<p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><em>Ernst Jouthe, </em></span></span><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><em>Professeur retrait&eacute; en travail social, UQAM, Canada.</em></span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Il y a incontestablement chez Gramsci une&nbsp;conception du monde ax&eacute;e sur les rapports entre la nature, l&rsquo;histoire et les hommes vivant en soci&eacute;t&eacute;, omnipr&eacute;sente dans toutes les probl&eacute;matiques abord&eacute;es dans ses diff&eacute;rents &eacute;crits, principalement dans son ouvrage majeur, les <em>Cahiers de Prison</em><a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[1]</span></sup></sup></a><em>.</em> Bien qu&rsquo;elle ne soit pas expos&eacute;e sous la forme syst&eacute;matique d&rsquo;une monographie ou d&rsquo;un trait&eacute; de philosophie, elle est rep&eacute;rable dans la&nbsp;structure en r&eacute;seaux des <em>Cahiers</em>, qui a &eacute;t&eacute; d&eacute;crite comme un &laquo;&nbsp;espace tabulaire &agrave; une infinit&eacute; d&rsquo;entr&eacute;es &raquo;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[2]</span></sup></sup></a>. Parmi ces entr&eacute;es, le <em>mat&eacute;rialisme historique</em> et la <em>philosophie de la praxis</em> constituent deux des rep&egrave;res les plus importants pour d&eacute;finir la conception gramscienne du monde. Andr&eacute; Tosel d&eacute;crit la substitution progressive de <em>philosophie de la praxis</em> &agrave; <em>mat&eacute;rialisme historique</em> comme &laquo;&nbsp;un mouvement int&eacute;rieur qui va des <em>Cahiers</em> 4, 7 et 8 aux <em>Cahiers</em> 10 et 11 qui marquent l&rsquo;ach&egrave;vement de l&rsquo;op&eacute;ration de remplacement lexical et d&rsquo;innovation th&eacute;orique&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[3]</span></sup></sup></a>. Il soutient, contrairement &agrave; une explication souvent avanc&eacute;e par les commentateurs des <em>Cahiers de prison</em>, que l&rsquo;utilisation de <em>philosophie de la praxis</em> n&rsquo;est pas attribuable principalement &agrave; un stratag&egrave;me utilis&eacute; par Gramsci pour &eacute;viter la censure de ses gardiens de prison, mais surtout &agrave; sa volont&eacute; de se d&eacute;marquer du mat&eacute;rialisme historique d&eacute;signant alors le marxisme officiel, et ainsi renouer avec la pens&eacute;e authentique des fondateurs de la philosophie de la praxis, nomm&eacute;ment Marx et Engels. Les <em>Cahiers</em> 10 et 11 contiennent en effet, &agrave; travers leur style critique et pol&eacute;mique, une argumentation substantielle et rigoureuse, un vigoureux plaidoyer pour une nouvelle conception du monde.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Ce plaidoyer s&rsquo;articule autour d&rsquo;une question fondamentale &laquo;&nbsp;Qu&rsquo;est-ce que l&rsquo;homme?&nbsp;&raquo;, que Gramsci consid&egrave;re comme &laquo;&nbsp;la premi&egrave;re et la principale question de la philosophie&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[4]</span></sup></sup></a>. Pour y r&eacute;pondre ad&eacute;quatement, avise-t-il, il faut la reformuler et la poser non pas comme une question abstraite, ni objective, mais une question existentielle port&eacute;e par des sujets qui r&eacute;fl&eacute;chissent sur eux-m&ecirc;mes et sur les autres, sur les conditions concr&egrave;tes d&rsquo;aujourd&rsquo;hui, sur le processus de leurs actes par lesquels ils cr&eacute;ent leur propre vie et se transforment eux-m&ecirc;mes au cours du d&eacute;veloppement historique de l&rsquo;ensemble de l&rsquo;humanit&eacute;. Cette r&eacute;flexion historique-critique &agrave; laquelle convie Gramsci est au centre de sa proposition de refondation de la philosophie de la praxis.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Le but du pr&eacute;sent article est de montrer comment la r&eacute;ponse novatrice de Gramsci &agrave; cette question de &laquo;&nbsp;l&#39;Homme&nbsp;&raquo; ouvre, dans la perspective de l&#39;anthropologie marxienne, des pistes int&eacute;ressantes pour renouveler la probl&eacute;matique de la transformation sociale et du d&eacute;veloppement de la personnalit&eacute; humaine &agrave; travers et au-del&agrave; des contradictions inh&eacute;rentes aux soci&eacute;t&eacute;s modernes.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Nous suivrons d&rsquo;abord quelques indications donn&eacute;es par Gramsci sur les limites des conceptions contemporaines du monde ayant fait l&rsquo;objet de ses critiques, notamment l&rsquo;historicisme id&eacute;aliste et sp&eacute;culatif de B. Croce et le mat&eacute;rialisme m&eacute;taphysique et m&eacute;caniciste de N. Boukharine. Puis, nous tenterons de comprendre le sens de son plaidoyer pour une nouvelle conception du monde unitaire et coh&eacute;rente, en rep&eacute;rant les principaux concepts et arguments mis en avant pour montrer la n&eacute;cessit&eacute;, les finalit&eacute;s et les limites de cette vision. Nous rappellerons enfin certaines indications m&eacute;thodologiques et strat&eacute;giques donn&eacute;es par Gramsci pour l&rsquo;&eacute;laboration, la promotion et la diffusion de cette nouvelle conception du monde.</span></span></p> <h2 style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: center;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:14.0pt"><span style="line-height:115%"><span cambria="" style="font-family:"><span style="color:black">Critique des conceptions contemporaines du monde</span></span></span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Dans ses <em>&Eacute;crits politiques</em><a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[5]</span></sup></sup></a>, ses <em>Lettres de prison</em><a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[6]</span></sup></sup></a>, et tout au long de ses <em>Cahiers de prison</em>, Gramsci critique s&eacute;v&egrave;rement certaines conceptions du monde chez ses contemporains, tant celles port&eacute;es par les intellectuels des classes dominantes que celles des partis et organisations politiques luttant pour changer la soci&eacute;t&eacute;. Sans minimiser l&rsquo;importance des &eacute;crits ant&eacute;rieurs &agrave; la prison, nous nous concentrerons sur les <em>Cahiers de prison</em>, en particulier les <em>Cahiers</em> 10, 11, 12 et 13, o&ugrave; l&rsquo;auteur reprend, reformule et &eacute;labore dans une synth&egrave;se mieux structur&eacute;e et plus approfondie certaines notes esquiss&eacute;es pr&eacute;c&eacute;demment.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Il importe de faire ici quelques remarques sur le contexte dans lequel Gramsci a produit ces quelques deux mille pages de notes. En novembre 1926, au moment de son arrestation puis de son incarc&eacute;ration pour conspiration, il est secr&eacute;taire g&eacute;n&eacute;ral du Parti Communiste Italien et d&eacute;put&eacute; communiste. Sa correspondance avec sa famille, ses proches et ses compagnons, fait &eacute;tat des pr&eacute;occupations du prisonnier politique concernant la crise multidimensionnelle, &eacute;conomique, politique, id&eacute;ologique, intellectuelle et morale, que traversaient les soci&eacute;t&eacute;s occidentales, en particulier la soci&eacute;t&eacute; italienne. Tout aussi pr&eacute;occupantes &eacute;taient les crises internes du Parti communiste italien et du Parti communiste Russe. Dans une lettre &eacute;crite &agrave; sa belle-s&oelig;ur Tatiana Schucht le 27 f&eacute;vrier 1933<a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[7]</span></sup></sup></a> il exprime une profonde inqui&eacute;tude concernant ses relations avec les dirigeants du Parti communiste russe. Franco Lo Pimparo<a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[8]</span></sup></sup></a>, en commentant cette lettre, note que Gramsci se trouvait enferm&eacute; dans deux prisons: l&rsquo;une, la &laquo;&nbsp;prison fasciste&nbsp;&raquo;, le lieu mat&eacute;riel o&ugrave; le procureur du Tribunal sp&eacute;cial du r&eacute;gime fasciste l&rsquo;a incarc&eacute;r&eacute;, avec le propos d&eacute;lib&eacute;r&eacute; d&rsquo;emp&ecirc;cher son cerveau de tourner pendant vingt ans; l&rsquo;autre, le&nbsp;&laquo;&nbsp;labyrinthe communiste&nbsp;&raquo;, le lieu culturel o&ugrave; Gramsci, malgr&eacute; les conditions physiques et psychiques insoutenables, menait ses r&eacute;flexions et ses recherches en &eacute;tant tr&egrave;s conscient des man&oelig;uvres des dirigeants pour censurer, condamner, voire &eacute;liminer mat&eacute;riellement tout ce qui dans ses &eacute;crits &eacute;tait soup&ccedil;onn&eacute; d&rsquo;aller &agrave; l&rsquo;encontre de la ligne de Parti. Robert Paris, dans son introduction g&eacute;n&eacute;rale &agrave; l&rsquo;&eacute;dition critique des <em>Cahiers de prison</em><a href="#_ftn9" name="_ftnref9" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[9]</span></sup></sup></a> souligne &eacute;galement les relations difficiles et tendues, voire conflictuelles, de Gramsci avec ses camarades de prison et les membres de la direction du PCI. Les positions th&eacute;oriques, m&eacute;thodologiques et politiques qu&rsquo;il soutenait durant les ann&eacute;es de prison, dans sa correspondance et ses notes de recherche, ainsi que dans les discussions avec ses compagnons, &eacute;taient jug&eacute;es par les uns et les autres douteuses, erron&eacute;es, non orthodoxes, r&eacute;visionnistes. Dans des rapports plus ou moins explicites au bureau de direction, certains camarades consid&eacute;raient la possibilit&eacute; de le condamner pour ses &laquo;&nbsp;errements&nbsp;&raquo; et de l&rsquo;exclure des rangs du Parti.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Ces relations critiques de Gramsci avec les protagonistes de l&rsquo;orthodoxie marxiste, sous-tendues par son souci de fid&eacute;lit&eacute; aux fondateurs de philosophie de la praxis, ont &eacute;t&eacute; interpr&eacute;t&eacute;es diff&eacute;remment selon la mani&egrave;re de comprendre les liens entre la pens&eacute;e gramscienne et l&rsquo;h&eacute;ritage marxiste. Une des fa&ccedil;ons d&rsquo;appr&eacute;cier &agrave; la fois l&rsquo;actualit&eacute; de la pens&eacute;e gramscienne et l&rsquo;authenticit&eacute; de ses liens avec celle des fondateurs de la philosophie de la praxis consisterait &agrave; rep&eacute;rer dans les <em>Cahiers</em>, non pas un syst&egrave;me de pens&eacute;e lin&eacute;aire et dogmatique, mais des mat&eacute;riaux pour une conception du monde ouverte sur la totalit&eacute; de la praxis humaine, ax&eacute;e sur les liens indissociables entre la pens&eacute;e et l&rsquo;action, ancr&eacute;e sur les rapports dialectiques entre la nature, l&rsquo;histoire et la vie des hommes en soci&eacute;t&eacute;. Cette vision du monde comporte, selon nous, l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; d&rsquo;un ensemble de &laquo;&nbsp;conditions n&eacute;cessaires &agrave; la formation de nouveaux sujets socio-historiques capables d&rsquo;intervenir de fa&ccedil;on d&eacute;lib&eacute;r&eacute;e, critique et ordonn&eacute;e dans le processus de transformation des rapports sociaux au sein d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; historiquement d&eacute;termin&eacute;e <a href="#_ftn10" name="_ftnref10" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[10]</span></sup></sup></a>&raquo;.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a name="h.30j0zll"></a>Pour penser les orientations et les strat&eacute;gies de cette transformation sociale, Gramsci entreprend un travail intellectuel de longue haleine, en partie pour lui-m&ecirc;me, pour sa propre catharsis et <em>fur ewig</em><a href="#_ftn11" name="_ftnref11" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[11]</span></sup></sup></a><em>, </em>pour l&rsquo;&eacute;ternit&eacute;, pour les g&eacute;n&eacute;rations futures. Ce travail intellectuel implique une double d&eacute;marche: l&rsquo;une, de d&eacute;construction dans un style pol&eacute;mique et critique, l&rsquo;autre, de reconstruction ou de refondation, dans un esprit d&rsquo;innovation th&eacute;orique. Gramsci soutient en effet qu&rsquo;il est n&eacute;cessaire de critiquer les conceptions du monde sous-jacentes aux positions des adversaires de toutes tendances qui profitent de la crise du marxisme pour en discr&eacute;diter ou alt&eacute;rer les fondements. Benedetto Croce, entre autres, s&rsquo;est impos&eacute; comme le leader des intellectuels qui ont fait du mat&eacute;rialisme historique l&rsquo;objet de leur critique. Mais le mat&eacute;rialisme historique critiqu&eacute; par Croce n&rsquo;est qu&rsquo;un mat&eacute;rialisme m&eacute;caniciste ax&eacute; sur le d&eacute;terminisme &eacute;conomique, qui ne repr&eacute;sente pas les caract&eacute;ristiques essentielles de la philosophie de la praxis telle que pens&eacute;e par les fondateurs. Par ailleurs, les auteurs qui d&eacute;fendent le marxisme, comme Boukharine et Plekhanov en Russie, repr&eacute;sentants de l&rsquo;orthodoxie du Parti, et ceux qui en pr&eacute;conisent la r&eacute;vision, comme Kautsky et Bernstein en Allemagne, pr&eacute;sentent un mat&eacute;rialisme historique tellement sch&eacute;matique, dogmatique, qu&rsquo;ils alimentent les critiques de ceux qui voient dans le marxisme une utopie, une id&eacute;ologie, un instrument de propagande communiste pour la prise du pouvoir. Cette repr&eacute;sentation du mat&eacute;rialisme historique sous les traits d&rsquo;un &laquo;&nbsp;marxisme vulgaire&nbsp;&raquo; suscite chez Gramsci bien des inqui&eacute;tudes et des interrogations. Pour d&eacute;passer ce mat&eacute;rialisme scl&eacute;ros&eacute;, il importe d&rsquo;&eacute;laborer une conception du monde ad&eacute;quate pour penser et r&eacute;soudre les probl&eacute;matiques li&eacute;es aux conditions socio-&eacute;conomiques des classes laborieuses et des masses populaires, et, plus globalement, &agrave; la crise morale, politique et intellectuelle qui traverse les soci&eacute;t&eacute;s contemporaines. Ces pr&eacute;occupations sont &agrave; la base de son plaidoyer pour une nouvelle conception du monde plus relev&eacute;e.</span></span></p> <h2 style="text-align: center;"><strong><span style="font-size:14.0pt"><span style="line-height:115%"><span calibri="" style="font-family:"><span style="color:black">Plaidoyer pour une nouvelle conception du monde unitaire, coh&eacute;rente, &eacute;mancipatrice</span></span></span></span></strong></h2> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Les principaux &eacute;l&eacute;ments de ce plaidoyer se trouvent dans le <em>Cahier 10</em>, qui forme un ensemble impressionnant de 94 fragments introduits sous le titre g&eacute;n&eacute;ral &laquo; Points de rep&egrave;re pour un essai sur B. Croce&raquo; et regroup&eacute;s autour de trois grands th&egrave;mes: &laquo;&nbsp;Points pour un essai sur Croce&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Introduction &agrave; l&#39;&eacute;tude de la philosophie&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Points de m&eacute;ditation sur l&#39;&eacute;conomie&nbsp;&raquo;. L&#39;ensemble du <em>Cahier</em> est travers&eacute; par une grande pr&eacute;occupation qui habitait Gramsci durant ses ann&eacute;es de prison, celle de r&eacute;gler ses comptes avec Croce, en particulier avec la conception crocienne des rapports entre histoire, philosophie et politique. Le sixi&egrave;me fragment, intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Introduction &agrave; l&#39;&eacute;tude de la philosophie&nbsp;&raquo;, est en fait un point de rep&egrave;re essentiel pour comprendre la perspective dans laquelle Gramsci se place pour &eacute;crire son anti Croce. En effet, il cr&eacute;dite Croce pour sa critique du mat&eacute;rialisme m&eacute;caniciste, du positivisme et du d&eacute;terminisme &eacute;conomique, auxquels le marxisme &eacute;tait associ&eacute;, voire identifi&eacute;, &agrave; cette &eacute;poque. Int&eacute;ressante aussi est la perspective historiciste dans laquelle Croce se situe pour aborder les questions d&rsquo;&eacute;conomie, de politique, d&rsquo;histoire et de philosophie. Ce sont autant d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments que Gramsci croit pouvoir int&eacute;grer, avec les r&eacute;serves critiques n&eacute;cessaires, dans la refondation de la philosophie de la praxis. </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Toutefois, le point nodal de la critique gramscienne de Croce est le suivant&nbsp;: la conception crocienne du monde est fondamentalement un historicisme sp&eacute;culatif qui, en d&eacute;pit de sa filiation avec l&rsquo;id&eacute;alisme allemand dont la quintessence se trouve dans l&rsquo;h&eacute;g&eacute;lianisme, se situe en de&ccedil;&agrave; du niveau de la philosophie de Hegel. Ce que Gramsci reproche essentiellement &agrave; Croce, ainsi qu&rsquo;&agrave; d&rsquo;autres intellectuels contemporains, c&#39;est de s&#39;enfermer dans une conception sp&eacute;culative de la dialectique, qui justifie leur non engagement total dans l&rsquo;action historique concr&egrave;te et leur assure une position confortable au-dessus des contingences de la praxis<a href="#_ftn12" name="_ftnref12" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[12]</span></sup></sup></a>. Cette &laquo;&nbsp;mutilation de la dialectique h&eacute;g&eacute;lienne&nbsp;&raquo; est bien plus qu&rsquo;une erreur philosophique<a href="#_ftn13" name="_ftnref13" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[13]</span></sup></sup></a><sup>.