<p><span style="font-size:18px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; <em>Le langage aux fronti&egrave;res</em> est un ouvrage rassemblant diff&eacute;rentes &eacute;tudes de Peter Carravetta. Ici, il ne faut pas entendre par <em>fronti&egrave;res </em>uniquement la limite entre deux pays mais plut&ocirc;t ce qui g&eacute;n&eacute;ralement s&eacute;pare philosophie, litt&eacute;rature et po&eacute;tique, ou bien ce qui rend difficile la compr&eacute;hension entre deux cultures. Il s&rsquo;agit pour Carravetta de d&eacute;montrer qu&rsquo;il n&rsquo;y a pas lieu d&rsquo;opposer ces domaines de cr&eacute;ativit&eacute; car chacun emprunte aux autres une partie de son langage. Avant chacune de ses &eacute;tudes est reproduit un dessin d&rsquo;encre aquarelle d&rsquo;Angela Biancofiore, portant sur l&rsquo;origine du langage. Ceux-ci sont malheureusement reproduits en noir et blanc mais devraient &ecirc;tre expos&eacute;s en couleur dans l&rsquo;e-book &agrave; para&icirc;tre.</span></span></p> <p><br /> <span style="font-size:18px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Dans le premier chapitre, le plus long de son livre, Peter Carravetta d&eacute;clare qu&rsquo;il faut &eacute;liminer un certain nombre de lieux communs. Il rappelle d&rsquo;abord que &laquo; la po&eacute;sie lyrique est par essence m&eacute;taphysique &raquo;, s&rsquo;appuyant sur Aristote et sur Heidegger. Et, &agrave; l&rsquo;objection heideggerienne de la fin de la m&eacute;taphysique, il r&eacute;pond qu&rsquo;il y a plut&ocirc;t un d&eacute;clin qu&rsquo;une fin et que la po&eacute;sie lyrique d&eacute;cline sans dispara&icirc;tre et peut m&ecirc;me devenir un art de penser. Selon Carravetta, &laquo; de l&agrave; d&eacute;coule la deuxi&egrave;me hypoth&egrave;se critique et l&rsquo;objectif de sa propre recherche : repenser les limites du lyrisme en termes de vision alternative du langage po&eacute;tique et explorer &agrave; nouveau le sens et les possibilit&eacute;s du langage all&eacute;gorique &raquo;. Pour d&eacute;montrer cette hypoth&egrave;se, il faudrait reprendre la notion aristot&eacute;licienne d&rsquo;<em>inventio</em> et juxtaposer ce que les textes actuels disent &agrave; ce que d&eacute;clarent leurs auteurs dans leur po&eacute;tique. Peter Carravetta rappelle que Leopardi, dans son <em>Zibaldone</em>, a fort justement &eacute;crit que &laquo; Tout s&rsquo;est perfectionn&eacute; depuis Hom&egrave;re, &agrave; l&rsquo;exception de la po&eacute;sie &raquo;. La po&eacute;sie a connu diff&eacute;rentes orientations mais il serait vain de consid&eacute;rer que celle de tel ou tel auteur contemporain repr&eacute;sente un progr&egrave;s par rapport &agrave; celle d&rsquo;Hom&egrave;re ou d&rsquo;un autre auteur de l&rsquo;Antiquit&eacute;. Il n&rsquo;y a tout simplement pas de progr&egrave;s en po&eacute;sie ; ce concept ne la concerne pas. Pourquoi ? Peut-&ecirc;tre parce qu&rsquo;il y a dans toute grande &oelig;uvre po&eacute;tique une part d&rsquo;absolu qui la hausse au niveau du divin, lequel &eacute;chappe au temps. Cette th&egrave;se trouve un premier &eacute;cho chez Percy B. Shelley pour qui &laquo; Un po&egrave;me est l&rsquo;image m&ecirc;me de la vie exprim&eacute;e dans sa v&eacute;rit&eacute; &eacute;ternelle [car il] cr&eacute;e des actions d&rsquo;apr&egrave;s les formes inchangeables de la nature humaine telles qu&rsquo;elles existent dans l&rsquo;esprit du Cr&eacute;ateur, qui est l&rsquo;image m&ecirc;me de tous les autres esprits &raquo;. En cela, le po&egrave;me s&rsquo;oppose au r&eacute;cit. Keats va en ce sens, &agrave; la fin de son &laquo; Ode sur une urne grecque &raquo;, lorsqu&rsquo;il d&eacute;clare : &laquo; Beauty is truth, truth beauty &raquo; (Le beau est vrai, le vrai est beau). Mais la question devient plus complexe si l&rsquo;on se r&eacute;f&egrave;re &agrave; Leopardi qui affirme dans son <em>Zibaldone </em>que la m&eacute;taphysique est l&rsquo;exact contraire de la po&eacute;sie, que &laquo; la po&eacute;sie n&rsquo;est pas de la philosophie car elle ne traite pas de concepts. Peter Carravetta nous invite &agrave; comparer cette assertion aux propos de Wordsworth qui d&eacute;clare : &laquo; Aristote, m&#39;a-t-on dit, a dit que la po&eacute;sie est la plus philosophique de toutes les &eacute;critures : il en est ainsi, son objet est la v&eacute;rit&eacute;, non pas individuelle et locale, mais g&eacute;n&eacute;rale et op&eacute;ratoire &raquo;. Et Caravetta nous invite &agrave; relativiser la pr&eacute;c&eacute;dente affirmation de Leopardi qui d&eacute;clare lui-m&ecirc;me le 25 ao&ucirc;t 1820 dans le <em>Zibaldone </em>: &laquo; La seule chose que le po&egrave;te doive montrer, c&#39;est qu&#39;il ne comprend pas l&#39;effet que ses images, descriptions, sentiments, etc., produiront sur ses lecteurs. C&#39;est vrai de l&#39;orateur, et de tout &eacute;crit de belles Lettres, et cela pourrait s&#39;&eacute;tendre &agrave; tout &eacute;crivain en g&eacute;n&eacute;ral &raquo;. Les auteurs de Cahiers que sont Leopardi et Nietzsche se sont souvent contredits car ils notent leurs r&eacute;flexions de fa&ccedil;on chronologique et rejettent toute syst&eacute;matisation de leur pens&eacute;e. Peter Carravetta cite &eacute;galement Keats, Blake, Foscolo et H&ouml;lderlin pour montrer que les po&egrave;tes posent souvent des questions philosophiques et que l&rsquo;on peut en conclure que la philosophie n&rsquo;est pas le domaine r&eacute;serv&eacute; des philosophes. Il consid&egrave;re que Leopardi ne fait que r&eacute;activer la vieille opposition platonicienne entre po&egrave;tes et philosophes, et qu&rsquo;il vaut mieux se tourner vers Heidegger qui fonde sa philosophie sur la po&eacute;sie.