rsquo;a &ndash; selon nous &ndash; jamais &eacute;t&eacute; &eacute;gal&eacute;e&nbsp;: DOUENEL L., JACKSON G., RAOUL S. (1994). Si tu t&rsquo;imagines&hellip; Atelier de litt&eacute;rature, lecture, &eacute;criture. Paris&nbsp;: Hatier / Didier. Et, plus r&eacute;cemment, RACINE, R., SCHENKER J.-Ch. (2018). Communication progressive du fran&ccedil;ais perfectionnement C1-C2, Paris&nbsp;: Cl&eacute; international, qui pr&eacute;pare &agrave; la production de s&eacute;quences discursives autour d&rsquo;actes de parole qui guident la lecture d&rsquo;objets culturels &ndash; comme &laquo;&nbsp;s&rsquo;exercer &agrave; la critique d&rsquo;une production artistique&nbsp;&raquo;, ou &laquo;&nbsp;Lire la presse francophone&nbsp;&raquo;.</p> <p>[14] RACINE, R. (2016). &laquo;&nbsp;La Suisse&nbsp;: un jardin des langues &agrave; d&eacute;fendre&nbsp;&raquo;, Le Temps, 18 mars. Du c&ocirc;t&eacute; des jeunes Suisses romands, le manque d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t pour l&rsquo;allemand se fait &eacute;galement sentir. La formation &laquo;&nbsp;bilingue plus-droit&nbsp;&raquo; sert, entre autres, justement &agrave; provoquer des prises de conscience au niveau linguistique et culturel afin de corriger cette tendance qui met en p&eacute;ril la cohabitation des langues nationales en Suisse.</p> <p>[15] Cette &laquo;&nbsp;omission&nbsp;&raquo; vaut &eacute;galement pour le vocabulaire, qui, bien que les &eacute;diteurs de FLE proposent d&rsquo;excellents ouvrages tels que Pratique Vocabulaire B2 (Paris&nbsp;: Cl&eacute; international, 2020), n&rsquo;est plus gu&egrave;re travaill&eacute; d&rsquo;une fa&ccedil;on approfondie dans l&rsquo;approche actionnelle.</p> <p>[16] Culture&nbsp;: lecteurs d&rsquo;images / lecteurs de textes / consommateurs de films (de tout signe, en fait).</p> <p>[17] Les th&egrave;mes (la v&eacute;rit&eacute;, la libert&eacute;, l&rsquo;identit&eacute;, etc.) qui nous sont impos&eacute;s par l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement culturel et interdisciplinaire &laquo;&nbsp;Le Droit dans le cin&eacute;ma&nbsp;&raquo; sont, en r&eacute;alit&eacute;, des &laquo;&nbsp;universels singuliers&nbsp;&raquo; qu&rsquo;il nous faut transposer et int&eacute;grer dans notre contexte sp&eacute;cifique.</p> <p>[18] Par exemple, un ouvrage comme DENIS C&nbsp;; MEYER C. (2010). Cl&eacute;s pour la France. En 80 ic&ocirc;nes culturelles. Paris&nbsp;: Hachette, qui fait le pari de faire &laquo;&nbsp;comprendre la France et les Fran&ccedil;ais&nbsp;&raquo; par un catalogue de fiches th&eacute;matiques telles que&nbsp;: &laquo;&nbsp;le Beaujolais nouveau&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Coluche&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;le bonhomme Michelin&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;le tour de France&nbsp;&raquo;.</p> <p>[19] Une s&eacute;ance tandem est un cours o&ugrave; les &eacute;tudiants de langue-cible fran&ccedil;ais et de langue-cible allemand se retrouvent autour d&rsquo;une activit&eacute; commune. G&eacute;n&eacute;ralement, chacun s&rsquo;exprime dans sa langue-cible et l&rsquo;un des enseignants des deux groupes m&egrave;ne l&rsquo;activit&eacute; (dans sa langue-cible). Nous tentons donc d&rsquo;&eacute;quilibrer, durant les semestres, les s&eacute;ances qui seront tenues majoritairement en fran&ccedil;ais, et celles tenues majoritairement en allemand.</p> <p>[20] Nous faisons ici r&eacute;f&eacute;rence &agrave; une analyse comparative (recherche en cours) sur des plans d&rsquo;&eacute;tudes de FLE au niveau de l&rsquo;enseignement secondaire en Suisse. Elle d&eacute;montre que le statut de la culture patrimoniale fran&ccedil;aise et francophone est tr&egrave;s diff&eacute;rent selon que l&rsquo;on a affaire &agrave; un &eacute;tablissement cisalpin ou transalpin. Dans les lyc&eacute;es tessinois (italophones), les cours de FLE se centrent essentiellement sur l&rsquo;explication et l&rsquo;analyse savante de textes litt&eacute;raires (comme on apprend, d&rsquo;ailleurs, &agrave; le faire en langue maternelle) alors qu&rsquo;en Suisse al&eacute;manique, c&rsquo;est le d&eacute;cryptage fonctionnel qui compte (comme en anglais) &ndash; la litt&eacute;rature se perdant dans un vaste catalogue de &laquo;&nbsp;documents authentiques&nbsp;&raquo;, entre recettes de cuisine et horaires de trains.</p> <p>[21] R&eacute;f&eacute;rence des illustrations&nbsp;: La Synagogue (sculpture), cath&eacute;drale de Strasbourg (France) portail droit&nbsp;; Das erstes Opfer des Krieges&nbsp;: Wahrheit, caricature publi&eacute;e sur le site&nbsp;: https://wolf147.wordpress.com/2014/08/26/das-erste-opfer-des-krieges/ (trad.&nbsp;: &laquo;&nbsp;la premi&egrave;re victime de la guerre&nbsp;: la v&eacute;rit&eacute;&nbsp;&raquo;).</p>