</sup> Elle participe d&rsquo;une strat&eacute;gie li&eacute;e &agrave; la &laquo;&nbsp;r&eacute;volution passive&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[14]</span></sup></sup></a>&raquo; ou &laquo;&nbsp;r&eacute;volution-restauration&nbsp;&raquo;&nbsp;: programme comportant un plan de production et d&rsquo;organisation destin&eacute; &agrave; renforcer l&rsquo;intervention de l&rsquo;&Eacute;tat dans l&rsquo;&eacute;conomie et &agrave; d&eacute;samorcer toute menace de la part des masses populaires.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">&Agrave; l&rsquo;oppos&eacute; de la philosophie sp&eacute;culative de Croce, la philosophie actualiste de Gentile offre &agrave; Gramsci un meilleur point de rep&egrave;re pour reconstruire la philosophie de la praxis. Celle-ci est con&ccedil;ue avant tout comme une&nbsp;&laquo;&nbsp;philosophie en acte&nbsp;&raquo;; non certes au sens d&rsquo;un &laquo;&nbsp;acte pur&nbsp;&raquo; mais bien d&rsquo;un &laquo;&nbsp;acte impur&nbsp;&raquo;, immanent au d&eacute;veloppement historique des rapports sociaux &eacute;conomiques, politiques et id&eacute;ologiques, qui lient les hommes entre eux dans la production de leur vie r&eacute;elle. C&#39;est &agrave; partir de ces pr&eacute;misses que Gramsci aborde la probl&eacute;matique des passages dialectiques entre les &eacute;l&eacute;ments constitutifs de la philosophie de la praxis dans le sixi&egrave;me fragment du <em>Cahier</em> 10, intitul&eacute; &laquo;Introduction &agrave; l&#39;&eacute;tude de la philosophie&nbsp;&raquo;.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Ce fragment est divis&eacute; en quatre notes sur: l) le terme de catharsis; 2) la conception subjective de la praxis et de la philosophie de la praxis; 3) la r&eacute;alit&eacute; du monde ext&eacute;rieur; 4) la traduisibilit&eacute; des langages scientifiques. La premi&egrave;re note contient les &eacute;l&eacute;ments de d&eacute;finition du terme&nbsp;<em>catharsis</em><a href="#_ftn15" name="_ftnref15" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[15]</span></sup></sup></a>, dont nous avons montr&eacute; ailleurs l&rsquo;importance dans la th&eacute;orie politique de Gramsci<a href="#_ftn16" name="_ftnref16" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[16]</span></sup></sup></a>.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">On peut employer le terme de &quot;catharsis&quot; pour d&eacute;signer le passage du moment purement &eacute;conomique (ou &eacute;go&iuml;stico-passionnel) au moment &eacute;thico-politique: <em>l&#39;&eacute;laboration sup&eacute;rieure de la structure en superstructure dans la conscience des hommes.</em> Cela signifie aussi le passage de l&rsquo;&rdquo; objectif au subjectif&quot;, de la &quot;n&eacute;cessit&eacute; &agrave; la libert&eacute;&quot;. <em>La structure, force ext&eacute;rieure qui &eacute;crase l&#39;homme, l&#39;assimile, le rend passif, se transforme en moyen de libert&eacute;, en instrument pour cr&eacute;er une nouvelle forme &eacute;thico-politique, en source de nouvelles initiatives.</em> La d&eacute;termination du moment &quot;cathartique&quot; devient ainsi, me semble-t-il, le point de d&eacute;part de toute la philosophie de la praxis; le processus cathartique co&iuml;ncide avec la cha&icirc;ne de synth&egrave;ses qui sont le r&eacute;sultat du d&eacute;veloppement dialectique<a href="#_ftn17" name="_ftnref17" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[17]</span></sup></sup></a>.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Par le truchement du terme catharsis, utilis&eacute; comme concept pour penser le processus d&rsquo;&eacute;laboration sup&eacute;rieure de la structure en superstructure dans la conscience des hommes, Gramsci met &agrave; jour deux aspects fondamentaux de la philosophie de la praxis: 1) le point de d&eacute;part est bien le moment &eacute;conomique, lequel est l&rsquo;objet de la science &eacute;conomique pouvant &ecirc;tre observ&eacute;, mesur&eacute; et analys&eacute; &agrave; partir des concepts appropri&eacute;s; 2) mais ce point de d&eacute;part n&rsquo;est pas quelque chose d&rsquo;abstrait, ni d&rsquo;absolu; situ&eacute; concr&egrave;tement dans l&rsquo;espace et le temps, il fait partie d&rsquo;un processus de d&eacute;veloppement dialectique, lequel se d&eacute;roule comme une s&eacute;rie de passages: du moment &eacute;conomique au moment &eacute;thico-politique, de la structure &agrave; la superstructure, de l&rsquo;objectif au subjectif, de la n&eacute;cessit&eacute; &agrave; la libert&eacute;. Il est d&rsquo;une grande importance strat&eacute;gique de pouvoir d&eacute;terminer le moment cathartique dans le cours de l&rsquo;histoire concr&egrave;te des luttes &eacute;conomiques, politiques, id&eacute;ologiques. Pour ce faire, il faut conna&icirc;tre la complexit&eacute; de ce processus dans sa mat&eacute;rialit&eacute; et son historicit&eacute;, &agrave; partir d&rsquo;une prise de conscience spontan&eacute;e de la r&eacute;alit&eacute; effective jusqu&rsquo;&agrave; un niveau &eacute;lev&eacute; de conscience critique des contradictions immanentes &agrave; celle-ci. L&rsquo;&eacute;laboration de la structure en superstructure dans la conscience des hommes s&rsquo;oriente ainsi vers une conception du monde sup&eacute;rieure, dans laquelle sont regroup&eacute;s un ensemble de concepts fondamentaux, essentiels pour comprendre les multiples passages ou m&eacute;diations qui s&rsquo;op&egrave;rent entre les diff&eacute;rents moments de la praxis humaine.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Or, ce que Gramsci critique dans l&#39;ouvrage principal de Croce, <em>Mat&eacute;rialisme historique et &eacute;conomie marxiste</em><a href="#_ftn18" name="_ftnref18" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[18]</span></sup></sup></a>, c&rsquo;est de sous-estimer le point de d&eacute;part, le moment &eacute;conomique, en diluant le fait d&eacute;termin&eacute; de la science &eacute;conomique, celui de la production et de la distribution des marchandises, dans un concept philosophique abstrait, d&eacute;connect&eacute; de la r&eacute;alit&eacute; &eacute;conomique effective<a href="#_ftn19" name="_ftnref19" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[19]</span></sup></sup></a>.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Cette b&eacute;vue de Croce, notable dans sa critique du mat&eacute;rialisme historique &agrave; travers le filtre du lib&eacute;ralisme &eacute;conomique, suscite chez Gramsci un s&eacute;rieux doute m&eacute;thodique quant &agrave; la validit&eacute; et la rigueur de cette critique. Il tente de dissiper ce doute en remontant aux sources du mat&eacute;rialisme historique pour, d&rsquo;une part, authentifier les concepts majeurs d&eacute;finis par David Ricardo et autres auteurs de l&rsquo;&eacute;conomie classique, tels que <em>homo economicus</em>, march&eacute; d&eacute;termin&eacute;, valeur travail, r&eacute;gularit&eacute;, rationalit&eacute;, et, d&rsquo;autre part, mettre en relief les transformations op&eacute;r&eacute;es par Marx sur ces concepts pour les int&eacute;grer dans son &eacute;conomie critique. Selon Gramsci, la contribution de Ricardo &agrave; la fondation de la philosophie de la praxis ne se limite pas au concept de valeur et &agrave; l&rsquo;&eacute;tude des lois et des concepts de la science &eacute;conomique, elle est aussi d&rsquo;ordre philosophique et m&eacute;thodologique, et constitue l&#39;un des points de d&eacute;part (des stimuli intellectuels) des exp&eacute;riences philosophiques des fondateurs de la philosophie de la praxis<a href="#_ftn20" name="_ftnref20" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[20]</span></sup></sup></a><sup>.</sup> </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Pour analyser le fait d&eacute;termin&eacute; de la science &eacute;conomique, Gramsci suit le mod&egrave;le de Marx, qui lui-m&ecirc;me s&rsquo;est inspir&eacute; de la dialectique h&eacute;g&eacute;lienne, au point d&rsquo;en faire le fondement de la logique du <em>Capital</em>, selon la fameuse remarque de L&eacute;nine<a href="#_ftn21" name="_ftnref21" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[21]</span></sup></sup></a>. Mais contrairement &agrave; Croce, qui ne retient de cette dialectique que son caract&egrave;re sp&eacute;culatif, Marx l&rsquo;a renvers&eacute;e, l&rsquo;a&nbsp;remise sur ses pieds, sur sa base mat&eacute;rielle, pour en faire une m&eacute;thode et un instrument d&rsquo;analyse concr&egrave;te des rapports et des proc&egrave;s de production de leur vie r&eacute;elle par les hommes eux-m&ecirc;mes. Ce retour aux sources permet &agrave; Gramsci de mettre en perspective les relations Marx/Ricardo et Marx/Hegel, en utilisant une formule &eacute;tonnante: &laquo;&nbsp;la philosophie de la praxis = Hegel + Ricardo<a href="#_ftn22" name="_ftnref22" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[22]</span></sup></sup></a>&nbsp;&raquo;, signifiant la synth&egrave;se dialectique de deux filiations compl&eacute;mentaires, voire contradictoires, au-del&agrave; de l&rsquo;alternative mat&eacute;rialisme et id&eacute;alisme dans laquelle s&rsquo;enfermaient superficiellement les promoteurs et les d&eacute;tracteurs du marxisme du d&eacute;but du si&egrave;cle. </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Pour avancer son plaidoyer en faveur d&rsquo;une nouvelle conception du monde, Gramsci pouvait s&rsquo;appuyer &eacute;galement sur la &laquo;&nbsp;proposition de Labriola&nbsp;&raquo;, laquelle constituait pour lui un point de rep&egrave;re majeur dans le retour critique aux sources de la philosophie de la praxis. C&rsquo;est dans le neuvi&egrave;me fragment du <em>Cahier 16</em>, intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Quelques probl&egrave;mes concernant l&rsquo;&eacute;tude du d&eacute;veloppement de la philosophie de la praxis&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[23]</span></sup></sup></a>&raquo;, qu&rsquo;il s&rsquo;interroge sur les raisons pour lesquelles les &laquo;&nbsp;pr&eacute;tendus orthodoxes&nbsp;&raquo; ont n&eacute;glig&eacute; ou omis d&rsquo;&eacute;tudier le fait important et significatif selon lequel&nbsp;&laquo;&nbsp;la philosophie de la praxis fut un moment de la culture moderne, dans une certaine mesure elle en a d&eacute;termin&eacute; ou f&eacute;cond&eacute; certains courants&nbsp;&raquo;. Face au manque de profondeur et d&rsquo;explication critique des probl&egrave;mes li&eacute;s &agrave; la crise contemporaine du marxisme, il souligne la n&eacute;cessit&eacute; de r&eacute;&eacute;valuer la position du probl&egrave;me selon les termes propos&eacute;s par Antonio Labriola. </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">En effet, selon lui, les probl&egrave;mes concernant l&rsquo;&eacute;tude du d&eacute;veloppement de la praxis sont mal pos&eacute;s si l&rsquo;on s&rsquo;en tient aux tiraillements r&eacute;sultant d&rsquo;une &laquo;&nbsp;double combinaison philosophique&nbsp;&raquo; : d&rsquo;une part, quelques &eacute;l&eacute;ments de la philosophie de la praxis ont &eacute;t&eacute; absorb&eacute;s par certains courants id&eacute;alistes et incorpor&eacute;s &agrave; eux, notamment par Croce, Sorel, Gentile; d&rsquo;autre part, les &laquo;&nbsp;pr&eacute;tendus orthodoxes&nbsp;&raquo;, revendiquant pour le mat&eacute;rialisme historique le statut de philosophie compr&eacute;hensive ne se r&eacute;duisant pas &agrave; un &laquo;&nbsp;canon d&rsquo;interpr&eacute;tation de l&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;, l&rsquo;ont identifi&eacute; au mat&eacute;rialisme traditionnel. D&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;importance de chercher, en d&eacute;veloppant la position de Labriola, des pistes plus f&eacute;condes pour red&eacute;finir la philosophie de la praxis comme &laquo;&nbsp;une philosophie ind&eacute;pendante et originale&nbsp;qui a en soi les &eacute;l&eacute;ments d&rsquo;un d&eacute;veloppement ult&eacute;rieur, capable de faire d&rsquo;elle, c&rsquo;est-&agrave;-dire d&rsquo;une interpr&eacute;tation de l&rsquo;histoire, une philosophie g&eacute;n&eacute;rale <a href="#_ftn24" name="_ftnref24" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[24]</span></sup></sup></a>&raquo;.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Andr&eacute; Tosel, dans un article intitul&eacute; &laquo;&nbsp;<em>Antonio Labriola et la proposition de la philosophie de la praxis&nbsp;</em><a href="#_ftn25" name="_ftnref25" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[25]</span></sup></sup></a>&raquo;, a rep&eacute;r&eacute; un ensemble de concepts innovateurs mis en &oelig;uvre par Labriola pour travailler dans le sens d&rsquo;un renouvellement critique de la philosophie de la praxis, au-del&agrave; des normes et limites de l&rsquo;orthodoxie r&eacute;gnante. Il est int&eacute;ressant de noter les liens f&eacute;conds entre quelques-uns de ces concepts et ceux avanc&eacute;s par Gramsci pour faire de la philosophie de la praxis une philosophie ind&eacute;pendante et originale et l&rsquo;&eacute;lever au statut de philosophie g&eacute;n&eacute;rale.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Pour Labriola et Gramsci, le concept de <em>praxis</em> rev&ecirc;t une importance cruciale. Pourtant, en d&eacute;pit des multiples interpr&eacute;tations dont cette notion a fait l&rsquo;objet, la f&eacute;condit&eacute; de ce concept est souvent insoup&ccedil;onn&eacute;e ou carr&eacute;ment ignor&eacute;e. Pour en red&eacute;couvrir la richesse, comme celle d&rsquo;autres concepts fondamentaux de la philosophie de la praxis, Gramsci propose une m&eacute;thodologie inspir&eacute;e de la philologie, qui peut s&rsquo;av&eacute;rer &eacute;clairante&nbsp;: il s&rsquo;agit d&rsquo;explorer la profondeur et la richesse d&rsquo;une m&eacute;taphore &eacute;lev&eacute;e au statut de concept, en se r&eacute;f&eacute;rant au monde culturel historiquement d&eacute;termin&eacute; dans lequel celui-ci est apparu<a href="#_ftn26" name="_ftnref26" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[26]</span></sup></sup></a>.