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Peter Carravetta tient compte de l&rsquo;apport de Hugo Friedrich qui, dans <em>Die Struktur der modernen Lyrik</em> (1956) met l&rsquo;accent sur la d&eacute;personnalisation, la vacuit&eacute; des id&eacute;aux, la mise en &eacute;vidence du laid et celle de l&rsquo;incongru, de l&rsquo;ironie, de l&rsquo;absurde, etc. pour montrer que toute po&eacute;sie n&rsquo;est pas classique. Il parle l&agrave; de la po&eacute;sie en g&eacute;n&eacute;ral et pas seulement du lyrisme. La plupart des traductions de <em>Lyrik</em>, notamment les traductions anglaise et italienne am&egrave;nent &agrave; une erreur sur ce que l&rsquo;allemand nomme <em>Lyrik</em>. En effet, en allemand die <em>Lyrik </em>d&eacute;signe la po&eacute;sie en g&eacute;n&eacute;ral et non pas le lyrisme comme mouvement po&eacute;tique. La traduction par <em>lyric </em>dans le titre anglais ou <em>lirica</em></span></span><a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><i><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><b><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[1]</span></span></b></span></span></span></i></span></a><span style="font-size:18px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;"><em> </em>dans le titre italien fausse le sens du livre de Hugo Friedrich centr&eacute; sur la po&eacute;sie moderne et pas sur la question particuli&egrave;re du lyrisme. Peter Carravetta d&eacute;clare, &agrave; juste titre, que si pour Montale, comme pour Baudelaire, les po&egrave;tes n&rsquo;&eacute;crivent pas pour &ecirc;tre compris, ils ne parlent pas l&agrave; du lyrisme mais de la po&eacute;sie en g&eacute;n&eacute;ral. Leur conception de la po&eacute;sie aurait entra&icirc;n&eacute; une scission entre la po&eacute;tologie qui reprend l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une sp&eacute;cificit&eacute; de la langue po&eacute;tique et une approche oppos&eacute;e pour laquelle la po&eacute;sie est elle-m&ecirc;me orient&eacute;e vers une fusion avec la prose. Baudelaire n&rsquo;&eacute;crit certes pas pour &ecirc;tre compris mais il &eacute;crit notamment des Petits Po&egrave;mes en prose, ce qui prouve que la distinction entre po&eacute;tologie et critique traditionnelle de la po&eacute;sie n&rsquo;est pas pertinente. Cependant l&rsquo;interrogation sur la proximit&eacute; entre la po&eacute;sie et la philosophie que pose Peter Carravetta est bien fond&eacute;e, mais il n&rsquo;est pas certain que la po&eacute;sie lyrique soit la seule po&eacute;sie proche de la philosophie. Il affirme que, par opposition &agrave; la po&eacute;sie lyrique, la po&eacute;sie &eacute;pique est &laquo; presque par d&eacute;finition all&eacute;gorique &raquo;. Mais ce langage all&eacute;gorique est-il absent de la po&eacute;sie lyrique ? Sans faire r&eacute;f&eacute;rence &agrave; l&rsquo;all&eacute;gorie si pr&eacute;sente dans la po&eacute;sie courtoise, puisque Hugo Friedrich ne traite que de la po&eacute;sie moderne, mais en prenant l&rsquo;exemple de Baudelaire cit&eacute; par Peter Carravetta, il est ais&eacute; de d&eacute;montrer qu&rsquo;un po&egrave;me lyrique peut &ecirc;tre all&eacute;gorique. C&rsquo;est le cas de &laquo; Spleen &raquo;, po&egrave;me LXVVIII des <em>Fleurs du Mal</em>, commen&ccedil;ant par &laquo; Quand le ciel bas et lourd p&egrave;se comme un couvercle &raquo;, ce que note Carravetta en bas de page, ainsi que de &laquo; Correspondances &raquo;, comme exemple de po&egrave;me all&eacute;gorique moderne (p. 31). Et il finira par r&eacute;futer cette opposition entre lyrisme et all&eacute;gorie en faisant r&eacute;f&eacute;rence &agrave; Byron, Hugo, Dosso Dossi, Robert Browning et H. W. Longfellow. Apr&egrave;s avoir &eacute;voqu&eacute; Mallarm&eacute; et Val&eacute;ry, Carravetta mentionne le repli sur soi du langage, moment durant lequel &laquo; le signifiant engloutit tous les signifi&eacute;s possibles &raquo;. Il se tourne vers Gadamer qui affirme : &laquo; En fin de compte, il est facile de comprendre pourquoi &agrave; l&#39;&egrave;re de la communication de masse... la po&eacute;sie lyrique a n&eacute;cessairement un caract&egrave;re herm&eacute;tique. Comment le mot peut-il se d&eacute;marquer au milieu du flot d&#39;informations ? Comment la po&eacute;sie peut-elle nous attirer &agrave; elle si ce n&#39;est en nous ali&eacute;nant de ces tournures de discours trop famili&egrave;res que nous attendons tous ? &raquo; La po&eacute;sie herm&eacute;tique serait un rempart contre le trop plein de communication. Ceci ram&egrave;ne Carravetta &agrave; l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une origine commune entre po&eacute;tisation et pens&eacute;e. En effet, la rh&eacute;torique de la po&eacute;sie lyrique est fond&eacute;e sur une hypoth&egrave;se m&eacute;taphysique sous-jacente.