<h1 class="TDFLE-titre1" style="text-align: justify;"><span style="font-size:16pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-weight:bold">Enqu&ecirc;ter aupr&egrave;s des personnes qui entrent dans la langue et/ou dans l&rsquo;&eacute;crit &agrave; l&rsquo;&acirc;ge adulte</span></span></span></span></h1> <h2 align="left" style="border: none; text-align: justify;"><span style="font-size:14pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-weight:bold">Premiers &eacute;l&eacute;ments d&rsquo;une enqu&ecirc;te men&eacute;e &agrave; Paris en 2023 aupr&egrave;s de personnes apprenantes<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><b><sup><span style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[1]</span></span></span></sup></b></sup></a> de quatre formations en fran&ccedil;ais relevant de l&rsquo;alphab&eacute;tisation</span></span></span></span></h2> <p class="TDFLE-titre1" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><q><i>Pardon Madame, j&rsquo;ai une question pour vous. Pourquoi vous vous int&eacute;ressez &agrave; des personnes qui ont des difficult&eacute;s comme nous&nbsp;?</i>&nbsp;</q>. On est mardi 5 janvier 2024, j&rsquo;arrive dans un centre de formation en Seine Saint Denis o&ugrave; j&rsquo;enqu&ecirc;te apr&egrave;s avoir enqu&ecirc;t&eacute; &agrave; Paris en 2023, et c&rsquo;est la pause de la premi&egrave;re s&eacute;ance en alphab&eacute;tisation &agrave; laquelle j&rsquo;assiste avec ce groupe. 16 femmes et hommes suivent une formation gratuite, selon le format Atelier de P&eacute;dagogie Personnalis&eacute;e (Pinot, 2016), financ&eacute;e par le D&eacute;partement de la Seine Saint Denis, la R&eacute;gion &Icirc;le-de-France et la Pr&eacute;fecture de Paris et d&rsquo;&Icirc;le-de-France. Iels <a href="#_ftn2" name="_ftnref2" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[2]</span></span></span></sup></sup></a>m&rsquo;ont r&eacute;serv&eacute; un accueil tr&egrave;s chaleureux, se sont pr&eacute;sent&eacute;&middot;es et m&rsquo;ont demand&eacute; de le faire en retour. Alors que tout le monde avait d&eacute;velopp&eacute; sa pr&eacute;sentation, Khadija n&rsquo;avait donn&eacute; que son pr&eacute;nom. Elle m&rsquo;a pos&eacute; cette question, je me suis assise &agrave; c&ocirc;t&eacute; d&rsquo;elle et elle a d&eacute;velopp&eacute;. <q><i>C&rsquo;est vrai, je veux dire, je connais pas personne qui fait de la recherche sur les gens comme nous qui savent pas lire ni &eacute;crire. Pourquoi &ccedil;a t&rsquo;int&eacute;resse&nbsp;?</i><a href="#_ftn3" name="_ftnref3" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[3]</span></span></span></sup></sup></a></q>. </span></span></span></p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><q><i>Pourquoi &ccedil;a t&rsquo;int&eacute;resse&nbsp;?</i></q>&nbsp;C&rsquo;est vrai &ccedil;a, pourquoi&nbsp;&ccedil;a m&rsquo;int&eacute;resse, pourquoi &ccedil;a int&eacute;resse les formateurices qui interviennent en alphab&eacute;tisation (Collectif Lire et Ecrire Communaut&eacute; fran&ccedil;aise, 2018, Petri, 2022), les chercheuses et les chercheurs en Sciences de l&rsquo;&eacute;ducation (Tiberghien, 2007, Bourgeois et al., 2021), en sociolinguistique et en didactique du FLE (Etienne, 2004, Cortier, Puren, 2008, Adami, 2009, Tabbal Amella, 2023) ? Doctorante en Sciences de l&rsquo;&eacute;ducation &agrave; Paris 8 Saint Denis<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[4]</span></span></span></sup></sup></a>, apr&egrave;s une moiti&eacute; de vie professionnelle comme formatrice en fran&ccedil;ais pour adultes migrants, je m&rsquo;int&eacute;resse effectivement aux personnes qui n&rsquo;ont jamais ou tr&egrave;s peu fr&eacute;quent&eacute; l&rsquo;&eacute;cole dans leur pays d&rsquo;origine et &agrave; celles qui ont fr&eacute;quent&eacute; l&rsquo;&eacute;cole coranique. Je cherche &agrave; savoir pourquoi iels ne sont pas all&eacute;&middot;es &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, ce qu&rsquo;iels ont fait &agrave; la place, ce qu&rsquo;iels ont appris et comment, de leur enfance jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;entr&eacute;e dans l&rsquo;&eacute;crit en fran&ccedil;ais en France, moment o&ugrave; je les rencontre. (Re)conna&icirc;tre leur parcours, leur vie, leurs savoirs, le sens et l&rsquo;importance qu&rsquo;iels donnent aux savoirs outre ce qui leur manque du point de vue de la soci&eacute;t&eacute; d&rsquo;accueil apr&egrave;s une trajectoire migratoire. Qui sont-iels &agrave; part des personnes &agrave; qui il manque de savoir lire, de savoir &eacute;crire et de ma&icirc;triser une culture savante et l&eacute;gitime&nbsp;? </span></span></span></p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">&Agrave; l&rsquo;origine de cette recherche de doctorat, des questions de formatrices<a href="#_ftn5" name="_ftnref5" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[5]</span></span></span></sup></sup></a>, les miennes mais aussi celles de coll&egrave;gues : comment est fa&ccedil;onn&eacute;e la pens&eacute;e de personnes qui n&rsquo;ont pas &eacute;t&eacute; &eacute;duqu&eacute;es par l&rsquo;&eacute;cole&nbsp;? Comment le d&eacute;couvrir ? Comment &ecirc;tre stimul&eacute;e, intrigu&eacute;e, motiv&eacute;e par la diff&eacute;rence de culture &eacute;ducative quand on forme des personnes qui ne partagent pas la m&ecirc;me culture &eacute;ducative, qui ont des rythmes d&rsquo;apprentissage divers et souvent lents pouvant d&eacute;courager, rendre impatiente ou faire douter ? Les formatrices professionnelles que j&rsquo;ai rencontr&eacute;es dans le cadre de mon enqu&ecirc;te de terrain &agrave; Paris entre janvier et juin 2023 sont toutes dipl&ocirc;m&eacute;es d&rsquo;un master 2 en Fran&ccedil;ais Langue Etrang&egrave;re ou &eacute;quivalent et r&eacute;mun&eacute;r&eacute;es pour le travail qu&rsquo;elles accomplissent. Je les ai toutes entendues se demander comment les apprenant&middot;es pensent, se repr&eacute;sentent ce qu&rsquo;iels leur proposent comme activit&eacute;s, comment iels m&eacute;morisent sans &eacute;crit, si leurs activit&eacute;s sont utiles, pertinentes, int&eacute;ressantes, voire &eacute;mancipatrices. </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Cet article entend partager les premi&egrave;res observations permises par l&rsquo;enqu&ecirc;te de terrain aupr&egrave;s des personnes apprenantes apprenties lectrices/scriptrices et de leurs formatrices. Il s&rsquo;articulera autour de trois &eacute;l&eacute;ments. D&rsquo;abord, les conditions de l&rsquo;enqu&ecirc;te qui commence par des observations de cours, dans quatre quartiers populaires du Nord-Est parisien (Belleville, Jourdain, La Goutte d&rsquo;Or et Porte d&rsquo;Aubervilliers). L&rsquo;enqu&ecirc;te se poursuit par des entretiens approfondis avec un public parfois peu francophone, qui a ou non compris l&rsquo;intention de l&rsquo;enqu&ecirc;te ou le projet final de th&egrave;se. Nous livrerons alors une partie de ce que l&rsquo;enqu&ecirc;te a r&eacute;v&eacute;l&eacute; des personnes concern&eacute;es par les formations&nbsp;; pourquoi elles n&rsquo;ont pas &eacute;t&eacute; scolaris&eacute;es, de quels milieux sociaux elles viennent et de quels savoirs elles parlent lorsque je leur demande ce qu&rsquo;elles ont appris et comment au cours de leur vie. Enfin, j&rsquo;aborderai la fa&ccedil;on dont les personnes ont d&eacute;crit les formations d&rsquo;entr&eacute;e dans l&rsquo;&eacute;crit qui leur ont &eacute;t&eacute; propos&eacute;es&nbsp;; pourquoi elles ont &eacute;t&eacute; efficaces selon elleux et ce qu&rsquo;elles ont chang&eacute; dans leur vie. </span></span></span></p> <h3 style="border: none; text-align: justify;"><span style="font-size:14pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-weight:bold">1- Les conditions de l&rsquo;enqu&ecirc;te</span></span></span></span></h3> <h4 style="border: none; text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-weight:bold">1.1 Dispositif d&rsquo;enqu&ecirc;te de type ethnographique</span></span></span></span></h4> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">En janvier 2023, j&rsquo;ai mis en &oelig;uvre une enqu&ecirc;te de type ethnographique dans le cadre de mon travail de doctorat dont l&rsquo;objectif &eacute;tait de rencontrer des personnes qui entrent dans la langue (pour celles qui avaient &eacute;t&eacute; &eacute;valu&eacute;es &agrave; un niveau oral d&eacute;butant) et/ou qui entrent dans l&rsquo;&eacute;crit dans quatre formations d&rsquo;alphab&eacute;tisation. Ma connaissance ant&eacute;rieure du public par la pratique du m&eacute;tier de formatrice a eu pour effet de me permettre une d&eacute;couverte exp&eacute;riment&eacute;e&nbsp;c&rsquo;est-&agrave;-dire que j&rsquo;entrais dans une r&eacute;alit&eacute; avec des personnes inconnues, des dispositifs, des pratiques et des objectifs nouveaux mais mon regard n&rsquo;&eacute;tait pas tout &agrave; fait celui d&rsquo;une apprentie chercheuse qui d&eacute;couvrait un milieu. Ceci m&rsquo;a oblig&eacute;e &agrave; une grande vigilance pour &eacute;viter les connivences, les r&eacute;flexes, les raccourcis mais m&rsquo;a offert l&rsquo;opportunit&eacute; d&rsquo;un regard ext&eacute;rieur coutumier sans &ecirc;tre expert.