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Cette m&eacute;thodologie est particuli&egrave;rement appropri&eacute;e pour l&rsquo;&eacute;tude de trois termes grecs, <em>praxis</em>, <em>poi&egrave;sis</em> et <em>catharsis</em>, qui ont connu une destin&eacute;e th&eacute;orique des plus significative. Pour comprendre le terme de <em>praxis</em>, Tosel souligne le sens que lui donne Labriola en le rapprochant du concept de travail, lequel occupe une place centrale dans les r&eacute;flexions gramsciennes sur le moment &eacute;conomique. Si le terme de <em>praxis</em> d&eacute;signe tout le r&eacute;el comme vie dont on reconna&icirc;t l&rsquo;ant&eacute;riorit&eacute;, dont on subit la passion, mais que les hommes associ&eacute;s produisant, agissant, pensant, peuvent transformer, r&eacute;-agir, alors &laquo;&nbsp;il y a &eacute;quivalence entre <em>praxis</em> et travail,&nbsp;et c&rsquo;est pour penser cette unité d&rsquo;une activit&eacute; r&eacute;elle qui est aussi passion du r&eacute;el que Labriola d&eacute;finit la <em>praxis </em>comme travail, <em>lavoro</em><a href="#_ftn27" name="_ftnref27" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[27]</span></sup></sup></a>&nbsp;&raquo;. </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Ainsi, selon la le&ccedil;on labriolienne, le concept qui permet de penser l&rsquo;enracinement des individus humains dans le monde de l&rsquo;homme et dans l&rsquo;histoire de l&rsquo;humanit&eacute; en devenir est celui de l&rsquo;<em>activit&eacute;</em> humaine, o&ugrave; les deux d&eacute;terminations <em>poi&egrave;sis</em> et <em>praxis</em> sont intimement li&eacute;es dans le <em>travail</em> d&eacute;fini au sens &eacute;largi de &laquo;&nbsp;<em>production laborante&nbsp;</em>&raquo; d&rsquo;un milieu artificiel où l&rsquo;activit&eacute;́ s&rsquo;inverse en passion<a href="#_ftn28" name="_ftnref28" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[28]</span></sup></sup></a>. </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Cette dialectique <em>praxis/poi&egrave;sis</em> jette un &eacute;clairage fort pertinent pour comprendre les liens entre la d&eacute;finition de la <em>catharsis</em> propos&eacute;e par Gramsci, la place centrale qu&rsquo;il attribue au concept de travail dans son analyse du moment &eacute;conomique, et la d&eacute;termination du moment cathartique comme point de d&eacute;part de toute la philosophie de la praxis. Rappelons ici que la plupart des utilisations de la notion de <em>catharsis</em> dans la litt&eacute;rature moderne, artistique, psychologique, religieuse, m&eacute;dicale, se r&eacute;f&egrave;rent &agrave; une phrase de la Po&eacute;tique d&#39;Aristote o&ugrave; l&rsquo;auteur mentionne ce terme &agrave; propos de l&#39;effet produit chez les spectateurs par la trag&eacute;die: </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">La trag&eacute;die est la repr&eacute;sentation d&#39;une action noble, men&eacute;e jusqu&#39;&agrave; son terme et ayant une certaine &eacute;tendue, au moyen d&#39;un langage relev&eacute; d&#39;assaisonnements d&#39;esp&egrave;ces vari&eacute;es, utilis&eacute;s s&eacute;par&eacute;ment selon les parties de l&#39;&oelig;uvre; la repr&eacute;sentation est mise en &oelig;uvre par les personnages du drame et n&#39;a pas recours &agrave; la narration; et, en repr&eacute;sentant la piti&eacute; et la frayeur, elle r&eacute;alise une &eacute;puration (catharsis) de ce genre d&#39;&eacute;motions<a href="#_ftn29" name="_ftnref29" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[29]</span></sup></sup></a><sup>.</sup></span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Labriola, en parlant de la &laquo;&nbsp;trag&eacute;die du travail&nbsp;&raquo;, fait implicitement r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la trag&eacute;die grecque pour d&eacute;signer le drame de l&rsquo;existence humaine et le risque immanent &agrave; la praxis humaine&nbsp;: &laquo; Le travail, qui est la note caract&eacute;ristique du vivre humain est devenu le tourment et la mal&eacute;diction de la majorit&eacute;́ des hommes; pr&eacute;misse de toute existence humaine, il est devenu le titre de la soumission du plus grand nombre<a href="#_ftn30" name="_ftnref30" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[30]</span></sup></sup></a> &raquo;. C&rsquo;est dans les termes presque semblables que Gramsci d&eacute;crit le drame humain qui s&rsquo;est d&eacute;roul&eacute; tout au long de l&rsquo;histoire du d&eacute;veloppement de l&rsquo;industrialisme, ainsi que les formes de domination et de coercition utilis&eacute;es par les porteurs de la nouvelle &laquo;&nbsp;civilt&agrave;&nbsp;&raquo;, pour s&eacute;lectionner, &eacute;duquer, discipliner le type d&rsquo;homme conforme aux nouvelles normes et conditions de production<a href="#_ftn31" name="_ftnref31" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[31]</span></sup></sup></a>. Pour qu&rsquo;advienne cette nouvelle civilisation fond&eacute;e sur &laquo;&nbsp;le capital&nbsp;&raquo;, il a fallu en effet mettre en place un ordre socio-&eacute;conomique bas&eacute; sur le rejet brutal et la marginalisation des faibles, des r&eacute;fractaires, des &laquo;&nbsp;non &eacute;ducables&nbsp;&raquo;, des &laquo;&nbsp;a-normaux&nbsp;&raquo;, en somme, de tous ceux qui constituaient des obstacles aux changements sociaux planifi&eacute;s unilat&eacute;ralement par les forces dominantes:</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Jusqu&#39;ici tous les changements dans la fa&ccedil;on d&#39;&ecirc;tre et de vivre se sont produits par coercition brutale, par la domination d&#39;un groupe social sur toutes les forces productives de la soci&eacute;t&eacute;; la s&eacute;lection ou &quot;l&#39;&eacute;ducation&quot; de l&#39;homme adapt&eacute;e aux nouveaux types de civilisation, c&#39;est-&agrave;-dire aux nouvelles formes de production et de travail, s&#39;est r&eacute;alis&eacute;e au moyen de brutalit&eacute;s inou&iuml;es, en jetant dans l&#39;enfer des sous-classes les faibles et les r&eacute;fractaires, ou en les &eacute;liminant compl&egrave;tement<a href="#_ftn32" name="_ftnref32" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[32]</span></sup></sup></a>.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Les &eacute;crits de Gramsci ant&eacute;rieurs aux <em>Cahiers</em>, ainsi que plusieurs notes inclues dans les <em>Cahiers</em>, en particulier sur l&rsquo;am&eacute;ricanisme et le fordisme, donnent de bonnes indications concernant l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t et l&rsquo;attention qu&rsquo;il portait &agrave; l&rsquo;une des probl&eacute;matiques centrales de l&rsquo;&eacute;conomie critique de Marx, &agrave; savoir la subordination du proc&egrave;s de travail par le capital. Cette subordination est l&rsquo;effet tragique d&rsquo;une crise existentielle au sein de l&rsquo;unit&eacute; <em>praxis/poi&egrave;sis</em>, suite &agrave; la scission du proc&egrave;s de travail en travail concret et travail abstrait, et du renversement des rapports sociaux entre les producteurs et les propri&eacute;taires des moyens de production. Le douloureux spectacle de cette crise au sein de la praxis humaine fait partie du drame historique qui se d&eacute;roule &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle de l&rsquo;humanit&eacute; &agrave; travers le monde. Toutefois, en &eacute;valuant les rapports de force en pr&eacute;sence, l&rsquo;ensemble des rapports sociaux contradictoires entre les acteurs de ce drame, Gramsci souligne la capacit&eacute; de r&eacute;sistance des classes subalternes et les luttes effectives men&eacute;es par celles-ci contre les diff&eacute;rentes formes de domination utilis&eacute;es par les classes dirigeantes pour imposer leur ordre socio-&eacute;conomique, politique et culturel, ainsi que leur discipline morale et intellectuelle &agrave; l&rsquo;ensemble de la soci&eacute;t&eacute;.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">D&eacute;j&agrave; dans la <em>Citt&agrave; futura </em>et <em>l&rsquo;Ordino nuovo</em>, Gramsci soulignait la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;un long et exigeant travail politique et culturel pour former un homme nouveau, qui ne soit pas un individu isol&eacute; perdu dans l&rsquo;indiff&eacute;rence de la multitude, mais un&nbsp;&laquo; animal politique&nbsp;&raquo;, un sujet historique de l&rsquo;ordre nouveau, b&acirc;tisseur de la cit&eacute; future. Et ce travail devait se faire selon lui sur le terrain de l&rsquo;&eacute;thique-politique, dans le cadre d&rsquo;un affrontement entre deux ordres, entre deux disciplines&nbsp;: &laquo;&nbsp;La discipline bourgeoise est la seule force qui maintienne solidement l&#39;agr&eacute;gat bourgeois. A discipline, il faut opposer discipline.<a href="#_ftn33" name="_ftnref33" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[33]</span></sup></sup></a>&raquo;. Toutefois, il faut bien le constater, dans cet affrontement, le rapport des forces est in&eacute;gal. In&eacute;gales aussi sont les armes, car, face &agrave; une discipline bourgeoise m&eacute;canique, autoritaire et impos&eacute;e de l&rsquo;ext&eacute;rieur, s&rsquo;oppose une &laquo;&nbsp;discipline qui est autonome et spontan&eacute;e, qui est la vie elle-m&ecirc;me, la pens&eacute;e de la personne qui s&rsquo;y soumet&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn34" name="_ftnref34" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[34]</span></sup></sup></a>. Pour renverser ce rapport de forces, les classes subalternes doivent s&rsquo;auto organiser sur la base d&rsquo;une discipline morale et intellectuelle, purificatrice et lib&eacute;ratrice; en d&rsquo;autres termes, il faut que se produise une vraie <em>catharsis</em> au sein m&ecirc;me de leur <em>praxis</em>, pour que l&rsquo;activit&eacute; humaine sous toutes ses formes soit purifi&eacute;e des &eacute;l&eacute;ments &laquo;&nbsp;&eacute;go&iuml;stes-passionnels&nbsp;&raquo; pour s&rsquo;&eacute;lever &agrave; un niveau sup&eacute;rieur de conscience critique, o&ugrave; la pens&eacute;e et l&rsquo;action, la th&eacute;orie et la pratique, retrouvent leur puissance de f&eacute;condation mutuelle dans le processus de cr&eacute;ation (poi&egrave;sis) de la vie humaine. Cette <em>catharsis</em> comporte un ensemble d&rsquo;op&eacute;rations analogues &agrave; celles enclench&eacute;es par la &laquo;&nbsp;repr&eacute;sentation dramatique d&rsquo;une histoire humaine&nbsp;&raquo; dans la trag&eacute;die grecque, en vue de la purgation et purification des sentiments de frayeur et de piti&eacute; suscit&eacute;s chez les spectateurs. La r&eacute;sultante de ces op&eacute;rations consiste en un&nbsp;d&eacute;passement de la trag&eacute;die du travail, ce que Gramsci consid&egrave;re comme l&rsquo;une des principales finalit&eacute;s de la nouvelle conception du monde, c&rsquo;est-&agrave;-dire le passage de la structure &agrave; la superstructure, de l&rsquo;objectif au subjectif, de la n&eacute;cessit&eacute; &agrave; la libert&eacute;&nbsp;: </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a name="h.1fob9te"></a>&laquo;&nbsp;La structure, force ext&eacute;rieure qui &eacute;crase l&#39;homme, l&#39;assimile, le rend passif, se transforme en moyen de libert&eacute;, en instrument pour cr&eacute;er une nouvelle forme &eacute;thico-politique, en source de nouvelles initiatives.<a href="#_ftn35" name="_ftnref35" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[35]</span></sup></sup></a>&nbsp;&raquo;</span></span></p> <h2 style="text-align: center;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:14.0pt"><span style="line-height:115%"><span style="color:black">Philosophie de la praxis&nbsp;:<br /> &eacute;l&eacute;ments pour une th&eacute;orie de la m&eacute;diation</span></span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">La d&eacute;termination du moment cathartique rev&ecirc;t donc une importance strat&eacute;gique d&rsquo;autant plus grande qu&rsquo;elle permet d&rsquo;&eacute;tablir la base et les param&egrave;tres pour saisir toute l&rsquo;ampleur des crises et enjeux li&eacute;s au passage du moment &eacute;conomique-corporatif au moment &eacute;thico-politique. Gramsci, conscient de la complexit&eacute; et de l&rsquo;immensit&eacute; de la t&acirc;che &agrave; accomplir pour r&eacute;aliser ce passage, en est arriv&eacute; &agrave; concevoir &agrave; partir de la critique de ses processeurs et de ses contemporains le projet d&rsquo;une science politique autonome<a href="#_ftn36" name="_ftnref36" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[36]</span></sup></sup></a>. D&egrave;s le d&eacute;part, il fallait op&eacute;rer une &laquo;&nbsp;r&eacute;volution scientifique&nbsp;&raquo; pour lib&eacute;rer la praxis des courants de pens&eacute;e positivistes, empiristes, m&eacute;canicistes, qui avaient tendance à st&eacute;riliser tant la r&eacute;flexion th&eacute;orique que l&#39;engagement dans l&#39;action concr&egrave;te. &Agrave; cet effet, on trouve dans ses <em>Cahiers</em>, en particulier le <em>Cahier 13</em> intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Petites notes sur la politique de Machiavel&nbsp;&raquo;, un ensemble de mat&eacute;riaux pour un &laquo;&nbsp;exposé &eacute;l&eacute;mentaire de science et d&#39;art politiques compris comme un ensemble de canons pratiques pour la recherche et d&#39;observations particuli&egrave;res, dont l&#39;utilit&eacute;́ est de r&eacute;veiller l&#39;int&eacute;r&ecirc;t pour la r&eacute;alit&eacute;́ effective et de susciter des intuitions politiques plus rigoureuses et plus vigoureuses<a href="#_ftn37" name="_ftnref37" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[37]</span></sup></sup></a>&raquo;. Un exposé &eacute;l&eacute;mentaire de science politique devrait partir du fait primordial irr&eacute;ductible &laquo;&nbsp;qu&#39;il existe r&eacute;ellement des gouvern&eacute;s et des gouvernants, des dirigeants et des dirig&eacute;s<a href="#_ftn38" name="_ftnref38" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[38]</span></sup></sup></a>&raquo;.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">A partir de ce fait primordial, la question fondamentale est de savoir si l&#39;on veut qu&#39;il y ait toujours des gouvern&eacute;s et des gouvernants, des dirigeants et des dirig&eacute;s, ou si l&#39;on veut cr&eacute;er les conditions qui permettront la disparition de la n&eacute;cessit&eacute; de cette division. La r&eacute;ponse &agrave; cette question varie selon la conception que l&rsquo;on se fait de la nature des rapports sociaux entre les hommes&nbsp;: ou bien, l&rsquo;on con&ccedil;oit la division entre dirigeants et dirig&eacute;s comme &eacute;tant li&eacute;e au principe universel de la division du genre humain, ou bien, on la consid&egrave;re comme un fait historique par cons&eacute;quent sujet au changement dans des conditions d&eacute;termin&eacute;es. Si l&rsquo;on pr&eacute;suppose que le rapport entre dirigeants et dirig&eacute;s, gouvernants et gouvern&eacute;s n&#39;est pas une donn&eacute;e naturelle mais un rapport socio-historique, on peut formuler l&#39;hypoth&egrave;se que ce rapport remonte, en derni&egrave;re analyse, à une division de la soci&eacute;t&eacute;́ en classes dirigeantes et subalternes. C&#39;est aussi un rapport dialectique, en ce sens que les termes interagissent l&#39;un sur l&#39;autre, dans un mouvement continuel d&rsquo;opposition, de lutte pour la conqu&ecirc;te de la position dominante. Dans des situations d&eacute;termin&eacute;es à l&#39;int&eacute;rieur de diff&eacute;rents groupes, les acteurs occupent par rapport à un but recherché, tant&ocirc;t la position de dirigeants, tant&ocirc;t celle de dirig&eacute;s. Le passage d&#39;une position &agrave; l&rsquo;autre d&eacute;pend, entre autres, de la capacit&eacute;́ de distance critique vis-à-vis des id&eacute;ologies par lesquelles les uns et les autres tentent de s&#39;influencer mutuellement, pour les analyser concr&egrave;tement dans une situation particuli&egrave;re, et les comprendre en les pla&ccedil;ant dans une perspective historique g&eacute;n&eacute;rale. Pour changer le rapport des forces entre les classes dirigeantes et les classes subalternes, ces derni&egrave;res ont besoin de former leurs propres dirigeants. Et le probl&egrave;me de la formation des dirigeants se pose alors dans les termes suivants: quelles sont les conditions n&eacute;cessaires à la formation de nouveaux sujets socio-historiques capables d&#39;intervenir de fa&ccedil;on délibérée, critique et ordonn&eacute;e dans le processus de transformation des rapports sociaux au sein d&#39;une soci&eacute;t&eacute;́ historiquement d&eacute;termin&eacute;e ?