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Il faut garder pr&eacute;sent &agrave; l&rsquo;esprit que le lyrisme, contrairement &agrave; ce qu&rsquo;ont pu pr&eacute;tendre Leopardi et de nombreux romantiques, vient apr&egrave;s les all&eacute;gories th&eacute;ologiques fondatrices. Dans les premiers po&egrave;mes, il n&rsquo;y avait pas de sens de soi comme on le trouve chez Saint Augustin, Pascal et Descartes, mais seulement un discours communautaire. Ces r&eacute;cits fantastiques et po&eacute;tiques des communaut&eacute;s ont disparu en Occident. Toutes les tentatives pour retrouver la contigu&iuml;t&eacute; entre le signe et la chose, la parole et l&rsquo;image, pr&eacute;sente chez les Pr&eacute;socratiques, ont &eacute;chou&eacute; apr&egrave;s le d&eacute;clin de la Gr&egrave;ce. De m&ecirc;me, les tentatives pour rapprocher notre conception du monde de celle des Am&eacute;rindiens est dans l&rsquo;impasse. L&rsquo;&eacute;crivaine am&eacute;rindienne, Leslie Silko, dans son roman,<em> La C&eacute;r&eacute;monie</em> (1977) montre le personnage principal partag&eacute; entre plusieurs mondes ; il tente de retrouver sa pl&eacute;nitude originelle qui lui a &eacute;t&eacute; enseign&eacute;e dans son enfance &agrave; la r&eacute;serve, mais essaie aussi constamment de comprendre les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et en particulier la bombe atomique. Ni la logique de l&rsquo;Occident, ni sa perception am&eacute;rindienne des cycles de la nature ne peuvent lui faire comprendre cela. Objectivement, tout comme les Am&eacute;rindiens, nous savons que c&rsquo;est impossible. Pourtant, dans leur po&eacute;sie, m&ecirc;me apr&egrave;s l&#39;extermination des nations indiennes, la possibilit&eacute; d&#39;&ecirc;tre reli&eacute; &agrave; l&#39;ensemble revient comme une complainte de fond, une aspiration primaire.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Nos r&eacute;cits les plus int&eacute;ressants sont les r&eacute;cits d&eacute;territorialis&eacute;s, non canoniques. Ce qui offre de nouvelles perspectives, c&rsquo;est la po&eacute;sie italophone ou francophone, ou bien les po&egrave;mes et les r&eacute;cits des non natifs des &Eacute;tats-Unis. La n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;&laquo; inventer &raquo; le sens, et la responsabilit&eacute; sociale, esth&eacute;tique et/ou professionnelle de ce geste, va de pair avec la n&eacute;cessit&eacute; d&#39;all&eacute;goriser. &laquo; Contrairement au lyrisme, une histoire peut vouloir dire quelque chose d&#39;autre, d&#39;autres vies, des exp&eacute;riences inou&iuml;es et souvent bouleversantes, des personnages transfigur&eacute;s, une g&eacute;ographie alternative, un cosmos vrombissant &raquo;, &eacute;crit Peter Carravetta.</span></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size:18px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;">*</span></span></p> <p style="text-align: justify;"><br /> <span style="font-size:18px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Dans son chapitre consacr&eacute; &agrave; <em>Ainsi parlait Zarathoustra </em>de Nietzsche, Peter Carravetta se demande ce que Zarathoustra essaie de dire et comment il est possible d&rsquo;interpr&eacute;ter ce texte.&nbsp; Puis il propose de s&rsquo;appuyer sur trois th&egrave;mes : la personne, la persuasion et le paradoxe. La vraie personne consent &agrave; vivre &agrave; travers une m&eacute;diation, sous diff&eacute;rents masques. Elle accepte que les choses soient configur&eacute;es par le langage. Ainsi le sujet &eacute;merge comme une fiction, une personnification, voire comme une imposture. C&rsquo;est une ruse, un masque. Nous devons donc accepter les masques. Harold Alderman (<em>Nietzsche&rsquo;s Gift</em>, 1977) sugg&egrave;re que, selon Nietzsche, le travail d&#39;un penseur est toujours cach&eacute; derri&egrave;re deux types de masques. Nietzsche accepte le masque comme ce qui permet l&#39;autorepr&eacute;sentation de la personne vivante, mais cela ne signifie pas que tous les masques ayant jamais exist&eacute; &agrave; travers l&#39;histoire doivent &ecirc;tre accept&eacute;s. Cet &ecirc;tre &agrave; venir, c&#39;est ce qu&#39;annonce Zarathoustra. De plus, ce serait l&#39;homme de l&#39;au-del&agrave;, c&#39;est-&agrave;-dire celui qui se d&eacute;passe, pleinement conscient qu&#39;il ne peut devenir autre.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Si nous lisons <em>Ainsi parlait Zarathoustra</em> comme une fiction, une narration, de la seconde naissance de l&rsquo;humanit&eacute;, l&#39;all&eacute;gorie de la recr&eacute;ation de l&#39;humanit&eacute;, alors peut-&ecirc;tre saisirons-nous ce que peut signifier l&#39;&eacute;ternel pr&eacute;sent. En d&#39;autres termes, nous devons effectuer une lecture attentive de certains des masques que porte Zarathoustra lorsqu&#39;il s&#39;adresse &agrave; tel ou tel groupe, et nous concentrer sur la s&eacute;mantique dominante des diff&eacute;rents <em>topoi</em>, tout en nous demandant : de quoi parle-t-il ? &laquo; Zarathoustra accepte d&egrave;s les premi&egrave;res pages qu&#39;il y a une r&eacute;currence &eacute;ternelle du soi, pas du m&ecirc;me, ce qui sugg&eacute;rerait la r&eacute;currence d&#39;une image miroir &raquo;, &eacute;crit Peter Carravetta. Voici ce que disent les b&ecirc;tes au moment de son d&eacute;clin :</span></span></p> <p style="text-align:justify"><br /> <span style="font-size:18px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;">Maintenant, dirais-tu, je meurs et disparais ; et &agrave; l&rsquo;instant, je ne suis rien. Aussi mortelles sont les &acirc;mes que les corps.