</span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Toute l&rsquo;enqu&ecirc;te a &eacute;t&eacute; orient&eacute;e par le<i> Guide de l&rsquo;enqu&ecirc;te de terrain</i> (Beaud, Weber, 2010). C&rsquo;est parce que <q>l&rsquo;ethnographie a pour vocation originaire de rendre la parole aux humbles, &agrave; ceux qui par d&eacute;finition n&rsquo;ont jamais la parole </q>(p. 6) que je l&rsquo;ai choisie comme approche. J&rsquo;ai cherch&eacute; &agrave; me distancer des &eacute;vidences et de ce qui est dit, &eacute;crit d&rsquo;approximatif, souvent condescendant sur les personnes toujours d&eacute;sign&eacute;es par des qualificatifs privatifs comme analphab&egrave;tes, non scriptrices/non lectrices, non scolaris&eacute;es.</span></span></span></p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">&nbsp;</span></span></span><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;ai choisi de rencontrer les personnes dans leur premier cours d&rsquo;alphab&eacute;tisation, au tout d&eacute;but de leur parcours d&rsquo;entr&eacute;e dans la langue et/ou dans l&rsquo;&eacute;crit. Ce tout d&eacute;but de parcours arrive fr&eacute;quemment &agrave; l&rsquo;arriv&eacute;e en France pour les personnes demandeuses d&rsquo;asile, d&eacute;bout&eacute;es de ce droit, primo-arrivantes<a href="#_ftn6" name="_ftnref6" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[6]</span></span></span></sup></sup></a> prot&eacute;g&eacute;es (b&eacute;n&eacute;ficiaires de la protection internationale c&rsquo;est-&agrave;-dire r&eacute;fugi&eacute;es statutaires ou b&eacute;n&eacute;ficiaires de la protection subsidiaire), arriv&eacute;es par le regroupement familial ou gr&acirc;ce &agrave; un contrat de travail. Cependant ce parcours peut aussi avoir d&eacute;marr&eacute; plusieurs ann&eacute;es voire des d&eacute;cennies apr&egrave;s l&rsquo;arriv&eacute;e en France pour des personnes qui se sont install&eacute;es &agrave; partir des ann&eacute;es 1980. Il m&rsquo;a sembl&eacute; utile de mettre au jour un pan de la formation linguistique effectu&eacute; par des structures de formation (majoritairement associatives) qui embauchent des formatrices professionnelles pour animer des cours d&rsquo;alphab&eacute;tisation parce que ces contextes d&rsquo;alphab&eacute;tisation sont minoritaires dans l&rsquo;imaginaire collectif du cours d&rsquo;alphab&eacute;tisation militant anim&eacute; par des formatrices b&eacute;n&eacute;voles. </span></span></span></p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Par ce travail d&rsquo;enqu&ecirc;te, je souhaite raconter les mani&egrave;res possibles de cours d&rsquo;alphab&eacute;tisation pens&eacute;s comme des lieux d&rsquo;accueil, de vie, d&rsquo;&eacute;changes et d&rsquo;apprentissage linguistique pour des adultes non ou peu scolaris&eacute;s pendant leur enfance. Il s&rsquo;agit aussi de lieux de travail pour les formatrices et les coordinatrices que j&rsquo;ai rencontr&eacute;es. L&rsquo;enqu&ecirc;te a consist&eacute; &agrave; passer de un &agrave; trois mois avec chaque groupe, &agrave; raison d&rsquo;un cours par semaine pour &agrave; la fois avoir le temps de devenir une membre du groupe et laisser aussi aux apprenant&middot;es et formatrices l&rsquo;intimit&eacute; de leur formation. </span></span></span></p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Mon exp&eacute;rience ant&eacute;rieure de formatrice m&rsquo;a donn&eacute; l&rsquo;occasion de constater que les observations participantes de cours sont rarement v&eacute;cues de fa&ccedil;on neutre et ais&eacute;e pour celleux qui sont observ&eacute;&middot;es. J&rsquo;ai donc bien pr&eacute;cis&eacute; en amont, aux coordinatrices et formatrices, que je venais rencontrer un univers et observer des pratiques d&rsquo;apprentissage et de formation telles quelles &eacute;taient en 2023 dans le but non pas de les &eacute;valuer mais de les d&eacute;crire. J&rsquo;ai choisi des structures de formation financ&eacute;es par des pouvoirs publics diff&eacute;rents, pour tenter d&rsquo;analyser l&rsquo;influence des contraintes impos&eacute;es par les dispositifs sur le travail des &eacute;quipes et avoir une vision non pas exhaustive mais au moins diverse des dispositifs (Pradeau, 2021). Ces temps d&rsquo;observations ont &eacute;t&eacute; compl&eacute;t&eacute;s par des entretiens approfondis avec les formatrices et les apprenant&middot;es &agrave; la fin ou apr&egrave;s la fin de formation. Toujours propos&eacute;s sur la base du volontariat, ces entretiens ont eu lieu dans une salle disponible de l&rsquo;organisme de formation, dans un centre social ou un caf&eacute; proche du domicile des personnes car beaucoup vivent dans des conditions trop pr&eacute;caires pour permettre un entretien chez elles. Il m&rsquo;a sembl&eacute; opportun que les lieux de formation connus des apprenant&middot;es ou les centres sociaux des quartiers de r&eacute;sidence des apprenant&middot;es accueillent les entretiens pour ne pas surprendre ou inqui&eacute;ter les personnes avec un nouveau lieu. Les caf&eacute;s ont &eacute;t&eacute; choisis lorsque je n&rsquo;avais pas d&rsquo;autre choix parce qu&rsquo;il s&rsquo;agit de lieux peu fr&eacute;quent&eacute;s d&rsquo;ordinaire par les personnes que j&rsquo;ai rencontr&eacute;es. Un seul entretien a eu lieu au domicile d&rsquo;une personne qui a tenu &agrave; m&rsquo;y inviter. </span></span></span></p> <h4 class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-weight:bold">1.2 La question de l&rsquo;interpr&eacute;tariat et de la langue</span></span></span></span></h4> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Pour ces entretiens, la r&eacute;flexion sur les modalit&eacute;s &agrave; mettre en &oelig;uvre pour que les personnes apprenantes puissent s&rsquo;exprimer et se faire comprendre a &eacute;t&eacute; longue. La pr&eacute;sence d&rsquo;un&middot;e interpr&egrave;te aurait &eacute;t&eacute; heureuse en ce sens qu&rsquo;elle offrait la possibilit&eacute; de s&rsquo;exprimer sans barri&egrave;re, sans blocage pour les personnes encore tr&egrave;s d&eacute;butantes &agrave; l&rsquo;oral (certaines ont &eacute;t&eacute; &eacute;valu&eacute;es aux niveaux A1.1 ou A1 du CECRL &agrave; l&rsquo;oral en fin de formation). Seulement, cette pr&eacute;sence avait ses biais&nbsp;: les interpr&egrave;tes - car il y en aurait eu six, au nombre des langues parl&eacute;es par les personnes peu communicantes - auraient &eacute;t&eacute; des personnes &eacute;trang&egrave;res &agrave; la formation et &agrave; la relation &eacute;tablie pendant les observations, que je n&rsquo;aurais pas eu le temps de conna&icirc;tre ni de pr&eacute;senter avant les interventions. De surcro&icirc;t, il aurait fallu que j&rsquo;&eacute;value les comp&eacute;tences langagi&egrave;res des apprenant&middot;es dont certain&middot;es &eacute;taient en mesure de vivre un entretien int&eacute;gralement en fran&ccedil;ais quand d&rsquo;autres ne le pouvaient pas. Je ne voulais pas qu&rsquo;une pratique d&rsquo;&eacute;valuation de niveau de langue vienne interf&eacute;rer dans mes relations avec les apprenant&middot;es. Apr&egrave;s discussions avec mes directrices de th&egrave;se, les formatrices et les apprenant&middot;es, j&rsquo;ai fait et assum&eacute; le choix de ne pas avoir recours &agrave; un&middot;e interpr&egrave;te. C&rsquo;est un apprenant, avec qui j&rsquo;&eacute;changeais sur ces r&eacute;flexions, qui a fini de me convaincre. Il m&rsquo;a demand&eacute;&nbsp;:&nbsp;<q>P<i>ourquoi un interpr&egrave;te&nbsp;Anna ? On a fini la formation avec Nino<a href="#_ftn7" name="_ftnref7" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><b><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[7]</span></span></span></sup></b></sup></a>, on conna&icirc;t fran&ccedil;ais, la formation c&rsquo;est fini</i>.