</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Cette formation des dirigeants n&eacute;cessite l&rsquo;appropriation et l&rsquo;assimilation critique des outils conceptuels et m&eacute;thodologiques ad&eacute;quats pour conna&icirc;tre l&rsquo;histoire concr&egrave;te des luttes de classes, analyser les situations conjoncturelles et les rapports de force en pr&eacute;sence, pr&eacute;voir et mettre en &oelig;uvre les strat&eacute;gies appropri&eacute;es pour la conqu&ecirc;te de l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie par la soci&eacute;t&eacute; civile et les masses populaires.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a name="h.3znysh7"></a>La plupart des commentateurs de Gramsci ont soulign&eacute; la place pr&eacute;pond&eacute;rante occup&eacute;e par le concept d&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie dans ses &eacute;crits, bien que tous ne s&rsquo;accordent pas sur sa port&eacute;e th&eacute;orique, politique et m&eacute;thodologique. Faute de placer l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie dans le contexte s&eacute;mantique imm&eacute;diat de son utilisation et dans la perspective th&eacute;orique o&ugrave; se place Gramsci, le risque est r&eacute;el de passer &agrave; c&ocirc;t&eacute; du travail intellectuel de haut niveau qu&rsquo;il s&rsquo;est impos&eacute; pour &eacute;laborer cette science politique comme partie int&eacute;grante de la philosophie de la praxis. Bien que la plupart de ces concepts aient &eacute;t&eacute; utilis&eacute;s plus ou moins explicitement par ses pr&eacute;d&eacute;cesseurs et ses contemporains, le caract&egrave;re novateur du travail de Gramsci, comme l&rsquo;ont soulign&eacute; Hoare et Sperber consiste &agrave; les &laquo;&nbsp;approfondir de fa&ccedil;on d&eacute;cisive, &hellip; &agrave; &eacute;tendre leurs champs d&rsquo;applications, &agrave; les doter d&rsquo;une plus grande r&eacute;sonnance th&eacute;orique, en somme &agrave; les m&eacute;tamorphoser en outils de compr&eacute;hension du social autrement plus puissants qu&rsquo;ils ne l&rsquo;&eacute;taient auparavant<a href="#_ftn39" name="_ftnref39" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[39]</span></sup></sup></a>&nbsp;&raquo;. Ainsi en est-il du concept d&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie qui, approfondi, enrichi et &eacute;largi, permet de mieux comprendre un ensemble de concepts pertinents pour aborder les questions d&rsquo;&eacute;thique-politique. Nous voudrions souligner en particulier la pertinence de ce dernier concept pour comprendre la probl&eacute;matique de la transformation des rapports sociaux au centre du projet gramscien de refondation de la philosophie de la praxis. &Agrave; ce propos, nous souscrivons &agrave; la remarque d&rsquo;Andr&eacute; Tosel, selon laquelle le fil rouge qui traverse les &eacute;crits de Gramsci est celui de &laquo;&nbsp;la recherche de la conqu&ecirc;te de l&#39;h&eacute;g&eacute;monie par les masses constitu&eacute;es en sujet historique ayant une part active et consciente dans la transformation du monde<a href="#_ftn40" name="_ftnref40" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[40]</span></sup></sup></a>&nbsp;&raquo;. Cette conqu&ecirc;te de l&#39;h&eacute;g&eacute;monie n&#39;est en rien une entreprise spontan&eacute;e et illusoire: elle rel&egrave;ve de la science politique, science de l&#39;analyse et de la transformation des rapports sociaux. Cette science de la praxis humaine ne peut s&#39;&eacute;difier sans int&eacute;grer les concepts fondamentaux de l&#39;économie, de la morale, de la philosophie, de la psychologie, en somme, de tous les param&egrave;tres dont l&#39;homme a besoin pour se conna&icirc;tre comme sujet socio-historique situé dans un monde en devenir (<em>homo sapiens</em>), et se forger en transformant ce monde (<em>homo faber</em>). En d&rsquo;autres termes, la science de la praxis humaine met en relation trois processus fondamentaux&nbsp;: la construction de l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie, le processus cathartique, et le processus d&rsquo;autonomisation/&eacute;mancipation des sujets historiques. L&rsquo;analyse, la compr&eacute;hension critique et la mise en &oelig;uvre de cet ensemble de processus sont &agrave; la base de la philosophie de la praxis qui, selon Tosel, se pr&eacute;sente comme une th&eacute;orie de la m&eacute;diation, de la catharsis économie-politique<a href="#_ftn41" name="_ftnref41" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[41]</span></sup></span></sup></a>. En analysant les d&eacute;terminations du concept de <em>catharsis,</em> nous avons &eacute;galement rep&eacute;r&eacute; dans la philosophie de la praxis reconceptualis&eacute;e par Gramsci les &eacute;l&eacute;ments d&rsquo;une th&eacute;orie de la m&eacute;diation<a href="#_ftn42" name="_ftnref42" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[42]</span></sup></sup></a> o&ugrave; <em>praxis</em>, <em>catharsis</em> et autonomie sont dialectiquement li&eacute;s dans la construction de l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie par les masses populaires. Cette th&eacute;orie g&eacute;n&eacute;rale permet en effet de conceptualiser de fa&ccedil;on coh&eacute;rente les multiples contradictions et m&eacute;diations qui caract&eacute;risent les rapports dialectiques entre les sph&egrave;res de l&rsquo;&eacute;conomie, de la politique et de l&rsquo;id&eacute;ologie. La relation entre autonomie, <em>catharsis </em>et <em>praxis </em>peut &ecirc;tre repr&eacute;sent&eacute;e comme un processus circulaire dans lequel on aurait l&rsquo;&eacute;quation suivante: une <em>praxis </em>humaine d&eacute;termin&eacute;e a d&#39;autant plus de possibilit&eacute; d&#39;aboutir &agrave; la transformation de la r&eacute;alit&eacute; effective qu&#39;elle int&egrave;gre toutes les &eacute;nergies disponibles parmi les individus, groupes et mouvements sociaux qui luttent pour conqu&eacute;rir l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie de l&#39;ensemble de la soci&eacute;t&eacute; civile et politique. La somme d&rsquo;&eacute;nergie n&eacute;cessaire pour mener jusqu&#39;au bout les t&acirc;ches li&eacute;es &agrave; cette <em>praxis</em> cr&eacute;atrice et transformatrice ne peut venir de l&rsquo;ext&eacute;rieur. Elle est le produit des multiples &eacute;nergies lib&eacute;r&eacute;es chez les sujets socio-historiques vivant l&rsquo;exp&eacute;rience d&#39;une <em>catharsis </em>individuelle et collective.</span></span></p> <h2 style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: center;"><span style="font-size:14.0pt"><span style="line-height:115%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">Philosophie de la praxis&nbsp;:<br /> humanisme absolu de l&rsquo;histoire</span></span></span></span></h2> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">La d&eacute;termination du moment cathartique &agrave; partir d&rsquo;une science &eacute;conomique rigoureuse et d&rsquo;une science politique autonome, dans le cadre d&rsquo;une th&eacute;orie g&eacute;n&eacute;rale de la m&eacute;diation, s&rsquo;inscrit dans une perspective &eacute;thique, o&ugrave; doit &ecirc;tre prise en compte la finalit&eacute; de la totalit&eacute; de la praxis humaine. Pour conceptualiser la praxis humaine dans une perspective &eacute;thique g&eacute;n&eacute;rale, Gramsci emploie les termes &laquo;&nbsp;historicisme&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;humanisme&nbsp;&raquo; souvent utilis&eacute;s par ses contemporains, en prenant soin toutefois de les retraduire pour en faire les concepts cl&eacute;s de la nouvelle conception du monde. Rappelons le texte et le contexte o&ugrave; il a &eacute;nonc&eacute; cette proposition, qui pourrait &ecirc;tre une quasi signature de son testament philosophique: &laquo;&nbsp;La philosophie de la praxis est&nbsp;l&rsquo;historicisme absolu, la mondanisation et la terrestrit&eacute; absolue de la pens&eacute;e, un humanisme absolu de l&rsquo;histoire. C&rsquo;est en suivant cette ligne qu&rsquo;il faut mettre au jour le filon d&rsquo;une nouvelle conception du monde<a href="#_ftn43" name="_ftnref43" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[43]</span></sup></sup></a>&nbsp;&raquo;. Bien entendu l&rsquo;emploi de ces termes n&rsquo;a pas manqu&eacute; de soulever des critiques, en particulier dans les rangs de ceux que Gramsci appelait les &laquo;&nbsp;pr&eacute;tendus orthodoxes&nbsp;&raquo; du marxisme. Et l&rsquo;on sait que ces pol&eacute;miques ont perdur&eacute;, longtemps apr&egrave;s sa mort, dans les d&eacute;bats th&eacute;oriques<a href="#_ftn44" name="_ftnref44" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[44]</span></sup></sup></a> au sein des diff&eacute;rents courants marxistes vers le milieu du XX&egrave;me si&egrave;cle. Nous ne nous attarderons pas ici &agrave; ces d&eacute;bats d&rsquo;&eacute;cole, devenus d&rsquo;ailleurs obsol&egrave;tes apr&egrave;s la crise du marxisme contemporain et moins pertinents dans un contexte de refondation de la philosophie de la praxis par un retour critique &agrave; la pens&eacute;e marxienne.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Et pourtant le contexte s&eacute;mantique imm&eacute;diat dans lequel cette proposition fut formul&eacute;e illustre bien une exigence fondamentale de la formation de l&rsquo;esprit scientifique, souvent &eacute;voqu&eacute;e par Gramsci. Dans une note sur la mani&egrave;re de poser les probl&egrave;mes historico-critiques, il recommande de participer &agrave; la discussion scientifique non pas comme dans un proc&egrave;s de justice, o&ugrave; il y a un procureur dont la fonction consiste &agrave; montrer que l&rsquo;accus&eacute; est coupable et m&eacute;rite d&rsquo;&ecirc;tre retir&eacute; de la circulation, mais dans une d&eacute;marche d&rsquo;assimilation critique. Si les interlocuteurs s&rsquo;accordent pour reconna&icirc;tre que l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de la discussion scientifique r&eacute;side dans la recherche de la v&eacute;rit&eacute; et le progr&egrave;s de la science, alors celui qui se place du point de vue selon lequel l&rsquo;adversaire peut exprimer une exigence qui doit &ecirc;tre int&eacute;gr&eacute;e, m&ecirc;me comme moment secondaire, &agrave; sa propre construction, s&rsquo;av&egrave;re &ecirc;tre le &laquo;&nbsp;plus avanc&eacute;&nbsp;&raquo;. La fin de cette note &eacute;quivaut &agrave; une pr&eacute;cieuse le&ccedil;on gramscienne sur la mani&egrave;re d&rsquo;orienter le plaidoyer pour une nouvelle conception du monde:</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Comprendre et &eacute;valuer de mani&egrave;re r&eacute;aliste les positions et les raisons de l&#39;adversaire (et parfois toute la pens&eacute;e pass&eacute;e est un adversaire) signifie justement se lib&eacute;rer du carcan des id&eacute;ologies (au sens p&eacute;joratif, de fanatisme id&eacute;ologique aveugle). C&#39;est se placer d&#39;un point de vue &quot;critique&quot;, le seul qui soit f&eacute;cond dans la recherche scientifique<a href="#_ftn45" name="_ftnref45" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[45]</span></sup></sup></a>.<sup> </sup></span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">La v&eacute;rit&eacute; ne peut &ecirc;tre atteinte qu&#39;&agrave; travers les oppositions, les contradictions, les luttes, qui font partie int&eacute;grante des discussions scientifiques. La v&eacute;rit&eacute; concr&egrave;te est le produit d&#39;un long processus de d&eacute;lib&eacute;ration et d&#39;assimilation critique, &agrave; l&rsquo;oppos&eacute; du dogmatisme, du fanatisme et du conservatisme orthodoxe. Or, pr&eacute;cis&eacute;ment, c&rsquo;est dans le cadre d&rsquo;une critique g&eacute;n&eacute;rale du manuel de sociologie populaire de Boukharine que Gramsci pr&eacute;cise et clarifie un ensemble de concepts, qui n&rsquo;ont pas &eacute;t&eacute; assimil&eacute;s avec l&rsquo;ouverture d&rsquo;esprit et le sens critique qu&rsquo;on aurait souhait&eacute; trouver dans un manuel pr&eacute;tendant exposer l&rsquo;essentiel du mat&eacute;rialisme historique&nbsp;: par exemple, historicit&eacute;, immanence, orthodoxie. Il ressort de cette mise au point conceptuelle que Gramsci entend opposer &agrave; un marxisme orthodoxe, scl&eacute;ros&eacute;, une philosophie vivante, une philosophie de l&rsquo;immanence, intimement li&eacute;e &agrave; l&rsquo;histoire de la production de leur vie r&eacute;elle par les hommes eux-m&ecirc;mes.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Cette conception radicale de l&rsquo;historicit&eacute; implique que toute philosophie, toute science, bref tout ce qui concerne la pens&eacute;e et l&rsquo;action humaine dans ce monde, s&rsquo;inscrit dans une perspective de d&eacute;veloppement historique. Et la philosophie de la praxis n&rsquo;&eacute;chappe pas &agrave; ce paradigme: son historicit&eacute; est attribuable au fait qu&#39;elle est li&eacute;e aux contradictions historiques inh&eacute;rentes au passage de la n&eacute;cessit&eacute; &agrave; la libert&eacute;, qu&#39;elle est la pleine conscience de ces contradictions et &eacute;l&egrave;ve la contradiction au rang d&#39;un principe de connaissance et par cons&eacute;quent d&#39;action. D&rsquo;o&ugrave; cette conclusion paradoxale sur l&rsquo;&eacute;volution, le d&eacute;passement et la disparition de la philosophie de la praxis : </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Donc si l&#39;on d&eacute;montre que les contradictions dispara&icirc;tront, on d&eacute;montre implicitement que la philosophie de la praxis &eacute;galement dispara&icirc;tra, c&#39;est-à-dire sera surmont&eacute;e; dans le r&egrave;gne de la &quot;libert&eacute;&quot;, la pens&eacute;e, les id&eacute;es ne pourront plus na&icirc;tre sur le terrain des contradictions et de la n&eacute;cessite de la lutte.