</span></span><br /> <span style="font-size:16px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;">Mais reviendra le n&oelig;ud de causes en lequel je suis imbriqu&eacute; ; &agrave; nouveau me cr&eacute;era ! Moi-m&ecirc;me j&rsquo;appartiens aux causes de l&rsquo;&eacute;ternel retour.<br /> Je reviendrai, avec ce Soleil et cette Terre, avec cet aigle et ce serpent, - non pour une vie nouvelle, ou une meilleure vie, ou une vie pareille ;<br /> - &agrave; jamais je reviendrai pour cette m&ecirc;me et identique vie, dans le plus grand et le plus petit d&rsquo;elle-m&ecirc;me, pour &agrave; nouveau de toutes choses enseigner le retour &eacute;ternel, -<br /> - du grand midi de la Terre et de l&rsquo;homme pour &agrave; nouveau dire le dit, pour faire aux hommes de nouveau l&rsquo;annonce du surhomme</span></span><span style="font-size:12pt"><span calibri="" style="font-family:"><span style="font-size:11.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">.<strong><em><a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:11.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[2]</span></span></span></span></a></em></strong></span></span></span></span></p> <div> <div id="ftn1"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify">&nbsp;</p> </div> </div> <p style="text-align: justify;"><br /> <br /> <span style="font-size:18px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;">Certes Nietzsche &laquo; n&#39;a pas r&eacute;ussi &agrave; &eacute;crire ce qu&#39;on appelle un livre organique, avec une th&egrave;se, une s&eacute;rie de d&eacute;monstrations logiques et une conclusion &raquo;, mais Nietzsche est l&rsquo;h&eacute;ritier du romantisme allemand, de la pens&eacute;e philosophique aphoristique des fr&egrave;res Schlegel. Il s&rsquo;oppose &agrave; la scholastique et au syst&egrave;me h&eacute;g&eacute;lien fond&eacute; sur une dialectique en trois mouvements. Et l&rsquo;esprit allemand aime l&rsquo;irrationnel ; &agrave; la diff&eacute;rence du cart&eacute;sianisme et du pragmatisme. S&rsquo;appuyant sur L&ouml;with, Peter Carravetta &eacute;crit : &laquo; La d&eacute;couverte de ce <em>circulus vitiosus </em>deus de la part de Nietzsche constitue, selon Karl L&ouml;with, la d&eacute;couverte d&#39;une &eacute;chappatoire aux mille ans de mensonges, c&#39;est-&agrave;-dire au christianisme &raquo;. Il ne s&rsquo;agit pas seulement d&rsquo;une &eacute;chappatoire mais bien d&rsquo;une opposition franche au christianisme, c&rsquo;est pourquoi Nietzsche &eacute;crit : &laquo; Aussi mortelles sont les &acirc;mes que les corps &raquo;. C&rsquo;est &laquo; le n&oelig;ud des causes &raquo; auquel Zarathoustra est li&eacute; qui entra&icirc;ne math&eacute;matiquement son retour. &nbsp;<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Carravetta voit dans l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration de la pens&eacute;e de Nietzsche le fait que les all&eacute;gories &eacute;taient in&eacute;vitables. Il compare <em>Zarathoustra &agrave; l&rsquo;Odyss&eacute;e</em> ou au p&egrave;lerin de Dante, puis ajoute : &laquo; Mais un examen plus approfondi r&eacute;v&eacute;lerait &eacute;galement quelque chose de Gilgamesh ou de la Bhagavad-Gita &raquo;. Ce n&rsquo;est en effet pas par hasard si Nietzsche a choisi Zarathoustra : ce nom renvoie &agrave; celui d&rsquo;un proph&egrave;te perse qui n&rsquo;est peut-&ecirc;tre qu&rsquo;un personnage mythique. Peter Carravetta reconna&icirc;t que l&rsquo;on ne peut prendre Zarathoustra comme un nouvel Ulysse car il n&rsquo;y a pas de retour de Zarathoustra &agrave; son lieu de d&eacute;part : il est descendu de la montagne pour annoncer le surhomme (Z, II, 12) en ces termes :</span></span></p> <p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><br /> <span style="font-size:16px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;">&laquo; Vouloir de v&eacute;rit&eacute; &raquo;, ainsi vous appelez, n&rsquo;est-ce pas ? ce qui vous met en chaleur !<br /> Vouloir de rendre pensable tout ce qui est, ainsi j&rsquo;appelle, moi, votre vouloir !<br /> Tout ce qui est, d&rsquo;abord vous le voulez rendre pensable, car vous doutez, avec juste m&eacute;fiance, que pensable ce soit d&eacute;j&agrave; [...].<br /> Et c&rsquo;est l&agrave; votre enti&egrave;re volont&eacute;, &ocirc; vous les plus sages, une volont&eacute; de puissance, et m&ecirc;me quand vous parlez de bien et de mal, et d&rsquo;estimations de valeurs !</span></span><strong><em><a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:11.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:11.