</q> L&rsquo;absence d&rsquo;interpr&egrave;te a permis non seulement d&rsquo;&eacute;viter l&rsquo;&eacute;cueil de l&rsquo;&eacute;valuation du niveau de fran&ccedil;ais (sur quels crit&egrave;res aurais-je pu d&eacute;cider que certain&middot;es auraient pu avoir un entretien sans interpr&egrave;te et d&rsquo;autres non ?) mais de r&eacute;fl&eacute;chir &agrave; un dispositif d&rsquo;entretien, inspir&eacute; des pratiques de communication entre les apprenant&middot;es et les formatrices pendant les cours, qui permette de se comprendre. Le fran&ccedil;ais partag&eacute; pendant les formations est passionnant &agrave; entendre et &eacute;tudier et a constitu&eacute; le premier outil linguistique &agrave; embarquer dans le dispositif d&rsquo;entretiens approfondis. Loin d&rsquo;&ecirc;tre simpliste, ce fran&ccedil;ais partag&eacute; poursuit l&rsquo;objectif de l&rsquo;intercompr&eacute;hension sans simplifier la pens&eacute;e&nbsp;; les apprenant&middot;es ont souvent des questions complexes &agrave; formuler, les formatrices des consignes, explications complexes &agrave; exposer. Il offre une langue en partage, d&eacute;pouill&eacute;e d&rsquo;un certain nombre d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments syntaxiques et lexicaux variant en fonction des formatrices (articles, pr&eacute;positions, conjugaison au pass&eacute;, lexique familier, etc.). </span></span></span></p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;ai trouv&eacute; plus porteur de r&eacute;fl&eacute;chir &agrave; ce dispositif &laquo;&nbsp;avec les moyens du bord&nbsp;&raquo;, comme le font les acteurs et les actrices de l&rsquo;apprentissage du fran&ccedil;ais qui n&rsquo;ont pas acc&egrave;s aux services d&rsquo;interpr&eacute;tariat que d&rsquo;utiliser un service on&eacute;reux et de ce fait rarement utilis&eacute; par les organismes de formation linguistiques. Le protocole d&rsquo;entretiens s&rsquo;est compos&eacute; d&rsquo;un document de pr&eacute;sentation imag&eacute; r&eacute;alis&eacute; &agrave; partir de photographies trouv&eacute;es sur Internet et correspondant &agrave; des activit&eacute;s que j&rsquo;estimais, sur la base des dires des apprenant&middot;es pendant les cours et des discussions avec les formatrices, proches de celles effectu&eacute;es par les personnes pendant l&rsquo;enfance et pendant la trajectoire migratoire. Ce document a &eacute;volu&eacute; avec l&rsquo;enqu&ecirc;te et a trouv&eacute; &eacute;galement des sp&eacute;cificit&eacute;s par groupe (les images des &eacute;coles et des m&eacute;tiers correspondaient aux pays d&rsquo;origine et aux m&eacute;tiers des apprenant&middot;es par groupe). </span></span></span></p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Il s&rsquo;est aussi agi de mettre &agrave; profit les smartphones des apprenant&middot;es&nbsp;pour soutenir l&rsquo;intercompr&eacute;hension dans nos &eacute;changes ; iels montraient leurs photos, vid&eacute;os, voire leurs&nbsp; posts sur les r&eacute;seaux sociaux afin d&rsquo;illustrer ou de pr&eacute;ciser leurs dires. En outre, je parvenais &agrave; observer la manipulation qu&rsquo;iels faisaient de leur appareil et leur litt&eacute;racie num&eacute;rique, souvent ma&icirc;tris&eacute;e dans un usage de loisirs. Nous avons &eacute;galement utilis&eacute;, sur leur smartphone ou le mien, une application de traduction instantan&eacute;e qui &eacute;tait tr&egrave;s souvent d&eacute;j&agrave; utilis&eacute;e ou connue par elleux, en mode conversationnel (oral) permettant de dire une phrase et de l&rsquo;entendre traduite en fran&ccedil;ais, ainsi qu&rsquo;une application de g&eacute;olocalisation pour localiser les villages et villes qu&rsquo;iels &eacute;voquaient dans leur r&eacute;cit. (illustration 1)</span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p align="left" style="border:none; text-align:justify"><img src="https://www.numerev.com/img/ck_3160_6_image-20240902232929-1.png" style="width: 300px; height: 396px;" /><img src="https://www.numerev.com/img/ck_3160_6_image-20240902232929-2.jpeg" style="width: 300px; height: 300px;" /><img src="https://www.numerev.com/img/ck_3160_6_image-20240902232929-3.jpeg" style="width: 300px; height: 400px;" /></p> <p style="border:none; text-align:justify"><i><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">1 - Les smartphones des personnes sont utilis&eacute;s pour faciliter l&rsquo;explication et la compr&eacute;hension. A gauche, un homme malien montre son travail sur une vid&eacute;o faite par son chef. Au centre, un homme soudanais utilise la fonction orale de conversation d&rsquo;une application de traduction instantan&eacute;e pour nommer ce qu&rsquo;il a &eacute;tudi&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;cole coranique. A droite, une femme tchadienne montre la saison des pluies sur un post Tik Tok</span></span></span></i></p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Les personnes avaient aussi &agrave; leur disposition du mat&eacute;riel d&rsquo;expression &eacute;crite pour dessiner &eacute;ventuellement ou converser avec dessins et sch&eacute;mas &agrave; l&rsquo;appui, lorsque la compr&eacute;hension de mes r&eacute;actions &agrave; leur r&eacute;cit devenait complexe. Il s&rsquo;est av&eacute;r&eacute; utile pour aborder la composition de leur famille, les dates importantes de leur vie, les dur&eacute;es de leurs exp&eacute;riences et les horaires en g&eacute;n&eacute;ral (illustration 2). </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><img src="https://www.numerev.com/img/ck_3160_6_image-20240902232929-4.jpeg" style="width: 300px; height: 201px;" /><img src="https://www.numerev.com/img/ck_3160_6_image-20240902232929-5.jpeg" style="width: 300px; height: 433px;" /></p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><i>2 - Des feuilles, des feutres et stylos sont mis &agrave; disposition comme aides &agrave; la conversation pour dessiner, visualiser et faire des hypoth&egrave;ses de compr&eacute;hension sur ce qui est dit par les personnes</i></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Toutes ces conditions r&eacute;unies ont permis des entretiens passionnants, d&rsquo;une dur&eacute;e g&eacute;n&eacute;ralement comprise entre 40 mn et 1h30, guid&eacute;s par une question de d&eacute;part portant sur ce qu&rsquo;iels ont fait &agrave; la place de l&rsquo;&eacute;cole quand iels &eacute;taient enfants, ce qui a &eacute;t&eacute; important dans leur vie, et ce qu&rsquo;iels ont appris pendant leur vie. Le format adopt&eacute; spontan&eacute;ment par les personnes a souvent &eacute;t&eacute; celui du r&eacute;cit de vie (Tabbal Amella, 2023). </span></span></span></p> <h3 style="text-align: justify;"><span style="font-size:14pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-weight:bold">2 &ndash; Qui sont les personnes rencontr&eacute;es dans les formations d&rsquo;alphab&eacute;tisation&nbsp;?</span></span></span></span></h3> <p align="left" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Sur 49 personnes inscrites dans les quatre organismes de formation que j&rsquo;ai rencontr&eacute;s, 22 personnes ont accept&eacute; de faire un entretien approfondi, avec une proportion d&rsquo;un tiers de femmes (7) et de 2/3 d&rsquo;hommes (15). Deux des quatre groupes &eacute;taient majoritairement compos&eacute;s d&rsquo;hommes m&ecirc;me si aucun des dispositifs de formation n&rsquo;avaient de mention particuli&egrave;re sur le genre des apprenants. </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Quatre profils d&rsquo;apprenant&middot;es&nbsp; fr&eacute;quentent les dispositifs de formation en alphab&eacute;tisation que j&rsquo;ai observ&eacute;s&nbsp;: des personnes qui n&rsquo;ont jamais fr&eacute;quent&eacute; l&rsquo;&eacute;cole (6 personnes, soit un peu plus d&rsquo;un quart , 4 femmes et 2 hommes), des personnes qui ont fr&eacute;quent&eacute; l&rsquo;&eacute;cole pendant 1 &agrave; 5 ans (7 personnes, soit environ un tiers , 2 femmes et 5 hommes), des personnes qui ont fr&eacute;quent&eacute; l&rsquo;&eacute;cole dite coranique (Hugon et all, 2017) pendant 2 &agrave; 15 ans (4 personnes, soit un peu moins d&rsquo;un cinqui&egrave;me, 1 femme et 3 hommes) et enfin, des personnes qui ont fr&eacute;quent&eacute; l&rsquo;&eacute;cole publique en Afghanistan et en &Eacute;gypte, plus de 5 ans, parfois m&ecirc;me de 7 &agrave; 18 ans (5 hommes, soit un peu moins d&rsquo;un quart). Si les deux premiers profils sont ceux qui correspondent &agrave; ce que l&rsquo;on entend par non ou peu lecteur/scripteur (Adami, 2009), les deux autres attirent l&rsquo;attention et n&eacute;cessitent une &eacute;tude approfondie. Pourquoi les ann&eacute;es d&rsquo;&eacute;tudes en &eacute;cole coranique, pour certain&middot;es ayant dur&eacute; 15 ans &agrave; raison de 7h par jour, d&eacute;bouchent sur une ma&icirc;trise de l&rsquo;arabe, orale souvent et &eacute;crite parfois, mais un rapport &agrave; l&rsquo;&eacute;crit de la langue seconde d&eacute;butant complet, sans ma&icirc;trise du geste graphique&nbsp;? Par ailleurs, pourquoi les apprenants afghans et &eacute;gyptiens, qui ont fr&eacute;quent&eacute; l&rsquo;&eacute;cole publique dans leur pays d&rsquo;origine, sont orient&eacute;s vers des cours d&rsquo;alphab&eacute;tisation o&ugrave; ils progressent au m&ecirc;me rythme que les autres apprenant&middot;es&nbsp;non ou peu scolaris&eacute;&middot;es ? Iels pourraient, &agrave; l&rsquo;instar d&rsquo;apprenant&middot;es scolaris&eacute;.es dans une langue maternelle &eacute;loign&eacute;e du fran&ccedil;ais, fr&eacute;quenter des cours de fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re d&eacute;butants mais ils n&rsquo;y ont pas &eacute;t&eacute; orient&eacute;&middot;es par les &eacute;valuateurs et &eacute;valuatrices et se font tr&egrave;s bien au rythme lent des cours d&rsquo;entr&eacute;e dans l&rsquo;&eacute;crit. Je n&rsquo;ai, &agrave; cette heure de la recherche, pas encore de r&eacute;ponse &agrave; ces questions.