<a href="#_ftn46" name="_ftnref46" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[46]</span></sup></sup></a></span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Gramsci &eacute;tait tr&egrave;s lucide sur la difficult&eacute; d&rsquo;accepter intellectuellement ce diagnostic radical et r&eacute;aliste concernant l&rsquo;avenir de la philosophie de la praxis. Cette difficult&eacute; est inh&eacute;rente &agrave; toute philosophie historiciste, qui affirme th&eacute;oriquement que toute v&eacute;rit&eacute; que l&#39;on a crue &eacute;ternelle et absolue a eu des origines pratiques et a repr&eacute;sent&eacute; une valeur provisoire. Il est difficile &laquo;&nbsp;pratiquement&nbsp;&raquo; d&rsquo;admettre que cette conception de la v&eacute;rit&eacute; est valable pour la philosophie de la praxis elle-m&ecirc;me, sans provoquer des &laquo;&nbsp;drames de conscience&nbsp;&raquo; susceptibles d&rsquo;aboutir &agrave; des attitudes qui &eacute;quivalent &agrave; contourner la v&eacute;rit&eacute; ou &agrave; occulter des aspects essentiels de la r&eacute;alit&eacute; historique. C&rsquo;est pour &eacute;viter les pi&egrave;ges de l&rsquo;id&eacute;ologie, du dogmatisme et du volontarisme, que Gramsci rappelle l&rsquo;importance &agrave; la fois d&rsquo;entretenir les passions et les convictions n&eacute;cessaires &agrave; l&rsquo;action et, en m&ecirc;me temps, d&rsquo;avoir suffisamment de distance critique par rapport &agrave; ces convictions passions pour les situer dans une perspective historique plus large, et ainsi voir leur relativit&eacute;, leur caducit&eacute; comme pour toute conception du monde et de la vie. </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">En d&eacute;signant la philosophie de la praxis comme &laquo;&nbsp;un humanisme absolu de l&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;, Gramsci entend resituer le mat&eacute;rialisme historique dans la perspective globale du devenir de l&rsquo;humanit&eacute; et des enjeux qui lui sont li&eacute;s: la place des hommes dans la nature et dans l&rsquo;histoire, leur r&ocirc;le actif comme sujets historiques, individuels et collectifs, dans la transformation des rapports sociaux et l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;un homme nouveau. La vision humaniste de Gramsci transpara&icirc;t dans ses <em>&Eacute;crits politiques</em> datant de la p&eacute;riode (1914-1926) o&ugrave; il s&rsquo;exprimait en journaliste, jeune militant socialiste engag&eacute; et homme de Parti, avant de trouver dans les <em>Cahiers de prison</em> une formulation plus &eacute;labor&eacute;e et plus argument&eacute;e dans le cadre des discussions critiques avec ses contemporains. </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Une des pr&eacute;misses de cette vision humaniste se trouve dans un article du journal <em>Il Grido del Populo</em>, publi&eacute; le 4 mai 1918 sous le titre &laquo;&nbsp;Notre Marx&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn47" name="_ftnref47" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[47]</span></sup></sup></a>, o&ugrave; il revendique la l&eacute;gitimit&eacute; de sa filiation &agrave; Marx, non pas sur la base d&rsquo;un rituel, d&rsquo;une doctrine absolue ou d&rsquo;imp&eacute;ratifs cat&eacute;goriques, mais en se r&eacute;f&eacute;rant &agrave; la mani&egrave;re exceptionnelle dont son &oelig;uvre a marqu&eacute; l&rsquo;histoire de l&rsquo;humanit&eacute;. Il cr&eacute;dite Marx d&rsquo;avoir mis en place les fondements d&rsquo;une nouvelle conception de l&rsquo;histoire comme &eacute;v&eacute;nement, comme activit&eacute; pratique et consciente des hommes produisant leur vie r&eacute;elle, comme activit&eacute; &eacute;conomique et morale<a href="#_ftn48" name="_ftnref48" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[48]</span></sup></sup></a>. Selon l&rsquo;interpr&eacute;tation gramscienne de l&rsquo;anthropologie marxienne, l&rsquo;homme est d&eacute;finitivement au centre de l&rsquo;histoire, dans laquelle il avance par la pens&eacute;e, en approfondissant la connaissance de soi-m&ecirc;me et de ses relations avec la r&eacute;alit&eacute; objective; par l&rsquo;action, en cherchant &agrave; ma&icirc;triser &laquo;&nbsp;le secret qui fait jouer la succession r&eacute;elle des &eacute;v&eacute;nements&nbsp;&raquo; ; et par la puissance de sa volont&eacute; individuelle, laquelle en &laquo;&nbsp;ob&eacute;issant &agrave; la n&eacute;cessit&eacute; en s&rsquo;y soumettant &hellip; finit par dominer cette n&eacute;cessit&eacute; m&ecirc;me, en l&rsquo;identifiant avec le but qu&rsquo;elle poursuit&nbsp;&raquo;. Cette indication pr&eacute;liminaire sur le passage de la n&eacute;cessit&eacute; &agrave; la libert&eacute;, qui sera reprise dans la note du <em>Cahier 10</em> sur la d&eacute;finition du terme <em>catharsis</em>, est en m&ecirc;me temps un marqueur important dans la reformulation de la philosophie de la praxis comme &laquo;&nbsp;humanisme absolu de l&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;. </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">L&rsquo;homme se conna&icirc;t lui-m&ecirc;me, [&hellip;]. Qui donc se conna&icirc;t soi-m&ecirc;me? Non point l&rsquo;homme en g&eacute;n&eacute;ral, mais celui qui subit le joug de la n&eacute;cessit&eacute;. Rechercher l&rsquo;essence de l&rsquo;histoire, la d&eacute;terminer dans le syst&egrave;me et dans les rapports de production et d&rsquo;&eacute;change, permet de d&eacute;couvrir comment la soci&eacute;t&eacute; des hommes est scind&eacute;e en deux classes<a href="#_ftn49" name="_ftnref49" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[49]</span></sup></sup></a>...</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Cette prise de conscience de la scission de la soci&eacute;t&eacute; en deux classes, classes poss&eacute;dantes des moyens de production et classes productives de la valeur travail, classes dirigeantes et classes subalternes, est le point de d&eacute;part d&rsquo;une praxis ax&eacute;e sur la &laquo;&nbsp;volont&eacute;&nbsp;&raquo; de transformer ces rapports de classes. Cette &laquo;&nbsp;volont&eacute;&nbsp;&raquo;, qui signifie &laquo;&nbsp;conscience du but&nbsp;&raquo;, implique &laquo;&nbsp;une notion exacte de ses propres possibilit&eacute;s et des moyens dont on dispose pour les exprimer dans l&rsquo;action&nbsp;&raquo;. Cette &laquo;&nbsp;volont&eacute;&nbsp;&raquo; signifie aussi &laquo;que l&rsquo;on d&eacute;termine, que l&rsquo;on identifie bien quelle est la classe &agrave; laquelle on appartient, et qu&rsquo;il y ait une organisation homog&egrave;ne et disciplin&eacute;e, tendue vers ses propres objectifs sp&eacute;cifiques, sans d&eacute;viations ni h&eacute;sitations<a href="#_ftn50" name="_ftnref50" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[50]</span></sup></sup></a>&raquo;.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a name="h.2et92p0"></a>Quand, plus tard dans ses <em>Cahiers</em>, Gramsci reviendra sur le th&egrave;me de l&rsquo;humanisme, il tracera une ligne de d&eacute;marcation des plus claire entre l&rsquo;humanisme abstrait, omnipr&eacute;sent dans les diff&eacute;rentes philosophies contemporaines, et l&rsquo;humanisme absolu auquel il identifie la philosophie de la praxis comme nouvelle conception du monde. Cette ligne de d&eacute;marcation, il la d&eacute;finira &agrave; partir de la VI&egrave;me Th&egrave;se sur Feuerbach<a href="#_ftn51" name="_ftnref51" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[51]</span></sup></sup></a>, selon laquelle l&rsquo;essence humaine est dans l&rsquo;ensemble des rapports sociaux, et en critiquant sur cette base certaines notions, telles que l&rsquo;homme en g&eacute;n&eacute;ral, la nature humaine, l&rsquo;individualisme, le progr&egrave;s et le devenir, couramment utilis&eacute;es pour poser les probl&egrave;mes des relations entre l&rsquo;humanit&eacute;, la nature et l&rsquo;histoire. </span></span></p> <h2 style="text-align: center;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:14.0pt"><span style="line-height:115%"><span style="color:black">Philosophie de la praxis&nbsp;:<br /> &eacute;l&eacute;ments pour une th&eacute;orie mat&eacute;rialiste du d&eacute;veloppement de la personnalit&eacute; humaine</span></span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Gramsci aborde explicitement la question de &laquo;&nbsp;l&rsquo;homme &raquo; dans le fragment 35 du <em>Cahier 7</em>, o&ugrave; il discute des notions de &laquo;&nbsp;mat&eacute;rialisme et de mat&eacute;rialisme historique&nbsp;&raquo;. Le probl&egrave;me ne se pose plus en termes de nature humaine abstraite, ni d&rsquo;homme en g&eacute;n&eacute;ral, concepts qui servaient de pr&eacute;textes pour &eacute;laborer une anthropologie naturaliste ax&eacute;e sur l&rsquo;unit&eacute; du genre humain. Cette unit&eacute; du genre humain n&rsquo;est fond&eacute;e, selon cette note, ni sur la nature biologique, ni sur la facult&eacute; de raisonner, mais sur l&rsquo;ensemble des rapports sociaux entre les hommes et dans leur d&eacute;veloppement historique:</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">&nbsp;La r&eacute;ponse la plus satisfaisante est que la &laquo;&nbsp;nature humaine&nbsp;&raquo; est l&rsquo; &laquo;&nbsp;ensemble des rapports sociaux&nbsp;&raquo; parce qu&rsquo;elle inclut l&rsquo;id&eacute;e du devenir: l&rsquo;homme devient, il se transforme continuellement avec la transformation des rapports sociaux et parce qu&rsquo;il nie l&rsquo;&nbsp;homme en g&eacute;n&eacute;ral [&hellip;] On peut aussi dire que la nature de l&rsquo;homme est l&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;histoire&nbsp;&raquo;, si on donne justement &agrave; histoire la signification de &laquo;&nbsp;devenir&nbsp;&raquo;, dans une &laquo;&nbsp;<em>concordia-discors</em>&nbsp;&raquo; qui ne part pas de l&rsquo;unit&eacute;, mais porte en soi les raisons d&rsquo;une unit&eacute; possible<a href="#_ftn52" name="_ftnref52" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[52]</span></sup></sup></a><em>.</em></span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Dans les fragments 48 et 52 du <em>Cahier</em> 10, il aborde &agrave; nouveau la m&ecirc;me question fondamentale, une argumentation encore plus serr&eacute;e, &agrave; partir d&rsquo;une analyse des diff&eacute;rences et ressemblances entre les termes de progr&egrave;s et de devenir. Une fois &eacute;tablie que le progr&egrave;s est une id&eacute;ologie et le devenir un concept philosophique, l&rsquo;histoire de l&rsquo;utilisation de ces termes dans diff&eacute;rents courants de pens&eacute;e est marqu&eacute;e par l&rsquo;impossibilit&eacute; de distinguer clairement l&rsquo;id&eacute;e du progr&egrave;s et l&rsquo;id&eacute;e du devenir dans la fa&ccedil;on de poser les questions relatives au devenir de l&rsquo;humanit&eacute;. C&rsquo;est la mani&egrave;re de poser le probl&egrave;me qu&rsquo;il faut repenser. Pour ce faire, il faut r&eacute;former le concept d&rsquo;homme, toujours &agrave; partir du pr&eacute;suppos&eacute; g&eacute;n&eacute;ral de la VI&egrave;me Th&egrave;se sur Feuerbach, cette fois-ci, en approfondissant les concepts homme-individu et homme-masse, individualit&eacute; et personnalit&eacute;.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Tout d&rsquo;abord, pour bien concevoir la place de l&rsquo;individualit&eacute; dans l&rsquo;ensemble des rapports sociaux, il faut &agrave; la fois &eacute;carter les conceptions individualistes de l&rsquo;homme ax&eacute;es sur l&rsquo;individu isol&eacute;, abstrait de son contexte socio-historique de d&eacute;veloppement, et en m&ecirc;me temps reconna&icirc;tre pleinement la dimension individuelle autant que la dimension collective de l&rsquo;homme nouveau en formation, appel&eacute; &agrave; devenir un &laquo;&nbsp;animal politique&nbsp;&raquo;. La dimension individuelle et la dimension collective ne sont pas deux r&eacute;alit&eacute;s juxtapos&eacute;es, pas plus que ne le sont l&rsquo;individu et la soci&eacute;t&eacute;, mais forment une unit&eacute; dialectique que Gramsci d&eacute;signe par le concept innovateur de &laquo;&nbsp;bloc historique&nbsp;&raquo; :</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Il faut concevoir l&#39;homme comme un bloc historique d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments purement individuels et subjectifs, et d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments de masse et objectifs ou mat&eacute;riels, avec lesquels l&#39;individu se trouve dans un rapport actif. Transformer le monde ext&eacute;rieur, les rapports g&eacute;n&eacute;raux, signifie devenir plus fort, se d&eacute;velopper. [&hellip;] C&#39;est pourquoi on peut dire que l&#39;homme est essentiellement &laquo;&nbsp;politique&nbsp;&raquo;, puisque l&#39;activit&eacute;́ pour transformer et pour diriger consciemment d&#39;autres hommes, r&eacute;alise son &laquo;&nbsp;humanit&eacute;́&nbsp;&raquo;, sa &laquo;&nbsp;nature humaine&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn53" name="_ftnref53" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[53]</span></sup></sup></a>. </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Dans la r&eacute;alit&eacute; effective, ce bloc historique, loin d&rsquo;&ecirc;tre un acquis, se pr&eacute;sente comme une construction, un projet dont la r&eacute;alisation d&eacute;pend de la participation consciente et active de chaque individu dans le processus de transformation des rapports sociaux. Cette conception de la transformation sociale, o&ugrave; la dimension individuelle de la praxis humaine occupe une place significative, est une importante indication de l&rsquo;innovation th&eacute;orique introduite par Gramsci dans la reconceptualisation de la philosophie de la praxis. Par la suite, d&rsquo;autres auteurs d&eacute;montreront de fa&ccedil;on convaincante qu&rsquo;il y a bel et bien dans l&rsquo;anthropologie marxienne, notamment dans l&rsquo;<em>Id&eacute;ologie allemande</em> et les <em>Th&egrave;ses sur Feuerbach </em>des mat&eacute;riaux pour une &laquo;&nbsp;th&eacute;orie mat&eacute;rialiste de l&rsquo;individualit&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn54" name="_ftnref54" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[54]</span></sup></sup></a>&raquo; et &laquo;&nbsp;une th&eacute;orie de la personnalit&eacute;<a href="#_ftn55" name="_ftnref55" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[55]</span></sup></sup></a>&nbsp;&raquo;. Nous pensons que Gramsci se situe en amont d&rsquo;un courant de penseurs marxistes qui ont pris au s&eacute;rieux et approfondi les concepts fondamentaux de l&rsquo;anthropologie marxienne. &Agrave; partir de points de vue souvent diff&eacute;rents, leurs analyses s&rsquo;appuient sur le nouveau concept d&rsquo;homme d&eacute;fini par Marx, lequel ne renvoie nullement &agrave; la notion m&eacute;taphysique de l&rsquo;homme en g&eacute;n&eacute;ral, ni &agrave; l&rsquo;individu pris &agrave; part, mais &agrave; l&rsquo;essence humaine comme ensemble des rapports sociaux. Cette nouvelle conception de l&rsquo;essence humaine a des implications th&eacute;oriques de la plus haute importance pour comprendre la place des individus dans la formation sociale et le d&eacute;veloppement de la personnalit&eacute; humaine dans les processus de transformation sociale.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">La prise en consid&eacute;ration de l&#39;importance des individus est confront&eacute;e &agrave; la place r&eacute;elle r&eacute;serv&eacute;e et occup&eacute;e par eux dans une soci&eacute;t&eacute;́ historiquement d&eacute;termin&eacute;e, marqu&eacute;e par le conformisme social et l&rsquo;omnipr&eacute;sence d&rsquo;une &laquo;&nbsp;force ext&eacute;rieure qui &eacute;crase l&#39;homme, l&#39;assimile et le rend passif&nbsp;&raquo;. En d&rsquo;autres termes, m&ecirc;me si cette importance est reconnue en principe, la division du travail, la division de la soci&eacute;t&eacute; en classes poss&eacute;dantes et classes laborieuses, la concurrence et la r&eacute;partition in&eacute;gale des biens et services, tout cela fait que les individus sont confront&eacute;s dans leur vie r&eacute;elle &agrave; une contradiction fondamentale entre leur personne concr&egrave;te et leur personne abstraite. Cette scission interne survient dans le parcours de ces individus qui sont toujours partis d&rsquo;eux-m&ecirc;mes pour produire leur vie r&eacute;elle, mais dans des conditions telles qu&rsquo;ils se retrouvent coinc&eacute;s, ali&eacute;n&eacute;s, divis&eacute;s entre eux au milieu des contradictions inh&eacute;rentes aux rapports sociaux&nbsp;:</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Les individus sont toujours partis d&rsquo;eux-m&ecirc;mes &hellip; dans le cadre de leurs conditions et de leurs rapports historiques donn&eacute;s. Mais il appara&icirc;t au cours du d&eacute;veloppement historique, et pr&eacute;cis&eacute;ment par l&rsquo;ind&eacute;pendance qu&rsquo;acqui&egrave;rent les rapports sociaux, fruit in&eacute;vitable de la division du travail, qu&rsquo;il y a une diff&eacute;rence entre la vie de chaque individu, dans la mesure o&ugrave; elle est personnelle, et sa vie dans la mesure o&ugrave; elle est subordonn&eacute;e &agrave; une branche quelconque du travail et aux conditions inh&eacute;rentes &agrave; cette branche. [&hellip;] C&rsquo;est seulement la concurrence et la lutte des individus entre eux qui engendrent et d&eacute;veloppent cette contingence en tant que telle<a href="#_ftn56" name="_ftnref56" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[56]</span></sup></sup></a>.