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[3]</span></span></span></span></span></span></a></em></strong></p> <div><br /> <span style="font-size:18px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;">Carravetta rappelle que, pour Zarathoustra, le vrai probl&egrave;me n&rsquo;est pas celui du bien et du mal mais celui de la volont&eacute; de puissance comme volont&eacute; de vie, car Nietzsche se situe du c&ocirc;t&eacute; de Dionysos. L&rsquo;id&eacute;e du surhomme peut &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e comme un mythe, et c&rsquo;est en tant que tel qu&rsquo;il doit &ecirc;tre interpr&eacute;t&eacute;. Et Peter Carravetta conclut en disant :</span></span></div> <p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><br /> <span style="font-size:16px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;">La r&eacute;currence &eacute;ternelle de la m&ecirc;me chose, qui peut conduire &agrave; un nihilisme n&eacute;gatif, &agrave; moins que l&rsquo;on ne vive enti&egrave;rement comme un artiste, dans (bien que sublim&eacute;e) l&rsquo;ivresse dionysiaque, peut &eacute;galement &ecirc;tre comprise comme la r&eacute;currence r&eacute;guli&egrave;re d&rsquo;une diff&eacute;rence, une qui est la mienne - la v&ocirc;tre, la sienne, selon la version dont je raconte l&rsquo;histoire du dernier homme &agrave; ma prog&eacute;niture, et dont je peux vivre avec le paradoxe nihil sub soli novi, alors que ma propre singularit&eacute; est unique et irrempla&ccedil;able. (p. 78)</span></span></p> <p style="text-align: justify;"><br /> <span style="font-size:18px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Peter Carravetta consacre un long chapitre &agrave; la po&eacute;tique de la science. Il consid&egrave;re que la r&eacute;flexion sur la po&eacute;sie et la science est entrav&eacute;e par un faux dualisme, voire une opposition. Il d&eacute;fend la th&egrave;se selon laquelle science et po&eacute;sie peuvent s&rsquo;enrichir r&eacute;ciproquement si l&rsquo;on cesse d&rsquo;aborder leur relation par le biais de leur adversit&eacute;.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Dans &laquo; After Being &raquo;, la premi&egrave;re partie du chapitre, Carravetta renvoie son lecteur au c&eacute;l&egrave;bre essai de Heidegger, <em>Wozu Dichter</em> ? et &agrave; la question bien connue de H&ouml;lderlin : &laquo; Pourquoi des po&egrave;tes en temps de d&eacute;tresse &raquo; ? &Agrave; un moment o&ugrave; &laquo; la Nuit du monde &eacute;tend ses t&eacute;n&egrave;bres &raquo;, les dieux se sont enfuis et &laquo; le rayonnement divin s&#39;est &eacute;teint dans l&#39;histoire du monde &raquo;. Heidegger consid&egrave;re les po&egrave;tes comme les &ecirc;tres capables de chanter les traces laiss&eacute;es derri&egrave;re eux, traces qui peuvent nous conduire &agrave; l&#39;Ouvert (<em>Lichtung</em>) et peut-&ecirc;tre nous orienter vers une reprise du quadriparti (<em>Geviert</em>) - terre, ciel, divinit&eacute;s et mortels. Les po&egrave;tes sont l&agrave; pour fonder la communaut&eacute; o&ugrave; les humains habitent en contact avec le quadriparti. &Agrave; une &eacute;poque o&ugrave; il est trop &eacute;vident que l&#39;on abuse de la terre, que l&#39;on ne voit pas le ciel, et que les mortels ont oubli&eacute; l&#39;&ecirc;tre au profit des &eacute;tants, la t&acirc;che du po&egrave;te est encore plus redoutable : seul, il cherche la lumi&egrave;re par le seul moyen possible : le langage, qui est ce qui fait de nous les &laquo; bergers de l&rsquo;&ecirc;tre &raquo;. &laquo; L&rsquo;Ouvert devient un objet &raquo; et le monde est en passe d&rsquo;&ecirc;tre vou&eacute; &agrave; la production et &agrave; la reproduction, en raison de la technologie moderne. Le mot-cl&eacute; est &laquo; mesure &raquo; (<em>&mu;έ&tau;&rho;&omicron;&nu;</em>) et la po&eacute;tique est une tentative de d&eacute;limiter, d&rsquo;identifier les mots cr&eacute;ateurs en tant qu&rsquo;ils fondent notre monde. Mais nous n&rsquo;utilisons pas seulement des outils pour y parvenir, La technologie n&rsquo;est pas seulement une extension du corps humain, elle veut &ecirc;tre le <em>Gestell </em>de notre monde, c&rsquo;est-&agrave;-dire, ce qui le fonde. La technique pr&eacute;tend &agrave; pr&eacute;sent &ecirc;tre l&rsquo;essence de notre monde. Heidegger expose sa conception de la technique d&rsquo;abord en 1949 dans les conf&eacute;rences de Br&ecirc;me, puis en 1953 dans<em> La Question de la technique</em>.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Le philosophe commence par affirmer que la technique n&rsquo;est pas l&rsquo;&eacute;quivalent de l&rsquo;essence de la technique. Ce n&rsquo;est pas du domaine de l&rsquo;instrumentum. Il est ais&eacute; de voir que la technique est ce qui nous permet de prendre le contr&ocirc;le du monde, en tant que moyen d&rsquo;une fin. Mais il faut nous interroger sur ce que les moyens et la fin signifient r&eacute;ellement.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Pour sortir de cette impasse, Heidegger revient &agrave; la sagesse philosophique &eacute;tablie, &agrave; savoir &agrave; la distinction d&#39;Aristote de quatre types de causes : 1&deg; <em>causa materialis</em>, 2&deg; <em>causa formalis</em>, 3&deg; <em>causa finalis</em>, et 4&deg; <em>causa efficiens</em>. Heidegger avait d&eacute;j&agrave; dit que la technique met en &eacute;vidence la quadruple nature de la causalit&eacute;. Mais l&agrave; il demande : pourquoi quatre causes ? D&#39;o&ugrave; viennent-elles ? Et est-il possible qu&#39;elles cachent autre chose ? D&egrave;s lors, le questionnement porte sur la nature de la causalit&eacute; elle-m&ecirc;me. Heidegger nous renvoie &agrave; l&rsquo;&eacute;tymologie de causalit&eacute; : <em>cadere</em>, tomber. Pourtant, ce que la pens&eacute;e tardive et moderne interpr&egrave;te comme causalit&eacute; n&#39;a rien &agrave; voir avec le fait de provoquer et d&#39;effectuer. Les quatre causes ne sont que des mani&egrave;res d&rsquo;&ecirc;tre responsable d&rsquo;autre chose. La question est complexe.