</span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Nous consid&eacute;rons dans cette enqu&ecirc;te les quatre profils d&rsquo;apprenant&middot;es comme correspondant au public relevant de l&rsquo;alphab&eacute;tisation parce qu&rsquo;iels y ont leur place et leur r&ocirc;le dans les formations de l&rsquo;enqu&ecirc;te. Pour faciliter la suite de la lecture, je nommerai les personnes sans scolarit&eacute; ant&eacute;rieure, <b>non scolaris&eacute;es</b>, les personnes &agrave; la scolarit&eacute; inf&eacute;rieure &agrave; 5 ans, <b>peu scolaris&eacute;es</b>, &agrave; la scolarit&eacute; en &eacute;cole coranique, <b>scolaris&eacute;es en &eacute;cole coranique</b> et &agrave; la scolarit&eacute; publique en Egypte et en Afghanistan, <b>scolaris&eacute;es</b>. </span></span></span></p> <h4 style="border: none; text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-weight:bold">2.1 Les raisons d&rsquo;une vie sans scolarit&eacute; ou avec une scolarit&eacute; tr&egrave;s courte ou coranique </span></span></span></span></h4> <p>&nbsp;</p> <p style="border: none; text-align: justify;"><q><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-weight:bold">En Afr</span><span style="font-size:11.0pt">ique, sur cent personnes, y a au moins 5 qui va &agrave; l&rsquo;&eacute;cole apr&egrave;s les autres y vont pas. Bon je pr&eacute;cise&nbsp;: Mali, C&ocirc;te d&rsquo;Ivoire, Guin&eacute;e, S&eacute;n&eacute;gal, on a un peu pr&egrave;s la m&ecirc;me culture en fait. Quand tu nais en tant qu&rsquo;une femme, tu n&rsquo;as pas droit aller &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, on dit c&rsquo;est les hommes qui peut aller &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, pas les femmes. Les femmes y sont faits pour la maison, pour s&rsquo;occuper de la maison, alors moi j&rsquo;ai pas eu la chance d&rsquo;aller &agrave; l&rsquo;&eacute;cole du tout, voil&agrave;, c&rsquo;est la vie<i> </i>[extrait de l&rsquo;entretien avec Yasmine, 2023</span></span></span></span></q></p> <p style="border: none; text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Yasmine est l&#39;avant derni&egrave;re personne rencontr&eacute;e dans le cadre des entretiens approfondis et, je dirais, la premi&egrave;re femme tenant un discours critique sur les causes de son absence de scolarisation formelle du fait de son genre. Elle fait partie du seul groupe parmi les quatre s&rsquo;adressant &agrave; un public dit &laquo;&nbsp;francophone&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire ma&icirc;trisant un fran&ccedil;ais appris par exp&eacute;rience dans un pays francophone o&ugrave; le fran&ccedil;ais a le statut de langue nationale ou de langue administrative et il est probable que sa ma&icirc;trise du fran&ccedil;ais lui ait permis d&rsquo;exprimer plus directement ce point de vue. Dans les trois autres groupes les personnes &eacute;taient d&eacute;butantes &agrave; l&rsquo;oral en fran&ccedil;ais &agrave; l&rsquo;entr&eacute;e en formation.</span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Selon Marie-France Lange (2018 : 5), les indices retenus pour </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><q><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">mesurer l&rsquo;&eacute;volution des in&eacute;galit&eacute;s de fr&eacute;quentation scolaire entre filles et gar&ccedil;ons [...] calcul&eacute;s sur les taux de scolarisation par r&eacute;gions ou par pays ne permettent pas de prendre en compte les enfants ou les jeunes qui ne sont pas scolaris&eacute;s, mais uniquement d&rsquo;analyser les in&eacute;galit&eacute;s de fr&eacute;quentation scolaire entre filles et gar&ccedil;ons. </span></span></span></q></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><a name="_heading=h.gjdgxs"></a>Je n&rsquo;ai pour l&rsquo;heure par trouv&eacute; de r&eacute;sultats d&rsquo;enqu&ecirc;te permettant de situer les propos de Yasmine sur des &eacute;chelles officielles. Sur les 7 femmes que j&rsquo;ai rencontr&eacute;es, 2 sont ivoiriennes et les 5 autres viennent de pays &agrave; chaque fois diff&eacute;rents. Yasmine, 28 ans, est divorc&eacute;e avec quatre enfants, arriv&eacute;e en France en 2012 &agrave; 15 ans pour rejoindre sa m&egrave;re partie vivre en Europe depuis son enfance. Elle a &eacute;t&eacute; confi&eacute;e &agrave; sa tante qui avait d&eacute;j&agrave; la charge de ses propres enfants puis a rejoint la cour familiale de son grand-p&egrave;re. Il n&rsquo;a jamais &eacute;t&eacute; question qu&rsquo;elle aille &agrave; l&rsquo;&eacute;cole parce que c&rsquo;&eacute;tait une fille et &agrave; son arriv&eacute;e en France, elle n&rsquo;a fr&eacute;quent&eacute; l&rsquo;&eacute;cole que jusqu&rsquo;&agrave; la fin de l&rsquo;instruction obligatoire sans comprendre ce qu&rsquo;il s&rsquo;y passait. Kohoko, 27 ans, est arriv&eacute;e en 2017, seule, &agrave; 23 ans. Elle est aujourd&rsquo;hui m&egrave;re de deux enfants n&eacute;s en France dont la premi&egrave;re fille a obtenu l&rsquo;asile. Elle a fr&eacute;quent&eacute; l&rsquo;&eacute;cole un an en C&ocirc;te d&rsquo;Ivoire gr&acirc;ce &agrave; une d&eacute;cision du gouvernement de l&rsquo;&eacute;poque d&rsquo;inciter les familles &agrave; envoyer leurs enfants &agrave; l&rsquo;&eacute;cole. C&rsquo;est la guerre civile, d&eacute;but&eacute;e en 2002, qui a mis fin &agrave; sa courte scolarit&eacute;. Ses grands fr&egrave;res et s&oelig;urs n&rsquo;y sont pas all&eacute;s mais tous ses petits fr&egrave;res et s&oelig;urs, n&eacute;&middot;es apr&egrave;s la guerre, si. Yin, chinoise, a 59 ans, elle est arriv&eacute;e avec son mari en 2004 et vit &agrave; Belleville comme Yasmine. Elle est all&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;cole petite pendant deux ans et a arr&ecirc;t&eacute;, trop int&eacute;ress&eacute;e qu&rsquo;elle &eacute;tait par les animaux de la maison de ses parents. <q><i>La t&ecirc;te n&rsquo;a aim&eacute; pas l&rsquo;&eacute;cole</i>&nbsp;</q>(extrait de l&rsquo;entretien avec Yin). Annick, n&eacute;e en Ha&iuml;ti en 1972, n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; scolaris&eacute;e car elle a perdu sa m&egrave;re petite et son p&egrave;re est all&eacute; vivre en Guyane sans les emmener elle et ses s&oelig;urs. Elles se sont d&eacute;brouill&eacute;es seules, confi&eacute;es pour Annick &agrave; un oncle qui l&rsquo;a abus&eacute;e et dont elle a r&eacute;chapp&eacute; gr&acirc;ce &agrave; la communaut&eacute; de sa paroisse. En 2000, elle arrive en France avec sa petite s&oelig;ur o&ugrave; elle rencontre rapidement son mari avec qui elle aura cinq enfants. Drissa, marocaine de 44 ans, a v&eacute;cu seule avec sa m&egrave;re et ses 5 fr&egrave;res et s&oelig;urs &agrave; F&egrave;s. De toutes les personnes rencontr&eacute;es, c&rsquo;est la seule qui soit n&eacute;e dans une grande ville. Elle est aussi la seule de sa fratrie de six &agrave; ne pas avoir fr&eacute;quent&eacute; l&rsquo;&eacute;cole, pour aider sa m&egrave;re &agrave; la maison. Comme Kohoko et Yasmine, elle a &eacute;t&eacute; mari&eacute;e jeune &agrave; un mari choisi pour elle. Elle vit d&eacute;sormais seule chez une tante en France. Dalla, quant &agrave; elle, est n&eacute;e au Mali, dans la r&eacute;gion de Kayes. D&rsquo;un p&egrave;re cultivateur, d&rsquo;une m&egrave;re s&rsquo;occupant de la maison, sch&eacute;ma familial qu&rsquo;on retrouve beaucoup parmi les personnes rencontr&eacute;es, elle a