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Cette division immanente aux rapports sociaux dans une soci&eacute;t&eacute; d&eacute;termin&eacute;e ne peut &ecirc;tre que transitoire. Malgr&eacute;́ l&#39;irr&eacute;versibilit&eacute;́ apparente de cet &eacute;tat de choses, il appartient aux individus de situer ces rapports dans une perspective historique g&eacute;n&eacute;rale et de s&#39;associer avec tous ceux qui partagent la m&ecirc;me vision de l&#39;histoire et la m&ecirc;me volont&eacute;́ de changement. Cette hypoth&egrave;se vaut la peine d&rsquo;&ecirc;tre soutenue, car elle permet d&rsquo;entrevoir un d&eacute;nouement positif au drame humain qui se joue sur les sc&egrave;nes du monde. Une telle hypoth&egrave;se qui s&rsquo;inscrit dans la logique du processus cathartique et dans la perspective d&rsquo;un changement radical, au plan individuel, collectif et soci&eacute;tal<em>&nbsp;: </em></span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Il ne suffit pas de conna&icirc;tre l&#39;ensemble des rapports tels qu&#39;ils existent &agrave; un moment donn&eacute; en tant que syst&egrave;me donn&eacute;, il importe aussi de les conna&icirc;tre g&eacute;n&eacute;tiquement, dans leur processus de formation, puisque chaque individu n&#39;est pas seulement la synth&egrave;se des rapports existants, mais aussi de l&#39;histoire de ces rapports, c&#39;est-&agrave;-dire le r&eacute;sum&eacute; de tout le pass&eacute;. On dira que ce que chaque individu peut changer est bien peu de chose compte tenu de ce que sont ses forces. Ce qui est vrai jusqu&rsquo;&agrave; un certain point. Car un individu peut s&#39;associer avec tous ceux qui veulent le m&ecirc;me changement et, si ce changement est rationnel, l&#39;individu peut se multiplier en un nombre de fois imposant, et obtenir un changement bien plus radical que celui qui appara&icirc;t possible &agrave; premi&egrave;re vue<a href="#_ftn57" name="_ftnref57" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[57]</span></sup></sup></a>.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Cette conception mat&eacute;rialiste de l&rsquo;individu, comme synth&egrave;se et histoire des rapports existants, d&eacute;tenant la capacit&eacute; et la volont&eacute; de s&rsquo;associer aux autres acteurs sociaux pour initier des changements dans la r&eacute;alit&eacute; effective, constitue une base th&eacute;orique et m&eacute;thodologique pour comprendre l&rsquo;importance du d&eacute;veloppement de la personnalit&eacute; humaine dans le processus de transformation sociale. L&rsquo;une des conditions n&eacute;cessaires pour que se r&eacute;alise l&rsquo;association avec les forces du changement socio-politique, c&rsquo;est qu&rsquo;il se produit chez chaque l&#39;individu une profonde transformation de sa personnalit&eacute;́. Modification qui consiste dans l&#39;&eacute;puration des impulsions vitales personnelles pour les orienter vers un but d&eacute;termin&eacute;́ et des actions concr&egrave;tes avec prise sur la r&eacute;alit&eacute;́ effective. Gramsci reprend ici le th&egrave;me annonc&eacute; dans son article &laquo;&nbsp;Notre Marx&nbsp;&raquo;, d&eacute;j&agrave; mentionn&eacute;, sur l&rsquo;importance de la volont&eacute; concr&egrave;te, la participation active et consciente de l&#39;homme dans l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;un ordre nouveau:</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">L&rsquo;homme est volont&eacute; concr&egrave;te, c&#39;est-&agrave;-dire application effective de la volont&eacute; abstraite, ou impulsion vitale, aux moyens concrets qui r&eacute;alisent cette volont&eacute;. On cr&eacute;e sa propre personnalit&eacute; : 1) en donnant une orientation d&eacute;termin&eacute;e et concr&egrave;te (rationnelle) à sa propre impulsion vitale ou à sa volont&eacute;́ ; 2) en identifiant les moyens qui rendent cette volont&eacute;́ concr&egrave;te, d&eacute;termin&eacute;e et non arbitraire ; 3) en contribuant à modifier l&#39;ensemble des conditions concr&egrave;tes qui r&eacute;alisent cette volont&eacute;́ dans la mesure des limites de sa puissance et dans la forme la plus fructueuse<a href="#_ftn58" name="_ftnref58" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[58]</span></sup></sup></a>.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Ce passage de la volont&eacute; abstraite à la volont&eacute;́ concr&egrave;te renvoie à une dialectique de la personnalisation-socialisation, dans laquelle l&#39;autonomie personnelle des individus singuliers s&#39;ouvre sur les possibilit&eacute;s d&#39;une association d&#39;hommes libres, acteurs conscients et ma&icirc;tres de leur mouvement social. Cette dialectique implique la mobilisation maximale de toutes les ressources &eacute;motives, affectives, cognitives et sociales de l&#39;individu singulier pour que le changement soit effectif. &Agrave; ce point, et seulement à ces conditions, on peut parler en g&eacute;n&eacute;ral de l&#39;homme comme &laquo;&nbsp;<em>zoon politikon</em>&nbsp;&raquo;, c&#39;est-à-dire comme individu singulier qui se d&eacute;finit par la richesse des possibilit&eacute;s de d&eacute;veloppement que lui offre la soci&eacute;t&eacute;́ des hommes&nbsp;:</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Si l&#39;individualit&eacute;́ propre est l&#39;ensemble de ces rapports [sociaux], modifier sa personnalit&eacute;́ signifie prendre conscience de ces rapports, modifier sa personnalit&eacute;́ signifie modifier l&#39;ensemble de ces rapports. [,,,] De plus en avoir une conscience plus ou moins profonde (i.e. conna&icirc;tre plus ou moins la mani&egrave;re dont on peut les modifier) les modifie d&eacute;j&agrave;̀. M&ecirc;me les rapports n&eacute;cessaires, dans la mesure où l&#39;on conna&icirc;t leur n&eacute;cessit&eacute;́, changent d&#39;aspect et d&#39;importance. En ce sens, la connaissance est un pouvoir<a href="#_ftn59" name="_ftnref59" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[59]</span></sup></sup></a>.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Cependant, m&ecirc;me si les param&egrave;tres du d&eacute;veloppement de la personnalit&eacute;́ autonome sont suppos&eacute;s connus en th&eacute;orie, il se pr&eacute;sente dans la r&eacute;alit&eacute;́ effective un nombre infini de contradictions à r&eacute;soudre. Ce qui rend particuli&egrave;rement complexe le processus de r&eacute;solution de ces contradictions, c&#39;est qu&#39;elles se concentrent et se condensent dans des moments critiques, où il n&#39;est pas toujours facile d&#39;en faire une analyse diff&eacute;renci&eacute;e. Une fois admis le caract&egrave;re contradictoire de l&#39;ensemble des rapports sociaux, ainsi que de la conscience que les hommes en ont sur le terrain des id&eacute;ologies, le probl&egrave;me de la formation de la personnalit&eacute;́ se traduit concr&egrave;tement par la recherche de nouveaux points de rep&egrave;re pour r&eacute;aliser une unit&eacute;́ sup&eacute;rieure au-del&agrave;̀ de l&#39;&eacute;tat de d&eacute;sagr&eacute;gation généralisée aux niveaux macro-social et micro-social : </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">D&egrave;s qu&#39;on a constaté que, l&#39;ensemble des rapports sociaux &eacute;tant contradictoire, la conscience des hommes ne peut pas ne pas &ecirc;tre contradictoire, un probl&egrave;me se pose: comment se manifeste cette contradiction et comment l&#39;unification peut-elle &ecirc;tre progressivement obtenue? La contradiction se manifeste dans l&#39;ensemble du corps social par l&#39;existence de consciences historiques de [&hellip;]; elle se manifeste dans les individus pris à part comme reflet de cette d&eacute;sagr&eacute;gation verticale et horizontale <a href="#_ftn60" name="_ftnref60" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[60]</span></sup></sup></a>.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">L&#39;unit&eacute;́ de la personnalit&eacute;́ n&#39;est donc pas une donn&eacute;e de d&eacute;part, mais un projet à r&eacute;aliser à travers les luttes politiques et id&eacute;ologiques li&eacute;es aux diff&eacute;rents types de conformisme social qui se bousculent au sein de la soci&eacute;t&eacute;́ civile. Ces id&eacute;ologies ont des traces tr&egrave;s profondes dans la pens&eacute;e et l&#39;action des individus singuliers. Ce n&#39;est gu&egrave;re une t&acirc;che facile que d&#39;op&eacute;rer une synth&egrave;se personnelle à partir de toutes ces influences: il faudrait pour cela commencer par se conna&icirc;tre soi-m&ecirc;me, en proc&eacute;dant à un inventaire syst&eacute;matique de toutes ces id&eacute;ologies contradictoires et à un long travail d&#39;assimilation critique sur elles: </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Quand la conception que l&#39;on a du monde n&#39;est ni critique ni coh&eacute;rente, mais désagrégée et occasionnelle, on appartient simultan&eacute;ment à une multiplicit&eacute;́ d&#39;hommes-masses, la personnalit&eacute;́ est compos&eacute;e de fa&ccedil;on bizarre...Critiquer sa propre conception du monde signifie donc la rendre unitaire et coh&eacute;rente et l&#39;&eacute;lever jusqu&#39;au point où elle rencontre la pens&eacute;e mondiale la plus avanc&eacute;e. Cela signifie aussi par cons&eacute;quent critiquer toute la philosophie qui a exist&eacute;́ jusqu&#39;ici, dans la mesure où elle a laiss&eacute;́ de solides stratifications dans la philosophie populaire<em>. </em>Le point de d&eacute;part de l&#39;&eacute;laboration critique est la conscience de ce qui est r&eacute;ellement, c&#39;est-à-dire un connais-toi toi-m&ecirc;me en tant que produit du processus historique qui s&#39;est d&eacute;roul&eacute;́ jusqu&#39;ici et qui a laiss&eacute;́ en toi-m&ecirc;me une infinit&eacute;́ de traces, re&ccedil;ues sans b&eacute;n&eacute;fice d&#39;inventaire. C&#39;est un tel inventaire qu&#39;il faut faire pour commencer<a href="#_ftn61" name="_ftnref61" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[61]</span></sup></sup></a>.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Cette autocritique biographique, n&eacute;cessaire pour l&rsquo;homme-individu, l&rsquo;est aussi pour l&#39;homme-masse, au niveau de la soci&eacute;t&eacute;́ civile, pour d&eacute;velopper et renforcer la capacit&eacute;́ d&#39;&eacute;laboration sup&eacute;rieure de la conscience propre du r&eacute;el. Au terme de ce cheminement la conscience de soi n&#39;est plus une conscience contradictoire li&eacute;e aux impressions imm&eacute;diates du moment present, mais une conscience critique dans laquelle se r&eacute;alise une nouvelle synth&egrave;se de la th&eacute;orie et de la pratique: </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a name="h.tyjcwt"></a>La compr&eacute;hension critique de soi-m&ecirc;me advient par cons&eacute;quent à travers une lutte entre les &laquo;&nbsp;h&eacute;g&eacute;monies&nbsp;&raquo; politiques, entre les directions contradictoires, d&#39;abord dans le champ de l&#39;&eacute;thique, puis de la politique, pour atteindre à une &eacute;laboration sup&eacute;rieure de la conscience propre du r&eacute;el. La conscience d&#39;&ecirc;tre une partie d&#39;une force h&eacute;g&eacute;monique d&eacute;termin&eacute;e (c&rsquo;est-à-dire la conscience politique) est la premi&egrave;re phase vers une conscience de soi ult&eacute;rieure et progressive, dans laquelle th&eacute;orie et pratique finalement s&#39;unifient<a href="#_ftn62" name="_ftnref62" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[62]</span></sup></sup></a>.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Le passage de la conscience &eacute;l&eacute;mentaire de soi à la conscience politique et à la conscience critique de l&#39;ensemble des rapports sociaux constitue donc une longue d&eacute;marche d&#39;appropriation du r&eacute;el par la pens&eacute;e et de transformation effective des rapports sociaux.</span></span></p> <h3 style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm;"><span style="font-size:14pt"><span style="background:white"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Indications m&eacute;thodologiques et strat&eacute;giques pour l&rsquo;&eacute;laboration et la mise en &oelig;uvre de la philosophie de la praxis</span></span></span></h3> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Faisant preuve d&rsquo;une grande lucidit&eacute; quant aux difficult&eacute;s d&rsquo;&eacute;laborer et de mettre en &oelig;uvre cette nouvelle conception du monde, Gramsci formule ici et l&agrave; quelques indications m&eacute;thodologiques &agrave; l&rsquo;intention de ceux qui voudraient se joindre &agrave; ce vaste chantier.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Tout d&rsquo;abord, il faut faire l&rsquo;inventaire exhaustif des &eacute;l&eacute;ments de conception du monde pr&eacute;sents dans la vie culturelle des masses populaires: rep&eacute;rer les &eacute;l&eacute;ments disponibles au niveau du sens commun et du bon sens, les sentiments populaires, les sp&eacute;cificit&eacute;s culturelles (croyances, langage, folklore, religions) au niveau local, r&eacute;gional et national, pour les &eacute;lever au niveau d&rsquo;une conception du monde unitaire, coh&eacute;rente, universelle ax&eacute;e sur le d&eacute;veloppement socio-historique. Il est tr&egrave;s important de tenir compte de la philosophie spontan&eacute;e des gens ordinaires, tout autant que des philosophies dominantes organis&eacute;es &agrave; partir d&rsquo;instruments scientifiques et techniques, pour y rep&eacute;rer des concepts susceptibles d&rsquo;&ecirc;tre int&eacute;gr&eacute;s dans la nouvelle conception. &Agrave; condition toutefois de les critiquer sur une base rigoureuse, en s&rsquo;appuyant sur les r&egrave;gles de la philologie et le principe de la traduisibilit&eacute; des langages scientifiques.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Tout ce travail d&rsquo;inventaire et d&rsquo;assimilation critique des mat&eacute;riaux culturels disponibles requiert une compl&eacute;mentarit&eacute; constante et soutenue dans les rapports entre &eacute;ducateurs et &eacute;duqu&eacute;s, entre dirigeants et dirig&eacute;s, entre gouvernants et gouvern&eacute;s, entre intellectuels professionnels et militants plong&eacute;s au c&oelig;ur de l&rsquo;action. Pour bien signifier l&rsquo;importance et la d&eacute;licatesse de ce travail intellectuel qui est &agrave; la fois culturel, &eacute;thique et politique, Gramsci propose un nouveau paradigme pour d&eacute;finir le r&ocirc;le politico-p&eacute;dagogique des intellectuels organiques et orienter la formation des dirigeants &agrave; une compr&eacute;hension modificatrice du monde, dans l&rsquo;esprit de la XI&egrave;me <em>Th&egrave;se sur Feuerbach</em><a href="#_ftn63" name="_ftnref63" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[63]</span></sup></sup></a>. Selon ce paradigme, le rapport intellectuels/peuple se doit d&rsquo;&ecirc;tre un rapport de repr&eacute;sentation fond&eacute; sur une adh&eacute;sion organique et sur l&#39;&eacute;change des &eacute;l&eacute;ments individuels entre gouvern&eacute;s et gouvernants, dirig&eacute;s et dirigeants. C&rsquo;est &agrave; cette condition que se r&eacute;alise la vie de l&#39;ensemble qui seule est la force sociale, que se cr&eacute;e le bloc historique. Cette coh&eacute;sion sociale est impossible sans la prise en consid&eacute;ration des sentiments populaires, qui font partie de la vie quotidienne, non pour les maintenir &agrave; leur niveau, mais pour les assumer, les &eacute;lever au niveau d&#39;une conception du monde unificatrice et lib&eacute;ratrice. C&#39;est alors, et alors seulement que peut se produire une <em>catharsis</em> de la civilisation, moyennant un passage du savoir au comprendre, au sentir, et vice versa du sentir au comprendre, au savoir&nbsp;:</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a name="h.3dy6vkm"></a>L&#39;erreur de l&#39;intellectuel consiste &agrave; croire qu&#39;il puisse savoir sans comprendre, et sp&eacute;cialement sans sentir, et sans &ecirc;tre passionn&eacute; (non seulement du savoir en soi, mais de l&#39;objet de ce savoir), autrement dit cette erreur consiste &agrave; croire que l&#39;intellectuel puisse &ecirc;tre tel (et non un pur p&eacute;dant) s&#39;il est s&eacute;par&eacute; et d&eacute;tach&eacute; du peuple-nation, c&#39;est-&agrave;-dire sans sentir les passions &eacute;l&eacute;mentaires du peuple, en les comprenant, et donc les expliquant et les justifiant dans la situation historique d&eacute;termin&eacute;e, et en les rattachant dialectiquement aux lois de l&#39;histoire, &agrave; une conception sup&eacute;rieure du monde &eacute;labor&eacute;e scientifiquement et d&#39;une fa&ccedil;on coh&eacute;rente: le &quot;savoir&quot;; on ne fait pas de politique-histoire sans cette passion, c&#39;est-&agrave;-dire sans ce lien sentimental entre les intellectuels et le peuple-nation<a href="#_ftn64" name="_ftnref64" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[64]</span></sup></sup></a>.