</span></span></p> <p style="text-align: justify;"><br /> <span style="font-size:18px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Finalement Carravetta d&eacute;cide d&rsquo;en revenir &agrave; des pr&eacute;occupations plus accessibles, et pour ce faire, consid&egrave;re une observation, faite un demi-si&egrave;cle apr&egrave;s celle de Heidegger, par une fine observatrice de la sc&egrave;ne po&eacute;tique aux &Eacute;tats-Unis, Dana Gioia. En r&eacute;pondant &agrave; la question du titre de son livre <em>Can Poetry Matter </em>? force est de constater que, si les temps sont &laquo; d&eacute;munis &raquo;, les po&egrave;tes sont confront&eacute;s &agrave; diff&eacute;rentes sortes d&#39;obstacles, d&rsquo;une part une soci&eacute;t&eacute; qui n&#39;a pas de temps pour eux et d&rsquo;autre part une profession qui, tout en les cataloguant, peine &agrave; trouver une place, ou un but, pour la po&eacute;sie. En 1990, la question n&rsquo;est plus d&rsquo;&eacute;couter la voix des dieux enfuis mais plut&ocirc;t de savoir s&rsquo;il y a encore des dieux dont la parole n&#39;a pas pu &ecirc;tre entendue parce que nous avons subi l&#39;assaut des mass-m&eacute;dias, l&rsquo;essor de la technologie, de la commercialisation, et la d&eacute;valorisation de l&#39;art politiquement engag&eacute;. Les malentendus et la non-communication entre po&egrave;tes et scientifiques est presque un lieu commun et se passe de commentaires.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Pourtant il n&rsquo;en a pas toujours &eacute;t&eacute; ainsi. Aristote a reconnu que la po&eacute;sie et la philosophie naissent de l&#39;&eacute;merveillement, mais il y a chez Aristote une premi&egrave;re rupture majeure entre les deux, &agrave; savoir que la philosophie s&#39;int&eacute;ressera au vrai sur la base de la logique formelle et des axiomes m&eacute;taphysiques, alors que le domaine de la po&eacute;sie sera proprement ce vrai. Cependant, le r&ocirc;le des po&egrave;tes &eacute;tait central dans la vie sociale, et les po&egrave;tes devaient non seulement en savoir autant que toute personne cultiv&eacute;e sur les bases de la science, mais aussi l&#39;enseigner. Si nous faisons un saut jusqu&rsquo;au Moyen &Acirc;ge, nous constatons qu&#39;en dehors des logiciens proprement dits, tout ce qui peut &ecirc;tre discut&eacute; &eacute;tait confi&eacute; aux po&egrave;tes, aux chroniqueurs et aux lettr&eacute;s. Dante en est le grand exemple ; il connaissait la m&eacute;decine, l&#39;astronomie et ce que nous appellerions aujourd&#39;hui la psychologie. Au d&eacute;but du XVIIe si&egrave;cle, nous avons ce que nous pouvons maintenant appeler la science avec Copernic, Galil&eacute;e, Bacon, et plus tard Newton.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; La po&eacute;sie a r&eacute;agi aux aventures culturelles multiples de fa&ccedil;ons diverses : certains, comme Le Tasse et John Milton, chantaient encore dans des tourbillons &eacute;piques les gloires du christianisme, bien que les &eacute;rudits croient que ce dernier a utilis&eacute; le syst&egrave;me ptol&eacute;ma&iuml;que pour des raisons structurelles. Il reconna&icirc;t Galil&eacute;e et les nouveaux mondes r&eacute;v&eacute;l&eacute;s par le t&eacute;lescope dans <em>Paradise Lost</em> (1667) ; Tommaso Campanella et Giordano Bruno, tous deux grands philosophes, ont &eacute;crit des po&egrave;mes et des pi&egrave;ces de th&eacute;&acirc;tre o&ugrave; les nouveaut&eacute;s sont partout, comme le fit John Donne dans sa po&eacute;sie &laquo; m&eacute;taphysique &raquo;. Les po&egrave;tes s&#39;&eacute;merveillaient, mais s&#39;emparaient en fait avec ardeur des possibilit&eacute;s r&eacute;v&eacute;l&eacute;es par les nouvelles visions du monde. Il existe un vaste corpus de po&eacute;sie qui est soit d&eacute;di&eacute;, soit inspir&eacute; par les d&eacute;couvertes de Newton. En g&eacute;n&eacute;ral cependant, le po&egrave;te en tant que ma&icirc;tre ciseleur de mots et fileur de m&eacute;taphores, a trouv&eacute; dans la science de nouveaux mat&eacute;riaux lui permettant d&rsquo;&eacute;largir sa vision et sa perception. &nbsp;&nbsp; &nbsp;</span></span></p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size:18px;"><span style="font-family:Times New Roman,Times,serif;">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Avec la R&eacute;volution fran&ccedil;aise et son impact, la relation des po&egrave;tes &agrave; la science &eacute;volue, ce qui ne signifie pas que les romantiques ne connaissent pas aussi bien la science que leurs pr&eacute;curseurs. La <em>Zoonomie </em>d&rsquo;Erasmus Darwin vient confirmer certaines descriptions pr&eacute;sentes chez Wordsworth. Cependant, Blake a &eacute;galement compris les implications philosophiques et id&eacute;ologiques plus larges r&eacute;sultant d&rsquo;une pr&eacute;cipitation dans les nouvelles disciplines, le nouveau r&ocirc;le quasi-religieux assum&eacute; par la Raison, et il n&#39;&eacute;pargne pas les invectives contre Rousseau, Newton et tout le projet des Lumi&egrave;res.