fr&eacute;quent&eacute; l&rsquo;&eacute;cole coranique de 7 &agrave; 18 ans, de 9h &agrave; 17h tous les jours. Elle est arriv&eacute;e en France en 2013 apr&egrave;s s&rsquo;&ecirc;tre mari&eacute;e avec son mari, fran&ccedil;ais originaire du m&ecirc;me village que sa famille. Enfin, Adjiti, tchadienne, est arriv&eacute;e en France en 2020 sans son mari ni ses cinq enfants, dont une fille d&eacute;c&eacute;d&eacute;e. Orpheline de p&egrave;re &agrave; la naissance et de m&egrave;re &agrave; 8 mois, elle a &eacute;t&eacute; &eacute;lev&eacute;e par sa grand-m&egrave;re cultivatrice dans un village o&ugrave; elle a v&eacute;cu jusqu&rsquo;&agrave; ce qu&rsquo;elle soit mari&eacute;e &agrave; son mari. R&eacute;fugi&eacute;e, elle occupe un poste de jardini&egrave;re aux Resto du c&oelig;ur &agrave; Paris qui fait le pont avec sa vie d&rsquo;enfance. </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Les raisons de la non scolarisation des 7 femmes rencontr&eacute;es &agrave; Paris sont pour partie li&eacute;es &agrave; leur genre au Maroc, en C&ocirc;te d&rsquo;Ivoire ou au Mali. Yasmine pr&eacute;cise</span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-align:justify"><q><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">C&rsquo;est maintenant les choses ont d&eacute;velopp&eacute;, les parents ils comprennent maintenant que c&rsquo;est important pour la femme et pour l&rsquo;homme, sinon avant les parents ils disaient que l&rsquo;&eacute;cole il est fait pour les hommes, pas pour les femmes, voil&agrave;, c&rsquo;est pour cela nous on n&rsquo;a pas eu la chance d&rsquo;aller &agrave; l&rsquo;&eacute;cole. Moi j&rsquo;suis jamais all&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, puis j&rsquo;ai grandi sans mes deux parents, voil&agrave;, je peux dire que c&rsquo;est la rue qui m&rsquo;a enseign&eacute; beaucoup de choses, voil&agrave;. Tout ce que j&rsquo;ai appris, j&rsquo;ai appris aussi dans la rue et j&rsquo;ai appris aussi &agrave; la maison, quand je dis &laquo;&nbsp;&agrave; la maison&nbsp;&raquo; en Afrique on a tous une cour familiale. </span></span></span></q></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Cependant, &agrave; l&rsquo;instar des hommes, d&rsquo;autres raisons interviennent dans la non scolarisation des enfants qu&rsquo;iels ont &eacute;t&eacute;. La n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;abord de ne pas scolariser au moins un enfant de la fratrie afin qu&rsquo;iel aide &agrave; la vie de la famille par l&rsquo;intendance de la maison, la gestion de la fratrie et le travail de petit commerce pour subvenir aux besoins de la famille. Cette raison est amplifi&eacute;e lorsqu&rsquo;un ou deux des parents est d&eacute;c&eacute;d&eacute; ou vit ailleurs. Il est souvent arriv&eacute; &eacute;galement que l&rsquo;&eacute;cole n&rsquo;existe pas dans le village et que la distance les s&eacute;parant de l&rsquo;&eacute;cole, sans moyen de locomotion ad&eacute;quat, ait emp&ecirc;ch&eacute; la scolarisation. </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <h4 class="TDFLE-titre3" style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-weight:bold">2.2 Les milieux sociaux des familles</span></span></span></span></h4> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">5 femmes sur 7 sont n&eacute;es dans un village o&ugrave; l&rsquo;activit&eacute; familiale consistait en une activit&eacute; d&rsquo;agriculture vivri&egrave;re. Ce point commun est &agrave; rapprocher des hommes que nous avons rencontr&eacute;s dont l&rsquo;agriculture vivri&egrave;re a &eacute;t&eacute; l&rsquo;activit&eacute; professionnelle d&rsquo;au moins un des 2 parents et, par cons&eacute;quent, de socialisation principale en famille pendant l&rsquo;enfance (Tableau 1). </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify"><img height="360" src="https://www.numerev.com/img/ck_3160_6_image-20240902232929-6.png" width="1162" /><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </span></span></span></p> <p align="center" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><i>Tableau 1 - Milieux sociaux des familles dont sont issues les personnes inscrites dans les quatre cours d&rsquo;alphab&eacute;tisation observ&eacute;s &agrave; Paris en 2023. </i></span></span></span></p> <p align="center" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><i>F = femme, H = homme</i></span></span></span></p> <p style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Les deux mod&egrave;les familiaux principaux sont les deux parents cultivateurs dans le village (27%) ou bien le p&egrave;re cultivateur et la m&egrave;re d&eacute;di&eacute;e aux charges de la vie familiale (intendance notamment) (13,6%). Pour toutes ces familles qui constituent plus d&rsquo;un tiers de l&rsquo;ensemble (40,6%), il est &agrave; noter que l&rsquo;activit&eacute; agricole se faisait en g&eacute;n&eacute;ral en famille enti&egrave;re, qu&rsquo;il n&rsquo;y avait pas d&rsquo;&eacute;cole dans le village, que les parents &eacute;taient les personnes ressources des savoirs exp&eacute;rientiels li&eacute;s &agrave; l&rsquo;activit&eacute; agricole locale (l&eacute;gumes, fruits mais aussi &eacute;levage) et que les parents eux-m&ecirc;mes n&rsquo;&eacute;taient jamais all&eacute;s &agrave; l&rsquo;&eacute;cole. Fousseyni par exemple, malien de la r&eacute;gion de Kayes, &acirc;g&eacute; de 38 ans, sans papiers en France, mari&eacute; avec deux enfants au Mali, se rappelle qu&rsquo;ils allaient tous planter les racines, le ma&iuml;s et le riz avec son p&egrave;re, sa m&egrave;re, ses fr&egrave;res et s&oelig;urs pendant la saison des pluies qui durait 4 mois. Iels travaillaient tous ensemble de 8h-9h &agrave; 13h. </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Il en va de m&ecirc;me pour Raby, 43 ans, malien de m&egrave;re bambara et de p&egrave;re sonink&eacute;, qui se rappelle les quatre mois intenses de culture du ma&iuml;s. Les horaires &eacute;taient les m&ecirc;mes avec un retour de la famille le midi avant de repartir aux champs de 15h jusqu&rsquo;&agrave; la tomb&eacute;e du jour. Une &eacute;cole a fini par &ecirc;tre construite dans son village mais il n&rsquo;a pas voulu y aller et personne ne l&rsquo;a oblig&eacute; &agrave; le faire. Il a appris la guitare avec sa famille de griots chez lui le vendredi et le lundi qui sont les 2 jours o&ugrave; personne ne travaillait aux champs. Il dit de l&rsquo;un de ses fr&egrave;res &agrave; ce propos&nbsp;: <q><i>Lui, c&rsquo;est le seul qui n&rsquo;a pas appris la guitare parce qu&rsquo;il est all&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;cole.</i></q> (extrait de son entretien). Ibrahim, Afghan de 25 ans, r&eacute;fugi&eacute; arriv&eacute; en France par la route en 2021, se souvient qu&rsquo;il a arr&ecirc;t&eacute; l&rsquo;&eacute;cole &agrave; 12 ans apr&egrave;s quatre ans de scolarisation le matin uniquement parce qu&rsquo;il voulait aider son p&egrave;re &agrave; la culture de la past&egrave;que et du melon. Sa s&oelig;ur allait &agrave; l&rsquo;&eacute;cole coranique, ses deux fr&egrave;res dans une &eacute;cole priv&eacute;e mais lui pr&eacute;f&eacute;rait travailler et il profitait de ses apr&egrave;s-midis pour aller couper du bois en for&ecirc;t afin de chauffer la maison ou encore pour aller jouer au cricket avec ses amis.</span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">L&rsquo;autre mod&egrave;le familial important, concernant 22% des personnes rencontr&eacute;es, est celui des personnes ayant &eacute;t&eacute; &eacute;lev&eacute;es par un seul parent ou par un autre membre de la famille, &agrave; l&rsquo;instar d&rsquo;Annick, suite au d&eacute;c&egrave;s de l&rsquo;un et/ou l&rsquo;autre des parents et du d&eacute;part du parent restant en Europe. Pour deux d&rsquo;entre eux, c&rsquo;est la m&egrave;re qui est partie en Europe et qui accueille son enfant au moment de l&rsquo;adolescence en Europe. Hamidu, sierra l&eacute;onais de 44 ans, qui a fui la situation politique pour vivre en Guin&eacute;e Conakry avant de retourner en Sierra Leone avec sa famille apr&egrave;s le coup d&rsquo;&Eacute;tat de 1992, affirme qu&rsquo;il n&rsquo;aurait pas eu la m&ecirc;me vie si son p&egrave;re avait v&eacute;cu. De parents petits commer&ccedil;ants, il a particip&eacute; aux charges de la vie familiale. <q><i>C&rsquo;est Dieu qui m&rsquo;a aid&eacute; parce que [&hellip;], en Afrique, on devient arri&eacute;r&eacute;</i>.</q>&nbsp;&nbsp;Il est arriv&eacute; en France en 2000 et malgr&eacute; ses difficult&eacute;s &agrave; trouver un emploi et renouveler ses papiers, il s&rsquo;estime chanceux.