</span></span></p> <h2 style="text-align: center;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:14.0pt"><span style="line-height:115%"><span style="color:black">Le paradoxe de la philosophie de la praxis&nbsp;:<br /> humanisme absolu et relativit&eacute; des parcours de sujets historiques en qu&ecirc;te d&rsquo;humanit&eacute;</span></span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">En r&eacute;trospective, le plaidoyer de Gramsci pour une nouvelle conception du monde renferme un paradoxe &agrave; la fois d&eacute;rangeant et stimulant. Il est en effet paradoxal de fonder, d&rsquo;une part, sa conception du monde sur &laquo;&nbsp;l&rsquo;humanisme absolu de l&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;, comme r&eacute;ponse axiomatique la plus radicale &agrave; la question la plus fondamentale de la philosophie, &laquo;&nbsp;qu&rsquo;est-ce que l&rsquo;homme?&nbsp;&raquo;; de soutenir, d&rsquo;autre part, que le parcours pour atteindre cette finalit&eacute; s&rsquo;effectue dans une n&eacute;cessaire relativit&eacute;, &agrave; travers les multiples passages ou m&eacute;diations, dans une &laquo;&nbsp;cha&icirc;ne de synth&egrave;ses dialectiques&nbsp;&raquo;. La dialectique sous-jacente &agrave; ce paradoxe est celle de l&rsquo;absolu et du relatif, de l&rsquo;universel et du singulier; dialectique qui a le m&eacute;rite d&rsquo;&eacute;viter les pi&egrave;ges de l&rsquo;absolutisme et de l&rsquo;individualisme abstrait. C&rsquo;est en s&rsquo;appuyant sur cette dialectique, au niveau le plus &eacute;lev&eacute; de la Logique h&eacute;g&eacute;lienne et au niveau le plus profond de l&rsquo;anthropologie marxienne (mat&eacute;rielle, mondaine, terrestre) que Gramsci a entrepris &laquo;<em>f&uuml;r ewig</em>&nbsp;&raquo; la refondation de la philosophie de la <em>praxis</em>. Pour ce faire, il fallait d&eacute;noncer les erreurs th&eacute;oriques et strat&eacute;giques des directions des partis communistes de son &eacute;poque, leur dogmatisme, leur d&eacute;terminisme &eacute;conomique ainsi que leur positivisme, et en m&ecirc;me temps promouvoir une nouvelle conception du monde unitaire, coh&eacute;rente, universelle, pour organiser et renforcer les masses populaires et la soci&eacute;t&eacute; civile dans leur qu&ecirc;te d&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie. Pour la conqu&eacute;rir il faut repenser radicalement les rapports intellectuels/peuple-nation, dirigeants/dirig&eacute;s, non plus en tant que rapports verticaux, dans lesquels le peuple serait objet ou r&eacute;ceptacle d&rsquo;un savoir pr&eacute;construit, mais des &laquo;&nbsp;rapports de repr&eacute;sentation&nbsp;&raquo;, dans lesquels intellectuels et peuple-nation entreprennent ensemble comme sujets historiques &agrave; part enti&egrave;re le travail cathartique d&rsquo;&eacute;laboration sup&eacute;rieure de la structure en superstructure dans la conscience des hommes.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">En somme, la pens&eacute;e gramscienne, &agrave; la fois critique et ouverte, bien ancr&eacute;e dans l&rsquo;anthropologie marxienne, demeure encore pertinente et stimulante pour approfondir la r&eacute;flexion et les recherches sur les questions &eacute;thico-politiques d&rsquo;aujourd&rsquo;hui.</span></span></p> <h2 style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm;"><span style="color:#000000"><span style="font-size:14pt"><span style="font-family:Cambria,serif">Bibliographie</span></span></span></h2> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">ARISTOTE, (1980). <em>La Po&eacute;tique</em>, Chapitre 6, 49 b 24, cit&eacute; dans La Po&eacute;tique, Texte, traduction, notes par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot. Paris, Seuil. </span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">BUCI-GLUCKSMANN, C. (1975). <em>Gramsci et l&#39;&Eacute;tat</em>, <em>Pour une th&eacute;orie mat&eacute;rialiste de la philosophie,</em> Paris, Fayard.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">CROCE, Benedetto (1981). <em>Mat&eacute;rialisme historique et &eacute;conomie marxiste: Essais critiques</em>, Traduit par Alfred Bonnet. Gen&egrave;ve/ Paris, Slatkine, 326 pages.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">GRAMSCI, A. (1978). <em>Cahiers de prison [3]</em> Cahiers 10, 11, 12, 13 av.-pr., notices et notes de Robert Paris, trad. de l&#39;italien par Paolo Fulchignini, G&eacute;rard Granel et Nino Negri. Paris, Gallimard.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">GRAMSCI, A. (1983). <em>Cahiers de prison [2].</em> Cahiers 6, 7, 8, 9 av.-pr., notices et notes de Robert Paris, trad. de l&#39;italien par Monique Aymard et Paolo Fulchignoni. Paris, Gallimard.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">GRAMSCI, A. (1990). <em>Cahiers de prison [4].</em> Cahiers 14, 15, 16, 17, 18 introd., av.-pr., notices et notes de Robert Paris, trad. de l&#39;italien par Fran&ccedil;oise Bouillot et G&eacute;rard Granel. Paris, Gallimard.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">GRAMSCI, A.. (1996). <em>Cahiers de prison [1].</em> Cahiers 1, 2, 3, 4, 5 introd., av.-pr., notices et notes de Robert Paris, trad. de l&#39;italien par Monique Aymard et Fran&ccedil;oise Bouillot. Paris, Gallimard.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">GRAMSCI, A. <em>&Eacute;crits politiques (1914-1926)</em>. Textes choisis, pr&eacute;sent&eacute;s et annot&eacute;s par Robert Paris, Trad. de l&#39;italien par Marie G. Martin, en collaboration. Paris, Gallimard, 3 volumes: vol. 1, l974, 461 pages.; vol. 2, l975, 374 pages.; vol. 3, 1980, 441 pages.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">GRAMSCI, A. (1971). <em>Lettres de prison,</em> Traduit de l&#39;italien par H. Albani et al., Paris, Gallimard.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">LENINE, V. (1976). <em>&OElig;uvres Compl&egrave;tes, tome 38, Cahiers philosophiques</em>, Paris, &Eacute;ditions sociales .</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">LO PIMPARO, F. (2014). <em>Les deux prisons de Gramsci</em>, Paris, CNRS Editions.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">HOARE, G. and N. SPERBER (2013). <em>Introduction &agrave; Antonio Gramsci</em>, Paris, La D&eacute;couverte.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">JOUTHE, E. (1990). <em>Catharsis et transformation sociale dans la th&eacute;orie politique de Gramsci</em>, Sillery, Qc., Presses de l&#39;Universit&eacute; du Qu&eacute;bec.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">MARX, K. et ENGELS, F. (1977). <em>&Eacute;tudes philosophiques</em>. Introduction de Guy Besse, Paris, &Eacute;ditons sociales.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">PARIS, R. (1996) &ldquo;Introduction&rdquo;, dans Antonio Gramsci, <em>Cahiers de prison</em>, Paris, Gallimard, pp. 26-36.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">SEVE, L. (1972). <em>Marxisme et th&eacute;orie de la personnalit&eacute;</em>, 2&egrave;me &eacute;dition, Paris, &Eacute;ditions sociales.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">SEVE, L. (1980). <em>Une introduction &agrave; la philosophie marxiste,</em> Paris, &Eacute;ditions sociales, coll. Terrains.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">SEVE, L.<em> (2008). &laquo;&nbsp;L&rsquo;Homme?&nbsp;&raquo;,</em> <em>Penser avec Marx aujourd&rsquo;hui</em>, Tome II, Paris, La Dispute.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">TEXIER, J. (1981). &laquo;&nbsp;La th&eacute;orie mat&eacute;rialiste de l&#39;individualit&eacute; dans l&#39;id&eacute;ologie allemande&nbsp;&raquo;, dans <em>La Pens&eacute;e </em>219, no. avril-mars: 62-81.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">TOSEL, A. (1983). <em>Introduction à Gramsci</em>. Textes trad. par Jean Brabant et autres, Paris, Editions sociales, 1983, p. 33</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">TOSEL, A. (2005) &laquo;&nbsp;Antonio Labriola et la proposition de la philosophie de la praxis&nbsp;. La pratique apr&egrave;s Marx &quot;, dans <em>Archives de philosophie</em> vol. 4, Tome 68, p. 623.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">TOSEL, A. (2009). &laquo;&nbsp;Philologie et philosophie dans la philosophie de la praxis &raquo;, dans <em>Le marxisme du 20&egrave;me si&egrave;cle</em>, Paris, Syllepse.</span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;">&nbsp;</p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;">&nbsp;</p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;">&nbsp;</p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;">&nbsp;</p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;">&nbsp;</p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;">&nbsp;</p> <div> <p style="text-align: left;">&nbsp;</p> <hr /> <div id="ftn1"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[1]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Antonio Gramsci, <em>Cahiers de prison</em>, Introduction, notices et notes de Robert Paris, traduit de l&#39;italien par Monique Aymard et Paolo Fulchignoni, Paris, Gallimard. Pour les r&eacute;f&eacute;rences, nous d&eacute;signerons par le sigle C les <em>Cahiers de prison</em> &eacute;dit&eacute;s en 5 volumes par Gallimard : 1996, vol. I, Cahiers 1 &agrave; 5 ; 1983, vol. II, Cahiers 6 &agrave; 9 ; 1978. Vol. III, Cahiers 10-13 ; 1990, vol. IV, Cahiers 14 &agrave; 18 ; 1991, vol. V, Cahiers 19-29. La traduction de ces Cahiers bas&eacute;e sur l&rsquo;&eacute;dition critique en 4 volumes, &eacute;tablie par V. Gerratana (Istituto Gramsci), <em>Quaderni del carcere</em>. Torino, Einaudi, 1977. Pour les r&eacute;f&eacute;rences, nous d&eacute;signerons cette &eacute;dition par le sigle Q pour Quaderni. </span></span></span></p> </div> <div id="ftn2"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[2]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Cf. . GLUCKSMANN, Christine B, <em>Gramsci et l&#39;Etat</em>, Paris, Fayard, 1975, pp. 87-138.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn3"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[3]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Cf. TOSEL Andr&eacute;, &laquo;&nbsp;Philologie et philosophie dans la philosophie de la praxis &raquo;, dans <em>Le marxisme du 20&egrave;me si&egrave;cle</em>. Paris : Syllepse, 2009.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn4"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[4]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. II, pp. 1343-1344 (C, vol. III, pp. 141-142).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn5"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[5]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> GRAMSCI Antonio, <em>Ecrits politiques</em> (1914-1926), textes choisis, pr&eacute;sent&eacute;s et annot&eacute;s par Robert Paris, traduit de l&#39;italien par Marie G. Martin, en collaboration, Paris, Gallimard, 3 volumes : vol. 1, l974 ; vol. 2, l975 ; vol. 3, 1980. Dans nos r&eacute;f&eacute;rences, nous d&eacute;signerons cet ouvrage par le sigle : EP.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn6"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[6]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> GRAMSCI Antonio, <em>Lettres de prison</em>, traduit de l&#39;italien par H&eacute;l&egrave;ne Depuyer et Georges Sara, Paris, Gallimard, 1971. Dans nos r&eacute;f&eacute;rences, nous d&eacute;signerons cet ouvrage par le sigle: LP.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn7"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[7]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Cf. GRAMSCI Antonio, LP, pp. 507-509.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn8"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[8]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Cf. LO PIMPARO Franco , <em>Les deux prisons de Gramsci</em>, Paris, CNRS &Eacute;ditions, 2014. </span></span></span></p> </div> <div id="ftn9"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[9]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Cf. Robert Paris, </span><span style="color:#675e47">&laquo; </span><span style="font-size:10.0pt">Introduction</span><span style="color:#675e47"> &raquo;</span><span style="font-size:10.0pt"> , GRAMSCI Antonio, <em>Cahiers de prison</em>, Paris, Gallimard, 1996, pp. 26-36.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn10"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[10]</span></sup></sup></a> <span style="font-size:10.0pt">Cf. JOUTHE Ernst, <em>Op. Cit.</em>, pp. 11-12.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn11"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[11]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Cf. GRAMSCI Antonio, <em>Lettre &agrave; Tatiana</em>, 19 mars 1927, LP, p. 53. </span></span></span></p> </div> <div id="ftn12"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[12]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. II, p, 1222 (C, vol. III, p.29).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn13"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref13" name="_ftn13" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[13]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. II, pp. 1220-1221 (C, vol. </span><span style="font-size:10.0pt">III, p. 228).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn14"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref14" name="_ftn14" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[14]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Cf. JOUTHE Ernst, <em>Op. </em></span><em><span style="font-size:10.0pt">Cit</span></em><span style="font-size:10.0pt">., pp. 57-60. </span></span></span></p> </div> <div id="ftn15"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref15" name="_ftn15" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[15]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Etymologiquement, <em>catharsis</em> est un mot d&rsquo;origine grecque, form&eacute; d&#39;une pr&eacute;position <em>kata</em>, qui signifie <em>en vue de</em>, et du verbe <em>airo</em>, qui a trois sens : enlever, lever ou &eacute;lever, exalter ou mettre hors de soi.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn16"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref16" name="_ftn16" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[16]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Cf. JOUTHE Ernst, op. cit.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn17"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref17" name="_ftn17" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[17]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. II, p.1222 (C, vol III, p. 29).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn18"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref18" name="_ftn18" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[18]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> cf. CROCE Benedetto, <em>Mat&eacute;rialisme historique et &eacute;conomie marxiste&nbsp;:</em> <em>Essais critiques</em>. Traduit par Alfred Bonnet. Gen&egrave;ve/ Paris, Slatkine, 1981, 326 pages.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn19"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref19" name="_ftn19" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[19]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. II, pp. 1310-1311 (C, vol. III, p. 111).