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Pour terminer le chapitre sur la science, Peter Carravetta s&rsquo;int&eacute;resse aux &laquo; connaissances contraignantes &raquo;. Il s&rsquo;agit d&rsquo;&eacute;tudier les relations entre po&euml;sis et technē du point de vue du <em>logos</em>, de se demander dans quelle mesure la po&eacute;sie, ou la litt&eacute;rature, est pr&eacute;sente dans l&rsquo;&eacute;criture scientifique. En premier lieu, il s&rsquo;interroge sur le r&ocirc;le de l&rsquo;imagination et de l&rsquo;intuition cr&eacute;atrice. L&rsquo;artiste engag&eacute;, comme le scientifique engag&eacute;, est celui qui, ayant une id&eacute;e ou une vision en t&ecirc;te, augmente sa sensibilit&eacute; ou sa concentration. Les philosophes et les scientifiques ont longtemps cherch&eacute; &agrave; expliquer le sens de la condition humaine, son ancrage ontologique et la possibilit&eacute; de cr&eacute;ation de connaissances sur la base de syst&egrave;mes de pens&eacute;e qui se voulaient, sous une forme ou une autre, transcendantes. Pourtant, les &oelig;uvres de Descartes regorgent d&#39;artifices rh&eacute;toriques alors m&ecirc;me qu&#39;il n&#39;avait que peu d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t pour la litt&eacute;rature.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; On parle de science quand ce qu&#39;elle pr&eacute;tend avoir fait sortir de rien ne peut &ecirc;tre mis en doute. En d&#39;autres termes, le r&eacute;sultat doit &ecirc;tre dupliqu&eacute; par d&#39;autres scientifiques. Le langage scientifique est univoque tandis que le langage de la conversation, qui est le plus souvent ambigu ou impr&eacute;cis, ne l&rsquo;est pas. Quant &agrave; la langue de la litt&eacute;rature, elle est polys&eacute;mique, ce qui est connu d&egrave;s l&rsquo;Antiquit&eacute; et devient une notion-cl&eacute; chez Dante, Milton et Blake. Les linguistes et grammairiens modernes ont rationalis&eacute; le fonctionnement de la polys&eacute;mie ; cela rel&egrave;ve de la technologisation constante des sciences humaines et des arts cr&eacute;atifs. Mais Peter Carravetta veut parler de polys&eacute;mie comme ce qui permet au lecteur de parcourir des chemins vari&eacute;s, d&#39;entrer dans des mythologies, de reconstituer des situations, de projeter le monde. Ces mondes doivent &ecirc;tre des all&eacute;gories de l&#39;esprit, porteurs de sch&eacute;mas conceptuels, mais n&eacute;cessitant aussi un engagement.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; C&rsquo;est peut-&ecirc;tre la diff&eacute;rence principale entre le scientifique et les po&egrave;tes. Pour le scientifique comme pour le po&egrave;te, il semble que la qu&ecirc;te soit de trouver et d&#39;expliquer ce qui se cache derri&egrave;re les ph&eacute;nom&egrave;nes : l&#39;inexprimable ou le myst&eacute;rieux, l&#39;origine intrins&egrave;que de la connaissance. Cette qu&ecirc;te consiste &agrave; passer de l&#39;inconnu &agrave; ce que nous pouvons comprendre, &agrave; quelque chose que nous pouvons imaginer et nommer. &Agrave; l&rsquo;&eacute;cart du courant dominant de son &eacute;poque, Vico trouve dans la m&eacute;taphore et l&#39;all&eacute;gorie les origines du savoir tout court, qui &agrave; des &eacute;poques ant&eacute;rieures &eacute;tait influenc&eacute; ou marqu&eacute; par le sublime, la divination ou la magie. En fait, derri&egrave;re la chimie moderne, il y a des milliers d&#39;ann&eacute;es d&#39;alchimie. Mais durant ces quatre derniers si&egrave;cles, nous nous sommes habitu&eacute;s &agrave; d&eacute;couvrir l&rsquo;inconnu &agrave; partir du savoir. La puissance de l&rsquo;analogie, de l&rsquo;alg&egrave;bre, est stup&eacute;fiante. Aristote dit de la m&eacute;taphore qu&rsquo;elle est une analogie inappropri&eacute;e, ce qui est exact puisque tandis que l&#39;analogie permet de passer du connu &agrave; l&#39;inconnu, la m&eacute;taphore fait l&#39;inverse. Mais depuis, l&rsquo;imagination s&rsquo;est att&eacute;nu&eacute;e. La science a devanc&eacute; la litt&eacute;rature comme reine des facult&eacute;s. L&rsquo;id&eacute;e de progr&egrave;s a du sens, ce qui a entra&icirc;n&eacute; une univocit&eacute; du langage par toujours plus de m&eacute;talangages.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Peter Carravetta clame haut et fort que le discours des scientifiques n&rsquo;est pas moins rh&eacute;torique que celui des lettr&eacute;s. &laquo; Es gibt keine unrhetorische Sprache &raquo;, affirme Nietsche (il n&rsquo;y a pas de langage non rh&eacute;torique).<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; La rh&eacute;torique ancienne avait structur&eacute; le discours public ainsi : <em>exordium, narratio, partitio, probatio, repetitio et peroratio</em>. La science classique est structur&eacute;e de fa&ccedil;on parall&egrave;le. Malgr&eacute; l&#39;affirmation selon laquelle le discours scientifique est objectif et vise une sorte de connaissance universelle au-del&agrave; des revendications subjectives, la science n&#39;est pas <em>wertfrei</em>, ou sans valeur. Car &eacute;noncer l&#39;hypoth&egrave;se est d&eacute;j&agrave; une d&eacute;cision m&eacute;taphysique ou politique. Trop souvent, comme Heidegger l&#39;avait sugg&eacute;r&eacute;, nous pensons que c&#39;est la seule voie &agrave; suivre : plus de production, plus de reproduction, plus d&#39;invention artificielle de produits dont le destin fondamental n&#39;est en fait pas celui d&#39;augmenter la connaissance universelle pour l&#39;ensemble de l&#39;humanit&eacute; mais de mettre quelque chose de nouveau sur le march&eacute;. La science nous donne-t-elle vraiment de nouvelles connaissances sur le monde ? Pendant des si&egrave;cles, nous nous sommes convaincus que la connaissance est cumulative : mais cette id&eacute;e-l&agrave; a eu une dur&eacute;e de vie historiquement