</span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <h4 class="TDFLE-titre3" style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-weight:bold">2.3 Savoirs acquis </span></span></span></span></h4> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Les notions de savoirs, d&rsquo;acquisition des savoirs et de rapports aux savoirs seront au c&oelig;ur de ma th&egrave;se. Les savoirs comme <q>dimension de l&rsquo;&ecirc;tre</q>&nbsp;(Authier, L&eacute;vy, 1999) rel&egrave;vent de ce que Berger et Luckmann appellent <q>la r&eacute;alit&eacute; par excellence</q>, <q>la r&eacute;alit&eacute; souveraine</q>&nbsp;&agrave; savoir la vie quotidienne (Berger, Luckmann, 2012). Ils correspondent &agrave; une d&eacute;finition non hi&eacute;rarchisante socialement d&eacute;crite ici par Patrick Pion en 2020, </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><q><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-size:11.0pt">Le savoir, [&hellip;] on peut dire que c&rsquo;est la somme des exp&eacute;riences individuelles et collectives rassembl&eacute;es et mises en forme pour &ecirc;tre transmises. C&rsquo;est une construction sociale o&ugrave; on op&egrave;re un classement, une s&eacute;lection de ces exp&eacute;riences qu&rsquo;on juge utiles pour les transmettre. &Eacute;videmment, selon les soci&eacute;t&eacute;s, on pourra faire un d&eacute;coupage tr&egrave;s tr&egrave;s diff&eacute;rent. (Pion, Schlanger, 2020&nbsp;: 00:18:29).</span> </span></span></span></q></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Il s&rsquo;agit d&rsquo;abord de ce que les personnes ont appris pendant leur enfance, &agrave; la place de l&rsquo;&eacute;cole dans les activit&eacute;s de socialisation qu&rsquo;iels ont v&eacute;cu en famille ou seul&middot;es. Les savoirs sont pour 10 d&rsquo;entre elleux (45%), li&eacute;s &agrave; l&rsquo;agriculture vivri&egrave;re, pour 7 d&rsquo;entre elleux (32%) li&eacute;s au petit commerce dans les march&eacute;s des villes ou des capitales, pour 5 d&rsquo;entre elleux (23%) li&eacute;s au nettoyage, &agrave; la cuisine et &agrave; la garde d&rsquo;enfants par le biais du soin apport&eacute; aux fr&egrave;res, aux s&oelig;urs et aux parents et pour 3 d&rsquo;entre elleux (14%) li&eacute;s &agrave; une activit&eacute; professionnelle propre &agrave; l&rsquo;un des parents (fumage et vente de poisson, coiffure, plomberie).</span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Certains savoirs ont &eacute;t&eacute; d&eacute;couverts avec l&rsquo;entr&eacute;e dans une vie professionnelle hors socialisation familiale (broderie, m&eacute;canique moto ou auto, orf&egrave;vrerie, carrelage, peinture en b&acirc;timent, r&eacute;paration de rails, ferrailleur) mais aussi pendant la trajectoire migratoire. Ibrahim, Parwiz et Rafiullah, deux autres jeunes afghans arriv&eacute;s en France en 2021 et 2022, racontent comme ils ont appris &agrave; entretenir le linge en travaillant dans des pressings en Turquie, exp&eacute;rience qui leur a permis d&rsquo;apprendre le turc et de le parler avec des colocataires de foyer en r&eacute;gion parisienne. Quant &agrave; Fousseyni, c&rsquo;est au Gabon qu&rsquo;il est devenu ferrailleur et a appris &agrave; parler le fran&ccedil;ais, qu&rsquo;il ne parlait pas dans son village au Mali. La question de l&rsquo;apprentissage des langues est arriv&eacute;e dans les r&eacute;cits, beaucoup d&rsquo;entre eux ayant appris des langues pendant leur trajectoire migratoire et d&rsquo;autres pendant leurs exp&eacute;riences professionnelles, souvent une fois parti&middot;es du village pour travailler en ville. En comptant le fran&ccedil;ais, toutes les personnes rencontr&eacute;es sont polyglottes : 4 personnes sont locutrices de 4, 5 ou 6 langues, 10 sont trilingues et 8 sont bilingues. Toutes ces langues ont &eacute;t&eacute; apprises oralement dont le fran&ccedil;ais pour celleux qui l&rsquo;ont appris dans un pays o&ugrave; il &eacute;tait langue administrative ou nationale (Steien, Avenne, 2019). </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Il est &agrave; pr&eacute;ciser que lorsque les personnes apprenantes ont &eacute;t&eacute; interrog&eacute;es sur leurs langues parl&eacute;es, elles n&rsquo;ont pas indiqu&eacute; de niveaux particulier sauf en fran&ccedil;ais. L&rsquo;expression &laquo;&nbsp;en fran&ccedil;ais, c&rsquo;est z&eacute;ro&nbsp;&raquo; est revenue r&eacute;guli&egrave;rement dans les entretiens avec les personnes d&eacute;butantes &agrave; leur arriv&eacute;e en formation mais pas avec les personnes francophones avant leur arriv&eacute;e en Europe. Pour toutes les langues parl&eacute;es, iels affirment les parler sans distinction de niveau de ma&icirc;trise. </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;ai questionn&eacute; les personnes sur les modes d&rsquo;acquisition de leurs savoirs en g&eacute;n&eacute;ral. Il s&rsquo;av&egrave;re qu&rsquo;ils correspondent aux particularit&eacute; de l&rsquo;autodidaxie d&eacute;crites par H&eacute;l&egrave;ne B&eacute;zille-Lesquoy (2003) : des apprentissages dans un contexte non formel, o&ugrave; il est possible d&rsquo;avoir recours &agrave; des personnes-ressources (Verrier, 2023)&nbsp;qui guident les gestes, expliquent, montrent et o&ugrave; le rapport &agrave; l&rsquo;essai/erreur est admis, possible et faisant partie du processus. Kohoko se souvient d&rsquo;une exp&eacute;rience repoussoir en Tunisie, pays par lequel elle est pass&eacute;e pour arriver jusqu&rsquo;en France&nbsp;; apr&egrave;s avoir fugu&eacute; de chez son mari en C&ocirc;te d&rsquo;Ivoire, elle a rencontr&eacute; des personnes qui ont n&eacute;goci&eacute; son passage en Europe par la Tunisie contre un travail pendant quatre mois dans une famille ais&eacute;e chez qui elle travaillait gratuitement pour garder les enfants et s&rsquo;occupait de toute l&rsquo;intendance. Elle se rappelle qu&rsquo;on lui a confi&eacute;, entre autres nombreuses t&acirc;ches, celle du repassage qu&rsquo;elle n&rsquo;avait jamais fait. Elle a demand&eacute;, par r&eacute;flexe apprenant, qu&rsquo;on lui montre comment faire et comme personne n&rsquo;a voulu s&rsquo;y adonner, elle a br&ucirc;l&eacute; un grand nombre de v&ecirc;tements, ignorant que certains tissus ne se repassaient pas et que d&rsquo;autres se repassaient avec des chaleurs variables. C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs cette &laquo;&nbsp;erreur professionnelle&nbsp;&raquo; qui lui a donn&eacute; un argument pour n&eacute;gocier son d&eacute;part, qu&rsquo;elle d&eacute;sirait depuis son arriv&eacute;e. Abdurahmad quant &agrave; lui<b>, </b>soudanais du Nord de 21 ans, b&eacute;n&eacute;ficiaire de la protection subsidiaire, a un souvenir &eacute;mu du chef de chantier qui lui a appris le m&eacute;tier d&rsquo;orpailleur&nbsp;:&nbsp;<q><i>c&rsquo;&eacute;tait un bon professeur</i></q>. </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">4 femmes sur 7 ont radicalement chang&eacute; de vie au moment du mariage et ont estim&eacute; ne rien avoir appris apr&egrave;s. Nos &eacute;changes ont donn&eacute; leur place aux activit&eacute;s de la vie familiale mais sans qu&rsquo;aucune des 4 n&rsquo;en tienne un discours d&rsquo;apprentissage. <i><q>Souvent quand tu te maries, c&#39;est le gar&ccedil;on qui d&eacute;cide, tu dois lui ob&eacute;ir, surtout quand c&#39;est une grande famille. [&hellip;] Tu peux pas te plaindre, tu peux pas dire grand-chose car on t&#39;a d&eacute;j&agrave; donn&eacute; le mari, c&#39;est un probl&egrave;me</q>.</i>&nbsp;(extrait de son entretien) </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Le discours sur leurs exp&eacute;riences, leurs savoirs acquis, leur apprentissage des savoirs et les personnes ressources dans leurs apprentissages semblait parfaitement nouveau pour les 22 personnes que j&rsquo;ai rencontr&eacute;es. J&rsquo;ai eu l&rsquo;impression que les personnes francophones avaient un int&eacute;r&ecirc;t &agrave; me raconter, parfois pour la premi&egrave;re fois de leur vie, leur parcours en g&eacute;n&eacute;ral et leur parcours d&rsquo;apprentissage en particulier quand d&rsquo;autres se demandaient pourquoi je posais ces questions pr&eacute;cises qui accompagnaient leur r&eacute;cit. </span></span></span></p> <p style="text-align:justify">&nbsp;</p> <h3 class="TDFLE-titre2" style="text-align: justify;"><span style="font-size:14pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-weight:bold">3 &ndash; Parler de l&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;entr&eacute;e dans l&rsquo;&eacute;crit</span></span></span></span></h3> <p align="left" style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">&Agrave; chaque fin de r&eacute;cit de vie, j&rsquo;ai pos&eacute; quatre questions aux personnes, en adaptant mon registre de langue et le lexique employ&eacute;, au niveau de compr&eacute;hension des personnes. J&rsquo;ai parfois pos&eacute; la question trois ou quatre fois de fa&ccedil;on diff&eacute;rente et attendu que le regard exprime la compr&eacute;hension. &laquo;&nbsp;<i>Est-ce que vous avez aim&eacute; la formation avec + nom du/de la formateur&middot;rice ?