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn20"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref20" name="_ftn20" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[20]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q 11 52, vol. II, p. 1479 (C, vol. III, p. 275).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn21"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref21" name="_ftn21" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[21]</span></sup></sup></a> <span style="font-size:10.0pt">LENINE Vladimir, <em>&OElig;uvres Compl&egrave;tes, tome 38, Cahiers philosophiques</em>, Paris, &Eacute;ditions sociales, 1976, p. 304. &ldquo;Si Marx n&rsquo;a pas laiss&eacute; de Logique (avec un grand L), il nous a laiss&eacute; la logique du Capital &hellip; On ne peut pas comprendre enti&egrave;rement le Capital de Marx - et surtout le chapitre I. - sans avoir &eacute;tudi&eacute; et compris toute la Logique de Hegel. Par cons&eacute;quent un demi-si&egrave;cle apr&egrave;s, aucun marxiste n&rsquo;a compris Marx !!&nbsp;&raquo;</span></span></span></p> </div> <div id="ftn22"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref22" name="_ftn22" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[22]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. II, p. 1247 (C, vol. </span><span style="font-size:10.0pt">III, p. 53).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn23"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref23" name="_ftn23" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[23]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. III p. 1854 ss. (C, vol. IV, p. 205 ss).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn24"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref24" name="_ftn24" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[24]</span></sup></sup></a><span style="font-size:8.0pt">. Loc. cit.&nbsp; </span></span></span></p> </div> <div id="ftn25"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref25" name="_ftn25" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[25]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> TOSEL Andr&eacute;, &laquo;&nbsp;Antonio Labriola et la proposition de la philosophie de la praxis&nbsp;. La pratique apr&egrave;s Marx &quot;, <em>Archives de philosophie</em> vol. 4, Tome 68, 2005, p. 623.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn26"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref26" name="_ftn26" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[26]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. I, pp. 1474 ss (C, vol. </span><span style="font-size:10.0pt">III, pp. 170-271).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn27"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref27" name="_ftn27" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[27]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Cf. TOSEL Andr&eacute; , op. cit.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn28"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref28" name="_ftn28" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[28]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> <em>Ibid.</em></span></span></span></p> </div> <div id="ftn29"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref29" name="_ftn29" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[29]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> ARISTOTE, <em>La Po&eacute;tique</em>, Chapitre 6, 49 b 24, cit&eacute; dans La Po&eacute;tique. Texte, traduction, notes par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot. Paris, Seuil, 1980</span></span></span></p> </div> <div id="ftn30"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref30" name="_ftn30" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[30]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Cf. LABRIOLA Antonio , &eacute;d. Eugenio Garin, <em>Saggi sulla concezione materialistica della storia</em>, Bari, Laterza, 1965, p. 252, cit&eacute; dans Tosel (2005), p. 623</span></span></span></p> </div> <div id="ftn31"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref31" name="_ftn31" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[31]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Cf. Q, vol. III, pp. 2160-2161. Pour la traduction fran&ccedil;aise voir&nbsp;: (<em>GT pour d&eacute;signer Gramsci dans le textes</em>, Paris, &Eacute;ditions sociales, p. 693).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn32"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref32" name="_ftn32" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[32]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Ibid.&nbsp;&raquo;</span></span></span></p> </div> <div id="ftn33"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref33" name="_ftn33" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[33]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Cf. GRAMSCI, EP, vol. I, p.106.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn34"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref34" name="_ftn34" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[34]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Ibid.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn35"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref35" name="_ftn35" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[35]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. II, p.1222 (C, vol III, p. 29).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn36"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref36" name="_ftn36" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[36]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. III, p. 1568 (C, vol. III, p. 366).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn37"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref37" name="_ftn37" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[37]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. III, p. 1561 (C, vol. III, p. 359).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn38"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref38" name="_ftn38" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[38]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. III, p. 1568 (C, vol. </span><span style="font-size:10.0pt">III, p. 366).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn39"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref39" name="_ftn39" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[39]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> HOARE George et SPERBER Nathan . </span><em><span style="font-size:10.0pt">Introduction &agrave; Antonio Gramsci</span></em><span style="font-size:10.0pt">, Paris, La D&eacute;couverte, 2013, p. 7.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn40"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref40" name="_ftn40" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[40]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> TOSEL André, <em>Introduction à Gramsci</em>. Textes trad. par Jean Brabant et autres. Paris, Ed. soc., 1983, p. 33.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn41"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref41" name="_ftn41" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[41]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> <em>Ibid.</em></span></span></span></p> </div> <div id="ftn42"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref42" name="_ftn42" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[42]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> cf. JOUTHE Ernst , op. cit. chapitre 4&nbsp;: Pour une th&eacute;orie de la m&eacute;ditation, pp. 133-144. </span></span></span></p> </div> <div id="ftn43"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref43" name="_ftn43" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[43]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. II, p. 1437 (C, vol. III, p. 135) </span></span></span></p> </div> <div id="ftn44"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref44" name="_ftn44" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[44]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> La critique la plus frontale contre l&rsquo;identification du marxisme &agrave; un historicisme est venue, on le sait, de L. Althusser connu &eacute;galement pour son antihumanisme th&eacute;orique. Lucien S&egrave;ve, pour sa part, a critiqu&eacute; &agrave; plusieurs reprises les d&eacute;viations possibles des courants historicistes du marxisme vers le subjectivisme et le primat de la conscience, plus pr&egrave;s de la tradition id&eacute;aliste que de la conception mat&eacute;rialiste de l&rsquo;histoire, v&eacute;ritablement ax&eacute;e sur l&rsquo;objectivit&eacute; de la mati&egrave;re et de la r&eacute;alit&eacute; ext&eacute;rieure, ind&eacute;pendante de la conscience. Voir les longs d&eacute;veloppements de Lucien S&egrave;ve sur ces sujets, notamment dans ses ouvrages majeurs&nbsp;: &laquo;&nbsp;Une introduction &agrave; la philosophie marxiste, Paris, &Eacute;ditions sociales, coll. Terrains, 1980, pp. 378-382&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;L&rsquo;Homme, Penser avec Marx aujourd&rsquo;hui, Tome II, Paris, La Dispute, 2008, pp. 79-83&raquo;.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn45"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref45" name="_ftn45" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[45]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, p.1263 (C, vol. III, pp. 67-68).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn46"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref46" name="_ftn46" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[46]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. II, pp. 1487- 1488 (C, vol. </span><span style="font-size:10.0pt">III, p. 283). </span></span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;">&nbsp;</p> </div> <div id="ftn47"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref47" name="_ftn47" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[47]</span></sup></span></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Cf. EP, vol. I, p. 145-149</span></span></span></p> </div> <div id="ftn48"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref48" name="_ftn48" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[48]</span></sup></sup></a> <span style="font-size:10.0pt">EP, vol. I, p. 146.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn49"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref49" name="_ftn49" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[49]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Ibid., p. 147.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn50"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref50" name="_ftn50" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[50]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Loc. cit</span></span></span></p> </div> <div id="ftn51"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref51" name="_ftn51" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[51]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Karl Marx et Friedrich Engels, <em>&Eacute;tudes philosophiques</em>, Traduction de Guy Besse, Paris &Eacute;d. Sociales, 1977, p. 50&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Feuerbach r&eacute;sout l&rsquo;essence religieuse en l&rsquo;essence humaine. Mais l&rsquo;essence humaine n&rsquo;est pas une abstraction inh&eacute;rente &agrave; l&rsquo;individu singulier. Dans sa r&eacute;alit&eacute; effective, c&rsquo;est l&rsquo;ensemble des rapports sociaux.&nbsp;&raquo;</span></span></span></p> </div> <div id="ftn52"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref52" name="_ftn52" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[52]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Ibid. p. 201.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn53"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref53" name="_ftn53" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[53]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q 10 II 48, vol. II, p.1337 (C, vol. III, p. 136). </span></span></span></p> </div> <div id="ftn54"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref54" name="_ftn54" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[54]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> TEXIER Jacques &quot;La th&eacute;orie mat&eacute;rialiste de l&#39;individualit&eacute; dans l&#39;id&eacute;ologie allemande.&quot; <em>La Pens&eacute;e</em> 219, no. avril-mars 1981: 62-81.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn55"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref55" name="_ftn55" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[55]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> SEVE Lucien, <em>Marxisme et th&eacute;orie de la personnalit&eacute;</em>, Paris, &Eacute;ditions sociales, 1975, 4&egrave;me &eacute;d., 599 pages. </span></span></span></p> </div> <div id="ftn56"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref56" name="_ftn56" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[56]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> MARX Karl et ENGELS Frederich , <em>&Eacute;tudes philosophiques</em>, Introduction de Guy Besse, Paris, &Eacute;ditons sociales, 1977, pp. 83-84.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn57"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref57" name="_ftn57" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[57]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. II, pp. 1344-45 (C , vol. III, p. 143) </span></span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;">&nbsp;</p> </div> <div id="ftn58"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref58" name="_ftn58" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[58]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q, vol. II, p.1337 (C, vol. III, p. 136). </span></span></span></p> </div> <div id="ftn59"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref59" name="_ftn59" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[59]</span></sup></span></sup></a> <span style="font-size:10.0pt">Q, vol. II, pp. 1344-45 (C , vol. III, p. 143).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn60"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref60" name="_ftn60" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[60]</span></sup></span></sup></a> <span style="font-size:10.0pt">Q 16 12, vol. III, pp.1874-75 (GT, 720).</span></span></span></p> </div> <div id="ftn61"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref61" name="_ftn61" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[61]</span></sup></span></sup></a> <span style="font-size:10.0pt">Q 11 12 Note I, vol. II, p.1376 (C, vol. </span><span style="font-size:10.0pt">III, p. 176). </span></span></span></p> </div> <div id="ftn62"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref62" name="_ftn62" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><sup><span style="font-size:10.0pt">[62]</span></sup></span></sup></a> <span style="font-size:10.0pt">Q 11 12, Note IV, vol. II, p. 1385 (C, vol. III, p. 185). </span></span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;">&nbsp;</p> </div> <div id="ftn63"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref63" name="_ftn63" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[63]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> MARX Karl et ENGELS Friedrich, <em>&Eacute;tudes philosophiques</em>, Paris, &Eacute;ditions sociales, p. 54&nbsp;: &laquo;Les philosophes n&rsquo;ont fait qu&rsquo;interpr&eacute;ter diversement le monde, ce qui importe c&rsquo;est de le transformer&nbsp;&raquo;.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn64"> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black"><a href="#_ftnref64" name="_ftn64" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt">[64]</span></sup></sup></a><span style="font-size:10.0pt"> Q 11 67, vol. III, p.1506 (C, vol. III, p. 300).</span></span></span></p> </div> </div>