courte. Si l&rsquo;on consid&egrave;re l&rsquo;histoire de la science, on peut affirmer que les d&eacute;couvertes se succ&egrave;dent si vite, qu&rsquo;il est inutile &agrave; un scientifique d&rsquo;apprendre l&rsquo;histoire de la science. &laquo; &Ecirc;tre scientifique, c&#39;est vivre au seuil de l&#39;invention &agrave; chaque instant, comme les limites de ce que le langage nous permet de dire, &agrave; un point critique : c&#39;est un savoir nouveau ; Je pense que ce n&#39;est pas si diff&eacute;rent de la situation difficile d&#39;un po&egrave;te, dont la meilleure &oelig;uvre est toujours le prochain livre, celui qu&#39;il n&#39;a pas encore &eacute;crit &raquo;, d&eacute;clare Peter Carravetta. Et Bertrand Russel nous invite &agrave; renoncer &agrave; l&rsquo;id&eacute;e selon laquelle le r&eacute;el serait permanent. La physique quantique n&rsquo;est possible que si l&rsquo;on cesse de vouloir se repr&eacute;senter le r&eacute;el. Pour Carravetta, si nous avons encore du mal &agrave; imaginer un espace quadridimensionnel ou multidimensionnel, alors il n&#39;y a pas d&#39;autre alternative que de recourir &agrave; l&#39;all&eacute;gorie, ce qui consiste &agrave; parler de quelque chose comme d&#39;un ensemble d&#39;autres entit&eacute;s connues, une chose en repr&eacute;sentant une autre. &laquo; Les limites de la cognition sont les limites du langage, les limites de l&rsquo;imagination le sont aussi &raquo;.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Peter Carravetta cl&ocirc;t son chapitre sur la science par une r&eacute;flexion sur l&rsquo;autopo&iuml;&egrave;se. Cette notion a d&#39;abord &eacute;t&eacute; introduite par Humberto Maturana en r&eacute;f&eacute;rence &agrave; l&#39;&laquo; auto-fabrication &raquo; biologique des cr&eacute;atures vivantes, et adopt&eacute;e par Niklas Luhman pour d&eacute;crire les processus sociaux. Tout au long du XXe si&egrave;cle, nous avons appris que le langage est arbitraire. Mais le langage ne sert pas qu&rsquo;&agrave; communiquer, il est autor&eacute;f&eacute;rentiel et Jacobson l&rsquo;a prouv&eacute; par l&rsquo;&eacute;criture cr&eacute;ative, notamment la po&eacute;sie. L&rsquo;autor&eacute;f&eacute;rentialit&eacute; peut se produire &agrave; diff&eacute;rents niveaux, ce qu&rsquo;ont bien montr&eacute; la critique structuraliste et la critique d&eacute;constructiviste. En philosophie analytique, le langage devient m&eacute;talangage en soi. Mais &agrave; c&ocirc;t&eacute; du langage, il y a la rh&eacute;torique.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Un syst&egrave;me autopo&iuml;&eacute;tique est, comme une vague ou un tourbillon, un mouvement structur&eacute; auto-entretenu, mais il fait plus que simplement montrer ce qui est d&eacute;j&agrave; pr&eacute;sent ; selon Ira Livingston, il &laquo; produit ses propres composants &raquo;. Contrairement &agrave; ce qui se passe avec le structuralisme, l&#39;autopo&iuml;&egrave;se les comprend comme des mod&egrave;les d&#39;&eacute;v&eacute;nements en construction continue. On retrouve l&agrave; le principe de la m&eacute;canique quantique, o&ugrave; la notion d&#39;objet solide est d&eacute;nu&eacute;e de sens et d&#39;utilit&eacute;. &laquo; Nous sommes des cr&eacute;atures fractales &raquo;, ouvertes aux clivages et nous ne devons pas, selon Peter Carravetta, &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;s comme des noms ou des structures, comme des entit&eacute;s de pens&eacute;e formant des fronti&egrave;res et li&eacute;es &agrave; une discipline, mais plut&ocirc;t comme des interactions, des cr&eacute;atures qui ne peuvent exister que parce que nous sommes d&eacute;pendants d&#39;autres cr&eacute;atures, et donc non autonomes. Pour finir, face &agrave; toutes les possibilit&eacute;s, les questions se r&eacute;sument au langage et &agrave; l&#39;interpr&eacute;tation. La science, la po&eacute;sie et l&#39;in&eacute;vitable politique, qui s&#39;immisce ou se d&eacute;gage de l&#39;interaction, sont les trois principaux ressorts vitaux du projet humain.</span></span><br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> &nbsp;</p> <p><span style="font-size:10pt"><span calibri="" style="font-family:"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="IT" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[1]</span></span></span></span></span></a><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> Lirica&nbsp;: &nbsp;Genere poetico caratterizzato dall&rsquo;espressione della soggettivit&agrave; del poeta (<i>Il Sabattini Coletti</i>, p.&nbsp;1472), ce qui </span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">signifie : genre po&eacute;tique caract&eacute;ris&eacute; par l&rsquo;expression de la subjectivit&eacute; du po&egrave;te.</span></span></span></p> <p><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt">[2]</span></span></span></a> Friedrich Nietzsche, <i>&OElig;uvres philosophiques compl&egrave;tes</i>, VI, <i>Ainsi parlait Zarathoustra</i>, trad. par Maurice de Gandillac, Paris, Gallimard, 1971, p. 242.</span></p> <p style="text-align: justify;"><br /> <span style="font-size:10pt"><span calibri="" style="font-family:"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[3]</a> <i><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Ibid</span></i><span new="" roman="" style="font-family:" times="">., p. 132.</span></span></span><br /> &nbsp;</p>