</i>&nbsp;&raquo; 100% des r&eacute;ponses &eacute;taient positives, pour les cinq formateurs et formatrices observ&eacute;es, &agrave; savoir Jos&eacute;phine, Nino, Nicole, Brandon et Lalla. Lorsque j&rsquo;ai affin&eacute; ma deuxi&egrave;me demande&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;<i>D&rsquo;accord et pourquoi c&rsquo;&eacute;tait bien&nbsp;?</i>&nbsp;&raquo;, j&rsquo;ai entendu une majorit&eacute; de fois&nbsp;:&nbsp;<q><i>Parce qu&rsquo;il/elle est gentil&middot;le</i></q>. Drissa donne sa r&eacute;ponse &agrave; elle&nbsp;:&nbsp;<q><i>C&rsquo;est bien le fran&ccedil;ais, les cahiers, c&rsquo;est gentille Jos&eacute;phine [&hellip;]</i>.</q> </span></span></span></p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;ai tent&eacute; de comprendre ce qui se disait derri&egrave;re&nbsp;cette expression&nbsp;: &laquo;&nbsp;<i>&Ccedil;a veut dire quoi gentille&nbsp;?&nbsp;</i>&raquo;. Les r&eacute;ponses ont &eacute;t&eacute; nuanc&eacute;es et tr&egrave;s int&eacute;ressantes&nbsp;: <q><i>Elle explique bien</i></q>, <q><i>Elle crie pas</i></q>, <q><i>Elle est pas fatigu&eacute;e avec nous, tu sais, c&rsquo;est difficile avec nous, &ccedil;a fatigue</i></q>, <q><i>Elle r&eacute;p&egrave;te, une fois, deux fois, trois fois</i></q>&nbsp;(plusieurs extraits des entretiens). Yasmine a pr&eacute;cis&eacute; sa pens&eacute;e ainsi&nbsp;:&nbsp;</span></span></span></p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-size:11.0pt"><q>Nicole, elle apprend bien, avec Nicole je comprends bien, elle explique bien, elle te montre bien. Y&rsquo;a des professeurs ils te dit &quot;Fais &ccedil;a, d&eacute;brouille-toi&quot;, ils n&rsquo;ont pas le temps de te montrer, de bien t&rsquo;expliquer, mais avec Nicole, c&rsquo;est pas le cas, t&rsquo;y arrives pas elle va t&rsquo;aider, elle va te dire &laquo; fais &ccedil;a, fais &ccedil;a &raquo;, elle va te montrer, c&rsquo;est &ccedil;a j&rsquo;ai aim&eacute; chez Nicole.</q>&nbsp;(extrait de son entretien)</span></span></span></span></p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-indent:36pt; text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Ce temps offert, que j&rsquo;ai aussi observ&eacute; dans les cours, a pour partie contribu&eacute; &agrave; ce que les apprentissages aient lieu du point de vue des apprenant&middot;es, ce qui me semble &ecirc;tre le meilleur point de vue si l&rsquo;on consid&egrave;re la logique des dynamiques motivationnelles (Bourgeois, 2018).</span></span></span></p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">La troisi&egrave;me question offrait l&rsquo;occasion de montrer ce qu&rsquo;iels avaient trouv&eacute; bien et utile pour elleux. &laquo;&nbsp;<i>Qu&rsquo;est-ce qui &eacute;tait bien dans la formation&nbsp;?</i>&nbsp;&raquo;<b> </b>et une autre question lorsque la troisi&egrave;me n&rsquo;&eacute;tait pas du tout comprise&nbsp;: &laquo;&nbsp;<i>Vous pouvez me montrer dans le cahier ou sur le t&eacute;l&eacute;phone&nbsp;ce qui &eacute;tait bien ?&nbsp;</i>&raquo; J&rsquo;ai constat&eacute; que certain&middot;es pouvaient lire ce qu&rsquo;iels me montraient et que d&rsquo;autres ne lisaient pas ce qu&rsquo;iels me montraient tout en affirmant que c&rsquo;&eacute;tait quelque chose d&rsquo;int&eacute;ressant, de signifiant pour elleux comme dans l&rsquo;illustration ci-dessous. </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><img src="https://www.numerev.com/img/ck_3160_6_image-20240902232929-7.jpeg" style="width: 300px; height: 300px;" /><img src="https://www.numerev.com/img/ck_3160_6_image-20240902232929-8.jpeg" style="width: 300px; height: 300px;" /></p> <p align="center" style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p align="center" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><i>A gauche, le cahier de Yin (scolaris&eacute;e deux ans), &agrave; droite, le cahier de Drissa (non scolaris&eacute;e). Toutes les deux &eacute;taient d&eacute;butantes &agrave; l&rsquo;oral &agrave; l&rsquo;entr&eacute;e en formation</i></span></span></span></p> <p style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">Yin, &agrave; gauche, montre son cahier mais ne sait pas dire ce qu&rsquo;il y a, ce que c&rsquo;est, ce qu&rsquo;elle a &eacute;crit. Elle dit&nbsp;:&nbsp;<q><i>Moi z&rsquo;enfants parler moi toi &eacute;cole pas &eacute;cole c&rsquo;est la m&ecirc;me</i></q>&nbsp;[Mes enfants me disent qu&rsquo;avec ou sans &eacute;cole, c&rsquo;est la m&ecirc;me chose]<a href="#_ftn8" name="_ftnref8" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[8]</span></span></span></sup></sup></a>. Je comprends qu&rsquo;elle n&rsquo;arrive pas &agrave; lire ce qu&rsquo;elle a &eacute;crit et qu&rsquo;elle n&rsquo;est pas soutenue par ses enfants dans son rythme d&rsquo;apprentissage. A droite, Drissia m&rsquo;explique la pr&eacute;sence des feuilles orange dans son cahier dont je savais, par sa formatrice Jos&eacute;phine, qu&rsquo;elles &eacute;taient d&eacute;di&eacute;es aux informations importantes, transf&eacute;rables &agrave; beaucoup de situations. <q><i>Les juillet, f&eacute;brier, maye [&hellip;] couleur les Jos&eacute;phine, les cahiers, orange, regarder les semaines, les parler, regarder les papiers de Jos&eacute;phine</i>.</q>&nbsp;&nbsp;Elle faisait dans sa description, r&eacute;f&eacute;rence &agrave; un autre papier orange sur lequel &eacute;taient &eacute;crits les mois de l&rsquo;ann&eacute;e. &Agrave; d&eacute;faut d&rsquo;estimer qu&rsquo;iels n&rsquo;ont pas appris &agrave; lire et &agrave; &eacute;crire par cette preuve de non lecture, j&rsquo;ai pris la d&eacute;cision de plut&ocirc;t tenter de voir tout ce qu&rsquo;iels voient, tout ce qu&rsquo;iels ont r&eacute;ussi &agrave; faire pendant cette formation et pour arriver &agrave; l&rsquo;entretien approfondi. Je constate alors qu&rsquo;iels sont, au sortir de formation, communicants par &eacute;crit &agrave; leur mani&egrave;re et &agrave; d&eacute;faut d&rsquo;&ecirc;tre de complets lecteurices/scripteurices. </span></span></span></p> <p style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="TDFLE-Corpsdetexte" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">On en arrive &agrave; la derni&egrave;re question&nbsp;; &laquo;&nbsp;<i>Qu&rsquo;est-ce que &ccedil;a a chang&eacute; dans votre vie cette formation, qu&rsquo;est-ce qui est mieux maintenant, diff&eacute;rent, pas pareil&nbsp;?</i>&nbsp;&raquo;. L&agrave; encore, Yasmine a trouv&eacute; des mots illustrant assez bien ceux des autres &eacute;galement : </span></span></span></p> <p style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-align:justify"><q><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-size:11.0pt">C&rsquo;est en train de changer beaucoup de choses hein, c&rsquo;est en train de m&#39;ouvrir les yeux, j&rsquo;ai l&rsquo;impression que j&rsquo;&eacute;tais dans un autre monde, je suis en train de revenir sur terre en fait, ouais. Parce que je t&rsquo;ai dit que quand tu sais pas lire et &eacute;crire, c&rsquo;est un grand, c&rsquo;est un grand handicap, c&rsquo;est un grand grand handicap, parce que j&rsquo;ai fait l&rsquo;exp&eacute;rience, c&rsquo;est un grand handicap dans ta vie, parce que t&rsquo;as l&rsquo;impression que ton cerveau il est ferm&eacute; tu vois, mais une fois que tu commences &agrave; lire, &eacute;crire ton cerveau &ccedil;a s&rsquo;ouvre, &ccedil;a s&rsquo;ouvre, &ccedil;a s&rsquo;ouvre, et puis tu te sens bien, tu te sens bien dans ton corps, ton cerveau il est bien, tu as l&rsquo;impression que y&rsquo;a un poids qui a quitt&eacute; sur toi, moi souvent y&rsquo;a un truc quand j&rsquo;arrive &agrave; lire je m&rsquo;assois, et puis je souris toute seule, ben j&rsquo;arrive &agrave; le lire, c&rsquo;est incroyable !</span>&nbsp;<span style="font-size:11.0pt">(extrait de son entretien)</span></span></span></span></q></p> <p style="text-align:justify">&nbsp;</p> <h3 class="TDFLE-titre3" style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-weight:bold">La possibilit&eacute; d&rsquo;une vie autrement</span></span></span></span></h3> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">En guise de conclusion, j&rsquo;aimerais avancer qu&rsquo;enqu&ecirc;ter aupr&egrave;s du public apprenant de cours d&rsquo;entr&eacute;e dans la langue et dans l&rsquo;&eacute;crit consiste &agrave; entendre exprim&eacute;es dans un fran&ccedil;ais partag&eacute;, en cours de fabrication souvent, des discours singuliers, rarement exprim&eacute;s, pr&eacute;cieux, des pens&eacute;es et trajectoires o&ugrave; n&rsquo;existent pas vraiment d&rsquo;&eacute;vidences. Si le dispositif d&rsquo;enqu&ecirc;te a cherch&eacute; &agrave; r&eacute;duire les biais et mettre &agrave; profit de nombreux &eacute;l&eacute;ments permettant la compr&eacute;hension mutuelle, il serait faux de dire que cela n&rsquo;a pas entra&icirc;n&eacute; des difficult&eacute;s concr&egrave;tes d&rsquo;approximation des informations &eacute;chang&eacute;es, exprim&eacute;es avec peu de mots, avec pudeur, pendant un exercice de m&eacute;moire souvent lourd et souvent pour la premi&egrave;re fois. &nbsp;&nbsp;</span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">N&eacute;anmoins, le choix est fait de consid&eacute;rer que les phrases prononc&eacute;es pendant les cours ou pendant les entretiens peuvent d&eacute;terminer de nouvelles lectures scientifiques et de nouvelles questions de recherche. Lorsqu&rsquo;Hamidu dit </span></span></span></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-indent:36pt; text-align:justify"><q><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><span style="font-size:11.0pt">Au pays, j&#39;ai le permis, ici j&#39;ai pas le permis. Tu connais les r&egrave;gles l&agrave;-bas. L&agrave;-bas, il n&#39;y a pas de plaque. C&rsquo;est plus facile pour nous. Au pays, je suis m&eacute;canicien, j&rsquo;ai m&ecirc;me mon garage. Ici, y a personne qui prend moi. Ici, c&rsquo;est pas possible (extrait de son entretien)</span></span></span></span></q></p> <p style="border:none; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black">j&rsquo;ai voulu faire cheminer ma question de recherche pour me demander ce qui fait qu&rsquo;il est possible de vivre dans certains pays sans savoir lire et &eacute;crire et dans d&rsquo;autres, ce qui fait que c&rsquo;est impossible ou si difficile. Quels obstacles peuvent &ecirc;tre lev&eacute;s pour qu&rsquo;une personne autodidacte, d&eacute;tentrice du permis et d&rsquo;un m&eacute;tier ou de savoir-faire dans son pays d&rsquo;origine puisse transf&eacute;rer ses comp&eacute;tences, savoirs et savoir-faire &agrave; certaines activit&eacute;s qu&rsquo;elle choisit dans son pays d&rsquo;arriv&eacute;e, de vie ? Toutes les soci&eacute;t&eacute;s sont d&eacute;sormais &laquo;&nbsp;&eacute;crites&nbsp;&raquo; mais comment d&eacute;cident-elles, ou non, d&rsquo;adapter une partie non n&eacute;gligeable du processus d&rsquo;apprentissage, de valorisation de savoirs et des personnes &agrave; celleux qui peuvent apprendre et transf&eacute;rer, transmettre des savoirs sans recourir &agrave; certains &eacute;crits. &Agrave; mon avis, il est davantage du ressort de la soci&eacute;t&eacute; de l&rsquo;&eacute;crit et des &eacute;crits d&rsquo;adapter son monde &agrave; celles et ceux, pas seulement non scriptrices non lectrices du fait de l&rsquo;absence de scolarit&eacute;, qui n&rsquo;ont pas avec l&rsquo;&eacute;crit de rapport d&rsquo;&eacute;vidence, de soutien, d&rsquo;&eacute;panouissement, plut&ocirc;t que l&rsquo;inverse. </span></span></span></p> <div>&nbsp; <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[1]</span></span></span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> J&rsquo;utilise le terme apprenante et apprenant, tant&ocirc;t comme adjectif tant&ocirc;t comme substantif, parce qu&rsquo;il est utilis&eacute; notamment dans le milieu de la formation linguistique d&rsquo;adultes, par le Conseil de l&rsquo;Europe qui consid&egrave;re l&rsquo;apprenant comme un acteur social (</span><a href="http://www.coe.int/fr/web/language-policy/home" style="color:blue; text-decoration:underline"><span style="font-size:10.0pt">www.coe.int/fr/web/language-policy/home</span></a><span style="font-size:10.0pt">) et par l&rsquo;association d&rsquo;alphab&eacute;tisation populaire Lire et Ecrire en Belgique (</span><a href="https://lire-et-ecrire.be/Qu-est-ce-que-l-alphabetisation" style="color:blue; text-decoration:underline"><span style="font-size:10.0pt">https://lire-et-ecrire.be/Qu-est-ce-que-l-alphabetisation</span></a><span style="font-size:10.0pt">). Les termes de stagiaires, de jeunes ou d&rsquo;auditeurs et d&rsquo;auditrices sont utilis&eacute;s par les organismes de formation aupr&egrave;s desquels j&rsquo;ai enqu&ecirc;t&eacute; pour des raisons sp&eacute;cifiques que je ne pouvais pas g&eacute;n&eacute;raliser ici.</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn2"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[2]</span></span></span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> L&rsquo;&eacute;criture inclusive est utilis&eacute;e dans cet article. Elle respecte les pr&eacute;conisations des revues scientifiques, &agrave; l&rsquo;instar de celles de la revue </span><a href="https://www.pratiquesdeformation.fr/73" style="color:blue; text-decoration:underline"><span style="font-size:10.0pt"><span style="color:#1155cc">Pratiques de formation</span></span></a><span style="font-size:10.0pt"> &agrave; savoir l&rsquo;utilisation du point m&eacute;dian, de la recherche de termes &eacute;pic&egrave;nes notamment. A cela s&rsquo;ajoute l&rsquo;utilisation des pronoms iels (pour ils et elles) et celleux (pour celles et ceux).</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn3"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[3]</span></span></span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Extraits de mon journal d&rsquo;enqu&ecirc;te en Seine Saint Denis, janvier-juillet 2024</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn4"> <p style="border:none; text-indent:-16.95pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[4]</span></span></span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Anna CATTAN (Fran&ccedil;oise F. LAOT et Delphine LEROY, dir.)<i>, </i>Les savoirs des personnes qui entrent dans l&rsquo;&eacute;crit &agrave; l&rsquo;&acirc;ge adulte, Universit&eacute; Paris 8, &Eacute;cole doctorale Sciences sociales, Laboratoire EXPERICE.</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn5"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[5]</span></span></span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Le m&eacute;tier de formatrices et formateurs en alphab&eacute;tisation est largement repr&eacute;sent&eacute; par des femmes dans mon enqu&ecirc;te donc le pluriel est au f&eacute;minin. </span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn6"> <p style="border:none; text-indent:-16.95pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[6]</span></span></span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Sont consid&eacute;r&eacute;es comme primo-arrivantes toutes personnes r&eacute;guli&egrave;rement install&eacute;es sur le territoire fran&ccedil;ais depuis 5 ans maximum. Le mus&eacute;e de l&rsquo;Histoire de l&rsquo;immigration propose une rubrique de d&eacute;finition des mots tr&egrave;s &eacute;clairante et &agrave; jour&nbsp;: </span><a href="https://www.histoire-immigration.fr/les-mots" style="color:blue; text-decoration:underline"><span style="font-size:10.0pt">Les mots | Mus&eacute;e de l&#39;histoire de l&#39;immigration (histoire-immigration.fr)</span></a></span></span></span></p> </div> <div id="ftn7"> <p style="border:none; text-indent:-16.95pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[7]</span></span></span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Tous les pr&eacute;noms des formatrices sont des pseudos choisis par elles et les pr&eacute;noms des personnes apprenantes sont soit des pseudos choisis par elles, soit leur pr&eacute;nom parce qu&rsquo;elles le d&eacute;siraient soit enfin des modifications de pr&eacute;nom par moi quand elles n&rsquo;ont pas compris ma demande sur le pseudo).</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn8"> <p style="border:none; text-indent:-16.95pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Arial, sans-serif"><span style="color:black"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><span style="color:black">[8]</span></span></span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Entre crochets, la r&eacute;&eacute;criture de ce qui est dit par la personne pour des lecteurices peu familiaris&eacute;&middot;es avec le fran&ccedil;ais partag&eacute;</span></span></span></span></p> </div> </div>